À propos de ces “longues propagandistes”

 C ette page de «longues»[*] contient des textes glanés sur Internet, pour l'essentiel des articles du quotidien Le Monde; j'ai commencé à la constituer à un moment où j'avais un projet les concernant, mais les choses allant comme elles vont, ce projet est différé. Il me semble que ça forme une base documentaire intéressante, quoique disparate.


Le Monde / Société
Le destin inespéré des "miraculés" de Mai 68

 O n savait que Mai 68 avait durablement marqué la vie politique et intellectuelle nationale. On savait qu'il avait fait évoluer en profondeur la société française. Mais on ne savait pas qu'il avait permis à une génération de jeunes, candidats au baccalauréat cette année-là, d'accéder assez miraculeusement à l'Université et de profiter d'une ascension sociale exceptionnelle. On imaginait encore moins que cet épisode de l'histoire conduirait leurs enfants à mieux réussir à l'école.

Une note rédigée par les économistes Eric Maurin et Sandra McNally sur "les bénéfices de long terme de 1968" démontre que la simplification et la désorganisation des examens après la crise ont permis à un nombre important de jeunes d'intégrer l'Université, alors qu'ils n'y seraient jamais parvenus dans des conditions normales. Ces miraculés de Mai ont eu une carrière professionnelle et des revenus largement supérieurs à ce qu'ils pouvaient attendre. Et, près de quarante ans plus tard, il apparaît que leurs enfants ont moins redoublé à l'école.

Une méthode scientifique originale

Dans leur note sur "les bénéfices de long terme de 1968", Eric Maurin et Sandra McNally utilisent une méthode scientifique originale. Dans les sciences sociales, en effet, il est impossible de procéder à des expériences, comme le font les chercheurs en "sciences dures". Pour dépasser cette difficulté, les économistes cherchent des "expériences naturelles" qui permettent d'étudier l'effet d'une variable sur la société.
Eric Maurin et Sandra McNally se sont intéressés aux conséquences d'une plus grande ouverture de l'Université du fait de l'allégement des examens après Mai 68. Pour cela, ils ont étudié le parcours des personnes ayant passé le baccalauréat en 1968 à travers les enquêtes emploi de l'Insee réalisées entre 1990 et 1999. La réussite scolaire de leurs enfants à l'âge de 15 ans a été étudiée à partir des enquêtes emploi entre 1990 et 2001.

"EXPÉRIENCE DE LABORATOIRE"

La note, qui doit être publiée début avril par La République des idées (www.repid.com), un club de pensée présidé par Pierre Rosanvallon et Olivier Mongin, traite une thématique rarement abordée à propos de Mai 68. Une des conséquences immédiates de la crise fut, en effet, l'organisation d'examens "allégés", beaucoup moins sélectifs. A la demande des lycéens, inquiets à l'idée d'être pénalisés par leur engagement, le baccalauréat fut réduit à de simples épreuves orales. La conséquence est connue: le "bac 68" s'est caractérisé par un taux de réussite supérieur de 30% aux sessions précédentes et à celles qui ont suivi.

Cet épisode de l'histoire peut apparaître anecdotique. Mais il fournit aux économistes le cadre d'une expérience "grandeur nature" sur un sujet éminemment politique: quels sont les effets sur la société de l'ouverture, en l'occurrence accidentelle, de l'enseignement supérieur ?

"La désorganisation des examens en Mai 1968 s'apparente à une expérience de laboratoire permettant d'évaluer les effets d'une formation universitaire pour les personnes qui, en temps ordinaire, seraient restées aux portes de l'Université", expliquent les économistes Eric Maurin, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), et Sandra McNally, de la London School of Economics.

Deux jeunes chercheurs
Eric Maurin, 42 ans, est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elève à Polytechnique et à l'Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique (Ensae), il a fait l'essentiel de sa carrière à l'Insee, jusqu'à son arrivée, en 2004, à l'EHESS. Economiste, il aborde les questions de société à partir de statistiques inédites. Son dernier ouvrage, Le Ghetto français (La République des idées/Le Seuil, 2004, 96 p., 10,50 euros), décrit les mécanismes de ségrégation en France.
Sandra McNally, 32 ans, est économiste au Centre for Economic Performance à la London School of Economics (Londres) et coordonnatrice du Centre for the Economics of Education. Elle est l'auteur de nombreux articles, dont plusieurs sur les politiques éducatives de Tony Blair.

A travers une analyse économétrique très détaillée, les deux chercheurs constatent que le "relâchement" des procédures d'examen après Mai 68 a surtout bénéficié à des élèves issus des classes moyennes. A l'époque, ceux-ci n'avaient statistiquement que peu de chances d'obtenir un diplôme largement réservé aux classes favorisées et pratiquement interdit aux jeunes issus de milieux populaires. L'assouplissement des conditions d'examen leur a permis d'accéder à l'Université.

Ces chanceux du mois de mai ont ensuite obtenu des diplômes de l'enseignement supérieur. "Lorsqu'on suit ces 'élus' dans le temps, on s'aperçoit que cette opportunité s'est traduite, des années plus tard, par un surcroît de salaire et de réussite professionnelle par rapport aux étudiants qui, nés un an plus tôt ou un an plus tard, n'avaient pas eu la chance de se trouver au bon endroit du système éducatif au bon moment de son histoire", écrivent les deux auteurs.

Etudiant en particulier le devenir des générations nées en 1948 et 1949, c'est-à-dire les élèves qui avaient 20 ans et 19 ans en 1968, Eric Maurin et Sandra McNally chiffrent précisément le gain obtenu. Ils constatent, en s'appuyant sur les enquêtes emploi réalisées par l'Insee dans les années 1990, que "chaque année supplémentaire passée à l'Université a eu pour effet causal d'augmenter le salaire d'environ 14%". Dans le même temps, la probabilité de devenir cadre s'est accrue de 10% par année d'études validée. Les deux auteurs parlent de "destin économique et social inespéré" pour ces jeunes passés à travers les mailles de la sélection habituelle.

"COBAYES HEUREUX"

Plus étonnant, la note montre que le bénéfice acquis a été transmis aux enfants. Les auteurs se sont penchés sur le niveau scolaire des élèves dont les pères ont passé leur baccalauréat en 1968 et l'ont comparé avec celui des enfants des générations précédentes et suivantes. Conclusion: les fils et filles des bacheliers de Mai 68 ont beaucoup moins redoublé que leurs camarades des autres années.

Ils estiment que chaque année de formation supérieure suivie par les pères se traduit mécaniquement par une diminution de 30% du risque de redoublement pour les enfants, un résultat bien supérieur à des études antérieures. Cette constatation autorise les auteurs à parler de transmission du "capital humain" entre les générations.

Les économistes tirent de leur étude une analyse plus générale. "Le fait que cet impact soit aussi particulièrement élevé et persistant à travers les générations est un argument de poids pour ceux qui aujourd'hui militent pour une expansion nouvelle de notre enseignement supérieur", affirment Eric Maurin et Sandra McNally. "Au fond, une des leçons les moins repérées de Mai 68 se trouverait dans la réussite aussi formidable qu'accidentelle d'une émancipation par la formation supérieure", ajoute Thierry Pech, secrétaire général de La République des idées, qui commence, avec cette note, la publication gratuite de documents sur Internet et s'apprête à lancer, sur abonnement, une revue mensuelle d'information sur les débats intellectuels internationaux (La Vie des idées).

Quarante ans plus tard, on en revient aux sources du mouvement de Mai 68, qui portait d'abord sur la place de l'Université dans la société.

"L'histoire sociale des 'élus de Mai' donnerait ainsi raison à tous ceux qui, révolutionnaires alors, pensaient que l'Université ne devait pas s'adapter à la société, mais la transformer. Ceux-là auront été, pour une part, les cobayes heureux de leurs propres idées", ajoute M. Pech, pour qui l'analyse démontre l'efficacité d'un "supplément de formation" du point de vue de la "justice sociale" et de la "performance économique". Vive la révolution !

Luc Bronner
Article paru dans l'édition du 30.03.05


Le Monde / Sciences
Le renard arctique, "fléau" des îles aléoutiennes

 L e contraste est saisissant. Alors que certaines îles de l'archipel aléoutien, à l'extrême sud-ouest de l'Alaska (Etats-Unis), présentent toutes les caractéristiques de la toundra, d'autres ­ pourtant toutes proches ­ sont parées de grasses et vertes prairies. L'injustice n'aurait rien de singulier si toutes les Aléoutiennes n'étaient climatiquement et géologiquement presque identiques.

les raisons de cette hétérogénéité demeuraient inconnues. La clé du mystère a été donnée vendredi 25 mars, dans la revue Science, par une équipe de biologistes et d'écologues américains. Chose étrange, le responsable identifié par les chercheurs n'est pas un brouteur de prairie: c'est le petit renard arctique (Alopex lagopus).

Pourtant, le responsable est non coupable. La faute en revient aux trappeurs du Grand Nord qui, vers la fin du XIXe siècle, pour répondre à la demande européenne croissante de fourrures, ont introduit le petit mammifère sur plus de 400 îles de l'archipel. Dans cet environnement, le carnivore a profité de proies abondantes et "naïves" ­ les nombreux oiseaux de mer ­ pour prospérer plus que de raison. Et ensuite, être facilement traqué pour son précieux pelage. Mais, en plus d'un siècle de chasse compulsive, Alopex lagopus a tant décimé d'oiseaux sur les îles qu'il a investies que le guano est venu à manquer.

Peu à peu, les sols de certaines îles ont ainsi perdu une grande part de leur fertilité. Cette "cascade trophique" mise au jour par les chercheurs américains est spectaculaire. "Elle montre à la fois la fragilité des écosystèmes et, surtout, met en lumière leur interdépendance, explique Gérard Lacroix, chercheur au laboratoire biogéochimie et écologie des milieux continentaux (UMR 7 168). En effet, les oiseaux de mer se nourrissent de ressources pélagiques: lorsqu'ils fertilisent ensuite les terres, ils assurent une sorte de lien entre les écosystèmes marin et insulaire".

Dans le cas des îles aléoutiennes, poursuit le biologiste, "l'introduction d'un prédateur supérieur a, seule, rompu ce lien". D'autres études ont été menées sur ces interconnexions de deux écosystèmes par transfert de nutriments. Mais celle présentée ici est "un cas d'école". Faune et flore peu abondantes, quantité limitée d'espèces et grand nombre d'îles aux caractéristiques très proches contribuent à faire des lointaines Aléoutiennes un exceptionnel laboratoire naturel.

Pour se convaincre de l'interdépendance des milieux insulaire et marin, les écologues américains ont étudié l'azote fixé par la flore. Celle, abondante, qui prospère sur les îles épargnées par le renard contient de l'azote dont les proportions isotopiques trahissent la provenance océanique et sa "transmission" par les colonies d'oiseaux. Quant à la toundra qui subsiste sur les îles infestées par le petit prédateur, elle stocke principalement l'azote présent dans l'air et ne reçoit que peu de nutriments provenant, indirectement, de l'océan.

La démonstration est donc faite que les fluctuations du marché de la fourrure, en Europe, ont pu remodeler les paysages d'archipels en Alaska.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 30.03.05

NOTE. À mon jugé ça se passe de commentaire, mais je commente tout de mêm un brin. L'important dans cet article me semble la remarque finale: «La démonstration est donc faite que les fluctuations du marché de la fourrure en Europe ont pu remodeler les paysages d'archipels en Alaska». Ce qui va dans le sens d'un discours que je tiens dans plusieurs pages: à l'heure actuelle, il n'y a plus «des» écosystèmes, mais un seul écosystème, la biosphère dans son ensemble.


Le Monde / Sciences
L'accès haut débit sur fil de cuivre se démocratise

 L a vulgaire paire de fils de cuivre n'en finit pas de surprendre tant ses ressources semblent illimitées. Après avoir réussi l'exploit de transmettre simultanément le téléphone, Internet à haut débit et la télévision numérique, la voilà qui se prépare à acheminer des programmes en haute définition. Et cela pour presque tout le monde...

Le retour de la vidéo à la demande
On pouvait penser que l'affaire était réglée. Graal du haut débit, la vidéo à la demande n'a pas trouvé de clientèle sur Internet, mais elle tente à nouveau sa chance sur la télévision par VDSL. Les services comme ceux de la Freebox ou de MaLigne tv se prêtent à une telle diffusion de films. France Télécom teste ainsi à Issy-les-Moulineaux un catalogue de 1 000 films vendus de 0,5 à 5 euros pour un seul visionnage. Une concurrence directe des vidéo-clubs de location de DVD, avec l'avantage de ne pas avoir à sortir de chez soi. Reste à vérifier la qualité des images et leur fluidité.

L'époque où les modems affichaient fièrement 28 kilobits par seconde (kbps) n'est pas si lointaine, puisqu'elle remonte à tout juste dix ans. Aujourd'hui, leurs héritiers, les modems ADSL, offrent 15 mégabits par seconde (Mbps), bientôt 50 Mbps, et sans doute 100 Mbps dans quelques années... Alain Vellard, directeur des réseaux d'accès à la division R & D de France Télécom, estime même que l'on pourra un jour, au moins en laboratoire, friser le gigabit par seconde (Gbps).

Comment un tel miracle est-il possible ? Pour Dominique Hajerman, directeur des réseaux Internet chez France Télécom, ce sont les performances de l'électronique qui expliquent la vertigineuse croissance des débits sur le réseau téléphonique. L'exploitation d'un spectre de fréquences de plus en plus large n'explique pourtant pas tout. "Nous pouvons extraire un signal dans une mer de bruits", indique-t-il. Un exploit réalisé en temps réel et pour un coût qui a suivi la baisse des prix des composants électroniques. Reste les fils de cuivre eux-mêmes, qui n'ont pas changé depuis qu'ils ne servaient qu'à acheminer la voix et qu'on envisageait de les remplacer par des fibres optiques. Ces dernières se contentent des interconnexions entre les centraux téléphoniques. Le cuivre prend le relais pour atteindre chaque abonné.

Aujourd'hui, 5,5 millions de foyers sont "éligibles", c'est-à-dire qu'ils sont techniquement en mesure de recevoir le haut débit. D'ici à la fin de l'année, ils seront 10 millions. Au-delà, l'équipement des centraux ne permettra plus de progresser tant la distance qui les sépare des abonnés joue un rôle déterminant. La réception d'Internet et de la télévision à haut débit offerte par Free ou France Télécom (MaLigne TV) ne concerne que les foyers situés à moins de 2 ou 3 km (en fonction du diamètre des fils de cuivre installés) d'un central équipé en ADSL.

Depuis le 9 mars, France Télécom teste à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) une nouvelle technologie baptisée Very High Bit Rate DSL (VDSL) qui promet d'offrir des débits jusqu'à 50 Mbps pour la voie descendante (réception par l'abonné) et 25 Mbps en voie montante (émission). La grande originalité du VDSL est d'être installée, non plus dans les centraux téléphoniques, mais dans les sous-répartiteurs (SR).

Il existe environ 120 000 SR en France, contre 12 000 centraux. "Il s'agit des armoires grises qui sont souvent visibles sur la voie publique et qui ont l'avantage de se trouver plus près de l'abonné", explique Alain Vellard, directeur des réseaux d'accès pour la division R & D de France Télécom.

Le VDSL offre le haut débit dans un rayon d'environ 1 km. Si la distance efficace est plus faible que celle de l'ADSL, c'est en raison de l'exploitation de hautes fréquences plus sensibles que les basses fréquences à l'atténuation. Le VDSL utilise le spectre compris entre 1,1 MHz et 12 MHz. Or, son débit, de près de 40 Mbps lorsque le SR se trouve à une distance de 250 mètres de l'abonné est divisé par deux à 1 km et il devient pratiquement nul à 2 km. C'est dire s'il s'agit bien d'une technologie de proximité.

Dominique Hajerman indique que la mise en oeuvre du VDSL sur le terrain est relativement simple. L'expérimentation d'Issy-les-Moulineaux n'a demandé qu'un mois d'installation. L'introduction des cartes VDSL dans les SR exigera souvent la pose d'un boîtier supplémentaire. L'adaptation du réseau passe néanmoins par l'acheminement de la fibre optique jusqu'aux sous-répartiteurs, ce qui représente la pause de quelques centaines de milliers de kilomètres de fibres. Globalement, l'investissement correspondant devrait se chiffrer en centaines d'euros par ligne. Avec, sans doute, des prix de revient très variables suivant les configurations. Les SR peuvent en effet contenir de quelques dizaines de lignes à plus de 2 000 en fonction de la densité locale de populationAprès trois ans de travail, en particulier sur la normalisation, France Télécom semble décidé à généraliser rapidement le VDSL. Le recours à la technologie de haut débit par radio (Wimax) doit compléter la couverture nationale, afin d'offrir "un service permanent haut débit dans toute la France fin 2006", selon Dominique Hajerman. Malgré cet engagement sur la mise à niveau du réseau, France Télécom ne semble pas avoir encore de certitude sur l'étendue des applications du haut débitAlors même que l'on attend sa généralisation, le VDSL semble toucher aux limites des besoins. "Faudra-t-il offrir du très haut débit à tous nos clients ?", s'interroge ainsi Dominique Hajerman. De fait, la télévision constitue l'usage le plus gourmand, avec 4,6 Mbps aujourd'hui. Demain, avec la haute définition (TVHD), ce débit montera à 10 ou 15 Mbps suivant que l'on choisit la compression Mpeg 4 HD ou Mpeg 2 HD. Pour exploiter au mieux les possibilités du VDSL, il faudra, en sus du téléphone et d'Internet, souscrire au moins deux abonnements à la TVHD. Cela peut séduire ceux qui veulent enregistrer un programme en en visionnant un autre. Mais combien sont-ils ? La question souligne le chemin parcouru depuis le temps où l'on pestait contre la lenteur des modems, il y a seulement dix ans

Michel Alberganti
Article paru dans l'édition du 30.03.05


Lu sur le site de l'UFCN
tariq-al-halal.com - Interview - mercredi 30 mars 2005
Interview de Faouzia Zebdi Ghorab
Rencontre avec une femme qui a pris son courage à deux mains pour dénoncer les discriminations en se présentant à toutes les élections. Une femme qui ne demande finalement qu’une seule chose: qu’on enlève ce voile des préjugés pour ne voir en elle que la citoyenne française, certes musulmane voilée, mais citoyenne.

 N ous vous proposons une longue interview mais qui vous permettra de découvrir une femme au fort tempérament devenue aujourd’hui la représente du mouvement politique Union Française pour la Cohésion Nationale (UFCN).

Tariq Al Halal (TaH): Faouzia Zebdi Ghorab Quel est votre parcours professionnel ?
Faouzia Zebdi Ghorab (FZG):
Mon parcours professionnel consiste en un cursus très théorique car en fait je n’ai jamais pu pratiquer tout ce que j’ai appris. J’ai commencé par un DEUG de lettres, puis j’ai obtenu un DEA de Philosophie. J’ai également suivi une formation d’enseignement du braille. En fait j’ai fait beaucoup de choses tout en restant au stade de la théorie. Ce qui s’est passé c’est que j’acquérais une certaine connaissance que j’avais envi d’appliquer, de mettre en pratique. Mais comme les portes (ndlr: les portes de l’emploi) restaient fermées, je me disais que plutôt que de ne rien faire je me devais d’acquérir un maximum de compétences. Dès que j’avais une porte qui se fermait, je ne supportais pas d’être inactive. Je vais dire donc que j’ai usé mes «pantalons», sur les bancs des écoles en espérant qu’une nième formation me servirait enfin. Et comme je suis quelqu’un de très curieux intellectuellement, cela pouvait aller d’une formation à une autre sans qu’elles aient un quelconque lien entre elles. J’ai donc fait de l’italien, j’ai fait de l’arabe, du braille, de la calligraphie, du dessin... Je n’avais aucun préjugé par rapport à une science ou un domaine en particulier. Et puis un jour après mon DEA de philosophie, j’ai commencé à fatiguer un petit peu... Pour la suite de mon parcours, je vais vous raconter une anecdote un peu longue mais qui démontre bien le climat dans lequel on évolue. C’est assez significatif. Je me suis rendu à l’ANPE. Et la dame qui me reçoit au guichet me dit: «vous voulez quoi ?». Je lui réponds que je recherche du travail donc que je souhaite m’inscrire dans le cadre de la recherche d’un emploi. Elle me donne alors un imprimé et me demande ma pièce d’identité. Je sors alors mon stylo pour commencer à remplir l’imprimé. C’est alors qu’elle tire l’imprimé vers elle en me disant: «Bon je vais vous le faire». Je l’ai alors laissé faire sans broncher. Elle me demande alors: «vous avez fait des études ?». Je réponds que oui. Elle continue à me questionner: «Vous avez été au collège ?». Je réponds oui. Puis, elle enchaîne en me demandant si je suis passé en seconde. Je réponds: «oui». Elle me demande alors d’une voix étouffée: «vous avez eu votre bac». Je continue de répondre que oui. C’est alors qu’elle me dit, piquée de colère: «Mais, vous auriez pu me le dire...». Et je lui ai répondu: «mais je ne vous ai rien demandé n’est ce pas vous qui avez préjugé de mes capacités intellectuelles». Et l’agent de l’ANPE de me demander: «vous êtes allé jusqu’où ?». Je lui dit: «Bac +5». Et elle de rétorquer: «l’ANPE Cadre c’est au-dessus. Niveau 1».
L’histoire ne se termine pas là. Je monte à l’ANPE Cadre. A peine j’étais rentrée, que quelqu’un me dit «Qu’est ce que vous faites ici ? l’ANPE c’est en bas !». Je réponds qu’on m’avait dit que l’ANPE Cadre c’était ici. On me demande alors: «Vous savez ce que c’est l’ANPE Cadre ?» Je réponds que oui. Et ce n’est qu’à ce moment là que la personne a daigné m’écouter... J’ai expliqué que je souhaitais travailler dans mon domaine mais compte tenu des difficultés, je préférerais procéder à une réorientation. A l’époque c’était très à la mode l’informatique. Donc je me suis dit que j’allais le tenter. On me fixe une date pour le test d’évaluation. Je me retrouve avec tous les cadres dans une classe. A propos de classe cela me fait rappeler un autre moment manifestant le préjugé qui existe en France à l’encontre des femmes voilées et des français de référence afro- maghrébine en général et qui démontre qu’il existe un voile d’une autre sorte: le voile des préjugés et des apriori. J’allais donc à l’école avec mes enfants pour un entretien parents professeurs. J’entre la première dans la classe, les enfants étant en retraits derrière moi ne pouvant être vu par le professeur, quand celui-ci jette un regard en ma direction et me dit: «Pas tout de suite le ménage !» accompagnant ses mots d’un geste des mains comme si je ne pouvais le comprendre sinon par le langage des signes.... Notre vie foisonne d’anecdotes comme celles-ci. Pour en revenir à l’ANPE cadre, On m’explique qu’il y a un test... Je vois ensuite une conseillère pour analyser mes résultats. Et elle me dit: «C’est formidable notamment en logique où vous coiffez tout le monde». Je lui réponds que c’était sans mérite car la logique des prédicats est une option obligatoire et éliminatoire en cursus de philosophie. Cette conseillère de l’ANPE me dit alors: «Malgré tout, je peux pas valider votre stage car j’ai oublié de vous faire passer un test !». Sans me démonter, je lui dis: «Pas de problème faites moi passer le test tout de suite, je suis disponible maintenant ou je peux revenir demain !». Et elle me réponds: «Ah ben non ! C’est pas comme ça que cela fonctionne madame, il faut une échéance de 6 mois pour refaire le test».
J’ai alors claqué la porte et je n’ai plus jamais remis les pieds dans une agence nationale pour l’emploi.

TaH: Vous êtes membre de l’UFCN dont le président est Mustapha Lounes, pouvez vous nous décrire l’objectif de ce mouvement ?
FZG:
L’objectif est englobant dans sa «simplicité». D’ailleurs ce que j’aime dire à propos de l’UFCN c’est que derrière le message de l’UFCN, il y a une véritable pensée; pensée élaborée par ses membres fondateurs et Mustapha Lounès en particulier. Et je suis persuadée que c’est ça qui va faire que le mouvement va perdurer, qu’il va prendre de l’ampleur et qu’il va se construire. Peut-être lentement mais le processus est inéluctable. Et je pense que c’est ce que nous envient beaucoup de formations qui derrière leur grand discours n’ont pas de pensée ou de concept durable. Je ne pense pas que c’est l’action seule qui déclenche le fait que les gens se fédèrent. Il faut qu’en amont de cette action, il y ait une pensée, une idée maîtresse. Et l’UFCN c’est avant tout une idée essentielle: l’idée de promouvoir une société dans laquelle les gens vivraient ensemble tout simplement. Cela peut paraître simple voire utopique et pourtant cela ne l’est pas. J’y crois avec tout le bureau politique de l’UFCN et nous mettrons tout en œuvre pour concrétiser ce «rêve» d’une France sans discriminations.

«Il n’y a pas une France, il y a des Frances»

TaH: Vous estimez qu’aujourd’hui en France on ne vit pas ensemble ?
FZG:
Il n’y a pas une France, il y a des Frances. Et des Frances qui sont cloisonnées au point que dans des circonscriptions tels que Neuilly- Puteaux, on a l’impression en lisant dans le regard des autres que ces zones appartiennent à des régions dans lesquelles on ne devrait pas apparaître. Il a véritablement des Frances. La France des gens d’en- bas, la France des discriminés, des «sous citoyens, des chômeurs, des citoyens de référence afro maghrébine, je ne pourrai pas énumérer toutes les Frances, mais il est certain qu’il n’y a pas une France avec un principe d’égalité pour tout le monde, mais des Frances avec des accessions au logement différentes, une accession à l’éducation différente, une accession au travail différente, ...

TaH: Donc d’une certaine manière, vous êtes opposée à l’idée de communautarisme ?
FZG:
Absolument. Il y a plusieurs réponses à faire par rapport à l’idée de communautarisme. Un communautarise c’est quelqu’un qui voudrait vivre selon des principes que sa communauté aurait fixés dans une zone bien circonscrite, qui voudrait vivre en marge de sa société...Le contraire de ce que nous revendiquons. Notre but est justement de casser le communautarisme et le ghetto dans lequel on nous a mis. C’est les politiques urbaines successives qui nous ont mis dans des ghettos desquels on veut sortir. Et maintenant on nous traite de communautariste. C’est vraiment un inversement des rôles et des discours.

TaH: Quelle fut votre motivation pour participer à un tel projet ?
FZG:
En fait, je ne me suis jamais reconnu ni retrouvée dans aucun mouvement. Pourtant, je suis quelqu’un qui ne s’est jamais désintéressée du fait politique et de la vie de la cité comme c’est le cas de beaucoup de français aujourd’hui quelque soit leur référence d’ailleurs. Autant le PS a pu fédérer des personnes de référence afro maghrébine ou des couches dites défavorisées, autant le discours du PC a pu quelque temps intéresser ces mêmes catégories de personne, autant l’extrême gauche aussi a eu un discours très flatteur par rapport à ces catégories de populations, autant les verts un certain moment avec le discours écologique, discours de l’«authenticité» ont pu attirer un certain électorat, et je ne parlerai pas des mouvements de droite, autant ces discours ne m’ont jamais interpellé. J’ai toujours observé et j’ai pu reconnaître les actes positifs de ces partis qui pouvaient apporter du concret à des problèmes spécifiques. Mais il y avait un déficit politique vraiment flagrant à l’encontre d’une frange de la population française dont on ne parlait qu’en période électorale et qui servait essentiellement de vivier électoral en période de campagne. Et cela je l’avais bien senti. J’avais senti que c’était purement et simplement de la démagogie ou de l’opportunisme politique. «On s’est «intéressé» à celles et ceux qui désespérément s’attachaient à une tentative de reconnaissance au prix d’une «dénaturation»».

TaH: Donc pour vous c’était pour lutter contre cette démagogie que vous êtes entrée à l’UFCN ?
FZG:
Oui dans un sens. Car je crois qu’il s’agit d’une démagogie qui voulait qu’on ne s’intéresse à moi que quand on en avait besoin. Ces jeunes filles qui sont aujourd’hui exclues du système économique. Jamais, aucun parti n’en a parlé. Ces milliers de jeunes de référence afro maghrébine exclus du système scolaire avec des procédés très souvent scandaleux car quand vous envoyez des personnes orientées vers un BEP alors qu’elles ont des 12 et des 14 de moyenne, je trouve cela révoltant. La discrimination scolaire, Georges Felouzis un universitaire de bordeaux qui a réalisé une étude sur le sujet, en a très bien parlé en apportant des chiffres très éloquent en la matière. Et cette discrimination, il n’y a pas que nous qui la constatons. Quand dans des banlieux on retrouve des classes à 98% d’élèves de référence afro maghrébine, il ne faut pas venir nous parler de mixité sociale. Le problème c’est qu’on ne s’y est jamais intéressé véritablement. Il a eu des slogans. A la rigueur, on s’est «intéressé» à celles et ceux qui désespérément s’attachaient à une tentative de reconnaissance au prix d’une «dénaturation». A cela, je dis non. Je suis une enfant de la France. Et bien, la France est bien ingrate en ce moment. On est les canards boiteux de la famille. Mais, ce n’est pas pour autant que je vais me nier et accepter d’exister autrement pour que l’on me reconnaisse et que l’on voit en moi un être humain. Quand j’ai lu le projet de l’UFCN, J’ai tout de suite adhéré. Les partis politiques traditionnels qui m’ont parlé pendant des années ne m’ont jamais convaincu; l’UFCN il a fallu à peine un mois pour que j’y adhère.

TaH: Comment ceux que vous rencontrez, jugent votre projet ?
FZG:
Les personnes à qui on parle ont d’abord été surprises. C’est la première étape: l’étonnement. Les gens me demandaient si j’étais partie véritablement à la préfecture pour déposer un dossier en tant que candidate d’une élection libre ! Les gens avaient du mal à y croire. Ils s’interrogeaient: «On a le droit ?». Quelque par cela m’a donné envi de pleurer parce que je me disais: «Mon dieu, on est si loin que ça !»... «On est si sinistré que ça au point de se demander si on a le droit de se présenter à des élections et si on est éligible !». On a donc changé la vision des choses que peuvent avoir les gens. Ils voient aujourd’hui qu’il y a une constance à chaque élection. Et le scepticisme qui était présent, est désormais parti. Et cela est un pas de géant. Rien que pour cela, cela valait la peine de faire tout ce qu’on fait. Après l’étonnement et le scepticisme, il y a eu tout d’un coup les gens qui se sont intéressés à l’aspect technique, juridique, pragmatique des choses. Une véritable éducation à la citoyenneté venait de commencer. Il y a également toute une culture que l’on draine avec nous qui fait qu’au début j’avais un auditoire principalement féminin parce que l’on pensait que mon message ciblait entre autre la discrimination féminine. Puis petit à petit, des personnes de tout horizon ont commencé à fédérer le mouvement.

«il va falloir que tu fasses doublement tes preuves»

TaH: Estime-vous qu’aujourd’hui les droits des citoyens français de confession musulmane sont bafoués ?
FZG:
Il est vrai qu’aujourd’hui les français de confession musulmane «bénéficient» d’un traitement qui n’est pas égalitaire. Du fait même de sa confession, le citoyen français de confession musulmane est en position de marginalisation. Du fait de cette marginalisation forcée, on lui fait subir un traitement discriminatoire. D’où la loi du 15 mars 2004, d’où cette stigmatisation à travers une terminologie qui est excluante. «D’origine,», «issu de l’immigration», «beur» toujours ces connotations excluantes qui sont en fait là pour dire: «tu es français mais tu ne penses tout de même pas que tu auras accès égalitairement à tous les droits des dits français. Et ce même si la constitution te les reconnaît en terme de droits constitutionnels. Mais dans la pratique, il va falloir que tu fasses doublement tes preuves». Il nous reste maintenant à comprendre ce que cela veut dire faire doublement ses preuves. Parce qu’au niveau de l’intégration intellectuelle et économique, les jeunes de référence afro maghrébine offrent un potentiel économique et une richesse à la France comme nos parents ont apporté une richesse à la France. Sur le plan économique et social on a rien a prouver et sur le plan intellectuel ou culturel non plus. Donc qu’est ce que l’on veut nous demander de prouver ? En quoi doit-on faire nos preuves ? Nous, à l’UFCN, ce que l’on a compris c’est qu’on nous demande de faire nos preuves en n’oubliant une part de ce qui fait notre spécificité, nos différences qui sont autant de richesse. Et ça on ne peut pas l’accepter.

TaH: En prenant une femme voilée comme sa représentante, est ce que les membres du UFCN n’ont pas peur d’être associé à un mouvement fondamentaliste ?
FZG:
On a beaucoup réfléchi à cela. Lorsque j’ai adhéré au mouvement, je me suis très vite investie pour la promotion de son discours. Je l’ai porté avec beaucoup de conviction; conviction que j’essayais de faire partager tout autour de moi. Pourquoi alors ceux qui luttent contre la discrimination auraient refusé ma candidature. En cas de refus, moi-même je me serai posée des questions. Je me serai dit: «C’est un parti qui lutte contre toutes les formes de discrimination et qui quelque par me discrimine pour des raisons complètement étrangères au critère de choix de ma candidature. Alors on ferait comme les autres partis. Autant dans ce cas intégrer les autres partis». Mais le fait que le bureau politique de l’UFCN ait accepté ma candidature, c’est au contraire prouver la véracité de la non démagogie de leur mouvement. Parce que c’est lourd à porter pour eux, je l’imagine. Quelque part la stratégie d’avoir peur de ce dont on pourrait nous qualifier pervertirait la teneur du message que l’on veut envoyer.

TaH: En clair, vous avez appliqué le principe d’égalité des sexes et de la reconnaissance du travail effectué ?
FZG:
Exact. Et cela, nous l’avons appliqué alors que d’autres partis ne l’ont jamais fait ou disent commencer à vouloir le faire sans que nous en voyions les preuves concrètes.

TaH: Vous avez participé à l’élection partielle de Neuilly-Puteaux dimanche 13 mars où vous avez réalisé 0,76% des voix soit 185 votes sur 25000 bulletins, quelles leçons votre mouvement en tire ?
FZG:
Les leçons à tirer sont de deux ordres. Il y a des leçons à tirer dans l’absolu du score en lui même. Et il y a des leçons à tirer de ce score qui s’inscrit dans la continuité du mouvement de son action et de son impact. Au niveau de l’analyse intrinsèque du score, je dis qu’il reflète assez bien le travail qui a été fait. Et franchement, il est même au-delà de nos espérances. Vu le travail qui a été fait, vue la couverture médiatique qui n’était pas élogieuse, vue la tentative de stigmatisation systématique de ma candidature, vues les régions dans lesquelles on se présentait, on aurait pu penser à un score dérisoire. Et là, j’avoue que ce score là, quelque part il nous rappelle qu’avec peu de moyens mais avec des militants qui ont porté le message avec sincérité, qui ont tracté avec leurs tripes, avec spontanéité et une certaine naïveté; qui ont agit sans qu’on leur promette quoi que ce soit, ... en fait quelque part je suis très «fière» d’eux et du score qu’on a pu réaliser par leur simple mobilisation.

TaH: Au vue du score que l’UFCN a réalisé lors de cette élection quel était l’intérêt de participer à cette élection où votre cible d’électeurs, que sont les personnes subissant des discriminations, sont moins représentés à Neuilly que dans d’autres villes ?
FZG:
L’intérêt s’inscrit plus dans le cadre d’un travail que l’UFCN effectue sur le long terme qui est d’acquérir le maximum de visibilité et de donner le plus d’audience à notre projet politique du «Vivre Ensemble» Notre discours doit être entendu de tous car la discrimination et en particulier «traquer» la discrimination, est l’affaire de tous et toutes.

TaH: Vous vouliez donc juste passer un message lors de cette élection ?
FZG:
Pourquoi les putéoliens ou les nocéens devraient être exemptés du droit et du devoir de savoir que d’autres citoyens vivants à quelques mètres d’eux parfois sont dans une situation inadmissible pour tous. Devrait-on moduler notre discours en fonction des quartiers ? Veut-on également ghettoïser notre discours ?

TaH: N’avez-vous pas l’impression que votre candidature est gênante pour certains élus, voire certaines associations ?
FZG:
Le «jeu démocratique» veut que la pluralité des candidats serve la démocratie. C’est la garantie d’une démocratie saine. C’est la garantie de pouvoir porter sur la scène politique les espoirs et les revendications de tous. Maintenant, il est certain que tout le monde ne voit pas cela du même œil. Beaucoup ont perdu cette capacité d’indignation et de revendication et ont pu voir dans ma candidature une «gêne» ou une «excentricité». Mais par notre présence sur la scène politique et notre persistance, le discours finira je pense par nous inscrire sur la liste des formations politiques dont on juge la présence «normale».

«je n’ai jamais vécu dans une société de tradition musulmane»

TaH: Estimez vous plus difficile aujourd’hui d’être une femme dans une société musulmane ou d’être une musulmane voilée dans une société occidentale ?
FZG:
Je ne pourrai pas vous le dire pour la simple raison que je n’ai jamais vécu dans une société de tradition musulmane. Pour ce qui est par contre d’être une femme voilée dans une société occidentale comme vous dites Personnellement je ne l’ai jamais vécu comme une situation particulière jusqu’au jour ou on a insisté pour nous dire par le biais du discours puis d’une loi, que l’on considérait un statut particulier pour la citoyenne française de confession musulmane et que dans ce cadre il fallait légiférer. Nous mesurons aujourd’hui les conséquences dramatiques de ce traitement discriminatoire.

TaH: Pensez-vous que le CFCM puisse jouer un rôle dans cette politique de lutte contre les discriminations ?
FZG:
J’aimerais si vous le permettez répondre à votre question par une autre question. Auriez- vous posé la même question à d’autres formations politiques ? Le CFCM est un conseil qui fut crée en vue de gérer le culte musulman. Si je dois me positionner par rapport à cet organisme c’est sur le plan privé et personnel vue que ma religion est une affaire privée. Cela relève de l’opinion personnelle. Et je crois que mon opinion personnelle n’a pas lieu d’être exposé et débattue en public.

TaH: Comment analysez vous la lecture faites de l’islam par les médias, les intellectuels et certaines associations ?
FZG:
Ce qui est étrange c’est autant on peut faire une lecture des candidatures en se basant essentiellement sur leurs messages, leurs textes, leurs discours, leurs formations politiques, leurs appartenance politiques, mais autant à partir du moment que c’est quelqu’un qui se présente de manière différente qui a des références un peu différente à ce moment là on ne considère plus comme un candidat à part entière C’est-à-dire que le message, le discours politique, sa formation politique, etc., sont mis en retrait pour ne plus voir en lui qu’un individu dont la confession ou les références orienteraient le discours et lui donneraient des connotations. Et ça, c’est quelque chose qu’à l’UFCN on va s’engager à démonter. Car il faut aussi que l’on nous voit à travers un message, à travers un discours politique. Est ce à dire que les autres candidats n’ont pas de principes et n’ont pas de confession particulière ? Non ! Mais ce n’est pas à partir de cela que l’on va déclencher des commentaires dans les articles. Alors pourquoi pour moi ce serait une dimension personnelle qui déclenche les commentaires à propos d’une candidature qui est publique et qui s’inscrit dans le schéma électoral, etc. Il y a donc là un traitement qui n’est pas égalitaire. On va donc veiller à une égalité de traitement sur le traitement de nos candidatures

TaH: Se déroulera le 29 mai prochain le référendum sur le traité constitutionnel européen, quelle sera la position de votre mouvement ?
FZG:
Au niveau de la convention européenne, nous avons jusqu’au mois de mai pour bien l’étudier et communiquer notre position. Pour le moment, on a un avis qui n’est pas tranché bien que nous penchions vers le non. Nous serions défavorable au oui car en amont, l’Union Européenne refuse pour des considérations que l’on juge à l’UFCN complètement «aprioriste» l’entrée de la Turquie en Europe. On aimerait bien que cela soit justifié politiquement et économique hors cela n’est pas le cas aujourd’hui. Par contre la constitution européenne réaffirme certains principes relatifs aux droits de l’homme, à la définition de ses libertés, au droit du citoyen, qui pourraient quelque part nous amener à penser que cela pourrait nous permettre de rétablir certaines normes qui en ce moment deviennent un peu flou pour beaucoup.

TaH: Quels sont les projets d’action que vous comptez mener ?
FZG:
Et bien, les actions que l’on compte mener sont avant tout des actions de terrains. Appeler les gens massivement à s’inscrire sur les listes électorales. Et c’est vrai que toutes les bonnes volontés et les idées pour arriver à ce projet, sont les bienvenues. Je ne veux pas pousser les gens à s’inscrire sur les listes pour voter UFCN. Je voudrais dans un premier temps qu’ils comprennent l’intérêt de l’inscription avant même de décider pour qui ils vont voter. En effet, celui qui n’a pas encore compris l’intérêt du vote ne peut pas être prêt à faire le choix de l’UFCN , vu que ce choix nécessite d’avoir compris les enjeux d’un engagement qui passe par la voie des urnes. Cela passera essentiellement par l’établissement de bureaux UFCN, à l’échelle du canton, chargés d’une campagne massive visant au développement de l’esprit civique (inscription sur les listes électorales, formation au fonctionnement des institutions: municipalités, conseils généraux, conseils régionaux, assemblée nationale, sénat). Nous envisageons la création de comités départementaux supervisés par des directions régionales. Nous souhaitons également aider à la création de parents d’élèves et de locataires. Nous désirons ouvrir la réflexion sur la constitution de syndicats pour lutter efficacement contre la discrimination à l’embauche. Et bien sur, nous travaillons, en fidélité avec notre projet politique, à la préparation des prochaines échéances électorales.


Le Monde / International
Jean-Hervé Bradol, l'humanitaire à contre-courant

 "O n juge quelqu'un sur la qualité de ses refus", recommandait Paul Valéry. A cette aune-là, le docteur Jean-Hervé Bradol apparaît à son avantage. A l'image de Médecins sans frontières (MSF), qu'il préside depuis 2000, il sait dire non.

Non, il ne faut pas continuer à adresser des dons à MSF pour l'aide d'urgence aux victimes du tsunami en Asie, répéta-t-il voilà tout juste trois mois. Non, il ne faut pas se taire face à l'intolérable, mais au contraire dénoncer, comme il le fit en 1994, "le soutien de la France au régime génocidaire" rwandais. Non, il ne faut pas se contenter, sous prétexte d'humanitaire, d'"une médecine au rabais, de mauvaise qualité". Non, il ne faut pas accepter avec fatalisme que les pays les plus pauvres soient privés d'accès aux traitements contre les maladies qui les dévastent.

Chronologie

1958 Naissance à Paris.
1989 Première mission pour Médecins sans frontières (MSF), en Ouganda.
1994 A Kigali (Rwanda) au moment du génocide des Tutsis.
2000 Elu président de MSF.

Emboîtant le pas à ses homologues de Hongkong et des Etats-Unis, Jean-Hervé Bradol a annoncé début janvier que MSF suspendait la collecte de dons pour les victimes du tsunami. "Ce n'est pas une position idéologique, mais une question d'honnêteté. Nous n'avons fait qu'expliquer à nos donateurs notre politique de transparence, argumente le président de MSF. Face à un emballement collectif, nous avons dit que nous avions plus d'argent que nécessaire pour l'aide que nous pouvions mettre en oeuvre. Nous n'avons affirmé ni qu'il fallait cesser les dons aux autres ONG ni que nous n'avions pas besoin d'argent pour nos autres missions".

Bilan: 50 donateurs perdus sur les 400 000 que compte MSF. Au moment de la suspension, 40 millions d'euros avaient été reçus. Dans les deux semaines suivantes, le total des dons a achevé de grimper jusqu'à 87 millions d'euros.

"Trois mois après le tsunami, notre diagnostic initial est confirmé, estime aujourd'hui le président de MSF. Les secours venus de l'étranger n'ont pas été déterminants. Le héros étranger sauve 15% des victimes survivantes. Les autres le sont grâce aux secours de proximité. Et où sont les épidémies annoncées ? Une manipulation politique et sociale de l'aide a rempli les caisses de différentes organisations. Il y a eu un embouteillage du fait du trop grand nombre d'acteurs, dont beaucoup ont été inefficaces. Nous-mêmes avons mis plus d'un mois à faire parvenir des tentes à la population indonésienne".

Cet art de se placer à contre-courant, le spécialiste de médecine d'urgence et de médecine tropicale ne l'a pas découvert en prenant la présidence de MSF. C'est au contraire ce qui l'a amené vers l'humanitaire, alors qu'il gardait d'un passage à la Ligue communiste révolutionnaire une certaine défiance à l'égard des mouvements caritatifs.

Fils d'un cadre des PTT, breton et ancien FTP, et d'une secrétaire parisienne, fille d'immigrés italiens, Jean-Hervé Bradol a commencé par exercer la médecine dans des services d'urgences du sud francilien. L'été, pendant deux mois, il travaille à Belle-Ile.

L'envie de voyager le tenaille. Le frère d'un ami médecin lui parle de MSF. "La combinaison d'une pratique dans les situations de crise et d'une réflexion politique sur l'aide humanitaire" l'incite à tenter le coup.

Après plusieurs projets de mission avortés, il part pour six mois dans le nord de l'Ouganda à l'automne 1989. Au menu: maladies tropicales en tout genre, guerre civile et réfugiés soudanais. "C'était passionnant. J'ai appris énormément de choses avec le collègue argentin que je relevais. Mes réticences idéologiques n'ont pas résisté à l'épreuve de la réalité".

Rentré en France, il s'"ennuie dans son activité professionnelle". Quand MSF lui propose à brûle-pourpoint de partir pour la Somalie, il accepte sans hésiter. Il est l'un des treize étrangers présents à Mogadiscio, la capitale déchirée par la guerre civile. Membres de MSF, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et d'une ONG italienne, ils travaillent seize à dix-huit heures par jour dans une atmosphère parfois dantesque.

Les blessés se comptent par milliers, les malades sont armés et les échanges de tirs dans l'hôpital ne sont pas exceptionnels. Il passe trois mois sous protection armée permanente. "C'est l'une des contradictions des organisations humanitaires. Nous gérons une milice armée parce qu'il n'est pas possible de travailler sans cela, en croisant les doigts pour qu'elle ne tue personne".

D'autres missions suivent. La Thaïlande, dont il garde la nostalgie, puis à nouveau la Somalie en 1993 ­ "un Barnum humanitaire". L'année suivante, il est au Rwanda. Son visage tout en longueur se fait plus grave. "Je suis entré le 13 avril 1994 -une semaine après le déclenchement du génocide- à Kigali avec un convoi, dans le cadre d'une opération conjointe de MSF et du CICR. J'ai découvert la mécanique génocidaire. Notre hôpital était un îlot au milieu d'un univers hallucinant à la Jérôme Bosch".

A son retour, en mai 1994, il fait scandale en mettant en cause les complicités françaises au 20 heures de TF1. Fureur à l'Elysée. Les conseillers de François Mitterrand proposent une rencontre avec le président. Refus de Philippe Biberson, président de l'organisation humanitaire.

Plus de dix ans après, Jean-Hervé Bradol ne regrette ni sa sortie ni ce refus. A l'évidence encore marqué par son expérience rwandaise, il évoque le sentiment d'"être renvoyé à sa propre impuissance, à sa propre lâcheté, d'être obsédé par la culpabilité de ne pas en faire assez pour les autres". On n'oublie pas. On ne s'habitue pas non plus.

Pour ne pas "cramer" ses membres, MSF leur permet de "décompresser" en prenant un congé sabbatique. La règle vaut pour tous, y compris le président. Alors, même si son mandat court encore un an, le docteur président souffle. Pendant ses trois mois de congés, qui s'achèvent en mai, il voyage, lit, fait du sport, et réfléchit... à l'avenir.

Paul Benkimoun
Article paru dans l'édition du 01.04.05


Le Monde / International
Mort de Maskhadov: le parquet dément la version officielle

 L e parquet général russe a affirmé, vendredi 1er avril, que le président indépendantiste tchétchène Aslan Maskhadov avait été tué par balles par ses compagnons d'armes à sa demande, démentant la version officielle selon laquelle il avait été tué par une explosion lors de l'assaut le 8 mars de sa cache.

"Maskhadov est mort de multiples blessures par balle, qui lui ont été infligées à sa demande par des individus se trouvant avec lui dans le bunker", a déclaré le procureur général adjoint Nikolaï Chepel lors d'une conférence de presse à Vladikavkaz.

Il a indiqué que toutes les expertises judiciaires avaient été achevées, et a confirmé que, conformément à la nouvelle législation antiterroriste russe, le corps ne serait pas rendu à la famille d'Aslan Maskhadov.

Le porte-parole de l'état-major des forces fédérales dans le Caucase du Nord, Ilia Chabalkine, avait affirmé, lors de l'annonce très médiatisée de la mort du leader séparatiste, qu'il avait été tué par l'onde de choc d'une charge explosive placée par les forces spéciales pour parvenir à le capturer dans un bunker souterrain sous une maison de Tolstoï-Iourt (nord de Grozny).

Le vice-premier ministre du gouvernement pro-russe de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, avait cependant laissé entendre que Maskhadov avait été tué par balle par l'un de ses gardes du corps.

Les trois compagnons de M. Maskhadov qui se trouvaient avec lui dans le bunker avaient été capturés vivants, selon la version officielle. Les télévisions russes avaient montré le corps du leader indépendantiste, une flaque de sang derrière la tête mais ne portant pas de blessure apparente. Un quotidien russe, Moskovskiï Komsomolets, a de son côté affirmé que le leader indépendantiste avait été capturé par les forces tchétchènes pro-russes, interrogé puis tué par balle, et son corps placé dans la cave de la maison de Tolstoï-Iourt pour une mise en scène.

UNE ÉLIMINATION DÉCIDÉE PAR LE PRÉSIDENT VLADIMIR POUTINE

La maison a été par la suite entièrement détruite à l'explosif par les militaires russes pour des raisons inconnues. Un site indépendantiste a affirmé dernièrement que son propriétaire avait été retrouvé mort après avoir été emmené par les forces spéciales russes. Les autorités ont de leur côté affirmé qu'il avait été arrêté pour interrogatoire et se trouvait en détention.

La presse russe a estimé que l'élimination d'Aslan Maskhadov n'avait pu être décidée que par le président Vladimir Poutine, craignant que les appels répétés du leader indépendantiste à la négociation et le cessez-le-feu unilatéral qu'il avait décrété unilatéralement en février 2005, dans la république séparatiste ne finissent par en faire "le leader d'un Sinn Fein tchétchène", dans une allusion à l'aile politique de l'IRA, l'Armée républicaine irlandaise.

Aslambek Aslakhanov, un général tchétchène nommé en 2003 conseiller du Kremlin, a de son côté relevé que l'élimination du leader indépendantiste empêcherait ce dernier de faire des révélations et de dire qui sont "les ordures qui ont commencé ce carnage, qui ont pillé cette république et ont apporté tant de malheurs à la Russie et à la Tchétchénie".

Article paru dans l'édition du 01.04.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Nouveau lumpenprolétariat et jeunes casseurs

 P our nous, parents de lycéens agressés le 8 mars, ce qui s'est passé ce jour-là nous laisse un goût amer. A la fois parce que ce sont nos enfants qui manifestaient et qui ont été blessés et traumatisés et parce que nous sommes depuis longtemps engagés dans le combat contre les politiques de relégation dont ces violences sont le résultat.

Mais ce désarroi est aussi redoublé par le silence gêné que l'on observe chez nombre de nos amis politiques, à gauche et à l'extrême gauche, comme si voir et penser cette situation nouvelle dérangeait le confort de leur représentation du monde. A la difficulté de faire partager l'expérience des victimes s'ajoute ainsi le déni de ceux qui devraient en être solidaires.

Nous sommes convaincus que refuser de penser cette réalité revient seulement à laisser les démagogues de tous bords s'en emparer, au risque de l'aggraver.

Ne nous y trompons pas: les violences du 8 mars, loin d'être un incident isolé, sont révélatrices de la crise qui traverse la société depuis de nombreuses années et annoncent de nouveaux lendemains qui déchantent. Si la présence des adultes et des services d'ordre syndicaux, à la manifestation du 15 mars, a permis de contenir de nouvelles agressions, elle n'est en rien une solution.

Nous qui avons fait nos premiers pas dans les luttes sociales à la fin des années 1970 sommes bien placés pour savoir que la jeunesse a besoin d'affirmer son autonomie politique et que les lycéens n'ont pas les moyens de s'auto-organiser efficacement pour affronter cette violence, sauf à se transformer eux-mêmes en milices d'autodéfense, ce que nous ne pouvons leur souhaiter. C'est donc la liberté même de manifester qui est remise en question.

D'abord, il faut rappeler les faits. Ceux qui n'ont pas assisté aux violences du 8 mars ou qui ne sont pas parents de victimes ont du mal à mesurer l'ampleur et la gravité de ce qui s'est passé ce jour-là. Contrairement aux années 1990, il ne s'agit pas d'actes isolés débordant la colère incontrôlée de "casseurs" révoltés, mais d'une violence massive (on parle d'un millier de "casseurs" pour 9 000 manifestants) et dirigée de façon exclusive et systématique contre les manifestants. Visages ensanglantés, filles traînées par les cheveux, lycéens en pleine crise de nerfs, bandes s'acharnant à dix, à coups de pied et de bâton, sur des gamins à terre.

Tous les témoignages décrivent ces scènes de cauchemar. Ce sont des centaines d'agressions qui ont eu lieu le 8 mars et des dizaines de gamins qui se sont retrouvés à l'hôpital, blessés et traumatisés. Sans parler des effets de cette violence sur l'imaginaire social de la jeunesse et de la terreur qu'elle a durablement installée dans l'esprit des plus tièdes. Ce qui a été cassé le 8 mars, c'est la manifestation lycéenne, contrainte de se disperser à mi-parcours, et avec elle la mobilisation des jeunes contre la loi Fillon et une éducation toujours plus inégalitaire.

Ces violences n'auraient pu avoir lieu sans la complicité passive des forces de l'ordre, qui ont assisté aux scènes de lynchage, souvent à quelques mètres, sans intervenir. Tout indique que le gouvernement a laissé faire, dans le but de briser la mobilisation lycéenne, au risque de nombreux dégâts collatéraux. C'est pourquoi nous demandons à ce qu'une enquête parlementaire soit menée pour faire le bilan de ces agressions (nombre d'admissions dans les hôpitaux et gravité des blessures, nombre de plaintes déposées) et la lumière sur le comportement des autorités.

Au-delà de cette question essentielle, il nous faut nous interroger pour comprendre comment des jeunes exclus du système scolaire, pour la plupart issus de l'immigration, en sont arrivés à considérer comme leurs ennemis d'autres jeunes manifestant pour l'égalité des chances. Or, à de rares exceptions près, les analyses proposées par les commentateurs sont incapables d'appréhender la nouveauté de cette situation. Ainsi Esther Benbassa se demande, dans Libération des 26 et 27 mars, si "dans les violences commises à l'égard des manifestants lycéens, il n'y a pas plutôt l'ancienne opposition bourgeois-prolétaires".

Cette lecture est doublement erronée. D'abord parce que les lycéens qui manifestaient le 8 mars n'étaient pas des "bourgeois", mais venaient essentiellement des couches moyennes et des classes populaires. Les lycéens de banlieue étaient d'ailleurs fortement représentés durant la manifestation et ont eux aussi été victimes des violences. A l'inverse, les écoles d'élite, publiques ou privées, où se reproduit la bourgeoisie, étaient évidemment absentes de la mobilisation.

Les agresseurs ne sont pas plus proches du prolétariat que les agressés de la bourgeoisie. Ils appartiennent plutôt à cette couche d'exclus née de la délocalisation massive du travail ouvrier à partir des années 1970 et de l'éclatement des anciennes solidarités qui y étaient liées. Discriminés par leurs origines sociales et ethniques, relégués dans des ghettos, orientés malgré eux dans des filières sans avenir, certains de ces jeunes plongent dans les mirages de l'économie parallèle et assouvissent leur fantasme de toute-puissance dans l'hyperviolence à la Orange mécanique, dernier réceptacle d'un capital corporel qui ne trouve plus à s'employer.

Exclus du système éducatif, ils le sont aussi des combats pour sa transformation et n'entretiennent plus avec ceux qui luttent que ressentiment et jalousie sociale.

Loin de contester le système, les identités refuges qu'ils se fabriquent au sein de leur sous-culture de ghetto le reproduisent jusqu'à la caricature: conquête de territoires, consommation effrénée de marques, haine de la différence, machisme, cynisme, business, guerre de tous contre tous. Plus que les "prolétaires", ces exclus des exclus rappellent le lumpenprolétariat, cette "armée de réserve du capital" décrite par Marx, qui constituait la "phalange de l'ordre" de Bonaparte ou qui servait d'auxiliaire de choc aux troupes d'Hitler et de Mussolini.

Comme on l'a vu le 8 mars, l'ordre néolibéral se nourrit de cette forme contrôlée d'illégalisme. Utilisée ponctuellement pour briser une manifestation parisienne, cette violence est en général maintenue à la périphérie, mais elle justifie en même temps un quadrillage généralisé et elle est forcément coupée des classes populaires puisque celles-ci en sont les premières victimes. Elle est politiquement sans péril et économiquement sans conséquences. Bouc émissaire de toutes les inquiétudes sociales, elle permet de fabriquer un "ennemi intérieur" face auquel l'Etat peut se constituer comme garant de l'ordre et justifie d'autant l'apartheid social et la logique sécuritaire qui en est le corollaire.

Le racisme est évidemment une composante de ce ressentiment. Tous les témoignages sur le 8 mars le corroborent et certains des agresseurs le revendiquent. Si, et il est essentiel de le souligner, nombre de manifestants étaient eux-mêmes issus de l'immigration, les bandes qui les attaquaient étaient bien des bandes ethniques. Elles traquaient surtout les "petits Blancs" et de préférence les petits blonds, même si elles ne se gênaient pas pour frapper les lycéens de couleur qui s'interposaient, traités de "suceurs de Blancs" pour l'occasion.

A défaut de nous plaire, ce constat ne devrait pas nous surprendre. Pourquoi les Juifs, les Arabes ou les Noirs, qui subissent l'explosion du racisme, comme viennent de le confirmer les travaux de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, ne deviendraient-ils pas, pour certains, racistes à leur tour à l'encontre de ces "petits Blancs" érigés en victimes expiatoires de leur exclusion sociale ?

L'histoire nous démontre que la pulsion raciste, l'exclusion de l'autre, et son contraire, le dépassement de l'altérité par l'affirmation d'une société commune, n'ont cessé de se livrer une lutte sans merci en tous lieux et depuis l'aube de l'humanité. La bête immonde sommeille en chacun et l'éclatement communautariste qui accompagne la barbarie libérale lui prépare encore de beaux jours.

Voir et penser ce racisme à l'envers est nécessaire pour comprendre le degré de fracture au sein de la jeunesse. Il ne s'agit en aucun cas de stigmatiser l'ensemble des jeunes issus de l'immigration, qui dans leur immense majorité ne le partagent pas. C'est pourquoi nous dénonçons l'appel lancé il y a quelques jours contre le "racisme et les ratonnades anti-Blancs", qui surfe sur le traumatisme du 8 mars pour collecter des signatures auprès des lycéens.

Comme le racisme est protéiforme, l'antiracisme est indivisible. Contre les démagogues communautaristes qui cherchent à mettre en concurrence la mémoire des crimes coloniaux et des génocides, et qui tentent d'instrumentaliser les souffrances du présent pour nous diviser, notre seule force est la réaffirmation, ici et maintenant, d'une communauté humaine possible.

Nous avons appris dans notre jeunesse que la notion de race n'avait pas de fondement scientifique et nous avons éduqué nos enfants pour en faire des citoyens du monde. Ni blancs, ni blacks, ni beurs, notre identité n'est pas seulement faite de nos origines, mais de ce que nous faisons de nos vies. Encore faudrait-il que ce monde accueille des citoyens libres et égaux. Pour l'heure, nous en sommes à la résistance, et, comme le disait Jean-Luc Godard dans son Eloge de l'amour, "il n'y a pas de résistance sans mémoire et sans universalisme".


Brigitte Larguèze, sociologue, Frédéric Goldbronn et José Reynes sont parents de lycéens blessés lors de la manifestation du 8 mars.

par Brigitte Larguèze, Frédéric Goldbronn et José Reynes
Article paru dans l'édition du 01.04.05


Le Monde / Opinions
Analyse
Le référendum et l'avertissement

 E n choisissant le référendum plutôt que le débat parlementaire, le président de la République a sacrifié à la doctrine gaulliste, il est apparu enfin comme un grand européen et il a souhaité diviser les socialistes, ce qu'il a obtenu. Peut-être a-t-il aussi commis une erreur. Les référendums sont dangereux et la Constitution ne produira pas, dans les traités, une mutation telle qu'elle exigeait cette forme d'avertissement.

On demande aux Français de répondre seulement à la question posée. Mais il est normal qu'ils pèsent leurs arguments. Les raisons du non sont claires et vives. Un adversaire résolu de l'intégration européenne ou du capitalisme votera évidemment non, sans états d'âme. Les raisons de voter oui existent tout autant, mais sont moins mobilisatrices parce que le texte du traité est un compromis. Il est bien supérieur au traité de Nice, mais il ne comble pas les espoirs des fédéralistes.

