Les relations humaines se situent dans le champ de la communication. Chaque personne, chaque plante, chaque animal et chaque objet émet des signaux qui, lorsqu'ils sont perçus, transmettent un message au récepteur. Ces messages modifient l'information de celui qui les perçoit et peuvent en conséquence modifier son comportement. Le changement de comportement du récepteur, à son tour, peut influencer l'émetteur d'une façon perceptible ou non.
Parfois, l'effet d'un message est immédiat; à d'autres moments, le message et son
effet sont si éloignés l'un de l'autre dans l'espace et dans le temps que l'observateur
ne parvient plus'à relier les deux événements. Mais, pour les besoins de notre exposé,
nous nous intéresserons surtout aux effets immédiats et à leur influence sur le
comportement des gens.
Afin de familiariser le lecteur avec la diversité des modalités de la communication humaine, observons les faits et gestes de M. A. en train de se livrer à ses occupations quotidiennes. Le matin, quand il arrive à son bureau, M. A. lit son courrier (communication écrite). En triant ce courrier, il trouve un certain nombre d'imprimés qui ont pour but de vanter les mérites de 036 divers équipements industriels (communication par l'image). Par la fenêtre ouverte, il peut entendre le bruit atténué d'une radio et la voix d'un annonceur vanter ostensiblement les qualités d'un dentifrice (communication orale). Quand sa secrétaire entre dans le bureau, elle lui adresse un cordial «Bonjour» qu'il accueille avec un hochement de tête amical (communication gestuelle) tout en poursuivant une conversation téléphonique (communication parlée) avec l'un de ses collaborateurs.
Un peu plus tard dans la matinée, il dicte des lettres à sa secrétaire; puis il préside une réunion (communication de groupe) pour prendre l'avis de ses associés. Au cours de cette séance, un certain nombre de réglementations gouvernementales (communication de masse) sont étudiées et l'on discute de leurs conséquences sur les activités de l'entreprise. On étudie ensuite une résolution concernant l'attribution d'une prime annuelle aux employés (communication de masse et de groupe).
Après la fin de la réunion, M. A., qui réfléchit à des questions restées en suspens (communication avec soi-même, intrapersonnelle), traverse lentement la rue pour aller déjeuner au restaurant. En chemin, il aperçoit son ami, M. B., qui entre en toute hâte dans la même brasserie (communication par l'action). Mais M. A. décide d'aller s'asseoir seul plutôt que d'aller rejoindre son ami qui va probablement continuer à se dépêcher et engloutir son café (communication avec soi-même). Pendant qu'il attend, M. A. étudie le menu (communication par l'imprimé), mais l'odeur d'un steak saignant parvient à son odorat (communication chimique). C'est si appétissant qu'il en commande un lui-même. Après le déjeuner, il décide d'acheter une paire de gants. Il entre dans un magasin d'articles pour hommes et, du bout des doigts, il palpe soigneusement les différentes qualités de cuir (communication par le toucher). Après avoir tranquillement effectué son emplette, il décide de prendre un après-midi de congé afin d'emmener son fils au zoo comme promis depuis longtemps. En chemin, John, qui observe comment son père conduit le long des rues, lui demande pourquoi il s'arrête toujours là où il y a un feu rouge, et pourquoi il ne s'arrête pas quand il y a un feu vert (communication par symboles visuels). Une ambulance arrive en trombe, à grand bruit, et M. A. se range sur le côté et stoppe (communication sonore). Pendant l'arrêt, il explique à son fils que l'église, de l'autre côté de la rue, est la plus ancienne de la 037 région; construite il y a très longtemps, elle se dresse comme un point de repère de la communauté (communication culturelle matérialisée).
Après avoir payé l'entrée au zoo (communication par l'action), ils flânent à loisir du côté des éléphants. John rit des tours d'un éléphant qui, avec sa trompe, asperge d'eau l'un des spectateurs (communication par l'action), l'obligeant presque à fuir. Plus tard dans l'après-midi, M. A. cède aux instances de son fils et ils entrent dans un cinéma pour voir un dessin animé (communication cinématographique). De retour à la maison, M. A. s'habille pour aller à un dîner de gala et à une représentation théâtrale (communication artistique).
Ces exemples suffiront pour évoquer la diversité des situations sociales dans
lesquelles intervient la communication. Examinons maintenant comment un scientifique
peut conceptualiser d'une façon plus systématique ces événements variés.
L'approche scientifique de la communication doit se faire à plusieurs niveaux de
complexité. Dans un premier temps, nous nous efforcerons de définir le contexte dans
lequel la communication se produit. Ce contexte est synthétisé par l'étiquette que les
gens donnent à des situations sociales spécifiques. L'identification d'une situation
sociale est importante à la fois pour l'individu qui désire communiquer et pour le
chercheur qui veut conceptualiser les processus de communication.
Une situation sociale s'établit dès qu'un échange de communication a lieu; et cet échange commence au moment où les actions de l'autre individu sont perçues à la fois comme des réponses suscitées par le message de l'émetteur précédent et par 038 conséquent comme un commentaire de ce message; cela fournit à l'émetteur l'occasion d'apprécier ce que le message a signifié pour le récepteur. Une telle communication sur la communication est sans aucun doute difficile parce qu'elle est habituellement implicite plutôt qu'explicite, mais il faut qu'elle soit présente pour qu'un échange de messages se produise. La perception de la perception, comme nous pourrions appeler ce phénomène, indique que les participants sont tacitement d'accord pour accepter une influence réciproque.
Un système de communication s'établit dès lors que deux partenaires prennent conscience qu'ils sont entrés dans le champ de conscience réciproque. Les critères d'une perception réciproque sont en tous les cas des exemples de communication sur la communication. Si une personne A élève la voix pour attirer l'attention de B, elle est, de ce fait, en train de donner un indice sur la communication. Elle peut, par exemple, vouloir dire: «Je communique avec vous»; ou bien: «Je ne vous écoute pas, c'est moi qui parle», et ainsi de suite. De même, toutes les ponctuations du courant des signaux émis sont des indications sur la façon dont ce courant doit être fractionné en sections; il est significatif aussi que toutes les modifications du courant des signaux, qui assignent implicitement ou explicitement des rôles ou bien à soi ou bien à l'autre, constituent des énoncés sur la communication. Si A ajoute: «s'il vous plaît», à une demande verbale, il est en train de produire un énoncé sur cette demande: il donne des instructions sur l'attitude ou le rôle qu'il désire que l'auditeur adopte en interprétant le courant verbal. Il ajoute un signal pour provoquer une modification de l'interprétation par le récepteur.
En ce sens, le signal additionnel est une communication sur la communication tout
autant qu'une indication sur la relation entre deux personnes.
L'information sur ce qui se passe sera différente si celui qui observe est en train de participer à une discussion de groupe, ou 039 s'il s'agit d'un chercheur qui procède à une observation scientifique plutôt à l'écart et avec un minimum de participation.
La position de l'observateur, ses points de vue, ses centres d'intérêt, son degré d'implication et sa lucidité lorsqu'il interprétera les règles, les rôles et les situations détermineront ce qu'il va rapporter.
Quand un chercheur s'efforce d'étudier des questions aussi complexes que les relations humaines, il divise à sa convenance l'univers en segments assez petits pour que, dans le cadre d'une telle subdivision, les événements qui surviennent puissent être observés et enregistrés d'une façon satisfaisante. En passant de l'étude des unités plus grandes à celle des unités plus petites, le scientifique doit se garder des pièges qui peuvent provenir de ses propres tendances, de ses idées et de ses orientations personnelles.