Comme il ne facilite pas suffisamment les chances d'une coopération renforcée entre les pays qui voudraient aller plus loin, il déçoit aussi les partisans d'une Europe plus étroite. Il ne satisfait pas non plus les partisans d'une Europe puissante qui voient bien qu'une véritable politique étrangère et de défense commune reste une chimère. Les parlementaires auraient compris naturellement les vertus de cette synthèse et ils auraient approuvé le texte sans hésiter. Les électeurs partisans de l'Europe sont moins enthousiastes.

L'ouverture des négociations avec la Turquie a compliqué les choses. Ce fut une autre erreur du président Chirac. Il n'en avait pas soufflé mot pendant sa campagne présidentielle en 2002. Puis il a proclamé que c'était une chance pour l'Europe. Quand il a mesuré les effets de son engagement, il a botté en touche, pour que les Français se prononcent dans dix ou quinze ans. Il n'en reste pas moins qu'une question troublante, celle des frontières et donc de l'identité de l'Europe, a été posée.

Un autre problème embarrasse tout autant: celui du contenu social. Un socialiste y sera peut-être plus attentif, encore que tous les Français soient concernés.

Le chômage, la stagnation des rémunérations, l'évidente mobilité des entreprises et des capitaux peuvent donner le sentiment que l'Europe favorise l'insécurité sociale.

Pour le démontrer, une partie de la gauche dit que l'Europe, avec cette Constitution, s'interdit le socialisme. Tout dépend de la façon dont on définit le terme. S'il s'agit d'abolir le marché au profit de la planification, alors la cause est entendue: dans ce cadre constitutionnel, l'Europe ne pourra pas devenir socialiste. S'il s'agit de refuser la mondialisation en fermant ses frontières, l'Europe est liée par ses engagements internationaux, et non par sa future Constitution.

Demain, en fonction de ses intérêts, elle pourra choisir d'être plus ou moins protectionniste. Hypothèse peu vraisemblable aujourd'hui, mais qui n'est pas interdite. Si on définit le socialisme par les prélèvements publics et par la redistribution égalitaire, il faut admettre que les Etats-nations resteront libres de leurs choix. Tout au plus devront-ils limiter leurs déficits, et encore chercheront-ils, parce que la démagogie ­ même lorsqu'elle invoque Keynes ou la croissance ­ est la mère du déficit, à desserrer ce carcan.

Reste la forme la plus ancienne du socialisme puisqu'elle remonte à avant Turgot. Elle consiste à privilégier des corporations: agriculteurs, électriciens, enseignants, médecins, postiers, etc. Sans intervention publique, le marché libre leur allouerait des revenus différents de ceux qu'elles perçoivent. Les corporations disposent généralement d'un poids électoral élevé ou d'une capacité de nuire qui offre les mêmes avantages. L'observateur doit reconnaître qu'en France la défense des corporations mobilise autant la gauche que la droite. Or toutes les corporations se sentent menacées par l'élargissement de l'Europe. C'est pour cela que la directive Bolkestein fait un si grand bruit. Tous ceux qui bénéficient d'une forme de protection se sentent concernés. Notaires, plombiers et cheminots, étroitement unis, risquent d'exprimer leurs craintes en mai. Il faudra donc les rassurer en leur expliquant que le grand marché européen provoquera un accroissement de la productivité par tête.

Mais l'explication est difficile à faire admettre pour deux raisons. La première est que, au jeu de la croissance, si tout le monde gagne en moyenne, certains gagnent vraiment et d'autres perdent ou gagnent moins. A ceux-là l'argument statistique fait une belle jambe.

ÉLUDER LA QUESTION

Ensuite, quand on veut rassurer, il faut éviter d'affoler et ne pas renforcer les craintes. Il y a un mois, on ne trouvait pas d'argent pour les fonctionnaires. Maintenant on en trouve "sous le tapis". Il y a un mois, la directive Bolkestein ne posait pas de problème et les commissaires français l'avaient approuvée à Bruxelles. Maintenant, c'est le comble de l'horreur.

En dénonçant ainsi ce qu'il appelle le libéralisme de Bruxelles, le président de la République apporte de l'eau au moulin des partisans du non et affaiblit le oui des libéraux. Il est légitime que l'opposition s'oppose. On pourrait admettre aussi qu'il est légitime que le gouvernement gouverne et ne se croie pas obligé de dire, à quelques mois de distance, le contraire de ce qu'il disait auparavant.

Aussi la meilleure façon, à mes yeux, de défendre la Constitution européenne est de rappeler un certain nombre d'évidences:

1) il n'est pas vrai que, si la Constitution n'était pas approuvée, ce serait une catastrophe irrémédiable et la mort de l'Europe. Ce qui est vrai, c'est qu'il faudrait renégocier, ce qui serait long et difficile et ne conduirait pas nécessairement à un résultat meilleur;
2) il est faux que la Constitution tranche le débat sur l'orientation sociale ou libérale de l'Europe. L'Europe sera à la fois sociale et libérale dans des proportions qui dépendront des électeurs et du taux de croissance, mais non du traité;
3) la question turque n'est pas secondaire et sera posée. Pour la trancher, les Français n'attendront pas quinze ans. La prochaine élection présidentielle leur permettra de préciser leur volonté;
4) il est préférable de voter oui, puisque le compromis obtenu par Valéry Giscard d'Estaing est le meilleur qu'on puisse obtenir aujourd'hui et que la victoire du non nuirait à l'image de la France.

De toute façon, l'avertissement que les Français adressent à travers ce débat doit être entendu. Quel que soit le résultat du référendum, les responsables politiques européens ne pourront plus éluder la vraie question: pourquoi faut-il faire l'Europe et avec qui ?

D'autant que dans cette mêlée obscure gît une lumière cachée. A beaucoup de signes, on voit que l'Europe prend conscience de son existence et de sa force potentielle. Les hésitations, les inquiétudes de l'Amérique à son sujet le prouvent. La conversion de M. Chirac aussi: voilà plus d'un quart de siècle, il dénonçait encore les partisans de l'Europe comme le "parti de l'étranger".

Les souverainistes voient bien que les nations subsistent malgré l'Europe et que leurs craintes étaient vaines. Mais ils reconnaissent que, dans un monde dominé par les Etats-Unis et la Chine, elles ne sont plus des puissances.

Autrement dit: l'Europe sait qu'elle existe, mais elle ne sait pas encore qui elle est. Ce sera la prochaine étape.

Jean-Claude Casanova pour le Monde
Article paru dans l'édition du 01.04.05


Le Monde / International
L'échec des Forces démocratiques de libération du Rwanda est patent

 L eur adieu aux armes, pour si timide et théorique qu'il soit, n'en survient pas moins à point nommé. Après avoir passé, pour certains d'entre eux, plus de dix ans "dans la forêt", en République démocratique du Congo, l'échec des rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) est patent. Quel espoir peuvent-ils encore nourrir de rentrer dans leur pays les armes à la main pour en chasser l'actuel pouvoir, après les débâcles successives de leurs dernières attaques en territoire rwandais ?

De plus, les FDLR n'ont pas réussi à se laver du passé "génocidaire" d'une partie de leurs membres. Alors que c'était l'un de leurs objectifs prioritaires depuis l'apparition de leur mouvement en 2000, qui avait fédéré l'ensemble des groupes armés hutus. Certes, les 10 000 à 15 000 hommes des FDLR n'ont pas tous participé, dans les rangs de l'armée ou des milices, à la tentative d'extermination des Tutsis, en 1994. Tous ne sont pas non plus déterminés à rentrer au Rwanda pour y "terminer le travail" du génocide. Mais l'afflux denouveaux combattants, qui étaient à peine nés en 1994, et la volonté des FDLR de se transformer en parti politique ne garantissent pas que l'idéologie meurtrière de ses principaux chefs ait changé.

DANS LES MAQUIS

Au fil des années, le gouvernement rwandais, à dominante tutsie, n'a cessé de travailler au retour des rebelles hutus. Des émissaires ­ souvent d'anciens rebelles "retournés" par Kigali ­ ont été envoyés dans les maquis pour convaincre leurs membres de rentrer au Rwanda. Au total, un peu plus de 3 000 combattants ont sauté le pas. Au Rwanda, ils sont accueillis dans des ingandos, des "camps de solidarité" où sont dispensées, en chansons, les vertus de la réconciliation nationale. La plupart des ex-combattants peuvent ensuite retourner dans leurs collines d'origine. C'est là que, éventuellement, la justice pourrait les retrouver, dans le cadre des juridictions gacaca ­ les tribunaux traditionnels qui jugent, à l'échelle locale, les Rwandais qui ont participé aux massacres de 1994.

Les membres des FDLR qui ont décidé de quitter le maquis l'ont fait contre la volonté des éléments les plus durs du mouvement, ceux dont la responsabilité dans le génocide est la plus lourde. En octobre 2003, le général Paul Rwarakabidje, chef d'état-major des FDLR, faisait défection avec une centaine d'hommes et rentrait au Rwanda. Selon un témoin de la scène, le général congolais Padiri Bulenda, "il a essayé d'entraîner avec lui le gros des troupes, mais des éléments extrémistes sont intervenus pour les menacer de mort s'ils quittaient le maquis".

Depuis, les circonstances ont changé. La Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc) s'est révélée incapable de recourir à la force pour aider le gouvernement congolais à pousser les FDLR à abandonner les armes, comme l'y autorise une résolution de l'ONU.

Depuis, la Monuc est passée à une phase offensive nouvelle. Au cours du mois de mars, un officier supérieur pakistanais de la Monuc a rendu une visite discrète aux responsables d'un maquis FDLR pour annoncer la détermination des casques bleus à faire usage de la force, si nécessaire, pour contraindre les rebelles à abandonner les armes. Pour donner plus de poids à ses propos, il a fait valoir que ses hommes avaient combattu, avec succès, les talibans dans les montagnes d'Afghanistan. Les responsables des FDLR ont répondu qu'en cas d'attaque, ils s'en prendraient à la population civile congolaise.

Jean-Philippe Rémy
Article paru dans l'édition du 02.04.05


Le Monde / International
Les rebelles hutus impliqués dans le génocide rwandais s'engagent à déposer les armes

 "T ournant décisif" pour Kinshasa et Bruxelles, "étape significative" pour Paris: l'ensemble de la communauté internationale s'est félicitée de la décision des rebelles hutus rwandais de déposer les armes. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) se sont engagées, jeudi 31 mars à Rome, dans une déclaration solennelle lue par leur président, Ignace Murwanashyaka, à "cesser la lutte armée" et à la transformer en "combat politique". Par ce texte, les rebelles hutus, réfugiés dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis le génocide de 1994 dans l'espoir de renverser le pouvoir à Kigali, acceptent "le désarmement volontaire et le retour pacifique de leurs forces" au Rwanda, sous réserve de "mesures d'accompagnement" à définir. "D'ores et déjà, précisent-ils, les FDLR s'abstiennent de toute opération offensive contre le Rwanda", où le gouvernement est contrôlé par la minorité tutsie.

Ces anciens combattants de l'armée régulière rwandaise, dont beaucoup sont accusés d'avoir participé au massacre d'environ 800 000 personnes (Tutsis et Hutus modérés) il y a 11 ans, seraient au nombre de 8 000 à 15 000 dans la région des Grands Lacs. Leur présence est à l'origine des tumultueuses relations entre le Rwanda et la RDC. Par la déclaration de Rome, les Forces démocratiques "condamnent le génocide commis au Rwanda et leurs auteurs" et "renouvellent leur engagement à coopérer avec la justice internationale". Elles condamnent aussi "le terrorisme et les autres crimes de droit international commis dans la région des Grands Lacs", où la spirale des violences a fait près de 4 millions de victimes. Les rebelles FDLR demandent "l'ouverture dans les meilleurs délais d'une enquête internationale pour qualifier ces crimes, identifier et punir leurs auteurs". Enfin, ils "souhaitent le retour des réfugiés rwandais dans leur pays selon les normes internationales", entendant même "s'impliquer activement dans le programme de leur retour volontaire".

Ces promesses sont le fruit de pourparlers discrets engagés depuis plus d'un mois à Rome entre une délégation des FDLR et des représentants de Kinshasa. Les discussions ont pu avoir lieu grâce à la médiation de la communauté Sant'Egidio, une ONG de laïques catholiques déjà à l'origine des accords de paix au Mozambique en 1992 et au Guatemala en 1999. Elles se sont déroulées en deux temps: pendant dix jours en février, puis depuis le 28 mars. "Il s'agit d'une déclaration très solide car les branches politique et militaire des FDLR se sont toutes deux engagées", a déclaré à Rome l'ambassadeur itinérant de la RDC, Antoine Ghonda.

SATISFECIT À KINSHASA

La déclaration des rebelles hutus a provoqué des commentaires très positifs. Le Quai d'Orsay a salué "un pas en avant dans la normalisation des relations régionales". Le Comité international d'accompagnement de la transition (CIAT) au Congo, composé d'une douzaine de pays et de représentants des Nations unies, de l'Union européenne et de l'Union africaine, a félicité le gouvernement de Kinshasa "pour son action positive". Et la mission de l'ONU en République démocratique du Congo en a appelé à "une collaboration totale des autorités rwandaises et congolaises pour assurer le bon déroulement des opérations de rapatriement".

Kigali a réagi, par la voix d'un conseiller du président Paul Kagamé, en se disant "prêt à accueillir tous ceux qui veulent rentrer au Rwanda". Les rebelles ayant participé aux forces génocidaires devront toutefois "répondre de leurs actes", a prévenu le chef de la diplomatie rwandaise. Une phase plus délicate de la négociation va commencer. Le Rwanda ne participera pas, contrairement à ce que souhaitait Kinshasa, à la réunion qui doit rassembler des représentants de la RDC, de la communauté internationale et des rebelles, samedi 2 avril à Rome, pour discuter des "mesures d'accompagnement" réclamées par les FDLR. Ces dernières ont besoin de garanties pour rendre leurs armes et rentrer au pays.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 02.04.05


Le Monde / International
L'isolation anti-incendie du World Trade Center dénoncée

 L es tours jumelles du World Trade Center à New York, cibles des attentats du 11 septembre 2001, seraient peut-être encore debout aujourd'hui si l'isolation anti-incendie avait résisté, selon un rapport publié mardi 5 avril, qui suggère d'importantes réformes dans la construction des gratte-ciel.

L'impact structurel des avions et les multiples incendies qui ont suivi, provoqués par le kérosène qui s'est échappé des appareils, n'expliquent pas, à eux seuls, l'effondrement des tours, estime l'Institut national des normes et de la technologie (NIST), dépendant du département du commerce, à l'issue d'une enquête présentée comme la plus précise sur l'analyse des défaillances dans la construction des tours jumelles.

"Les deux tours se sont effondrées parce que le système de protection anti-incendie a été défaillant", estime Shyam Sunder, un enquêteur du NIST. Si le système d'isolation anti-incendie avait résisté, les incendies n'auraient pas fragilisé les éléments principaux des constructions qui ont fini par s'écrouler, a-t-il expliqué.

Enquêteurs et secouristes ont préconisé pour la construction des gratte-ciel futurs, l'installation d'ascenseurs résistants au feu et de cages d'escaliers d'évacuation plus solides.

Le rapport souligne également que beaucoup de gens ont perdu un temps précieux, au moment où il fallait évacuer, à discuter sur ce qu'il fallait faire et à s'interroger sur où et comment trouver les issues de secours.

Enfin, il est souligné que des problèmes de communication radio et de partage d'informations entre les équipes de secouristes ont probablement "contribué à un grand nombre de pertes au sein des équipes de premier secours".

De nouveaux systèmes de protection anti-incendie devront être mis au point, a indiqué M. Sunder, citant un produit qui, s'il est appliqué en un nombre suffisant de couches, devrait résister "même s'il est percuté par un avion".

Près de 2.750 personnes ont péri dans les attentats contre le World Trade Center perpétrés par le réseau terroriste Al-Qaida.

Environ 17.400 personnes se trouvaient dans les tours au moment des attentats qui ont eu lieu le matin, mais le NIST estime que le bilan des victimes aurait été plus proche des 14.000 si les 50.000 personnes travaillant habituellement dans les deux bâtiments s'y étaient trouvés à ce moment-là.

Le rapport, d'environ 10 000 pages, sera publié dans sa version définitive en septembre.

Avec AFP et AP
LEMONDE.FR | 06.04.05


Le Monde / International
Washington s'oppose aux ventes d'or du FMI pour soulager la dette des pays les plus pauvres

 L' idée de vendre une partie des réserves d'or du Fonds monétaire international (FMI) pour alléger le poids de la dette des pays les plus pauvres se heurte à l'opposition américaine, tant du gouvernement que du Congrès, qui a averti, mardi 5 avril, qu'il bloquerait une telle mesure.

"Toute tentative du Fonds monétaire international en vue de vendre de l'or sera mise en échec par le Congrès et le gouvernement Bush", a ainsi annoncé le président de la commission économique conjointe du Congrès, Jim Saxton. Le Congrès américain doit normalement donner son feu vert à la vente d'or de la part de l'institution multilatérale. Selon M. Saxton, élu républicain pourtant favorable à l'allégement de la dette des pays les plus démunis, il doit y avoir d'autres moyens d'y parvenir. "Je pense que le Congrès a l'obligation de protéger les contribuables et de rejeter toute proposition de vendre l'or du FMI", a-t-il estimé, ajoutant que le gouvernement du président George W. Bush était également opposé à un tel recours aux réserves d'or du Fonds.

Le porte-parole du Trésor, Rob Nichols, avait indiqué, la veille, que le gouvernement "n'était pas convaincu" de l'opportunité de cette option pour aider les pays les plus endettés de la planète. Un porte-parole du FMI a refusé de commenter ces prises de position.

POUR ALLÉGER LE FARDEAU DE LA DETTE

En février, les ministres des finances du G7, regroupant les pays les plus industrialisés (Etats-Unis, Canada, Japon, France, Allemagne, Royaume-Uni et Italie) avaient demandé au FMI d'étudier les possibilités pour alléger le fardeau de la dette des pays pauvres, y compris la vente ou la réévaluation des stocks d'or de l'institution.

Les réserves du FMI s'élèvent à 103,4 millions d'onces (3 217 tonnes) d'une valeur inscrite dans le bilan du Fonds d'environ 9 milliards de dollars (quelque 7 milliards d'euros), alors qu'au prix du marché - en date de fin février -, cet or vaut quelque 45 milliards de dollars, selon les derniers chiffres diffusés par le FMI. Le métal fin du FMI provient pour l'essentiel des souscriptions initiales des Etats membres, qui devaient régler un quart de leur quote-part en or.

Aussi le président de la commission économique du Congrès a-t-il rappelé que "les bénéfices potentiels des ventes d'or du FMI appartenaient de droit aux pays contributeurs et à leurs contribuables".

LA PROCHAINE RÉUNION DES GRANDS ARGENTIERS

Selon Jim Saxton, il faut s'interroger sur le mode de fonctionnement du FMI puisque "depuis toujours le Fonds a échoué à mettre en place des mesures de sauvegarde et des contrôles pour les prêts qu'il octroie." "Il n'est donc pas surprenant que certains des prêts aient mal tourné, mais il ne faudrait pas chercher à en cacher les conséquences", a-t-il estimé. Et de rappeler la préférence de Washington pour l'octroi de dons plutôt que de prêts et crédits aux pays déjà lourdement endettés.

Les ministres des finances du G7 étudient depuis longtemps les moyens de réduire les 80 milliards de dollars dus aux institutions multilatérales par les pays les plus pauvres, dont plusieurs consacrent plus au remboursement de leur dette qu'à leur programme d'éducation ou de santé, comme le rappellent régulièrement les ONG.

La prochaine réunion des grands argentiers de ce groupe de pays industrialisés est prévue la semaine prochaine à Washington, la veille des assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale (les 16 et 17 avril).

Le directeur général du FMI, Rodrigo Rato, avait approuvé, la semaine dernière, la vente d'une partie des stocks d'or de son institution pour alléger la dette des pauvres, dans un entretien au Financial Times.

Le FMI a eu recours en 1999 à une transaction hors marché sur or d'une partie de ses réserves pour aider le Brésil et le Mexique à payer leurs dettes auprès du Fonds.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 06.04.05


Le Monde / Entreprises
Cinq poids lourds de la technologie se liguent contre le mastodonte Microsoft

 U n comité regroupant cinq poids lourds de la technologie, IBM, Oracle, Nokia, Red Hat et RealNetworks, s'est récemment rangé derrière la Commission européenne afin de l'appuyer dans son combat de longue haleine contre Microsoft, a-t-on appris mercredi 6 avril auprès de son avocat.

En décembre, le Comité européen pour des systèmes compatibles (ECIS), créé au début des années 1990, a demandé à la Cour européenne de justice d'intervenir en soutien de la Commission européenne dans le procès qui devrait l'opposer courant 2006 au géant américain, a précisé Me Thomas Vinje, confirmant une information révélée par le quotidien britannique Financial Times.

Ce soutien renforce la position de la Commission, qui avait été affaiblie à l'automne par la perte de deux soutiens de taille. Début novembre, le groupe de logiciel Novell et l'association professionnelle Computer and Communication Industry Association (CCIA) - dont fait toujours partie Oracle, mais que Nokia avait quittée - avaient retiré leur soutien après avoir conclu des accords financiers avec Microsoft. "Après l'abandon de la CCIA, l'échéance pour s'enregistrer auprès de la Cour avait expiré", a expliqué Me Vinje. Par conséquent, l'ECIS a demandé à la Cour de faire une exception et d'accepter tout de même leur requête.

Pour l'instant, la Cour européenne de justice n'a pas répondu. Selon l'avocat, elle pourrait le faire "demain ou d'ici plusieurs mois, il n'y a pas de règles". Pour Me Thomas Vinje, "l'implication du Comité dans cette histoire démontre que ce que dit Microsoft n'est pas vrai". "Le groupe a dépensé beaucoup d'argent pour acheter Novell ou Sun Microsystems, sans toutefois modifier son attitude. Il clamait qu'en les ayant convaincus, il avait laissé la Commission toute nue." "L'intervention de l'ECIS montre l'exact contraire", conclut l'avocat.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 06.04.05


Le Monde / Société
Le régulateur italien du tunnel du Mont-Blanc a reconnu avoir tardé à déclencher l'alarme
Bonneville (Haute-Savoie) de notre envoyé spécial

 À  force d'être poussé dans ses derniers retranchements, Marcello Meyseiller a fini par admettre avoir pu commettre une faute. Marcello Meyseiller est le régulateur italien du tunnel du Mont-Blanc, celui qui, comme son homologue français, Daniel Claret-Tournier, est censé assurer la sécurité des usagers, depuis sa salle de contrôle, située à l'entrée italienne du tunnel. Il était à la manoeuvre, le 24 mars 1999, quand s'est déclenché l'incendie du poids lourd conduit par le routier belge Gilbert Degrave.

Après avoir entendu les déclarations confuses et contradictoires de Daniel Claret-Tournier (Le Monde du 2 avril), c'est à lui que le tribunal correctionnel de Bonneville s'est intéressé, lundi 4 avril, au 39e jour du procès des responsabilités dans la catastrophe du Mont-Blanc, qui a fait 39 victimes.

L'homme est moins brouillon que son confrère français, mais il a, au moins dans un premier temps, la même conviction chevillée au corps: en substance, il aurait, lui aussi, agi au mieux le jour du drame. D'ailleurs, quand le président du tribunal, Renaud Le Breton de Vannoise, l'interroge sur deux interventions successives sur la ventilation de l'ouvrage, à 10 h 52 puis 10 h 53, laissant entendre que, dès cet instant, le régulateur italien avait pris conscience de l'existence d'un problème, il nie toute responsabilité: "Je n'ai fait aucune modification sur la ventilation, assure-t-il. Je n'y ai pas touché avant 10 h 55".

La main courante informatique confirme ces deux interventions que seul Marcello Meyseiller était, a priori, en mesure de réaliser. Mais admettre ce fait reviendrait à reconnaître avoir tardé à agir, puisque la fermeture du tunnel, côté italien, n'est intervenue qu'à 10 h 56. Alors, pour expliquer ces deux modifications de la ventilation, le régulateur évoque la possibilité de microcoupures sur l'installation électrique. Curieusement, de telles microcoupures n'avaient jamais été constatées auparavant.

Le président Le Breton de Vannoise préfère ne pas insister car il a un autre argument à faire valoir: quand Marcello Meyseiller prend enfin conscience que quelque chose de grave est en train de se passer, il "oublie" d'actionner l'alarme qui devait mobiliser l'ensemble des moyens d'intervention. "A ce moment-là, j'avais à mes côtés le motard et le mécanicien, que j'ai immédiatement envoyés dans le tunnel", se justifie le prévenu.

Le président n'est pas convaincu par l'explication. "S'il y a un moment où vous pouvez dire la vérité, c'est aujourd'hui, pas demain, prévient-il. Le fait de ne pas avoir mis l'alarme, c'est une décision de votre part ou une omission ?" "C'est une décision", insiste Marcello Meyseiller.

Le président: "Dans une déclaration aux enquêteurs, vous aviez indiqué avoir été débordé, dépassé." Le régulateur italien: "Non, en fait, il s'agit d'une mauvaise traduction de mes propos.

- Vous avez donc sciemment violé une consigne en ne déclenchant pas l'alarme ?

- Oui. J'ai pensé que c'était la meilleure chose à faire à cet instant-là.

­ Même après plusieurs minutes, vous ne l'avez pas fait, et cela a eu de nombreuses conséquences: il n'y a pas eu de mobilisation générale côté italien, alors que si vous aviez appuyé sur le bouton, vous auriez eu de l'aide. Et le véhicule de premier secours aurait pu entrer plus tôt dans le tunnel. En votre âme et conscience, ne croyez-vous pas que vous auriez pu provoquer une mobilisation si vous aviez mis l'alarme à 10 h 56, quand vous faites fermer le tunnel ?"

Contrit, Marcello Meyseiller répond par l'affirmative. Ses supérieurs hiérarchiques reconnaissent à leur tour qu'en omettant d'agir il a "commis une faute professionnelle".

Acacio Pereira
Article paru dans l'édition du 06.04.05


Le Monde / Société
Les justifications évasives des juges et des policiers
Angers de notre envoyé spécial

 Q uand les enquêteurs et la justice se sont rendu compte, au début de l'année 2002, de l'ampleur du réseau de prostitution d'Angers et du rôle central d'Eric J., ils ont vite compris que les critiques allaient se multiplier et ont pris soin, chacun à leur niveau, de présenter les faits d'une manière qui ne leur soit pas trop défavorable. Parfois jusqu'à la caricature.

Ainsi, puisque Francis, Amélie et Helen C. ont dénoncé, dès novembre 2000, des "viols, agressions sexuelles, viol avec torture et actes de barbarie" commis par Didier et Eric J., il fallait bien expliquer pourquoi les deux frères n'ont été placés en garde à vue que deux ans plus tard. La commandant de police chargée de l'enquête à la brigade des mineurs, dans un rapport visé par son chef de service, écrit, le 27 février 2002, au procureur d'Angers: les trois enfants "ont mis en cause les frères J., Didier et Eric. Ceux-ci n'ont pu être localisés et domiciliés tous les deux que récemment".

"Récemment", c'est-à-dire un an plus tôt. La collègue de bureau de la commandant de la brigade des mineurs avait signé un procès-verbal, le 6 juin 2001, pour donner la nouvelle adresse d'Eric J., parti pour Nantes sans répondre à la simple convocation envoyée par la police. L'enquête n'était pas bien difficile: sorti de prison le 10 mars 1999, Eric J. était tenu de rencontrer régulièrement le juge d'application des peines, un psychiatre et les services sociaux ­ qui n'ont jamais réellement perdu sa trace.

Pour son frère, l'excuse est piteuse. Condamné à Angers en 1994, 1997 et 1998, Didier J. était déjà en prison et parfaitement connu des services de police. Quand le parquet a enfin décidé de le placer en garde à vue, il n'a eu aucun mal à le faire chercher au centre pénitentiaire de Caen, dans le Calvados.

La juge d'instruction elle-même, Virginie Parent, dont l'enquête minutieuse a été saluée jusque chez les avocats des accusés, a repris ­ comme c'est l'usage ­ la version passablement évasive mise au point par le parquet sur le commencement de l'affaire. Tout le problème consistait à justifier le déclenchement des investigations au début de l'année 2002, et pas un an plus tôt, Eric J. n'étant placé en garde à vue que le 25 février 2002. Le résultat se voulait opaque, il est en tout cas obscur.

"Au cours de l'année 2001, les fonctionnaires de la brigade des mineurs du commissariat de police d'Angers acquéraient la conviction qu'Eric J., pédophile connu de leur service, pouvait avoir renouvelé les agissements pour lesquels il avait déjà été condamné, note la juge dans son ordonnance de renvoi. Leurs investigations permettaient de confirmer qu'il fréquentait assidûment le couple Franck et Patricia V. qui, dans une affaire distincte diligentée en juillet 2001, se voyait reprocher pour Monsieur des violences sur sa fille Marine et des abus sexuels sur sa nièce Armelle, et pour son épouse le fait de ne pas avoir dénoncé ces sévices. Bien que ces mineures aient affirmé, à l'époque, ne pas avoir subi les agissements d'autres personnes, les investigations relatives à Eric J. conduisaient au recueil -fin janvier 2002- de deux plaintes déposées par les jeunes Sabine B. et Louise J., pour des faits de viols."

Enfin, la cour d'appel d'Angers s'est employée, dans un arrêt du 6 octobre 2004, à noyer à grande eau les ultimes doutes qui auraient pu surnager. "Les renseignements obtenus dans le cadre de révélations de violences sexuelles sur des mineurs amenaient le commissariat de police d'Angers à ouvrir une procédure distincte sur les agissements d'Eric J., libéré depuis mars 1999, et qui multipliait des concubinages avec des femmes souvent fragiles ayant de jeunes enfants, résume la cour. Le nom de l'intéressé était aussi mentionné, mais sans précisions exploitables en elles-mêmes, dans un dossier suivi contre les époux V. en juillet 2001 à la suite d'abus sexuels et de violences contre les jeunes Armelle et Marine V. Divers renseignements renforçaient ces soupçons, sans toutefois amener d'éléments concrets, confortant la nécessité de poursuivre les investigations "périphériques" rendues difficiles par le jeune âge des victimes et le silence des proches des J."

Pas de précisions "exploitables en elles-mêmes", pas "d'éléments concrets": la justice a donc eu raison de ne pas s'intéresser de plus près, pendant trois ans, à celui pour lequel le magistrat instructeur notait, en octobre 1996, le "risque évident de réitération de tels faits".

F. J.
Article paru dans l'édition du 06.04.05


Le Monde / Société
Hervé Lollic: "Ce n'était pas un dossier urgemment prioritaire"

 V ous étiez le chef du parquet des mineurs à Angers, de septembre 2000 à juillet 2002. Pourquoi n'avez-vous pas révoqué le sursis d'Eric J., alors que tous les clignotants étaient au rouge ?
Son sursis mise à l'épreuve courait jusqu'en mars 2002, et il a plus ou moins respecté ses obligations. Il avait un suivi très serré et se rendait aux rendez-vous en moyenne une fois par mois: à chaque fois qu'il sentait que son sursis pouvait être révoqué, lorsqu'il était convoqué par le juge d'application des peines qui lui remontait les bretelles, il reprenait son suivi médical. Il est vrai qu'il suffit légalement que l'intéressé justifie qu'il est allé voir le médecin pour être en règle. Il n'y a pas de contrôle de sincérité; c'est particulièrement inadapté pour les réels problèmes de pédophilie ou pour quelqu'un, comme Eric J., qui nie les faits.

Il y a cependant eu des signalements, notamment de sa compagne, Marie-Laure T.
Il y a eu deux signalements, en mars et en juin 2001, de cette femme aux services sociaux. Les deux fois, il y a eu une enquête. Elle a expliqué la première fois que le travailleur social n'avait pas bien compris. Elle a assuré la seconde que jamais Eric J. ne s'était retrouvé seul avec sa fille. On ne pouvait pas prouver le contraire. Il est vrai qu'en mars 2001, nous avons eu des informations inquiétantes. Effectivement, il y avait des clignotants. L'information a toujours circulé entre les magistrats, mais à chaque fois qu'il sentait que ça chauffait, Eric J. rentrait dans le rang. Et puis, la révocation d'un sursis est assez rigide. Il y avait une chance sur deux pour que le tribunal ne suive pas le juge d'application des peines, puis qu'il y ait appel. Et même si le sursis avait été révoqué, il purgeait un an et repartait dans la nature. On était devant un dilemme.

Pourquoi ne pas interpeller Eric J. lorsque Franck V. révèle qu'il lui demandait "de lui emmener des enfants" ?
On est dans une stratégie d'enquête, on travaille, et on sait qu'il n'est plus dans le coin. Et puis, c'est l'été: la brigade des mineurs, ce sont quatre policiers, la moitié pendant les vacances, avec chacun 30 dossiers en portefeuille. Je vais peut-être choquer, mais ce n'était pas un dossier urgemment prioritaire. L'affaire la plus urgente, c'est lorsque la victime est encore en contact avec l'agresseur. Et les signalements, j'en avais une demi-douzaine par semaine sur mon bureau. En matière de pédophilie, on a un fusil à un coup: si la garde à vue ne donne rien, c'est fichu. Et J. a toujours nié. En portefeuille, on avait aussi, en 2000, l'affaire de la petite Amélie. Là encore, il n'y a pas urgence, les faits sont anciens, Eric et Didier J. sont loin, les filles ont grandi.

Dans cette enquête, il ne se passe rien pendant un an.
Ça ne veut pas dire qu'on ne fait rien. On subodore qu'il y a quelque chose, mais on ne peut pas aller plus loin. A la fin de l'année 2001, on décide de faire sortir l'affaire d'Amélie, et d'interpeller Eric J. en janvier. Mais il arrive un petit coup de théâtre: les plaintes de Sabine B. et Louise J. pour viol, puis la déposition de la compagne de J.

Vous attendez cependant le 25 février 2002 pour le placer en garde à vue.
Une interpellation, ça se prépare, ça se planifie, pour les policiers comme pour les magistrats.

Propos recueillis par Franck Johannès
Article paru dans l'édition du 06.04.05


Le Monde / Opinions
ANALYSE
29 mai: les mirages du non

 L e 30 août 1954, après des mois de batailles acharnées, l'Assemblée nationale française rejetait la Communauté européenne de défense (CED), proposée quatre années plus tôt par la France. Ce fut comme un coup de tonnerre dans le ciel politique. L'embryon de la construction européenne survécut toutefois.

En moins de trois ans, les dégâts furent partiellement réparés. Le 25 mars 1957, à Rome, furent signés les traités instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) et le Marché commun.

Ces traités furent cette fois ratifiés, non sans difficultés, par les six pays fondateurs de ce que nous appelons aujourd'hui l'Union européenne.

Mais la réparation ne fut que partielle. A cause de l'échec de la CED, les questions de défense et de sécurité restèrent à l'écart du processus communautaire suffisamment longtemps pour que l'Alliance atlantique s'impose durablement comme l'institution majeure dans ces domaines.

Le vote du 30 août 1954 n'a pas tué l'Europe, qui, au contraire, n'a cessé de s'affirmer comme un espace de paix et de prospérité d'une façon unique dans l'histoire, mais il a tué dans l'oeuf l'Europe puissance dont rêvent, paradoxalement, ceux que la pensée du général de Gaulle continue d'inspirer.

Le 29 mai, les Français se prononceront pour ou contre le traité constitutionnel à l'avènement duquel la France a contribué de façon majeure. Ce traité marque un progrès considérable par rapport aux arrangements actuels, en raison de sa relative concision, de la clarification du "triangle institutionnel" (le Conseil, la Commission, le Parlement) et d'une percée en matière de politique étrangère et de sécurité commune.

La mauvaise humeur et la confusion des esprits jouant leur rôle pernicieux, la probabilité d'un vote négatif ne cesse pourtant de progresser. La portée de pareil événement, s'il devait se réaliser, ne serait pas moindre que celle de l'échec de la CED.

Notre crédit serait durablement atteint dans de nombreux Etats membres, à commencer par les cinq autres fondateurs, où le mal français commence à s'étendre, comme aux Pays-Bas. Nous deviendrions la risée des Britanniques, qui seraient alors bien capables de voter oui pour mieux nous singulariser. Il faut méconnaître les réalités européennes pour s'imaginer que nos partenaires se jetteraient à nos pieds pour replâtrer le texte dans un sens plus social, selon l'acception française du terme.

Le plus vraisemblable est qu'après une victoire du non nous serions condamnés pendant plusieurs années à vivre dans le maquis institutionnel actuel. Aux difficultés inhérentes à cette situation s'ajouterait, pour la France, la perte de son autorité morale. Dans le pire des cas, l'Union européenne commencerait de filer à la dérive. Dans le meilleur, les forces centrifuges seraient contenues par le cadre transatlantique. Comme il y a un demi-siècle, les Etats-Unis seraient en situation de reprendre les rênes. Et, dans les conditions du début du XXIe siècle, il n'y a aucune chance qu'un nouveau de Gaulle surgisse pour leur résister sérieusement.

Le rôle des analystes est de mobiliser leur connaissance de l'histoire et du système international contemporain pour faire partager leurs arguments. Il me semble que, si l'on s'en tenait à la communauté des analystes ou des experts, le oui l'emporterait aisément le 29 mai. Mais cette espèce n'a qu'une influence très indirecte sur l'opinion publique.

Il appartient aux hommes politiques, dont c'est le métier, de toucher la raison, mais aussi le coeur des citoyens. Hélas ! s'agissant de l'Europe, de loin la plus belle entreprise politique planétaire depuis des lustres, bien peu nombreux sont les hommes politiques capables de trouver les mots justes et de susciter l'enthousiasme. Il est plus que temps que les meilleurs d'entre eux montent au front. Pour ma part, je me limiterai à cinq remarques simples sur des points importants du débat en cours.

Premièrement, il importe de situer l'exercice de la "Constitution" dans son cadre historique. Dès les années 1950 ­ et même dans l'entre-deux-guerres, puisque c'est alors qu'ont été lancés les premiers projets communautaires, l'idée de l'intégration européenne a été pensée dans la perspective de l'unification du continent, au-delà de ce qu'on appelait alors l'Europe de l'Ouest. Mais c'est évidemment la chute du mur de Berlin et celle de l'Union soviétique, en 1989-1991, qui ont placé cette perspective dans le champ du réel.

IMPARFAIT MAIS ADMIRABLE

Effrayé par la difficulté d'un élargissement trop rapide, un homme d'Etat comme François Mitterrand a bien essayé de freiner l'emballement avec sa proposition de Confédération européenne, mais le vent soufflait trop fort, et il a fallu se résoudre à un élargissement forcené. Ainsi sommes-nous passés de 12 Etats membres en 1991 à 25 en 2004, bientôt 27 avec la Roumanie et la Bulgarie, sans parler de la Croatie. L'édifice ainsi hâtivement reconfiguré n'est pas viable sans une refonte de ses institutions.

Le texte soumis à ratification est imparfait, mais il est admirable si l'on veut bien se souvenir qu'il est le fruit d'une négociation multilatérale extrêmement complexe dans laquelle chacun a dû faire des concessions. S'imaginer qu'après un non de la France il suffirait de se remettre autour d'une table pour faire triompher "nos idées" est irréaliste.

En second lieu, quand nous parlons de "nos idées", nous entendons souvent une conception corporatiste ou protectionniste qui est rejetée par la plupart de nos partenaires. Oui, il existe un modèle social européen, distinct du modèle anglo-saxon ou tout au moins américain, et qui mérite d'être préservé. Mais on ment en faisant croire que ce modèle consiste à empêcher les réformes de structures ­ meilleure efficacité de la dépense publique, démantèlement des régulations et des protections injustifiées, abolition des privilèges, etc. ­ et à empiler les déficits.

Que la Constitution soit ou non ratifiée, la coordination des politiques économiques est nécessaire et imposera des disciplines. Il appartient aux plus grands des Etats membres de donner l'exemple en la matière. En cédant trop systématiquement aux forces conservatrices, ces Etats condamnent à l'échec la stratégie de Lisbonne, adoptée en 2000, visant à faire de l'Europe un espace de croissance économique durable face aux Etats-Unis et à l'Asie de l'Est. Tel est le cadre approprié pour un débat de qualité sur le pacte de stabilité ou encore sur la fameuse directive Bolkestein, relative à la libéralisation des services.

DÉBAT DÉVIÉ

Troisièmement, à propos typiquement de la directive Bolkestein, il est factuellement faux d'affirmer que les institutions, anciennes ou nouvelles, abolissent l'espace de négociation entre les Etats membres sur les questions qui les divisent.

Quatrièmement, les adversaires de l'Europe ont volontairement fait dévier le débat en anticipant sur un référendum d'une autre nature concernant la Turquie, qui n'interviendra pas avant au moins dix ans. En décembre 2004, le Conseil européen ne pouvait pas refuser à ce pays, qui avait rempli toutes les conditions qu'on lui avait imposées, d'ouvrir les négociations d'adhésion.

Il n'en est pas moins vrai que le moment tombait mal, notamment à cause de cette sorte d'indigestion dont j'ai parlé plus haut. Mais, quoi que l'on pense de cette candidature et de ses chances d'aboutir ou non, le fait est que le référendum du 29 mai ne changera rien à l'affaire. Les électeurs ne doivent donc pas tomber dans le piège qui leur est tendu en confondant deux sujets bien distincts.

Enfin et surtout, comment ne pas comprendre que notre pays souffre depuis des décennies d'une véritable crise d'identité. Je n'en connais aucun autre sur la planète qui éprouve autant de difficultés à s'ajuster aux transformations du monde. Pour beaucoup d'entre nous, l'Europe ­ pas une Europe abstraite, mais celle que nous construisons pas à pas depuis près de cinquante ans ­ est le cadre qui convient à une France régénérée.

En face de nous, en contradiction les uns avec les autres, il y a ceux qui ou bien rejettent l'Europe en rêvant d'une France qui n'existe plus ou bien rêvent d'une Europe à leur manière qui n'existe pas, en condamnant celle qui est au nom de la France qui fut.

Puisse le premier camp trouver l'inspiration d'une mobilisation à la hauteur de l'enjeu et de l'espérance qu'il suscite.

Thierry de Montbrial pour "Le Monde"
Article paru dans l'édition du 06.04.05


Le Monde / Société
A Angers, pour les enquêteurs, il ne semblait "pas urgent d'intervenir"
Angers de notre envoyé spécial

 I ls ont tous été secoués par cette affaire. Le policier Philippe Perez a quitté la brigade des mineurs d'Angers en avril 2004, après avoir bouclé le dossier. "Ça a laissé des traces, j'ai été très touché, murmure le brigadier. Je ne me sentais plus apte." Il a demandé sa mutation, "après un suivi thérapeutique". Catherine Mercier, gardienne de la paix, a la voix qui se casse en pensant au petit Vivien, cramponné à sa main, qui lui disait: "Tu vas pas me lâcher, tu vas m'aider ?" Sa petite soeur pleurait à chaudes larmes quand elle l'a remise aux services sociaux, la policière aussi. On lui a trouvé un poste en tenue; maintenant, ça va.

Les policiers de la brigade des mineurs ont raconté par le menu leur enquête, mardi 5 avril, devant la cour d'assises de Maine-et-Loire, qui juge à Angers un lourd réseau de prostitution enfantine. Les 66 accusés ont écouté dans un silence pesant, et ne se sont guère agités que lorsque les enquêteurs ont assuré que les gardes à vue s'étaient parfaitement déroulées. L'interrogatoire des policiers, à l'audience, s'est un peu moins bien passé, et quelques rares avocats ont lourdement insisté sur l'étonnant retard des enquêteurs à interpeller Eric J., la figure centrale du réseau, qui aurait pu être mis hors d'état de nuire huit mois plus tôt (Le Monde du 5 avril).

Le brigadier Perez n'a pas trop envie d'en parler. Lui est arrivé à la brigade en septembre 2001; pour ce qui s'est passé avant, dit-il, il faut voir avec le chef. "La maman de Charlotte G. est venue vous voir à la mi-décembre 2001 pour porter plainte contre Eric J., tente Me Nathalie Valade, une avocate des parties civiles. Vous l'avez renvoyée vers l'hôpital pour un examen, l'hôpital lui a dit qu'il fallait d'abord porter plainte." Il ne s'en souvient pas.

La ligne est plus difficile à tenir pour Catherine Mercier, qui a recueilli, dès novembre 2000, les plaintes des trois enfants C. qui accusaient Didier et Eric J. de les avoir violés. Les deux frères n'ont été placés en garde à vue que le 25 février 2002. L'avocat général tend une perche à la policière. "Pour commencer une enquête, note Ivan Auriel, il faut avoir des éléments, et pas seulement quelques suppositions..." "Voilà, répond Mme Mercier. Et on avait une charge de travail énorme, on est aussi des humains."

Cela ne suffit pas tout à fait à Me Pascal Rouiller, l'avocat de Franck V., l'un des principaux accusés. "On ne comprend pas bien pourquoi Eric J. est interpellé pour la première fois en juillet 2002 et pas avant, observe l'avocat. Mon problème, c'est celui-là." Eric J., condamné en 1997 pour avoir touché dix enfants, dont son fils, était sous contrôle judiciaire. Au premier faux pas, il pouvait retourner un an en prison. "Vous saviez qu'il était suivi judiciairement ?", demande l'avocat. Elle assure que non. "Manifestement, il ne respectait pas son suivi, insiste Me Rouiller. Il est même parti à Nantes sans prévenir. Vous le saviez ?" "C'est dans le dossier ?", s'inquiète le président de la cour.

C'est dans le dossier. Comme la mise en cause d'Eric J., en juillet 2001, par la petite Marine V., la fille de Franck. "Je l'ai effectivement entendue me dire, un soir: "J'en ai marre qu'il me mette un gros crayon dans la bouche"", explique Mme Mercier. "Cela ressemble à un acte de pénétration sexuelle ?", s'inquiète Me Rouiller. "On m'aurait reproché d'interpréter", se défend la policière. "Avez-vous soupçonné des abus sexuels ?", reprend l'avocat. "Oh, pas du tout", proteste Mme Mercier, pas fâchée de laisser la place à sa patronne.

Fabienne Lopeo est d'une autre trempe. La responsable de la brigade des mineurs est, à "54 ans et demi", à un mois de la retraite, elle a la tête bien faite et la précieuse capacité de noyer sous les détails les questions embarrassantes. Elle convient volontiers qu'Eric J. était le principal animateur du réseau, et que, à peine sorti de prison, il est allé tout droit chez les V. réclamer des enfants. Me Laurence Charvoz s'alarme: "Si mon client est aussi dangereux que vous le dites, (à votre place) je n'aurais pas attendu six mois pour le convoquer." "Posez des questions, maître, des questions", s'agace le président.

Me Rouiller en a quelques-unes. "Vous êtes la première à parler de stratégie d'enquête, reprend l'avocat. Vous avez des éléments, spécialement, en juillet 2001, lorsque Franck V. avoue qu'Eric J. lui a demandé de lui fournir des enfants, vous faites le choix de ne pas l'interpeller. C'est une décision prise avec le parquet ?" La brigade travaille en étroite collaboration avec le parquet, répond Mme Lopeo. "Il ne semblait pas extrêmement urgent d'intervenir. Eric J. n'était plus à Angers, les deux enfants menacés étaient placés." En fait, non: Emma D. ne l'a été qu'en mars 2002.

"Donc, on a pris le risque de ne pas intervenir pour étoffer le dossier, insiste impitoyablement Me Rouiller. Vous laissez Eric J. en liberté, commettre avec d'autres des actes gravissimes. On ne parle pas de stupéfiants, commandant, il ne s'agit pas de laisser passer de petites quantités de drogue pour avoir une grosse prise. On parle de gamins violés ! Vous en étiez à deux en 2001. Vous attendiez d'en être à combien, Mme Lopeo ?"

Heureusement, l'avocat général veille. "On ne peut pas laisser dire que le parquet a laissé commettre des viols pour avoir une affaire plus importante", tonne Ivan Auriel. Le président a hâte de passer à autre chose, les autres avocats ne s'intéressent guère à la question. Mme Lopeo respire.

Franck Johannes
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Société
Les comptes du régime général de la Sécurité sociale se sont améliorés en 2004

 P hilippe Douste-Blazy affiche sa satisfaction. Les comptes de la Sécurité sociale sont moins mauvais qu'on ne l'attendait en 2004, et le déficit de l'assurance-maladie devait être inférieur de 1,6 milliard d'euros à ce qui était prévu. C'est une aubaine pour le ministre des solidarités et de la santé, qui devait présenter, mercredi 6 avril, au conseil des ministres des éléments sur les comptes du régime général et sur les premiers "indicateurs de suivi" de la réforme de l'assurance-maladie.

12 "indicateurs" pour l'assurance-maladie
Le ministre de la santé a présenté, mercredi 6 avril, les 12 "indicateurs de suivi" de l'application de la réforme de l'assurance-maladie. Ils permettront d'"évaluer la montée en charge de la réforme et mesurer ses effets" et couvrent neuf thèmes: l'accès aux soins, le médecin traitant, l'accès des plus démunis à l'assurance complémentaire, la maîtrise des dépenses d'indemnités journalières versées lors d'arrêts maladie, la lutte contre les fraudes et les abus, les médicaments et le développement des génériques, la qualité du système de soins, la maîtrise des dépenses de santé, le développement du dossier médical personnel et, enfin, l'hôpital. Ils devraient être publiés tous les six mois.

Selon le ministère de la santé, le déficit 2004 des quatre branches du régime général (maladie, accidents du travail, vieillesse, famille) "sera ainsi d'environ 12 milliards d'euros, contre 14 prévus initialement". Si une partie de cette "amélioration" est mise au crédit des "changements de comportement et de la prise de conscience des efforts à fournir qu'a permis la préparation de la réforme de l'assurance-maladie", elle provient surtout du "dynamisme plus important que prévu des recettes".

Le déficit réduit de la branche maladie ­ 11,6 milliards contre 13,2 attendus ­ s'explique, ainsi, pour moitié par la progression des recettes, "dont une plus-value de 400 millions d'euros sur les cotisations et 300 sur la CSG", et pour moitié par une moindre progression des dépenses (de soins, mais aussi frais de gestion courante et frais financiers).

M. Douste-Blazy qualifie la décélération des dépenses de "jamais vu depuis cinq ans". En début d'année, la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) avait indiqué que, pour la première fois depuis 1999, le taux de progression des dépenses était repassé sous la barre des 5% et s'était établi à 4,7%, contre 6,2% en 2003. Ce chiffre reste, cependant, supérieur à l'objectif de progression des dépenses (Ondam) fixé à 4% dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2004.

La branche des accidents de travail et des maladies professionnelles connaît, elle aussi, un déficit inférieur à 200 millions d'euros, contre 540 anticipés. La branche vieillesse, au lieu d'être déficitaire, enregistre "un excédent de 250 millions d'euros". Seule, la branche famille voit sa situation dégradée par rapport aux prévisions de septembre avec "un déficit de 360 millions d'euros au lieu des 180 prévus". Cette détérioration des comptes est expliquée par le succès de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), par la hausse des prestations logement et de l'action sanitaire et sociale.

ARRÊTS DE TRAVAIL EN BAISSE

Pour les deux premiers mois de l'année 2005, la CNAM a fait état de bons résultats, dont une diminution de 5% des indemnités journalières dues aux arrêts de travail. Ce repli est lié, entre autres, à l'augmentation du nombre des contrôles engagés, dès 2003, par l'ancien directeur général de la CNAM, Daniel Lenoir.

L'optimisme du ministre de la santé pourrait être tempéré au deuxième trimestre de 2005. Selon un document de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), longuement cité par la Tribune du 29 mars, les dépenses maladie repartiraient à la hausse et progresseraient de 6,6% au deuxième trimestre, après une augmentation de 2,9% au premier. Quant à la trésorerie de la sécurité sociale, elle serait déficitaire de 5,4 milliards d'euros à fin juin, soit 0,9 milliard de plus que prévu.

R. Bx
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Société
Amnesty critique le traitement des violences policières

 A mnesty International dresse un réquisitoire contre les autorités françaises, qui accorderaient une "impunité de fait" aux forces de police. Dans un rapport qu'elle devait présenter mercredi 6 avril, l'organisation de défense des droits de l'homme tire un bilan très critique du traitement disciplinaire et judiciaire des violences policières, trop rarement et trop faiblement sanctionnées, selon elle. Amnesty s'est concentrée sur une quinzaine de cas très graves, survenus entre 1991 et 2005.

"Ces dernières années, l'usage imprudent d'armes à feu entraînant la mort est heureusement devenu moins fréquent dans les rangs de la police et de la gendarmerie, indique le rapport. Cependant le nombre de plaintes pour mauvais traitements de la part des policiers, dont le point de départ est souvent un contrôle d'identité qui s'est terminé violemment, a au contraire augmenté."

En 2004, les violences policières illégitimes alléguées dont a été saisie la "police des polices" ­ l'inspection générale de la police nationale (IGPN) ou l'inspection générale des services (IGS) ­ ont augmenté de 18,5%. Il s'agit de la septième année de hausse consécutive (Le Monde du 10 mars).

Selon Amnesty, le phénomène s'explique, en partie, par la position du ministère de l'intérieur sur la "reconquête" de certaines banlieues qui seraient devenues des "zones de non-droit". Un discours pris au pied de la lettre par les policiers, qui "se considèrent comme une force engagée dans un conflit contre un ennemi", assure l'organisation.

RECOURS À LA FORCE

Amnesty critique l'utilisation abusive des principes de "légitime défense" et d'"état de nécessité" pour justifier le recours à la force. Le 25 février, le ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin, avait déjà appelé les forces de l'ordre à "proportionner l'usage du recours à la force". Pour empêcher les mauvais traitements en garde à vue, l'organisation souhaiterait notamment qu'un avocat soit présent dès le début des interrogatoires, et que ceux-ci soient tous filmés. Elle regrette que la consultation d'un médecin ne soit pas systématique. Amnesty voudrait que les victimes puissent directement saisir la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), sans passer par un parlementaire, comme c'est le cas aujourd'hui.

Surtout, l'association réclame la création d'un organisme indépendant, qui "devrait à terme remplacer" les instances disciplinaires internes. Tout mauvais traitement, acte de torture ou de cruauté ferait l'objet d'une investigation.

Enfin, Amnesty s'interroge sur le traitement judiciaire des plaintes à la suite de violences policières alléguées: les représentants du parquet joueraient trop souvent "le rôle d'avocats de la défense". La durée excessive des informations judiciaires et la faiblesse des peines prononcées, même lorsque les violences ont été formellement établies, contribuent "à cette situation d'impunité de fait".

Amnesty demande à la chancellerie de donner des instructions pour raccourcir les délais de traitement, citant le cas d'un lycéen de 18 ans, Aïssa Ihich, mort d'une crise d'asthme en mai 1991 au commissariat de Mantes-la-Jolie (Yvelines) après avoir été frappé à terre par des policiers. L'affaire a été jugée dix ans plus tard.

Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Société
MEMOIRE
Le transfert de 4 000 tombes de Français d'Algérie émeut les rapatriés

 P our l'administration, ce sont quelques terrains vagues perdus dans l'Algérie profonde, parsemés de tombes que les années ont rendues illisibles. Mais pour ceux qui ont laissé des ancêtres sur l'autre rive de la Méditerranée, ce sont de petits bouts de la terre où s'enracine leur vie. Au total, 209 000 tombes françaises, témoignage de cent trente ans de colonisation, peuplent toujours 523 cimetières algériens. La préservation et la réhabilitation de ce patrimoine, dégradé par le temps et que les familles ont été longtemps mises dans l'impossibilité d'entretenir, figuraient parmi les engagements pris par le président Chirac lors de sa visite d'Etat en Algérie, en mars 2003.

A la mi-mars, il a suffi que le quotidien Nice-Matin exhume un arrêté du ministère des affaires étrangères du 7 décembre 2004, passé inaperçu, et barre sa "une" d'un énorme "Algérie: 62 cimetières condamnés !" pour mettre le feu au petit monde des rapatriés. Le clientélisme électoral soufflant sur les braises de passions mal éteintes a transformé en brûlot un dossier qui n'était pas le plus sensible dans les relations franco-algériennes.

Le texte ministériel engage "un regroupement, en tombes ou ossuaires selon le cas, de sépultures françaises en Algérie". Il donne aux familles concernées un délai de quatre mois pour faire connaître à l'un des deux consulats de France en Algérie "si elles souhaitent effectuer le transfert en France, à leurs frais, des restes mortels de leurs défunts". Enfin, il dresse la liste des 62 petits cimetières, abritant 4 000 tombes, qui sont concernés par le projet de regroupement dans des nécropoles urbaines plus vastes.

"En prenant connaissance de cet arrêté qui n'avait suscité aucune réaction, je me suis demandé si la France n'était pas sourde. Cette surdité m'a douloureusement rappelé le sentiment de mépris qui prévalait en 1962, à notre arrivée", témoigne Yvette Aïoutz, une retraitée de l'éducation nationale dont les aïeux reposent dans l'un des cimetières concernés. "Je ne veux pas qu'on déterre mes parents, poursuit-elle: d'ailleurs, que reste-t-il d'eux ? Ils ont droit à ce mètre carré de terre. S'il faut le racheter, qu'on le rachète pour qu'ils puissent rester là où ils sont. Sinon, on détruira le dernier lien qui nous unit à cette terre."

RÉHABILITATION IMPOSSIBLE

Au ministère des affaires étrangères comme à la Mission interministérielle aux rapatriés, on tente d'apaiser ces réactions: les regroupements dans des cimetières entretenus visent à "préserver la dignité des morts et la mémoire des sites", plaide Marc Dubourdieu, président de la Mission. Le plan ne concerne que 2% du total des tombes, celles qui, situées dans des localités reculées, sont dans un état de délabrement tel qu'il n'existe aucune autre solution, assure-t-il. Un monument, "un obélisque de béton indestructible", sera implanté sur les anciens sites pour en perpétuer la mémoire. La réplique aux rumeurs faisant état de pressions algériennes destinées à récupérer les terrains est nette: "Jamais l'argument foncier n'a été avancé."

S'il est vrai que certains cimetières ont servi de caches d'armes pendant la guerre civile des années 1990, que certaines tombes ont été profanées, que d'autres servent d'abri à des indigents, la réalité est que les cimetières ont été privés d'entretien et que, à en croire les officiels, leur réhabilitation relève d'une "mission impossible".

Les regroupements, insiste-t-on, ne constituent qu'une petite partie du plan de réhabilitation général des cimetières d'Algérie, auquel l'Etat et les collectivités territoriales volontaires doivent consacrer 300 000 euros en 2005. Quant au délai de quatre mois imposé aux familles pour choisir entre le regroupement ­ gratuit ­ et le rapatriement ­ à leurs frais ­, il ne serait qu'indicatif, l'opération devant s'étaler sur trois ans.

Alors que l'annonce par le conseil général des Alpes-Maritimes, présidé par Christian Estrosi (UMP), d'une prise en charge des frais de rapatriement n'a fait qu'amplifier le désarroi et la bronca, l'Association de sauvegarde des cimetières d'Algérie (ASCA), qui se consacre à cette tâche depuis 1985, est venue à la rescousse de l'Etat en approuvant la politique de regroupement qu'elle a elle-même engagée depuis plus de vingt ans. "La réalité est que ces tombes ont été profanées depuis longtemps et qu'il n'y a pas un seul corps identifiable à rapatrier, assure le docteur Alain Bourdon, trésorier de l'ASCA, avant d'ajouter: Soit M. Estrosi ne connaît pas la question, soit il agit par pure démagogie. De toute façon, il n'aura pas un centime à sortir." En tant que représentant de la "dernière génération" de rapatriés d'Algérie, M. Bourdon, qui avait "20 ans en 1962", est déterminé à agir vite. Sinon, dit-il, dans trente ans, la mémoire des Français en Algérie aura disparu.

Philippe Bernard
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Opinions
Une
VENTRE DU "MONDE"
Pour François Bayrou, les électeurs UDF valent bien une messe

 I l est arrivé, à 8 heures pile, mercredi 6 avril, avec d'autres élus soucieux comme lui de participer à la messe des parlementaires à la mémoire de Jean Paul II, en la basilique Sainte-Clotilde, à Paris. Pour expier, aussi, une déclaration qu'il ne cesse de regretter ? François Bayrou, le président très catholique et très pratiquant de l'UDF, avait fait savoir que, en matière d'hommages au pape défunt, la France en avait fait beaucoup. Drapeaux en berne, préfets "réquisitionnés", le président de l'UDF avait jugé la réaction de l'Etat un peu disproportionnée. "Je n'aurais certainement pas pris cette décision", confiait-il, lundi 4 avril. Ravi de prendre une fois de plus Jacques Chirac à contre-pied, il ajoutait, un rien provocateur: "Je n'ai pas voté la loi sur le voile, mais la laïcité a besoin de principes. Que fera-t-on lorsque le dalaï-lama décédera à son tour ?"