On peut comparer sa position à celle d'un visiteur de musée qui ne parvient jamais à voir en même temps la face et le dos d'une statue; placé derrière la statue, par exemple, il ne sera pas capable de prévoir l'expression du visage jusqu'à ce qu'il l'ait vue de face. Pour obtenir une impression complète, il lui faut tourner autour de la statue et, tandis qu'il se déplace, une nouvelle perspective s'ouvrira à chaque pas, jusqu'à ce que la combinaison de toutes les impressions mette ce visiteur en état de construire en lui-même un modèle réduit du personnage en marbre. Les choses se compliquent si l'on considère que tous les visiteurs ne vont pas au musée avec les mêmes intentions. Certains ne cherchent qu'à remporter une impression superficielle des trésors qui s'y trouvent; d'autres veulent entreprendre des études détaillées pour se préparer à une carrière artistique; certains veulent rencontrer des gens qui partagent les mêmes intérêts. Ainsi, selon ses intentions, chacune des personnes rassemblées autour de la statue pourrait retenir une image différente du modèle en marbre.
La position du scientifique rappelle de très près celle du spectateur de la statue, sauf que, pour parvenir à comprendre plus complètement ce qu'il est en train de faire et ce qui se passe dans la nature, il ne se limite pas uniquement à la perception et à l'observation. Pour satisfaire sa curiosité, il compense les limitations de sa perception d'être humain en créant une théorie. En bref, il procède à peu près comme suit: d'abord, il postule qu'il y a des événements. On définit un événement comme quelque 040 chose qui arrive et qui occupe une petite partie du continuum général quadridimensionnel de l'espace-temps. Cet homme de science observe un événement de ce genre et si cet événement peut être vérifié par d'autres personnes, il considère que son énoncé est celui d'un fait. Quelquefois, il complétera ses observations par des mesures physiques; et il examinera les relations entre l'événement et sa propre unité de mesure. Pour que le chercheur puisse mesurer ou expérimenter, toutefois, il lui faut une hypothèse; c'est-à-dire une théorie provisoire, expérimentale, une supposition qu'il adopte momentanément, en vue d'ajouter une série de nouveaux faits à la connaissance déjà bien établie. Les hypothèses guident ainsi tout futur travail de recherche. Quand une hypothèse - c'est-à-dire une supposition sans preuve - peut être étayée par le fait, elle devient une théorie. Cette dernière peut être décrite comme étant le résultat du raisonnement avec l'intention de tirer d'un corpus de faits connus des principes généraux ou abstraits. Ces principes peuvent alors s'appliquer à d'autres corps de connaissances afin de relier l'information sur les événements avec un plus large continuum d'espace-temps. Le scientifique est obligé de recourir à la théorie parce que peu d'événements sont accessibles à l'observation directe et à la mesure. La plus grande partie des processus dans la nature ou chez l'être humain sont ou bien si lents, ou bien si rapides qu'ils échappent à la perception. On utilise alors la théorie pour insérer les faits connus dans un réseau permettant l'interpolation et l'extrapolation, la reconstruction du passé, et la prévision d'événements futurs.
Arrivé à ce point, le lecteur reconnaîtra que, dès que nous parlons d'une situation sociale ou lorsque nous y pensons, il nous faut définir la position d'où nous observons. En ce sens, tout individu devient un observateur comme le scientifique dès qu'il s'engage dans la communication.
Pour évaluer les événements de la vie courante, et afin de guider la suite de ses actions, chaque être humain particulier possède un système scientifique personnel. Pour celui qui étudie le comportement humain, les systèmes personnels des autres sont assez peu accessibles. Ce qui est assimilé par l'être humain en termes de stimuli, que ce soit de la nourriture, de l'oxygène, des sons ou de la lumière, et ce que l'individu produit comme chaleur, comme déchets ou comme actions délibérées, est accessible à 041 l'investigation. Tout ce qui se passe à l'intérieur, entre l'entrée et la sortie, n'est connu que dans une mesure restreinte: par introspection et, depuis peu, au moyen des rayons X et avec les traceurs de substances radioactives, on peut suivre certains des processus qui se déroulent dans l'organisme. A des fins pratiques, cependant, tout ce qui se produit chez d'autres personnes n'est accessible à un observateur que sous forme d'induction: il ne perçoit que les stimuli qui parviennent à l'autre personne et les réactions de cette dernière; le reste est sujet à conjecture.
En outre, l'observateur étant lui-même un stimulus social pour autrui, il connaît
l'origine et la nature des stimuli qu'il fournit à d'autres individus. Dans un tel
système qui inclut l'observateur comme partie intégrante, les actions de la première
personne constituent des stimuli pour la seconde et les réponses de la seconde personne
sont des stimuli pour la première.
Une fois la position de l'observateur clairement définie, et la situation sociale établie, puisque des individus sont entrés en communication, il incombe aux participants d'identifier cette situation sociale. L'étiquette qu'une personne va lui attribuer dépend des règles qui gouvernent la situation aussi bien que des rôles que les divers participants ont à assumer. Il est évident que chacun a ses idées personnelles sur la définition de la situation et que la confusion règne quand les gens sont en désaccord sur la nature de cette situation. Au cours de la communication avec les autres, des rôles sont mutuellement assignés et, grâce à des échanges, on parvient fréquemment à un accord quant à la nature de la situation.
Lorsque le terme «rôle» est employé en relation avec la communication, il se réfère au code qui est utilisé pour interpréter le flux des messages. Par exemple, les propos d'une personne qui désire vendre une automobile seraient interprétés de façon très différente si cette personne devait jouer le rôle d'un acheteur d'automobile. Connaître le rôle d'une personne dans une situation sociale permet de jauger correctement la signification de ses paroles et de ses actions. Une fois que son propre rôle et ceux 042 de tous les autres participants ont été établis, le code est donné pour interpréter la conversation. Le nombre de rôles que chacun peut assumer est limité et ailleurs nous avons calculé que ce nombre est probablement aux alentours de vingt-cinq [149, p. 405]. Un individu adulte et mûr est capable de maîtriser cette quantité de rôles au cours de sa vie.
Toute situation sociale, quelle qu'elle soit, est gouvernée par des règles
implicites ou explicites. Ces règles peuvent être créées sous l'impulsion du moment pour
une situation particulière, ou bien elles peuvent découler d'une tradition séculaire.
Dans le contexte de la communication, on peut considérer les règles comme des directives
qui orientent le flux des messages d'une personne à une autre. Dans la mesure où les
règles sont habituellement restrictives, elles limitent les possibilités de communication
et, par-dessus tout, elles restreignent les actions des personnes qui participent. Les
règles peuvent être considérées comme des dispositifs qui stabilisent ou bien
interrompent un système de communication donné, et elles fournissent des directives pour
toutes les éventualités. On peut mieux comprendre les significations des règles, des
réglementations et des lois si l'on pense à un jeu de cartes auquel participent plusieurs
personnes: les canaux de communication sont assignés, la séquence des messages est fixée
et les effets des messages sont vérifiables. Les règles expliquent également que certains
messages, à certains moments, adressés à certaines personnes, ne sont pas admissibles et
que des pénalisations sont appliquées à ceux qui enfreignent ces règles. En outre, il
existe toujours des règles concernant le début du jeu, la répartition des fonctions en
termes de rôles et la fin du jeu [149, p.
401; 168].
Une situation sociale est établie quand des gens sont entrés en communication; l'état de communication est déterminé par le fait qu'une personne perçoit que sa propre perception a été remarquée par d'autres. Aussitôt le fait établi, on peut dire que le système de communication existe. A ce stade se produisent réception sélective, transmission intentionnelle et processus correctifs. 043 Alors les caractéristiques de circularité et les mécanismes d'autocorrection du système de communication deviennent effectifs. Cela implique que des rôles ont été assignés et des règles établies. Les participants d'une situation sociale sont plus ou moins conscients de ces événements et l'expérience les conduit donner un nom à une telle situation. Ce genre d'«étiquetage» non seulement précise l'attribution des statuts (des rôles) pour les participants et des règles relatives aux réunions, mais il spécifie aussi la tâche ou le but vers lequel la situation est orientée. Un enterrement, par exemple, a une autre finalité qu'un mariage et les communications différeront en conséquence. Ailleurs [149, p. 398], nous avons avancé l'idée qu'une personne quelconque ne rencontre généralement que moins d'une trentaine de situations sociales, au cours de son existence, ce qu'un individu moyennement doué peut aisément maîtriser.
Pour pouvoir donner une étiquette sociale, il est évident que des critères extérieurs
sont extrêmement utiles. Si certaines personnes portent des vêtements de deuil et si
d'autres connaissent la signification de cette tenue, ils seront tous d'accord sur la
nature de la situation; la conversation sera par conséquent limitée, et elle sera
interprétée dans l'optique d'une telle situation. Mais l'état de choses est différent et
peut présenter des difficultés lorsque deux étrangers se rencontrent - disons par exemple
dans l'Ouest américain vers 1850. Il se peut qu'aucun indice de comportement ne les aide
à reconnaître leurs rôles réciproques. L'un des hommes, par exemple, pourrait avoir des
intentions de meurtre, ou de persécution, ou de commerce. Dans des cas de ce genre,
l'identification ne peut être élaborée qu'avec le temps et il faut créer de nouvelles
règles. L'intervalle qui s'écoule entre la création d'une situation et son état définitif
peut varier. Certaines personnes savent très habilement clarifier les situations;
d'autres, particulièrement les névrosés, peuvent éprouver une grande angoisse tant que
les règles, les rôles et les buts n'ont pas été définis.
044
Quand un individu est seul, le système de communication est limité à un organisme unique. S'il y a deux personnes, le réseau de communication englobe ces deux organismes. S'il y a beaucoup de gens, le réseau embrasse tout le groupe, et, si l'on envisage de multiples groupes, alors on peut parler d'un réseau culturel. Dans le système de communication d'un individu isolé, les signaux circulent le long de voies établies dans le corps. Dans un système de deux ou plusieurs personnes, les signaux circulent à la fois le long des voies à l'intérieur du corps et à travers les milieux existant entre les corps.
Considérons d'abord les instruments de communication humains et les voies corporelles utilisées pour la communication. L'organisme d'un homme dans sa totalité peut être conçu comme un instrument de communication: il est équipé d'organes sensoriels, les récepteurs; d'organes effecteurs, les émetteurs; de transmetteurs internes, les voies humorales et les voies nerveuses; et il a un centre, le cerveau. Cependant, le lecteur ne doit pas trop penser en termes anatomiques à propos du réseau interne de communication; il serait plus judicieux de comparer l'individu avec une organisation sociale. Dans le cadre défini d'une nation, par exemple, des messages provenant des frontières et de toutes les autres parties du pays sont transmis au moyen d'un réseau complexe à la capitale et à tous les autres points. Ces messages peuvent être transmis par radio, par téléphone, par télégraphe ou de bouche à oreille; des messages imprimés peuvent être transportés par air, par bateau, par chemin de fer, en voiture, à pied ou à cheval. La personne qui est la première à rapporter un événement ne prend habituellement pas la peine d'effectuer un déplacement important pour diffuser la nouvelle. Le message est plutôt transmis par un système de relais en d'autres lieux et à d'autres gens.
Chaque station relais peut altérer, amplifier, condenser ou bien abréger le message originel pour l'utiliser localement; et il n'est 045 pas rare qu'après un long transit toute ressemblance entre le premier rapport et le dernier soit pure coïncidence. Cette image est tout aussi valable lorsque l'on considère l'organisme humain.
Les organes des sens, par exemple, se trouvent répartis de la tête aux pieds sur toute la surface du corps et aussi dans les organes internes et autour. Ils sont sensibles à des stimulations qui ont leur origine dans l'environnement tout comme dans le corps lui-même; les organes terminaux agissent comme des stations de transformation des impulsions. Quel que soit le type du stimulus originel, que ce soient des séries d'ondes lumineuses ou d'ondes sonores ou bien un agent chimique, les organes des sens transforment ce qu'ils reçoivent en des impulsions qui seront transmises à l'intérieur de l'organisme. De même, peu importe si ces impulsions se propagent le long des voies afférentes à partir des nerfs périphériques et crâniens vers le cerveau, ou par des voies humorales, ou peut-être par contiguïté de cellule à cellule à l'intérieur d'un organe donné. L'essentiel en la matière, c'est que tout tissu vivant ait la capacité de répondre à l'impact de stimulations spécifiques. On peut appeler irritabilité cette capacité de réponse. Sa nature est déterminée en partie par le type de stimulus perçu et en partie par la nature des tissus, des organes et du système d'organes qui réagissent. Pour une meilleure économie et pour une plus grande efficacité, la stimulation perçue à la surface du corps ou à l'intérieur de l'organisme est transformée de façon à pouvoir être transmise convenablement; et, de la même façon, des impulsions ayant leur origine dans le cerveau et dans d'autres centres de régulation sont transformées dans plusieurs stations avant d'atteindre les organes effecteurs ou, au-delà même, les organes sensoriels d'une autre personne.
Nos organes effecteurs, les muscles lisses et les muscles striés, réagissent à des stimulations qui proviennent de l'organisme lui-même. Lorsque les muscles sont stimulés, leur irritabilité produit des contractions qui, à leur tour, peuvent provoquer des mouvements des membres, des déplacements du corps dans l'espace, le passage d'air à travers les voies respiratoires et subséquemment des sons ou des mouvements à l'intérieur du tractus digestif ou du système circulatoire. Chaque fois que des activités d'un organe ou de tout l'organisme sont perçues par la personne elle-même ou par les autres, ces activités constituent des éléments de communication qui prêtent à interprétation. 046
Les centres supérieurs du système nerveux et peut-être certaines glandes évaluent des messages qui proviennent de divers organes, et l'individu peut répondre d'une façon automatique, parfois sans être conscient de la transmission. On appelle réflexes ces réponses automatiques si le circuit, à l'exception du stimulus, est situé entièrement à l'intérieur d'un seul organisme. Lorsque les messages sont transmis d'un individu à l'autre, l'information relative à l'état de leur organisme est souvent transmise sans qu'ils en aient conscience. Dans des situations sociales, on évalue automatiquement l'attitude d'autrui - par exemple si cette attitude est amicale ou hostile. Sans avoir conscience de leur propre réponse, les interlocuteurs seront plus prudents et vigilants quand ils seront en face d'un individu hostile que lorsqu'ils rencontreront quelqu'un d'apparence inoffensive. Des messages interpersonnels plus complexes, spécialement lorsqu'ils sont codés sous forme verbale, requièrent une évaluation et une interprétation plus conscientes. Mais, quelle que soit la complexité du message ou l'étendue du réseau, les principes de base restent les mêmes.
Prenons un exemple: une personne trébuche dans l'escalier, et reste inanimée après sa chute. Un observateur neutre pourra être impressionné par différents aspects communicationnels de cet incident:
C'est ainsi que tout changement dans l'état d'un organisme peut être analysé de différents points de vue et peut être enregistré consciemment ou inconsciemment.
Si les actions des êtres humains et des animaux ont des aspects communicationnels, de même les plantes et les objets transmettent des messages à ceux qui savent les percevoir. En une fraction de seconde, notre organisme peut percevoir une multitude 047 de stimulations, mais la plupart des descriptions scientifiques des phénomènes de perception rencontrent d'insurmontables difficultés lorsqu'il s'agit de décrire les processus impliqués.