Seulement voilà, l'homme qui a déconfessionnalisé la démocratie chrétienne à la française s'est attiré des réactions très hostiles de plusieurs de ses élus. "Une trentaine d'e-mails extrêmement sévères", dit-on à l'UDF. Et plus encore, à coup sûr, la désapprobation des électeurs du parti centriste, déjà déçus qu'il ne soit pas fait mention des origines chrétiennes de l'Europe dans le traité constitutionnel. Hâbleur, mais n'en menant pas large, M. Bayrou tentait de sourire: "C'est bien la première fois que je me fais engueuler par les cathos !"

Que faire ? Retirer ses propos ? Un peu humiliant. Rendre hommage au pape ? L'occasion lui en a été donnée, mercredi soir sur France 2, où il a célébré "sa bonté pour la terre et les hommes". Effort louable mais sans doute insuffisant eu égard à la gravité de la faute. Après que certains de ses conseillers eurent envisagé de lui faire prendre le premier avion pour Rome, vendredi 8 avril, afin qu'il puisse assister aux obsèques du pape, une solution plus réaliste a été trouvée.

Le voici donc, ce 6 avril, au rendez-vous fixé par Mgr Baldelli, nonce apostolique en France. Il y a là une petite trentaine de députés, emmenés par Jean-Louis Debré: André Santini, Charles-Amédée de Courson, Christine Boutin, Claude Goasguen, Jean-Pierre Soisson, Alain Marsaud, Christian Estrosi, Henri Cuq...

Dans son homélie, Mgr Baldelli évoque des extraits de la lettre adressée par Jean Paul II aux évêques de France à l'occasion du centenaire de la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat. "Le Saint Père souligne l'apport des catholiques de France. Ils apportent la lumière et leur foi afin d'être présents dans tous les domaines de la vie sociale." Face à cette invitation à montrer ses convictions, M. Bayrou, au premier rang, a-t-il pensé qu'il avait eu tort de renier les siennes ? L'expiation est un long travail. Le déplacement de campagne pour le oui au référendum, prévu vendredi dans le Limousin, a été annulé. Les amis du président de l'UDF n'excluaient pas qu'il puisse à nouveau, ce jour-là, se rendre à la messe.

Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / International
CONTROVERSE
Des manuels scolaires japonais scandalisent la région
Tokyo de notre correspondant

 L a révision des manuels scolaires destinés aux lycéens japonais ne pouvait plus mal tomber: adoptée, mardi 5 avril, par le ministère de l'éducation, la nouvelle version de l'histoire moderne du pays a jeté de l'huile sur le feu de ses relations déjà tendues avec ses voisins chinois et coréen.

Cette mise à jour des manuels, qui intervient tous les quatre ans, porte sur l'ensemble des matières. Elle vise surtout à donner plus de substance à l'enseignement scientifique. Mais, une fois encore, les manuels de "sciences sociales", qui traitent de l'histoire, suscitent des controverses. La version donnée par le Japon de la guerre d'expansion qu'il mena dans la région heurte régulièrement les sentiments de ses voisins. Ces derniers estiment que Tokyo nie ou édulcore les faits, quand il ne justifie pas des actions coupables.

Une nouvelle fois, des sujets controversés ­ le massacre de la population civile à Nankin en 1937 est qualifié d'"incident"; le terme d'"invasion" n'est jamais mentionné lorsqu'il est fait état de la "guerre de la Grande Asie" que mena le Japon à partir des années 1930 ­ sont dénoncés à Pékin et à Séoul. Autre sujet sensible: la question des "femmes de réconfort", euphémisme pour désigner les 200 000 Asiatiques, essentiellement Coréennes, contraintes à se prostituer dans les bordels de l'armée impériale. Evoqué dans certains manuels en 2001, cet épisode peu glorieux n'y figure plus.

Cet infléchissement du contenu des livres scolaires, fruit de la campagne lancée dans les années 1980 par la droite japonaise pour changer une "vision masochiste" de l'histoire, nourrit un nouveau prurit nationaliste en Asie orientale. Des différends territoriaux provoquent régulièrement des tensions dans la région. Ces dernières années, les visites du premier ministre, Junichiro Koizumi, au sanctuaire Yasukuni à Tokyo, où sont honorées les âmes des morts pour la patrie, parmi lesquels figurent des criminels de guerre, ont alourdi le climat. A Pékin et Séoul, elles ont été interprétées comme une absolution du passé militariste nippon.

Avec Pékin, le contentieux porte sur la ligne de démarcation des zones économiques exclusives en mer de Chine orientale (région riche en ressources énergétiques) et sur la souveraineté d'îlots inhabités. Ainsi, Senkaku en japonais, Diaoyu en chinois. Récemment, un nouveau litige territorial est apparu, concernant désormais la Corée du Sud. Il porte sur les îlots Takeshima (Dokto en coréen), en mer du Japon (appelée "mer de l'Est" par Séoul).

MAGASINS ATTAQUÉS

Un tollé s'est élevé à Séoul quand le département de Shimane (sud-ouest de l'archipel nippon) a pris un arrêté établissant la souveraineté nippone sur ces îlots inhabités et sous contrôle coréen. Les relations entre les deux pays, qui s'étaient réchauffées ces derniers temps, se sont brutalement rafraîchies. En réaffirmant jusque dans les nouveaux manuels scolaires sa souveraineté sur Takeshima, Tokyo a provoqué un regain de courroux à Séoul.

Avec la Chine, l'absence de visite réciproque des chefs d'Etat ou de gouvernement depuis l'arrivée au pouvoir de M. Koizumi en avril 2001, témoigne de la froideur des relations entre les deux pays en dépit de relations économiques en plein essor. Attisé par les diatribes de la droite nippone sur la "menace chinoise", l'antagonisme entre Pékin et Tokyo suscite une vague antijaponaise sur le continent. En fin de semaine, à Shengzhen et à Chengdu, des groupes de jeunes "patriotes" ont attaqué des magasins japonais pour protester contre la demande de Tokyo de devenir membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et des mots d'ordre de boycottage des produits nippons ont été lancés.

Philippe Pons
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / International
RECONSTRUCTION
Kaboul revendique la gestion de l'aide internationale consacrée à l'Afghanistan
Islamabad de notre correspondante en Asie du Sud

 L e gouvernement afghan voudrait gérer une plus grande part de l'aide internationale pour mieux asseoir son autorité, spécialement avant les élections législatives prévues en septembre. Le président Hamid Karzaï a plaidé cette cause à Kaboul, devant la troisième conférence des pays donateurs réunie du 4 au 6 avril, en leur demandant d'accélérer la reconstruction.

Trois ans et demi après la chute du régime taliban, l'aide internationale fournit 93% du budget afghan (4,75 milliards de dollars pour 2005). Or, selon le ministre des finances, Anwar-ul-Haq Ahady, 77% de cette aide sont gérés directement par les donateurs internationaux qui passent des contrats avec les organisations non gouvernementales (ONG) ou le secteur privé. Sur le principe, les donateurs s'accordent à vouloir renforcer les autorités afghanes en leur donnant les moyens de leur politique. Mais beaucoup font valoir que l'administration manque de ressources humaines, qu'elle est très largement corrompue et politisée; ce qui risquerait de déséquilibrer la distribution de l'aide.

Frustré, le gouvernement afghan a lancé, depuis plusieurs mois, une campagne de dénigrement des ONG, les accusant de gaspiller l'argent, d'être inefficaces et trop onéreuses. Un projet de loi a d'abord visé à leur interdire de répondre aux appels d'offres du gouvernement. Mais le président Karzaï a dû nommer, le 3 avril, une commission paritaire gouvernements-donateurs pour revoir ce projet. Les ONG sérieuses et reconnues réclament depuis longtemps une réglementation pour clarifier la situation. En effet, de multiples organisations se sont baptisées ONG devant la manne promise au pays; en fait, certaines ne sont que des officines à faire de l'argent. Des hauts responsables ont même "créé" des organisations, sous leur nom ou celui d'un proche. Le ministère du Plan a enregistré, au titre des ONG, 2 400 organisations ces trois dernières années, alors que la coordination des ONG les plus sérieuses (Agency Coordination Body for Afghan Relief, Acbar) n'a que 88 membres.

Un an après la conférence de Berlin, au cours de laquelle les pays donateurs s'étaient engagés à apporter à l'Afghanistan 8,2 milliards de dollars sur la période 2004-2007, la rencontre de Kaboul a été tournée essentiellement vers la stratégie à adopter pour la reconstruction sur le moyen terme. Principal bailleur de fonds, Washington a laissé entendre toutefois que son aide de 2,5 milliards de dollars en 2004 pourrait être portée à 5 milliards cette année après approbation du Congrès.

SIGNES D'ESSOUFFLEMENT

"Nous voyons le succès et nous désirons investir dans le succès", a indiqué Zalmay Khalilzad, le tout-puissant ambassadeur américain à Kaboul, qui va prochainement quitter l'Afghanistan pour l'Irak. Sur cette somme, 1,4 milliard de dollars sont destinés à l'armée nationale et aux forces de police en cours de constitution.

Dans un entretien à l'agence Associated Press, le général David Barno, commandant en chef des forces de la coalition en Afghanistan, a annoncé que l'armée américaine allait prendre en charge l'entraînement de la police (jusqu'alors assuré par l'Allemagne) et fournir les renseignements et le transport pour les forces antidrogue en formation. Le défi posé au gouvernement afghan va être de maintenir l'intérêt de la communauté internationale pour le pays, alors que les premiers signes d'un essoufflement des donateurs se manifestent.

Françoise Chipaux
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Opinions
Chronique
Un quart d'heure de grâce télévisuelle

 C hristine Ockrent posait la question suivante, mardi soir sur France 3, à ses invités de "France Europe Express": une politique de gauche est-elle possible dans l'Europe du traité constitutionnel ? Oui, bien sûr, répondaient Jack Lang et le nouveau secrétaire national des Verts, Yann Wehrling. Non, évidemment, rétorquaient Marie-George Buffet et Arlette Laguiller. Et l'on était parti, une fois de plus, dans un débat remarquablement confus, à coups de paragraphes sournois et d'alinéas vicieux, sur le point de savoir si cette Constitution affirmait une doctrine libérale ou apportait de nouveaux droits sociaux. Les deux, apparemment.

Le dernier sondage CSA annonçait, une fois de plus, une victoire du non, avec 53% d'intentions de vote contre 47% pour le oui. Et, surtout, il montrait que le non était nettement plus fort chez les électeurs de gauche (58%) que chez ceux de droite (34%). Bref, le moral n'était guère élevé chez les partisans du oui, malgré les efforts de Jack Lang pour relativiser tous les sondages, un procédé classique lorsque ceux-ci se révèlent décevants.

C'est alors qu'on entendit s'élever une voix, étonnamment enthousiaste, en faveur de la Constitution européenne. Il n'était plus question de paragraphes ou d'alinéas, mais d'un audacieux projet collectif suscitant l'admiration du reste du monde. L'économiste et essayiste américain Jeremy Rifkin, qui était resté silencieux jusque-là, faisait une entrée tonitruante dans le débat. Il se disait "littéralement scié" par ce qu'il avait entendu. Il citait sa mère qui, à 93 ans, a lu la Charte des droits fondamentaux incluse dans le projet de Constitution.

Elle y a découvert avec ravissement des droits qui ne figurent pas dans la Constitution américaine et dont elle n'imaginait même pas qu'ils puissent exister. "Vous ne vous rendez pas compte à quel point vous avez de la chance !", lançait Jeremy Rifkin. "Si cette Constitution avait été promulguée aux Etats-Unis, j'embrasserais ce document en pensant que je me suis réveillé au paradis !", ajoutait-il. Jack Lang, selon sa propre formule, "buvait du petit-lait". Marie-George Buffet maugréait. On en revenait assez vite aux empoignades habituelles, mais un souffle inattendu était passé sur l'émission. Le Rêve européen, titre du livre de Jeremy Rifkin, publié chez Fayard, avait eu droit à un quart d'heure de grâce télévisuelle.

Dominique Dhombres
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / International
L'Europe tente de protéger son marché contre le textile chinois

 F ace au déferlement du textile chinois depuis le 1er janvier, la Commission européenne a annoncé, mercredi 6 avril, avoir défini des "niveaux d'alerte" par produits à partir desquels des "enquêtes" seront ouvertes pour faire jouer d'éventuelles clauses de sauvegarde du marché communautaire. De telles clauses ne seront toutefois enclenchées qu'en "dernier recours", après des "consultations informelles" avec la Chine.

Bruxelles a en effet pris soin de ne pas froisser Pékin. Les "niveaux d'alerte" fixés par Bruxelles prévoient l'ouverture d'une enquête lorsque des "données fiables" attesteront d'une augmentation des entrées de textiles chinois "de 10 à 100% par rapport aux niveaux de 2004", a souligné, mercredi, le commissaire au commerce, Peter Mandelson.

DOMMAGES ET IMPACTS

Les chiffres publiés à Pékin font état d'une progression globale de 28,77% des exportations chinoises de textile en janvier, tandis qu'Euratex évalue à 46,5% l'augmentation vers l'Union européenne. Mais plusieurs catégories de produits déjà ont allègrement crevé ces plafonds. Les statistiques dont dispose Bruxelles pour janvier-février montrent notamment un doublement des importations de tailleurs féminins et une multiplication par trois pour les pull-overs. Et l'explosion la plus spectaculaire concerne les bas, collants et chaussettes, dont Pékin a écoulé plus de 913 millions d'unités, contre moins de 16 millions au cours de la même période en 2004 - soit une multiplication par 57.

Pour autant, le commissaire Mandelson veut d'autres "preuves" pour aller plus loin. Ses services espèrent pour la troisième semaine d'avril des statistiques sur le premier trimestre 2005. Il entend focaliser les enquêtes futures sur "les dommages possibles pour l'industrie européenne et l'impact probable sur les producteurs de pays en développement vulnérables" et les voisins méditerranéens de l'UE, mais aussi sur "l'impact positif" que la nouvelle donne "va avoir pour les consommateurs". Bruxelles ne décidera qu'ensuite, "sur la base des consultations" avec Pékin, de la nécessité ou non d'"imposer des mesures de sauvegarde formelles".

"C'est une étape sérieuse et certainement pas quelque chose auquel nous devrions avoir recours avec légèreté ou automatiquement", a déclaré M. Mandelson, soucieux de rassurer aussi la Chine, dont il doit rencontrer vendredi le vice-ministre du commerce, Zhang Zhigang. "Il n'est pas question de revenir en arrière à l'ancien système des quotas. Nous ne pourrions justifier des mesures de sauvegarde temporaires qu'en dernier recours, si des distorsions commerciales durables et sur une large échelle étaient clairement démontrées", a-t-il répété.

VIVE RÉACTION CHINOISE

Le dispositif européen est en retrait par rapport au processus de sauvegarde enclenché lundi par les Etats-Unis sur la base des modalités fixées en 2001 lors de l'accession de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il laisse trois mois de répit entre l'ouverture d'une enquête et les premières restrictions effectives aux importations chinoises. La prudence de M. Mandelson s'explique par les divisions des Européens entre adversaires et partisans d'un libre-échange maximum. Parmi ces derniers, le ministre suédois du commerce, Thomas Odros, s'est dit mardi "troublé" par une "tendance protectionniste croissante et inquiétante" au sein de l'UE.

L'annonce faite par Bruxelles n'a toutefois pas manqué d'heurter la Chine. Pékin s'est déclaré, jeudi matin, "vigoureusement opposé" aux mesures annoncées. Les "niveaux d'alerte" fixés mercredi par la Commission européenne "contreviennent aux réglementations légales sur l'entrée de la Chine à l'OMC", a déclaré dans un communiqué le porte-parole du ministère du commerce chinois, Chong Quan. "La Chine y est vigoureusement opposée", a-t-il ajouté. La décision européenne "aura d'énormes conséquences négatives non seulement sur le commerce bilatéral de produits textiles, mais également sur le commerce mondial de ces produits", selon le texte publié sur le site internet du ministère. La mesure de l'UE, qui crée selon Pékin "des conditions subjectives pour activer une clause de sauvegarde", "engendre des nouveaux facteurs d'instabilité dans le commerce bilatéral de produits textiles".

Avec AFP et AP
LEMONDE.FR | 07.04.05


Le Monde / International
Kamal Kharrazi, ministre iranien des affaires étrangères
"L'Iran ne saurait en aucun cas renoncer à son droit au nucléaire civil"
AFP/ATTILA KISBENEDEK
Le ministre iranien des affaires étrangères Kamal Kharrazi revendique pour son pays le droit à la combustion nucléaire.

 Q uelles sont les exigences de l'Iran à propos du nucléaire ?
L'Iran ne saurait en aucun cas renoncer à son droit de traiter l'uranium pour obtenir du combustible nucléaire destiné à des centrales nucléaires civiles ­ et j'insiste sur civiles. L'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques est un droit. Cela dit, nous sommes prêts à fournir des garanties objectives qui assurent que nous ne cherchons pas à nous doter de l'arme nucléaire. C'est l'objectif des négociations que nous avons engagées - avec les Européens -. Des coopérations politiques, économiques ou sécuritaires permettront d'établir le climat de confiance nécessaire pour y parvenir.

Les promesses d'aide européennes, voire américaines, ne méritent-elles pas une contrepartie iranienne ?
Il s'agit moins de promesses de coopération que de la levée de certaines restrictions imposées à l'Iran. C'est un point positif si l'objectif est de mettre l'Iran en confiance. Si, en revanche, il s'agit d'amener l'Iran à renoncer à un droit, c'est inacceptable.

Ne redoutez-vous pas l'imposition de sanctions par l'ONU en cas d'échec de vos discussions avec les Européens ?
Nous avons été pendant des années sous embargo et nous le sommes toujours. La vraie question est de savoir si - des sanctions - sont dans l'intérêt de l'Europe et de la communauté internationale. L'Iran est aujourd'hui un pays puissant en matière de technologie pour la production de combustible nucléaire. Avec lui, il ne faut pas user du langage de la force ou des pressions, mais du dialogue et de la discussion.

L'élection prochaine d'un nouveau président de la République iranien aura-t-elle une incidence sur la position de l'Iran ?
Aucun président quelle que soit son appartenance politique ne pourra s'opposer à ce qui est considéré comme une volonté nationale iranienne d'accéder au cycle du combustible nucléaire. Pour tout Iranien, c'est une question d'honneur et de fierté nationale.

L'Iran a-t-il été sollicité par la France à propos du désarmement du Hezbollah libanais ?
Non, mais il existe entre l'Iran et la France des sujets d'intérêt commun, et nous pouvons coopérer sur la scène libanaise. La France a une influence et des intérêts historiques au Liban, mais il faut tenir compte des évolutions qu'a connues ce pays, où les forces politiques émergentes, dont le Hezbollah, tiennent un rôle déterminant. Il faut éviter à tout prix que des décisions extérieures soient imposées au Liban. Maintenant que les forces syriennes ont évacué ce pays - l'évacuation est en cours -, il faut laisser les dirigeants libanais décider de l'avenir. La question du Hezbollah et de son armement est une question interne. La résistance islamique - le Hezbollah - est un motif de fierté pour tous les Libanais, qu'ils soient musulmans, druzes ou chrétiens. Chacun sait ce qu'a accompli cette résistance - allusion au retrait de l'armée israélienne en 2000 - et les Libanais eux-mêmes estiment qu'aussi longtemps que les violations israéliennes continueront, parler du désarmement du Hezbollah est prématuré.

Vous estimez donc que la résolution 1559 de l'ONU, coparrainée par la France et qui demande le désarmement du Hezbollah, est une forme d'ingérence ?
Une partie - des dispositions de cette résolution - peut être considérée comme une forme d'ingérence dans les affaires d'un pays. Or toute ingérence extérieure entraîne une forme de résistance, en particulier lorsqu'il existe des soupçons qu'un certain nombre de faits visent à servir les intérêts d'Israël.

Votre commentaire sur l'augmentation continue du prix du pétrole ?
Nous sommes partisans d'un prix acceptable par les producteurs et les consommateurs. Ce ne sont pas les pays producteurs mais la situation du marché international qui est à l'origine de la flambée des prix, cette flambée qui n'est pas près de prendre fin.

Propos recueillis par Arnaud Leparmentier et Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Société
Jusqu'à présent unis dans leur défense, les responsables de la sécurité du tunnel du Mont-Blanc ne font plus front commun
Bonneville (Haate-Savoie) de notre envoyé spécial

 G érard Roncoli est assurément un technicien compétent. Chef du service sécurité de la concession française du tunnel du Mont-Blanc, il en connaît toutes les arcanes. Aucun bouton du pupitre de la salle de régulation n'a de secret pour lui. Il est intarissable sur le fonctionnement du système de ventilation, et il prend plaisir à évoquer les subtilités de la machinerie qui gère la bonne marche du tunnel et sa sécurité. Mais ces qualités ont leur revers: M. Roncoli est tellement sûr de lui qu'il n'admet pas la contradiction. Il en a encore fait la démonstration, mercredi 6 avril, au 41e jour du procès de la catastrophe qui, le 24 mars 1999, a causé la mort de 39 personnes.

Le tribunal de Bonneville s'intéresse à cet instant à ce que les responsables de l'ouvrage savaient, le jour des faits, sur le nombre d'usagers susceptibles d'être coincés dans le tunnel en feu. M. Roncoli assure qu'aux alentours de 11 heures, soit quelques minutes seulement après le début de l'incendie, il s'est lancé dans un calcul simple fondé sur la moyenne des véhicules empruntant le tunnel en une heure et en a tiré la conclusion que 15 à 20 voitures ou camions pouvaient être bloqués derrière le poids lourd conduit par Gilbert Degrave. Le calcul est tout théorique, d'autant que Gérard Roncoli dit ignorer à ce moment-là combien d'usagers ont eu le temps de doubler le camion en feu ou de faire demi-tour.

Mais pourquoi n'a-t-il pas informé de ses craintes le capitaine Comte, chef des pompiers de Chamonix, s'étonne le président du tribunal Renaud Le Breton de Vannoise. "Je le lui ai dit", lâche le prévenu. "Il semblerait que le lieutenant-colonel Laurent (responsable du service départemental d'incendie et de secours), lui non plus, n'ait pas été informé", insiste le président. "Je conteste ne pas lui avoir donné l'information", rétorque M. Roncoli. "C'est tout de même étonnant, toutes ces personnes disent qu'elles ne l'ont pas eue. Vous êtes donc seul contre tous ?", reprend le président. Et là, comme il l'a déjà fait, M. Roncoli, rouge de colère, fait dans l'ironie: "Votre intonation n'est pas la même quand vous parlez de moi ou du lieutenant-colonel Laurent." Cette fois, le président ne laisse pas passer. "Vous êtes à cette barre en situation de prévenu, rappelle-t-il. Vous êtes à la limite de l'impertinence, je vous rappelle à l'ordre et je tiens à ce que cela soit acté. Si vous dites vrai, cela signifie que le lieutenant-colonel Laurent ment." "Je dis vrai", soutient M. Roncoli après s'être excusé.

D'autres personnes pourtant le contredisent sur ce point et, au fil de l'audience, il est pris à plusieurs reprises en flagrant délit de mensonges. Il indique avoir demandé, aux environs de 14 heures, aux informaticiens du tunnel de "sortir" les listings du péage, un bon moyen d'avoir une idée du nombre de véhicules entrés dans l'ouvrage après le camion de Gilbert Degrave. Or, les deux informaticiens assurent qu'ils en ont eu eux-mêmes l'initiative. Grâce à l'analyse de ces listings, ils savent, dès 16 heures, le nombre exact de véhicules entrés après le camion en feu, "à un ou deux près". Curieusement, cette information ne serait pas remontée aux oreilles des responsables du tunnel. A 19 heures, lors d'une conférence de presse, Rémy Chardon, le président de l'ATMB, société concessionnaire française de l'ouvrage, se montre donc rassurant, évoquant la présence de seulement cinq véhicules dans le tunnel. "On est passé à côté d'une catastrophe majeure", précise-t-il. Des propos qu'il regrette amèrement aujourd'hui.

EXPLICATIONS EMBROUILLÉES

Comment en est-on arrivé là ? C'est ce qu'aimerait savoir le président Le Breton de Vannoise. Mais les explications embrouillées des prévenus ne l'éclairent pas beaucoup. Un élément troublant vient encore ajouter à la confusion. Le jour de l'incendie, un ingénieur de l'ATMB a noté scrupuleusement l'ensemble des informations parvenues à la salle de régulation. Dans ses notes manuscrites, il indique: "12 h 14, vingt véhicules bloqués sur un kilomètre". Aujourd'hui, il ne se souvient plus qui lui a donné l'information. Mais il est formel: il l'a forcément répercutée à sa hiérarchie. Le contraire serait d'ailleurs surprenant puisque c'est M. Roncoli lui-même qui l'avait chargé de tenir cette main courante. Mais celui-ci nie en avoir eu connaissance. Peut-il faire autrement ? Admettre avoir été informé dès le début de l'après-midi reviendrait à reconnaître avoir menti à sa hiérarchie, puisque Rémy Chardon, à l'en croire, n'avait pas eu connaissance de ce chiffre quand il parle aux médias.

La situation est intenable pour Gérard Roncoli, et son ex-PDG l'a bien compris. Alors, quand celui-ci s'approche de la barre, c'est pour sermonner son subordonné. "Je suis un peu atterré et je tombe de haut, dit-il. Je découvre moi aussi à cette audience des choses que j'ignorais. Je comprends mieux la colère des familles et je leur présente mes regrets et mes excuses. Nous n'avons pas le droit d'être arrogant et j'invite mes anciens collaborateurs à y prendre garde. C'est bien le minimum que nous devons aux familles." Ce faisant, M. Chardon ouvre une brèche. Jusqu'à présent, la défense des prévenus français apparaissait bien monolithique. Une seule stratégie pour tous: restés soudés et attaquer leurs homologues italiens pour mieux se dédouaner. Aujourd'hui, assistant à la déroute de Gérard Roncoli, Rémy Chardon a visiblement préféré faire cavalier seul.

Acacio Pereira
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / France
Le juge chargé de l'enquête sur la FNSEA demande la saisine de la Cour de justice de la République

 L' enquete sur les financements clandestins de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) pourrait s'achever devant la Cour de justice de la République (CJR). Dans une ordonnance adressée le 21 mars au parquet de Paris, le juge d'instruction Henri Pons sollicite la saisine de cette juridiction, seule compétente pour instruire et poursuivre les ministres mis en cause dans l'exercice de leurs fonctions.

Ouverte au mois de février 2000, l'information judiciaire relative aux détournements de subventions agricoles dont aurait bénéficié le syndicat, entre 1991 et 1999, pourrait en effet impliquer deux anciens ministres de l'agriculture ­ Philippe Vasseur (1995-1997) et Jean Glavany (1998-2002) ­ ainsi qu'un ancien ministre de l'économie et des finances, Jean Arthuis (1995-1997).

La demande implicite de poursuites contre ces trois anciens membres du gouvernement marque la fin de l'instruction du juge Pons, qui a notamment conduit à la mise en examen, pour "complicité et recel d'abus de biens sociaux", de Luc Guyau, président de la FNSEA de 1992 à 2001, et de plusieurs autres dirigeants du syndicat, ainsi que du député européen (UMP) Joseph Daul, président de la Confédération nationale de l'élevage (CNE), et du PDG de la société financière Unigrains, Henri de Benoist, également ancien vice-président de la FNSEA.

Répondant au juge Pons, le parquet de Paris a préconisé, il y a quelques jours, la poursuite de l'instruction, rejetant ainsi implicitement la saisine de la CJR. Mais le juge semble décidé à passer outre: il a notifié aux parties, vendredi 1er avril, la fin de son enquête, prélude au prochain renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel, parallèlement à la saisine de la CJR pour le cas des ministres visés.

Conduites par le magistrat et la brigade financière à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile de la Coordination rurale, organisation concurrente de la FNSEA, les investigations ont mis en lumière l'existence d'un système institutionnalisé: le produit d'une taxe parafiscale sur les ventes de céréales ­ la Fasc (Financement des actions du secteur céréalier) ­ était versé sur les comptes de deux fonds de solidarité gérés par Unigrains puis transféré en partie, sous diverses formes, au bénéfice de la FNSEA (Le Monde du 13 février 2004).

TAXE CÉRÉALIÈRE

Au total, les enquêteurs contestent l'utilisation de 16 millions d'euros (105 millions de francs), dont 2,9 millions auraient servi à acquitter, de 1991 à 1999, les cotisations d'associations affiliées au syndicat, et 1,5 million au paiement des salaires de ses permanents, via des subventions versées par Unigrains à la CNE sous couvert d'"études sur le secteur de l'élevage". Une partie des sommes aurait en outre été consacrée à l'établissement du bureau de la FNSEA à Bruxelles ainsi qu'aux célébrations du cinquantenaire du syndicat, en 1996.

Dans un rapport daté du 7 janvier 1999, la Cour des comptes avait stigmatisé ces pratiques, estimant que la dérivation des sommes issues de la taxe céréalière au profit de la CNE et de la FNSEA constituait "un véritable détournement des procédures de décision" telles qu'elles avaient été fixées par une convention signée entre l'Etat et les céréaliers en 1983. A cet égard, la juridiction financière déplorait "l'inertie des ministères de tutelle" (l'agriculture et les finances), constatant qu'"en dépit de son irrégularité manifeste, la subvention annuelle à la CNE destinée à verser sa cotisation à la FNSEA a même fait l'objet d'une approbation écrite des ministres". En réalité, les perquisitions effectuées par le juge et les policiers dans les ministères semblent avoir permis la découverte de courriers attestant l'accord des ministres successifs, sans toutefois que ces pièces comportent leur signature. A une cruelle exception près: M. Glavany qui, ministre du gouvernement de Lionel Jospin ­ et actuel député (PS) des Hautes-Pyrénées ­, prit acte des critiques de la Cour des comptes et décida, en mars 1999, de mettre un terme au système contesté, mais autorisa par écrit que les subventions versées par Unigrains soient "pour la dernière fois et à titre exceptionnel accordées".

Cet ultime répit, consenti sur l'insistance des dirigeants de la FNSEA, proches de l'actuelle majorité ­ soit l'opposition de l'époque ­, piège l'ancien ministre, puisque sa signature seule permit, cette année-là, le déblocage des fonds au profit du syndicat. Il atteste aussi, de fait, la connaissance qu'avait de ces pratiques le ministère de l'agriculture ­ ce qui fut confirmé peu ou prou par la plupart des hauts fonctionnaires interrogés durant l'enquête.
"JE ME SENTAIS COUVERT"

Seul l'ancien directeur du cabinet de Louis Mermaz, ministre (PS) de l'agriculture de 1990 à 1992, a contesté avoir été informé de la destination réelle des subventions d'Unigrains. "Les contacts entre le ministère et la FNSEA étaient à l'époque extrêmement tendus, a-t-il déclaré au juge. Je ne conçois pas que nous ayons avalisé de telles opérations."

A l'inverse, M. Daul a assuré que les sommes qui transitaient par la CNE "servaient à payer les cotisations de certaines associations à la FNSEA", ajoutant: "Cela se faisait avec l'accord des ministères de l'agriculture et des finances." Président de l'un des fonds gérés par Unigrains, Eugène Schaeffer, ancien vice-président de la FNSEA, a certifié, lui, avoir agi "sous la tutelle des fonctionnaires des ministères", précisant: "S'ils étaient d'accord pour les financements accordés (...), je me sentais couvert par un tel aval de la tutelle politique."

Hervé Gattegno
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / Entreprises
Les ex-patrons de Morgan Stanley reviennent à la charge contre l'actuel PDG
New York correspondance

 H uit anciens dirigeants de la banque américaine Morgan Stanley souhaitent voir Robert Scott, un ex-président, remplacer l'actuel PDG Philip Purcell, ont-ils annoncé dans un communiqué mardi 5 avril.

La veille, espérant faire oublier le récent renvoi de deux de ses lieutenants, qui avait mis le feu aux poudres, M. Purcell a fait une annonce surprise, en promettant de se séparer de Discover, sa branche cartes de crédit. Mais les révoltés ne semblent pas près de se calmer. Morgan Stanley, résultat de la fusion en 1997 des activités bancaires de Morgan Stanley et de l'expert en cartes de crédit Dean Witter, n'a semble-t-il jamais vraiment digéré le mariage.

"Depuis cinq ans, observe Richard Bove, analyste de la banque d'investissement Punk Ziegel, les autres grandes institutions financières new-yorkaises ont fait croître leurs bénéfices. Mais, chez Morgan Stanley, les bénéfices ont baissé et le chiffre d'affaires aussi." L'action Morgan Stanley, qui, il y a trois ans, planait aux alentours de 110 dollars, s'échange aujourd'hui à 56,60 dollars. Et les fameux "huit" qui possèdent ensemble 11 millions de titres ont vu la valeur de leurs actions perdre 100 millions de dollars.

SE SÉPARER DE DISCOVER

Morgan Stanley souffre de deux maux. Ses activités boursières avec les petits investisseurs sont à la traîne. Les concurrents de Merrill Lynch ou de Wachovia "approchent la clientèle en équipe, explique M. Bove. Ils viennent à deux ou trois visiter leur client et proposent tout un éventail de services financiers: actions, assurance-vie, prêts immobiliers, prêts automobiles..." Leurs homologues de Morgan Stanley travaillent seuls et ont un portefeuille d'offres moins large. Cette activité en pâtit.

De même, la carte de crédit Discover déçoit. En 2004, elle s'est vu reléguer à la septième place au palmarès réalisé par Nilson Report. Cet important émetteur de cartes de crédit, avec 50 millions de membres et 48 milliards de dollars de crédits sous gestion, voit sa part de marché aux Etats-Unis se cantonner à 6,5%, loin derrière JP Morgan Chase, premier avec 19%.

Donner son indépendance à cette division permettrait à M. Purcell de verser aux actionnaires un dividende exceptionnel. Il s'agit d'un tournant à 180 degrés de la stratégie poursuivie jusque-là, la direction ayant toujours refusé de se séparer de la division.

Pour l'instant, M. Purcell conserve la confiance de son conseil d'administration. Onze de ses membres sont des fidèles. Il y a même, parmi eux, Edward Brennan, l'ancien PDG des grands magasins Sears, à qui appartenait Discover. Mais si Morgan Stanley n'améliore pas ses performances, les administrateurs finiront par entendre la gronde.

Caroline Talbot
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / Entreprises
Finance
L'OPA d'Axa Private Equity sur Camaïeu pourrait se solder par un échec

 D ifficile pour un fonds d'investissement de faire sortir une entreprise de la Bourse. Surtout quand les fonds spéculatifs (hedge funds, en anglais) s'en mêlent.

L'exemple de la société Camaïeu est particulièrement illustratif. L'offre publique d'achat (OPA) qu'Axa Private Equity (Axa PE) a lancée, via la financière Addax, sur les 54% du capital de l'enseigne de prêt-à-porter féminin encore cotés devrait être un échec. Ouverte le 23 février, l'opération s'est terminée le 31 mars. Les résultats définitifs seront communiqués par l'Autorité des marchés financiers (AMF) au plus tard le 13 avril. Mais, déjà, Dominique Gaillard, membre du directoire d'Axa PE, regrette: "Cela m'étonnerait que le résultat de l'opération soit un succès."

De fait, le titre Camaïeu ayant côtoyé les 90 euros pendant toute la durée de l'offre, soit 5 euros de plus que ce que proposait le fonds (85 euros), peu d'investisseurs auraient accepté de vendre leurs titres au fonds. Par ailleurs, le 4 avril, Sandell Asset Management, un fonds spéculatif américain, a déclaré à l'AMF détenir 10,43% du capital de Camaïeu (8,45% des droits de vote), et avoir l'intention de poursuivre ses acquisitions dans les mois à venir.

Coup dur pour Axa PE: dans ces conditions, le fonds ne pourra pas retirer Camaïeu de la cote. En droit boursier français, il faut en effet pour cela détenir 97% des droits de vote de la société visée. Il sera donc obligé de composer avec des actionnaires minoritaires, alors que son intention première était d'avoir la haute main sur Camaïeu, l'une des perles du second marché parisien.

L'enseigne française, concurrente des Pimkie, Etam et autres H & M, a de quoi faire saliver. Sa marge opérationnelle a crû jusqu'en 2003. La chaîne d'habillement continuait d'afficher en 2004, malgré les difficultés du secteur, une marge nette de 10,4%, pour un chiffre d'affaires en hausse de 8,2%, à 393,3 millions d'euros.

En janvier, Axa PE a d'abord acquis 39,8% du capital et 55,1% des droits de vote de l'enseigne, au prix de 85 euros l'action. Une opération de LBO (rachat avec de l'endettement) classique, dans le cadre du désengagement des actionnaires historiques, les familles Torck et Giraud-Verspieren. Le fonds affiche un objectif: étendre le réseau des magasins Camaïeu à l'étranger. La revente, dans quelques années, de l'entreprise à un industriel, à un autre fonds ou sa réintroduction en Bourse, lui permettrait alors de réaliser sa plus-value.

OFFRE TROP MODESTE

L'échec probable de l'OPA aura une autre conséquence désagréable pour Axa PE: l'impossibilité de profiter de l'"intégration fiscale". S'il ne détient pas 97% du capital de Camaïeu, le fonds ne pourra, en effet, pas déduire les intérêts de la dette d'acquisition de l'assiette fiscale du groupe formé par Camaïeu et la société holding créée pour racheter l'enseigne.

"Les "hedge funds" qui se sont invités au capital de Camaïeu pendant l'OPA spéculaient sur une surenchère d'Axa Private Equity, sachant l'intérêt du fonds à sortir l'entreprise de la cote", selon Sébastien Faijean, directeur associé du cabinet d'analyse financière IDMidCaps. Si telle était leur stratégie, les fonds spéculatifs ne sont pas parvenus à leur fin: Axa PE a choisi de ne pas relever son offre, comme il en avait pourtant le droit, jusqu'à cinq jours de négociation avant la fin de l'OPA.

François Badelon, gérant du fonds Sextant PEA, a une autre analyse: "Les "hedge funds" investissent en se disant: si Axa, qui a dû très bien analyser le dossier, l'a fait, c'est que cela en vaut la peine."

Le prix de 85 euros par action Camaïeu a été jugé recevable par l'AMF, et affiche une prime d'environ 15% par rapport au cours moyen des trois mois précédant l'OPA. Des gestionnaires de fonds de placement collectif ont pourtant trouvé l'offre trop modeste.

De fait, ces gestionnaires entretiennent en ce moment des rapports compliqués avec les spécialistes des LBO, qui font depuis quelque temps leur marché sur la Bourse. "Ils ne sont pas contents. Ils ont sans doute le sentiment d'être privés d'une belle histoire boursière. Par ailleurs, en cas d'apport de titres à l'OPA, ils vont disposer de liquidités qu'ils vont devoir réinvestir, ce qui n'est pas forcément évident dans le marché actuel", explique Delphine Maillet, analyste chez Portzamparc.

Cécile Ducourtieux
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / International
POLITIQUE
L'Irak, en guerre, se dote d'un premier exécutif élu

 L' élection, mercredi 6 avril, du représentant d'une ethnie minoritaire ­ en l'occurrence, le Kurde Jalal Talabani ­ à la présidence de la République, constitue une "première" en Irak et un événement inédit dans la région. Après la nomination d'un autre Kurde, Hoshyar Zebari, à la tête du ministère des affaires étrangères dans le gouvernement sortant, l'accession de M. Talabani à la présidence devrait, en effet, contribuer à ancrer la minorité kurde, qui représente quelque 20% des 26 millions d'Irakiens, dans le tissu national, et à écarter le spectre de velléités sécessionnistes que la répression du régime déchu de Saddam Hussein et de ceux qui l'ont précédé avait contribué à entretenir.

Saddam Hussein a pu voir l'élection en vidéo
Saddam Hussein a assisté, mercredi 6 avril, à la projection d'un enregistrement vidéo montrant l'élection de son successeur à la présidence de l'Irak et a été choqué par ce qu'il a vu, a déclaré le ministre irakien des droits de l'homme, Bakhtiar Amine. "Il était nettement irrité. Il a pris conscience que tout était terminé, qu'un processus démocratique avait été mené à bien et qu'il y avait un nouveau président élu", a dit le ministre. "Ce n'était pas seulement parce qu'il y avait un nouveau président, mais parce que ce président était un Kurde. Et le président par intérim est devenu vice-président. Qui plus est, tout cela s'est fait sans effusion de sang", a-t-il ajouté. L'enregistrement vidéo de l'élection présidentielle projeté à l'ancien dictateur a ensuite été montré à onze autres caciques de l'ancien régime qui, comme Saddam Hussein, n'avaient pas été autorisés à regarder la télévision depuis leur capture. ­ (Reuters.

Pour les pays voisins de l'Irak, cette intégration est à double tranchant: rassurante pour l'unité du territoire irakien, à laquelle tous les Etats riverains se disent attachés, elle n'en est pas moins inquiétante, parce que lourde de promesses pour les droits souvent bafoués de leurs propres minorités, qu'elles soient ethniques ou religieuses.

M. Talabani et ses deux vice-présidents, le sunnite Ghazi Al-Yaouar et le chiite Adel Abdel Mahdi (qui est aussi citoyen français depuis ses années d'exil), ont obtenu les suffrages de 228 des 275 députés membres de l'Assemblée nationale intérimaire. Deux cent cinquante-sept députés étaient présents lors du vote. La "troïka" de ce conseil présidentiel devait prêter serment jeudi. Le vote tenait de la simple formalité, dans la mesure où le choix de cette "troïka" avait fait l'objet d'un accord préalable.

La même procédure a d'ores et déjà permis la nomination du futur chef du gouvernement, qui a été officiellement désigné jeudi, après la prestation de serment. Il s'agit du chiite Ibrahim Al-Jaafari, qui dirige le parti islamiste Al-Daawa. Après la formation du gouvernement, la priorité des nouvelles institutions devra être l'élaboration d'une Constitution définitive avant la date limite du 15 août.

Dès son élection, M. Talabani a promis de mériter la confiance des élus, de s'employer à instaurer la démocratie et à "déraciner la corruption, le racisme et le terrorisme". Il a établi une distinction entre les Irakiens "qui ont porté les armes pour des raisons patriotiques, contre la présence de forces étrangères", qui "sont nos frères, avec lesquels il est possible de dialoguer et de parvenir à une solution" et les "criminels" alliés du réseau terroriste Al-Qaida.

FÉLICITATIONS TURQUES

M. Talabani s'est également engagé à rétablir la sécurité, de sorte que les forces de la coalition conduite par les Américains "puissent rentrer dans leurs pays après avoir fini de mettre sur pied des forces armées - irakiennes - capables d'éradiquer le terrorisme".

Il a prôné des "relations équilibrées" avec les pays voisins, qu'il a invités à traiter l'Irak "avec respect", à "ne pas s'immiscer dans ses affaires intérieures" et à "ne pas aider les terroristes qui mènent une guerre d'extermination contre le peuple irakien".

La Turquie a rapidement réagi, pour s'en féliciter, à l'accession de M. Talabani à la présidence irakienne. Ankara, qui a toujours suspecté les Kurdes irakiens de velléités séparatistes, en particulier depuis l'instauration, en 1992, d'une zone autonome kurde dans le nord de l'Irak, quasi indépendante du pouvoir central, redoutait les incidences probables d'un séparatisme sur sa propre minorité kurde. "M. Talabani est un homme politique chevronné qui accorde de l'importance à l'unité de l'Irak", a déclaré, mercredi, le chef de la diplomatie turque, Abdullah Gül.

La Ligue arabe, le Conseil de coopération du Golfe, le Qatar et les Emirats arabes unis ont officiellement exprimé leur satisfaction.

Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / International
Djibouti: une élection présidentielle gagnée d'avance

 L es Djiboutiens ont voté vendredi 8 avril pour élire leur président. Un scrutin très particulier, car le chef de l'Etat sortant, Ismaël Omar Guelleh, est le seul candidat et est assuré de l'emporter, l'opposition ayant appelé au boycott du scrutin.

Aucun quorum de participation n'est requis. L'élection de M. Guelleh pour un second mandat présidentiel de six ans est donc acquise. Les premiers résultats sont attendus dans la nuit de vendredi à samedi.

M. Guelleh, 57 ans, est au pouvoir depuis 1999 à Djibouti, ancienne colonie française de quelque 600 000 habitants, située dans la Corne de l'Afrique et qui accueille des bases militaires française et américaine. C'est la première fois depuis l'introduction du multipartisme à Djibouti en 1992 qu'un seul candidat se présente à l'élection présidentielle.

L'opposition, qui manque cruellement de leader charismatique depuis la mort en 2004 de l'ancien premier ministre Ahmed Dini Ahmed, a décidé de boycotter le scrutin, affirmant que l'élection serait truquée. Interrogé sur ce point, le chef de l'Etat, qui a voté à Djibouti-Ville, a répondu: "Ils (les membres de l'opposition) ont eu peur de s'engager dans la bataille. La prochaine fois, ils seront mieux organisés."

SEULE INCONNUE: LE TAUX DE PARTICIPATION

Entre 300 et 500 partisans de l'opposition se sont réunis vendredi matin dans la capitale, avant d'être dispersés par la police à l'aide de gaz lacrymogène, a constaté un journaliste de l'AFP. Une centaine de personnes ont été interpellées et plusieurs opposants blessés, selon le leader de l'opposition, Ismaël Guedi Hared.

"La campagne électorale a pris fin mercredi soir à minuit, les attroupements ne sont pas permis", a expliqué le ministre de l'intérieur, Abdoulkader Doualeh Wais. "Le gouvernement a perdu le contrôle et a tiré sur ces gens car il est en perte de vitesse électorale", a estimé M. Guedi.

La seule inconnue du scrutin, qualifié de "mascarade" par l'opposition, réside dans le taux de participation et dans celui de bulletins nuls et blancs. Cependant, seuls des bulletins verts au nom de M. Guelleh étaient disponibles vendredi. "Pour exprimer leur mécontentement, les électeurs peuvent laisser l'enveloppe vide", a estimé un président de bureau de vote, Abdallah Mohamed Hersi.

A la mi-journée, le taux de participation moyen était de 39%, selon le ministère de l'intérieur. De son côté, M. Guedi a affirmé, à une heure de la fermeture des bureaux de vote, que le boycott était "très bien suivi, par environ 80% des électeurs".

UN MATCH AVEC UNE SEULE ÉQUIPE

L'Etat a affrété des bus pour amener les électeurs dans des bureaux de vote et avait prévu de livrer de la nourriture aux électeurs, a constaté l'AFP. "Le président œuvre pour la paix", a estimé Amina Omar Ibrahim, une Djiboutienne de 70 ans.

Lors du premier mandat de M. Guelleh, en 2001, des accords de paix ont été signés, mettant fin à la guerre civile. "Je trouve que c'est normal qu'il y ait un seul candidat car il est le seul à avoir un programme", a estimé Kaissali, un étudiant de 18 ans.

"Pourquoi je me déplacerais pour voter ? C'est comme un match de foot à une seule équipe. Ça n'a pas de sens", a estimé pour sa part un chauffeur de taxi. "Mais l'opposition, je ne leur fais pas confiance. Elle travaillait avec [Hassan] Gouled [Aptidon]", le précédent président, dont M. Guelleh était le chef de cabinet, a-t-il fait remarquer.

L'ouverture des bureaux de vote, qui avait été retardée d'environ 45 minutes le matin, a été prolongée d'une heure, jusqu'à 19 heures (18 heures à Paris), a indiqué la Commission électorale nationale indépendante. Cependant, le message ne semblait pas être passé partout, puisque certains ont fermé dès 18 heures à Djibouti, a constaté l'AFP.

Selon un observateur occidental, sur des listes électorales figurent plus d'électeurs que de foyers répertoriés dans la circonscription, une source possible, selon lui, de trucage.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 08.04.05


Le Monde / International
Skopje s'en tient à sa solution sur le nom de la Macédoine

 L e premier ministre macédonien, Vlado Buckovski, a déclaré, vendredi 8 avril, que Skopje maintenait sa proposition pour régler la querelle qui l'oppose à Athènes sur le nom de l'Ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM), la considérant comme un meilleur compromis que celui présenté auparavant par l'ONU.

"Notre position est claire, la double formule est sur la table et nous la considérons comme un bien meilleur compromis" que celui proposé par l'ONU, a déclaré M. Buckovski à la presse. "Nous nous attendons à ce que les négociations [à ce sujet] se poursuivent lundi à New York", a-t-il ajouté, se refusant à tout autre commentaire.

La double formule proposée par Skopje consisterait à faire utiliser le nom de "République de Macédoine" par tous les pays et organisations à l'exception de la Grèce, avec laquelle un nom convenant aux deux parties impliquées dans cette dispute longue de plus d'une décennie serait précisé lors de pourparlers bilatéraux.

"REPUBLIKA MAKEDONIA-SKOPJE"

L'ONU a proposé de donner le nom international officiel de "Republika Makedonia-Skopje" à l'ARYM, a annoncé vendredi le ministre des affaires étrangères grec, Pétros Molyviatis.

Cette proposition a été faite par Matthew Nimetz, le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, sur l'affaire macédonienne, dans le cadre de négociations engagées depuis 1993 sous l'égide de l'ONU et relancées en décembre 2004.

Selon M. Molyviatis, cette solution "ne satisfait pas entièrement la Grèce, mais constitue une base de négociations auxquelles la Grèce est prête à participer dans un esprit positif et constructif".

Bloquant depuis 1991 la reconnaissance internationale de la Macédoine sous ce nom, la Grèce déniait à sa petite voisine du Nord le droit de porter le nom de "Macédoine ou l'un de ses dérivés", car elle estimait que ce terme appartenait exclusivement à son patrimoine national.

En novembre 2004, Washington avait reconnu l'ARYM sous le nom de République de Macédoine, infligeant un camouflet diplomatique à la Grèce. Athènes a alors menacé de bloquer l'entrée de la Macédoine dans l'UE et l'Alliance atlantique si une solution de compromis n'était pas trouvée.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 08.04.05


Le Monde / Société
Une institutrice en larmes: "Je suis passée à côté de quelque chose"
Angers de notre envoyé spécial

 J osèphe Tibault a étouffé un sanglot. "Qu'est-ce qui provoque cette émotion, madame ?", a doucement demandé le président de la cour d'assises de Maine-et-Loire. "C'est me rendre compte que je suis passée à côté de quelque chose." Effectivement. L'enseignante a eu la petite Marine V., en septembre 2000, dans sa classe de maternelle. Elle la trouvait "timide, effacée, secrète". Et tellement fatiguée. Elle a convoqué les parents, qui lui ont expliqué que c'était parce que la petite avait la télévision dans sa chambre. La fillette a en fait été abusée par 45 personnes, entre 1999 et 2002. L'institutrice n'est pas la seule à n'avoir rien vu. Elle est la seule à en pleurer, mercredi 6 avril, au procès d'un réseau de pédophilie, à Angers.

En novembre 1999, une précédente école avait prévenu Karine Hamy, l'assistante sociale de secteur, que Marine faisait des siestes "à caractère masturbatoire". Le 30 novembre, la petite raconte qu'il y a "un monsieur avec une cagoule qui fait des guilis". "C'est sans doute ton papa", propose la dame de service. La petite ne répond pas, et ajoute: "Ma maman est morte."

En octobre 2000, une lettre anonyme assure que Franck V. frappe ses enfants. Nouveau signalement, suivi d'un autre, en mars 2001, lorsque l'école découvre Marine et, couché sur elle, un petit copain qui explique: "C'est comme ça qu'on fait chez Marine." La petite précise que "maman rit et prend des photos". En juin 2001, les services sociaux découvrent que la mère, Patricia V., frappe son petit dernier dans la salle d'attente. Les enfants sont placés en juillet 2001. Mais seulement parce que Franck V. a avoué qu'il cognait Marine et qu'il avait abusé de sa jeune cousine.

C'était pourtant une famille surveillée comme le lait sur le feu par six intervenants sociaux, de la psychologue au médecin de la protection maternelle et infantile. L'assistante sociale, "par respect pour la famille", prévenait toujours de ses visites. "Vous avez le sentiment d'avoir été instrumentalisée par les V. ?", demande le président. "Aujourd'hui, on peut le dire, convient-elle. Ils ont mis tout en oeuvre pour donner le change."

Martine Burel, puéricultrice au conseil général, avait bien isolé "les carences importantes" et les retards des petits V. Elle était plutôt favorable à un placement dès 1999. "Mais, affirme-t-elle, notre hiérarchie nous a dit, il vaudrait mieux une IOE (investigation et orientation éducative, une mesure d'enquête) avant un placement en urgence, toujours douloureux." Moins que les viols, pourtant...

"Les responsables, ce ne sont pas les services sociaux ou la justice, comme on essaie de nous le faire croire, s'énerve Ivan Auriel, l'avocat général. Ce sont ceux qui ont commis les faits." Marie-Françoise Berthelot, éducatrice spécialisée, admet qu'elle a été trompée par les V. "Vous avez dix-neuf ans d'expérience, résume crûment Me Patrick Descamps, l'un des avocats de la défense, vous êtes assistée d'une psychologue, vous êtes face à des gens qui ont un quotient intellectuel de 70 et vous êtes manipulée ?" "On peut avoir un QI de 70 et être futé", répond faiblement Mme Berthelot.

Marie Guilmin, psychologue du conseil général, a entendu, durant des heures Nathalie V., la tante de Franck, parler de suspicions d'abus sexuels sur sa fille Armelle. La maman a porté plainte dès décembre 1999 et multiplié les démarches. Elle était en guerre ouverte contre son ex-époux et avait elle-même été abusée par son frère. "Il y avait un parallèle entre Nathalie V. et sa fille qu'elle mettait toujours en avant, s'est excusée la psychologue, jeudi 7 avril. Elle disait: "Armelle, c'est une autre Nathalie." On pensait que c'était une part de projection." Franck Johannès
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Société
Le réquisitoire d'un couple de restaurateurs contre la justice

 L e plus remarquable, c'est qu'aucune aigreur ne l'habite. Jacques Esnault, 60 ans, emporté depuis 1989 dans un combat judiciaire qu'il n'avait pas souhaité, pourrait vivre plein de haine. A la suite d'une décision de justice erronée, quarante-trois procès civils ont conduit à la ruine cet ancien restaurateur et sa femme Nelly. Son livre contient certes de l'indignation. Mais, selon son auteur, "il n'est pas un règlement de comptes", plutôt "un message d'espérance pour tous les mutilés des tribunaux".

Pour le couple, tout a basculé le 6 novembre 1986, avec une décision de la cour d'appel de Rennes. Les époux avaient assigné leurs propriétaires pour les contraindre à engager des travaux nécessaires à la remise aux normes de leur hôtel-restaurant de Fougères (Ille-et-Vilaine). La cour les a déboutés et a déclaré, en dépit de la réalité qu'attestent des documents et photos de l'époque, que l'immeuble était en "ruine". L'arrêt n'a pas été contesté devant la Cour de cassation. Il a transformé un banal conflit locatif en cauchemar. Le couple, malade et exténué, perdra progressivement son outil de travail et sera expulsé.

Cette vie d'enfer, M. Esnault l'a écrite comme un roman, mais avec "un besoin de vérité". Il fallait que tous sachent: "Quand on est commerçant, les gens voient la vitrine, pas ce qu'il y a derrière. Pendant toutes ces années, nous avons dû faire bonne mine quand nous étions au bord des larmes."

Le parcours du combattant des époux Esnault avait relancé le débat sur la responsabilité des magistrats (Le Monde du 19 janvier 2000). Quand ils ont obtenu du tribunal, en novembre 2000, la reconnaissance d'une faute lourde de l'Etat et le versement d'une indemnité de 1,2 million de francs, le couple rennais a de nouveau fait la "une" des médias. Pour obtenir cette réparation, ils ont dû explorer tous les méandres de l'institution, des salles d'audiences jusqu'aux cabinets des gardes des sceaux, Jacques Toubon, puis Elisabeth Guigou.

"ARRÊT PLUS OU MOINS BÂCLÉ"

Car, rappelle M. Esnault, la chancellerie n'a jamais accepté de reconnaître son dysfonctionnement. L'affaire, pourtant, a donné lieu à un événement rarissime: un magistrat a confessé, par écrit, s'être trompé. Alain Le Caignec, aujourd'hui à la retraite, présidait la chambre qui, en 1986, a débouté le couple. Le livre rend pourtant hommage à "l'exceptionnel comportement" de cet homme, "seul magistrat de France qui ait osé reconnaître par écrit qu'il s'était trompé en pointant clairement la responsabilité de l'institution judiciaire en ce qu'elle ne donne pas à ses juges les moyens nécessaires pour assumer convenablement et sereinement leur fonction".

M. Le Caignec a confié en 1995, dans une lettre: "Le réexamen des pièces du dossier m'a laissé, et cet aveu me coûte, outre qu'il est tout à fait inusité pour un magistrat, une impression désagréable d'arrêt plus ou moins bâclé." En 1997, dans un autre courrier aux Esnault, le magistrat ajoutait: "Je garde un tenace remords de n'avoir pu mieux faire, malgré les durs reproches qui m'ont été adressés pour cela." Son initiative a sauvé le couple Esnault d'une noyade définitive. Mais elle a stoppé net la carrière de M. Le Caignec et provoqué une réaction de forteresse assiégée de l'institution.

Ni Jacques Toubon ni Elisabeth Guigou n'ont accepté de transiger à l'amiable. Malgré plusieurs engagements oraux, la chancellerie a tenté par de nombreux moyens de différer la reconnaissance de sa faute.

Une inspection générale a été dépêchée à la cour d'appel de Rennes. M. Esnault, grâce à sa ténacité, a obtenu son rapport: "Ce qui ressort essentiellement, ce sont les efforts déployés par les inspecteurs pour isoler la responsabilité de M. Le Caignec tout en cherchant à déresponsabiliser l'administration judiciaire", écrit-il. L'inspection concluait que les juges avaient effectué un travail de qualité.

Les époux Esnault ont chiffré leur préjudice à 915 000 euros. La justice leur a finalement accordé en 2002, en appel, une somme de 365 900 euros. Ils ne l'acceptent toujours pas: "Ce jugement occulte la responsabilité de l'institution judiciaire", affirme M. Esnault. Il n'a jamais réussi à retrouver du travail et va toucher sa première retraite, 274 euros mensuels. Son épouse est en invalidité depuis sept ans. "Il ne faut jamais abandonner. Arrive un temps où les dieux vous sourient", pense-t-elle, en affirmant vouloir continuer à se battre.

La justice bâclée de Jacques Esnault
Ed. Apogée, 304p., 19 €

Nathalie Guibert
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Société
"Il y a eu des pains dans la tronche, c'est pas des méthodes"

 N om de code de l'opération: "Mobylette perdue". La journée d'occupation des lycées, jeudi 7 avril, avait été bien préparée à Paris. "On s'est passé des petits papiers. Après, on les a mangés. C'est comme ça que les RG n'ont pas su ce qu'on allait faire", explique Sarah, persuadée, comme bon nombre de lycéens, que les téléphones portables sont "sur écoute".

Le soir, l'équipée se termine devant la Sorbonne. Quelques centaines de lycéens, sont là, choqués, face à un impressionnant contingent de CRS. "Il y a eu des lycéens cassés. Il y a eu des pains dans la tronche, c'est pas des méthodes", dit Benoît. L'occupation du rectorat, dont les vitres du rez-de-chaussée ont été brisées, a viré au cauchemar. "Beaucoup sont sortis en pleurs. Il y a eu un bras cassé. Une fille s'est fait traiter de sale petite pucelle par un garde mobile", raconte Claire. "Tout le monde hurlait, c'était horrible", témoigne une autre lycéenne.

Cela fait des semaines qu'ils tournent ensemble, ces jeunes de Sophie-Germain, Simone-Weil, Arago, Claude-Bernard, Claude-Monet et d'autres, d'assemblées générales en occupations d'établissement. La plupart sont en première ou en terminale. Jeudi soir, ils oscillent entre révolte et écoeurement. "On voulait s'asseoir pacifiquement devant le ministère de l'éducation nationale, mais les CRS nous ont encerclés et nous ont tapés", témoignent Alexis, Christophe et Carine. Benoît s'indigne: "Il y en a un qui a sorti sa matraque et qui a soufflé dessus, lentement, pour nous montrer qu'il la chauffait. C'est pas de la provocation, ça ?"

Le rendez-vous était à Barbès, à 10 heures. Au programme: le ministère, le rectorat et quelques "intrusions" dans des établissements, comme l'on dit à l'éducation nationale. La "tournée" comprenait Charlemagne, Buffon, Voltaire, Molière, Fénelon: pour la plupart des lycées réputés ou des beaux quartiers.

"ON DIRAIT TROP DES PLAYMOBIL"

A Fénelon, dans le 6e arrondissement, les entrées ont été filtrées toute la matinée. Puis, à l'heure de la cantine, le lycée a été envahi. Les rumeurs courent. "La CPE -conseillère principale d'éducation- s'est fait plaquer contre la porte, une infirmière a mordu un élève. La proviseure est partie en pleurant, c'est son mari qui est venu la chercher", racontent plusieurs élèves, mentionnant aussi l'arrivée des forces de l'ordre et deux arrestations.