Une brève illustration peut servir d'exemple. Si notre attention est attirée par l'aspect d'une rose rouge, nous apprécions sa beauté, sous l'influence de messages qui nous sont transmis par plusieurs canaux. D'abord nous voyons, puis nous sentons et, éventuellement, si nous nous approchons de cette fleur, nous pouvons la toucher. La description scientifique de ces trois démarches occuperait plusieurs centaines de pages. En commençant par la détermination de la couleur, la longueur d'onde réfléchie, par exemple, pourrait se situer aux alentours de 7.000 Angströms. Sur ce, la teinte ou la nuance de cette couleur, l'angle de réflexion et la nature de la source de lumière, son intensité, la texture et la couleur de l'arrière-plan, en contraste, et beaucoup d'autres traits devraient être étudiés pour compléter la description scientifique des processus concernant la seule lumière.
Spécifier la famille et l'espèce du rosier, préciser l'époque et la durée du processus de floraison constitueraient certains des aspects de l'investigation botanique, qui pourraient être complétés par l'odeur émise par la fleur, ainsi que le nombre des insectes qu'elle attire et leur efficacité dans la propagation du pollen. L'analyse chimique des parties constitutives de la rose et une description du terrain et des conditions climatiques pourraient faire l'objet d'autres chapitres d'une étude scientifique de ce genre.
Enfin, après une étude exhaustive de la rose et des conditions dans lesquelles elle fleurit, l'investigation s'étendrait finalement à l'être humain qui perçoit la rose. Le nom, l'âge, le sexe et d'autres indications seraient nécessaires pour nous identifier, nous, l'individu qui observe. L'étude de notre santé physique et l'examen de notre appareil visuel précéderaient probablement les recherches sur nos expériences passées, en particulier celles avec des fleurs et celles avec des roses. Des tests psychologiques pourraient révéler des traces d'événements antérieurs qui nous auraient amenés à nous intéresser à la rose plutôt qu'à la structure du mur du fond ou à un chien en train de jouer à proximité. Une investigation complémentaire pourrait nous faire découvrir les intentions qui étaient les nôtres en nous intéressant spécialement 048 à des roses soit pour orner notre boutonnière, soit pour décorer notre bureau ou, peut-être, pour offrir à une personne aimée. Et, après toute cette longue et fastidieuse préparation scientifique et cette série d'informations concernant la rose et l'être humain qui l'a perçue, nous aurions à nous occuper de cette fraction de seconde que dura la vision de cette rose et des quelques secondes supplémentaires pour nous en approcher.
Le lecteur aura facilement compris qu'aucun scientifique n'est en mesure de décrire toutes les choses susceptibles d'agir comme stimuli ni toutes les réactions pour une personne dans cette situation. Cependant, un observateur neutre assis sur un banc à proximité et observant l'action d'approcher et de cueillir la rose pourrait inférer beaucoup de choses à partir de ses propres expériences dans des situations analogues. Il pourrait en conclure que nous avons en nous une prédisposition ou, dirons-nous, une préférence pour cette rose en particulier à ce moment et dans cette situation. Cueillir la rose a signifié pour nous satisfaire un désir et nous procurer un cadeau. Pour l'observateur, il s'agissait d'un acte expressif qui lui apportait de l'information sur nous-même, sur la rose et sur la situation globale qui avait conduit à cet acte. La combinaison d'un stimulus particulier (la rose) avec un genre particulier de réponse (la cueillette) était la seule chose évidente pour l'observateur. Nous avons appelé «valeur» cette combinaison d'un stimulus particulier avec une réponse particulière. Le choix de cette action indiquait à l'observateur qu'à ce moment donné aucune autre action ne pouvait se produire, bien que, par exemple, nous eussions pu passer notre chemin en nous dirigeant vers le chien sans même remarquer la rose. Pour nous-même, qui avons cueilli la rose, le geste a créé un précédent qui pourrait influencer des actions futures et qui, en soi, était lui-même la suite d'événements vécus antérieurement. Que nous ayons été conscient de notre choix ou non, que nous ayons connu les raisons qui motivaient ce choix ou non, nous conviendrons tout comme n'importe quel observateur que, lorsque nous avons cueilli la rose, nous avons transmis un message aux autres. Et ce message signifiait: dans cette situation précise, nous valorisions - plus que tout - une rose.
En matière de communication, donc, n'importe quelle action constitue un message pour nous-même aussi bien que pour les autres. Dans le cadre de la communication, l'expression 049 et la transmission de valeurs - c'est-à-dire d'actions qui indiquent un choix - occupent une place centrale. Une valeur véhicule de l'information non seulement sur le choix qui a été fait mais également sur les choses qui auraient pu être sélectionnées mais n'ont pas été retenues. L'aptitude à choisir, à maximiser ou à minimiser certains aspects de la perception est un des traits caractéristiques de notre centre de communication. En outre, ce centre possède la faculté de conserver des traces des expériences passées. Il est évident que ce n'est pas l'action elle-même, mais une représentation symbolique qui est retenue; et le but de ces représentations est de jouer, à l'intérieur de l'organisme humain, le rôle de modèles réduits de tous les événements qui ont été vécus dans le passé.
En créant des choses nouvelles et en s'adaptant par l'action à l'environnement, l'homme se distingue de toutes les autres créatures. Ce don, que les organicistes appellent «cerveau» et les mentalistes «psychisme», n'est localisé nulle part. Bien qu'il ne possède aucune structure anatomique propre, il a néanmoins besoin pour fonctionner de la somme totale de toutes les cellules et de toutes les facultés de l'organisme.
Intégrer des parties à un tout, privilégier des événements, les minimiser ou les rejeter, juger le passé ou anticiper l'avenir, créer ce qui n'a encore jamais existé, telles sont les fonctions du centre. L'enfant, à sa naissance, est doté de toutes ces potentialités; mais leur exploitation dépend des expériences et des circonstances. Animé par un désir insatiable de rechercher le nouveau, il explore les choses et les gens et cela creuse des sillons permanents et indélébiles dans le centre psychique de l'enfant. Des impressions deviennent des expériences quand des événements sont enregistrés et laissent des traces disponibles pour de futures références. Petit à petit, les événements de l'extérieur s'impriment dans l'esprit de l'enfant et l'information s'acquiert. Ce qui arrive à une personne et dans son environnement est enregistré sous une forme codée; et la jonction des traces immédiates avec des traces d'expériences passées facilite la sélection des réponses. On dit que l'individu a appris quelque chose quand des réponses discriminatives ainsi que l'anticipation des événements indiquent la maîtrise de soi et de l'environnement.
Le développement de l'individu est contenu par des limitations biologiques qui, à leur tour, délimitent l'extension du système de 050 communication. Le patrimoine génétique de l'homme le pousse à établir des relations sociales tandis que son développement au cours de la petite enfance et ses premiers contacts sociaux détermineront sa façon d'utiliser [145] et éventuellement de parfaire ses moyens de communiquer. L'homme naît d'une mère. Après sa naissance, une mort certaine attendrait l'enfant s'il n'était nourri, vêtu et protégé. La rupture du cordon ombilical n'est que le premier pas vers la conquête de l'indépendance. La lutte du petit enfant pour acquérir une identité qui lui soit propre nécessite une quinzaine ou une vingtaine d'années. Pendant ce temps, l'enfant, qui au départ était impuissant et sans mobilité, grandit et apprend petit à petit à explorer le monde et à se lancer dans ses propres aventures. Un fastidieux codage des événements conduit à l'accumulation d'une vaste masse d'informations. Il acquiert un «savoir-faire» relatif à l'utilisation de ces informations et il parvient graduellement à se passer de l'aide qu'il recevait de ses parents ou protecteurs. Quand la maturation biologique et l'apprentissage social ont progressé suffisamment, l'enfant se trouve équipé pour fonctionner par lui-même et pour continuer la lutte pour la vie avec une chance raisonnable de survie. Alors, la communication avec ses semblables devient encore plus qu'avant une nécessité, car l'information sur lui-même, sur les autres et sur l'environnement doit être constamment révisée. L'état de maturité a été atteint lorsque, finalement, il communique et coopère avec ses semblables au lieu de se fier à l'aide physique et affective de ses parents.
L'homme acquiert sa conception du monde par l'interaction sociale [114] et par la communication, et cette acquisition est le fondement sur lequel repose l'organisation ultérieure de son environnement. En aménageant son environnement, l'homme se distingue de toutes les autres créatures vivantes. Il a surmonté ses limitations physiques en se projetant dans l'espace et dans le temps. Sa voix, qui portait tout au plus à quelques centaines de mètres, peut maintenant parcourir la terre et peut-être aller au-delà. Dans les conditions primitives, lors de ses déplacements dans l'espace, il franchissait peut-être quelques centaines de kilomètres; maintenant, il peut atteindre le monde entier et à l'avenir il ira encore plus loin. L'invention de l'écriture, la construction d'abris faits par l'homme, et l'usage du dessin permettent que des messages du passé parviennent aux générations 051 futures. L'invention d'une communication de masse «transtemporelle» a provoqué la formation d'un corpus cumulatif de connaissances. L'information engrangée au cours des siècles est devenue la base sur laquelle ont été érigés de nouveaux systèmes d'objets et d'événements qui finissent par avoir une existence propre.
Contrairement à l'animal, l'être humain se trouve confronté non seulement aux autres humains mais aussi à des messages et à des productions du passé. Les inventions de l'homme, qui ont fréquemment pour but le progrès et la survie peuvent parfois saper ses fondements biologiques. La question reste ouverte de savoir si finalement les créations de l'homme améliorent son sort, ou bien aboutiront à sa propre modification ou encore à son annihilation totale. Quoi qu'il en soit, à la racine de tous les événements qui sont provoqués par l'homme se trouve son aptitude à communiquer, base sur laquelle se construit la coopération.
La coopération est en rapport étroit avec les caractéristiques qui font de l'homme une créature grégaire. L'homme ne vit donc pas seul. Il est habituellement entouré de parents, de semblables, de descendants et il recherche la compagnie de ses congénères. Dans le giron de la famille, du clan, du groupe ou, dans le sens le plus large du mot, de la horde, il se sent en sécurité. Il peut partager des expériences éprouvantes et maîtriser les événements hostiles en mettant l'information en commun et en rassemblant ses forces. Pouvoir compter sur d'autres membres du groupe augmente ses chances de survie dans un monde troublé. La première expérience au cours de laquelle il a été élevé et aidé par sa mère ou par d'autres membres du groupe induit l'être humain à se fier à autrui ou à s'en méfier. Si la confiance et le sentiment de sécurité prévalent, il recherchera l'aide d'autrui; si la crainte prédomine, il cherchera à dominer ou à éviter les autres. Mais, quel que soit le motif, que ce soit pour partager, pour éviter, pour conquérir ou pour détruire, il aura toujours besoin des autres.
L'homme doit se déplacer. Lorsque l'enfant acquiert la maîtrise de l'espace, d'autres moyens de se déplacer complètent bientôt la locomotion. En bateau, sur le dos d'animaux, sur roues ou avec des ailes, l'exploration du monde se poursuit. Le mouvement dans l'espace facilite l'acquisition et la dissémination de l'information 052 et la satisfaction des besoins. Transport et communication sont donc si intimement liés que la distinction est à peine possible.
En explorant l'espace, en cherchant à acquérir de la maîtrise, à satisfaire ses besoins de nourriture, d'abri et de compagnie, l'homme rencontrera des dangers et peut-être l'interférence d'autrui. L'être humain, tout comme l'animal, est sur ses gardes à la vue du danger: tout ce qui n'est pas par expérience reconnu comme inoffensif constitue une menace. Chez les animaux, l'alerte - c'est-à-dire l'attente d'événements imminents - s'exprime de bien des façons. Le lion gonfle sa crinière et rugit, le crabe «violoniste» brandit une pince rouge vif, alors qu'une poule d'eau émet un «kriek» strident. Un chat poursuivi par un chien se réfugie sur un arbre, les poils hérissés, les griffes plantées dans l'écorce, sifflant en direction du chien qui grogne au-dessous. Le corps du chat exprime la préparation à toute action éventuelle si un changement devait intervenir dans la situation; s'il guette et traque une souris, il attendra patiemment, pendant des heures, le moment opportun pour bondir, ce qui sonnera le glas du rôdeur.
Alors que l'animal en état d'alerte a le choix entre combattre, fuir ou se cacher, l'être humain dispose de possibilités supplémentaires: une action constructive, qui vise à éliminer la source du danger; des projets à long terme, pour éviter le retour d'un tel danger; enfin, la mise en commun de l'information et les possibilités de coopération avec d'autres êtres humains qui en découlent. Tels sont les privilèges spécifiques de l'espèce humaine.
La communication, qui a pour but de partager et de transmettre de l'information et
d'accéder aux idées des autres, est précieuse pour l'individu en alerte. Quand la lutte,
la fuite, la mise à l'abri et la communication sont exclues, la tension corporelle ne
peut se donner libre cours et la continuation de l'alarme devient un état permanent que
l'on appelle angoisse. Un surmenage de l'esprit et du corps peut même éventuellement
survenir et aboutir finalement à un effondrement des structures fonctionnelles.
L'individu est alors malade, psychologiquement et physiquement; l'attention concentrée
sur le danger imminent monopolise les ressources mentales; la tension corporelle sans
relâche aboutit à l'angoisse et à la fatigue. L'individu, incapable de prendre
conscience d'autres circonstances qui requerraient une attention immédiate, ni de
mobiliser pour un effort son corps
053
exténué, peut finalement être perdu dans des situations qu'il aurait pu autrement
maîtriser aisément. Même dans une telle circonstance, la communication représente un
processus utile. Quoique le fait de parler n'implique pas une grande dépense physique
pour l'individu, il résorbera ainsi la surcharge de tension et sera finalement à même
de retrouver son équilibre. Ce processus interpersonnel constitue le noyau de toute
psychothérapie. Le besoin de comportement social de l'être humain le motive et l'oblige
à maîtriser ses instruments de communication. Sans eux il pourrait difficilement
recueillir l'information et satisfaire ses besoins vitaux. Une personne assure sa
supériorité dans son groupe en premier lieu en utilisant habilement ses moyens de
communication. Collecter de l'information et fournir celle dont les autres ont besoin,
posséder une conception réaliste des événements et agir en conséquence est ce qui
caractérise l'homme qui réussit.
Au sein des systèmes de communication relativement simples, les participants peuvent suivre un message depuis son origine jusqu'à sa destination. Il est par conséquent possible, bien que ce ne soit pas toujours le cas, que les participants détectent et corrigent des distorsions. Dans un tel système, les caractéristiques de circularité deviennent évidentes. La transmission des messages et l'effet produit sont étroitement liés dans l'espace et le temps, et les participants ont l'impression qu'ils sont capables de maîtriser la situation. Les systèmes simples sont, dans l'ensemble, des systèmes symétriques: toutes les personnes qui participent sont munies de récepteurs, d'émetteurs et d'organes centraux de communication qui leur permettent de retenir et d'évaluer de l'information.
À la naissance, l'enfant entre dans un système de communication asymétrique parce que son propre équipement de communication n'est pas complètement développé; cependant, un bon environnement humain rectifiera graduellement cette asymétrie 054 et, dès que la maturité biologique de l'enfant le permettra, la communication commencera à être symétrique. Nous reviendrons ultérieurement sur le fait que, si l'enfant est élevé dans un environnement humain où prévalent des systèmes de communication symétriques, il est probable qu'il jouira d'une bonne santé mentale; et, si des circonstances malheureuses obligent un individu à évoluer dans des systèmes asymétriques, des troubles de la communication surviendront.