"La violence, c'est un truc terrible. On était pacifiques. Mais quand on a vu l'attitude des CRS, la haine est montée et on a eu envie d'être violents aussi", explique Sarah, un peu chamboulée. Sa copine, Claire, rend hommage à ses professeurs de Claude-Monet: "Ils nous expliquent comment faire pour rester dans la légalité. Ils sont super-solidaires."

Les étudiants de la Sorbonne, eux, sont restés à la fenêtre. Les lycéens espéraient les faire descendre. Sans succès. "On ne sait pas s'ils s'en fichent ou s'ils n'ont pas pu descendre à cause des CRS", se demande Thomas, dépité. Peu à peu, les cars de CRS quittent la rue qui longe l'université. Les lycéens mi-bravaches, mi-potaches, les huent gentiment ou leur crient "salut, à demain !". L'un des policiers, à travers la vitre du car, fait le V de la victoire et sourit. Carine n'en revient pas: "Je les adore ces mecs. On dirait trop des Playmobil."

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Opinions
Ventre de Une
Siffloter "L'Internationale" peut coûter cher

 P endant sept secondes, dans son long métrage Insurrection résurrection, l'acteur et réalisateur Pierre Merejkowsky a siffloté L'Internationale. Comme ça, au débotté. Une improvisation. Une fantaisie qui pourrait coûter cher à son producteur, Les Films sauvages.

Jean-Christophe Soulageon, le directeur, a reçu une lettre sèche, en recommandé avec accusé de réception, de la Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique des auteurs compositeurs et éditeurs (SDRM), qui gère les droits d'auteur sur les supports cinématographiques. "Au cours d'un contrôle dans les salles de cinéma, nos inspecteurs musicaux ont constaté que l'œuvre L'Internationale avait été reproduite dans le film" sans autorisation. La SDRM demande donc 1 000 euros pour avoir omis de déclarer ce sifflotement, qui constitue une exploitation illégale d'une musique éditée par la société Le Chant du monde. M. Soulageon ignorait qu'un sifflotement valait chanson. Pis, il ne savait pas non plus que L'Internationale, dont la musique a été écrite par Pierre Degeyter (1848-1932) et les paroles par Eugène Pottier (1816-1887), n'était pas dans le domaine public. Membre du Parti ouvrier français, Pierre Degeyter a composé en 1888 ce qui est devenu par la suite l'hymne du mouvement ouvrier mondial. Le compositeur meurt en 1932 à Saint-Denis, "un peu dans la misère", malgré une petite pension de l'ambassade de l'URSS, précise Hervé Desarbre, le directeur du Chant du monde.

Selon la loi sur la propriété intellectuelle, cette œuvre ne tombera dans le domaine public qu'en 2014, souligne Philippe Lemoine, responsable des autorisations audiovisuelles de la SDRM. Aux soixante-dix ans de protection post-mortem de l'artiste, s'ajoutent les années de guerre. Le producteur a tenté, en vain, de négocier, en proposant 150 euros au Chant du monde. La société d'édition musicale des "grands Russes" (Chostakovitch, Prokofiev...) aurait préféré une demande préalable. L'épisode est d'autant plus rude que Les Films sauvages ne se sont guère enrichis avec le film de Pierre Merejkowsky. Sorti le 10 novembre 2004 dans une seule salle d'art et d'essai parisienne, ce long métrage a réalisé 203 entrées.

Pourquoi Pierre Degeyter n'est-il pas mort riche ? Chaque fois que L'Internationale était chantée en public, il aurait dû toucher des droits. "L'Union soviétique violait la loi en ne redistribuant rien aux ayants droit", déplore M. Desarbre. A la SDRM, on va plus loin: dans les congrès ou les réunions politiques, les organisateurs devraient prévenir et verser des droits après avoir chanté cet hymne révolutionnaire. Alain Krivine (LCR) s'en amuse: "Je n'ai jamais donné un sou à la Sacem, d'ailleurs on décide toujours au dernier moment de chanter, ça s'est fait des milliers de fois."

Nicole Vulser
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / France
Jean-Marie Le Pen attaqué sur "l'âge" de ses idées par le vice-président du FN

 C omme deux compères qui viennent de faire une bonne farce, Jean-Marie Le Pen et Jean-Claude Martinez, respectivement président et vice-président du Front national, rient en lisant des extraits du livre qu'ils présentent à la presse, jeudi 7 avril: une satire sur l'Union européenne et la Constitution, rédigée sous forme d'abécédaire par le vibrionnant député européen (J'apprends à lire la Constitution de A à Z, éd. Godefroy de Bouillon, 376 p., 33 euros). Le spectacle ne manque pas de piquant lorsque l'on sait qu'un autre ouvrage pourrait brouiller leur complicité de vingt ans. Son titre ? Lettre à mon président bien aimé.

Ecrit également par M. Martinez, il prend pour cible M. Le Pen. Son auteur en a livré la tonalité à plusieurs cadres du parti et les commentaires vont bon train au Paquebot, le siège du FN, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). L'inspirateur de nombreux discours du président du FN exerce cette fois son esprit caustique pour dénoncer l'atmosphère de fin de règne qui prévaut dans le mouvement.

"C'est un livre affectueux sur la forme, mais un peu dur sur le fond", reconnaît M. Martinez en soulignant qu'il attend la fin du référendum sur la Constitution européenne pour sa publication. "Je dis à Jean-Marie Le Pen: votre problème ce n'est pas votre âge, c'est l'âge de vos idées. Je lui propose de faire une révolution culturelle et de mourir en habit de lumière. S'il ne change rien, il finira comme le général Boulanger", raconte-t-il.

M. Martinez déplore l'absence de débat au FN. "Tout ce qu'on entend c'est: "Lève-toi de là que je m'y mette", affirme-t-il. La contestation existe, il aimerait qu'elle soit organisée: "Ce n'est pas Marine Le Pen qui peut le faire, elle serait accusée de trahir les mânes de son père, et Bruno Gollnisch ne le fera pas." Quant à Jacques Bompard, le maire (FN) d'Orange (Vaucluse), qui ne cache pas qu'il souhaite que M. Le Pen passe la main, "il s'est engagé dans un débat de gériatrie".

"Ce que je propose à Jean-Marie Le Pen, c'est de prendre trente ans d'avance au lieu de revenir sans arrêt soixante ans en arrière comme il l'a fait récemment", explique le député européen, faisant référence aux propos du président du FN sur l'occupation allemande (Le Monde du 13 janvier).

"J'ATTENDS QU'IL M'EN PARLE"

"Cela fait cinquante ans qu'il combat, il est temps qu'il se demande pourquoi ? Que veut-on ? Quelle est la finalité de notre combat ? Quelle route prendre ? La planète a changé, qu'est-ce que c'est que la défense de la nation française aujourd'hui ?", demande-t-il. Electron libre, M. Martinez a des suggestions. "Si la France veut survivre, il faut qu'elle parle des grands problèmes de l'humanité. Cela ne sert à rien de bétonner le territoire", défend-il, proposant à M. Le Pen "d'accéder à l'universalité en abordant au niveau mondial les problèmes qui agitent la planète: l'eau potable, l'influence climatique, l'immigration... Même le concept européen est déjà dépassé".

Si peu de gens au Paquebot suivent la vision universaliste de M. Martinez, beaucoup partagent son analyse sur l'atonie du parti. Interrogé sur les critiques de son vice-président, M. Le Pen joue l'étonné: "J'attends qu'il m'en parle." "Sera-t-il entendu ?", s'interroge, sur un ton dubitatif, chargé de regret, un proche de M. Le Pen.

Christiane Chambeau
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Europe
FOCUS
Une frénésie médiatique rarement égalée
Rome de notre correspondant

 A u petit matin, ils étaient déjà à leur poste. Sur la tribune provisoire érigée sur la place Saint-Pierre, les journalistes de télévision mettaient une dernière main à la présentation de la cérémonie des funérailles de Jean Paul II. Cravatés, maquillés, éblouis par les projecteurs, tournant le dos au parvis de la basilique, ils attendaient le premier "direct" de la journée. La plupart des télévisions qui ont retransmis la messe de funérailles en direct, vendredi 8 avril, proposaient, bien avant 10 heures, des émissions spéciales.

Les journalistes qui n'avaient pu trouver place sur ce poste avancé étaient au coude à coude sur un autre praticable, monté depuis plusieurs jours au bout de la via della Conciliazione, cette avenue rectiligne qui conduit du Tibre au Vatican. Les moins fortunés, installés sur un bout de trottoir, s'étaient juchés sur un escabeau dans l'espoir d'un cadrage plus avantageux. Même ceux qui, depuis des mois, voire des années, avaient loué à prix d'or des bureaux et des terrasses avec vue sur la coupole de Saint-Pierre, avaient préféré quitter leurs repaires pour être au plus près de l'événement: la messe la plus médiatisée de l'Histoire.

3 500 JOURNALISTES

Depuis les premières rumeurs de l'agonie du pape, le 31 mars, les camions régie, hérissés de paraboles, avaient pris position près du château Saint-Ange, formant une sorte de camp nomade planétaire, bourdonnant d'activité 24 heures sur 24. Les télévisions roumaine ou croate y côtoyaient l'armada des grands networks américains, mais aussi les équipes plus inattendues d'Al-Jazira et d'Al-Arabiya.

Au total, 3 500 journalistes ont été accrédités, et plusieurs centaines ont assisté à la cérémonie, debout comme les pèlerins, dans des enclos réservés de chaque côté de la place. Mais des milliers d'autres reporters ont sillonné Rome en tous sens pour couvrir un événement qui s'apparentait aux grandes manifestations sportives, improvisation en plus.

En Italie, toutes les chaînes, publiques et privées, ont retransmis les trois heures de cérémonie. Aux Etats-Unis, les réseaux ABC, CBS et NBC en ont fait autant, profitant des heures creuses de la nuit pour réaliser cette première. La frénésie médiatique mondiale autour du décès de Jean Paul II est à la mesure de la surexposition que lui-même a voulu pour l'Eglise catholique.

Un retour en arrière est-il possible ? Plusieurs prélats ont protesté, lors de la congrégation de mercredi, quand Mgr Josef Ratzinger, doyen du collège des cardinaux, a suggéré d'interdire tout entretien avec les médias avant l'ouverture du conclave.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / International
AUTOSUFFISANCE
La Chine n'a plus besoin de l'aide alimentaire étrangère

 L a Chine n'a plus faim. Le pays le plus peuplé du monde, qui a connu au début des années 1960 une famine dont le bilan est estimé à au moins 30 millions de victimes, n'a plus besoin d'aide alimentaire. Pour la dernière fois, un cargo a apporté, jeudi 7 avril à Shenzen, près de Hongkong, une livraison de blé expédié par le Programme alimentaire mondial (PAM). Les 43 000 tonnes de blé canadien transportées par le MV Blue Dream seront acheminées dans les régions les plus pauvres à l'ouest du pays (Gansu, Guangxi, Ningxia et Shanxi). Le gouvernement prendra ensuite le relais pour assister les 29 millions d'habitants très pauvres qui subsistent dans les zones rurales, selon la statistique officielle.

L'événement marque le succès de l'agriculture chinoise et de son économie. Alors que la Chine produisait de l'ordre de 90 millions de tonnes de céréales dans les années 1950, elle fournit aujourd'hui près de 400 millions de tonnes. Le pays, qui a atteint l'autosuffisance alimentaire en 1999, est devenu le premier producteur de céréales, devant les Etats-Unis, dont la production était de 298 millions de tonnes en 2002. Cette performance s'est réalisée alors que la population chinoise a atteint 1,3 milliard d'habitants.

Selon le PAM, "la Chine nourrit 20% de la population mondiale sur 7% des terres arables de la planète". Entre 1979 ­ date des premières interventions du PAM dans le pays ­ et 2005, près de 300 millions de personnes sont sorties de la pauvreté (220 millions selon le gouvernement, 400 selon la Banque mondiale, qui utilise une autre méthode de mesure).

Le pays change de statut: d'assisté, il devient donateur. Au moment du tsunami de décembre 2004, Pékin a donné 1 million de dollars au PAM pour aider les pays touchés par le raz de marée. "La Chine est encore un pays en développement, dit Qin Gang, un porte-parole du ministère des affaires étrangères, cité par le journal People's Daily Online. Mais elle est prête à se joindre au PAM pour contribuer à réduire la pauvreté dans le monde." L'expertise chinoise est aussi appréciée. "Nous négocions un accord avec le gouvernement afin qu'il nous fournisse des experts en cas de besoin. Il a une bonne expérience des situations de catastrophes naturelles", indique Gerald Bourke, porte-parole du PAM en Chine. En 1998, d'immenses inondations avaient frappé 35 millions de riverains du Yangtze.

IMPORTATIONS DE BLÉ

La Chine n'est cependant pas tout à fait sortie d'affaire. Dans le rapport 2004 sur la sécurité alimentaire dans le monde, la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) souligne que "la Chine a fait des pas de géant durant la première moitié de la décennie 1990, soustrayant presque 50 millions de personnes des rangs des sous-alimentés". Mais, "dans la deuxième moitié de la décennie, le rythme de cette réduction a ralenti, n'atteignant plus que 4 millions". Selon la FAO, la Chine compte encore 140 millions de sous-alimentés.

Par ailleurs, "la Chine a importé 8 millions de tonnes de blé en 2004 et en est devenue le premier importateur du monde", note Lester Brown, de l'Earth Policy Institute, à Washington. M. Brown juge que ces importations seront de plus en plus importantes: "L'agriculture chinoise est confrontée à deux problèmes majeurs: d'une part, la conversion très rapide de terres arables en surfaces urbanisées. D'autre part, la baisse des nappes phréatiques, qui réduit les ressources d'eau d'irrigation dans le Nord." Le risque écologique se substitue à celui de pénurie. Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / International
La trêve au Proche-Orient menacée par la mort de trois jeunes Palestiniens

 L a mort, samedi 9 avril, de trois Palestiniens, abattus par l'armée israélienne dans le sud de la bande de Gaza, peut-elle remettre en cause la trêve observée de facto par les groupes radicaux palestiniens depuis le 17 mars ? Le chef du Djihad islamique, Mohammed Al-Hindi a clairement envisagé cette option lors de la conférence de presse qu'il a donnée samedi: "Jusqu'à présent, les factions palestiniennes n'ont pas déclaré la fin de l'accalmie (...). Mais elles étudient à nouveau la question en raison de la poursuite de l'agression sioniste", a-t-il dit

Quelques instants plus tôt, Abou Abdallah, porte-parole du mouvement, avait déclaré que le Djihad n'était plus lié à la trêve décrétée avec Israël. "Les brigades de Jérusalem sont libres de tout engagement au calme après que les Israéliens eurent répandu le sang de jeunes Palestiniens", avait-il dit, poursuivant: "Cela signifie que nous ne sommes plus liés à la trêve."

Les circonstances de la mort des trois adolescents ne sont pas clairement établies. Des témoins rapportent que ces jeunes, âgés de 14 à 16 ans, jouaient au football près de la frontière israélienne, à proximité d'une base militaire du camp de réfugiés de Rafah, quand des soldats leur ont tiré dessus, tuant trois d'entre eux. Ils précisent que les victimes n'étaient pas armées.

LES GERMES D'UNE TROISIÈME INTIFADA

La version des militaires israéliens est très différentes: "Des soldats ont repéré cinq suspects qui rampaient vers la frontière. A un moment donné, ils se sont mis à courir en dépit de tirs de semonce." L'armée israélienne a déclaré qu'une enquête avait été ouverte.

Il s'agit du premier incident de ce type depuis le 17 mars. L'autorité palestinienne a dénoncé une grave "violation de la trêve par Israël" et exigé son respect. L'accalmie avait été rompue une première fois jeudi, côté palestinien, par un tir de roquette sur Israël, dans le désert de Néguev, qui n'avait pas fait de victime.Peu après la mort des trois Palestiniens, neuf tirs de mortier ont visé des colonies juives de la bande de Gaza sans faire de victime. Cette action a été revendiquée par le Hamas.

La tension est d'autant plus forte ce week-end que des nationalistes juifs menacent toujours de manifester, dimanche, sur l'esplanade des Mosquées, à Jérusalem, pour protester contre le plan de retrait de Gaza défendu par Sharon. "Si les sionistes défilent devant la mosquée d'Al-Aqsa, ils sèmeront les germes d'une troisième intifada", a déclaré samedi, à Gaza, Nizar Rayyan, un haut responsable du Hamas. Le même mot d'ordre a été repris par des milliers de manifestants palestiniens, qui ont défilé dans la bande de Gaza et à Ramallah, en Cisjordanie.

LE TROISIÈME LIEU SAINT DE L'ISLAM

A Alexandrie, une manifestation similaire a rassemblé 7 000 étudiants égyptiens. Le recteur de la mosquée d'Al-Azhar, considéré comme la plus haute autorité spirituelle de l'islam sunnite, s'est joint samedi à ses mises en garde. "Toute violation du caractère sacré de la mosquée d'Al-Aqsa mènera à une explosion de la région en raison de son statut aux yeux des musulmans", a déclaré l'imam Mohammed Sayyed Tantaoui, exhortant la communauté internationale à assumer ses responsabilités et à protéger l'esplanade, troisième lieu saint de l'islam après la Mecque et Médine.

Le 28 septembre 2000, la visite de l'esplanade par l'actuel premier ministre Ariel Sharon, alors chef de l'opposition, avait été ressentie comme une provocation par les Palestiniens. La répression sanglante par la police israélienne de manifestations de protestation palestiniennes au lendemain de cette visite avait marqué le déclenchement de la deuxième intifada.

Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a assuré avoir obtenu des garanties israéliennes contre toute provocation. La police a déployé plusieurs milliers d'hommes dans la vieille ville de Jérusalem pour empêcher le groupuscule ultra nationaliste "Revava" (Myriade, en hébreu) de pénétrer sur l'esplanade et pour faire face à des contre-manifestations palestiniennes. Le ministre israélien de la sécurité intérieure, Gideon Ezra, a déclaré sur Radio-Israël qu'il craignait que les extrémistes juifs cherchent à provoquer des tensions pour "stopper le désengagement" de Gaza, dont la mise en oeuvre doit débuter en juillet.

AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 09.04.05


Le Monde / International
Des milliers de Chinois manifestent contre le "révisionisme" japonais

 D es milliers de personnes ont manifesté samedi à Pékin contre ce qu'ils estiment être un "révisionisme" japonais minimisant les atrocités commises par ce pays lors de la colonisation d'une partie de l'Asie.

"A bas le Japon", "Boycottez les produits japonais" ou "Contre un siège permanent du Japon au Conseil de sécurité de l'ONU", criaient au moins cinq mille manifestants, selon la police, qui bloquaient le trafic non loin de l'Université de Pékin.

"C'est un rassemblement patriotique. Si vous êtes un patriote, alors vous devez vous opposer au Japon", lançait Zhang Daili, ingénieur récemment diplômé.

Les organisateurs ont assuré qu'une vingtaine de milliers de personnes, la plupart dans leur trentaine, voire plus jeunes, avaient répondu à l'appel lancé par l'internet ces derniers jours après un nouvel accès de fièvre dans les relations difficiles entre Tokyo et Pékin.

Ces tensions sont apparues après la publication, mardi par le Japon, de manuels scolaires dont Pékin estime qu'ils minimisent les crimes de guerre de l'Armée impériale nippone.

"Le Japon n'a pas le droit d'avoir un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU", déclare un autre manifestant, Han Ming, ajoutant: "Ce serait une insulte au monde et aux Nations unies si un pays qui refuse de reconnaître son histoire se voyait offert un siège permanent", actuelle priorité de la diplomatie nippone.

"Le Japon a oublié l'histoire de son invasion brutale et a offensé la Chine", accuse Xu Lian, employé de société qui assure que les manifestations vont se poursuivre jusqu'au mois d'août et le soixantième anniversaire de la fin de la guerre avec le Japon.

La Chine est notamment scandalisée que les nouveaux manuels nippons n'emploient pas le mot "invasion" pour évoquer la colonisation nippone et qualifient de seul "incident" le massacre de Nankin, au cours duquel l'armée japonaise a tué 300.000 soldats et civils chinois en 1937.

La publication des livres avaient provoqué la convocation de l'ambassadeur du Japon à Pékin, ainsi que celle de son homologue en Corée du sud, également scandalisée par ces manuels.

Le Japon avait mis en garde vendredi ses ressortissants, leur conseillant d'éviter la manifestation anti-japonaise prévue samedi à Pékin.

Des protestataires s'en sont pris cette semaine à des magasins japonais présents en Chine, appelant à un boycotttage des prodtuis nippons.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 09.04.05


Le Monde / Sciences
PLANTES
Le maïs appelle au secours des vers pour combattre un coléoptère ravageur

 Q uand mère Nature a omis de vous doter des moyens de fuir, il faut faire preuve d'imagination. Les végétaux en ont à revendre: on sait qu'en cas d'attaque par des arthropodes herbivores certaines plantes diffusent à travers leur feuillage des signaux chimiques pour attirer des prédateurs susceptibles de les débarrasser des assaillants. Il semble que le maïs ait lui aussi développé cette faculté, mais au niveau des racines.

Rongées par les larves du redoutable coléoptère Diabrotica virgifera virgifera, celles-ci émettent un sesquiterpène, (E)-béta-caryophyllène, qui a la faculté de guider à travers le sol des vers nématodes capables d'infester l'insecte ravageur. La démonstration en est apportée par une équipe germano-suisse, qui publie ses observations dans la revue Nature du 7 avril.

Les chercheurs ont constaté que certaines variétés de maïs cultivées en Amérique du Nord ont perdu cette stratégie de défense, présente dans l'ancêtre probable de cette céréale, la téosinte. L'infection par les nématodes était jusqu'à cinq fois plus élevée sur les plants de maïs émetteurs du sesquiterpène que sur les hybrides ayant perdu ce caractère.

La diffusion d'un analogue artificiel du composé chimique dans le sol diminuait de moitié l'émergence de coléoptères adultes. La sélection de variétés de maïs produisant des quantités précises d'(E)-béta-caryophyllène, suggèrent Ted Turlings (université de Neuchâtel) et ses collègues, "pourrait améliorer l'efficacité des nématodes comme agents de contrôle de pestes telles que Diabrotica".

NOUVEAU FOYER

Le coléoptère, récemment arrivé en Europe, menace en effet par sa voracité les cultures de maïs du continent. "En 2004, il a progressé dans les pays de l'Est, de 40 km dans toutes les directions", confirme Philippe Reynaud, responsable de la lutte contre Diabrotica au service de la protection des végétaux. Dans le nord-ouest de l'Italie, "la situation n'est pas sous contrôle".

En Alsace, où des captures avaient eu lieu en 2003, aucun individu n'a été signalé, de même qu'à Roissy, tandis qu'Orly ne livrait que deux insectes. En revanche, un nouveau foyer a été découvert à Pierrelaye (Val-d'Oise), où près de 200 adultes ont été piégés. "La lutte sera féroce en 2005", promet Philippe Reynaud. Il voit dans l'étude germano-suisse "une des rares pistes un peu concrètes en matière de lutte biologique contre Diabrotica".

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Sciences
ASTRONOMIE
Des grains de poussière lunaire dévoilent la composition de l'oxygène du Soleil

 C' est une poussière noirâtre, qui a capturé le souffle du Soleil, et, sans doute, le souvenir des premiers instants de notre système solaire. La NASA en conserve des kilos ramenés de la Lune, principalement par la mission Apollo 17, en décembre 1972, bénédiction des historiens de l'espace parce qu'elle comptait en son sein le seul vrai géologue qui ait arpenté le sol de notre satellite. Sur cette surface, qui ne bénéficie ni de la protection d'une atmosphère ni de celle d'un champ magnétique, la poussière a été offerte, pendant des centaines de millions d'années, aux caresses du vent solaire, porteur des particules qui se sont échappées de l'atmosphère de notre étoile.
CRPG-CNRS/ MARC CHAUSSIDON
Vue au microscope électronique de grains métalliques lunaires. Les cratères démontrent leur exposition aux particules du vent solaire.

Les astronomes se sont toujours dit que cette poudre de Lune pourrait contenir des grains de Soleil, ou du moins des renseignements sur sa composition précise. En la chauffant, ils lui ont fait avouer la présence de certains gaz. Mais cette technique ne pouvait suffire à discerner les éléments moins volatils.

Il a donc fallu attendre plus de trente années après le retour du dernier des vaisseaux Apollo, pour que deux chercheurs, un Français et un Japonais, parviennent à lui arracher l'un de ses secrets les mieux gardés, et l'un des plus convoités par les astronomes: la nature exacte de l'oxygène contenu dans l'atmosphère du Soleil. Pour la trouver, il a été nécessaire de recourir à la technologie dernier cri, une sonde ionique de fabrication française.

Mais il fallait surtout savoir où chercher. "Les oxydes et les silicates qui composent majoritairement le sol lunaire ne pouvaient avoir gardé de traces assez nettes de cet oxygène solaire", explique Marc Chaussidon, du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CRPG-CNRS) de Vandoeuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle), coauteur avec Ko Hashizume, de l'université d'Osaka, du travail publié dans Nature du 31 mars. "Nous avons donc eu l'idée de nous tourner vers les grains de métal, qui se trouvent en petite quantité à la surface, soit parce que des météorites les ont déposés là, soit parce que de la lave y a cristallisé. Sur les catalogues de la NASA, nous avons sélectionné des échantillons de sol qui ont pu être exposés aux vents solaires durant plusieurs centaines de millions d'années, voire jusqu'à deux milliards d'années."

Du centre de Houston, qui tient à la disposition des laboratoires agréés un quart des quantités de minerais ramenés sur Terre, leur est parvenu à peine plus d'un dixième de gramme de poussière, issue de six lieux de prélèvements différents. Largement de quoi se livrer au plus microscopique et au plus minutieux des tamisages. "Nous avons d'abord extrait les grains métalliques de la poussière, tout bêtement, grâce à un aimant, raconte Marc Chaussidon. Sur les 200 obtenus, nous en avons sélectionné 38, qui présentaient des surfaces assez plates pour être exposées à la sonde ionique du CRPG. Huit d'entre eux ont révélé les traces d'un oxygène sans équivalent avec tous ceux que nous connaissions." L'oxygène du Soleil.

Ces huit grains de quelques dizaines de micromètres (des millionièmes de mètre), ressemblent étonnamment à la surface de la Lune, avec leurs cratères creusés par les chocs avec ces météorites de l'infiniment petit que constituent les particules du vent solaire. Ils recèlent très exactement la composition isotopique de l'oxygène charrié par ce souffle. C'est- à-dire le nombre de neutrons qui déterminent la masse de son noyau atomique.

La découverte pourrait paraître dérisoire, si elle ne relatait les premiers âges de notre environnement immédiat. Car il n'y aucune raison de penser que la composition actuelle du Soleil, qui contient 99% de la matière de notre système solaire, soit différente de celle de la nébuleuse solaire qui a engendré notre petit coin de Galaxie, il y a 4,5 milliards d'années.

Or les deux chercheurs ont constaté que les isotopes ­-les différentes espèces ­-de l'oxygène qui composent nos corps, nos planètes telluriques, ou même la plupart des météorites qui sillonnent notre espace proche diffèrent sensiblement de ceux de l'atmosphère du Soleil. Quelque chose s'est donc passé qui a fait évoluer une petite part de l'oxygène de la nébuleuse originelle pour arriver à celui qui nous constitue aujourd'hui. Quoi ? Les scientifiques ne le savent pas précisément. "Nous n'arrivons pas à reproduire en laboratoire une réaction qui explique cette évolution", constate Marc Chaussidon.

Il faut donc se contenter d'hypothèses. Celle qui domine est fondée sur le fait que, dans sa première jeunesse, le Soleil brillait de tous ses feux, et émettait sans doute plus d'ultraviolets qu'aujourd'hui. Ces radiations ont pu modifier les minerais du disque de matière proche de notre étoile, qui, en s'agglomérant et en s'éloignant, ont pris la forme de notre Terre et de ses voisines.

De nouveaux renseignements devraient prochainement valider ou non cette hypothèse. Ils proviendront des analyses des particules de ce même vent solaire récupérées dans l'espace par la sonde américaine Genesis. L'engin avait fait un retour remarqué sur Terre, en septembre 2004, en échappant aux hélicoptères qui tentaient de le saisir et en s'écrasant lourdement au sol. Les astronomes avaient craint le pire pour les échantillons collectés.

Après un patient travail de nettoyage, ils sont aujourd'hui exploitables et commencent à être distribués aux laboratoires chargés de leur analyse. Une équipe du CRPG, dirigée par Bernard Marty, aura la responsabilité de décrypter l'azote. Les Américains s'occuperont de l'oxygène, pour lequel la tâche risque d'être complexe.

"Avec seulement deux années passées par Genesis au vent solaire, la quantité d'éléments collectés est bien moindre que sur la Lune, avec ses deux milliards d'années d'exposition", rappelle Marc Chaussidon. Rien de tel que la Lune pour donner un long rendez-vous aux particules du Soleil.

Jérôme Fenoglio
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Sciences
MEDECINE
Une arme possible contre l'athérosclérose

 A dministré par voie orale à faible dose, un dérivé du cannabis permettrait de réduire la progression des lésions d'athérosclérose chez un modèle animal et d'éviter ainsi que les artères ne se bouchent. L'équipe de François Mach (hôpital universitaire de Genève) publie, dans la revue Nature du 7 avril, des travaux menés sur des souris qui montrent l'action bénéfique du delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et mettent à profit ses propriétés immunosuppressives. Cet effet n'est observé qu'à la dose de 1 mg par kilo et par jour et non à des doses supérieures ou inférieures. Une concentration si précise qu'elle ne peut être obtenue en fumant de la marijuana, prévient un spécialiste, dans la revue.

François Mach et ses collaborateurs ont procédé de manière très méthodique. Ils sont partis du constat que l'athérosclérose, qui est la principale cause de mortalité (plus de 50%) dans les pays développés, est une maladie inflammatoire chronique. Le processus de constitution des plaques d'athéromes qui bouchent les artères implique certes l'accumulation de lipides, mais aussi la prolifération, la migration et l'adhésion à la paroi artérielle des macrophages, des cellules sanguines impliquées dans les phénomènes inflammatoires, sous l'action de cytokines comme l'interféron gamma.

Venant en seconde ligne après les mesures diététiques, les traitements actuels reposent avant tout sur une action visant à diminuer le taux sanguin de cholestérol. Agir par d'autres biais, notamment en agissant sur les phénomènes inflammatoires, est donc une perspective séduisante. Or, il se trouve que les cannabinoïdes, famille des dérivés du cannabis, possèdent des effets immunosuppresseurs et anti-inflammatoires qui passent par la diminution de la production d'interféron gamma.

RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX

Différentes cellules immunitaires possèdent d'ailleurs à leur surface des récepteurs cannabinoïdes, dont deux types sont connus. Les récepteurs CB1 sont surtout présents dans le cerveau, tandis que les récepteurs CB2 se retrouvent essentiellement sur les cellules du système immunitaire, notamment les lymphocytes B et T et les monocytes, qui sont les précurseurs des macrophages.

L'équipe de François Mach a démontré, sur un modèle de souris utilisé pour l'étude de l'athérosclérose et sur des artères humaines athéromateuses, que les cellules immunitaires infiltrant la plaque d'athérome exprimaient bien des récepteurs CB2. Ces souris présentent une déficience génétique en apolipoprotéine E (ApoE), un transporteur de lipides dans le sang. Cette déficience favorise le développement de plaques d'athérome. La progression des lésions d'athérosclérose était significativement ralentie chez les souris recevant dans leur alimentation du THC à la dose de 1 mg/kg/j, alors même que leur taux sanguin de lipide restait élevé.

Dans un second temps, l'équipe suisse a montré in vitro que les cellules immunitaires des souris recevant du THC proliféraient moins et avaient une production moindre d'interféron gamma. Au cours d'une troisième manipulation en observant sous microscope des artères de souris du même type, François Mach et ses collaborateurs ont apporté la preuve que l'adhésion des macrophages à la paroi artérielle était considérablement réduite chez les souris traitées par le THC.

Ces effets bénéfiques n'apparaissaient pas chez les souris recevant en plus du TCH une substance bloquant les récepteurs CB2, ce qui est un argument pour penser que l'effet anti-athérosclérose fait intervenir ces récepteurs.

Il n'est pas possible d'extrapoler directement ces résultats expérimentaux, sans passer par des études dans l'espèce humaine. De même, il se pourrait que des cannabinoïdes naturels ou de synthèse ciblant les récepteurs CB2 soient plus intéressants contre l'athérosclérose que la marijuana ou le THC utilisé comme antivomitif dans certains pays ou dans le traitement de l'anorexie.

Paul Benkimoun
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / International
En Côte d'Ivoire, de chaque côté de la ligne de front, les combattants doutent de l'accord de paix
Man, Guiglo de notre envoyé spécial

 L es informations ne circulent pas vite et ne sont pas très fiables dans l'ouest de la Côte d'Ivoire. Trois jours après l'accord de paix conclu à Pretoria sous l'égide du président sud-africain, Thabo Mbeki, personne ne connaît avec précision les résultats de la rencontre entre le président ivoirien, Laurent Gbagbo, le chef de la rébellion, Guillaume Soro, et les dirigeants politiques du pays. "On n'a pas été beaucoup instruits", résume un jeune proche du pouvoir.

Accrochage à la frontière avec la Guinée

Un rebelle ivoirien a été tué et un autre blessé lors d'un accrochage qui a opposé, jeudi 7 avril, l'armée guinéenne à des rebelles ivoiriens, près de la frontière commune aux deux pays. Selon une source militaire guinéenne, l'incident s'est produit au village de Tounkarata, sur la frontière. La Guinée a dépêché des renforts d'une base militaire voisine.

Ce secteur reculé du sud-est de la Guinée, qui jouxte aussi le Liberia, est une zone instable où circulent des armes et des mercenaires ayant combattu au Liberia et en Côte d'Ivoire. Les rebelles ivoiriens, qui contrôlent la frontière avec la Guinée depuis le coup d'Etat contre Laurent Gbagbo en septembre 2002, soupçonnent le président ivoirien de chercher à attaquer leurs positions à partir de cette région. Ils ont affirmé que des soldats guinéens étaient intervenus sur leur territoire.

"C'est une patrouille de l'armée guinéenne qui a pénétré sur trois kilomètres dans notre zone" a déclaré Inza Fofana, collaborateur du commandant rebelle de la ville de Man, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire.­ (AFP.)

Alors, à défaut de connaître, on invente. L'approximation est la règle. Faisant allusion à une rencontre prochaine entre militaires des deux camps décidée à Pretoria pour réactiver le processus de désarmement en panne depuis plus d'un an, Mme Dito assure que "le désarmement des rebelles doit commencer le 14 avril avec un ratissage de l'armée ivoirienne".

Mme Dito n'est pas n'importe qui. C'est une secrétaire promue, à la suite d'une cascade de désertions, maire de la petite ville de Bangolo, située à la lisière de cette "zone de confiance" qui, large de plusieurs dizaines de kilomètres, sépare d'est en ouest les troupes loyalistes ­ les Forces de défense et de sécurité (FDS) ­ des rebelles ­ rebaptisés Forces armées des forces nouvelles (FAFN). Son voisin, un vieux planteur de café, reconnaît qu'il n'est pas davantage informé: "On ne sait rien. Il faut patienter jusqu'au discours de Gbagbo à la télévision."

L'intervention présidentielle se fait attendre. Et si elle a lieu, elle risque de passer inaperçue des habitants de la région de Bangolo. La radio nationale est muette depuis des semaines. Les journaux arrivent défraîchis de la capitale. Et la télévision fonctionne quand elle en a envie.

Ce qui est vrai dans la "zone de confiance", placée sous tutelle des forces dites "impartiales" (les casques bleus de l'ONU et les militaires français de l'opération Licorne) l'est également au nord comme au sud, chez les rebelles comme chez les loyalistes. Et pas simplement parmi les sans-grade. Les responsables sont également concernés.

Fofana Losseni, plus connu sous le diminutif de Loss, ancien caporal-chef de l'armée loyaliste, est à 31 ans le chef des rebelles pour la zone ouest. Quant il n'est pas en opération, il reçoit à la préfecture de Man, ou plutôt ce qu'il en reste: un bâtiment à l'abandon, des carcasses de voitures rouillées dans le parc, des lambeaux de moquette grise dans les bureaux à l'étage... Svelte, presque timide, Loss n'a pas la réputation d'être un intellectuel mais un homme expéditif. Des officiers étrangers le soupçonnent d'avoir exécuté de ses propres mains des dizaines d'adversaires.

TOURNÉE D'EXPLICATIONS

Tout chef de zone qu'il est, Loss finit par admettre qu'il n'a qu'une vague idée de l'accord de Pretoria. Dans l'attente d'une tournée d'explications des "cerveaux" de la rébellion, basée à Bouaké, quelques centaines de kilomètres plus à l'est, ses informations sont glanées à l'écoute de Radio France Internationale. "L'essentiel est de sortir de la crise. Je fais confiance à Guillaume Soro -chef politique de la rébellion-", marmonne-t-il en pianotant sur son téléphone comme s'il s'agissait d'un jouet.

"Nous sommes disposés à désarmer", clame, à la manière d'une profession de foi, son adjoint, Gaspard Delly, un ancien commandant qui, capturé par les rebelles en 2002, a choisi de rejoindre leurs rangs plutôt que d'être exécuté.

A une centaine de kilomètres plus au sud, de l'autre côté de la "zone de confiance", chez les loyalistes, évoquer Pretoria ne suscite pas d'analyse plus élaborée. Le lieutenant-colonel Yedesse est pourtant une pointure dans l'armée ivoirienne. Commandant de la zone, il a des milliers de militaires sous ses ordres, trois ou quatre téléphones sur son bureau à l'état-major de Guiglo et plusieurs médailles accrochées à sa vareuse. "Tout le monde en a marre de cette guerre. On a tenté à plusieurs reprises d'aller vers la paix, mais ceux d'en face -les rebelles- nous ont toujours trompés. Est-ce qu'on peut leur faire confiance cette fois ? Je suis sceptique", confie-t-il.

C'est dans cette région proche de deux Etats turbulents, le Liberia et la Guinée, que prolifèrent depuis quelques mois des milices réputées proches du régime d'Abidjan, dont les sigles évoquent tous la "libération" de l'ouest de la Côte d'Ivoire, qui serait "colonisée" par des ethnies descendues du nord. Fin février, une milice s'est infiltrée dans la "zone de confiance". Les forces "impartiales" sont intervenues et ont repoussé les combattants, en tuant une trentaine.

Les chefs de milices, rencontrés à Guiglo avec leurs combattants ­ plusieurs en treillis militaires et armés de kalachnikov, n'émettent aucun jugement enthousiaste sur l'accord de Pretoria, dont ils reconnaissent ne pas avoir précisément pris connaissance.

"Il ne faut pas que l'accord soit une stratégie pour désarmer les milices comme les nôtres. Sinon, ce sera un nouveau Rwanda, met en garde Denis Maho-Glofiei, président de l'une de ces milices aux effectifs incertains. Nous n'avons pas été invités à Pretoria. Nous ne sommes pas tenus par un texte que nous n'avons pas signé. Ce que nous voulons c'est libérer l'Ouest."

Le jugement le plus pessimiste sur l'accord de Pretoria ne vient cependant pas d'un des acteurs de la crise, mais d'un chef d'entreprise installé en zone rebelle. "Ces accords successifs, je n'y crois pas une seconde, lance-t-il. Nous avons eu Marcoussis, Accra 1, Accra 2, Accra 3... Ils n'ont rien donné. Pourquoi Pretoria échapperait-il à la règle ?"

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l'édition du 10.04.05


Le Monde / Opinions
CHRONIQUE DU MÉDIATEUR
Symphonie pontificale

 U n courriel, reçu mercredi 6 avril et signé Joëlle Goutal, de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). "Je commence toujours la lecture du Monde par le courrier des lecteurs ­ espace de liberté où il m'arrive parfois de trouver des voix inattendues, un talent, un humour revigorants. J'ai cherché en vain, depuis quelques jours, une trace du "ras-le-bol" dont de très nombreux lecteurs vous ont sûrement fait part quant à la place accordée à la mort de Jean Paul II et à la façon dont vous en avez rendu compte. Auriez-vous par hasard censuré les mécréants qui ont eu l'audace de s'exprimer ? Même ma mère, vieille catholique pratiquante, s'indignait l'autre jour devant moi: "Je viens d'écouter France-Inter, je me suis demandé si je n'étais pas tombée par erreur sur Radio Notre-Dame." Elle aurait pu en dire autant du Monde... Aurais-je, par erreur, acheté La Croix ?"

Chère lectrice, nous avons reçu un certain nombre de protestations, mais il n'y a eu aucune "censure". Le médiateur a seulement mis de côté ce courrier pour lui consacrer la chronique que vous êtes en train de lire. Sachant que tout le monde n'écrit pas pour se plaindre: croyants ou non croyants, admirateurs du pape ou partisans d'une Eglise aux pieds nus, les lecteurs du Monde sont encore plus partagés sur le Ciel que sur la Constitution européenne...

"Qu'est-ce qui vous arrive, vous n'avez plus le sens de la mesure ?", demande William Ameri. "Je fais une overdose ! Je ne nie pas l'importance de l'événement, mais vous en faites vraiment trop", écrit Annie Varrault. Et Michel Bellin: "Comme si la planète s'était depuis quelques jours arrêtée de tourner, comme s'il ne s'y passait absolument rien d'autre que ce tsunami de larmes et d'eau bénite !"

Les lecteurs du Monde sont aussi auditeurs, téléspectateurs et internautes. Ils ne font pas toujours la distinction entre ce qu'ils ont lu, vu et entendu. Réagissant à un climat général, il leur arrive de confondre les cibles. C'est au journal qu'on s'en prend parfois parce que telle radio a poussé le bouchon un peu loin ou que telle chaîne de télévision a basculé dans la "papolâtrie"...

Après le tsunami, qualifié de catastrophe universelle, voici donc un deuil universel. Pour chaque grand sujet d'actualité, désormais, le débordement médiatique devient la règle. Les événements prévisibles sont "couverts" de plus en plus tôt par les journaux. On anticipe, de crainte d'arriver après les autres. Et on finit inévitablement par se répéter.

La mort de Jean Paul II n'a pas pris de court les médias. Ils l'avaient prévue, s'y étaient préparés, et depuis longtemps. Quitte à être eux-mêmes surpris par l'impact de l'événement qu'ils ont contribué ­ avec les autorités vaticanes ­ à mettre en scène et à magnifier. Ainsi va la machine médiatique, qui rend compte d'une émotion collective, bien réelle, tout en l'amplifiant. L'événement se nourrit en quelque sorte de lui-même.

Mais la force de cet événement prévisible est qu'il est aussi... totalement imprévisible: la succession d'un pape donne toujours lieu à des interrogations et des surprises. Autant dire que l'avalanche médiatique n'est pas finie. Jusqu'à l'issue du conclave, il faut s'attendre à des reportages, des analyses, des commentaires et des rappels historiques.

La désignation du chef de l'Eglise catholique intéresse d'autant plus qu'elle est moins fréquente qu'une élection présidentielle. Le secret qui l'entoure et ses modalités d'un autre temps la rendent très "journalistique". Après la fumée blanche, ce sera la découverte du successeur de Jean Paul II, le choix de ses collaborateurs, ses premières déclarations... Henri Tincq, chroniqueur religieux du Monde, qui a déployé toute sa compétence depuis quelques semaines, n'est pas près de partir en vacances !

Le journal est contraint de préparer de leur vivant la nécrologie des grands de ce monde, surtout s'ils sont âgés ou malades. Jean Paul II ayant été victime d'un attentat, un premier cahier de douze pages avait été rédigé à la fin des années 1980. Il a été actualisé à plusieurs reprises, puis a permis de célébrer les 25 ans de son pontificat en octobre 2003. Et c'est un tout autre supplément qui a dû être rédigé en cours de route pour être publié le jour de sa mort.

L'agonie de Jean Paul II a donné lieu à un difficile exercice journalistique. On ne voulait être en retard ni sur l'événement... ni sur les confrères. Le décès ayant été annoncé samedi soir, c'est Le Journal du dimanche qui en a "bénéficié". Le Monde, lui, a pris des risques.

"Comment avez-vous pu écrire samedi (dans votre édition datée 3-4 avril) "Ce pape qui vient de mourir", plusieurs heures avant que cela se produise ?, demande un lecteur du Vésinet (Yvelines), Rémi Hascal. Joli coup de poker ! Et si le pape n'était pas mort samedi ?" Bien que se déclarant athée, Catherine Deville Cavellin (courriel) trouve "extrêmement indécentes cette avalanche de détails sur un homme qui agonise et ces amorces de chroniques nécrologiques avant qu'il ne soit mort".

Jean Paul II s'est éteint samedi à 21 h 37. Le Monde était en vente à Paris depuis midi avec un cahier spécial retraçant sa vie et parlant de lui à l'imparfait. Fallait-il laisser passer le week-end et ne publier ce supplément que le lundi à midi, pour le diffuser mardi matin en province ? Le Figaro et Libération avaient déjà publié leurs cahiers spéciaux. Il a été décidé de ne pas attendre l'annonce du décès, en se fondant sur le communiqué médical de la veille au soir ("des paramètres biologiques sérieusement compromis") et une révélation plus personnelle du cardinal Camillo Ruini, vicaire de Rome, bien informé, qui avait dit: "Le pape voit déjà et touche déjà le Seigneur"...

Jean Paul II ne compte pas que des admirateurs parmi les lecteurs du Monde. "Aucun prince, aucun chef d'Etat n'avait, jusqu'à ce jour, pensé à mettre son agonie en scène, écrit Michel De Wan, de Louvain-la-Neuve (Belgique). Comme le Christ crucifié, Karol Wojtyla souffre le martyre et il veut que le monde entier le sache. En même temps que lui, des centaines de milliers de femmes et d'hommes agonisent, sans ors, sans médecin et, bien sûr, sans caméra. Parmi eux quelques-uns de ces sidéens, surtout africains, que Karol a piégés dans la mort prématurée en leur interdisant l'usage du préservatif au nom de sa "foi"."

D'autres lecteurs ont été choqués par la tonalité positive des premiers commentaires du Monde. Anne Torunczyk (Aix-en-Provence) ne comprend pas que le journal se soit "laissé gagner par l'hystérie collective". Pourquoi, demande-t-elle, "ces éditoriaux pleins d'éloges et de componction, ces articles montrant Jean Paul II comme un bienfaiteur de l'humanité, et la plus grande discrétion, par contre, pour tout ce qui concerne son attitude rétrograde insupportable envers la sexualité et la condition des femmes" ?

Jacqueline Ferreras (Paris) va dans le même sens: " Comment oublier que Jean Paul II est passé à côté du problème vital le plus essentiel de son époque: celui de la sexualité. Après cela, vous vous étonnez que la jeunesse délaisse la lecture de la presse !"

Jean Paul II n'était pas encore enterré que Le Monde ouvrait ses colonnes à deux théologiens contestataires, Hans Küng et Leonardo Boff, dans le numéro du 7 avril. Ni l'un ni l'autre ne ménageaient le défunt. De quoi valoir au journal une nouvelle vague de lettres et courriels, mais dans un tout autre sens que les précédents...

Le Monde a toujours attaché de l'importance à l'actualité religieuse, qu'il ne traite jamais par la dérision. Il accueille naturellement tous les points de vue, mais n'a pas à prendre parti lui-même dans des questions internes aux différentes confessions. Sauf quand elles ont une incidence sur la vie sociale, comme pour l'avortement, la contraception ou le port du voile à l'école publique.

Trouver la bonne distance n'est pas toujours facile. Surtout lorsqu'un pape hors normes comme Jean Paul II vient brouiller les frontières, démentir beaucoup d'analyses sociologiques et, dans un dernier exploit, faire carillonner pendant quelques jours toutes les cloches du village planétaire. Robert Solé
Article paru dans l'édition du 10.04.05


Le Monde / Europe
Schroeder à Buchenwald: "l'époque nazie est une partie de notre identité"

 "L e souvenir de l'époque du national-socialisme, de la guerre, du génocide et des crimes est une partie de notre identité nationale. Et c'est une responsabilité morale constante", a déclaré le chancelier social-démocrate devant un parterre de personnalités et quelque 550 anciens prisonniers de 26 pays qui furent internés dans ce camp où périrent environ 56.000 personnes.

Parmi les invités figuraient aussi 1.200 vétérans de l'armée américaine qui avait libéré le camp nazi de Buchenwald le 11 avril 1945.

"Nous voulons et nous ne permettrons pas que l'injustice et la violence, l'antisémitisme, le racisme et la haine des étrangers aient un jour à nouveau une chance", a ajouté M. Schroeder dans un discours au ton grave.

Pour sa part, le président de la chambre haute du Parlement allemand (Bundesrat), Dieter Althaus, a appelé à davantage de vigilance contre l'extrémisme de droite. "Nous devons nous donner plus de mal plutôt que de dire toujours 'plus jamais!'", a-t-il affirmé.

"Il ne faut pas que les chapitres les plus sombres de notre histoire se reproduisent", a ajouté M. Althaus (chrétien-démocrate), qui est aussi le chef du gouvernement régional de Thuringe, où est situé Weimar.

De son côté, le président du Conseil central des juifs en Allemagne, Paul Spiegel, a estimé qu'il fallait continuer à raviver le souvenir. C'est seulement de cette manière qu'on pourra garantir aux générations futures que les souffrances de toutes les victimes de la période nazie n'ont pas été "totalement gratuites", a-t-il dit.

De nombreuses personnalités, essentiellement allemandes, parmi lesquelles aussi l'écrivain espagnol Jorge Semprun et le ministre français délégué à la Recherche François d'Aubert, participaient à ces cérémonies ponctuées d'un concert de musique classique.

Pendant son discours, Jorge Semprun a été brièvement interrompu par des cris provenant de la salle lorsqu'il a déclaré qu'il n'y aurait plus de survivants du camp de Buchenwald pour le 70e anniversaire de sa libération en 2015.

Les cérémonies devaient se poursuivre dans l'après-midi par un dépôt de gerbe à la mémoire des victimes de Buchenwald.

Environ 250.000 personnes de tous les pays d'Europe furent internées de juillet 1937 à avril 1945 dans ce camp de concentration. Au total, 34.375 décès sont enregistrés dans les dossiers du camp.

Mais ne sont officiellement pas recensés les prisonniers de guerre soviétiques, assassinés d'une balle dans la nuque, les prisonniers de la Gestapo achevés dans le crématoire de Buchenwald (estimés à 1 100), les victimes des convois d'évacuation des camps de l'Est arrivées à Buchenwald ou celles évacuées du camp dans des marches de la mort par les SS au printemps 1945.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 10.04.05


Le Monde / International
Bush: Sharon doit s'en tenir à "la feuille de route"
REUTERS/LARRY DOWNING

Le premier ministre israélien, Ariel Sharon et le président américain, George W Bush se serrent la main après leur conférence de presse dans le ranch de Crawford (Texas) le 11 avril 2005.

 L e président américain George W. Bush a appelé, lundi 11 avril, les Palestiniens à soutenir le plan de retrait de Gaza présenté par le premier ministre israélien, Ariel Sharon, tout en réaffirmant son propre soutien à ce plan. "Je soutiens fermement son initiative courageuse de se retirer de Gaza et d'une partie de la Cisjordanie. Le premier ministre est prêt à coordonner l'application du plan de retrait avec les Palestiniens. Je demande à la direction palestinienne d'accepter son offre", a affirmé M. Bush lors d'une conférence de presse avec M. Sharon dans son ranch de Crawford (Texas). Le président américain a également appelé les Palestiniens à désarmer les groupes palestiniens comme le demande le dernier plan de paix en date, la "feuille de route".

George W. Bush a également répété qu'Israël devait respecter ses obligations sur le développement des colonies en Cisjordanie et démanteler les implantations illégales, tout en indiquant qu'il était "irréaliste" d'envisager un retour aux frontières de 1949. "J'ai fait part au premier ministre de mon souci de ne pas voir Israël prendre des initiatives qui contredisent ses obligations à l'égard de la "feuille de route" et portent atteinte au statut final des négociations", a souligné M. Bush. "En conséquence, Israël doit démanteler les implantations illégales et respecter ses obligations à l'égard de la "feuille de route" en ce qui concerne les colonies en Cisjordanie", a-t-il ajouté.

L'Autorité palestinienne reproche à Bush de "légitimer" la colonisation

L'Autorité palestinienne a reproché, lundi 11 avril, au président américain George W. Bush de "légitimer" la colonisation juive, après que celui-ci eut affirmé qu'il était "irréaliste" d'envisager un retour aux frontières de 1949 entre Israël et la Cisjordanie.

M. Bush avait lancé plusieurs appels aux Israéliens ces derniers jours pour qu'ils gèlent le développement des grandes colonies en Cisjordanie et s'était engagé à répéter ces avertissements à M. Sharon en le recevant dans son ranch. "Comme je l'ai dit en avril dernier, les nouvelles réalités sur le terrain font qu'il est irréaliste d'envisager que les négociations sur le statut final entraînent un retour complet aux frontières de l'armistice de 1949. Il est réaliste d'envisager que tout accord sur le statut final sera effectué sur la base de changements acceptés mutuellement et reflétant ces réalités. C'est le point de vue américain", a toutefois souligné George W. Bush.

RECONNAISSANCE DU PRINCIPE D'UN ÉTAT PALESTINIEN

La position américaine sur les frontières de 1949 sont comprises par les Israéliens comme signifiant que ces colonies feront partie d'Israël dans le cadre d'un règlement final sur les frontières du futur Etat palestinien. "La position israélienne est que les grandes colonies resteront en Israël" dans le cadre de tout règlement, a souligné M. Sharon lundi. Il s'est aussi engagé à démanteler les implantations illégales, soulignant qu'Israël respecterait ses obligations au regard de la "feuille de route".

"Concernant les implantations illégales, je veux répéter qu'Israël est une société gouvernée par l'Etat de droit. En conséquence, je respecterai mon engagement de démanteler les implantations et colonies illégales. Israël respectera également toutes ses obligations vis à vis de la feuille de route", a-t-il assuré, se joignant à l'appel lancé par M. Bush aux Palestiniens pour qu'ils soutiennent son plan de retrait de Gaza.

M. Sharon a réaffirmé son soutien au principe d'un Etat palestinien indépendant dont la contiguïté territoriale sera garantie en Cisjordanie. "Nous souhaitons que les Palestiniens se gouvernent eux-mêmes dans leur propre Etat qui aura une contiguïté territoriale en Judée-Samarie, co-existant au côté d'Israël en paix et en sécurité", a-t-il dit. Le terme de "contiguïté" signifie que cet Etat ne sera pas morcelé par des implantations israéliennes empêchant la libre circulation des Palestiniens.

M. Sharon a appelé le président palestinien Mahmoud Abbas a faire davantage pour démanteler les groupes armés palestiniens, après les tirs de roquettes et d'obus de mortier qui ont visé ce week-end des colonies et des positions de l'armée israélienne dans la bande de Gaza. Ces tirs faisaient suite à la mort de trois adolescents palestiniens tués par l'armée israélienne.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 11.04.05


Le Monde / International
John Negroponte promet une réforme du renseignement américain

 L e superpatron du renseignement américain, John Negroponte, a promis, mardi 12 avril, devant le Congrès, de donner un "bon coup de pied dans la fourmilière" de ce secteur, afin de tourner définitivement la page des échecs du 11 septembre 2001 et des erreurs d'analyse sur l'arsenal irakien. "Tout le monde sait que c'est un travail difficile, mais les choses qu'il faudra faire différemment seront faites différemment. Il nous faut un seul secteur du renseignement, qui coopère sans heurt, réagit rapidement, et passe plus de temps à penser à l'avenir qu'au passé", a déclaré M. Negroponte.

L'ex-ambassadeur en Irak était auditionné au Sénat pour confirmer sa nomination au poste de directeur du renseignement national (DNI), chapeautant une quinzaine d'organismes du renseignement, y compris la CIA. Ce diplomate de carrière de 65 ans doit inaugurer un poste nouvellement créé dans le cadre d'une vaste réforme du renseignement promulguée en décembre, en application des recommandations de la commission d'enquête sur les attentats du 11 septembre 2001. Il a été chaudement encouragé par les parlementaires à agir avec vigueur après les échecs qu'ont été ces attentats et les erreurs d'analyse sur l'arsenal irakien.

Pour réussir à ce nouveau poste, "il vous faudra la finesse gestionnaire de Lee Iacocca (légendaire PDG de Chrysler), l'innovation de Bill Gates, la fermeté et le charisme de Winston Churchill, et, de temps en temps, les talents de négociateurs d'Attila le Hun", a souligné avec humour le démocrate Jay Rockefeller. Le président de la commission, le républicain Pat Roberts, a également évoqué la nécessité d'être prêt à "marcher sur quelques pieds" et à "donner des coups de pied". "En tant que premier DNI, vous établirez des précédents historiques qui définiront tous les futurs DNI", a dit M. Roberts, estimant que "si le premier DNI n'exerce pas tout son pouvoir, il sera difficile pour les suivants de le faire".

D'autres, comme la républicaine Olympia Snowe, l'ont appelé à casser les baronnies et les mentalités de clocher, soulignant que les agents devaient privilégier la loyauté à leur pays et au secteur du renseignement dans son ensemble, plutôt qu'à leur organisme particulier.

"VÉRITÉ BRUTE"

En réponse, M. Negroponte, qui a reconnu la nécessité de "renseignement de meilleure qualité", a affiché sa foi dans le "travail d'équipe", et il a annoncé avoir déjà multiplié les contacts avec les patrons des ministères de la défense, de la justice, de la sécurité intérieure, du FBI et de la CIA. "On a beaucoup parlé des baronnies du renseignement, (...), et il n'y pas de fumée sans feu", a-t-il convenu, "mais les temps présents exigent que nous transcendions les divisions entre militaires et civils."

M. Negroponte a aussi promis une totale franchise, alors que l'ancien patron de la CIA George Tenet avait été accusé de complaisance, balayant notamment les doutes sur l'existence d'armes de destruction massive irakiennes avant la guerre. "Je crois que le président mérite que son directeur du renseignement national et la communauté du renseignement lui livrent la vérité brute", a déclaré M. Negroponte, qui a enchaîné des postes très exposé dans l'administration Bush, en particulier ambassadeur aux Nations unies avant et pendant la guerre en Irak et premier ambassadeur américain dans l'Irak d'après Saddam Hussein.

Il sera notamment chargé de faire un rapport quotidien au président Bush sur l'état des menaces pesant sur les Etats-Unis, une tâche jusqu'à présent dévolue au patron de la CIA, l'ancien parlementaire républicain Porter Goss, qui a pris ses fonctions fin septembre.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 12.04.05

“longue” à mettre en rapport avec celle qui précède…


Le Monde / Société
EDWIGE RUDE-ANTOINE, juriste et sociologue, chargée de recherche au CNRS
"Le vrai problème est de faire face aux traditions"

 V ous venez de remettre un rapport sur les mariages forcés dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, qui doit être approuvé d'ici au mois de juin. Le relèvement à 18 ans de l'âge du mariage pour les femmes, en France, permettra-t-il de lutter contre le phénomène ?
On ne peut qu'approuver une telle mesure: le principe d'égalité entre l'homme et la femme au regard de la capacité matrimoniale est enfin respecté ! La majorité des pays européens ont déjà fixé l'âge légal du mariage à 18 ans, sans discrimination de sexe. Pour autant, cette mesure ne va pas freiner la pratique des mariages forcés. On associe souvent mariages forcés et mariages précoces. Or, si cette pratique touche des mineurs, elle concerne aussi beaucoup de jeunes de 23, 24, 25 ans, des filles comme des garçons, d'ailleurs.

En relevant l'âge du mariage, on ne résout pas le problème, car on ne touche pas à ce qu'il y a derrière. Le vrai problème est de faire face aux traditions. En Inde, par exemple, pour remédier à la pratique des mariages précoces, l'âge du mariage a été porté à 18 ans pour les filles et à 21 ans pour les garçons. Or les familles continuent à marier leurs enfants selon la tradition, avant l'âge légal, le mariage civil étant simplement célébré lorsque la fille a atteint ses 18 ans. La loi n'a dans ce pays qu'une valeur symbolique.
De plus, cette mesure ne résout pas la situation spécifique des femmes de nationalité étrangère. Pour les personnes qui gardent leur nationalité d'origine, la loi de leur pays continue de s'appliquer. En application de nos règles de droit international privé, devons-nous accepter des mariages en France de filles ou de garçons de nationalité étrangère de moins de 18 ans ?