Les systèmes de communication plus larges et plus complexes qui comportent un ou plusieurs groupes de personnes sont habituellement asymétriques. Le flux des messages émerge d'un centre ou converge vers un centre. Dans de tels systèmes, soit de nombreuses personnes communiquent avec une personne, soit une personne communique avec beaucoup. Si, par exemple, un homme politique s'adresse à la nation, il procède à une communication unilatérale au cours de laquelle ses auditeurs n'ont pas la possibilité de répondre immédiatement. De même, quand une instance administrative soumet à son patron son rapport d'activité sur le terrain, le responsable n'est pas en mesure de donner individuellement des réponses aux questions de ses informateurs ou de ses correspondants. Le système récepteur d'un être humain comporte des limitations physiques telles que seul un nombre limité de messages peut être traité dans une journée. Si le nombre des messages qui arrivent dépasse la capacité du récepteur, il faut condenser chaque message et les résumés doivent être groupés jusqu'à ce que le récepteur puisse maîtriser le nombre d'éléments à considérer. A partir des synthèses qui auront été opérées, fréquemment, le responsable, ne sera pas capable d'évaluer correctement les messages d'origine et, puisqu'il est rarement en position de parler personnellement à ceux qui ont émis ces messages, son action est surtout celle d'un système récepteur dans une communication unilatérale. Ces systèmes asymétriques que nous avons appelés «réseaux de groupes» se caractérisent par le fait que soit la source soit la destination des messages est anonyme; la correction des messages est par conséquent différée. Pour compenser les asymétries de ces systèmes, des responsables efficaces ont développé des méthodes pour raccourcir les circuits. D'une part, cela évite des étapes successives d'abstraction et par conséquent de distorsion de la signification. D'autre part, cela évite que l'échelon de commandement ajoute ou retranche au 055 message d'origine. Ainsi, un général en chef montera au front pour se procurer personnellement des informations de première main; et les émissaires de gouvernements étrangers rendent fréquemment leur rapport en personne afin d'éviter des distorsions lorsque l'information passe par différentes mains.
Les réseaux de communication les plus complexes sont les réseaux culturels dans
lesquels de nombreuses personnes communiquent avec de nombreuses autres. Ici, à la fois
l'origine et la destination des messages restent anonymes; par conséquent, la correction
des messages devient impossible. Il en résulte que l'individu se sent impuissant devant
les messages dont il est submergé. Il cherche vainement leur source et leur destination.
Si, dans un réseau de communication, les participants connaissaient les points précis,
ils pourraient, grâce aux rétroactions, modifier leurs propres messages et interpréter
correctement ceux des autres. A une époque récente, beaucoup de citoyens, par exemple,
ont avidement désiré faire quelque chose pour éviter la guerre, mais parfois ils n'ont
pas pu échapper au sentiment que la guerre était inévitable. Les hommes éprouvent un
sentiment d'impuissance quand ils sont submergés de rumeurs et de messages anonymes,
probablement parce que chaque personne a besoin de reconnaître les messages d'une façon
personnalisée. En conséquence, on pourrait dire que, lorsque des messages ont une source
ou une destination non identifiée, cela provoque un sentiment d'insécurité, car l'individu
se sent paralysé s'il lui est impossible de corriger les interprétations erronées.
Un individu qui n'a pas conscience de l'existence de systèmes culturels plus vastes que le sien acceptera les événements comme «naturels». Si toutefois quelqu'un est conscient d'assister à des événements historiques ou culturels, il est frustré par le fait qu'il n'est pas à même de comprendre pleinement les processus qui se déroulent. Essayons, par conséquent, d'apporter un peu de lumière sur cette question. Il appartient aux anthropologues d'étudier ces systèmes suprapersonnels; les indications qu'ils ont 056 tendance à donner sur une «culture» consistent principalement en généralisations concernant des personnes et des groupes. Ce que les gens font et ce que les gens disent, ce qu'ils ont fait ou ce qu'ils ont dit, composent le gros des données.
On ne peut pas observer directement la «culture» en tant que telle. Elle existe uniquement sous la forme de généralisations énoncées par les chercheurs en sciences humaines, qui incluent non seulement les modèles d'organisation spécifiques des hommes en groupes, mais aussi leurs problèmes juridiques et économiques, leurs langages et leurs systèmes de symbolisation, leurs conventions et leurs traditions et tous les objets, bâtiments et mouvements qui véhiculent quelque message du passé [147].
Pour les membres d'une tribu primitive qui ont passé toute leur vie au même endroit, il semble tout à fait naturel que les choses soient comme elles sont. Toutefois, l'anthropologue s'aperçoit, à partir de sa connaissance d'autres lieux et d'autres peuples, que certains des traits observés sont uniques. C'est parce qu'il est étranger qu'il peut distinguer ce qui, pour l'autochtone, va de soi et passe inaperçu. Cependant, habitué à faire et à voir des choses autrement que les gens du pays, l'anthropologue rencontre un nouveau problème à chaque pas. Son manque de familiarité avec telle ou telle culture particulière se révèle lorsqu'il veut communiquer avec les gens du pays, lorsqu'il viole involontairement quelque règle fondamentale ou bien lorsqu'il veut tout simplement commander un repas. De même, lorsqu'ils vont à la découverte d'une nouvelle «culture», tous les voyageurs sont obligés de déduire certains principes grâce auxquels ils pourront comprendre les gens du pays. Telle est exactement la position de l'anthropologue américain lorsqu'il désire apprendre quelque chose sur Bali ou celle de l'anthropologue anglais quand il étudie l'Amérique. Et le chercheur en sciences humaines est confronté à la même difficulté lorsqu'il mène un travail de recherche auprès des personnes d'un groupe autre que le sien. Quand un étranger se trouve lui-même environné par une population qui diffère de lui à beaucoup d'égards, il doit bien sûr élaborer des généralisations sur le comportement d'autrui. Peu importe qu'il soit un voyageur dans un pays différent ou qu'il soit un juriste chez des médecins: le principe est le même.
En général, les gens qui appartiennent à une culture donnée ou à une subculture sont remarquablement ignorants des prémisses 057 auxquelles ils se conforment dans leur système de communication. Aucun homme n'est réellement capable d'évaluer ses propres comportements en fonction du système plus vaste auquel il appartient. Sans doute existe-t-il des gens qui pensent agir parfaitement en accord avec les principes de leur culture respective et certains des autochtones peuvent même énoncer des prémisses d'une façon très explicite. Mais seul un étranger, ou bien un autochtone qui a vécu dans des systèmes culturels autres que le sien, peut formuler les prémisses fondamentales. Ce n'est que par l'expérience du contraste que l'observateur acquiert la prise de conscience et la perspective qui sont nécessaires pour parvenir à des généralisations pertinentes: ces généralisations constituent donc un dictionnaire qui rend l'observateur capable de traduire dans le langage qui lui est familier les signaux qu'il a reçus sous une autre forme.
Nous avons mentionné plus haut le sentiment d'impuissance que l'on éprouve quand on ne peut pas suivre la trace d'un message de l'origine jusqu'à la destination. Cela implique cependant que l'on sache qu'à partir de messages l'on peut remonter jusqu'à des sources humaines. Chaque culture comporte des croyances et des traditions dont on ne peut pas trouver les origines humaines. Ces messages sont acceptés par la population comme s'ils provenaient de Dieu ou d'une figure mythologique, ou bien comme s'ils exprimaient la nature des choses. Mais, quelle que soit la source supposée à laquelle ces messages sont attribués, il est significatif que l'individu ne possède ni recours, ni réponse, ni possibilité de correction. L'anthropologue, en revanche, sait que dans une autre culture peut-être ce domaine particulier de croyances est modifiable tandis que dans d'autres secteurs la correction est impossible. Nous appellerons «communication culturelle de masse» ces zones où la correction est impossible.