La pénalisation constitue-t-elle une réponse pertinente ?
On ne peut envisager une pénalisation sans avoir défini ce qu'on entend par mariage forcé. Plus d'une dizaine de dénominations se rapportent à cette question: mariage arrangé, mariage coutumier, mariage traditionnel, mariage de convenance, mariage précoce, mariage d'enfants, mariage simulé, mariage apparent, mariage fictif, mariage de complaisance, mariage blanc, mariage indésirable, mariage subi... Si l'on veut créer une nouvelle infraction appelée "mariage forcé", il faut commencer par réfléchir à la qualification qu'on lui donne. Cette définition n'est pas tâche facile. Par exemple, ce n'est pas parce qu'il y a mariage de complaisance qu'il y a mariage forcé. Cette définition nous renvoie à une question de philosophie morale: à partir de quand peut-on considérer qu'il y a atteinte à la liberté du consentement et à la volonté de la personne ? On pourrait envisager une infraction spécifique dans les cas de très grande violence, lorsqu'une jeune fille est séquestrée ou subit des violences physiques. Mais la solution est plus complexe lorsque la jeune fille a été contrainte par des pressions morales, plus difficiles à prouver.
Faut-il donner une définition large du mariage forcé qui puisse inclure les différents degrés de l'acte (les violences, les privations de liberté, les menaces, les pressions, l'utilisation d'objets...), mais aussi le statut de la personne en cause (victime mineure ou non, membre de la famille, lien plus ou moins proche et d'indépendance entre l'auteur de l'acte et la victime) ? Il serait important de prévoir des sanctions plus ou moins graves selon les faits.

Beaucoup de femmes se taisent, et se résolvent au mariage que leur imposent leurs parents.
Les jeunes femmes qui se sont opposées à leur famille en gardent souvent un sentiment de culpabilité. D'autant qu'elles sont contraintes de rompre non seulement avec leurs parents, mais aussi avec leur fratrie, voire avec leurs amis, qui ne comprennent pas leur attitude.
Elles sont amenées à faire face à une nouvelle autonomie à laquelle elles n'ont pas été préparées. Cette situation peut les obliger à interrompre leurs études. Or, si ces femmes ont besoin d'être soutenues psychologiquement et financièrement, elles ne trouvent souvent pas les dispositifs d'accueil (lieux d'écoute et d'hébergement spécifiques) qui leur permettraient de faire face à cette situation difficile.

Propos recueillis par Laetitia Van Eeckhout
Article paru dans l'édition du 12.04.05


Le Monde / Société
La fréquence des mariages forcés pose la question de la pénalisation

 L 'amendement relevant de 15 à 18 ans l'âge légal du mariage des femmes, adopté le 29 mars par le Sénat et qui doit être prochainement examiné par l'Assemblée nationale, a eu le mérite de ramener l'attention sur le phénomène des mariages forcés (Le Monde du 29 mars). Une pratique qui perdure, en France, dans nombre de familles issues de l'immigration. Les associations évaluent à plus de 70 000 le nombre de jeunes femmes, mineures et majeures, concernées.

Elles disent être de plus en plus sollicitées par des jeunes filles mariées de force ­ qu'il s'agisse de mariages civils ou coutumiers ­ ou menacées de l'être. Celles-ci sont originaires du Mali, de Mauritanie et du Sénégal, mais aussi du Maghreb, d'Asie et de Turquie.

Si la plupart des parents concernés viennent de pays musulmans, "cette pratique n'est pas liée à l'islam, mais à des coutumes traditionnelles que les familles font perdurer", relève Adole Ankrah, directrice du réseau FIA-ISM (Femmes inter-associations, inter-services migrants). Arrivées dans les années 1960 et 1970, beaucoup de ces familles appliquent toujours le mode de vie de l'époque, au risque d'un décalage avec leur pays d'origine, où les moeurs ont évolué.

En mariant leur fille avec un jeune homme originaire de leur pays, les parents cherchent à affirmer leur identité et à garder un lien avec leur culture d'origine. "C'est une parcelle de pouvoir leur restant, qui permet de contrôler les enfants, de préserver la virginité et l'honneur des femmes. Le mariage apparaît comme un remède aux possibles écarts de la fille", souligne Christine Jama, directrice et juriste de l'association Voix de femmes.

Il arrive souvent que les parents précipitent le projet de mariage de leur fille lorsqu'ils apprennent que celle-ci flirte avec un Français ou un jeune homme originaire d'un autre pays que le leur. Beaucoup de filles sont piégées, et même séquestrées, pendant leurs vacances dans leur pays d'origine.

Lorsque c'est encore possible, les associations tentent d'envisager une médiation avec les parents, essaient de les convaincre qu'ils sont hors la loi et les informent sur les conséquences de telles pratiques ­ grossesses précoces, interruption d'études, troubles neurologiques, dépression, suicide, etc. Une tâche délicate car, "lorsqu'on tente de dissuader les parents de suivre leurs traditions, ils vivent cela comme un rejet, une stigmatisation, étant, eux, persuadés de faire le bien de leur fille", explique Mme Ankrah.

Cette médiation est loin d'être toujours possible, les jeunes filles préférant parfois elles-mêmes l'éviter pour ne pas être repérées. "Si elles vivent dans un milieu très fermé, très traditionnel, elles craignent des menaces de leurs frères", relève Pinar Hukum, cofondatrice de l'association Elele, qui oeuvre à l'intégration de la communauté turque en France.

"Beaucoup de femmes parlent de "tribunal communautaire": chacun surveille les pas des autres, condamnant tout écart de celui ou celle qui change, évolue", témoigne Asma Guenifi, psychologue et animatrice du pôle accueil des victimes de l'association Ni putes ni soumises.

Nombreuses sont celles qui préfèrent se résigner. "Sous l'emprise de leurs parents qui, disent-elles, les aiment et dont elles doutent qu'ils puissent les trahir, elles prennent peur et culpabilisent, explique Emmanuelle Piette, médecin de la protection maternelle et infantile (PMI) en Seine-Saint-Denis. "Si l'on part, on sera renié, c'est pire", disent-elles."

"La culpabilisation des jeunes filles constitue un moyen récurrent pour les contraindre au mariage. La menace de rupture avec la famille est efficace", appuie Mme Jama, qui raconte que, "pour l'obliger à retourner au pays pendant les vacances pour la marier, une mère a dit à sa fille que sa grand-mère allait mourir et que si elle n'y allait pas, elle en serait responsable".

Coordinatrice des dix-sept centres de planification du département de Seine-Saint-Denis, Mme Piette anime depuis une dizaine d'années une campagne de prévention sur les mariages forcés. Dans ce cadre, des séances collectives d'information dans les classes de lycées et collèges sont organisées afin de sensibiliser les jeunes, et en particulier les jeunes filles, et de les appeler à la vigilance, en mettant par exemple en lieu sûr leurs papiers d'identité (chez des amis, auprès d'associations...).

Une sensibilisation des mères est également menée dans le cadre des stages d'alphabétisation. Les assistantes sociales scolaires, le personnel des centres de planification et les éducateurs de l'aide sociale à l'enfance se voient dispenser des stages de formation spécifiques sur le sujet. Pour Mme Guenifi, cette sensibilisation de l'ensemble des acteurs sociaux du département est essentielle. Selon elle, il arrive encore trop souvent que "les services sociaux ne bougent pas, relativisant le problème en disant: "C'est dans leur culture"".

Tout en rappelant que la plupart des jeunes filles sont mariées alors qu'elles sont majeures, les associations se félicitent du relèvement de l'âge du mariage des femmes: "A 18 ans, plus matures et libérées du joug de l'autorité parentale, les filles se sentent plus fortes pour dire non", assurent-elles.

Toutes soulignent néanmoins que c'est en donnant la possibilité aux jeunes filles qui refusent le mariage de trouver un lieu d'hébergement et de bénéficier d'une aide matérielle et d'un suivi psychologique que l'on fera reculer cette pratique. Or les logements disponibles sont rares. Faute de trouver des structures d'hébergement adaptées, les associations trouvent des solutions peu satisfaisantes, plaçant les jeunes filles dans un foyer ou un hôtel social, où elles se trouvent mêlées à des personnes en grande difficulté.

Le 29 mars, au Sénat, la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, Nicole Ameline, annonçait qu'elle comptait aller plus loin et "introduire prochainement dans le droit pénal un délit de contrainte au mariage". Là encore, les associations se montrent partagées, craignant que la mesure ne se retourne contre les victimes. "Les jeunes filles en proie à ces unions forcées subissent de telles pressions morales et un tel conditionnement culturel qu'elles osent difficilement dire non. Avec la pénalisation, elles risquent de culpabiliser encore plus", insiste Mme Jama.

Y. Bd et L. V. E.
Article paru dans l'édition du 12.04.05


Le Monde / Société
Ina, mariée contre son gré et violée à 15 ans, a préféré partir de chez elle

 I na se reproche d'être bavarde. C'est qu'elle a hâte de mettre des mots sur ce qui lui est arrivé. À 13 ans, cette jeune fille d'origine malienne a été fiancée, avant d'être mariée, de force, deux années plus tard. Aujourd'hui, à 20 ans, elle est étudiante en classe préparatoire à l'Ecole normale supérieure de Cachan (Val-de-Marne), et en licence de droit.

"Enfant, j'étais une petite Malienne modèle, sage et bonne élève." Elle est l'aînée des filles, s'occupe de ses sept frères et soeurs, trouve normal d'aider sa mère, qui travaille. La vie de famille s'écoule paisiblement en région parisienne, jusqu'au jour où le regard de sa mère semble changer. Ina a grandi. Vers 12 ans, elle a eu ses premières règles. Sa vie de petite fille bascule alors dans un monde qu'elle ne connaît pas, celui de ses origines.

"Ma mère me dit qu'un type demande ma main. Elle me demande si je veux l'épouser plus tard." Ina ne connaît pas l'homme en question, refuse. Sa mère la gifle. Ina ne comprend pas, demande des explications. "C'est comme ça qu'on devient une femme", lui répond sa mère. Pendant deux ans, la voici fiancée à un Malien d'une trentaine d'années. L'été de ses 15 ans, elle doit l'épouser, en France. C'est un mariage coutumier.

"C'était un jeudi, se souvient-elle. Pendant une semaine, j'ai été enfermée dans une chambre. Lui avait le droit de sortir mais moi, je ne devais voir personne, pas même mes parents. Sauf une femme." Il s'agit de la "marieuse". Celle-ci est chargée, comme le veut la tradition, de veiller à ce que tout se passe "bien".

"J'ai été violée tous les jours", raconte Ina. Elle a beau crier, appeler père et mère, la porte de la chambre reste close.

En septembre, elle entre en classe de première. Ses parents la laissent encore aller à l'école. Durant cette année scolaire, elle habite chez ses parents et voit son "mari" tous les week-ends. Les grandes vacances approchent. Ina angoisse à l'idée de devoir, définitivement, le rejoindre. Un soir, elle ne rentre pas, et se réfugie chez une enseignante. Une semaine de répit, pour réfléchir.

DEUX CULTURES

La brigade des mineurs de Montreuil (Seine-Saint-Denis) ne croit pas à son histoire, et Ina doit retourner chez ses parents. De peur de perdre sa fille, son père accepte finalement de rompre le mariage. "Je ne sais même pas si je suis divorcée ou pas", s'interroge la jeune femme aujourd'hui.

En 2002, sa mère a de nouveau un projet de mariage pour elle. Ina comprend qu'il faut qu'elle se mette à l'abri, une fois pour toutes. Elle saisit le juge des enfants, qui décide son placement dans un foyer. Ce qui ne l'empêche pas d'obtenir brillamment son baccalauréat: "C'était difficile. En plus, j'étais avec des filles qui n'avaient rien à voir avec moi, déscolarisées."

Aujourd'hui, l'étudiante est indépendante, loue son propre appartement. Et voit toujours sa mère. Il a fallu du temps pour renouer le lien, mais Ina lui a pardonné: "Elle a vécu la même situation. Je ne peux pas lui reprocher de perpétuer une tradition. La communauté malienne en France est très liée et, là-bas, au Mali, la pression est encore plus forte."

La jeune fille hésite toujours entre deux cultures. Elle ne veut pas choisir l'une aux dépens de l'autre. "Mes parents ont besoin de reproduire ces traditions pour se rappeler qui ils sont, d'où ils viennent, dit-elle. Pour eux, je ne serais pas une femme accomplie, une bonne Malienne, si je n'étais pas mariée. Et ils pensent que c'est un scandale de ne pas avoir d'enfants à 20 ans."

Yasmina Belkaïd
Article paru dans l'édition du 12.04.05


Le Monde / Opinions
CHRONIQUE INTERNATIONAL
D'où viennent les idées fausses ?

 L a CIA elle-même l'a reconnu. Elle s'est trompée sur l'état de l'armement irakien. Saddam Hussein ne possédait pas ­ ne possédait plus ? ­, en mars 2003, d'armes de destruction massive susceptibles de menacer ses voisins et a fortiori les Etats-Unis. Le président George Bush l'aurait-il su plus tôt que sa décision d'envahir l'Irak n'en aurait pas été changée, car l'arsenal du dictateur de Bagdad n'a jamais été sa préoccupation principale. S'il a été mis en avant pour justifier la guerre, c'est uniquement pour des raisons de convenance.

Paul Wolfowitz, alors numéro deux du Pentagone, l'avait expliqué quelques semaines après la chute de Saddam Hussein: "La vérité, avait-il déclaré à la revue Vanity Fair, c'est que, pour des raisons qui ont beaucoup à voir avec la bureaucratie gouvernementale, nous nous sommes résolus à mettre en avant la raison sur laquelle tout le monde pouvait se mettre d'accord, celle des armes de destruction massive, comme la raison principale, mais il y a toujours eu dans cette affaire d'autres préoccupations fondamentales."

On s'est demandé alors si les Américains et leurs alliés britanniques avaient délibérément menti pour justifier leur expédition punitive. C'est une mauvaise façon de poser le problème, a répondu récemment un ancien diplomate britannique dans un long article du Financial Times. Carne Ross, qui dirige maintenant un think tank (laboratoire d'idées) indépendant, a été pendant quatre ans membre de la délégation britannique à l'ONU, chargé de suivre les inspections et les sanctions contre l'Irak.

Dans cet essai, il détaille la manière dont sont prises les décisions par les responsables de la politique étrangère, comment les informations sont recueillies, travaillées, filtrées avant d'arriver jusqu'aux décideurs. La question n'est plus la bonne ou la mauvaise foi, la vérité ou le mensonge, le respect des faits ou la propagande. C'est la construction d'un argumentaire pour soutenir ou contester une politique déterminée.

S'appuyant sur le cas irakien, il rappelle qu'au Conseil de sécurité deux lignes se sont affrontées pendant des années. Schématiquement, les Anglo-Saxons considéraient que Saddam Hussein ne coopérait pas avec les inspecteurs de l'ONU et faisait obstruction au programme "Pétrole contre nourriture" qu'il détournait à son profit. Les Russes et les Français, de leur côté, estimaient que Saddam avait désarmé et que les inspections comme les sanctions étaient "futiles". Carne Ross raconte: "Mon travail consistait à rassembler et à faire la synthèse des innombrables statistiques, rapports, témoignages pour servir de base aux interventions au Conseil de sécurité." Et il ajoute: "De l'autre côté de la table, Français et Russes soutenaient le contraire avec force statistiques, rapports et témoignages provenant des mêmes sources."

Contradiction ? Non, plutôt une utilisation différente des mêmes informations. L'exemple irakien n'est pas une exception. Il illustre les faiblesses d'un mode de fonctionnement administratif qui tend à privilégier les faits et les jugements confortant une opinion préétablie ­ ou simplement celle de l'autorité supérieure ­ et à écarter ceux qui la contredisent. Les informations "qui renforçaient notre discours apparaissaient lumineuses et seraient utilisées par moi, mon ambassadeur ou mon ministre comme autant de grenades dans la guerre de tranchées diplomatique", écrit Carne Ross. Il faudrait être, poursuit-il, un fonctionnaire "courageux ou fou" pour nager à contre-courant. Cela ne signifie pas que les dossiers soient montés de toutes pièces. C'est "plus subtil". Les arguments sont sélectionnés au milieu d'une masse d'informations, les contradictions sont ignorées. Les éléments choisis sont répétés, reformulés, peaufinés, "jusqu'à ce qu'ils paraissent clairs, cohérents et convaincants, jusqu'à ce que ceux qui les présentent y croient pleinement eux-mêmes". Et les informations paraîtront d'autant plus fiables qu'elles proviennent des services de renseignement, qu'elles sont marquées du sceau "confidentiel - à circulation restreinte", donnant l'impression au destinataire d'appartenir à une élite particulièrement bien informée.

Ce mode de fonctionnement n'est ni limité à la crise irakienne ni l'apanage du service diplomatique britannique. Les observations de Carne Ross invitent à réfléchir sur les processus de décision en matière de politique étrangère. Elles permettent de tirer des enseignements plus généraux concernant une forme de conformisme dans les grands Etats, la priorité souvent donnée par les administrations à la volonté de plaire au prince sur l'affirmation de vérités dérangeantes. Il faut des événements dramatiques pour bouleverser les idées reçues. Citant Donald Rumsfeld et Tony Blair, Carne Ross montre comment les attentats du 11-Septembre ont changé "l'appréciation" portée sur des faits connus au préalable, et, plus encore que l'appréciation, "la présentation de cette appréciation".

En France, dans les années 1990, à l'occasion d'une autre crise marquée par la dissolution de la Yougoslavie, il a fallu un changement de majorité gouvernementale pour que les rapports des fonctionnaires et des observateurs sur les responsabilités des autorités serbes soient enfin pris au sérieux jusqu'au sommet de l'Etat.

Daniel Vernet
Article paru dans l'édition du 13.04.05


Le Monde / International
Après moult négociations et ample cérémonial, l'accueil du prince est simple
Riyad de notre envoyée spéciale

 I nterviewer Abdallah Ben Abdel Aziz, prince héritier d'Arabie saoudite, 81 ans, trente-quatre enfants, digne descendant d'Ibn Saoud et détenteur de la réalité du pouvoir dans le royaume depuis que son frère aîné, le roi Fahd, a été victime d'un accident cérébral en 1995, ne relève pas de l'exercice de routine. Le prince ne s'est pas exprimé dans la presse occidentale depuis les jours sombres de l'immédiat après-11 septembre 2001, lorsque la présence de 15 Saoudiens parmi les 19 pirates de l'air qui frappèrent l'Amérique le poussa à faire un délicat numéro de relations publiques en acceptant de répondre aux questions du New York Times et du Washington Post.

Entre Washington et Riyad, le pragmatisme a prévalu depuis, mais, de toute évidence, le coeur n'y est plus. "Ce n'est pas parce que l'on doit coucher avec l'Amérique qu'on est obligé de prendre son pied", relève très prosaïquement un Saoudien. Le coeur du prince Abdallah bat en revanche très fort pour son "ami Chirac", auquel il rend visite avant de prendre le chemin du ranch de Crawford, au Texas, où le président Bush le recevra un peu plus tard ce mois-ci. Recevoir un journal français était sans doute une manière de témoigner cette affection à la politique arabe de l'Elysée.

Pour arriver jusqu'au prince Abdallah, il faut se frayer un long chemin, fait de négociations préalables puis de dédales à travers les couloirs très masculins du pouvoir saoudien, auquel l'on n'accède qu'après avoir franchi les contrôles d'une sécurité impressionnante. Comme les Etats-Unis, l'Arabie saoudite livre aujourd'hui sa propre guerre au terrorisme, et les bâtiments officiels, tout autant que les quartiers résidentiels, sont de véritables camps retranchés, protégés par des blocs de béton, des murs de sacs de sable et des automitrailleuses.

GARDER LE CONTACT

Pour garder le contact avec les Saoudiens, le prince héritier, nous explique-t-on, aimait débarquer à l'improviste dans un mall, ces centres commerciaux à l'américaine qui sont devenus le haut lieu de la vie sociale, et partager une pizza. Le terrorisme a interdit tout cela. Aujourd'hui, le prince est condamné à recevoir ses sujets dans son immense palais de marbre moderne aux lustres grands comme des halls d'immeubles, lors de séances de majlis organisées quatre fois par semaine.

Là, à travers un cérémonial parfaitement orchestré et dûment télévisé, des hommes de tribus venus de toute l'Arabie saoudite entrent l'un après l'autre puis s'assoient en face de lui et lui présentent leurs doléances. Prestement, le prince retire sa main si d'aventure l'un d'entre eux tente de la lui baiser: Abdallah se veut un dirigeant moderne et sobre. Il serre la main de ses sujets et écoute, attentivement. A l'un il accordera une faveur dans tel litige administratif, à l'autre il la refusera, faisant même la morale à un jeune homme qui le supplie de lui rendre son emploi après un séjour en prison: "Il fallait y penser avant", lui répond le prince.

Après une litanie de poèmes à la gloire de la lutte contre le terrorisme, Abdallah retourne dans son bureau, escorté d'une nuée de collaborateurs en abaya noire ou brune à bordure dorée sur leur toge blanche et d'officiers, dans un bruissement de tissus sur l'épaisse moquette. A leur tour, les deux journalistes, silhouettes noires tranchant dans cet univers d'hommes, sont introduites dans l'immense pièce par une autre nuée d'officiels.

L'accueil du prince est simple, direct ­ ses réponses aux questions le sont nettement moins, surtout sur le sujet des réformes politiques. Le bouc et la moustache sont d'un noir de jais malgré le grand âge, l'oeil très vif derrière des lunettes teintées bleu ciel. Le prince Sultan, imposant ministre de la défense, frère d'Abdallah et prétendant au trône, est invité à assister à l'entretien. A une distance respectueuse. Le nouveau ministre de la culture, Iyad Madani, qui passe pour un réformateur, sera assis, lui, beaucoup plus près.

Sylvie Kauffmann
Article paru dans l'édition du 13.04.05


Le Monde / International
Le prince Abdallah: "Les terroristes sont les ennemis de l'islam"

 O n parle beaucoup d'un vent de la démocratie au Moyen-Orient. Pourtant, un rapport que vient de réaliser pour les Nations unies un groupe de chercheurs arabes en dresse un constat sévère. Pour eux, les réformes partielles, du type de celles que vous avez lancées, ne peuvent plus suffire. Qu'en pensez-vous ?
La démocratie fait partie de notre foi musulmane. Moi aussi je vais vous poser une question: de quand date la démocratie chez vous ? Combien de temps vous a-t-il fallu pour parvenir à une pleine démocratie ? Nous aussi, nous y arriverons, Inch Allah ! Le plus important, c'est la justice, l'équité, le respect des droits de l'homme. Tous ces principes sont dictés par notre religion. Pas seulement la nôtre d'ailleurs, mais toutes les religions du Livre, qu'il s'agisse du Coran, de l'Evangile ou de la Bible.

La première visite en France depuis 2001
Le prince héritier saoudien, Abdallah Ben Abdel Aziz, était attendu mercredi 13 avril à Paris pour une visite officielle de deux jours, avant un séjour, le 24 avril, aux Etats-Unis, où il doit être reçu par le président américain, George Bush, dans son ranch de Crawford, au Texas. Le prince Abdallah, qui dirige de facto le royaume, achèvera sa tournée occidentale au Canada pour une visite officielle de trois jours.
A Paris, le prince s'entretiendra avec le président Jacques Chirac et le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Le conflit israélo-arabe, le Liban et l'Irak sont les principaux sujets à l'ordre du jour de la visite. Au plan bilatéral, le prince Abdallah évoquera, avec les dirigeants français, la coopération dans la lutte antiterroriste, selon le responsable saoudien. De nouveaux accords de coopération devraient être signés entre les deux pays liés par un "partenariat stratégique".
La dernière visite du prince en France remonte à juin 2001, quelques mois avant les attentats du 11-Septembre.

Comment imaginez-vous l'Arabie saoudite dans vingt ans ?
Dieu seul le sait. Nous oeuvrons pour instaurer la démocratie véritable, la démocratie que nous souhaitons. J'espère qu'il nous faudra moins de vingt ans pour y parvenir.

Pour la première fois en Arabie saoudite, des élections municipales sont organisées en ce moment. Est-ce là un premier pas vers des élections parlementaires ?
Tout est en bonne voie, si Dieu le veut.

Vous avez mis en route plusieurs sessions de "dialogue national". Sur quoi, concrètement, peuvent-elles déboucher ?
Nous en avons déjà largement tiré profit. Ce "dialogue national" a rassemblé le peuple saoudien, dont les différentes composantes communautaires ne se rencontraient pas, ne dialoguaient pas. Ils -les Saoudiens- sont désormais des frères, et ceci est un acquis, un énorme acquis.

Vous dites que chaque pays doit mener ses réformes "à son rythme". Qu'est-ce que c'est, le rythme saoudien ?
La démocratie et la réforme ne sauraient être imposées de l'extérieur. Elles doivent émaner du peuple. Quelqu'un vous a-t-il imposé vos propres réformes ?

Vous avez accepté de nous recevoir, deux journalistes femmes, et de répondre à nos questions. Quand est-ce que nos consoeurs saoudiennes pourront en faire autant ?
Dans moins de temps qu'il n'a fallu chez vous à une femme pour interviewer un homme ! Vous pouvez même diviser le délai par deux...

Donc, demain, une journaliste saoudienne peut venir vous interviewer ?
Les Saoudiennes sont déjà entrées dans la vie active, elles travaillent dans la banque, dans le secteur public. Avec le temps, leur état d'esprit, la mentalité de leurs maris et de leurs fils évolueront. Cela prendra moins d'années que n'en comptent les doigts d'une main.

Mais justement, n'est-il pas contradictoire que les Saoudiennes fassent des études de plus en plus poussées, qu'elles soient universitaires, artistes, médecins, scientifiques, et que, parallèlement, elles restent tributaires d'un tuteur masculin ­ leur mari, leur frère, ou même leur fils ?
Cela -le tutorat- traduit le souci que nous avons de protéger la femme, la dignité de la femme. Après tout, une femme est une soeur, une mère, une épouse, une fille. C'est ma mère qui m'a permis de voir le jour.

Vous avez admis, il y a deux ans, que le royaume devait désormais faire face aux deux phénomènes de la pauvreté et du chômage. Comment entendez-vous y remédier ?
La presse -saoudienne- a exagéré le problème du chômage. Les journaux ont prétendu qu'il y avait près d'un million de Saoudiens sans emploi. Vérification faite, le nombre des chômeurs varie entre 200 000 et 300 000, dont plus de la moitié a désormais trouvé un emploi, l'autre moitié étant composée de travailleurs non qualifiés, qui ont refusé les emplois que nous leur avons proposés. Je dois dire, à la décharge des journaux, que leur objectif n'était pas de critiquer pour critiquer, mais de nous pousser à faire des réformes et à aider les chômeurs.

Depuis mai 2003, l'Arabie saoudite et ses ressortissants sont eux-mêmes la cible du terrorisme. Pensez-vous que la répression, la guerre contre le terrorisme, soient la méthode la plus efficace ?
Les terroristes sont les ennemis de l'islam, de l'humanité et du genre humain. Nous leur ferons la guerre pendant dix, vingt, trente ans s'il le faut, que ces terroristes soient de confession musulmane ou non.
Nous avons commencé par leur demander de revenir à la raison, à la sagesse, au dialogue. En vain. Ils ont maintenu leurs actions. Dès lors, il faut combattre la violence par la violence. Mais il faut aussi combattre parallèlement les sources -de financement- du terrorisme, comme nous l'avons dit lors de la récente conférence de Riyad sur la lutte antiterroriste, c'est-à-dire que nous devons lutter contre le blanchiment d'argent, la contrebande et le trafic de drogue.

Qu'attendez-vous de votre visite en France ?
D'abord et avant tout, je viens parce que mon ami le peuple français et son président -Jacques- Chirac, un ami fidèle, très cher, me manquent. Chirac, à vrai dire, est un homme étrange, surtout par les temps qui courent. C'est ainsi que je le vois: un homme étrange, qui se distingue par sa morale, sa fidélité, sa sincérité, son humanité, sa franchise et sa chaleur humaine.

Mais encore ? Vous allez parler du Liban, de l'Irak ?
Le Liban, la Syrie, l'Irak concernent tous les peuples épris de justice et d'humanité. Le Liban ne saurait se passer de la Syrie et réciproquement. Le conflit qui a opposé ces deux pays peut être résolu. Mais les assassinats sont contraires à la morale et à l'humanité.

Vous pensez à l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri ?
De Rafic Hariri et d'autres ! L'assassinat de Rafic Hariri est un désastre, incontestablement. Qu'avait-il fait de mal ? Je connaissais très bien Rafic Hariri et je sais qu'il respectait la Syrie et les Syriens, tout en étant soucieux -des intérêts- de son pays. Je ne l'ai jamais entendu dire quoi que ce soit de mal -à propos de la Syrie-.

On dit que vous avez poussé le président syrien, Bachar Al-Assad, qui est venu vous voir, à retirer ses forces du Liban ?
Il en était convaincu avant d'arriver ici.

Pensez-vous que la décision du Conseil de sécurité de l'ONU de créer une commission internationale d'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri est une bonne décision ?
Bien sûr, parce que toutes sortes d'accusations ont été formulées, contre la Syrie, contre Israël, contre des parties libanaises. Une commission d'enquête internationale permettra d'établir la vérité.

Que pensez-vous de la situation en Irak ?
Je souhaite patience et succès au peuple irakien. C'est tout ce que l'on peut dire.

Pour Washington, la guerre en Irak était le premier pas vers la démocratisation du Moyen-Orient. Partagez-vous cette opinion ?
Je ne vois aucune utilité à la guerre. On ne construit pas la paix avec des guerres.

Vous êtes à l'origine de l'"initiative arabe de paix" adoptée en mars 2002 par le sommet arabe. Pensez-vous que dans l'ère post-Arafat cette initiative ait davantage de chances d'aboutir ?
Yasser Arafat a été le premier à approuver cette initiative, à laquelle le peuple israélien a aussi donné son accord. C'est Israël, ou plutôt une minorité en Israël qui est responsable -de l'absence de progrès-.

Qu'est-ce que le 11-Septembre a changé à vos relations avec les Etats-Unis ?
Ce qui a changé, c'est -l'attitude de- la presse. La plupart des journaux -américains- représentent une faction que vous connaissez.

Donc tout va bien ?
Il y a eu de légers différends, non pas avec le président -George Bush-, dont l'attitude n'a pas changé, mais avec son entourage. Mais grâce à Dieu, il y a eu une prise de conscience des deux côtés, et nos relations sont bonnes.

Pourquoi avez-vous choisi d'effectuer votre visite en France avant de vous rendre aux Etats-Unis, ce mois-ci ?
Je ne fais aucune différence entre les deux pays. Nos peuples sont amis depuis des dizaines d'années.

L'Europe a-t-elle un rôle à jouer au Moyen-Orient, différent de celui des Etats-Unis ?
Les Européens, qu'il s'agisse des Français, des Anglais ou d'autres, ont précédé les Américains dans notre région. Mais ils ont jeté l'éponge. Oui, aujourd'hui, il faut que l'Europe joue un rôle dans la région.

Propos recueillis par Sylvie Kauffmann et Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 13.04.05


Le Monde / Constitution européenne
Opinions - ANALYSE
L'entrée en scène de Jacques Chirac

 E n dialoguant jeudi sur TF1 avec un panel de jeunes, le président de la République marque son entrée dans la campagne pour le oui au référendum sur la Constitution européenne. La difficulté de l'exercice est que ces dernières semaines les intentions de vote en faveur du oui ont brutalement décroché. Le paradoxe de son intervention est que, le décrochage provenant principalement des électeurs de gauche, le président doit trouver les mots pour toucher une partie du pays politiquement très éloignée de lui.

Depuis la mi-mars, dix sondages consécutifs ont placé le non en tête des intentions de vote, lui accordant, selon la moyenne la plus récente de cinq instituts, 53,5%, une percée de 12 points en quelques semaines. Une situation d'autant plus spectaculaire que le oui est soutenu par l'arc-en-ciel des partis de gouvernement de gauche et de droite - PS, Verts, UDF, UMP -, qui totalisaient 65% des suffrages exprimés aux élections européennes de juin 2004. Une situation d'autant plus surprenante qu'il y a deux mois, lors du référendum de nos voisins espagnols, la victoire du oui a été une simple formalité, avec près de 80% des suffrages exprimés.

C'est à gauche que le oui a chuté massivement: -20 points chez les Verts, -15 points parmi les sympathisants socialistes. A droite, on n'observe qu'un léger recul chez les sympathisants UMP (­ 5 points), et même un petit progrès parmi ceux de l'UDF (+ 3 points). Le président parlera bien sûr au pays tout entier, mais la difficulté de sa tâche est de ne pas faire fuir les électeurs de gauche. On songe à l'apostrophe de Valéry Giscard d'Estaing lors du traité de Maastricht: "Moins François Mitterrand interviendra, mieux cela vaudra pour le résultat du référendum."

Toujours indulgent avec ses successeurs, VGE n'est pas loin de lancer le même trait en direction de Jacques Chirac... Et pourtant le débat de la Sorbonne autour de François Mitterrand a fait remonter le oui et a contribué sans doute de façon décisive à son succès final.

Aujourd'hui, si l'on compare les deux pouvoirs en place, celui de 1992 et celui de 2005, on constate que le gouvernement Raffarin est beaucoup plus impopulaire que le gouvernement Bérégovoy: 62% de mécontents aujourd'hui, selon l'IFOP, contre 42% il y a treize ans.

Mais il est vrai que François Mitterrand, lui, avait tenu compte du suffrage universel en renvoyant Edith Cresson après les désastreuses élections régionales intervenues six mois avant le référendum. A l'inverse, la popularité de Jacques Chirac, toujours selon l'Ifop, est plus élevée que celle de François Mitterrand à la veille du référendum: il compte encore 42% de satisfaits contre 33% à son prédécesseur. Bref, si le gou-vernement doit se taire, le président, lui, peut parler.

Non seulement, il le peut mais il le doit, même si la baisse provient de la gauche. Car la fonction présidentielle est en jeu: c'est le chef de l'Etat qui non seulement a signé le traité, mais qui a voulu qu'il soit ratifié par référendum plutôt que par le Parlement.

D'où vient cependant que la campagne pour le oui se soit révélée à ce point inefficace ? En s'appuyant sur les enquêtes régulières de l'Eurobaromètre, on peut avancer quelques explications. Présenter le oui comme une avancée nécessaire et évidente de la construction européenne, sorte d'étape obligatoire, ne convainc pas. Sans doute parce que les Français estiment que ces dernières années, l'Europe a déjà beaucoup avancé. En 1992, 48% des Français estimaient que la construction européenne avançait trop lentement, en 2004 ils ne sont plus que 32% à le dire.

Plus important encore, les avancées de l'Europe et ses élargissements sont souvent perçus comme une diminution d'influence de la France. 78% de nos compatriotes estiment que la voix de la France compte aujourd'hui en Europe, mais 40% seulement croient qu'elle comptera davantage dans dix ans. Un différentiel de 38 points alors qu'il n'est que de 4 points en Italie, de 6 en Espagne et de 8 au Royaume-Uni !

Les réticences des Français à l'égard des élargissements successifs tiennent davantage à la crainte d'une diminution capitis plutôt qu'à une véritable hostilité envers les pays concernés ­ il est d'ailleurs frappant de noter que le recul du oui n'est pas intervenu au plus fort de la polémique sur l'entrée de la Turquie mais pile au moment du débat sur la directive Bolkestein. L'erreur des thuriféraires de l'Europe est d'avoir constamment présenté l'idée européenne comme le prolongement de la grandeur française plutôt que comme la construction d'un projet collectif.

Du côté du Parti socialiste, le slogan retenu pour la campagne ­ "l'Europe sociale passe par le oui" ­ ne convainc pas davantage. Car les Français, toutes couches sociales désormais confondues, sont convaincus de la mise en péril de leur modèle social et de la difficulté à maintenir les services publics. En 1992, pour convaincre du oui, François Mitterrand présenta l'Europe comme un rempart contre ces bouleversements.

Treize ans plus tard, l'Europe en apparaît plutôt comme un accélérateur. En 1992, 58% des Français souhaitaient que la lutte contre le chômage soit menée en commun au sein de l'Union européenne. En 2004, 51% souhaitent qu'elle soit du ressort des gouvernements nationaux. Un changement qui laisse perplexe si l'on songe à l'absence de crédibilité des leaders politiques nationaux de toutes tendances sur ce sujet, mais qui renseigne sur le recul d'image de l'Europe.

L'ERREUR DU OUI DE GAUCHE

L'erreur sans doute est de chercher à défendre un oui de gauche, qui appelle en pendant un oui de droite alors que, pour réussir, une campagne référendaire doit privilégier des arguments communs. Les électeurs espagnols n'ont-ils pas trouvé ce terrain d'entente puisque les partisans du Parti socialiste ont voté oui à 97% et ceux du Parti populaire, le principal parti de droite dans l'opposition, à 79% ? S'il veut être crédible, le camp du oui ne doit pas laisser croire que la Constitution offrirait un remède à toutes les imperfections actuelles.

Parce que l'opinion française n'est pas en attente d'une nouvelle avancée de l'Europe mais plutôt de sa stabilisation, la Constitution deviendra acceptable si elle est perçue moins comme une avancée que comme la garantie d'un meilleur fonctionnement de l'Union, établissant de meilleures règles de fonctionnement, facilitant la construction des majorités pour adopter les textes et assurant à la France une meilleure représentation que celle que lui accorde le traité de Nice qui, en cas de victoire du non, restera en vigueur.

Parce que tout peuple veut étendre ses pouvoirs, la Constitution deviendra souhaitable si elle apparaît comme le fondement de la démocratie européenne dans laquelle les citoyens auront non seulement le droit de s'exprimer mais celui d'être entendus. Par une identification plus claire des dirigeants européens. Par le pouvoir de désigner le président de la Commission par leur vote aux élections européennes. Par le droit de pétition qui accorde à un million de citoyens venus de plusieurs pays le pouvoir de saisir le Parlement européen. Une réforme sans grande signification, disent les partisans du non, puisqu'elle n'obligera en rien les députés. Mais un pas important vers la mise en place de véritables débats européens et la montée en puissance d'un espace public européen.

Le oui a peu de chances de gagner en dramatisant simplement les conséquences d'une victoire du non. "Dire non ce serait casser l'Europe", affirmait François Mitterrand le 14 juillet 1992 pour convaincre les électeurs. Mais, depuis lors, l'Europe, avec l'euro et l'élargissement, a tellement progressé que le même propos apparaîtrait comme excessif et sans véritable portée. Le oui de 2005 doit être plus modeste et plus terre à terre, davantage une garantie qu'une avancée pour permettre aux peuples d'Europe d'être mieux reconnus et mieux entendus.

Jérôme Jaffré pour Le Monde
Article paru dans l'édition du 13.04.05


Le Monde / France
Le choc du 21 avril 2002 aura-t-il une réplique le 29 mai 2005 ?

 E t si tout recommençait... Si, une fois encore, le fossé entre les électeurs et les partis se creusait à nouveau à l'occasion du scrutin référendaire, dimanche 29 mai...

Il y a trois ans, le 21 avril 2002 avait sonné pour beaucoup de leaders comme la fin de leurs illusions politiques. Lionel Jospin, premier ministre et candidat du Parti socialiste, avait été éliminé dès le premier tour de l'élection présidentielle. Laissant Jacques Chirac dans un face-à-face inédit avec Jean-Marie Le Pen, le candidat de l'extrême droite. La gauche et, dans une moindre mesure, la droite étaient donc obligées de s'interroger sur leurs erreurs.

Pendant trois ans, les diagnostics n'ont pas manqué: déficit démocratique marqué par des records d'abstention (en dépit du sursaut des régionales en 2004), déclin de la France, insuffisante prise en compte du besoin de sécurité de la population, incapacité des partis de gouvernement à opérer des refontes doctrinales, coupure entre les élites et le "terrain", trop grande distance des intellectuels à l'égard de la vie publique.

Le message a-t-il depuis été pris en compte ? Pas sûr. C'est l'avis de Pierre Nora, de l'Académie française, directeur de la revue Le Débat, qui estime que les hommes politiques sont demeurés "stratosphériques". Il cite en exemple le débat entre Jacques Chirac et les jeunes sur TF1, jeudi 14 avril, où le chef de l'Etat, de son propre aveu, n'a pas compris les craintes de ses interlocuteurs.

Il est vrai que, passé les premiers mois d'interrogations, de débats et bonnes intentions, le quotidien de la politique a rapidement tout recouvert. François Hollande s'est convaincu que ses victoires électorales de 2004 (cantonales, régionales et européennes) scellaient définitivement les retrouvailles du PS et du peuple. A droite, Nicolas Sarkozy assure avoir tenu compte du 21 avril 2002 en enrichissant son offre sécuritaire d'un volet de promotion sociale.

Au lendemain de la présidentielle de 2002, Vincent Duclert, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), coauteur du Dictionnaire critique de la République (Flammarion, 2002), avait proposé avec une autre chercheuse de l'EHESS, Perinne Simon-Nahum, une réflexion sur l'événement (Il s'est passé quelque chose... le 21 avril, Denoël, 2002). Aujourd'hui, ces auteurs constatent que ni les politiques ni les chercheurs ne se sont vraiment attaqués de front à la crise de la représentation politique. Le besoin de politique qui s'était notamment exprimé au travers de nouvelles adhésions dans les partis a fait long feu.

Autre constat, le débat sur le socialisme et le libéralisme n'a guère eu lieu dans les partis de gouvernement, au PS comme à l'UMP. Pour M. Nora, cependant, "la gauche a une grande responsabilité dans l'affaire, et c'est plutôt elle qui refuse de s'affronter au débat". D'après lui, ce sont des intellectuels de centre droit, comme Nicolas Baverez (La France qui tombe, Perrin, 2003), qui porte, depuis trois ans, la réflexion sur le déclin de la France et l'interrogation sur l'identité nationale. "Je ne suis pas moi-même un "décliniste", note Pierre Nora, mais le 21 avril révèle une mue profonde, une baisse d'influence de la France, à laquelle elle a du mal à s'adapter."

UNE SUCCESSION DE RÉPLIQUES

L'absence de réflexion sur "les leçons du 21 avril" peut-elle conduire à une succession de répliques dont le scrutin du 29 mai serait la première ? Pour Vincent Duclert cela ne fait aucun doute. "Si le non l'emporte au référendum, explique-t-il, cela sera lié à l'incapacité des politiques à réagir au 21 avril."

Déjà, les éléments objectifs d'une duplication sont à l'oeuvre. Alors que l'UMP, le PS, l'UDF et les Verts appellent à ratifier la Constitution, les sondages s'entêtent à pronostiquer la victoire du non. François Hollande, il y a quelques semaines, avançait cet argument de campagne qu'il pensait imparable: "Pour sauver le oui, nous expliquerons qu'une victoire du non serait un nouveau 21 avril...". Nous y sommes.

Philippe Ridet et Nicolas Weill
Article paru dans l'édition du 21.04.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Français, vous nous atterrez !, par Bino Olivi

 A ctuellement, le débat de la campagne référendaire pour le traité constitutionnel en France est suivi par d'innombrables Européens, liés à ce pays par des liens culturels ou familiaux (parfois par les deux), avec beaucoup d'appréhension ­ et souvent avec stupeur.

En particulier, l'avalanche de mensonges, de déformations des faits, de poncifs insupportables, de la part de personnalités des mondes politique et même académique au sujet de l'intégration européenne, de manifestations désespérantes d'un chauvinisme qu'on croyait disparu, est en train d'atterrer les véritables amis de la France, surtout ceux qui ont suivi de près les péripéties et les difficultés qui ont jalonné le processus d'unification européenne et le rôle extraordinaire qu'elle y a joué dès le début.

Car la Communauté européenne et, surtout, la "méthode communautaire" sont des inventions françaises. Ses auteurs furent Robert Schuman et Jean Monnet. Elles ont permis à la France, avant tout, de sortir de la terrible impasse où le début de la guerre froide l'avait confinée. Obligé d'accepter le retour à l'indépendance de l'ennemi héréditaire allemand, voulu par les Anglo-Saxons et exigé par le raidissement des relations entre les anciens Alliés, occidentaux et soviétiques, Paris a proposé à la nouvelle Allemagne et à ses voisins d'Europe occidentale le premier traité communautaire, qui créa la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA).

L'invention française consistait en une délégation de souveraineté sectorielle des pays signataires, dans les domaines des industries de guerre, à des institutions indépendantes de leurs créateurs.

Si la CECA se révéla tout de suite un succès surtout politique ­ la "méthode communautaire", à savoir la délégation de souveraineté, fonctionnant dès l'origine sans difficultés majeures ­, les traités qui suivirent, créant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA), marquèrent le véritable point de départ de l'unification européenne.

La France était sortie grande gagnante après des négociations, difficiles et parfois acharnées, qui précédèrent la signature des deux traités à Rome en 1957. Même de Gaulle, revenu au pouvoir en 1958 et qui était pourtant hostile à l'origine à ces traités, contraires à ses principes, comprit combien ils étaient exceptionnellement favorables aux intérêts français. Il se fit un devoir de conduire jusqu'au bout leur mise en oeuvre. Ce fut l'un des plus grands succès diplomatiques français du XXe siècle.

Citons deux des nombreux avantages obtenus par la France. D'abord la politique agricole commune (PAC), alors que les autres pays membres étaient encore déficitaires et dépendaient des Etats-Unis pour leur approvisionnement alimentaire. Il faut espérer que les dirigeants des organisations agricoles françaises se souviendront de la"guerre du poulet" , lancée par Washington, premier des innombrables différends commerciaux déclenchés par les Américains pour mettre en cause la PAC. Et qu'ils se souviendront que l'Allemagne, par exemple, abandonna l'importation des poulets de l'Arkansas pour les remplacer par des poulets bretons.

Ensuite, l'appui que la France obtint de ses partenaires, avec une participation financière majeure, au développement de pays d'outre-mer dont la grande majorité était ses anciennes colonies, ce qui constitua un"miracle" diplomatique, compte tenu des intérêts en cause et des humeurs de l'époque.

Sans refaire l'histoire, on peut affirmer que, depuis l'origine, tous les progrès de l'unification européenne ont largement rencontré les intérêts de la France, et qu'ils étaient pour la plupart d'initiative française. Par ailleurs, l'Hexagone a"fourni" à l'Europe, depuis une soixantaine d'années, les meilleurs protagonistes de ses institutions: de Jean Monnet à Robert Marjolin, Raymond Barre, Jean-François Deniau, enfin et surtout Jacques Delors, le meilleur président de l'histoire de la Commission.

Les drames et les aléas des rapports avec l'Allemagne se sont transformés en un pacte permanent entre les deux pays, qui reste au cœur du processus d'unification européenne et a donné à la France une position de primauté et, en quelque sorte, de guide de l'intégration. Ce qui lui a assuré une position et une influence sans pareilles dans les affaires du monde.

Et voilà que la soumission au jugement populaire d'un traité constitutionnel, conçu pour consolider les résultats de l'immense travail des institutions et des Etats afin de clarifier, rationaliser et mieux équilibrer les compétences et les procédures d'une Union élargie et en voie d'élargissements ultérieurs, provoque en France une réaction de défiance, alimentée par une mauvaise conjoncture et par une propagande politicienne qui n'hésite pas à encourager les contre-vérités, les amalgames les plus surprenants et les manifestations d'ignorance les plus inattendues.

On mélange tout. Dans un raptus de masochisme suicidaire, on remet en jeu le formidable acquis de l'unification européenne, l'entreprise qui a assuré la paix et le développement en Europe, suscitant admiration et parfois envie dans le monde. Les amis et les admirateurs de la France assistent, terrifiés, à cette folie, en espérant que le 29 mai ne sonnera pas le glas de la période la plus glorieuse de l'Europe en temps de paix.

Bino Olivi enseigne l'histoire de la construction européenne aux universités de Padoue et Rome-III. Il a été porte-parole de la Commission européenne de 1961 à 1978.

par Bino Olivi
Article paru dans l'édition du 22.04.05


Le Monde / Constitution européenne
Référendum: les instituts de sondage peinent à appréhender les comportements des électeurs

 M ercredi 20 avril, une enquête TNS/Sofres pour RTL, Le Monde et LCI place le non à 55% des intentions de vote. Le lendemain, Le Parisien publie un sondage CSA qui donne le chiffre de 52%. Quelques heures plus tard, une enquête BVA pour L'Express montre, avec un 21e sondage, une progression de cinq points, plaçant le refus du traité constitutionnel à 58%. Comment expliquer de telles variations ?

Cette simplification des sondages et l'avalanche de chiffres qui l'accompagne rend complexe la compréhension des tendances de l'opinion. "Les chiffres sont très différents d'un institut à l'autre", reconnaît François Miquet-Marty, analyste politique de l'institut Louis-Harris, "mais on constate que les personnes interrogées sont beaucoup plus hésitantes, on le constate à chaque élection". Un "comportement volatil" pour Pascal Perrineau, directeur du Centre d'étude de la vie politique française (Cevipof). "Il est de plus en plus difficile de saisir les comportements des électeurs. Peut-être même plus qu'en 2002", constate-t-il.

Avant l'élection présidentielle de 2002, le Cevipof avait réalisé une enquête en interrogeant des électeurs trois semaines avant le premier tour, puis une semaine après le vote. "43% avaient changé d'intention de vote ! Saisir ce paysage devient de plus en plus compliqué", explique Pascal Perrineau.

"COMPARER LES CHIFFRES D'UN MÊME INSTITUT DE SONDAGE"

Au-delà des fluctuations rapides de l'opinion, les instituts de sondage ont des méthodes fort différentes. François Miquet-Marty explique que "BVA réalise des entretiens en face-à-face, ce qui permet une meilleure représentation des personnes peu diplômées. Mais CSA, comme Louis-Harris, réalisent les sondages par téléphone, pour avoir une meilleure répartition géographique". Pour Pascal Perrineau, c'est le suivi sur la durée qui importe. "Il faudrait plutôt comparer les chiffres d'un même institut de sondage, on obtiendrait une meilleure image des évolutions de l'opinion".

Par ailleurs, il insiste, tout comme François Miquet-Marty, sur la nécessité de tenir compte des marges d'erreur des enquêtes, renforcées par les difficultés à comprendre les enjeux du débat. "Lorsque les échantillons comprennent entre 800 et 1 000 personnes et qu'il y a 50% d'indécis, on est sur une population extrêmement petite". Une marge d'erreur classique de 2 points passe, dans ce contexte, à plus ou moins 4 points.

Lorsqu'un sondage place le "non" à 52%, il oscille potentiellement entre 48 et 56%. "30% de ceux qui sont certains d'aller voter ne répondent pas à la question sur leurs intentions de vote. Le terreau sur lequel on travaille est donc incertain, et assez fluctuant", ajoute François Miquet-Marty, avant de reconnaître: "Nous ne sommes pas toujours capables d'êtres très précis". Dans ce cadre, toute prévision à long terme semble superflue. Pour Pascal Perrineau, "les lignes politiques vont encore bouger énormément d'ici au 29 mai".

Nabil Wakim
LEMONDE.FR | 22.04.05


Le Monde / International
Le Sénat américain débloque 77 milliards de dollars pour l'Irak et l'Afghanistan

 L e Sénat américain a approuvé, jeudi 21 avril, à l'unanimité, l'enveloppe de quelque 81 milliards de dollars réclamée par l'administration Bush pour financer, principalement, les opérations militaires en Irak et en Afghanistan. Ce collectif budgétaire comprend en effet quelque 77 milliards de dollars pour les opérations militaires, le reste devant être affecté à des dépenses civiles et d'aide internationale, notamment pour ce qui concerne les victimes des raz de marée en Asie, pour les réfugiés du Soudan ainsi que pour les Palestiniens.

Les 77 milliards destinées aux opérations en Irak et en Afghanistan viennent s'ajouter aux quelque 200 milliards de dollars déjà dépensés par l'administration Bush pour ces deux conflits. Le président Bush s'est félicité de cette décision en soulignant que "de jeunes démocraties s'enracinent en Irak et en Afghanistan, et l'Amérique est fière de les soutenir". "Ces deux pays prennent une responsabilité de plus en plus importante pour assurer leur propre sécurité, ce qui aidera nos troupes à rentrer aussi vite que possible en recevant les honneurs qu'elles méritent", a-t-il ajouté.

Sur le terrain, les corps de 19 soldats irakiens, enlevés il y a quelques jours, ont été retrouvés criblés de balles près de la ville de Baïji, à 200 km au nord de Bagdad. Les 19 soldats avaient été enlevés à un faux barrage dressé par des rebelles qui ont intercepté les minibus à bord desquels ils se déplaçaient. Mercredi, 19 autres soldats avaient été exécutés par des rebelles dans un stade à Haditha, une ville située à 260 km au nord-est de Bagdad.

En outre, un soldat américain a été tué dans l'explosion, vendredi à l'aube, d'une bombe au passage de sa patrouille, dans le nord de l'Irak, portant à 1556 le nombre de militaires américains morts en Irak depuis l'invasion du pays, en mars 2003.

Par ailleurs, onze personnes, dont six Américains, ont été tuées, jeudi, dans la chute d'un hélicoptère civil bulgare, abattu par un missile au nord de Bagdad. Cette attaque a été revendiquée par l'Armée islamique en Irak. Outre les six Américains, employés de la société de sécurité Blackwater, les trois membres d'équipage bulgares et deux gardes fidjiens sont décédés dans la chute de l'appareil de la compagnie bulgare Heliair, selon un responsable de Skylink, la société canadienne qui avait affrété l'appareil. Le ministère bulgare de la défense a affirmé que les deux gardes morts étaient philippins et non fidjiens.

L'Armée islamique en Irak a diffusé sur Internet une vidéo de ce qu'elle affirme être les débris de l'appareil et des corps de victimes. L'un des membres d'équipage, blessé lors du crash, a été assassiné par les rebelles. Ce groupe islamique s'est notamment manifesté par des enlèvements d'étrangers, notamment Christian Chesnot et Georges Malbrunot et, dans certains cas, par leur assassinat, comme celui, en août 2004, du journaliste italien Enzo Baldoni.

Un septième employé américain de Blackwater a été tué et un autre blessé près de Ramadi, à 100 km à l'ouest de Bagdad, dans l'explosion d'une bombe au passage de leur véhicule. Les firmes de sécurité privées, qui emploient des milliers d'étrangers en Irak, ont subi cette semaine leurs pires pertes humaines depuis la fin de la guerre, avec la mort, en quarante-huit heures, de 13 de leurs membres dans des attaques de rebelles. Selon le ministère irakien de l'intérieur, quelque 50 000 étrangers et Irakiens, attirés par des salaires mirobolants, travaillent pour ces sociétés depuis la chute du régime de Saddam Hussein.

D'autres agents de sécurité ont également péri, mercredi et jeudi, sur la route de l'aéroport, considérée comme l'une des plus dangereuses de la capitale car elle traverse, sur une bonne dizaine de kilomètres, une zone habitée par d'anciens officiers de l'armée et membres des services secrets de Saddam Hussein. Lors d'un attentat à la bombe, un employé de la firme de sécurité Aegis, basée en Grande-Bretagne, a été tué et un autre blessé. Jeudi, un Canadien, un Américain et un Australien travaillant pour la société Edinburgh Risk, basée en Grande-Bretagne, ont également été tués lors d'une fusillade sur ce que l'on appelle désormais la "route de la mort". A la mi-mars, Blackwater avait déjà perdu deux de ses employés sur cette route.

Ces décès portent à au moins 227 le nombre d'étrangers, employés en Irak par des sociétés privées, tués dans ce pays, selon Coalition Casualties, un site Internet indépendant. ­

(AFP, Reuters.)
Article paru dans l'édition du 23.04.05


Le Monde / France
En souvenir des déportés, Jacques Chirac appelle à être "toujours en veille"

 "L a Shoah interpelle chacun de nous au-delà de toute mesure. Elle est pour nous tous une exigence de réflexion et d'action", a déclaré Jacques Chirac, dimanche, à l'occasion de la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation. "Elle nous fait devoir de lutter sans merci contre toutes les formes de racisme et d'antisémitisme, contre toute forme de révisionnisme, contre tous ceux qui proclament l'inégalité entre les hommes. Aujourd'hui, nous savons qu'il faut être toujours en veille".

Le président français a pris la parole lors d'une cérémonie sur le parvis des droits de l'Homme, à Paris, en présence de plusieurs centaines de personnes, dont d'anciens déportés. Le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, était présent, ainsi que les ministres Michèle Alliot-Marie, Michel Barnier, Jean-Louis Borloo , Jean-François Lamour, Hamlaoui Mekachera, le maire de Paris Bertrand Delanoë, l'ancien ministre Simone Veil, rescapée du camp d'Auschwitz et l'écrivain Marek Halter.

"La liberté, l'égalité et la fraternité, mais aussi la démocratie et la paix ont un prix: celui de ces générations entières qui se sont battues pour elles jusqu'au sacrifice de leur vie. Elles sont des conquêtes de chaque instant", a-t-il déclaré.

"UN COMBAT JAMAIS ACHEVÉ"

Evoquant la déportation des juifs - plus de 75.000 en France - vers les camps de concentration nazis durant la seconde guerre mondiale, le président de la République a déclaré que les Français "n'oublieraient jamais". Ces épisodes "sont gravés en lettres de sang et de larmes dans notre histoire. Ils tracent notre devoir", a-t-il dit, exprimant "l'hommage de la Nation" aux survivants présents.

"Grâce à vous, les jeunes générations entendent la voix de la vérité. Une vérité irréfutable. Une vérité inoubliable. (....) Aujourd'hui, nous savons que la tolérance et le refus des discriminations appartiennent au socle intangible des droits de l'homme. Nous savons aussi que ce combat de l'acceptation de l'autre et de ses différences n'est jamais achevé. Il demeure l'un des plus ardents pour notre République", a lancé Jacques Chirac, insistant sur les leçons à tirer de "cette tragédie".

"Aujourd'hui, instruits par l'histoire, nous savons qu'aucune dérive, qu'aucune faiblesse n'est acceptable. Nous savons que rien n'est banal ni anodin. Nous savons comment l'horreur fait ses premiers pas. Nous savons où conduit la faiblesse des nations (...).Partout dans le monde, les auteurs de crimes contre l'humanité doivent savoir qu'ils seront poursuivis sans relâche, jugés et condamnés sans faiblesse", a conclu le chef de l'Etat.

Une évocation symbolique à la mise en scène sobre, imaginée par Bernard Szajner, a ensuite retracé la déportation et la libération des camps au travers de deux écrans formant les pages d'un livre d'histoire sur le parvis du Trocadéro.

Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux anciens combattants, devait clore cette journée de commémoration à l'Arc de Triomphe par un dépôt de gerbe et un ravivage de la flamme.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 24.04.05


Le Monde / Constitution européenne
Simone Veil, en congé du Conseil constitutionnel, va se lancer dans le sauvetage du oui

 F aut-il qu'il y ait péril en la demeure... Simone Veil, qui avait "des fourmis dans les jambes", selon des collègues du Conseil constitutionnel, à force d'assister, impuissante, à la montée du non au référendum, va se lancer dans la campagne.

Son devoir de réserve la rendait muette. Une situation insupportable pour cette Européenne convaincue, qui a décidé de se mettre en congé de la rue Montpensier pour défendre, à son tour, le oui.

Après Valéry Giscard d'Estaing, elle sera le deuxième membre du Conseil constitutionnel à prendre part à la campagne référendaire. Mais, à la différence de l'ancien président de la République, Mme Veil a pris soin de respecter les formes. Avant d'annoncer sa décision, qui a été rendue publique par le Conseil constitutionnel vendredi 29 avril, un mois tout juste avant la date du scrutin, l'ancienne présidente du Parlement européen s'est assurée du feu vert du président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud. Cette décision sera effective à compter du 1er mai, et jusqu'à la proclamation des résultats, le 29 mai au soir.

DEVOIR DE RÉSERVE

Interrogée par Le Monde, l'ancienne ministre de M. Giscard d'Estaing entend, pour quelques jours encore, respecter son devoir de réserve. Elle souhaite également mettre ce délai à profit pour décider des formes de sa participation.

Mme Veil, qui avait activement participé à la campagne pour le référendum sur le traité de Maastricht, en 1992, reconnaît volontiers que l'ancrage du non dans les sondages l'a incitée à franchir le pas. L'avocate passionnée de la loi sur l'avortement laisse également entendre qu'elle a reçu de nombreuses sollicitations pour mener le combat du oui. Elle ne dit pas si Jacques Chirac, à qui elle est toujours reconnaissante d'avoir reconnu la faute de l'Etat français dans la rafle du Vel'd'Hiv, l'a, directement ou indirectement, sollicitée.

Si Mme Veil feint de ne pas s'être interrogée sur le "cas" Giscard, la rigueur de sa décision met en lumière la situation de l'ancien président. Ce dernier, membre de droit du Conseil, fait en effet activement campagne pour le oui sans s'être mis en congé de la haute juridiction. Il continue donc de percevoir le traitement qui lui est versé à ce titre. Ce qui ne sera pas le cas ­ pour le mois de mai ­ de Mme Veil.

L'entourage de M. Giscard d'Estaing fait cependant valoir que celui-ci "n'assiste pas aux séances du Conseil constitutionnel lorsque celles-ci ont pour objet l'organisation de la campagne référendaire. Ce principe a été arrêté en accord avec Pierre Mazeaud. M. Giscard d'Estaing n'a donc aucune raison de se mettre en congé". "D'ailleurs, ajoutent ses proches, il ne fait pas campagne pour le oui, il explique la Constitution".

Mais cette campagne qui ne s'avoue pas agace rue de Montpensier. M. Giscard d'Estaing en a été averti lorsqu'il a multiplié les déclarations contre l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. On lui a alors laissé entendre qu'il lui faudrait choisir entre son devoir de réserve et la défense de la Constitution dont il est le principal artisan. L'ancien président a fait la sourde oreille.