Ainsi, l'on peut dire que la communication culturelle de masse influence chaque citoyen qui se trouve dans son rayon d'action. On relève des exemples de ce type de communication dans les messages que les gouvernants et les dirigeants adressent à la population. Ici, une ou plusieurs personnes envoient à la population en général des messages sous la forme de proclamations, d'émissions de radio ou de télévision, de pièces de théâtre, de films, d'articles de journaux, etc. Ces communications se caractérisent 058 par une instance émettrice multiple et souvent indéfinie. Elles proviennent habituellement d'une institution ou d'un département administratif et, au moment où un discours est prononcé ou un spectacle a lieu, beaucoup de gens y ont collaboré. Ce n'est donc plus un message d'un individu à un autre, mais un message de beaucoup de gens à beaucoup d'autres et, finalement, tant de personnes y ont participé qu'il faut considérer ce processus comme une communication de masse. Les enfants sont continuellement exposés aux communications de masse par la radio, la télévision, les bandes dessinées et, finalement, et ce n'est pas le moins important, par les opinions de la famille elle-même.
Une seconde sorte d'événements doit être prise en considération au chapitre de la communication culturelle: la transmission d'énoncés sur la tradition et sur les habitudes relatives aux cérémonies, aux usages commerciaux, à la santé, à l'éducation des enfants, etc. Contrairement aux messages dont il a été question plus haut, dans la plupart des sociétés l'information relative aux coutumes constitue - bien qu'elle change lentement - une répétition plus fidèle des communications de masse du passé. Le spectateur peut observer comment l'information, d'origine fréquemment anonyme, est transmise de génération en génération et il peut remarquer ses effets sur le comportement des gens qui vivent à notre époque.
On peut inclure un troisième type d'événements dans la rubrique de la communication culturelle: les objets matériels fabriqués par l'homme et la façon dont les gens disposent ce dont ils s'entourent. En raison des dimensions et du temps nécessaires à la construction, les cathédrales, les, digues, les routes et les immeubles se situent à une échelle que ne peut atteindre l'action isolée d'un individu. Ici encore, ces systèmes d'objets deviennent des communications de masse dont les personnes qui sont à l'origine des messages, de même que leurs destinataires, demeurent fréquemment anonymes.
Il existe un quatrième type d'événements sociaux: le système des symbolisations et le langage que l'on doit apprendre si l'on veut participer à un groupe donné. Il faut savoir maîtriser non seulement les systèmes de symbolisation, mais également des nuances subtiles dans les significations des symboles. Grâce à l'impact de la communication de masse, chaque citoyen apprend à interpréter le sens des messages non seulement en 059 appréciant le contenu mais surtout en observant certains indices sur la manière de les présenter. La ponctuation, l'accentuation, les marques d'attention, l'attribution de rôles et l'expression de l'émotion peuvent toutes être considérées comme des messages sur la communication qui guident le récepteur dans sa compréhension - son décodage et son évaluation des messages. L'expression «s'il vous plaît», par exemple, ou le fait d'élever la voix dans un certain contexte ont une signification qui appartient à la culture que l'on partage et aux enseignements de la matrice sociale, soit grâce à la communication de masse, soit à partir de l'expérience personnelle des relations avec d'autres personnes de la même culture. On présume que les règles de la communication sur la communication - qui sont aussi les règles qui définissent la relation humaine - sont communes à beaucoup de gens; tandis que le contenu primaire, plus simple, du message est l'affaire du moment immédiat et particulier à celui qui parle.
Les éléments que l'on croit personnels et éphémères sont évidemment plus susceptibles de changement que les modèles plus fondamentaux dont on présume qu'ils sont absolus ou du moins observés par un grand nombre de personnes. On suppose que la liberté d'action et d'autocorrection de l'individu est relativement grande au niveau personnel. Il voit les effets de ses actions, il peut les corriger et il peut voir la relation entre cause et effet. Mais des difficultés surgissent quand il s'agit des idées que l'individu suppose partagées par un grand nombre de gens. La personne en question peut être excessivement déviante par rapport aux autres personnes dans ses habitudes communicationnelles et elle peut posséder ses propres règles spéciales pour interpréter des nuances dans la communication. Cependant, elle suppose inconsciemment que ces règles sont universelles et qu'elles appartiennent à la nature inévitable et permanente de la vie. Ainsi en est-il du patient en psychiatrie. A ce niveau, la difficulté de la tâche de la thérapie est d'amener le patient à découvrir que ses idées non explicitées et généralement inconscientes sur les relations humaines, sur la communication et sur sa propre culture sont incorrectes; c'est aussi de l'aider à comprendre que les communications de masse sont d'origine humaine et peuvent être changées.
Ce ne sont pas seulement les individus qui croient inconsciemment à l'universalité des règles de la communication, mais aussi 060 des groupes de personnes et des nations tout entières. Dans ce contexte, une déclaration de guerre peut être considérée comme le moment où les gens réalisent leur isolement en termes de communication. En recourant à l'intervention armée, ils forcent l'adversaire à faire de même, c'est-à-dire à recourir à la guerre. Cette procédure met fin à leur isolement dans la mesure où les deux nations utilisent un système de communication qui leur est commun, celui de la violence et de la guerre. Cela en soi a un effet égalisateur pour les deux nations étant donné qu'elles partagent maintenant un système de communication qui leur est commun.
Après un certain temps, variable, et avec l'effet de nivellement de la guerre, les adversaires sont à nouveau capables de vivre sans guerre; cela suppose qu'ils sont passés à travers les mêmes épreuves, ce qui leur fait partager les mêmes règles de communication.
Les anthropologues, les psychologues et les sociologues ont produit une littérature
considérable au sujet de l'impact de ce genre de communication de masse sur l'individu.
Pour l'essentiel, on peut considérer que ces communications de masse forment une matrice
sociale dans laquelle s'insèrent les relations humaines. La façon dont la matrice sociale
influence les comportements individuel et interindividuel peut mieux se comprendre si
l'on introduit le concept de prémisse de valeur.
Le terme valeur est assez couramment utilisé dans le langage populaire et est étroitement lié à deux notions: d'une part, on peut attribuer de la valeur à n'importe quel objet et à n'importe quelle action; d'autre part, la valeur est une quantité qui rend possible l'évaluation comparative. On suppose que tout objet et toute action peuvent être comparés à tout autre objet et à toute autre action quand des valeurs sont substituées à l'idée de ces objets et actions. En fonction de ces notions, la valeur est un dispositif qui rend commensurables des choses non comparables; 061 par exemple, les gens relient le prix à toutes sortes d'activités ou de commodités; ainsi, le prix de cinq dollars pour des chaussures d'enfants peut être évalué comparativement au prix de cinq dollars de whisky. La valeur est aussi un dispositif qui permet de différencier des choses qui se ressemblent étroitement: on peut préférer une marque de whisky à une autre parce qu'elle coûte quelques cents en plus ou en moins. Pour les besoins de notre présente étude, toutefois, nous emploierons le mot valeur dans un sens plus général et moins quantitatif [124].
Ce sens plus large du concept de valeur peut être rapproché de la notion plus simple de préférence. La préférence indique toujours la réaction d'un organisme devant deux ou plusieurs possibilités qui ont été perçues. Ces possibilités se rapportent, d'une part, à une série de stimuli perçus et, d'autre part, à l'anticipation d'une série de réactions de l'organisme. Afin de faciliter une décision face à des choix multiples, l'organisme subdivise en groupes les stimuli perçus et les réactions anticipées. Par une série de processus compliqués, l'organisme en arrive finalement à un énoncé de préférence. Cette manifestation de préférence, nous l'appellerons une valeur.