Béatrice Gurrey et Jean-Baptiste de Montvalon
Article paru dans l'édition du 24.04.05


Le Monde / Europe
L'Europe invite les Etats-Unis à respecter le droit

 L' assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a demandé "instamment" mardi au gouvernement américain de "respecter les principes de la prééminence du droit et des droits de l'homme" vis-à-vis des détenus de Guantanamo.

Dans une résolution adoptée à Strasbourg par 83 voix, aucune contre et cinq abstentions, elle invite les Etats-Unis à "cesser tout mauvais traitement des détenus à Guantanamo" et à les autoriser à "solliciter l'examen de la légalité de leur détention par un tribunal régulièrement constitué".

L'assemblée estime que Washington doit "libérer sur le champ tous les détenus pour lesquels il n'existe pas de preuve suffisante justifiant leur inculpation pénale" et au contraire les inculper et les traduire en justice "sans plus attendre" dans le cas inverse. Les Etats-Unis sont encore invités à "exclure toute déclaration obtenue par la torture ou par des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants", conformément "au droit international et à la constitution des Etats-Unis".

MAUVAIS TRAITEMENTS

L'assemblée rappelle qu'elle "partage la détermination des Etats-Unis à combattre le terrorisme international" mais estime que "le gouvernement américain a trahi ses propres principes les plus élevés dans l'ardeur avec laquelle il a tenté de mener 'la guerre contre la terreur'".

Quelque 540 suspects, pour la plupart capturés en Afghanistan, sont détenus sur la base américaine de Guantanamo, sur l'île de Cuba. Les Etats-Unis leur ont attribué le statut d'"ennemis combattants" ne pouvant prétendre aux droits reconnus aux prisonniers de guerre par les conventions de Genève. Plusieurs témoignages d'anciens prisonniers, tout comme un récent rapport du parlement britannique ou des notes internes du FBI publiées dans la presse, ont fait état de mauvais traitements pouvant s'apparenter à des actes de torture à l'encontre des détenus de Guantanamo.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 26.04.05


Le Monde / Europe
La droite italienne pense à un nouveau parti et cherche un nouveau chef

 L a coalition de gouvernement actuelle regroupe Forza Italia, le mouvement libéral créé en 1994 par Silvio Berlusconi, l'Alliance nationale, formation issue d'un parti post-fasciste en 1995, la Ligue du Nord, mouvement populiste et xénophobe, et l'Union des démocrates chrétiens et de centre (UDC), petite formation de centre droit issue de l'implosion du grand parti de la Démocratie chrétienne.

Le chef de l'opposition italienne, Romano Prodi, a réussi à fédérer tous les partis de la gauche au sein d'une alliance, "L'Union", en vue de son affrontement avec Silvio Berlusconi lors des élections législatives "à la mi-mai 2006". "L'idée d'un parti politique unique de centre droit n'est pas a exclure", a commenté mardi soir le vice-premier ministre Gianfranco Fini, chef de l'Alliance nationale.

"BERLUSCONI EST UN CHEF NATUREL"

Une première inconnue dans cette réflexion est le sort fait à la Ligue du Nord, exclue de ce parti unique dans les raisonnements faits jusqu'à présent par les centristes et les dirigeants de l'Alliance nationale. La seconde inconnue est le leadership de ce parti unique, car Silvio Berlusconi commence a être ouvertement contesté par certains de ses alliés.

"Nous n'avons plus une icône sur laquelle construire un consensus au sein de notre électorat", affirme ainsi le député UDC Bruno Tabacci, un des plus critiques de l'action de Silvio Berlusconi et de ses liens privilégiés avec la Ligue du Nord.

"Faisons d'abord le parti et ensuite le parti choisira le leader. Lorsqu'on fait le contraire, les choses ne fonctionnent pas", a pour sa part expliqué le centriste Rocco Buttiglione.

Le message est arrivé à Forza Italia. Son coordinateur, Sandro Bondi, a évoqué "l'organisation de primaires".

"Berlusconi est un chef naturel, il ne craint pas l'affrontement", a-t-il assuré. Mais il est très affaibli par les défaites électorales successives subies par son parti et sa coalition depuis 2003. Pour la première fois, la droite a été devancée par l'opposition en nombre de suffrages exprimés lors des élections régionales des 3 et 4 avril.

Contraint de démissionner, Silvio Berlusconi a fait savoir sa contrariété et a présenté mardi une nouvelle équipe dont la composition est considérée comme une victoire de la Ligue avec le rappel de l'ancien ministre de l'économie Giulio Tremonti, proche du parti populiste, au rang de vice-président du conseil.

Il a demandé la confiance au Parlement et les deux chambres où sa coalition est majoritaire, se prononceront mercredi. Les votes de chaque parti seront déterminants. Silvio Berlusconi s'est dit assuré mardi soir d'avoir le soutien de chacune des composantes de sa majorité.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 26.04.05


Le Monde / Société
Un chercheur analyse "l'incendie médiatique" qui a placé les "tournantes" sur le devant de la scène

 I l a surgi en 2001: le mot "tournantes", désignant des viols collectifs commis par des jeunes gens de banlieue, serait une construction médiatique récente.

C'est ce qu'affirme dans son dernier ouvrage, Le Scandale des "tournantes", dérives médiatiques, contre-enquête sociologique, le sociologue Laurent Mucchielli, directeur du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), institut placé sous la tutelle du CNRS et du ministère de la justice.

Une école Samira-Bellil à L'Ile-Saint-Denis
Un centre scolaire Samira-Bellil a été inauguré, samedi 16 avril, à L'Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), en présence de la famille de la jeune femme. Morte en septembre 2004 des suites d'un cancer, Samira Bellil avait témoigné de son calvaire, en 2002, dans L'Enfer des tournantes (Gallimard, "Folio-Documents", 320 p., 3,50 euros). Devenue éducatrice, elle avait soutenu la Marche des filles des cités organisée, en mars 2003, par le mouvement Ni putes ni soumises, dont elle était la marraine.
"Samira Bellil est à la fois le symbole de la fraternité de notre jeunesse et de sa combativité", a déclaré le maire de L'Ile-Saint-Denis, Michel Bourgain (Verts). Mais comment expliquer aux enfants le parcours douloureux de la jeune femme ? Le jour du dépouillement, Alain François, adjoint à la jeunesse, a expliqué simplement son itinéraire: "Je leur ai dit qu'elle avait été la marraine d'un mouvement pour la liberté des femmes et qu'elle s'était battue pour que les jeunes filles puissent circuler librement dans leur cité sans être embêtées".

Un film, La Squale, de Fabrice Génestal, en 2000, fut l'élément déclencheur de l'intérêt des médias. Puis est venu, en 2002, le témoignage d'une jeune femme, Samira Bellil, L'Enfer des tournantes, suivi de la création d'un mouvement féministe, Ni putes ni soumises. De ces trois événements, est né, sur fond de débat électoral sécuritaire, un "scénario" que l'on pourrait, selon Laurent Mucchielli, intituler: "La société française est menacée par la jeunesse des banlieues".

Sur le fil de l'Agence France-Presse (AFP), dans les trois années qui "précèdent l'incendie médiatique", l'auteur n'a recensé en moyenne que deux dépêches par an consacrées aux viols collectifs. De 1998 à 2000, dans les cinq quotidiens nationaux étudiés (Le Monde, Le Figaro, Libération, L'Humanité, La Croix), il n'a trouvé que trois articles. En 2001, le nombre de dépêches de l'AFP est multiplié par dix. Le Monde consacre 18 articles au sujet, Le Figaro, 14. Mais en 2004, le sujet a disparu, de nouveau.

STABILITÉ DES CONDAMNATIONS

Dans leur traitement récent, les viols collectifs ont eu pour cadre la banlieue, et pour acteurs les jeunes gens d'origine étrangère. Selon Laurent Mucchielli, la référence constante faite à l'origine maghrébine ou africaine des auteurs de tournantes a débouché sur un amalgame entre viols collectifs et islam. "C'est l'éducation dans ces sociétés qui est aussi en procès", souligne-t-il.

Le thème des "tournantes" témoignerait des nouveaux habits de la xénophobie, qui diabolise les "arabo-musulmans". D'ailleurs, il "précède immédiatement (...) le thème du voile islamique et celui de l'antisémitisme", conclut-il.

A l'appui de sa démonstration, l'auteur a mené une "contre-enquête sociologique". Sur le plan quantitatif, affirme-t-il d'abord, "l'idée selon laquelle les viols collectifs constitueraient un phénomène en augmentation continue dans la société française n'est pas vérifiée".

De 1984 – date à partir de laquelle la statistique judiciaire distingue les viols en réunion de l'ensemble des viols – à 2002, le nombre des condamnations s'établit en moyenne à 125 par an, sur tout le territoire. Le constat est celui d'une stabilité. Tous les faits sont encore loin d'être rapportés, et le chercheur n'explore pas la réalité récente des quartiers difficiles: la dégradation des rapports entre filles et garçons est constatée par de nombreux acteurs sociaux.

Sur une longue période, il est impossible d'établir des statistiques fiables sur les viols collectifs. La pratique, relève Laurent Mucchielli, est ancienne, tant dans le milieu estudiantin que dans celui des bandes urbaines des années 1960.

Henri Michard, directeur du Centre de formation de l'éducation surveillée à Vaucresson, avait bien décrit le phénomène en 1973: appelé "barlu" à Lyon ou "rodéo" à Toulouse, le viol collectif est le fait de petits groupes, mêlant jeunes adultes et petits. Si la plupart sont scolarisés ou possèdent un emploi, les auteurs ont souvent des problèmes familiaux, et une partie a un passé délinquant. Henri Michard expliquait que, pour eux, le viol, de dimension initiatique, représentait la première expérience sexuelle.

Des travaux plus récents, notamment des enquêtes de victimation, ont confirmé la rareté des viols collectifs et la diversité de leurs auteurs. Au travers de l'étude de vingt-cinq dossiers judiciaires, Laurent Mucchielli souligne enfin que les viols collectifs obéissent à des processus sociaux très divers. Parmi eux, "l'affirmation virile collective et l'initiation sexuelle" correspondent en partie à la représentation des tournantes.

Mais ce ressort peut se rencontrer "dans les milieux sociaux les plus variés". Selon les dossiers judiciaires, d'autres processus ont été identifiés: dans le huis clos d'un logement social partagé par plusieurs marginaux, ou derrière les murs d'une prison, il s'agit de "la domination violente et quotidienne" d'un membre du groupe plus faible que les autres. Lors d'un bizutage, qui s'est produit dans un lycée agricole, c'est le "rite de passage" qui domine.

En occultant une réelle analyse des viols collectifs, le "scénario" des tournantes a banalisé les "lectures culturalistes" et les "simplismes réservés à l'extrême droite", affirme Laurent Mucchielli.

Nathalie Guibert
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Société
Trois questions à... Fadela Amara, présidente de Ni putes ni soumises

 1-  Le mouvement Ni putes ni soumises, dont vous êtes la présidente, a fait de la dénonciation des "tournantes" l'un de ses combats. Que pensez-vous de l'étude de Laurent Mucchielli montrant que les viols collectifs n'ont pas augmenté depuis vingt ans ?
Ce travail sociologique est fondé sur des chiffres officiels qui ne reflètent pas forcément la réalité. Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, il faut compter avec la loi du silence.
Les témoignages que nous continuons à recevoir montrent que la libération de la parole, en cas de ce qu'il faut avoir le courage d'appeler viol collectif, est beaucoup plus difficile qu'en cas de viol perpétré par une seule personne.
En parler, pour une jeune fille qui vit dans une cité, c'est encore très, très difficile parce que cela touche à son intimité et à son intégrité morale et physique. Beaucoup sont détruites et se taisent. Et celles-là, elles ne figureront jamais dans les statistiques.

2 - Laurent Mucchielli affirme qu'en insistant sur les violences contre les femmes dans les cités vous finissez par stigmatiser l'islam et les jeunes issus de l'immigration. Que lui répondez-vous ?
Comme je l'ai toujours dit, la situation catastrophique des banlieues n'est pas liée à l'islam ou à l'immigration mais à trois phénomènes: le chômage de masse des années 1990, la discrimination – la République ne sait pas intégrer tous ses enfants – et l'émergence de l'islamisme. Je ne suis pas née de la dernière pluie. Je sais que ce discours se situe sur une ligne de crête: il peut être instrumentalisé et asseoir des politiques de répression contre les jeunes des quartiers. Mais moi, ces politiques, je les dénonce.
Si un jeune a commis un méfait, je trouve normal qu'il paye, mais je veux de vraies politiques de prévention pour aider ces jeunes, car ce sont eux les plus fragiles. Je n'ai pas envie que leur avenir, ce soit la prison ou l'islamisme. Je veux qu'ils aient les mêmes perspectives que les autres gamins de ce pays.

3 - Que répondez-vous à ceux qui affirment que votre mouvement finit par "ethniciser" la question sociale ?
Ils se trompent sur Ni putes ni soumises: ce n'est pas un mouvement de "beurettes", mais un mouvement intergénérationnel, mixte et métissé ! Ce n'est pas parce que je m'appelle Fadela, que je suis fille d'immigrés et que mon père a une carte de séjour que le mouvement "ethnicise" les questions sociales ! Je me considère d'abord comme une citoyenne française et quand je me bats contre le malaise des banlieues, je me bats autant pour le petit Benoît ou pour la petite Christine que pour le petit Mohamed. Eux aussi subissent des formes de discrimination parce que leur quartier a mauvaise réputation, et eux aussi peuvent subir des formes de violence.

Propos recueillis par Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / France
Lionel Jospin revient en patron du PS grâce à la campagne européenne

 L ionel Jospin a fait un hold-up sur les cérémonies du centenaire du Parti socialiste. Samedi 23 avril, à Paris, dans la Bibliothèque François Mitterrand, l'ancien premier ministre, s'est clairement placé aux avant-postes de la campagne pour le référendum. Eclipsant toute autre intervention, y compris celle du premier secrétaire du PS, François Hollande

M. Zapatero soutient MM. Chirac et Hollande
Le chef du gouvernement espagnol, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, a prévu de rendre la politesse au président de la République française, Jacques Chirac, et au premier secrétaire du Parti socialiste français, François Hollande, qui étaient venus en Espagne pour soutenir la campagne en faveur de la Constitution. "Je prévois de me rendre deux fois en France avant le référendum -du 29 mai- pour appeler à voter oui", a annoncé, sans préciser les dates, M. Zapatero dans un entretien au quotidien El Pais, dimanche 24 avril. L'ancien président de la Commission européenne, aujourd'hui dirigeant de la coalition de la gauche italienne, Romano Prodi a, quant à lui, estimé, dans un entretien au Journal du dimanche le 24 avril, qu'une victoire du non en France conduirait à "la chute de l'Europe". "Nous passerons par une grande période de crise. Un non serait catastrophique pour l'Europe sociale et économique, pas seulement pour l'Europe politique", a avancé M. Prodi.

Ce n'est qu'un début: sur France 2, jeudi 28 avril, il défendra le oui en s'adressant aux Français, pour la première fois depuis son élimination au premier tour de la présidentielle de 2002. Puis tiendra meeting à Nantes, le 19 mai.

D'entrée, M. Jospin a mis les choses au point. Invité comme "grand témoin" en fin de colloque, il a préféré se prévaloir de l'étiquette d'"acteur depuis plus de 30 ans". Puis, il est entré dans le vif du sujet, déclarant, au détour d'un rappel historique sur l'entrée de Jules Guesde au gouvernement en 1914: "Depuis cette date, je n'ai plus jamais pris le discours dit de gauche pour argent comptant (...) Je l'entends, je le respecte mais je ne le crois pas sur parole". Premier avertissement.

Vint ensuite l'évocation de sa propre expérience. Stimulé par l'orateur précédent, Marc Sadoun, un professeur de Sciences-Po qui venait de rappeler sa phrase "mon projet n'est pas socialiste", Lionel Jospin a bondi sur l'occasion. Pour la première fois, il s'est expliqué, assurant qu'il voulait dire par là que son projet englobait, non pas le seul PS, mais toute la gauche.

Dans la foulée, avec une assurance qui ne lui a pas fait défaut, il a réglé ses comptes avec le passé. Sautant d'une "formule à l'autre" selon sa propre expression, il a justifié l'image de "la parenthèse" qu'il avait employée, en 1983 au moment du tournant de la rigueur: "Je l'ai fermée avec la politique économique et sociale que nous avons menée, avec Dominique Strauss-Kahn, en 1997". Défendant ensuite son bilan: "Un million d'emplois créés, 900 000 chômeurs de moins. Personne ne le dit puisque j'entends dire qu'en matière de chômage tous les gouvernements ont échoué".

"ÇA FAIT DU BIEENNN !"

Lionel Jospin, qui n'a pas eu un mot sur la droite, s'en est alors pris très durement à l'extrême gauche et au communisme, en dénonçant "la faillite du modèle et de la méthode auxquels ils se sont souvent référé". "Nous ne pouvons dépendre ni doctrinalement, ni stratégiquement de ceux qui refusent le pouvoir", a-t-il lancé. Puis il a, sans jamais citer de noms, vivement critiqué les socialistes en campagne pour le non: "A chaque fois que le PS a jeté le trouble par ses controverses sur la pertinence de sa propre ligne, il a donné prise à ses concurrents à gauche, c'est ainsi que nous avons été écartés du pouvoir." "Les claires leçons de notre passé ne devront pas être perdues si vous voulez mériter l'honneur d'exercer à nouveau le pouvoir", a-t-il conclu, sous les applaudissements.

Les visages tendus de plusieurs responsables, notamment ceux du club des présidentiables, François Hollande, Dominique Strauss-Kahn ou Jack Lang, cloués sur leurs fauteuils, témoignaient pour eux. Mais d'autres, à la sortie, ne cachaient pas leur joie. "Ça fait du bieennn !", souriait Bernard Poignant, président du groupe socialiste français au Parlement européen. "C'était super !", s'enthousiasmait Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France. "Les choses sont claires par rapport à l'autorité du parti", soulignait de son côté Michèle Sabban, première secrétaire de la fédération du Val-de-Marne.

Jospin le patron ? Beaucoup voulaient y croire, sans égard pour François Hollande qui a conclu la journée par un rappel "à l'identité" du PS. "C'est un signal de l'échec de la direction de Hollande, a réagi Jean-Luc Mélenchon, sénateur PS de l'Essonne et partisan du non. Jospin tire partie d'une situation qui lui permet de faire un pas de plus". Les électeurs de gauche "n'attendent pas l'homme providentiel, ils attendent au contraire une dynamique", a pour sa part commenté la secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, dimanche, sur Europe 1.

Samedi, Lionel Jospin a continué tranquillement sa journée, en déjeunant en tête-à-tête avec son ami Daniel Vaillant, avant de rejoindre Bertrand Delanoë dans sa section du 18e arrondissement de Paris puis d'assister, ensemble, à un match de Coupe d'Europe de rugby et de partir à Imola, en Italie, assister, au Grand prix de Formule 1 de Saint-Marin. Comme le dit joliment un de partisans: "Pas de stratégie peut être une stratégie".

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / France
Citations
Lionel Jospin: "Parfois, il faut lutter contre le tempérament national"

 V oici les phrases clés prononcées par Lionel Jospin.

"Mon projet n'est pas socialiste." Je l'ai entendue, celle-là ! Ça prouve le formidable nominalisme français. C'est comme cette autre phrase que j'ai prononcée: "L'Etat ne peut pas tout", maintenant on la cite comme: "L'Etat ne peut rien". Un Britannique obtient les services économiques d'intérêt général dans la Constitution, il a obtenu une immense victoire, un Français obtient ça, il dit: "Il n'y a pas les services publics". Parfois, il faut lutter contre le tempérament national. (...) Ce projet, que vous avez voté, était plus socialiste qu'en 1995. Je voulais un programme plus large de majorité plurielle. C'était ça ma conception des choses.

L'extrême gauche et le communisme. Rendre des comptes, cela nous distingue de l'extrême gauche et des communistes. (...) Il ne reste aujourd'hui rien de la révolution d'Octobre, si ce n'est la restauration du capitalisme et le retour à l'autoritarisme.

Les partisans du non au PS. Tenir pour rien le vote des militants et s'affranchir de nos règles de vie commune me paraît davantage inspiré par l'individualisme et le libéralisme que par l'esprit collectif qui est le propre du socialisme. Dans les débats d'orientation politique, on n'invoque pas la clause de conscience.


Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / France
Elio Di Rupo, président du Parti socialiste francophone belge
"Chacun, à Paris, devrait considérer que le monde ne se limite pas à la course pour l'Elysée"

 C omment voyez-vous aujourd'hui les divisions du Parti socialiste français et, plus généralement, le débat sur la Constitution européenne ?
Avec compréhension et inquiétude. Les Français débattent de tout, sauf d'une Constitution, qui n'est, finalement, que la cinquième modification du traité de Rome. L'Europe ne se porte pas bien, mais la Constitution n'est qu'un outil pour mieux gouverner, les politiques à mener relevant, elles, d'une dynamique entre le Conseil, la Commission et le Parlement.
Les Français oublient que, si le projet est adopté, leur poids au Conseil sera renforcé (de 9% à 13,4%), comme celui du couple franco-allemand (de 18% à 31,4%), le poids des dix nouveaux membres étant ramené de 26% à 16%. C'est une occasion historique qui est offerte à la France. Chacun, à Paris, devrait considérer que le monde ne se limite pas à la course pour l'Elysée. Un Etat membre de l'Union ne pourra rien faire seul pour tenter de réguler un monde globalisé où les Etats-Unis, la Chine et l'Inde sont au premier plan. Nous avons besoin, pour améliorer les conditions sociales des citoyens, d'un espace européen où la France exercerait un rôle majeur.

Votre parti était hostile à l'idée d'un référendum, pourquoi ?
Nous sommes favorables aux consultations populaires, mais opposés au détournement de cette pratique démocratique. Cette Constitution est un sujet complexe et qui n'a jamais fait l'objet d'une attention pédagogique, tant de la part des politiques que de la majorité des médias. C'est aux élus d'assumer leurs responsabilités. Nous avons opté pour un débat parlementaire. Une majorité de nos concitoyens ne comprend pas de quoi on parle. Dès lors, poser une question sur un tel sujet, c'est ouvrir une voie royale à ceux qui veulent parler d'autre chose. A savoir, en France, la contestation au sein du PS, la guerre entre les clans de la droite, la politique gouvernementale, l'entrée de la Turquie dans l'Union, ou le lundi de Pentecôte.

Avez-vous été confronté, dans votre parti, à des arguments semblables à ceux développés, au sein du PS français, par les tenants du non ?
Oui, à tous. Mais nous avons pu répondre à chacun d'entre eux et notre congrès s'est prononcé à 94% en faveur du projet. Je mets au défi quiconque pourrait nous affirmer que, par rapport au traité de Nice, on enregistre des reculs. Il n'y a que des avancées, insuffisantes, mais qui ne doivent pas, pour autant, nous amener à voter non. L'Acte unique promu par Jacques Delors comportait des imperfections qui auraient pu nous inciter à le rejeter, mais il a fait progresser l'Europe dans de nombreux domaines.

Que se passera-t-il, selon vous, si la France dit non ?
Elle laissera un modèle de prospérité économique, de protection sociale et de diversité culturelle, que nous voulons nous aussi préserver, aux mains de la Grande-Bretagne, qui pourra imposer ses vues ultralibérales, son absence de protection sociale et sa pensée culturelle unique. Le centre de décision européen sera transféré au 10, Downing Street. Dire non au traité, c'est dire oui à Nice et favoriser la dimension du seul marché.

Laurent Fabius a-t-il eu tort, selon vous, de lancer le débat ?
La dialectique politique fait partie de la démocratie. Mais le débat interne au PS n'a pas aidé puisqu'il consistait davantage en un débat de positionnement qu'en un débat sur la Constitution.

François Hollande aurait-il dû prendre des sanctions ?
Il a eu raison de chercher un consensus avec ceux qui pensaient différemment. Il faut, désormais, que les personnalités les plus fortes du PS se réunissent. Toute division à gauche serait catastrophique dans la perspective de futures législatives. Les semaines qui viennent peuvent être consacrées à une vraie pédagogie. J'y prendrai ma part puisque j'ai été invité dans certaines réunions. Il ne faut pas accabler ceux qui sont tentés de dire non, mais les convaincre de la pertinence de dire oui. Jacques Chirac s'est trompé en accablant les partisans du non.

Vous redoutez un éclatement du PS français ?
En politique, le pire ne survient jamais et le meilleur se fait toujours attendre. Propos recueillis par Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Opinions
analyse
Le non et les braises d'un autre 21 avril

 À  cinq semaines du référendum sur la Constitution européenne, le non caracole toujours dans les sondages. Les frustrations et la cécité à l'origine du séisme du 21 avril 2002, quand Lionel Jospin avait été éliminé, dès le premier tour de l'élection présidentielle, sont toujours là, laissant craindre une réplique, le 29 mai, en cas de victoire du non. La conflagration atteindrait alors tous les partis. Ou presque...

Les colères se sont enracinées, jouant sur les maux de la société française: la montée des inégalités, du chômage et de l'exclusion. Le phénomène des délocalisations – qui ne dépendent en rien de la Constitution européenne – a renforcé le sentiment d'insécurité sociale.

La politique libérale de Jean-Pierre Raffarin, poursuivie malgré les trois sévères défaites électorales de 2004, s'est révélée, avec son impopularité croissante, une usine à grain du non.

Plus grave encore, la parole politique perd de nouveau en crédibilité. Saturés de promesses non tenues ou écoeurés d'espérances envolées, les électeurs paraissent tentés par l'expression de leur ras-le-bol à travers les urnes. Comme s'ils voulaient sanctionner à la fois un président, qui n'a pas tenu compte des conditions exceptionnelles de sa réélection en 2002 pour bâtir un nouveau pacte républicain, et une opposition socialiste qui n'a pas rendu assez visibles les changements attendus de ses victoires locales.

Rien ne garantit, le 29 mai, la victoire du non. Les instituts de sondage se sont beaucoup trompés dans les derniers scrutins. Le pourcentage d'indécis reste élevé.

Le oui a des réserves grâce auxquelles il peut encore l'emporter dans le sprint final. Mais l'hypothèse de la victoire du non a gagné suffisamment en crédibilité pour que l'on s'interroge sur ses conséquences sur le plan intérieur.

L'ampleur de l'éruption à laquelle on pourrait assister risque de dépasser celle du 21 avril dans la mesure où elle projettera ses braises à droite et à gauche.

Si, le 29 mai, les partisans du non – ceux que le député socialiste Jean-Christophe Cambadélis affuble du sobriquet de "vingt et un avrilois" – l'emportaient, les trois principaux partis ayant une culture de gouvernement (UMP, UDF, PS), qui défendent le oui, seraient mis en échec.

Jacques Chirac, qui "fêtera" le 13 mai le dixième anniversaire de son entrée à l'Elysée, sera la première victime du séisme. Mais il a des cartes en main pour limiter les dégâts. Il a pris soin de prévenir, à l'encontre des souhaits à peine subliminaux de Nicolas Sarkozy, qu'il ne suivrait pas l'exemple du général de Gaulle qui, en 1969, avait démissionné après avoir perdu un référendum sur la régionalisation.

Il lui restera à faire sauter, cette fois, le fusible Raffarin, qui joue de moins en moins ce rôle de sauvegarde et qui ne doit pas se faire beaucoup d'illusions, dans tous les cas de figures, sur son avenir à Matignon. Surtout après l'estocade que lui a portée Dominique de Villepin, se faisant le chantre d'une autre politique...

Mais, premier perdant d'un référendum, dont il est à l'initiative, sur un traité qu'il a signé, M. Chirac se trouvera interdit de briguer un troisième mandat en 2007. L'échec du président de la République fera, à première vue, le bonheur de M. Sarkozy. Le président de l'UMP, qui n'a cessé dans la dernière période, y compris pendant la campagne référendaire, de "ringardiser" le résident de l'Elysée dont il veut prendre la place, aura en théorie la voie libre pour sa candidature présidentielle en 2007.

M. Sarkozy devra cependant vivre avec le soupçon, que ne manqueront pas d'entretenir les barons chiraquiens, d'avoir caressé secrètement l'espoir d'une victoire du non. Il devra rendre des comptes sur sa responsabilité – partagée avec François Bayrou, le président de l'UDF – dans le parasitage du débat sur la Constitution européenne par celui sur la candidature de la Turquie.

Quelle part aura pris dans le séisme du 29 mai le non à Ankara porté avec constance par MM. Sarkozy et Bayrou ? Ni l'UMP ni l'UDF ne seront donc épargnés par l'onde de choc. Mais ils peuvent limiter l'effet déstabilisateur d'un non, n'ayant connu dans leurs rangs qu'une contestation marginale.

L'impact du tremblement de terre risque d'être plus ravageur à gauche. La seconde victime d'un non pourrait bien être François Hollande. Le premier secrétaire du PS, qui n'a pas durablement profité de ses trois victoires électorales de 2004 et de son succès au référendum interne du 1er décembre sur la Constitution – où le oui avait gagné avec 59% – ne se sentira sans doute pas plus obligé que M. Chirac de remettre son mandat en jeu. Mais, comme les autres leaders de partis de gouvernement, il sera affaibli et amenuisera ses chances d'être le candidat naturel du PS à l'élection présidentielle de 2007. Ce qui conduira certains à rêver de nouveau d'un hypothétique retour de M. Jospin...

M. Hollande est déjà à la tête d'un parti en crise. Loin de se ranger derrière la bannière du oui portée par son chef, le PS s'est éclaté dans des bagarres internes qui l'ont rendu en grande partie inaudible. Pour autant les chantres du non, qui se seront affranchis du respect des règles de la démocratie interne, pourraient bien connaître une victoire à la Pyrrhus.

CHAMP DE RUINES

Même s'il n'a pas mené ouvertement campagne, Laurent Fabius, numéro deux en titre du PS, a saisi toutes les occasions de clamer son non au point d'être identifié par l'opinion comme un des leaders du camp du refus. Mais gagner contre son parti n'est pas un atout de présidentiable, surtout quand on est à la tête d'un courant marginalisé et décidément en peine de conquérir les faveurs de l'opinion.

A la gauche du PS, Henri Emmanuelli réclame un nouveau congrès d'Epinay (1971), pour revenir clairement sur l'aggiornamento, ou encore l'affirmation réformiste qui ont été consacrées, le 1er décembre 2004, lors du référendum interne sur l'Europe. Le député des Landes est parfaitement net: "Le rôle de la social-démocratie n'est pas d'être un avatar du libéralisme, déclarait-il à Libération le 16 avril. Elle doit s'opposer à lui et constituer la colonne vertébrale du progressisme européen." Pour mettre un peu plus les points sur les i, et en se gardant d'évoquer une scission à la manière d'un Jean-Pierre Chevènement en 1993, M. Emmanuelli rêve, avec ses "collectifs socialistes pour le non", de faire "la démonstration que les partisans du non ont la capacité de construire une alternative".

Jean-Luc Mélenchon ne s'y est pas trompé. Cet autre ténor du non de gauche a refusé de suivre M. Emmanuelli dans "une logique de confrontation" avec la direction du PS. Mais, parallèlement, il appelle à une "nouvelle union des gauches" sans exclusive "contre qui que ce soit à gauche"... Or si une victoire du non redonne un élan social au Parti communiste, lui aussi divisé, et à l'extrême gauche, elle ne garantira pas une cure de jouvence leur redonnant une force électorale. Au PCF, Marie-George Buffet voit dans le non un "stop" du "peuple de gauche" au libéralisme quand, plus sagement, Robert Hue invite à ne pas "décréter la victoire d'une gauche sur une autre".

La gauche de gouvernement – le PS comme les Verts, dont la direction aura aussi été désavouée – ressemblerait au "champ de ruines" décrit par Michel Rocard en 1994. La gauche syndicale ne sera pas en meilleure posture. La CFDT de François Chérèque sera affaiblie. Bernard Thibault, qui ne voulait pas engager la CGT sur le non, sera fragilisé. Au PS, M. Hollande sera obligé de faire, à l'automne, un congrès de clarification. Mais on en voit mal l'issue, sauf à ce que, par on ne sait quel miracle ou combinaison, la coalition des battus de décembre 2004 retrouve soudainement la majorité.

En définitive, un seul parti sera à l'abri de la crise engendrée par un non auquel il aura fortement contribué: le Front national. Interrogé sur cette perspective, le 17 avril au "Grand Jury RTL-Le Monde-LCI", Jean-Marie Le Pen avait simplement répondu: "C'est évident, et heureusement." M. Le Pen pourra contempler avec jubilation le champ de ruines des "partis de l'établissement". Pour lui, ce sera encore mieux que le 21 avril. Cette fois-ci, pas de "revanche" possible quinze jours après. Il faudra juste attendre 2007.

Michel Noblecourt
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Une ambition française oubliée: l'Europe, par Jean-Dominique Giuliani

 L a campagne pour le référendum de ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe vient de commencer. Les Français ont envie de savoir ce dont il retourne et ils expriment, pour l'instant, une vraie colère. Celle-ci a peut-être des raisons qui tiennent à un fort mécontentement. D'un travail actif, je retire plutôt l'impression qu'ils en veulent beaucoup au débat politique. Une fois encore, en effet, un scrutin national, comme ce fut le cas pour les élections européennes, est utilisé à des fins autres que celles auxquelles il est destiné.

En l'occurrence, il s'agit de se prononcer sur le sixième traité d'Union européenne (UE). Le texte ne peut donc pas être isolé de son contexte et les Français attendent qu'on leur présente un bilan de ce qui a été fait, des explications concrètes sur ce que contient cet accord européen et des perspectives ou des visions pour l'avenir.

Mais les pratiques politiciennes révèlent chez nos hommes politiques une piètre connaissance de la réalité européenne et un vrai manque de vision sur ce qu'elle pourrait être dans l'avenir. Le débat n'arrive pas à prendre son envol. Quelques personnalités parcourent inlassablement la France pour expliquer un accord diplomatique à vocation constitutionnelle, ce qui est compliqué. La majorité de nos leaders politiques ne pensent qu'en termes nationaux et, pis encore, privilégient leurs petits intérêts politiques personnels au détriment d'un vrai débat sur l'Europe.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de s'étonner de la tendance des sondages d'opinion. Oui, les Français sont inquiets d'un monde instable et toujours plus compétitif; oui, ils s'interrogent sur la capacité des responsables politiques à y faire face et surtout à dire la vérité sur une réalité internationale difficile à saisir et à bien des égards préoccupante; oui, ils triment dur et ont le sentiment que leurs efforts se diluent dans des mécaniques non maîtrisées; oui, ils ne voient pas le bout du tunnel, même lointain. Ils assistent, impuissants et critiques, aux batailles de personnes et d'appareil qui ne les intéressent plus depuis longtemps tant ils ont compris que la réalité du pouvoir n'appartient plus seulement aux leaders qui l'exercent mais aussi à la résultante de forces puissantes, humaines, économiques, financières, internationales, politiques, qui s'imposent à eux comme à nous tous.

Ainsi, toutes les formations politiques ont appelé à soumettre à référendum le projet de traité constitutionnel. Elles ont exercé un vrai chantage sur le président de la République. On aurait pu faire preuve de plus de discernement. Après tout, 14 pays de l'Union sur 25 ne tiendront pas de référendum et personne ne s'avise de dire que la ratification italienne du traité, intervenue le 6 avril, ou celle de l'Allemagne, qui sera effective le 12 mai, ne seront pas démocratiques et seront de moindre valeur que celle de la France. Jusqu'à preuve du contraire, le Parlement français aurait très bien pu examiner la Constitution européenne.

Il l'aurait vraisemblablement ratifiée à plus de 80%. En France, nous avons le goût de la division, et ce référendum divisera, une fois encore, les Français qui, somme toute, étaient plutôt d'accord sur l'Europe. Mais, puisque tout le monde a estimé nécessaire de solenniser l'engagement européen de la France, parlons-en ! Or, à gauche comme à droite, on parle d'autre chose.

A gauche, la querelle des anciens et des modernes bat son plein, aiguisée par la prise de position d'un ancien premier ministre aux habits de Bazaine européen. En réalité, il s'agit de savoir qui fera fonction de leader du parti pour affronter les prochaines échéances électorales.

Le parti n'ayant toujours pas fait son congrès de Bad-Godesberg, par lequel les socialistes allemands, en 1959, choisissaient la voie sociale-démocrate, nous assistons à un match à plusieurs rounds. La direction semblait avoir gagné le premier dans un référendum interne. La frange la plus à gauche tente de prendre sa revanche sur le dos de l'Europe, à coups d'invectives, de désinformation, voire de slogans grossiers. Passionnant !...

A droite, ce n'est pas mieux. Malgré les affirmations et les dénégations, la stratégie vise-t-elle seulement à convaincre du bien-fondé des engagements européens de la France ou de l'intérêt du texte qui nous est proposé ? Manifestement, d'autres priorités sont à l'ordre du jour. Ou alors comment comprendre que, sur "100 minutes pour convaincre", à peine plus de dix minutes soient consacrées à la Constitution européenne, qui est pourtant le seul sujet du moment. Les jeux du pouvoir nous ramènent au ras des pâquerettes. Pourtant, ce débat devrait être l'occasion d'une véritable revue de détail, non pas de la France, mais de l'Europe et de l'engagement européen de la France.

Dans le monde globalisé, l'Europe est une réalité surprenante, examinée par tous avec envie ou inquiétude. Elle incarne une nouvelle manière de concevoir les relations internationales, à partir du droit, dans le compromis, mais jamais par la force et l'adversité, toujours par la coopération, dans le respect des identités nationales. Elle est peut-être l'idée la plus moderne apparue depuis la seconde guerre mondiale, et le paradoxe, c'est qu'on la doit à ceux qui l'ont déclenchée à force de nationalisme débridé.

Une autre conception de la nation, plus grande, plus belle, plus efficace, est peut-être en train de naître dans un cadre multilatéral, au moment même où la nation phare des libertés se prend de plus en plus pour l'Empire.

A-t-on suffisamment fait pour assumer cette réalité et l'expliquer aux Français ? Si nous en sommes mécontents, avons-nous proposé des solutions différentes ? Ne devrions-nous pas être des moteurs plus enthousiastes, plus créatifs, apportant davantage nos innovations pour une vraie politique étrangère européenne, une politique de défense plus active, forcément intergouvernementale, mais en liaison avec la construction communautaire. Avons-nous vraiment proposé une politique économique mieux coordonnée au niveau européen, et laquelle ?

Les responsables politiques français doivent assumer l'engagement européen de la France. Ils doivent reconnaître publiquement qu'il ne sert à rien de"faire comme si". Ils pourraient décider de tout et tout seuls, car ils ne décident plus grand-chose tout seuls et les Français le savent. En Europe, une bonne idée sans partenaires, c'est une incantation !

En revanche, que serait l'Europe sans la France ? Nous y avons beaucoup à dire, tellement nous y avons gagné. A force de compromis et de discussions, nous avons épargné à la France beaucoup de déconvenues et nous avons gagné beaucoup. Sait-on, par exemple, que les agriculteurs français, depuis 1962, ont reçu de la politique agricole commune (PAC) plus de 200 milliards d'euros; qu'ils reçoivent chaque année plus de 8 milliards d'euros de Bruxelles. C'est-à-dire qu'au moins 666 millions d'euros sont versés à la France chaque mois au titre de la PAC.

Il en va de même dans nombre de secteurs. On se plaint de la libéralisation des marchés, mais aurions-nous des téléphones portables sans la dérégulation réussie, à l'initiative de Bruxelles, en 1995 ? La liberté de circulation des biens en Europe a créé 2,5 millions d'emplois, c'est-à-dire vraisemblablement plus de 300 000 pour la France depuis 1992, rien que du fait de l'ouverture de nos frontières et du grand marché intérieur.

Y aurait-il sans le marché unique ces grands groupes industriels français qui portent l'emploi chez nous et sont présents dans le monde entier ? Doit-on parler des succès de nos constructeurs automobiles en Europe et des emplois directement créés en conséquence en France ?

Sans l'Europe, nous ne serions pas devenus ce que nous sommes.

Doit-on aussi passer sous silence cette nécessaire dimension de générosité qu'incarne l'Union au plan international ? L'inquiétude est réelle face à l'élargissement, mais si vous voyagez en Europe centrale, on vous expliquera à coup sûr qu'attendre quatorze ans après la chute du mur de Berlin pour accepter au sein de l'Union ceux que la seconde guerre mondiale avait laissés aux mains du totalitarisme communiste, c'est long et un peu égoïste. Au demeurant, nous vendons déjà davantage à nos 10 nouveaux partenaires: 2 milliards d'euros d'excédent pour la France ! Combien d'emplois en plus ?

Pour aider les pays en développement, l'Europe est le bailleur de fonds mondial; elle verse la moitié des crédits d'aide aux plus pauvres avec près de 15 milliards d'euros.

On pourrait multiplier les exemples et beaucoup seraient surpris de ce que nous avons réalisé au niveau européen. Car il n'y a pas la France à côté de l'Europe; il y a seulement la France en Europe. Elle en est plus forte et en bénéficie totalement, comme ces 16 milliards de fonds structurels que les régions françaises auront reçus entre 2000 et 2006.

En fait, nous manquons d'un débat sur l'Europe. Il est légitime, dans le cadre d'un référendum, que les avis divergent, que d'aucuns considèrent que l'Union peut faire mieux dans certains domaines, par exemple la recherche, où elle ne redistribue"que" 16 milliards d'euros (2000-2006), d'autres estimant que la politique de l'environnement européenne, qui représente déjà 80% de la législation française, doit aller plus vite et plus loin, quand certains affirment que les compétences sont mal réparties entre l'Union et les Etats, qu'on critique les politiques européennes, etc.

Mais on n'a pas le droit de laisser dire n'importe quoi à propos du traité constitutionnel qui, justement, tente de corriger certains aspects négatifs du fonctionnement des institutions européennes. Si on veut le critiquer, il faut proposer d'autres formulations, d'autres règles, une alternative à ces suggestions concrètes.

Le traité établissant une Constitution comme l'engagement européen de la France, qui date de soixante ans, méritent un débat à la hauteur des enjeux. C'est aussi l'avenir de l'Europe qui est en cause, et pas seulement nos problèmes domestiques. On ne peut se contenter des anathèmes et des slogans purement nationaux; on ne doit pas continuer à se complaire dans nos petits jeux d'alcôve.

Le temps viendra des échéances réservées à nos plaisirs favoris...

Mais pour la Constitution européenne, de grâce, Messieurs, assez joué !

Jean-Dominique Giuliani est président de la Fondation Robert-Schuman.

par Jean-Dominique Giuliani
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
L'après-Tchernobyl

 O pacité et irresponsabilité. Dix-neuf ans après l'explosion d'un réacteur nucléaire à Tchernobyl, en Ukraine, il paraît de plus en plus évident que ces deux mots résument l'attitude des pouvoirs publics français de l'époque, face aux conséquences de ce qui reste la plus grande catastrophe du nucléaire civil de l'histoire.

Le 26 avril 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Un nuage radioactif traverse l'Europe. Mais en France, officiellement, il ne se passe rien. Avec le recul, on se demande comment le communiqué du ministère de l'agriculture qui affirmait, le 6 mai 1986, que "le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné" n'a pas suscité un mouvement d'indignation ou d'incrédulité.

Il n'existe à ce jour aucune preuve que le nuage de Tchernobyl ait entraîné une augmentation de cancers de la thyroïde en France. Peut-être la procédure judiciaire ouverte en 2001, à l'instigation de malades du cancer et d'associations, fera- t-elle avancer les choses, alors que des spécialistes indépendants comme ceux de la Crii-rad se démènent depuis des années pour faire éclater la vérité. Une étude épidémiologique sur la Corse, la partie la plus excentrée du territoire métropolitain, et donc potentiellement la plus exposée, va peut-être, enfin, être lancée.

En attendant, une chose est sûre. Les politiques et les responsables du nucléaire en France en 1986 ont commis une double faute: ils ont dissimulé la gravité de la situation et, par voie de conséquence, n'ont déclenché aucun plan ni mesures d'urgence. Alors que nos voisins européens donnaient des consignes de précaution en matière alimentaire.

Depuis 1986, les temps ont changé. L'action des pouvoirs publics est devenue plus transparente sous l'effet de plusieurs facteurs: pression d'une société civile de plus en plus présente, montée des préoccupations liées à la protection de l'environnement et à la santé, explosion des moyens d'information... On peut aussi espérer que l'Etat lui-même a changé et considérerait aujourd'hui que les Français sont des adultes à qui il doit une information aussi exacte que possible. La vigilance reste cependant de mise. Le baromètre annuel de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire indique que seuls 16,7% des personnes interrogées pensent qu'on leur dit la vérité sur le nucléaire.

De ce point de vue, l'assurance avec laquelle la Société française d'énergie nucléaire (SFEN) écarte aujourd'hui encore toute idée que le nuage de Tchernobyl ait pu avoir des conséquences sanitaires en France laisse perplexe. De fait, le combat pour la transparence n'est jamais gagné. C'est le cas, bien sûr, sur des sujets ultrasensibles comme le nucléaire, où se mêle polémiques sur la sécurité, intérêts économiques, indépendance énergétique et défense nationale. Mais l'exigence doit être la même autour de sujets pour lesquels l'opinion s'interroge à juste titre, qu'il s'agisse des OGM ou des effets à long terme, encore en partie inconnus, de l'exposition aux pesticides.

Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Aujourd'hui
Enquête
Inquiétante offensive des créationnistes américains
New York de notre correspondante

 P ennsylvanie, Kansas, Géorgie... La liste s'allonge. Depuis quelques mois, les initiatives se multiplient aux Etats-Unis pour introduire le doute sur la théorie de l'évolution. Pour les partisans de Darwin, cette offensive s'inscrit dans le droit-fil de la réélection du président Bush. Après l'avortement et le mariage gay, l'évolution est en train de devenir le nouveau champ de bataille de l'une de ces culture wars qu'affectionnent les Américains.

Pas de Big Bang sur les écrans du Sud
Il n'y a pas que dans l'éducation que le débat sur l'évolution a des répercussions. Interrogés fin mars par les médias américains, les gérants des salles de cinéma IMAX à écran géant, souvent situées dans les muséums d'histoire naturelle, ont confirmé qu'ils s'efforçaient d'éviter de présenter des films susceptibles d'entraîner des polémiques, notamment dans le Sud, où les fondamentalistes chrétiens sont nombreux. Le documentaire du Canadien Stephen Low, Volcanoes of the Deep Sea, sur l'activité volcanique sous les mers, n'a pas été projeté dans plusieurs Etats parce qu'il mentionne un lien entre l'ADN humain et celui de bactéries présentes aux abords des volcans malgré la température. Les références au Big Bang sont aussi sources d'inquiétude pour les responsables de la programmation, qui ne cachent pas qu'ils préfèrent, pour des raisons commerciales, mettre à l'affiche des films sans référence à l'évolution.

Créationnisme contre évolution: la querelle est ancienne. Le procès de John Scopes, en 1925, figure dans tous les manuels d'histoire. Le professeur de biologie fut poursuivi ­ et condamné à une amende de 100 dollars ­ pour avoir enseigné les théories de Darwin. Il a fallu attendre 1987 pour que la justice interdise définitivement l'enseignement du créationnisme, au nom de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Depuis, les fondamentalistes se présentent comme les victimes d'une pensée dominante. Ils ne réclament pas que l'on enseigne le créationnisme dans les écoles, mais que l'on mette fin à la "censure" et que l'on admette que l'évolution puisse être contestée, ce qui, pour l'immense majorité des scientifiques, relève de l'hérésie.

L'offensive actuelle s'exerce surtout au niveau des programmes scolaires. Aux Etats-Unis, les écoles publiques dépendent de conseils d'administration qui sont élus à l'échelon des comtés. Il suffit d'une majorité au school board pour modifier les programmes. Dans une vingtaine d'Etats, les militants ont introduit des mesures pour affirmer que Darwin n'est pas infaillible. Dans le comté de Cobb, en Géorgie, les créationnistes ont relancé l'une des principales techniques employées depuis les années 1970: la mise en garde sur les manuels de biologie. Un autocollant a été apposé sur la page de garde: "Ce livre contient des informations sur l'évolution. L'évolution est une théorie, pas un fait, relative à l'origine des êtres vivants. Ces informations doivent être approchées avec un esprit ouvert, étudiées soigneusement et considérées avec un esprit critique." Le 13 janvier, un juge a ordonné le retrait des autocollants. Les créationnistes ont obtenu un délai de grâce jusqu'à la fin de l'année scolaire et ils ont fait appel.

Les conseils scolaires sont relayés à l'échelon politique local. En janvier, un sénateur du Mississippi a introduit une proposition de loi visant à assurer"un traitement égal" pour les deux théories. Dans ses attendus, le texte affirme que la théorie selon laquelle l'Univers trouve son origine dans l'oeuvre d'un"créateur tout-puissant" est"aussi satisfaisante sur le plan scientifique que l'évolution". Et, ajoute-t-il, de nombreux citoyens"sont convaincus que l'endoctrinement exclusif de leurs enfants dans le concept de l'évolution est un acte d'hostilité à l'égard de leur foi".

La proposition a été rejetée, tout comme celle qui a été introduite dans l'Arkansas. Dans l'Alabama, c'est une variante qui a été soumise aux législateurs, sur la "liberté en milieu éducatif"; liberté de présenter des alternatives à l'évolution.

UNE FORCE SUPÉRIEURE

Dans le Kansas, théâtre d'une grande bataille en 1999, le Conseil des écoles, ramené au pouvoir par les élections de novembre 2004, a remis sur le métier son projet de modification des programmes. La définition même de"science" est révisée. Terminologie actuelle: la science est"l'activité humaine qui consiste à chercher des explications naturelles à ce que nous observons autour de nous".

Langage proposé: la science est "une méthode systématique d'investigation" qui cherche des"explications adéquates aux phénomènes naturels". Les explications "naturelles" ont disparu.

Sur l'arbre de vie de Darwin, les responsables éducatifs du Kansas proposent de souligner que cette"vision que les êtres vivants sont les descendants modifiés d'un ancêtre commun" a été"remise en question ces dernières années". notamment par la découverte de fossiles qui témoignent de "soudaines explosions d'une complexité accrue" ("the Cambrian Explosion" ). Aucune des propositions n'a encore été adoptée. Les juges ont endigué, de leur côté, les "opérations autocollants". Mais les scientifiques s'inquiètent d'avoir vu apparaître un adversaire professionnalisé et bardé d'un nouveau concept, l'Intelligent Design (ID). Le "dessein intelligent".

DES MILITANTS LOCAUX

"En 1999, nous avions affaire à des militants locaux, de jeunes créationnistes qui croient que la Terre s'est créée en moins de dix mille ans, explique Jack Krebs, un professeur du Kansas qui dirige le comité de révision des programmes de biologie et essaie d'endiguer les efforts créationnistes. Aujourd'hui, on retrouve exactement les mêmes, mais ils sont aidés par les responsables du Discovery Institute." Cet institut, installé à Seattle en 1996, est une sorte de think tank du mouvement créationniste."Cela leur permet de présenter un défi beaucoup plus sérieux".

Le "dessein intelligent" est décrit comme la version"séculaire" du créationnisme. Il n'est plus question ­ nominalement ­ de Dieu, mais d'une force supérieure qui ne peut qu'être à l'origine de cette chose si compliquée qu'est la vie. Les partisans de l'ID soulignent la perfection de la mécanique des cellules, "les lignes d'assemblage, les centrales thermiques, les unités de recyclage, et les monorails miniatures qui véhiculent les éléments de part et d'autre de la cellule". Bien trop sophistiqué, selon eux, pour être le fruit du hasard ou de l'évolution.

L'un des promoteurs du "dessein" est Michael Behe, professeur de biologie et auteur du livre Darwin's Black Box: the Biochemical Challenge to Evolution. Pour lui, il n'y a pas incompatibilité. Pourquoi la science ne pourrait-elle pas"accepter l'idée d'un dessein" ? De plus en plus de scientifiques"voient un rôle à la fois pour l'empirisme de l'évolution et pour l'élégance du dessein". assurait-il le 7 février dans le New York Times.

Selon ces néocréationnistes, la biochimie a mis Darwin à l'épreuve."Combien d'évolutionnistes accepteraient l'idée que des changements aléatoires dans un programme informatique produisent une version améliorée ?, interroge l'un d'eux. Pourtant, c'est exactement ce qu'ils essaient de nous faire croire quand l'ADN subit une mutation au cours du processus d'évolution."

Les créationnistes jouent sur du velours. Selon un sondage CBS de novembre 2004, 55% des Américains croient que "Dieu a créé les humains dans leur forme actuelle" (67% des républicains; 47% des démocrates). 13% seulement croient que Dieu n'y est pour rien. Et 27% adoptent l'idée d'une oeuvre conjointe: "Les hommes ont évolué. Dieu a guidé le processus." A 65%, les Américains veulent que le créationnisme soit enseigné en même temps que l'évolution.

Les professeurs de biologie, eux, sont en état d'alerte. A Dover, en Pennsylvanie, lorsque le Conseil des écoles a recommandé, en janvier, de lire aux élèves un préambule affirmant que l'évolution est une "théorie, pas un fait". huit d'entre eux ont refusé.

Selon un sondage réalisé fin mars, 31% des professeurs se déclarent soumis à des pressions de la part de parents ou d'élèves pour inclure le créationnisme ou l'ID dans le programme. Le 4 mars, l'un des responsables de l'Académie des sciences, Bruce Alberts, s'est ému dans une lettre à ses collègues: "L'un des fondements de la science moderne est actuellement négligé, voire même banni, des cours de sciences." Il les a appelés à relever un "défi croissant". enseigner l'évolution dans les écoles publiques.

Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Aujourd'hui
Reportage
Le darwinisme est parfois contesté dans les salles de classe françaises

 L a lutte contre le darwinisme n'est pas une spécialité nord-américaine. Elle essaime parfois aussi dans les salles de classe françaises. "J'ai eu l'occasion d'assurer des travaux personnels encadrés -TPE- en lycée sur l'évolution. Il était clair que les élèves avaient puisé sur Internet des éléments du Discovery Institute". témoigne Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN).

Le Discovery Institute, basé à Seattle, est le plus ardent promoteur aux Etats-Unis du "dessein intelligent". Ces conceptions apparaissent sur les moteurs de recherche et quiconque omettrait l'accent sur le "e" d'évolution est presque assuré d'y être automatiquement renvoyé. "Mais ces contenus sont aussi largement traduits, notamment en français". assure Guillaume Lecointre.

La thèse centrale des tenants du "dessein intelligent" ? La vie est trop complexe pour résulter d'une évolution guidée par un processus aveugle de mutation/sélection. Là où il y a horloge, il y a forcément un horloger. Son cheval de bataille actuel est le flagelle de la bactérie, qualifié de "machine la plus efficace de l'Univers". Ce moteur rotatif évolue à plusieurs dizaines de milliers de tours par minute.

Constitué d'une cinquantaine de molécules, il ne peut, selon les membres du Discovery Institute, qu'être une pièce d'ingénierie et non le résultat d'une série de pas successifs sélectionnés par l'évolution.

Pour Guillaume Lecointre, les thèses défendues par le Discovery Institute constituent le prototype d'une nouvelle "désinformation instruite" qui prend le relais des formes anciennes de créationnisme. Les critiques passées du darwinisme s'appuyaient sur l'exemple de l'oeil, organe lui aussi jugé trop complexe pour être uniquement le fruit de processus naturels. En empruntant aux registres de la biochimie et de la génétique, "il s'agit désormais, pour les spiritualistes, afin de crédibiliser le message des scientifiques, de paraître plus scientifiques qu'eux". estime-t-il.

Ces critiques adressées à la théorie de l'évolution se fondent sur "une série de raisonnements analogiques, d'objections fausses, de confusions épistémologiques et de décalages d'échelle dans la critique". dont le chercheur français détaille les ressorts dans un ouvrage collectif récent (Les Matérialismes et leurs détracteurs, Syllepse, 800 p, 33 €). Il prend la peine de répondre sur le site du CNRS (http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosevol/decouv/articles/chap1/lecointre1.html) aux 10 questions que Jonathan Wells, membre du Centre pour le renouveau de la science et de la culture, suggère aux élèves de poser en classe de sciences naturelles pour embarrasser les enseignants.

En France, il arrive plus rarement à ces derniers d'être confrontés à une résistance des élèves sur les questions d'évolution. Corinne Fortin, professeur en sciences de la vie et de la Terre au lycée de Torcy (Seine-et-Marne), estime cependant que, ces dernières années, "les idées créationnistes ont pris plus de poids". Auteur, en 1993, d'une thèse consacrée à l'enseignement de l'évolution, elle dit ressentir les effets du fondamentalisme religieux. "Avant, seuls les Témoins de Jéhovah proposaient des objections". explique-t-elle. Aujourd'hui, "le vrai danger sur Internet vient de sites militants qui peuvent séduire des élèves même non pratiquants". dit-elle.

"Ces questionnements ne sont pas négatifs, à condition que l'on veille et qu'on y réponde". estime Jean Ulysse, secrétaire général de l'Association des professeurs de biologie et de géologie, qui avait coutume de débuter le cours sur l'évolution par une présentation des conceptions créationnistes ­ précisément pour montrer en quoi leur démarche n'était pas scientifique. Mais si l'on enseigne toujours les faits évolutifs, "depuis quelques années, la théorie de l'évolution n'est plus dans les programmes". regrette-t-il.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Aujourd'hui
Trois questions à... Eugenie Scott

Professeur d'anthropologie physique à l'université du Kentucky, vous animez le combat pour l'évolution depuis vingt ans. Vous dirigez le Centre national pour l'éducation scientifique, créé pour "défendre l'enseignement de l'évolution dans les écoles publiques". En 1999, la controverse sur le créationnisme et l'évolution au Kansas était devenue une affaire nationale avant de retomber. Pourquoi en reparle-t-on ?

A cause de l'importance de la droite religieuse dans la réélection de George W. Bush en novembre 2004. Les conservateurs chrétiens estiment que le président leur doit quelque chose. Au contraire de l'avortement, l'évolution est une cible facile. Il n'y a pas de lobby important, pas de bataillons pour défendre ce sujet. Les scientifiques ne constituent pas une force électorale. Face aux attaques actuelles, la communauté scientifique est en émoi mais elle n'est pas organisée politiquement pour se défendre.

Une vingtaine d'Etats sont concernés par des tentatives visant à relativiser les théories de Darwin. Croyez-vous à une offensive centralisée ?

Non, ce n'est pas centralisé. C'est essentiellement au niveau de la base que cette offensive se manifeste. Il y a un fort soutien populaire au créationnisme dans ce pays. C'est un héritage historique. Et le créationnisme est devenu en quelque sorte un produit d'exportation américain. On le trouve en Corée du Sud, en Australie. Maintenant le mouvement grandit dans les pays de l'ancienne Union soviétique. Des missionnaires partis enseigner l'anglais en Europe de l'Est utilisent du matériel créationniste.

Le danger est-il réel ? Après tout, le créationnisme n'est enseigné nulle part. On voit surtout des batailles judiciaires pour l'instant.

Oui, c'est vrai, les juges ont arrêté toutes les tentatives pour enseigner le créationnisme jusqu'à présent. Mais la loi peut évoluer. Et le président Bush nomme systématiquement des juges conservateurs.

Il faut se rappeler qu'aux Etats-Unis l'éducation dépend des districts scolaires. Elle est décidée au niveau local. Il n'y a pas de contrôle des programmes comme en France. On recommande simplement aux enseignants les matières qu'ils doivent couvrir.

Le danger est que les enseignants fassent de l'autocensure. Dans beaucoup d'endroits, l'évolution est passée sous silence. Les professeurs préfèrent glisser rapidement sur le sujet. Il n'est pas question d'enseigner le créationnisme, c'est illégal. Mais pour les conservateurs, le simple fait que l'évolution soit relativisée, c'est un succès.

L'autre danger que nous voyons, c'est l'apparition de l'idée de "dessein intelligent". C'est une nouvelle forme de créationnisme en quelque sorte, qui ne mentionne pas directement Dieu. Pour la première fois, un juge va se prononcer sur cette notion, à partir de l'exemple de Dover, en Pennsylvanie.

Les créationnistes affirment qu'il n'est pas question de Dieu et qu'ils ne cherchent qu'à voir présenter le "dessein intelligent" comme une alternative scientifique à l'évolution.

Mais c'est une farce. Ce qu'ils ont en tête, c'est le même bon vieux créateur: Dieu.

Propos recueillis par Corinne Lesnes
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Europe
Constitution européenne
M. Chirac et M. Schröder: "Nous allons construire une Europe puissante"

 A près son émission manquée du 14 avril avec les jeunes, sur TF1, Jacques Chirac a pris soin de donner le plus d'éclat possible à sa rencontre avec le chancelier allemand, Gerhard Schröder, venu avec la quasi-totalité de son gouvernement, mardi 26 avril à Paris, au secours du référendum français sur la Constitution européenne.

Chute du non dans l'électorat de droite
Le non reste majoritaire dans les intentions de vote des Français (52%), mais il marque un léger recul de 3 points, selon un sondage Ipsos pour Le Figaro et Europe 1 publié le 25 avril. L'enquête a été menée les 22 et 23 avril par téléphone auprès de 954 personnes (méthode des quotas). Le précédent sondage Ipsos (15-16 avril) situait le non à 55%. Le 21 avril, une enquête CSA avait déjà donné le non en recul (à 52%). Selon Ipsos, le non reste majoritaire chez les sympathisants de la gauche parlementaire (60%, – 3 points), notamment du PS (55%, – 1 point), mais un électeur de gauche sur deux n'est pas sûr de son choix. Le recul du non est surtout sensible dans l'électorat UMP-UDF: – 11 points, à 21%, le oui se redressant d'autant, à 79%.

Le cinquième conseil des ministres franco-allemand, qui se tenait dans la matinée au palais de l'Elysée, tombe à pic, dans cette campagne difficile, pour proclamer haut et fort les vertus du moteur franco-allemand au service de l'Europe.

A l'issue de la réunion des deux gouvernements, consacrée au lancement d'un ambitieux programme de relance industrielle et à la promotion de la mobilité entre les deux pays, le président et le chancelier devaient prendre la parole, l'après-midi, à la Sorbonne, pour célébrer le 50e anniversaire de la Chambre franco-allemande de commerce et d'industrie.

M. Chirac mise, pour faire comprendre l'enjeu européen, sur l'affirmation de l'ambition, commune aux deux pays, de travailler au sauvetage d'une base industrielle essentielle à la création d'emplois, mais menacée par la compétition avec l'Asie et l'Amérique. Cela explique l'ampleur donnée, lors du conseil des ministres, au lancement de projets concrets en matière d'industrie et d'innovation technologique, présentés lundi 25 avril par Jean-Louis Beffa, le PDG de Saint-Gobain. Les deux pays connaissent tout deux en ce début d'année un fort taux de chômage, qui reste, encore et toujours, leur principale préoccupation. Mais la réponse, pour M. Chirac comme pour le chancelier Schröder, n'est pas dans le repli sur soi. D'où l'importance d'une Constitution que l'Allemagne doit ratifier en mai juste avant la France. D'où aussi l'incompréhension que l'on ressent aujourd'hui à Berlin devant la montée du non en France.

Comment lutter et surtout comment être cru ? Avec la "bataille des emplois de demain" se joue une nouvelle coopération industrielle, garante de la suprématie technologique, affirme le président français. En juillet, sera ainsi créé, comme il l'avait annoncé en début d'année, l'Agence pour l'innovation technologique. Dans cette voie, affirme M. Chirac, la France sera plus forte avec l'Allemagne et ceux qui voudront les rejoindre. "En Europe, l'unité et la confiance, source de la puissance, sont en train de l'emporter. L'espérance européenne est à l'oeuvre", dit-il.

"MODÈLE INÉDIT"

L'Europe politique a un socle, rappelle M. Chirac, "cette paix que le traité constitutionnel vient consolider" et qui a permis de bâtir un "modèle inédit": l'Europe. Avec la Constitution, défend le président, "pour la première fois, vingt-cinq peuples s'unissent pour relever le défi d'une démocratie européenne qui respecte l'identité de chacun". Thème sensible que celui de l'identité, qui provoque, à droite comme à gauche, de nouvelles crispations, nourries par les difficultés économiques et sociales: M. Chirac veut tenter de répondre aux deux. "Nous avons besoin de cette Constitution parce que nous voulons construire l'Europe sur des valeurs et plus seulement sur un marché", plaide le président.

Il se fait aussi l'avocat d'une idée qui lui est familière: pas de progrès social sans progrès économique – maîtrisé sur le plan environnemental et accompagné de "services publics forts et accessibles à tous"; ce que le traité, souligne M. Chirac, appelle "l'économie sociale de marché". "Nous nous sommes battus pour cela. Je n'aurais pas signé ce texte s'il n'avait pas inscrit cette exigence au coeur des objectifs qu'il consacre", assure le président, ajoutant que M. Schröder "ne l'aurait pas signé non plus".

Selon lui, le projet que promet la Constitution est une Europe "qui fera résolument le choix d'une harmonisation sociale par le haut, c'est-à-dire le refus du dumping social et la volonté d'assurer à tous le plus haut niveau de protection sociale". "Si l'Europe ne s'organise pas maintenant, le monde ne l'attendra pas. Si l'Europe renonce à son ambition politique et sociale, le modèle ultra-libéral aura le champ libre", avertit le président.

Valeurs, destin commun, défense du modèle économique et social: avec la Constitution, "nous allons construire une Europe puissante", conclut M. Chirac, en espérant, cette fois, faire bouger le front du non.

Henri de Bresson et Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Société
Hugues Lagrange, directeur de recherche au CNRS Hugues Lagrange, directeur de recherche au CNRS: "Aucune réflexion véritable n'a été conduite sur la prévention"

 Q ue pensez-vous de la philosophie de ce projet de loi ?
Il s'agit d'un texte hétéroclite, qui ressemble au catalogue de La Redoute. Ce projet de loi est marqué par une volonté de capitaliser sur un semblant de victoire face à la délinquance, après une période en 2002 où celle-ci constituait un point central de l'actualité nationale. Mais aucune réflexion véritable n'a été conduite sur la prévention.
Il s'agit d'une politique hémiplégique. Pour les jeunes déjà engagés dans la délinquance, la solution de l'emprisonnement massif a été choisie. Mais en amont, rien.
Un véritable travail de prévention consisterait à détecter très tôt les symptômes de l'échec scolaire. Dans mes travaux, j'observe les résultats des enfants en CE2. Ceux issus de familles nombreuses, non européennes, qui ont des difficultés importantes à ce niveau, ont une probabilité 4 ou 5 fois plus élevée d'entrer dans la délinquance que les autres.

Ce texte ne sanctionne-t-il pas aussi l'échec de la prévention traditionnelle ?
Nous assistons à une crise de la doctrine éducative qui fut valide de 1945 au début des années 1980. Elle consistait à considérer que l'enfance en souffrance – dans des familles en proie aux problèmes de violence, de drogue ou d'alcoolisme – et l'enfance délinquante étaient la même chose. Or il n'y a que 20% de recoupement entre les deux groupes.
Les trajectoires des jeunes acteurs de la délinquance illustrent surtout un échec à entrer dans la société contemporaine, à répondre à des exigences de parcours individuel: savoir lire à 6 ans, avoir des bases solides en sixième, etc. Sans ces bases, les jeunes se retrouvent en porte-à-faux.

L'aggravation des peines sanctionnant les délits de racket et de revente de drogue autour des écoles est-elle positive ?
Je m'interroge. Le projet de loi semble viser avant tout les jeunes des quartiers sensibles. Or les études montrent que l'usage de la drogue s'est ancré dans la population. Il est beaucoup plus développé dans les établissements des centres-villes aisés que dans les banlieues. Concernant le racket, je me réjouirais s'il y avait un véritable travail de fait sur le recel, pour ne pas réduire la question au vol de blouson.

Favoriser les dépenses de sécurité par un crédit d'impôt vous paraît-il une bonne chose ?
Le ministère de l'intérieur a décidé de concentrer ses efforts sur le passage à l'acte, qui est le dernier échelon, et pas sur les hommes. Avec le développement des Digicode, les cambriolages ont chuté à Paris et se sont reportés sur d'autres logements. Ces nouvelles mesures vont renforcer les protections statiques de ceux qui sont déjà mieux assurés que les autres et qui paient plus d'impôts.

Propos recueillis par P. Sm.
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Société
Deux transsexuelles demandent à se marier à la mairie de Rueil-Malmaison

 S ur la table du salon, un code civil rouge un peu usé à force d'avoir été feuilleté porte un Post-it indiquant les pages sur le mariage. Le chapitre sur les "qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage" a été visiblement bien étudié. "Avant de déposer un dossier à la mairie, il a fallu se préparer !", plaisante Camille. Pourtant, le jour où elles se sont rendues à l'hôtel de ville de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), l'employée, racontent-elles, a pris "l'air pincé".

Camille et Monica, il est vrai, ne forment pas un couple tout à fait comme les autres. Les cheveux relevés en chignon, Monica a transformé son corps grâce à des injections de silicone mais elle conserve un état civil masculin: son passeport est établi au nom de Benito Martin Leon. Camille, elle, fut, dans sa jeunesse, un homme. En 1999, son état civil a été modifié après une opération chirurgicale et elle a désormais une carte d'identité au nom de Camille Joséphine Barré.

Sur le papier, rien ne s'oppose donc au mariage. Benito Martin Leon, 30 ans, de nationalité argentine, souhaite prendre pour épouse Camille Joséphine Barré, 46 ans, de nationalité française. Mais les frontières du genre et du sexe ont été quelque peu brouillées et une certaine panique s'est emparée de la mairie de Rueil-Malmaison. Après avoir suspecté un mariage blanc – Monica dispose d'une simple autorisation de séjour –, elle a saisi le parquet de Nanterre. "Je veux être sûr qu'il s'agit bien d'un mariage entre deux personnes de sexe différent, précise le maire (UMP) de la ville, Patrick Ollier. Je ne veux pas de mariage militant, ni de mariage de complaisance".

Camille et Monica se sont rencontrées le 27 juin 2004 à la Marche des fiertés lesbiennes, gaies, bi et trans, à Paris. "En tant que membre de l'organisation, j'étais en tête du cortège, raconte Camille. Monica s'est installée devant nous, elle a refusé d'aller plus loin, ça m'a contrarié". Les deux militantes d'associations trans se croisent à nouveau dans une manifestation, en octobre. "On n'arrêtait pas de se regarder, on se souriait un peu bêtement, comme deux mômes".

Aujourd'hui, elles vivent ensemble, avec leurs deux chats, dans un appartement de Rueil-Malmaison dont la bibliothèque est nourrie de livres sur la différence des sexes – Masculin/Féminin, de l'anthropologue Françoise Héritier, ou une histoire du transsexualisme. Elles se définissent comme les "deux moitiés d'une orange", se regardent longuement dans les yeux, et répètent sans se lasser qu'elles veulent se marier. Par romantisme – "je veux croire au bonheur amoureux", dit Monica –, mais aussi par militantisme – "nous ne sommes plus au XIXe siècle, nous ne voulons plus vivre dans les carcans culturels, sociaux et moraux d'antan", ajoute Camille.

Monica est née en Argentine, à El Bordo-Salta, à 1 400 kilomètres de Buenos Aires. Son père était agriculteur, sa mère élevait ses onze enfants. "A 5 ans, je me déguisais en fille, en secret, chez ma grand-mère", raconte-t-elle. Le 3 janvier 1993, à 18 ans, Monica, qui s'appelle alors Martin, annonce à ses parents qu'elle veut devenir transsexuelle. "Mon père m'a dit: tu peux être homosexuel, tu peux avoir des amours clandestines, mais ça, non. Pas ici".

Monica part pour Buenos Aires, se fait injecter de la silicone et revient neuf mois plus tard chez ses parents. "Papa, qui ne m'a pas reconnue, m'a dit: "Bonjour Madame". Et Maman a crié: "Mais c'est Martin !" Aujourd'hui, ils ont fini par m'appeler Monica". Après onze années difficiles à Buenos Aires, Monica, qui a choisi son prénom en hommage à la joueuse de tennis Monica Seles, part pour la France. "Je suis arrivée le 17 mai 2004 et le soir même, j'étais au Bois de Boulogne. J'ai arrêté le 24 décembre et, depuis, je fais de l'alphabétisation et une formation d'informatique".

Camille, elle, a grandi à Paris, dans une famille modeste, entourée de trois soeurs et d'un frère. "J'ai essayé de vivre une vie d'homme, j'ai été mariée avec une femme pendant onze ans, mais j'étais très malheureuse. Je ne voulais pas être un travesti temporaire: c'était une simple échappatoire à un uniforme qui n'était pas le mien". Elle finit par divorcer, se fait opérer et, en 1999, devient une femme, Camille Joséphine Barré. Aujourd'hui, elle veut se marier et répond à tous ceux qui soulignent que Monica ne pourra plus, dès lors, demander un changement d'état civil: "Mais non, d'ici là, les mariages homos seront autorisés !"

Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Société
Pédophilie: huit mises en examen en Mayenne

 H uit personnes ont été mises en examen, et six d'entre elles écrouées à Laval, après la découverte d'une ramification, dans la Mayenne, du réseau pédophile jugé depuis le 3 mars par la cour d'assises de Maine-et-Loire, à Angers.

Philippe Varin, le procureur de Laval, a confirmé, lundi 25 avril, les informations publiées, samedi 23 avril, par Le Parisien-Aujourd'hui en France. Virginie Parent, la juge d'instruction d'Angers, qui a renvoyé soixante-six personnes devant les assises, reste saisie d'une partie de l'affaire. Elle exploite systématiquement les carnets d'adresses des accusés et enquête sur la disparition de films et de photos pédophiles décrits par plusieurs d'entre eux.

C'est ainsi qu'elle a demandé aux policiers d'Angers d'interroger à Château-Gontier, en Mayenne, le département voisin, un homme qui s'est aussitôt effondré devant les enquêteurs. "Il a fait des révélations sur des scènes de pédophilie auxquelles il aurait assisté en Mayenne, a indiqué le procureur. Il a mis essentiellement en cause des personnes originaires de ce département."

Le procureur d'Angers a ainsi saisi son collègue de Laval, qui a fait placer en garde à vue, le 16 avril, l'homme de Château-Gontier, sa compagne et son ex-compagne.

Une information a été ouverte le 18 avril et confiée au juge Sabine Morvan, qui a, le jour même, mis l'homme en examen pour "corruption de mineurs de -moins de- 15 ans". l'ancien attentat à la pudeur, "non-assistance à personne en danger". "non-dénonciation de crime et de mauvais traitement à enfant".

La nouvelle compagne a été mise hors de cause, mais l'ancienne a été mise en examen pour "non-dénonciation" et laissée en liberté sous contrôle judiciaire. "Comme à Angers, ce sont des personnes parfois assez frustes qui ont du mal à se situer dans le temps et dans l'espace, a expliqué M. Varin. Elles donnent des dates et des lieux, il va falloir vérifier tout cela."

PERFUSION SOCIALE

Grâce à ces premiers éléments, cinq autres personnes, trois hommes et deux femmes, ont été interpellées le lendemain et placées en garde à vue. "Certains reconnaissent la réalité des faits, convient le procureur, ou accusent d'autres personnes." Tous ont été présentés au juge et mis en examen, jeudi 21 avril, pour des faits plus graves: "viols sur mineurs en réunion". "agressions sexuelles en réunion". "corruption de mineurs" et complicité.

Enfin, un dernier homme a été interpellé, samedi, avant d'être mis en examen pour "corruption de mineurs" et "agressions sexuelles". et laissé en liberté sous contrôle judiciaire. Les perquisitions aux domiciles des personnes mises en examen n'ont, semble-t-il, rien apporté de significatif.

De huit à dix mineurs de moins de 15 ans auraient été abusés entre 1995 et 2002. Il s'agit parfois des propres enfants des agresseurs, parfois ceux de voisins ou de connaissances; les faits se seraient produits à Laval, à Château-Gontier et dans un camping de l'est du département. La plupart des mis en examen sont, comme à Angers, des majeurs protégés, sous perfusion sociale.

D'autres interpellations sont attendues. Surtout, deux personnes qui ont été mises en cause sont actuellement jugées devant la cour d'assises de Maine-et-Loire, et le lien avec le réseau pédophile d'Angers ne fait pas de doute. Franck Johannès
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / International
Laurent Gbagbo autorise la candidature d'Alassane Ouattara pour la présidentielle

 L e président ivoirien, Laurent Gbagbo, a annoncé, mardi 26 avril, qu'il userait de ses pouvoirs constitutionnels pour que l'un de ses principaux adversaires politiques, Alassane Ouattara, puisse se présenter à l'élection présidentielle d'octobre.

La mise à l'écart de M. Ouattara, un musulman originaire du Nord, à la présidentielle de 2000, pour "nationalité douteuse" est au cœur de la crise politico-militaire ivoirienne depuis septembre 2002. M. Ouattara n'est pas éligible en vertu de l'article 35 de la Constitution, qui exige que les deux parents d'un candidat soient d'origine ivoirienne. L'un de ses parents est considéré comme originaire du Burkina Faso voisin.

Dans un discours télévisé très attendu, sur la question cruciale des candidatures à la prochaine élection présidentielle, le chef de l'Etat a annoncé qu'il prenait "acte" de l'accord de paix du 6 avril, conclu à Pretoria entre tous les protagonistes de la crise ivoirienne, et qu'il mettait "en œuvre l'article 48" pour prendre "les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances". Laurent Gbagbo a précisé que, pour la seule élection présidentielle d'octobre 2005, les candidats présentés par les partis politiques signataires des accords conclus en janvier 2003 à Marcoussis, près de Paris, seraient éligibles, y compris le Rassemblement des républicains (RDR) d'Alassane Ouattara. "En conséquence, M. Alassane Dramane Ouattara peut, s'il le désire, présenter sa candidature à l'élection présidentielle d'octobre 2005", a ajouté le chef de l'Etat ivoirien.

ESPOIRS DE SORTIE DE CRISE

L'espoir d'un règlement pacifique de la crise ivoirienne – illustrée par la division du pays entre un Nord tenu par les rebelles et un Sud sous contrôle gouvernemental – grandit depuis la signature de l'accord de paix de Pretoria. Dans le cadre de cet accord, les rebelles et les forces gouvernementales ont entrepris de retirer leurs armes lourdes des lignes de front. Ils ont aussi promis d'étudier des propositions visant à entamer en mai un désarmement complet. A l'issue de pourparlers de paix organisés en Afrique du Sud, le président Thabo Mbeki avait déclaré que tout candidat souhaitant se présenter devait être autorisé à le faire. Il avait exhorté M. Gbagbo à invoquer l'article 48 pour que ceux qui en étaient empêchés précédemment puissent se présenter.

Bon nombre de jeunes "patriotes", qui soutiennent Laurent Gbagbo, imputent la guerre à Alassane Ouattara et l'accusent de soutenir les rebelles, mais certains d'entre eux ont annoncé qu'ils soutiendraient la décision du chef de l'Etat. "Aucun patriote n'est d'accord avec cela mais tous les patriotes l'accepteront", a assuré Eugène Djue, dirigeant de l'Union des patriotes pour la libération totale de la Côte d'Ivoire, une milice pro-Gbagbo. "Pour que (M. Ouattara) soit candidat, beaucoup de gens sont morts", a-t-il ajouté. Les rebelles "ont obtenu par les armes qu'il puisse être candidat. C'est un grave précédent pour ce pays".

Les rebelles des Forces nouvelles n'ont pas réagi dans l'immédiat. Dans le passé, ils ont refusé de déposer les armes tant que M. Gbagbo ne mettaient pas en œuvre les réformes annoncées.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 27.04.05


Le Monde / International
Victimes au Togo après la victoire "provisoire" de Gnassingbé

 D e jeunes opposants en colère ont pris possession, mardi 26 avril, des rues de Lomé après la proclamation de la victoire "provisoire" de Faure Gnassingbé, fils de l'ancien dictateur Gnassingbé Eyadema, à la présidentielle de dimanche. Les incidents ont fait au moins trois morts et des dizaines de blessés.

Une histoire de famille
Gnassingbé Eyadéma, qui a régné sans partage sur le Togo pendant trente-huit ans, a été assassiné le 5 février dernier. Malgré les dispositions de la Constitution sur l'intérim, l'armée avait alors désigné son fils comme successeur avant que celui-ci ne se résigne, sous la pression internationale, à se soumettre au verdict des urnes. La campagne électorale s'est alors déroulée dans un climat de violence continuelle entre les deux camps rivaux: une opposition frustrée par des décennies d'autocratisme et les loyalistes de Gnassingbé.

Des fumées noires se sont élevées de divers quartiers de la capitale du Togo, où les protestataires avaient érigé et incendié des barricades, jetant des pierres aux policiers qui ont riposté avec des grenades à percussion et tiré des balles de caoutchouc. Des magasins et des entreprises ont été pillés, des murs et des arbres abattus. Un diplomate chinois a déclaré que son ambassade avait été attaquée par des jeunes gens qui ont cassé des fenêtres et une voiture, avant de voler une moto.

ÉVACUATION DU PERSONNEL DE L'AMBASSADE AMÉRICAINE

A la tombée de la nuit, le calme était revenu et les forces de sécurité patrouillaient en grand nombre dans les rues. On observait de petits groupes de manifestants non loin de barricades fumantes, mais la plupart étaient rentrés chez eux en s'engageant à revenir mercredi. "C'est la déception et la colère. C'est sûr que les mouvements vont recommencer demain", affirmait Kenneth, un habitant du quartier de Bé, bastion de l'opposition dans la capitale. Au principal hôpital de Lomé, une infirmière a dit que l'établissement avait été débordé par le nombre de blessés arrivés mardi. A Bé, une infirmière de clinique a expliqué qu'il avait fallu refouler beaucoup de personnes blessées par balles parce qu'un médecin ne s'était pas présenté au travail.

Déjà traumatisés par des semaines d'agitation de rue, beaucoup d'habitants de Lomé s'étaient calfeutrés chez eux pour échapper aux nouvelles violences de jeunes opposants, dont certains étaient armés de couteaux ou de machettes.

De leur côté, les Etats-Unis ont annoncé qu'en raison des violences, ils avaient pris leurs dispositions pour évacuer le personnel non essentiel, ainsi que les membres des familles du personnel de leur ambassade au Togo. Ils ont aussi invité tous leurs ressortissants à reporter toute visite dans le pays. "Nous continuons d'enquêter (sur les informations relatives à des fraudes électorales)", a déclaré Adam Ereli, porte-parole du département d'Etat, ajoutant que Washington soutenait les efforts de réconciliation déployés par l'Union africaine et par la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao).

MANIFESTATION PRO-GNASSINGBÉ

Dans un autre quartier de la capitale, des partisans de Gnassingbé, vêtus de tee-shirts blancs et armés pour certains, célébraient la victoire de leur candidat. "Faure ou rien, Faure ou l'enfer", scandait l'un d'eux. Selon la commission électorale, Gnassingbé, 39 ans, a obtenu 60,22% des suffrages contre 38,19% au candidat de l'Union des forces de changement (UFC), Emmanuel Bob-Akitani. Le candidat du Rassemblement du peuple togolais (RPT) a lancé après l'annonce de sa victoire un appel à l'unité nationale. " Assez de querelles intestines, assez de querelles politiciennes. Maintenant, place à la réconciliation et au développement. La période de l'élection est passée. Nous devons nous retrouver pour reconstruire notre pays", a déclaré Gnassingbé à la presse.

L'UFC a de son côté appelé à la résistance populaire. "Nous n'allons pas nous laisser faire et nous appelons la population à résister", a déclaré Jean-Pierre Fabre, secrétaire général de l'UFC. "Ce régime doit comprendre que nous n'accepterons jamais M. Faure Gnassingbé comme président de la République, parce que ni son père, ni lui ne peuvent remporter une élection normale au Togo."

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 27.04.05


Le Monde / International
Trois questions à... Mohammed Mahdi Al-Akef

1. Vous êtes le guide suprême des Frères musulmans. Quel est votre projet politique ?
Il englobe tous les champs de la vie, la politique, l'économie, la culture, l'éducation ou même le sport, et respecte la Constitution et les lois égyptiennes. Avec les autres formations de l'opposition, nous nous faisons l'écho des demandes du peuple égyptien: des élections libres et ouvertes pour la présidentielle et les législatives, la démocratie, le multipartisme, l'abrogation de l'état d'urgence, la libération de tous les prisonniers politiques et le respect des droits de l'homme.

2. Pour une fois, la politique des Frères musulmans est en phase avec celle des Etats-Unis...
Les rumeurs selon lesquelles j'aurais négocié avec les Américains ne sont que des mensonges. Quand des gens me disent que l'ambassadeur américain veut me rencontrer, je réponds qu'il est le bienvenu, à condition que le protocole soit respecté, c'est-à-dire que le ministre égyptien des affaires étrangères assiste à notre entretien. Nous refusons toute pression et ingérence étrangères. L'intervention des Etats-Unis en Afghanistan et en Irak, leur politique en Palestine servent leurs propres intérêts ou ceux d'Israël. Le peuple égyptien est parfaitement capable de changer lui-même son gouvernement.

3. L'établissement d'une République islamique est-il un objectif à long terme ? Quelle est la place des femmes et des Coptes dans vos projets ?
Je n'ai jamais fait de différence entre un musulman et un Copte. Nous sommes citoyens du même pays, avec les mêmes droits et devoirs. Aujourd'hui, les Coptes se battent avec nous pour obtenir des réformes. L'islam est de toutes les religions celle qui protège et respecte le mieux les femmes en tant que soeurs, mères et filles, les considère comme des personnes indépendantes, qui peuvent disposer de leurs biens de la même façon que les hommes. Il n'existe pas un seul pays appliquant convenablement les lois de la sunna et du Coran, seules sources que les Frères musulmans reconnaissent. Il ne faut donc pas juger l'islam politique à travers la situation actuelle des peuples musulmans qui vivent tous sous des dictatures encouragées par l'Occident. Notre islam est modéré et civilisé.

Propos recueillis par Cécile Hennion
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / International
Selon l'armée américaine, les soldats qui ont tué l'Italien Nicola Calipari "ont respecté les procédures"
Rome de notre correspondant

 Q ue s'est-il vraiment passé le 4 mars à 22 h 55, sur la route de l'aéroport de Bagdad ? Le gouvernement italien ne partage pas les conclusions de l'enquête de l'armée américaine sur la mort de Nicola Calipari, le responsable des services secrets italiens, tué par une patrouille à un point de contrôle peu après la libération de la journaliste Giuliana Sgrena, elle-même blessée dans la fusillade. Les douze militaires qui ont fait feu sur la voiture "ont respecté toutes les procédures pour des opérations de contrôle et, de ce fait, ne sont pas coupables de manquement au règlement". a estimé, lundi 25 avril à Washington, un responsable du Pentagone. Selon cette source, qui a conservé l'anonymat, "le remords est profond après ce qui est arrivé, tout le monde est désolé. Mais, étant donné le contexte et les problèmes de sécurité, les procédures ont été suivies à la lettre".

Les Américains seraient prêts à publier le rapport d'enquête mais, a précisé l'officiel du Pentagone, les deux spécialistes italiens qui ont participé en tant qu'observateurs à la commission d'enquête "ont d'autres questions à poser". Les divergences de vue portent notamment sur la vitesse du véhicule au moment où il a été pris pour cible, et sur le fait que les autorités américaines avaient été prévenues, ou pas, du transfert de la journaliste vers l'aéroport. Aussitôt après les faits, les militaires avaient affirmé que la Toyota banalisée s'était approchée à grande vitesse du barrage et n'avait répondu ni aux divers signaux ni aux tirs d'avertissement.

Cette version a été contredite par l'officier des services secrets italiens (Sismi) qui conduisait le véhicule. Selon lui, la voiture roulait à faible allure et il n'y a pas eu de sommations. Les premières déclarations de Giuliana Sgrena, atteinte à l'épaule et au poumon par les tirs, allaient dans le même sens.

Selon la presse italienne, mardi 26 avril, les témoignages de ces deux "survivants" n'auraient jamais été pris en compte par la commission conduite par le général Peter Vangjel. De même, les enquêteurs américains n'auraient pas retenu le fait que les autorités sur place pouvaient avoir été mises au courant des intentions de Nicola Calipari de rapatrier Giuliana Sgrena aussitôt après sa libération. Ce serait reconnaître des dysfonctionnements dans les chaînes de commandement de l'armée américaine en Irak, estiment les journaux italiens.

"C'est une conclusion que le gouvernement connaissait dès le début de l'enquête". titre La Repubblica, quotidien proche de l'opposition. "Au moins au début, les versions données à chaud par le commandement américain parlaient d'un accident. Aujourd'hui, on veut faire endosser toute la faute aux Italiens, c'est une gifle inacceptable pour le gouvernement italien". a commenté la journaliste Giuliana Sgrena à la télévision italienne.

La révélation du Pentagone sur les conclusions de l'enquête ne devrait pas faciliter les rapports entre Rome et Washington. L'opinion publique avait été bouleversée par la mort de Nicola Calipari, tué d'une balle dans la tête alors qu'il protégeait de son corps Giuliana Sgrena. Le pays lui avait fait des funérailles de héros national. Silvio Berlusconi avait ensuite annoncé un retrait progressif des troupes italiennes d'Irak, avant de se raviser sous la pression de la Maison Blanche.

Mais un certain malaise a persisté. Les Italiens se sont plaints à plusieurs reprises de leurs difficultés à participer pleinement à l'enquête, même si, le 13 avril, au cours d'une visite aux Etats-Unis, le chef de la diplomatie italienne, Gianfranco Fini, s'était déclaré "très heureux" de la coopération entre les deux pays.

Désormais, Rome entend mener sa propre enquête judiciaire. La justice attendait, mardi 26 avril, le rapatriement de la Toyota Corolla aux fins d'expertise. Mais les juges romains ne se font guère d'illusions. Ils n'ont pas encore obtenu les noms des soldats en faction au check-point, et ils s'attendent que les autorités militaires américaines opposent le "secret défense" à leurs demandes.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / International
Rome et Washington démentent la clôture de l'enquête sur la mort de Nicola Calipari

 L e chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, a annoncé, mardi 26 avril, que l'enquête sur la mort de l'agent secret italien Nicola Calipari n'était pas close, au lendemain d'indiscrétions laissant entendre qu'aucun soldat américain ne serait poursuivi. "Je déplore que des indiscrétions malheureuses aient annoncé que l'enquête était close", a déclaré M. Berlusconi, devant la Chambre des députés. "Le gouvernement viendra devant le Parlement quand l'enquête sera définitivement close", a-t-il précisé. "Des contacts sont en cours en ce moment." "Nous devons la vérité à M. Calipari pour lui rendre justice", a conclu le chef du gouvernement, très applaudi après cette déclaration.

L'ambassadeur des Etats-Unis à Rome, Mel Sembler, a été convoqué mardi à la présidence du conseil des ministres italien et a eu un entretien avec un des plus proches collaborateurs de M. Berlusconi, Gianni Letta, responsable des services secrets italiens.

Lundi, un responsable militaire américain avait annoncé que les soldats avaient "respecté toutes les procédures pour des opérations de contrôle et, de ce fait, n'étaient pas coupables de manquement au règlement". Ces déclarations indiquaient qu'aucun militaire américain ne serait sanctionné pour la mort de Nicola Calipari, l'agent secret italien tué par des tirs américains le 4 mars alors qu'il raccompagnait la journaliste Giuliana Sgrena, à peine libérée de sa détention, vers l'aéroport de Bagdad.

CONVERGENCE

La mort de Nicola Calipari avait suscité une vive émotion en Italie et avait brièvement tendu les relations entre Rome et Washington, dont les versions des faits ont toujours divergé. Les autorités américaines avaient accepté que deux représentants italiens, un diplomate et un général des services secrets, participent à l'enquête.

Ces deux membres ont pour l'instant refusé de signer les premières conclusions de la commission, selon les médias italiens. Une information confirmée par le département d'Etat américain. "Mes dernières informations est qu'ils (les enquêteurs) ne sont pas parvenus à un accord final sur un rapport conjoint, qui sera publié ultérieurement", a déclaré le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, au cours d'une conférence de presse au Pentagone. Le chef d'état-major interarmées, le général Richard Myers, a par ailleurs indiqué que les résultats de l'enquête devraient être publiées à Bagdad à une date qu'il n'a pas précisée.

Giuliana Sgrena, la journaliste du quotidien indépendant de gauche Il Manifesto détenue un mois en Irak, a qualifié de "gifle" pour le gouvernement italien les déclarations de la source militaire américaine. "L'Italie ne peut pas accepter cette version, et si c'est ainsi que les Etats-Unis traitent leurs alliés, la première conséquence devra être de retirer les troupes italiennes d'Irak", a-t-elle déclaré, mercredi, lors d'une conférence de presse à Rome. "Dans la meilleure des hypothèses, la commission (chargée de l'enquête) n'a servi à rien et, dans la pire, elle représente un net pas en arrière", a-t-elle aussi écrit dans un éditorial pour Il Manifesto. "La déception serait énorme si nos autorités subissaient l'affront sans réagir", a-t-elle ajouté. L'Italie participe depuis bientôt deux ans à la coalition internationale qui a lancé l'offensive pour faire tomber le régime irakien, avec un contingent d'environ 3 000 militaires à Nassiriya, dans le sud du pays.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 27.04.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Le modèle Airbus

 A vant même d'avoir décollé, l'A380 symbolise à la perfection ce qui manque trop souvent aux laboratoires européens. Un défi technique, des commandes et des crédits. Bref, un effet d'entraînement qui dope la recherche. Dans le cas du consortium aéronautique européen Airbus ­ qui réunit la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Espagne et la France, ce sont 10,7 milliards d'euros qui ont été dépensés sur une période de dix années pour concevoir et construire un avion gros porteur capable d'emporter entre 550 et 800 passagers. Pas moins de 6 000 ingénieurs ont participé à cette aventure technique, scientifique et industrielle.

Cette mobilisation des intelligences a permis à des chercheurs, souvent incompris dans leur propre milieu, de devenir des pionniers. Et de renouer avec la tradition des grands programmes qui ont enthousiasmé des générations de scientifiques. Le nucléaire dans les années 1960, Ariane et le TGV dans les années 1980 ont servi de poumon à la recherche française et européenne comme la course à l'armement et la conquête spatiale ont joué ce rôle aux Etats-Unis.

A chaque fois, des gouvernements avaient osé lancer ces entreprises à hauts risques. La recherche avait suivi. Les objectifs, même les plus improbables, comme l'envoi d'un homme sur la Lune dès 1969, ont été atteints. Il est temps, aujourd'hui, de prolonger cette politique. Temps aussi de réunir les financements, publics et privés, à la hauteur de cette ambition. Les chantiers des grands projets que sont Airbus, Ariane, et peut-être demain Iter, ne suffisent pas à rivaliser symboliquement avec les programmes de la seconde moitié du XXe siècle: le nucléaire, l'espace ou le rail à grande vitesse.

Les chercheurs, dont le malaise est patent depuis de longues années, analyseront probablement comme un signe favorable le sommet franco-allemand qui devait se réunir, mardi 26 avril, à Paris. A cette occasion, quatre grands projets relevant du secteur biomédical et des technologies de l'information, portés par de grandes entreprises, seront présentés par Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, et Heinrich von Pierer, président du directoire de Siemens.

De tels programmes n'ont pas la prétention de stimuler directement la recherche fondamentale, mais essentiellement de participer à l'innovation et dans une moindre mesure à la création d'emplois. Dans le prolongement du rapport Beffa sur la politique industrielle française, remis au début de l'année, ils ont pour vocation de sauvegarder une industrie compétitive.

L'Europe est encore loin du compte comparée aux Etats-Unis ou au Japon. Il lui faut investir dans la recherche et le développement avec audace et s'incarner dans de telles ambitions communes. Sans des projets susceptibles de retenir les jeunes chercheurs, elle risque fort de se réduire à la sécheresse d'une structure bureaucratique pour laquelle la recherche reste inscrite dans la colonne des dépenses. Alors qu'elle pourrait lui donner des ailes.

Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / France
Lundi de Pentecôte travaillé: Jean-Pierre Raffarin affiche sa détermination

 J ean-Pierre Raffarin a de nouveau demandé, jeudi 28 avril, que la loi faisant du lundi de Pentecôte une "journée de solidarité" travaillée en faveur des personnes âgées et handicapées "soit appliquée par tous". Il s'agit d'une "loi votée par le Parlement" et "je demande à ce que la loi soit appliquée par tous, c'est une pratique républicaine", a déclaré le premier ministre à la presse, à l'issue d'un séminaire gouvernemental à Matignon, destiné à "faire le point, secteur par secteur" sur cette journée du 16 mai.

"La loi permet d'interpréter l'ensemble des conditions des uns ou des autres. Nous avons valorisé l'accord". "Quand il y a accord" prévoyant que la journée de solidarité soit organisée "à tel ou tel autre moment de l'année", cet accord "s'applique", a-t-il réaffirmé. "Quand il n'y a pas d'accord, la loi dit que c'est le 16 mai", donc le lundi de Pentecôte, qui est travaillé, a-t-il ajouté.

Le gouvernement espère mieux faire accepter la mesure aux salariés en lançant le 3 mai une campagne de communication. Mais cet objectif tient de plus en plus de la gageure tant la fronde s'organise dans le privé comme dans le public, avec des arrêts de travail annoncés dans de multiples secteurs et des fermetures programmées dans certaines collectivités locales.

FRONDE DANS LE PUBLIC ET LE PRIVÉ

"Il s'installe une ambiance qui va finir par faire imploser la mesure gouvernementale", a commenté mercredi le secrétaire général de la CGT, alors que la confusion grandit sur les modalités de la mise en œuvre de cette journée et que les appels à la grève se multiplient pour en obtenir la suppression. "Ce que nous allons essayer de faire, d'ici au 16 mai, c'est d'obtenir sa non-application", a ajouté Bernard Thibault. Il a prédit ce jour-là un nouveau "temps fort de la mobilisation" des salariés puisque "le gouvernement n'a pas apporté les réponses appropriées aux revendications" sur les salaires et le pouvoir d'achat. Toutes les organisations syndicales ont dit leur hostilité à cette "journée de travail gratuit obligatoire" qui pèsera essentiellement sur les salariés.

La principale fédération de parents d'élèves, la FCPE, a renouvelé mercredi son appel à ne pas envoyer les enfants à l'école ce jour-là, alors que les syndicats d'enseignants ont appelé à la grève le 16 mai. La FCPE remarque notamment que "la journée n'étant pas imposée à la même date pour tous les salariés, rien ne garantit que la restauration, les transports et les garderies scolaires seront assurés".

Les appels syndicaux contre "l'injustice" de cette journée de "travail gratuit" semblent rencontrer un large écho dans la population: selon deux récents sondages, près des deux tiers des Français sont opposés à la suppression du jour férié, contredisant ainsi les déclarations du ministre Philippe Douste-Blazy (santé), persuadé que "les Français sont prêts à faire cet effort".

S'il ne veut pas céder pour 2005, le premier ministre a néanmoins dû accepter qu'une mission évalue d'ici à l'été le déroulement de cette journée et propose, le cas échéant, de nouvelles solutions pour les années à venir. Car malgré le soutien affiché par le patron de l'UMP, Nicolas Sarkozy, M. Raffarin se retrouve critiqué jusque dans son propre camp, pour cette mesure jugée impopulaire et inégalitaire dans son application, certains députés de "base" militant depuis des mois pour une journée "à la carte" (RTT...).

A droite comme à gauche, les partisans du oui au référendum sur la Constitution redoutent que la contestation autour du lundi de Pentecôte travaillé - qui tombe treize jours avant le scrutin - vienne tendre une situation politique et sociale déjà électrique (affrontement Raffarin-Villepin, hausse du chômage, déferlante du textile chinois,"parachute doré" de l'ancien patron de Carrefour...) et grossir les rangs du non, donné gagnant dans tous les sondages depuis un mois. Julien Dray (PS) a annoncé mardi que son parti abrogerait la mesure s'il revenait au pouvoir en 2007.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / France
Jospin intervient en faveur du oui mais n'entend jouer "aucun rôle particulier" d'ici à 2007

 L es enjeux du référendum du 29 mai. Alors qu'il s'exprimait pour la première fois à la télévision depuis son échec à la présidentielle, le 21 avril 2002, Lionel Jospin a tout d'abord mis en garde contre les confusions qui pouvaient être faites entre les problèmes de politiques intérieures, et le vote du 29 mai prochain sur le Traité constitutionnel européen. Voter contre le traité constitutionnel, c'est "sanctionner la France, c'est sanctionner l'Europe, ce n'est pas sanctionner le pouvoir en place", a t-il déclaré. "Les Français sont en colère, ils sont mécontents, ils ont des raisons d'être en colère", a assuré M. Jospin. "Comme on n'a pas tenu compte de leurs protestations exprimées clairement en 2004, ils ont un désir de protestation et une envie de sanction", a dit encore M. Jospin. Mais "voter contre le Traité constitutionnel c'est sanctionner la France, c'est sanctionner l'Europe, ce n'est pas sanctionner le pouvoir en place", a-t-il ajouté.

"Si nous avons un problème politique en France, réglons-le en France et ne prenons pas l'Europe à témoin ou en otage de ces discussions nécessaires" sur la manière dont est gouvernée le pays, a expliqué M. Jospin. "Je comprends ces protestations" des Français contre la politique gouvernementale, évoquant la montée du chômage, et "des impôts injustes". "En même temps, je dis: ça n'est pas l'objet, ce n'est pas le moment pour trancher cette question", a ajouté l'ex-premier ministre. Selon M. Jospin, "il n'y a pas de cohérence d'un non pro-européen". "Quand on veut l'Europe, on dit oui à l'Europe, on ne dit pas non à l'Europe", a-t-il lancé.

Interrogé sur la possible confusion qui pouvait être fait entre le oui de droite, et le oui de gauche, l'ancien premier ministre a déclaré que l'Europe ne pouvait pas être remise en cause à chaque alternance politique.

La Constitution. Elle ne peut pas être un carcan libéral, a expliqué l'ancien premier ministre, le libéralisme étant par définition l'absence de cadre. L'Union européenne n'est pas libérale, mais "elle a des imperfections" et "j'aurai pu souhaiter un traité constitutionnel qui aille plus loin sur le plan social", a t-il cependant admis. Si le non l'emportait, "politiquement et psychologiquement, c'est une europe en panne "et "une france qui s'isole", a t-il expliqué. "Il faut peser le conséquence de ses actes", "le oui est plus clair et plus simple".

Son rôle futur. Interrogé sur le rôle qu'il entendait tenir entre 2005 et 2007, M. Jospin a répondu: "Aucun rôle particulier". "Je veux pouvoir dire ce que je crois juste dans certaines circonstances, pas forcément tout le temps ni fréquemment, notamment pour mon pays mais aussi par exemple pour l'Europe, le dire librement. Pour le reste, je veux aider les socialistes à agir", a-t-il dit. "Mais sans reprendre un rôle plus actif ?", lui a demandé le journaliste. "Non", a-t-il répondu. "Ce que je souhaite, c'est que la gauche se rassemble pour changer l'Europe et non pas pour la bloquer, et aussi que les socialistes soient au coeur de cette gauche", a ajouté Lionel Jospin.

Les réactions. Le Parti socialiste a estimé après l'intervention télévisée de Lionel Jospin, que "sa voix porte un message attendu par toutes les Françaises et tous les Français". "Lionel Jospin a toujours été présent à nos côtés, dans nos combats électoraux et, comme à chaque fois, son soutien nourrit et enrichit nos débats", écrit Annick Lepetit, porte-parole du PS dans un communiqué. "Il est normal qu'il explique un référendum de cette importance qui engage à la fois l'avenir de la gauche, de la France et de toute l'Europe", observe enfin la porte-parole.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / France
Constitution européenne - Compte-rendu
24 heures de campagne: M. Breton tient meeting, M. Raffarin est à Sup de Co et M. de Villiers pavoise

Bourg-en-Bresse

 I l faut un début à tout. Mais pour son premier meeting pour le oui au référendum, Thierry Breton a choisi d'assurer: en accompagnant Nicolas Sarkozy, le président de l'UMP, il était certain d'avoir une salle pleine et enthousiaste. Plus de 2 000 personnes étaient en effet réunies dans le Parc des expositions de Bourg-en-Bresse (Ain), mercredi 27 avril.

M. Breton s'est lancé sans un regard au discours préparé par ses services, sans aucune autre note avec des arguments qu'il a lui-même rôdés. Sous le regard curieux de Nicolas Sarkozy, assis avec des parlementaires sur la scène. Les délocalisations ? "C'est quelque chose dont on parle depuis longtemps, parce que nous changeons de monde, pas à cause de la Constitution européenne." Les nouveaux pays membres, qui attirent des emplois ? "On ne peut pas le nier, mais on leur vend aussi plus de produits", ce qui nous a permis de "créer 150 000 -postes-", affirme le ministre. Alors "attention à la désinformation, faites de la pédagogie", lance-t-il.

Côté positif, il en appelle "à tous ceux qui ont moins de 31 ans", qui vont "voter pour la première fois pour l'Europe": "Si le président de la République a souhaité le référendum, c'est aussi et surtout pour que vous puissiez vous exprimer." Il reconnaît que la Constitution n'est "pas un cadre parfait", mais "prenez-le, vous pourrez le faire évoluer", assure-t-il. Il termine sur une note risquée: pour la première fois, la Constitution contient un article qui permet de sortir de l'Europe, "qui a beaucoup de défauts", avoue-t-il. Pour lui, ceux qui veulent "dire non à l'Europe doivent aussi voter oui".

Au passage, M. Breton tente d'appâter les militants. Estimant que les jeunes entrent trop tard sur le marché du travail et que les retraités en sortent trop tôt, il assure qu'il a la solution pour changer cela: "Je sais exactement ce qu'il faut faire." Sans en dire plus. Décevant. "C'est une question de timing, affirme le ministre, obscur. Il ne faut rien faire faire quand les conditions de marché ne s'y prêtent pas."

Il rentre à Paris tellement ravi de sa soirée et convaincu que les arguments du non "tournent en rond", qu'il en a oublié le sujet du séminaire gouvernemental du lendemain. "Le lundi de Pentecôte, vous croyez ? Mais tout est clair, il n'y a pas besoin de séminaire", s'étonne-t-il. Nicolas Sarkozy est plus inquiet. Même s'il a électrisé la salle, il sait aussi qu'il faudra encore beaucoup d'efforts pour convaincre les électeurs de "ne pas renverser la table". "On sent qu'ils en ont très envie", reconnaît-il. Il les prévient: "Vous risquez de la recevoir sur les genoux."
Amiens

 L e premier ministre avait, lui, décidé, mercredi, de plaider pour le oui à Sup de Co Amiens, dans le fief du ministre des transports, Gilles de Robien.

"Mes camarades !", lance-t-il d'entrée aux étudiants, se souvenant qu'il a été lui aussi un "sup de co". Succès garanti. Lucie pointe une contradiction entre le droit à la vie prévu dans la Constitution européenne et le droit à l'IVG inscrit dans la loi française: "La suite du texte sur le droit à la vie dit qu'on doit respecter les politiques nationales", répond M. Raffarin.

"Comment faire comprendre aux jeunes que le vote du 29 mai n'est pas un vote de politique intérieure ?", demande un jeune. Le premier ministre quitte son fauteuil, va sur le devant de la scène: "Il ne s'agit pas de voter pour des hommes politiques. L'Europe verra beaucoup d'hommes politiques se succéder. C'est une affaire de citoyenneté. Est-ce que la voix de la France sera silencieuse dans les vingt ans qui viennent ou est-ce qu'elle sera encore entendue ? C'est ça le défi."
Amiens encore...

 P hilippe de Villiers, chantre du non, était lui aussi, mercredi, dans l'ancienne capitale picarde. Une "coïncidence, un hasard de calendrier", a-t-il tenu à préciser. Qu'il a aussitôt exploité en invitant France 3 à le filmer devant la mairie au moment où M. de Robien recevait le premier ministre.

"Sympa de pavoiser pour le non !", a-t-il ironisé devant les drapeaux qui décoraient l'édifice public. Il a pris un malin plaisir à énoncer les faits d'actualité travaillant, selon lui, pour le non. "L'Europe impuissante face au textile chinois" ou encore "le patron alsacien qui a proposé à ses employés licenciés, un reclassement en Roumanie, à 110 euros par mois, tandis que le PDG de Carrefour, en déplacement en Chine à Pékin, obtient des indemnités colossales". Les électeurs à Amiens entendront-ils les réponses formulées à Bourg-en-Bresse ?

LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Entreprises
Morosité persistante sur les marchés d'actions

 L a séance du mardi 26 avril a été décevante sur les principales Bourses occidentales.

A Wall Street, le Dow Jones a cédé 0,89%. Le Nasdaq composite a reculé de 1,20%. Le moral des ménages américains, publié par le Conference Board, s'est établi à 97,7 points en avril, contre 103 points le mois précédent. Selon l'institut de conjoncture, les prix énergétiques ont pesé sur les prévisions de consommation des ménages. La publication de cet indicateur a renforcé les doutes des investisseurs sur le dynamisme de la croissance économique aux Etats-Unis.

Des résultats trimestriels d'entreprises en deçà des attentes du marché ont également pesé sur les décisions d'investissement des opérateurs. L'action Lexmark International a décroché de plus de 14%, à New York, affectant l'ensemble des valeurs technologiques américaines. Le fabricant d'imprimantes a publié un bénéfice pour le premier trimestre 2005 jugé décevant. Même déconvenue pour le titre du groupe chimique DuPont, en baisse de 3,19% (la plus forte baisse du Dow Jones), suite à la publication d'un bénéfice trimestriel en deçà du consensus des analystes.

L'action de l'assureur AIG a perdu 1,33%, alors qu'Eliot Spitzer, le procureur général de l'Etat de New York, annonçait, mardi, avoir élargi son enquête sur de nouvelles irrégularités comptables présumées, qui auraient évité au géant de l'assurance de payer des millions de dollars de cotisations sociales de ses salariés.

L'annonce d'une perte nette au deuxième trimestre de son exercice 2004-2005 pour Infinéon, fabricant allemand de semi-conducteurs, a pesé sur l'ensemble des technologies européennes. A Paris, le CAC 40 est resté inchangé, mardi, à 3 993,04 points.

A Tokyo, mercredi 27 avril, le Nikkei a cédé 0,28%, dans le sillage de Wall Street.

Cécile Ducourtieux
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Entreprises
Les Etats-Unis s'emparent de la question du textile chinois

 T ant Bruxelles que Washington ont finalement accepté d'ouvrir des enquêtes pour déterminer si la très forte progression récente des importations chinoises, de plus de 1 000% pour certains vêtements, entraîne effectivement la distorsion des marchés dénoncée par ces producteurs.

Pour l'Europe, l'enquête est confiée aux services compétents de la Commission européenne, tandis qu'aux Etats-Unis les recherches seront menées par le CITA, un comité gouvernemental présidé par le ministère du commerce.

Dans les deux cas, les procédures commencent par une période de consultations de toutes les parties intéressées. Le ministère américain du Commerce a précisé que les Chinois pouvaient eux aussi formuler leurs commentaires, comme ils l'ont déjà fait par le passé.

DURÉE MAXIMUM DE 120 JOURS

"Nous sommes contents, c'est une étape de plus dans un processus long et difficile pour obtenir un peu de répit pour ce qui se passe sur notre marché ici, mais en Europe, vous connaissez les mêmes problèmes", a expliqué à l'AFP, David Trumbull, directeur de la National Textile Association, l'une des fédérations de producteurs américains à l'origine de la requête début avril pour l'imposition de mesures de sauvegarde.

Néanmoins, ce responsable a exhorté le gouvernement américain "à agir immédiatement, en déterminant sans attendre" qu'il y a distorsion de marchés, "et à imposer immédiatement ces mesures". La procédure américaine prévoit 30 jours de consultations puis encore un maximum de 30 jours de délai de réflexion avant de décider s'il y a eu distorsion ou non. En cas de réponse affirmative, le gouvernement américain ouvre des discussions avec Pékin tout en imposant des mesures provisoires pour limiter les arrivages massifs des sept catégories de vêtements visées par les demandes des producteurs.

L'idée étant de parvenir à un accord négocié avec les responsables chinois évitant ainsi l'imposition de nouvelles barrières commerciales. La procédure prévoit une durée maximum de 120 jours pour ce faire.En Europe, l'enquête porte sur neuf catégories de produits textiles importées de Chine. Dans les deux cas il s'agit surtout de chemises, chemisiers, pantalons, soutien-gorges en coton et fibres synthétiques.

LES AMÉRICAINS EXIGENT L'INTERVENTION DE LEUR GOUVERNEMENT

Selon les chiffres du ministère du commerce américain, au premier trimestre, les importations de ces produits fabriqués à bas coûts affichent une progression exponentielle entre 300 et 1 500%, selon les types de vêtements, par rapport au 1er trimestre 2004.

Certes, les producteurs américains avaient près de 10 ans pour se préparer à l'expiration le 1er janvier dernier des quotas qui ont encadré les échanges commerciaux internationaux de produits textiles. Mais l'ampleur des flux en provenance de Chine lors des trois premiers mois les a conduit à exiger l'intervention du gouvernement pour protéger leur marché alors que dans le cadre de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), ils prônent au contraire davantage de libéralisation des échanges.

"Les importations ont déferlé et ça a fait des dégâts", a rappelé M. Trumbull. Selon les chiffres officiels, pour le seul mois de mars, le secteur du textile et de l'habillement a perdu au total 7 600 emplois, soit 245 emplois par jour durant ce mois. Les associations de producteurs ont multiplié les plaintes et requêtes depuis l'automne dernier en rappelant que l'accord d'adhésion de la Chine à l'OMC prévoit la possibilité pour Washington de limiter provisoirement la croissance des importations chinoises à 7% par an.

Avec Afp
LEMONDE.FR | 28.04.05 | 20h35


Le Monde / Entreprises
Fin de la grève à la SNCM

 A près 17 jours d'une grève jugée "suicidaire" par le gouvernement, les marins CGT de la Société Nationale Corse-Méditerranée (SNCM) ont voté, jeudi 28 avril à Marseille, la reprise du travail, estimant avoir reçu des garanties suffisantes de l'Etat, actionnaire majoritaire.

Presque totalement paralysé depuis le début du conflit, le trafic de la compagnie publique de transport maritime devait reprendre progressivement dès jeudi soir, avec un premier départ à minuit du Napoléon-Bonaparte de Bastia vers Marseille. Les autres traversées au départ de la cité phocéenne vers différents ports corses reprendront vendredi, avec un premier départ vers le Maghreb le lendemain, selon la direction.

Depuis le 12 avril, les marins CGT avaient entamé une grève dans le cadre d'un mouvement national lancé par leur syndicat contre le Registre international français (RIF), qui permet aux armateurs d'embaucher jusqu'à 75% de marins non européens et qui a été validé, jeudi, par le Conseil constitutionnel. Reçus lundi à Paris au secrétariat d'état à la mer, les représentants des grévistes avaient notamment obtenu des engagements écrits du gouvernement sur le fait que le RIF ne s'appliquerait pas aux navires desservant la Corse et le Maghreb, une de leurs principales revendications.

Cet engagement devrait être confirmé juridiquement sous la forme d'un "accord de branche" entre les fédérations syndicales et les "Armateurs de France" (patronat), selon une lettre du préfet de région, Christian Frémont, qui a reçu à plusieurs reprises les grévistes à Marseille durant le conflit.

"PROJET ALTERNATIF"

La situation de la SNCM, en grave difficulté financière et sous le coup d'un plan de redressement prévoyant notamment la suppression de 210 emplois (sur 2 400), était également au coeur des préoccupations des grévistes. Ils ont obtenu lundi l'engagement de l'Etat et de la direction que le "volet social" de ce plan serait suspendu "jusqu'à l'élaboration d'un projet global porteur d'avenir" pour l'entreprise.

Jean-Paul Israël, secrétaire CGT des marins de Marseille, a expliqué au cours de l'assemblée générale que la direction disposait d'un délai de six semaines pour présenter ce projet aux salariés. Dans l'intervalle, un "groupe de travail" regroupant certains syndicats de la SNCM doit se réunir régulièrement avec le préfet pour élaborer un "projet alternatif" visant à éviter l'entrée de partenaires privés au sein de la compagnie.

Selon le gouvernement, la SNCM accuse 25,6 millions d'euros de pertes pour 2004 et le secrétaire d'état à la mer, François Goulard, affirme que l'appel à un investisseur extérieur est indispensable pour renflouer la trésorerie. D'un coût estimé à plus de 3 millions d'euros par l'Etat, ce mouvement de grève à la SNCM - le troisième d'envergure en un an - avait été qualifié de "suicidaire" par le ministre des transports, Gilles de Robien, qui avait comme M. Goulard et le PDG, Bruno Vergobbi, brandi le spectre du dépôt de bilan.

"On appelle à la reprise du travail parce qu'on a obtenu des avancées, pas parce qu'on se 'cague' dessus", a assuré Jean-Paul Israël, vivement interpellé en assemblée générale.

Avant de voter quasi unanimement la fin du conflit, marqué par des heurts avec la police et le blocage du port de Marseille à plusieurs reprises, les grévistes ont également obtenu de la direction l'abandon de toute sanction interne individuelle, à l'exception de ceux qui seraient condamnés par la justice.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Médias
Columbia reçoit le prix 2004 de la publicité la moins sexiste

 U ne mamie tatouée. Sur son biceps, qui pourrait être celui d'un biker, apparaît l'inscription "Born to nag". traduite ainsi en bas de l'image: "emmerdeuse née".

C'est ainsi que se présente Gert Boyle, PDG de l'entreprise américaine spécialisée dans les articles de sport et de randonnée Columbia Sportswear. Cette photo a été choisie pour illustrer la campagne publicitaire de cette marque publiée dans la presse magazine lors de l'annonce de l'ouverture d'une première boutique à Paris.

La campagne recevra, jeudi 28 avril, le Prix de la publicité la moins sexiste de l'année 2004, attribué par l'Association des femmes journalistes (AFJ).

"Cette femme, qui a aujourd'hui près de 80 ans, est depuis vingt ans l'égérie de la marque. Le ressort publicitaire est toujours le même: elle apparaît comme la "mère nature ", extrêmement exigeante, un peu sadique, et le ton employé est celui de l'humour vache". explique Frédéric Raget, directeur de l'agence Rage, en charge de la publicité de la marque en Europe.

Maïté Seegmuller, directrice du marketing de Columbia Sportswear en France, qualifie le personnage qu'incarne Gert Boyle de "Tatie Danielle". "Dans les spots télévisés, elle attache, par exemple, son fils sur le toit d'une voiture pour tester la résistance des vêtements sous tous les climats de l'Orégon". raconte-t-elle.

UNE IMAGE ASSEZ INÉDITE

Au-delà du personnage publicitaire, toute la communication de l'entreprise est centrée sur l'histoire de cette femme. Elle raconte qu'elle a fui, enfant, l'Allemagne nazie avec ses parents. Après s'être installés dans l'Oregon, ils achètent une petite entreprise de textile.

A la mort de son mari, restée seule avec trois enfants, Mme Boyle décide de reprendre l'affaire. C'est elle qui, avec l'aide progressive de son fils, en fera l'entreprise que l'on connaît aujourd'hui.

"C'est une image assez inédite dans le domaine du sport. Cette femme n'est pas toute jeune, mais elle reste féminine avec ses boucles d'oreille, malgré une attitude toute masculine". souligne Séverine Bounhol, membre de l'AFJ, avant d'ajouter: "Le grand changement cette année, c'est que la campagne primée n'est pas une campagne revendicative ou institutionnelle, mais se distingue par son humour."

Le jury a aussi attribué une mention, toujours dans le domaine du sport, à une publicité Andros illustrée d'une photo de Jeannie Longo, accompagnée de cette accroche: "Le plus grand sportif de tous les temps est une femme."

Une autre publicité s'est retrouvée dans le dernier carré de la sélection, celle de Dove. Pour vanter sa ligne de produits raffermissants, la marque n'avait pas hésité à montrer six femmes toutes en rondeurs.

"Le fait qu'elles soient encore une fois dénudées me gêne, mais on ne nous impose pas un modèle de femme. En montrant, cette année, des femmes aux cheveux gris, ridées ou avec des taches de rousseur, Dove fait très fort". dit Mme Bounhol. "C'est courageux". conclut M. Raget.

Laurence Girard
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Europe
Un proche de Jean Paul II collaborateur des services communistes polonais

 L e père Konrad Hejmo, chargé des pèlerins polonais au Vatican et proche du pape défunt Jean Paul II, a été accusé, mercredi 27 avril, d'avoir collaboré avec les services de sécurité communistes polonais (SB). Il a qualifié ces accusations d'"absurdes". "C'est complètement absurde. Il y a eu des gens qui venaient nous voir comme soi-disant de grands amis, et qui s'intéressaient à tout, au pape", a-t-il dit au téléphone à la télévision publique polonaise TVP.

Le père Hejmo a confirmé avoir été "sollicité" par la SB à l'époque communiste, comme "tous les prêtres" en Pologne. "Tout prêtre avait forcément son tuteur" de la SB, a-t-il dit.

L'Institut de la mémoire nationale (IPN) qui instruit les crimes nazis et communistes, a annoncé mercredi que le père Konrad Hejmo aurait collaboré avec les services de sécurité communistes polonais (SB). "L'IPN dispose des dossiers attestant que le père Konrad Stanislaw Hejmo collaborait secrètement dans les années 1980 avec les services de sécurité de la Pologne communiste", a déclaré devant la presse le président de l'IPN, Leon Kieres.

Interrogé sur ces documents, le père Hejmo a affirmé qu'il pouvait s'agir de nombreux "articles" qu'il avait écrits, notamment en tant que directeur adjoint du bureau de presse de l'épiscopat polonais à Rome après 1979. "Quand j'écrivais un article, je le signais forcément. Ils étaient envoyés au primat de Pologne, avec une revue de la presse italienne sur le pape", a-t-il dit. Il n'a pas exclu que ses conversations aient pu être enregistrées à son insu et aient "fait l'objet de montages" par les services spéciaux.