Ce sont les préférences manifestées qui révèlent le fonctionnement de l'esprit d'une personne. Fréquemment, le choix se limite à une alternative dans laquelle on peut associer par exemple «mort» et «déshonneur», ou bien «whisky» et «chaussures d'enfant», ou bien encore «base-bail» et «handball». Dans ces exemples, la situation de choix est claire mais, la plupart du temps, les choix sont si nombreux qu'ils ne peuvent pas être classés en alternatives simples. Il semble que dans la vie d'un individu ses propres actions, les objets extérieurs qui l'entourent, les événements auxquels il participe et même ceux dont il est le spectateur - tout cela peut être disposé en un réseau de préférences.
Ces systèmes ramifiants, ou réseaux de préférences, dont nous nous occupons dans la présente étude, sont au cœur de tous les processus de communication. Par exemple, si nous - B - entendons A affirmer quelque chose, ou si nous voyons l'un de ses gestes, ou bien si nous l'observons simplement en train de vaquer à ses occupations, les conclusions suivantes (facilitées par nos impressions concernant celui qui parle et par notre connaissance de sa culture) nous viendront à l'esprit: 062
Ni A ni nous-même à la place de B ne savons de façon certaine quelles stimulations ont été perçues ni quelle gamme de réponses a été considérée. Finalement, tout ce que nous voyons, c'est une action préférentielle de la part de A. Cette action implique l'idée qu'une stimulation, dans un large champ de stimuli, a entraîné une réponse dans un champ de réponses. Ainsi, il est bon de rappeler que, dans la communication courante, tout énoncé de préférence de valeurs n'est pas uniquement un message sur ce qui a été choisi, mais évoque implicitement, chez celui qui le reçoit, certaines associations sur ce qui aurait pu être perçu, sur le cours des événements qui aurait pu s'ensuivre, et sur les jugements à propos de ce qui aurait dû être fait. Effectivement, cet arrière-plan implicite est ce qui confère de la signification à tout énoncé, et aussi bien le locuteur que l'auditeur en font libéralement usage. «Vous voyez ce que je veux dire» est une expression qui illustre ce phénomène, évoquant soit un patrimoine culturel commun, soit l'expérience antérieure que l'auditeur possède du système de valeurs du locuteur.
Quand des personnes conversent, chacune émet plusieurs suppositions concernant l'état psychologique de l'autre. Nous, par exemple, en tant que B, supposons que, lorsque A perçoit plusieurs alternatives, il les compare entre elles; en d'autres termes, nous supposons que A arrivera à une action ou à une parole dans laquelle une préférence se manifestera - ouvertement ou implicitement. En outre, nous attribuons à A la capacité d'évaluer des éléments hétérogènes - au moins par paires - sur une échelle homogène. La «comparaison» implique que, quelque différents que soient les éléments, un certain dénominateur commun peut être trouvé. Ce processus psychologique inféré englobe non seulement nos considérations relatives à la nature des stimuli et aux 063 réponses possibles de A, mais inclut aussi l'idée que A a eu certaines expériences antérieures. Dans le langage quotidien, le terme «justification» dénote certaines délibérations personnelles qui ont pour but de confronter les événements présents avec l'expérience passée. De cette façon, l'action envisagée s'accompagne d'idées concernant des pratiques généralement admises. Les suppositions que nous faisons sur A, par conséquent, renvoient à des processus intrapersonnels au nombre desquels nous incluons la perception, la comparaison, la justification et l'évaluation qui sont supposées mener soit à un énoncé formel de préférences, soit à une action à partir de laquelle nous, observateur, pouvons déduire une préférence.
A ce point, il semble nécessaire de récapituler ce que nous avons dit sur la fonction de la culture dans les relations interpersonnelles. Nous disons simplement qu'une prémisse de valeur est une généralisation faite par un observateur sur les perceptions et les actions d'une autre personne. L'observateur impute ces généralisations à l'autre personne ou les projette sur elle. Inversement, la personne qui s'engage dans une certaine action - parole, geste ou autre mouvement - le fait pour être accessible à l'observateur. Ce faisant, elle exprime son système de préférence. A agit en sorte que, effectivement, B tire des conclusions sur son processus intrapersonnel (le processus intrapersonnel de A) qui, autrement, serait inaccessible. L'observateur est incité à compléter à partir de son propre système d'information le sens du comportement de l'autre. Ce n'est qu'au moyen de ce complément que l'observateur peut comprendre le message. Cette façon de «combler les vides» provient naturellement des communications culturelles de masse auxquelles un individu a été exposé. Les personnes qui ont été élevées dans le même système culturel parlent plus ou moins la même langue et possèdent plus ou moins les mêmes valeurs. Elles peuvent différer et même s'opposer au sujet des préférences, mais en fait elles se comprennent. L'un dans l'autre, elles seront d'accord quant aux éléments que l'on peut comparer avec pertinence et elles ont une conception semblable du «commun dénominateur» mentionné plus haut.
Comprendre [169], c'est surtout percevoir l'action d'une personne et en déduire la série de processus intrapersonnels dont cette action représente le résultat final. Bien sûr, plus les déductions seront correctes, plus les deux personnes parviendront à 064 posséder une information commune. On peut apprendre à connaître l'autre de plusieurs façons: la première manière consiste à vivre avec un individu pendant une longue période. En accumulant continuellement de l'information, et en s'exposant de façon répétée à des événements semblables, les deux personnes apprennent chacune à faire des déductions correctes sur leur comportement réciproque. Toutefois, cette méthode prend du temps, et souvent n'est pas pratique, parce que, dans la vie quotidienne, nous devons communiquer avec un très grand nombre de gens que nous n'avons jamais vus auparavant. Bien que nous ne connaissions pas intimement la plupart des gens que nous rencontrons, nous possédons une certaine information a priori sur leurs systèmes de valeurs si nous connaissons la culture dans laquelle ils ont vécu. S'ils partagent notre propre culture, cette information sera assez détaillée.
Dans les chapitres IV, V et VI, nous nous étendrons plus longuement sur ces informations a priori partagées par les gens qui vivent dans le secteur américain de la civilisation occidentale. Nous présenterons les prémisses des valeurs qui gouvernent la communication aux États-Unis - la matrice sociale - en supposant qu'un voyageur parlant anglais explore l'Amérique pour la première fois de sa vie et s'étonne du nombre de choses qu'il ne comprend pas [32; 47; 65; 86; 95; 102; 157; 167]. Certaines de ces observations sont bien connues des étrangers, mais les Américains sont bien souvent incapables d'exprimer d'une façon précise ces aspects mêmes. L'individu né aux États-Unis comprend implicitement ces indices auxquels il réagit sans jamais avoir besoin d'y réfléchir [7; 9; 49; 69; 82; 112; 175]. Mais, dès que le psychiatre né aux Etats-Unis s'occupe de thérapie et de réadaptation - c'est-à-dire dès qu'il essaie d'améliorer les moyens de communiquer d'un patient -, il doit prendre plus clairement conscience de la nature de la communication qui s'établit entre lui et le patient. Alors que, dans la vie quotidienne, les gens communiquent continuellement sur la base d'informations incomplètes, cette façon de procéder est assez insatisfaisante pour un psychiatre qui entreprend une thérapie. Une information incomplète peut suffire dans la vie de tous les jours parce que l'action qui suit immédiatement complétera partiellement l'information qui manque. Cependant, en thérapie, lorsque l'on essaie de modifier le système de communication lui-même, il faut disposer 065 d'une information plus complète pour mener la tâche à bonne fin. C'est pourquoi, avant de discuter de la nature de l'information inhérente à la matrice sociale, nous allons au prochain chapitre voir comment les psychiatres doivent compter sur l'information portant sur les valeurs et la communication, afin d'aider leurs patients.