Le père Hejmo, un moine dominicain âgé de 69 ans, utilisait dans ses rapports avec SB les pseudonymes "Hejnal" et "Dominik", a ajouté M. Kieres. Envoyé à Rome en 1979 par le primat de Pologne de l'époque, Mgr Stefan Wyszynski, le père Hejmo y est devenu directeur d'un centre pour pèlerins polonais Corda Cordi. Dans les années 1980, il organisait l'aide aux immigrés polonais à Rome.

Les dossiers du père Hejmo comprennent 700 pages de documents et portent sur sa collaboration avec la SB dans les années 1980 "et avant", selon les responsables de l'IPN. Il connaissait le cardinal Karol Wojtyla avant son élection à Rome. "Il avait accès aux plus proches collaborateurs de Jean Paul II", a affirmé à la TV 24 Jacek Palasinski, correspondant de cette chaîne de télévision polonaise à Rome.

"GRANDE SURPRISE"

Interrogé par l'AFP, Mgr Tadeusz Pieronek, membre de l'épiscopat polonais, a qualifié l'information donnée par M. Kieres de "grande surprise". "Il ne faut pas oublier que ce système - communiste - était sans pitié. Il est facile de condamner, mais ce système avait tout le monde dans ses tenailles", a souligné Mgr Pieronek. Selon lui, ce n'est toutefois "pas le moment pour ce genre d'informations, après tout ce que nous avons vécu avec la mort du pape".

Le président de l'IPN avait annoncé la semaine dernière que son institut disposait de nouvelles traces de mouchards des services de sécurité communistes dans le proche entourage ecclésiastique de Karol Wojtyla. Il a précisé qu'il s'agissait notamment d'enregistrements audio de dépositions de l'un d'eux, "un ecclésiastique", dont la voix était "reconnaissable".

Ce moine dominicain est responsable des pèlerins polonais au Vatican depuis vingt et un ans, et à ce titre, avait ses entrées auprès du proche entourage de Jean Paul II. Pendant les dernières semaines de vie de Jean Paul II, il informait régulièrement les médias sur la santé du souverain pontife, mort le 2 avril à l'âge de 84 ans.

Grand, mince, aisément reconnaissable avec son épaisse chevelure blanche, le moine polonais était sur la place Saint-Pierre au milieu des pèlerins polonais à chaque apparition du pape pour les audiences générales ou pour l'angélus du dimanche. Lors des deux dernières hospitalisation de Jean Paul II en février et mars, le père Hejmo avait emmené avec lui des groupes de Polonais devant l'hôpital Gemelli pour prier et chanter sous les fenêtres de sa chambre.

Le 16 mars, le pape, qui avait regagné ses appartements du Vatican, avait fait une apparition surprise à la fenêtre de son bureau pour bénir les pèlerins polonais quelque minutes après un échange téléphonique entre le père Hejmo et Mgr Stanislaw Dziwisz, le secrétaire particulier de Jean Paul II.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Europe
Le futur président du Sénat autrichien défend les nazis "persécutés" après 1945
Vienne de notre correspondante

 E ntre les anciens militants nazis et les déserteurs de la Wehrmacht, le sénateur autrichien Siegfried Kampl n'hésite pas. Il sait qui il faut plaindre: les premiers ont été victimes de "brutales persécutions" après 1945, au moment où les Alliés ont voulu épurer son pays, tandis que les seconds étaient trop souvent, à ses yeux, des "assassins de leurs camarades" de combat.

Ses propos ont créé un certain émoi en Autriche et embarrassent le Parti populaire (ÖVP, chrétien conservateur) du chancelier Wolfgang Schüssel, au pouvoir depuis cinq ans avec le concours de l'extrême droite. M. Kampl doit en effet, à dater du 1er juillet, assumer la présidence du Conseil fédéral, la Chambre haute (Sénat) du Parlement autrichien. Comme la totalité des ministres et la moitié des députés du Parti libéral (FPÖ, extrême droite), cet élu de Carinthie a rejoint la nouvelle Alliance pour l'avenir de l'Autriche (BZÖ), fondée début avril par le populiste Jörg Haider, qui a provoqué une scission dans son propre camp afin de marginaliser l'aile ultranationaliste.

L'affaire Kampl perturbe son opération de "recentrage" politique et devient gênante pour ses alliés conservateurs, qui voulaient croire que le BZÖ serait plus présentable que l'ancien FPÖ: un autre sénateur, John Gudenus, a dû démissionner du FPÖ maintenu, mardi 26 avril, après avoir mis en doute, pour la deuxième fois de sa carrière, l'existence des chambres à gaz et la réalité du génocide des juifs.

Très proche de Jörg Haider, Siegfried Kampl n'a pas craint de dénoncer, dans un entretien à la radio autrichienne, le 19 avril, le traitement "brutal" infligé, à la fin de la guerre, aux anciens nazis. "J'ai vécu personnellement ces persécutions, en tant qu'enfant, quand on est venu chercher mon père -pour l'arrêter- en 1945". a affirmé M. Kampl, convaincu que "plus de 99%" de ses compatriotes avaient, à l'époque, adhéré au Parti national-socialiste (NSDAP) d'Adolf Hitler.

Le magazine Profil révèle que le père du sénateur, militant nazi dès 1934, a passé deux ans dans un camp d'internement des forces britanniques: il avait été condamné en vertu d'une loi sur les crimes de guerre pour avoir dénoncé l'une de ses voisines aux autorités du IIIe Reich.

L'Autriche s'apprête à fêter, début mai, le soixantième anniversaire de sa libération par les troupes alliées. Mais, parmi les générations les plus âgées, beaucoup partagent le mépris de M. Kampl pour les déserteurs de la Wehrmacht, considérés comme des"traîtres".

HAUTES PROTECTIONS

Ce n'est que récemment que l'Eglise catholique, à l'instigation du cardinal Christoph Schönborn, a pris l'initiative d'honorer la mémoire de l'insoumis Franz Jägerstätter, qui avait refusé par conviction religieuse de servir le régime hitlérien. A la différence de l'Allemagne, la République autrichienne n'a jamais totalement réhabilité les déserteurs et les insoumis. L'étude d'une proposition de loi dans ce sens, déposée en 2004 par les Verts (écologistes), a déjà été ajournée à cinq reprises par la majorité de droite, sous la pression du FPÖ.

Les Verts, tout comme les sociaux-démocrates, jugent "intolérable" que, après de telles professions de foi, M. Kampl puisse accéder à la tête d'une des plus hautes institutions du pays, six mois avant que l'Autriche prenne la présidence de l'Union européenne.

Dans un discours prononcé, mardi 26 avril, à la télévision nationale, pour célébrer le soixantième anniversaire de la IIe République autrichienne, le chef de l'Etat, le social-démocrate Heinz Fischer, a rendu hommage à tous ceux qui, dans son pays, ont résisté au système nazi: la victoire militaire des Alliés"n'était pas notre défaite". a-t-il souligné. Des dirigeants conservateurs ont aussi émis des protestations, mais le chancelier Schüssel a choisi, comme à son habitude, de traiter par le silence le dérapage verbal de M. Kampl.

Malgré les pressions exercées sur lui en coulisses, celui-ci ne montre, pour l'instant, aucune intention de renoncer à son poste, et Jörg Haider hésite à désavouer ce fidèle partisan. Il a même suggéré que le sénateur jouissait de hautes protections dans les milieux catholiques: "Kampl a été reçu deux fois en audience par le pape -Jean Paul II-: il devait quand même être un gars constructif pour arriver jusque-là". a-t-il déclaré.

Joëlle Stolz
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Europe
A une semaine des élections législatives, Tony Blair est attaqué sur l'Irak

 L e premier minsitre britannique, Tony Blair, est accusé par les partis d'opposition d'avoir menti et trompé la nation en décidant d'envahir l'Irak. Cette décision aurait été prise en dépit d'un rapport de Peter Goldsmith, conseiller juridique du gouvernement, contestant la légalité d'une telle opération.

Dans ce rapport secret datant du 7 mars 2003, dévoilé par la BBC et Channel Four, l'Attorney général estime qu'un "tribunal pourrait bien conclure" que les résolutions du Conseil de sécurité existant à l'époque n'autorisent pas une guerre.

"Je reste d'avis que la procédure la plus sûre serait d'obtenir l'adoption d'une autre résolution autorisant le recours à la force" écrit le conseiller juridique.

DIFFÉRENCE ENTRE DEUX DOCUMENTS

Pourtant, dix jours plus tard, bien que la Grande-Bretagne n'ait pas obtenu le vote d'une nouvelle résolution, Lord Goldsmith a présenté au gouvernement son avis selon lequel la guerre était légale.

Des responsables de l'opposition et des activistes antiguerre ont pointé la différence entre les deux documents signés de Peter Goldsmith, demandant des explications, et ont appelé à la publication intégrale de l'avis légal de sept pages rédigé par le procureur général. Le premier ministre n'a jamais voulu répondre jusqu'à présent à cette requête.

"Il est maintenant clair que l'avis a bien été amendé et il faut que l'on nous dise par quoi ou par qui il a été modifié", a déclaré pour sa part à la BBC Michael Howard, chef du parti conservateur.

"CIRCONSTANCES" CHANGÉES

Le ministre britannique des affaires étrangères, Jack Straw, a tenté de calmer l'emballement médiatique qui a suivi ces révélations, et précisé à la BBC qu'entre le 7 et le 17 mars les "circonstances" avaient changé, modifiant l'avis de Peter Goldsmith sur la question de la légalité.

Il a indiqué que de nouvelles informations avaient été transmises au Conseil de sécurité sur les violations irakiennes de résolutions passées, et que la France avait également annoncé qu'elle mettrait son veto à une nouvelle résolution autorisant une action militaire. Jack Straw a affirmé que Londres avait toutefois toujours souhaité une seconde résolution, pour des raisons politiques, et non légales.

Cependant, deux sondages d'opinion donnent Tony Blair gagnant le 5 mai, ce qui lui permettrait de décrocher un troisième mandat consécutif, et une enquête indique que seulement trois pour cent des électeurs considèrent l'Irak comme un facteur déterminant dans leur choix.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Europe
Berlusconi a obtenu sans convaincre la confiance du Parlement

 S ilvio Berlusconi a obtenu, jeudi 28 avril, la confiance du Parlement avec le feu vert, définitif, des sénateurs italiens à son nouveau gouvernement. Au lendemain du vote favorable des députés, il reste malgré tout un leader affaibli et contrôlé de près par ses alliés.

Le centre-droit disposant d'une confortable majorité au Sénat, M. Berlusconi a obtenu 170 oui et 117 non à la motion de confiance, au cours d'un vote sans enjeu, à l'image de celui à la Chambre des députés où il a obtenu 334 oui contre 240 non. Le résultat du vote au Sénat a ainsi été annoncé dans un hémicycle vide, les sénateurs connaissant le rapport de forces au sein de leur chambre et l'heure du déjeuner ayant sonné. "Nous offrons une confiance tiède, à l'image du printemps tiède de ces derniers jours", a déclaré au cours de son intervention Francesco D'Onofrio, chef des sénateurs démocrates-chrétiens de l'UDC, illustrant l'ambiance générale.

Ce parti et Alliance nationale (AN, droite conservatrice) avaient poussé M. Berlusconi à démissionner, il y a huit jours, dans une tentative pour envoyer un signal fort à l'électorat après la lourde défaite électorale du centre-droit lors des régionales de début avril. Ils s'étaient cependant engagés à soutenir un nouveau gouvernement Berlusconi avec un programme rénové de fin de législature.

Mais le nouveau gouvernement ressemble trop au précédent, selon ses alliés critiques, et le programme s'apparente davantage à une liste de voeux qu'à un projet réalisable, laissant déçus AN et surtout l'UDC.

"VOUS N'AVEZ PAS RÉSOLU LA CRISE"

M. Berlusconi s'est efforcé de convaincre ses alliés de la validité de ses idées, au cours de ses interventions devant la Chambre des députés et le Sénat, mais sans y parvenir. "M. Berlusconi, regardez vos ministres, sans enthousiasme, sans élan, sans joie, regardez-les. Ce sont des visages marqués par la panique et la préoccupation. Vous n'avez pas résolu la crise", lui a lancé jeudi Gavino Angius, chef des sénateurs du parti des Démocrates de gauche (DS, principal parti d'opposition). "Dans une démocratie représentative, la confiance parlementaire est le plébiscite quotidien des gouvernements", avait déjà mis en garde mercredi Marco Follini, chef de l'UDC.

"Un discours loyal, précis et courageux à l'égard de Silvio Berlusconi à qui il a fait savoir avec clarté la fin, en ce qui concerne l'UDC, de son leadership. C'est le début clair de la reprise d'une initiative politique et parlementaire autonome de l'UDC qui conduit à croire que le nouveau gouvernement ne durera pas toute la législature", a commenté l'ancien président de la République, Francesco Cossiga.

"La confiance jour après jour", titrait ainsi jeudi en guise d'avertissement au chef du gouvernement le principal tirage italien, le Corriere della Sera, lui rappelant ainsi qu'il sera quotidiennement à la merci des votes de ses alliés au Parlement jusqu'à la fin de la législature, théoriquement prévue en mai 2006.

"Davantage de non que de oui de la part des alliés au chef du gouvernement", a estimé le quotidien La Repubblica, proche de l'opposition. "La chute d'un tabou", titrait jeudi le même journal, annonçant la fin du "berlusconisme" et d'une ère où le chef du gouvernement était le leader indiscuté de la majorité.

"L'après-Berlusconi a débuté même à droite. Au cours de la journée qui devait être celle de sa relance, le chef du gouvernement a entendu à la télévision et au Parlement l'annonce de sa fin politique", écrit le journal. "Il avait à peine fini de parler du parti unique et de la victoire certaine contre les gauches non libérales quand la massue de Follini est tombée: 'La direction de la coalition en 2006 n'est pas acquise'. La phrase sonne comme une condamnation définitive", estime le journal.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Culture
19 bibliothèques en Europe signent un manifeste pour contrer le projet de Google

 L es bibliothèques nationales européennes réagissent au projet de bibliothèque numérique de la société californienne Google. Dix-neuf d'entre elles viennent de signer une motion destinée à "appuyer une initiative commune des dirigeants de l'Europe visant à une numérisation large et organisée des oeuvres appartenant au patrimoine de notre continent."

Google, qui développe l'un des plus puissants moteurs de recherche sur la Toile, avait annoncé le 14 décembre 2004 le lancement d'une bibliothèque virtuelle (gratuite) de quinze millions de titres imprimés (environ 4,5 milliards de pages).

Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France (BNF), intervenait dans les colonnes du Monde (le 22 janvier 2005) pour appeler ses homologues de l'Union européenne à élaborer un contre-projet européen. Il précisait qu'"une telle entreprise suppose au niveau de l'Union une étroite concertation des ambitions nationales pour définir le choix des oeuvres. Elle appelle aussi le soutien des autorités communautaires pour développer un programme énergique de recherche dans le domaine des techniques qui serviront ce dessein."

Les bibliothèques nationales d'Allemagne, les pays du Benelux et l'Italie ont signé la motion, suivis par l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la Grèce, l'Irlande et la Suède, et ainsi que presque tous les Etats de l'ancien bloc communiste: Estonie, Hongrie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie. En plus de ces 19 pays, Chypre, Malte et le Portugal ont donné leur accord verbal et doivent le confirmer par écrit.

Le Royaume-Uni ­ élément capital en raison de la richesse de ses bibliothèques publiques et d'abord de la prestigieuse British Library ­ a décidé d'apporter un "soutien explicite à l'initiative" sans signer la motion... On attend encore la réponse de la Lettonie.

Pour que l'initiative de la BNF ne reste pas un voeu pieux, il faut que les responsables politiques prennent le relais. Lors des Rencontres pour l'Europe de la culture, qui doivent rassembler à Paris, les 2 et 3 mai, la plupart des ministres de la culture de l'Union, Jacques Chirac devrait, dans son discours inaugural, évoquer ce programme. Car si les bibliothèques européennes veulent être à la hauteur du projet Google Print, il leur faudra aligner un budget comparable, c'est-à-dire de 150 ou 200 millions de dollars, soit presque autant en euros.

La somme, indique M. Jeanneney, n'est pas si considérable par rapport aux grand projets européens. Dans un petit livre qui vient de paraître, Quand Google défie l'Europe, plaidoyer pour un sursaut, il considère l'initiative californienne comme "un choc stimulant" et non comme un "défi" guerrier.

"DISPERSION DU SAVOIR"

M. Jeanneney développe là les arguments esquissés dans Le Monde: ne pas laisser toute la place à une vision univoque (et américaine) du monde, proposer une alternative à la marchandisation d'un pan considérable du savoir. Cette alternative, dit-il, doit être transnationale, publique et européenne. Il s'agit pour les futurs partenaires de pousser conjointement un projet industriel ("logistique du maniement des livres, système de numérisation, procédés de qualification des documents" ) et un projet scientifique ("comment mettre à disposition des richesses intelligemment choisies et utilement organisées en corpus ?" ).

Pour M. Jeanneney, il n'est pas question de laisser les politiques se mêler directement des contenus. Des conseils scientifiques européens, composés de bibliothécaires, de conservateurs, d'informaticiens et de savants de toute nature, pourvoiraient à les définir. Une instance qui en serait l'émanation déterminerait une stratégie collective. Elle "s'attacherait à encourager tous les choix privilégiant la mémoire des échanges d'une nation à l'autre." Et devrait répondre "à cette inquiétude lancinante du n'importe quoi, de la dispersion du savoir en poudre". caractéristique à ses yeux du projet Google, "dont le président des bibliothèques américaines - Michael Gorman - s'est fait le dénonciateur persuasif et inquiet."

Reste un risque majeur: face à la souplesse et à la détermination d'une entreprise privée, disposant de moyens financiers très importants, l'Europe risque d'opposer à la firme californienne une complexe usine à gaz, addition d'administrations atomisées, jalouses et paralysées par des interférences politiques.


Quand Google défie l'Europe, plaidoyer pour un sursaut, de Jean-Noël Jeanneney. Ed.Fayard, coll. "Mille et une nuits" , 114 p., 9 €.

Emmanuel de Roux
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
En Equateur, l'impossible retour à la monnaie nationale
Quito de notre envoyée spéciale

 L a peau brune et l'oeil clair, Rafael Correa, 42 ans, aurait pu être acteur de cinéma, mais il est le nouveau ministre de l'économie de l'Equateur. La nomination de ce docteur en économétrie, formé entre son pays, la Belgique et l'Illinois, directeur de la faculté d'économie de l'université la plus chère de Quito, devrait rassurer banquiers et marchés. Et voilà qu'elle fait peur.

Il faut dire que Rafael Correa parle de défendre la souveraineté économique du pays et de payer la dette sociale. "Une révolution, après vingt-cinq ans de néolibéralisme". note un de ses collègues économistes. "N'est-il pas immoral qu'un pays comme l'Equateur consacre 40% de son budget au paiement de la dette extérieure ? Que sur 100 dollars de revenus pétroliers deux soient alloués à la santé et à l'éducation ?". demande le ministre. Wall Street fronce le sourcil. Depuis le début de la crise, les titres de la dette équatorienne ont perdu près de 40% de leur valeur. "Nous voulons développer l'économie productive, relancer la croissance et créer des emplois. Tous les créanciers et les opérateurs étrangers y trouveront leur compte". rassure M. Correa. Croit-il disposer d'une baguette magique ? "Non. Mais il est des recettes simples qui, en Equateur, n'ont jamais été appliquées. La politique actuelle concernant les revenus du pétrole, dont une partie est automatiquement allouée au rachat de la dette, est absurde". souligne-t-il.

LES "VRAIES ÉTUDES"

Catholique très pratiquant, M. Correa dit en riant appartenir "à l'aile dure des Petits Frères de la charité". Jeune, il a travaillé pendant un an avec des soeurs à Zumbahua, au fin fond des Andes. Dimanche, les téléspectateurs ont eu la surprise d'écouter leur nouveau ministre échanger sur le plateau quelques mots en quechua avec une Indienne. "N'oublie pas la misère que tu as vue à Zumbahua". lui dit la militante. "Ne t'inquiète pas, c'est là que j'ai fait mes vraies études supérieures". répond-il en souriant.

"En matière économique, il est souvent plus facile de faire que de défaire". soutient le ministre, qui juge impossible de "dédollariser" l'économie équatorienne dans le contexte actuel. "Revenir à une monnaie nationale suppose un consensus politique et social qui, pour le moment, n'existe pas". dit-il.

Désigné par un président fragile, Rafael Correa sait que le sort du nouveau gouvernement dépend de sa capacité à satisfaire les attentes de la population. Interrogé sur les risques de dérive populiste, il s'énerve: "Si Bush dit qu'il gouverne dans l'intérêt des citoyens, c'est un démocrate, mais si un Latino-Américain le dit, on le taxe de populisme."

Marie Delcas
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
AIEA: les Etats-Unis retardent la réélection de M. El-Baradei
Vienne de notre correspondante

 I l est l'unique candidat à sa propre succession, il a fait ses preuves, depuis huit ans, dans des situations de crise, et il est appuyé par la quasi-totalité des pays membres de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Pourtant, l'Egyptien Mohamed El-Baradei devra sans doute patienter encore quelques semaines avant de se voir accorder un troisième mandat de directeur général... à cause des réticences des Etats-Unis.

Pour surmonter ce blocage, le "groupe des 77" ­ qui rassemble les pays en développement ­ a demandé la tenue d'une session extraordinaire du Conseil des 35 gouverneurs de l'Agence, mercredi 27 avril à Vienne. Elle ne devrait pas déboucher sur un vote, afin de donner à Washington la possibilité de se rallier à une position de consensus avant la prochaine réunion du Conseil des gouverneurs, le 13 juin. "Il faut éviter un affrontement, car M. El-Baradei serait élu, mais dans des conditions qui le fragiliseraient, lui et l'Agence". résume un diplomate européen.

Dès que l'actuel directeur a sollicité un troisième mandat, à l'automne 2004, les Etats-Unis ont fait savoir qu'ils n'y étaient pas favorables. Le motif officiellement invoqué est l'usage établi par les principaux contributeurs aux organisations des Nations unies ­ le "groupe de Genève" ­, qui stipule que le chef d'une agence onusienne ne doit pas excéder deux mandats.

LETTRES DE SOUTIEN

En fait, l'administration Bush reproche surtout à M. El-Baradei de se montrer trop conciliant dans le traitement du dossier nucléaire iranien, et lui garde rancune d'avoir mis en doute, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, en mars 2002, l'existence d'armes de destruction massive en Irak, principale raison avancée par les Etats-Unis pour justifier une intervention militaire contre le régime de Saddam Hussein.

Mais, en dépit de tous ses efforts, Washington n'a pas réussi à susciter une candidature alternative avant la date limite du 31 décembre 2004. Entre-temps, la présidente du Conseil des gouverneurs, la Canadienne Ingrid Hall, a reçu des lettres de soutien à M. El-Baradei émanant de l'Argentine et de l'Algérie ­ au nom du "groupe des 77" ­, ainsi que de pays latino-américains et des Caraïbes, ou encore de la Chine.

La France, elle aussi, a pris, ce mois-ci, position en sa faveur. L'Union européenne et la Russie devaient faire des déclarations dans le même sens lors de la session du 27 avril.

Selon un diplomate du "groupe des 77". "il s'agit de montrer que le soutien à M. El-Baradei se consolide, et de prendre date pour que la question soit tranchée en juin". afin d'empêcher les Etats-Unis de demander un délai de réflexion supplémentaire. Mais, ajoute ce diplomate, "personne ne veut passer en force. Au moment où l'administration Bush rencontre des difficultés pour faire nommer comme ambassadeur aux Nations unies John Bolton -l'ancien sous-secrétaire d'Etat au désarmement, très critique envers M. El-Baradei-, ce serait une claque de trop".

Washington, qui sait qu'il n'obtiendra pas, parmi les gouverneurs, les douze voix nécessaires pour bloquer la candidature de l'Egyptien, a déjà donné des signes d'infléchissement: la coopération avec les Européens sur le dossier iranien compte aujourd'hui davantage qu'une bataille d'arrière-garde au sein de l'Agence.

J. Sz
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
Irak: le Pentagone sanctionne rarement les erreurs de tir
New York de notre correspondant

 E n Irak, dans le contexte d'une guérilla meurtrière où les insurgés se mêlent à la population, il est difficile de faire la part entre les accidents et les tirs délibérés touchant les civils et imputables à l'armée américaine. Certains, qui concernent des Occidentaux ou des membres de la coalition, ont été plus facilement répertoriés.

Pour Rome, l'affaire Calipari n'est pas close
Le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, a annoncé, mardi 26 avril, devant la Chambre des députés, que l'enquête sur la mort de l'agent secret italien Nicola Calipari, tué par des tirs américains le 4 mars à Bagdad, lors de la libération de la journaliste otage Giuliana Sgrena, n'était pas close. Après avoir convoqué et reçu l'ambassadeur américain à Rome, M. Berlusconi, l'un des plus fidèles alliés du gouvernement Bush, a affirmé: "Je déplore que des indiscrétions malheureuses aient annoncé que l'enquête était close". allusion aux déclarations faites la veille à l'AFP par un responsable militaire américain, qui avait déclaré que les soldats avaient "respecté toutes les procédures pour des opérations de contrôle et, de ce fait, n'étaient pas coupables de manquement au règlement". Ces déclarations laissaient entendre qu'aucun militaire américain ne serait sanctionné. ­ (AFP.)

Ainsi, le 4 mars, jour où l'agent secret italien Nicola Calipari a été tué sur la route de l'aéroport de Bagdad alors qu'il accompagnait l'otage libérée Giuliana Sgrena, un soldat bulgare a trouvé la mort dans le village de Hamza, à 160 km au sud de la capitale irakienne, quand son véhicule s'est trouvé pris sous le feu de soldats américains devant un centre de communications.

Selon le Pentagone, les règles d'engagement en Irak sont inspirées du concept d'"escalade de la force": les GI ont pour consigne de mettre en garde un véhicule jugé menaçant avant d'ouvrir le feu; les soldats amenés à tirer sont censés neutraliser le moyen de transport en visant le moteur.

Voilà pour la théorie. Dans la pratique, plusieurs observateurs indépendants, qui ont pu suivre l'armée américaine dans ses opérations, ont souvent noté l'absence de sommations.

Parmi les "bavures" dont les auteurs ont été blanchis, la plus connue s'est produite le 8 avril 2003 quand un char américain a ouvert le feu sur l'hôtel Palestine, à Bagdad, et tué deux journalistes, l'Espagnol José Couso, de Tele Cinco, et l'Ukrainien Taras Protsyuk, de Reuters TV. Trois autres personnes avaient été blessées, dont une grièvement.

La thèse du Pentagone était celle de la "légitime défense" en réponse à des tirs provenant de l'hôtel. Une enquête interne, rendue publique le 5 novembre 2004, a innocenté les soldats, estimant qu'ils avaient respecté les règles et n'avaient commis "aucune faute". Mais une enquête parallèle de Reporters sans frontières (RSF) a conclu qu'aucune menace ne provenait de l'hôtel, ce que l'armée américaine a fini par concéder.

Le sergent Shawn Gibson, qui a ouvert le feu, et son supérieur, le capitaine Philip Wolford, qui l'a autorisé, ont déclaré ne pas avoir riposté à des attaques. Ils ont expliqué avoir tenté de neutraliser un "observateur" irakien qui guidait des tirs de mortiers sur leurs positions depuis les étages supérieurs de l'hôtel. Les soldats ont confondu un cameraman qui filmait depuis un balcon avec l'"observateur" en question. Selon RSF, les militaires ne savaient pas que l'hôtel abritait des journalistes. L'organisation estime que l'attaque contre les journalistes n'était pas délibérée, mais évitable, et qu'elle est la conséquence d'une "négligence criminelle" du commandement, qui n'avait pas averti ses hommes de la présence des médias.

Le matin même du 8 avril 2003, un avion d'attaque au sol A-10 avait mitraillé les bureaux de la chaîne arabe Al-Jazira, tuant un journaliste jordanien, Tariq Ayoub.

Depuis le 1er mai 2003, cinq autres journalistes ont péri en Irak sous les balles américaines, sans qu'aucune sanction ait été prise.

Mais les principales victimes des tirs américains sont avant tout les civils irakiens. Selon l'ONG Iraq Body Count (Décompte des corps en Irak), entre 21 000 et 24 000 d'entre eux ont été tués depuis le début de l'invasion américaine, essentiellement dans les combats des premières semaines et dans les attentats terroristes. Mais les "erreurs de tirs" semblent fréquentes.

Le 8 janvier, les autorités irakiennes ont ainsi reconnu la mort de deux policiers irakiens et de deux passants tués par erreur par des tirs américains à un point de contrôle au sud de Bagdad. Quelques heures plus tôt, un chasseur F-16 de l'US Air Force avait bombardé une maison d'Aaytha, un village dans le nord du pays, causant la mort de 14 civils. L'état-major américain avait annoncé ouvrir une enquête.

Une autre erreur d'appréciation, cette fois en Afghanistan, a provoqué la mort, le 17 avril 2002, de quatre soldats canadiens, lorsqu'un avion américain avait largué une bombe sur leur groupe, qui effectuait un entraînement nocturne. Les deux pilotes américains avaient affirmé ensuite avoir pris dans "le brouillard de la guerre" les tirs d'entraînement des Canadiens pour une attaque de talibans.

Le major Harry Schmidt, considéré comme le principal responsable, a été reconnu coupable le 6 juillet 2002 de "négligence" et a payé une amende de 5 000 dollars. Son avocat a expliqué qu'il avait pris des amphétamines une heure avant sa mission, ce qui avait altéré son jugement. L'US Air Force a reconnu qu'il s'agissait d'une pratique courante pour maintenir les pilotes en éveil lors de longues missions, mais à "faibles doses".

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
Le président Gbagbo accepte le plan Mbeki sur l'organisation de la présidentielle en Côte d'Ivoire

 L e président ivoirien Laurent Gbagbo a annoncé, au cours d'une intervention télévisée, mardi 26 avril, qu'il acceptait que son rival, l'ancien premier ministre Alassane Ouattara, participe à l'élection présidentielle d'octobre 2005. "Monsieur Alassane Dramane Ouattara peut, s'il le désire, présenter sa candidature". a-t-il indiqué.

Ce faisant, Laurent Gbagbo lève un obstacle de taille sur la voie du règlement de la crise ivoirienne, ouverte en septembre 2002 par la partition du pays. La candidature d'Alassane Ouattara, à laquelle le pouvoir faisait obstacle depuis des années, lui reprochant son "ivoirité douteuse". focalise la vie politique du pays. C'était déjà le cas avant l'arrivée au pouvoir du président Gbagbo.

En acceptant ce qu'il avait toujours refusé, Laurent Gbagbo répond favorablement à une demande de son homologue sud-africain, Thabo Mbeki, chargé par ses pairs africains de mener une médiation en Côte d'Ivoire. Après l'accord de paix signé le 6 avril à Prétoria entre loyalistes et rebelles, M. Mbeki avait décidé le 13 avril que tous les partis signataires de l'accord de Linas-Marcoussis de janvier 2003 pourraient présenter un candidat à la présidentielle. Habile, la formule permettait de ne pas faire obstacle à M. Ouattara sans avoir à modifier la Constitution. Manquait l'accord formel de Laurent Gbagbo.

Avant de donner sa réponse, le président ivoirien avait tenu à consulter les "forces vives" de la nation, ce qu'il avait commencé à faire recevant tour à tour les jeunes, les chefs traditionnels, les responsables politiques, les militaires... Le tour de piste devait se conclure mercredi et déboucher le même jour sur l'intervention télévisée.

Laurent Gbagbo a finalement abrégé les rendez-vous et annoncé sa décision sans consulter les militaires ­ les derniers à devoir être reçus à la présidence. Si l'on ignore les raisons de l'accélération du calendrier, le contenu du message présidentiel, lui, était prévisible. Recevant il y a peu des élus locaux, le chef de l'Etat avait indiqué qu'il allait "tout faire pour que la paix revienne". Plus important, son parti, le Front patriotique ivoirien (FPI), avait publié la semaine dernière un communiqué où le principe de la candidature de M. Ouattara, pourtant qualifiée de "calamité politique et éthique". était avalisé.

Dans son intervention, le président a mis en avant qu'en échange de la candidature de M. Ouattara il a obtenu gain de cause sur deux autres points: le désarmement des rebelles et une sorte de "sanctuarisation" de la Constitution, puisqu'elle ne sera pas modifiée pour élargir le champ des candidats à la présidentielle.

Il reste à surmonter bien des obstacles avant l'organisation de l'élection présidentielle d'octobre.

Un problème crucial est celui du désarmement, un processus qui inclut les quelque 2 000 à 3 000 miliciens à la solde du régime qui sévissent à Abidjan. Le clan des "durs" qui entoure le chef de l'Etat acceptera-t-il de se priver d'une telle force ?

Une autre difficulté réside dans l'établissement des listes électorales. Dans son discours à la nation, Laurent Gbagbo a fourni des indications précises sur le processus qui sera mis en oeuvre pour s'assurer que tous les Ivoiriens auront droit à une carte d'électeur. Mais des ombres subsistent.

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
En acceptant la candidature de Ouattara, Gbagbo se dote également des pleins pouvoirs

 L e président ivoirien Laurent Gbagbo, en autorisant la candidature à l'élection présidentielle de son principal opposant Alassane Ouattara, ouvre la voie à un règlement de la crise ivoirienne. Cependant, en utilisant l'article 48 de la Constitution, il se dote en même temps des pleins pouvoirs. La presse ivoirienne soulignait, mercredi 27 avril, les effets de cette mesure, à double tranchant, estimant que l'opposition avait été finalement "piégée" par le chef de l'Etat ivoirien.

M. Ouattara, musulman originaire du nord, avait été écarté en 2000, par la Cour suprême, de la course à la présidentielle pour "nationalité douteuse". Les partisans du président Laurent Gbagbo voient en lui l'inspirateur de la rébellion armée qui contrôle le nord depuis septembre 2002 à la suite d'un sanglant coup d'Etat raté.

En annonçant mardi soir, dans une adresse à la nation, qu'il acceptait la candidature de l'ancien premier ministre, M. Gbagbo s'est plié à la demande impérative du président sud-africain Thabo Mbeki, médiateur dans la crise ivoirienne. M. Mbeki s'en est félicité mercredi, estimant que cette décision "signifie que le peuple de Côte d'Ivoire se dirige vers la paix, vers la démocratie".

Le Rassemblement des républicains (RDR), parti de M. Ouattara, a également salué mercredi cette annonce. Elle "va permettre à notre pays de trouver la voie de la paix et de la réconciliation", a déclaré à l'AFP Cissé Bacongo, porte-parole du RDR, qui a néanmoins souligné que "l'ouverture des élections à tous les candidats n'est pas une fin en soi". "C'est l'organisation d'élections crédibles, démocratiques, et transparentes qui constitue, pour nous, l'objectif final", a-t-il dit.

UN ARTICLE À DOUBLE TRANCHANT

Pour permettre la candidature de M. Ouattara, M. Gbagbo a mis en œuvre l'article 48 de la Constitution qui permet au chef de l'Etat de prendre "les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances". "Conformément à cet article, dès cet instant, je décide, uniquement pour l'élection présidentielle d'octobre 2005 (...), que les candidats présentés par les partis politiques signataires des accords de Marcoussis sont éligibles. Par conséquent, M. Alassane Ouattara peut, s'il le désire, présenter sa candidature", a déclaré M. Gbagbo, faisant allusion aux accords signés en banlieue parisienne en janvier 2003.

L'article 48 stipule notamment que lorsque les "institutions de la République" sont en danger, "le président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances", c'est-à-dire qu'il dispose de pleins pouvoirs. M. Gbagbo en a profité pour avertir qu'"à compter de ce jour, et jusqu'à la fin de la crise", il pourrait prendre "toutes les mesures qui me paraîtront exigées par les circonstances", ne laissant aucun doute sur sa volonté d'en utiliser toute la puissance.

Cette phrase a d'ailleurs été mise en exergue par la presse ivoirienne qui soupçonne M. Gbagbo de vouloir en faire une "utilisation abusive". "Gbagbo a désormais tous les pouvoirs", titrait mercredi en "une" Notre Voie, un quotidien proche du FPI. "Le président Gbagbo peut désormais diriger le pays par ordonnance et prendre toutes les décisions qu'il juge nécessaires pour la conduite des affaires de l'Etat sans s'en référer à qui que ce soit", écrit ce journal.

Pour Le Courrier d'Abidjan, également proche du pouvoir, "les adversaires de Gbagbo, par leur inculture politique, lui ont donné toutes les armes pour imposer son autorité et se mettre au centre du jeu politique (...) en monarque absolu".

De son côté, Le Patriote, quasi-organe du RDR, fait état de "danger à l'horizon". "L'article 48 offre généreusement au président Gbagbo la carte du diktat de ses desiderata (...) et personne n'y pourra plus rien", écrit ce journal, alors que L'Evénement, du courant du président décédé Félix Houphouët-Boigny, titrait en "une" "Gbagbo instaure la dictature", soulignant que l'opposition est "piégée".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / International
Trois fois plus d'attentats dans le monde en 2004, selon Washington

 651  attentats dans le monde en 2004, contre 208 recensés l'année précédente. Ce sont les chiffres divulgués, mercredi 27 avril 2005, par le Centre national de l'antiterrorisme (NCTC), sous l'autorité de la CIA (renseignement américain).

Le nombre de tués a également augmenté de manière significative, passant des 625 dénombrés en 2003 par le ministère des affaires étrangères américain, à 1 907 en 2004, selon le NCTC.

Un total de 6 704 personnes ont été blessées dans des attentats en 2004 contre 3 646 l'année précédente. Par ailleurs, le rapport précise aussi que 710 personnes ont été prises en otage en 2004.

ATTENTATS LES PLUS SANGLANTS EN EUROPE ET EN EURASIE

En 2004, plus de la moitié des attentats ont eu lieu en Asie du Sud, qui a enregistré 327 attaques responsables de 502 morts, selon le NCTC. Et le Moyen-Orient compte le plus grand nombre de tués, avec 726 tués pour 270 attentats. Les attentats les plus sanglants ont eu lieu en Europe et en Eurasie, où 636 personnes ont été tuées dans 24 attentats, notamment ceux de Madrid, en mars, et de Beslan (Russie), en septembre.

"Le terrorisme international continue de représenter une menace pour les Etats-Unis et ses partenaires", affirme le document de 129 pages du département d'Etat, regrettant que Cuba, l'Iran, la Corée du Nord et la Syrie aient "maintenu en 2004 leurs liens avec le terrorisme".

Ces statistiques étaient auparavant publiées dans le rapport annuel du département d'Etat sur l'état du terrorisme dans le monde. Les chiffres de 2003 ayant fait l'objet d'une polémique, avant d'être révisés, le ministère des affaires étrangères américain avait annoncé au début du mois d'avril qu'il se refusait désormais à assurer la publication de ces chiffres.

AL-QAIDA, PRINCIPALE MENACE

Le rapport rappelle également que la nébuleuse Al-Qaida - dont le chef, Oussama Ben Laden, est toujours en fuite - demeure la principale menace terroriste contre les Etats-Unis, malgré l'arrestation de plusieurs de ses cadres et l'affaiblissement de ses capacités opérationnelles.

"Plusieurs hauts responsables d'Al-Qaida continuent à planifier des attentats contre les Etats-Unis, les intérêts américains et des alliés des Etats-Unis, et cherchent à fomenter des attaques en persuadant de nouveaux groupes sunnites extrémistes de mener des actions violentes au nom de la guerre sainte (djihad)", note le texte.

En Irak, le rapport souligne que "d'anciens membres du régime (de Saddam Hussein), ainsi que des combattants étrangers et des islamistes continuent à mener des attentats contre des civils". Si aucun attentat n'a visé en 2004 le territoire des Etats-Unis, des Américains ont été tués à l'étranger, notamment en Irak, en Arabie saoudite, en Afghanistan, en Egypte et dans la bande de Gaza, précise le document.

Parmi les Etats continuant à soutenir le terrorisme, le rapport affirme que l'Iran reste le plus actif, étant "impliqué dans la planification et le soutien d'attentats et exhortant différents groupes à se servir du terrorisme pour parvenir à leurs fins".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05 | 09h53


Le Monde / International
M. Bush et le prince héritier saoudien Abdallah tentent de rassurer les marchés pétroliers
New York de notre correspondant

 L a rencontre, lundi 25 avril à Crawford (Texas), entre George Bush et le prince héritier d'Arabie saoudite, Abdallah Ben Abdel Aziz, avait pour objectif de faire baisser la tension sur les marchés pétroliers. A court terme, c'est chose faite. Mardi 26 avril, les cours du baril étaient en baisse de près de 40 cents à New York, autour de 54,20 dollars, après avoir reculé de plus de 80 cents lundi. Le baril de brut léger américain a atteint, début avril, le record de 58,28 dollars. Les prix de l'essence à la pompe se trouvaient, il y a deux semaines, à un sommet historique aux Etats-Unis à 2,28 dollars (1,75 euro) en moyenne par gallon (3,7 litres).

Le président des Etats-Unis tente de limiter les dégâts économiques et politiques engendrés par l'envolée des prix à la pompe. Elle représente un danger à la fois pour le pouvoir d'achat des ménages, la croissance... et sa popularité. L'opposition démocrate avait appelé le président à la fermeté. "Pousser les Saoudiens à ouvrir les robinets pourrait faire une différence demain". avait déclaré John Kerry, l'ancien candidat à l'élection présidentielle. Avant la visite, M. Bush avait laissé poindre son agacement, s'interrogeant sur la sincérité des déclarations de bonne volonté saoudiennes. "Je ne crois pas qu'ils pompent à fond". avait-il lâché.

Cette fois, la Maison Blanche a souligné les "très bons contacts, marqués par un très bon esprit". George Bush a même embrassé, devant les caméras, le prince saoudien sur la joue. Dans un communiqué commun, les deux pays se sont engagés "à poursuivre leur coopération pour que l'offre pétrolière d'Arabie saoudite reste disponible et assurée. Les Etats-Unis apprécient le solide engagement de l'Arabie saoudite à accélérer ses investissements et à accroître ses capacités de production pour contribuer à fournir une offre stable et adéquate au marché".

"PAS EN AVANT"

La secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, n'a pas caché sa satisfaction, à l'issue de la rencontre. "Le président travaille sur ce dossier depuis longtemps; ce qu'il a obtenu des Saoudiens, c'est un pas en avant important, montrant qu'ils comprennent qu'il y a un problème structurel de capacité de production qu'il faut résoudre". a-t-elle déclaré.

L'analyste John Waterlow, de Wood Mackenzie Consultants, estime que "la rencontre a envoyé au marché le signal que les deux pays ont la volonté de faire quelque chose". Selon lui, "il s'agit d'une sorte de reconnaissance par les Saoudiens qu'il n'est pas dans leur intérêt que la hausse se poursuive". Stephen Hadley, conseiller américain à la sécurité nationale, expliquait, lundi, que "le problème sur le marché pétrolier, aujourd'hui, est la perception que les capacités de production sont insuffisantes. Si des assurances sont données, cela fera baisser les cours". Il a annoncé que la délégation saoudienne a présenté des "plans d'investissement" de 50 milliards de dollars, visant à permettre la production de 12,5 millions de barils par jour d'ici à 2010, et 15 millions au-delà, "pour aider à stabiliser le marché et assurer une offre suffisante à un prix correct".

L'Arabie saoudite produit actuellement 9,5 millions de barils par jour et dispose de 1,3 à 1,4 million de barils de capacités non employées que le royaume peut rapidement "rendre opérationnelles si nécessaire". selon le conseiller saoudien aux affaires étrangères, Adel Al-Djoubeir. Mais de nombreux experts mettent en doute l'existence d'une telle marge de manoeuvre. L'Arabie n'a plus produit 10 millions de barils par jour depuis 1980.

"Nous avons besoin des Saoudiens et ils ont besoin de nous, en dépit de la mauvaise image des Etats-Unis en Arabie saoudite et de leur mauvaise image chez nous". explique David Mack, vice-président du Middle East Institute. Quinze des 19 pirates de l'air des attaques du 11 septembre 2001 contre New York et Washington étaient saoudiens, tout comme Oussama Ben Laden. Mais le clan Bush, père et fils, a toujours entretenu des liens privilégiés avec la famille royale saoudienne. En contrepartie d'un effort pour produire plus, Riyad espère obtenir le soutien de Washington pour sa candidature à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Selon M. Al-Djoubeir, les deux pays sont "très, très près" de conclure un accord commercial bilatéral.

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
George W. Bush promet d'encourager l'énergie nucléaire

 L e président américain George W. Bush, qui craint de payer le coût politique de l'envolée du prix de l'essence, a promis mercredi 27 avril d'encourager l'énergie nucléaire et le développement des raffineries aux Etats-Unis, provoquant aussitôt une chute du prix du pétrole.

La France a notamment été donnée en exemple par M. Bush parce qu'elle tire les trois quarts de son électricité de l'énergie nucléaire.

Dans un discours consacré à la réduction de la dépendance énergétique des Etats-Unis, le président a insisté sur l'indispensable modernisation de l'industrie pétrolière. "Un avenir énergétique sûr pour l'Amérique passe par la construction et le développement des raffineries de pétrole américaines", a-t-il déclaré.

M. Bush, dont les sondages de popularité récents sont tombés aux plus bas niveaux depuis le début de sa présidence, s'est contenté de parler d'un accroissement des capacités existantes, sans demander aux Américains de réduire leur consommation.

Début 2001, le vice-président Dick Cheney - lui-même ancien responsable d'une compagnie pétrolière - avait estimé que les économies d'énergie "peuvent être des actions vertueuses mais que ce n'était pas suffisant pour construire une politique énergétique efficace".

Mercredi, George W. Bush a souligné qu'aucune nouvelle raffinerie n'a été construite aux Etats-Unis depuis 1976 alors que la demande américaineen essence "croît". "Ce qui signifie que nous dépendons de plus en plus des importations de produits raffinés", a-t-il expliqué."Pour encourager le développement des sites existants, le ministère de l'environnement simplifie les règles et réglementations", selon lui.

Un "avenir énergétique plus sûr aux Etats-Unis doit inclure plus de nucléaire", a aussi affirmé George W. Bush qui s'exprimait devant l'Association des petites et moyennes entreprises.

"Le nucléaire fournit environ 20% de l'électricité aux Etats-Unis sans pollution atmosphérique ni émission de gaz à effet de serre", a-t-il argumenté.

C'est "l'une des sources d'énergie les plus sûres et les plus propres au monde, et il nous en faut plus ici aux Etats-Unis".

"Malheureusement, l'Amérique n'a construit aucune centrale nucléaire depuis les années 1970. Dans le même temps, la France a au contraire fabriqué 58 réacteurs et aujourd'hui plus de 78% de l'électricité en France vient de centrales nucléaires sûres et propres. Il est temps pour l'Amérique d'en construire à nouveau", a-t-il souligné.

Il a exhorté le Congrès à inclure ces propositions dans son plan énergétique, qui est pour le moment bloqué au Sénat.

Ce projet de loi prévoit notamment des allègements fiscaux pour encourager la production pétrolière, de gaz naturel, de charbon, d'énergie nucléaire, et permettre de doubler l'utilisation d'éthanol à base de maïs comme additif à l'essence. Les Etats-Unis sont le premier producteur mondial de maïs.

Il prévoit aussi l'exploitation de gisements d'hydrocarbures dans une réserve naturelle d'Alaska, dont le Sénat a déjà approuvé le principe, en dépit de l'opposition des défenseurs de l'environnement. Il y a deux jours, le président Bush avait fait pression sur l'Arabie saoudite pour qu'elle favorise une baisse des prix du pétrole. Selon la Maison Blanche, ce pays pourrait être en mesure de produire quelque 12,5 millions de barils par jour (mjb) d'ici à 2010, et 15 mbj au-delà (contre 11 actuellement) "pour aider à stabiliser le marché et assurer une offre suffisante à un prix correct".

FORTE BAISSE DU PRIX DU BARIL DE BRUT

Le prix du baril de brut a enregistré une très forte baisse, mercredi 27 avril à New York, passant en-dessous des 52 dollars.

Les opérateurs avaient déjà bien liquidé, après la publication, dans la matinée, d'un bond surprise des stocks américains la semaine dernière. La première échéance du baril de "light sweet crude" a clôturé mercredi sur un plongeon de 2,59 dollars à 51,61 dollars sur le New York Mercantile Exchange. A Londres, le baril de Brent de la mer du Nord est également repassé sous les 52 dollars, perdant 2,18 dollars à 51,96 dollars.

Par ailleurs, le ministère de l'énergie américain a annoncé mercredi que les stocks de brut ont augmenté de 5,5 millions de barils (mb) à 324,4 mb au cours de la semaine achevée le 22 avril, bien plus que la progression attendue de 650 000 barils. Ces stocks se situent au-dessus des normales saisonnières, a précisé le ministère. Cette augmentation était "largement inattendue", souligne Bill O'Grady, analyste de AG Edwards. "On se dirige vers le bas", confirme Bill O'Grady. Il prévoit que les liquidations pourraient s'accélérer si le baril passe sous le plancher de 49,66 dollars atteint il y a deux semaines."Mais je serais surpris de voir les prix tomber sous 45 dollars", conclut-il.

CONFÉRENCE DE PRESSE

Le président américain George W. Bush tiendra, jeudi 28 avril à 20 h 30 (2 h 30 du matin, heure de Paris), une conférence de presse à l'heure de grande écoute pour défendre les priorités de politique intérieure de son second mandat, a annoncé mercredi le porte-parole de la Maison Blanche.

"Le président va tenir une conférence de presse" pour promouvoir ses projets de réforme énergétique et de privatisation partielle du système de retraite, a indiqué Scott McClellan.

AFP | 28.04.05 | 08h43


Le Monde / Société
M. Roussin reconnaît le système d'entente sur les marchés publics d'Ile-de-France

 D ans un de ses moments de confidence devant le juge d'instruction, Gilbert Sananès, l'un des principaux prévenus dans le procès des marchés publics d'Ile-de-France avait lâché: "La région croyait que tout était possible et qu'elle était au-dessus des lois. Elle fonctionnait en vase clos. Ces gens étaient enivrés de pouvoir, ils menaient à bien des opérations extraordinaires, ils étaient incroyablement courtisés par les entreprises et ils n'avaient plus le sens des réalités."

On repensait à la justesse de cette phrase en écoutant, mardi 26 avril, Christine Lor déposer devant le tribunal. De 1984 à 1996, Mme Lor a fait partie de ces "gens". d'abord comme simple attachée d'administration, puis comme conseillère au cabinet du président de la région, chargée des affaires scolaires. Une carrière qui aurait pu ­ et sans doute dû ­ rester discrète si, au cours de cette période, le conseil régional ne s'était pas lancé dans une ambitieuse politique de rénovation et de construction des lycées.

Aux yeux de tous ceux que ce dossier intéresse, Mme la conseillère aux affaires scolaires apparaît vite comme un personnage important et, de fait, le devient. De réceptions en inaugurations, de colloques en réunions, on ne voit qu'elle. "Ma fonction s'est adaptée à ce que nous faisions à la région". convient-elle à la barre. C'est justement la nature de "ce que nous faisions à la région" qui lui vaut de comparaître sous les chefs de complicité de corruption active et passive dans ce procès. Car la très active conseillère des deux présidents successifs ­ Pierre-Charles Krieg, décédé depuis, et Michel Giraud ­ apprend et comprend vite ce qui se passe derrière le rideau des marchés publics: l'entente entre les entreprises, en amont de la commission d'appel d'offres, et, parallèlement, le système de financement des partis politiques mis en place à l'occasion de ces passations de marchés et estimé par l'accusation à 2% du montant de ces marchés.

"SECRET DE POLICHINELLE"

"Ces 2%, c'était un secret de Polichinelle. Tout le monde en parlait. Je croyais que c'était une coutume légale". dit Mme Lor. "Il arrivait que certains chefs d'entreprise me fassent part de leurs desiderata, mais je les renvoyais systématiquement sur les trésoriers des partis politiques". poursuit-elle. Mais alors, lui demande le président, Jean-Louis Kantor, pourquoi va-t-elle rencontrer pendant cette période le directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, Michel Roussin ? "Je suis curieuse de nature". explique-t-elle. Et comme "on" lui parlait de M. Roussin et qu'"on" lui disait qu'il "avait un rôle au cabinet". elle lui a demandé un premier rendez-vous, puis un deuxième, puis un troisième.

Sous la solide quinquagénaire perce à cet instant une pointe de midinette: "M. Roussin m'a toujours impressionnée, et même là, aujourd'hui, quand il est derrière moi, je suis impressionnée. C'est quelqu'un que je trouve tout à fait respectable, mais il me fait... un petit peu peur."

Plus tard, après une suspension d'audience, elle cherchera d'ailleurs à gommer ce mot ambigu: "J'ai juste voulu dire, dans mon langage à moi, qu'il m'impressionnait, se reprendra-t-elle. Donc, je suis allée le voir parce que je voulais vérifier que les dons des entreprises se faisaient bien dans le cadre légal." Et la deuxième fois, lui demande le président ? "J'y suis allée pour revérifier que le dispositif de dons restait le même". balbutie-t-elle. "Mais quel était pour vous le rôle de M. Roussin ?". insiste le président. "Puisque les entreprises me disaient qu'il avait un rôle, ben, c'était que..." Elle s'interrompt. "Euh, je peux reprendre ?" Elle reprend, la voix assourdie. "Quand je vais le voir, je pense qu'il peut me rassurer." "Quelles étaient vos inquiétudes ?". s'enquiert le tribunal. "Je vais le voir pour savoir... Enfin parce que les entreprises parlaient de lui et..."

Le président appelle Michel Roussin à la barre. "Etiez-vous au courant de cette répartition de 2% ?" "Je ne l'ignore pas. C'était de notoriété publique qu'il y avait 2% prévus par les entreprises." "C'était 2% sur quoi, M. Roussin ?". intervient une juge assesseur. "Je suis convaincu qu'il s'agit des marchés des lycées. Mais ni de près ni de loin je n'ai été associé, ni n'ai été l'inventeur de ce système. Mon rôle se limitait à rappeler la règle légale." "Comment expliquez-vous alors que les entreprises citent toujours votre nom ?". demande à son tour Me Jean-Yves Dupeux. Le prévenu se tourne et plante ses yeux dans ceux de l'avocat de la région Ile-de-France, partie civile au procès: "Maître, je ne me l'explique pas."

Pascale Robert-Diard
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Société
Un projet de décret sur le financement des écoles privées suscite la polémique

 O pposées à un projet de décret portant sur le financement des écoles privées sous contrat, cinq organisations de l'éducation nationale posent la question: "Le ministère veut-il ranimer la guerre scolaire ?" Dans un courrier en date du 22 avril, des syndicats d'enseignants (SGEN-CFDT, SNUipp-FSU, SE-UNSA), la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) et la Ligue de l'enseignement demandent au ministre de l'éducation nationale, François Fillon, de retirer son texte.

Le projet de décret prévoit, en application de la loi du 13 août 2004 "relative aux libertés et responsabilités locales". de rendre obligatoire la participation financière des communes où résident des élèves scolarisés dans une école privée située sur une autre commune.

"Cette disposition introduit une inégalité profonde en défaveur de l'école publique". considèrent-ils. Ainsi, une municipalité peut refuser d'assumer les frais de fonctionnement liés à la scolarisation d'enfants dans une école publique située hors de sa commune, mais il existe un grand nombre d'exceptions. Elle doit payer ces frais à la commune d'accueil de l'élève quand elle-même n'est pas en mesure de le scolariser, qu'il n'y ait pas d'école ou que les capacités d'accueil soient insuffisantes. Les causes peuvent également être personnelles: exercice professionnel des parents, raison de santé ou scolarisation de l'un des frères et soeurs dans une autre commune.

Certains maires, n'ayant pas d'écoles sur leur commune inciteraient leurs administrés à inscrire leurs enfants dans l'école privée de la commune voisine plutôt que dans l'école publique, pour ne rien avoir à payer. L'article incriminé résulte d'ailleurs d'un amendement du sénateur socialiste du Puy-de-Dôme, Michel Charasse, au nom de la défense du service public.

Avec le projet de décret, considèrent ses détracteurs, la possibilité de refuser le financement lié à la scolarisation d'élèves en dehors de la commune de résidence ne pourrait pas s'appliquer aux écoles privées. Cela risquerait d'entraîner un afflux d'élèves vers le privé dans la mesure où ce secteur n'est pas soumis aux conditions strictes de sectorisation géographique du public.

"INÉGALITÉ DE TRAITEMENT"

"La mise en oeuvre du décret tel qu'il a été présenté contribuerait à déstabiliser l'organisation de la carte scolaire des écoles publiques, assurent les organisations dans leur lettre à M. Fillon. Il accentuerait l'inégalité de traitement entre une école publique, qui a vocation à accueillir tous les enfants en étant soumise à des règles de gestion très strictes, et une école privée qui conserve la maîtrise de son recrutement et se voit octroyer, une fois de plus, une plus grande liberté de gestion."

Le ministère de l'éducation considère que les craintes des organisations sont infondées. "Il est évident qu'on ne saurait porter atteinte au principe de parité entre le secteur privé et le secteur public". explique-t-on dans l'entourage de M. Fillon. Le principe, qui découle de la loi Debré, affirme que, en ce qui concerne les dépenses de fonctionnement, on ne peut avantager le privé au détriment du public et vice-versa. Le ministère prévoit donc de modifier le projet de décret pour confirmer ce principe d'une égalité de traitement entre les deux secteurs.

Martine Laronche
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Société
Saisie record de 37 tonnes de cigarettes en France

 L es douanes françaises ont réalisé, le 12 avril 2005, la plus importante saisie de cigarettes de contrebande jamais réalisée en France. 37 tonnes de cigarettes provenant de Chine ont été confisquées au Havre et en région parisienne.

Jean-François Copé, le ministre du budget, a successivement qualifié de "considérable". d'"exceptionnelle" et d'"historique" cette saisie de plus d'1,8 million de paquets de cigarettes. "Ces 37 tonnes de cigarettes, c'est plus que tout ce que nous avons saisi au cours du premier trimestre 2005. C'est l'équivalent d'environ 9 millions d'euros à la revente", s'est-il félicité.

Les paquets avaient été dissimulés dans des containeurs, embarqués à Shanghaï sur un bateau ayant fait escale en Gambie, avant de mettre le cap sur Le Havre, a expliqué M. Jean-Yves Mahé, directeur régional des douanes.

FILATURE

Le 11 avril, les douaniers du port normand ont détecté la présence de ces cigarettes à la place des marchandises déclarées dans deux containeurs. Le lendemain, un semi-remorque a pris en charge l'un des containeurs, selon les responsables de la direction nationale des enquêtes douanières.

Le poids lourd a été alors suivi jusqu'à un entrepôt de Seine-Saint-Denis (banlieue nord de Paris), à proximité duquel les douaniers ont effectué une première saisie de 9,320 tonnes de cigarettes de marque Marlboro, "présumées être des contrefaçons" et destinées au marché français.

Dans un second containeur, resté au Havre, les douaniers ont saisi 27,94 tonnes de cigarettes de marques Sovereign, Regal et Benson, qui devaient probablement être acheminées vers la Grande-Bretagne.

Une information judiciaire de chef de contrebande en bande organisée a été ouverte. Trois personnes, dont deux responsables du trafic en France, désormais démantelé, ont été interpellées.

Les services de renseignements privés des cigarettiers ont, par ailleurs, recensé plus de 3 000 usines de fabrication clandestines en Chine.

LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Société
Les établissements de crédit accusés de favoriser le surendettement

 L e nombre des dossiers déposés en commission de surendettement a augmenté de 13,7% en 2004. Les organismes de crédit et les établissements bancaires sont accusés d'avoir favorisé le phénomène. Le 12 avril, la Confédération syndicale des familles (CSF) a lancé une mise en garde contre les crédits renouvelables (ou "crédits revolving" ), octroyés, selon elle, à des taux prohibitifs, sans que la solvabilité des emprunteurs soit vérifiée. Le président d'Emmaüs France, Martin Hirsch, déplore, pour sa part, "l'explosion" de ces prêts "pousse-au-crime". "Tous les dossiers de surendettement sont envahis par les crédits renouvelables". renchérit Gérard Renassia, président de SOS-Surendettement.

Les "centrales positives" dans le monde La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a rendu un rapport, le 18 janvier, à propos des centrales positives, ces fichiers qui regroupent des informations financières sur les particuliers (crédits contractés, "capacités de remboursement". etc.). De nombreux pays centralisent de telles données, précise la CNIL, qui dresse un "panorama des centrales positives dans le monde".

Le système des credit bureaux prévaut notamment aux Etats-Unis (sous le nom de credit reporting agencies) et en Grande-Bretagne (credit rating agencies). Des sociétés privées croisent une multitude de fichiers et constituent des bases de données "relatives à l'identité, au statut familial, à l'emploi, au salaire, ainsi qu'à l'endettement".

Ces répertoires peuvent être consultés, moyennant finances, par "toute personne justifiant d'une finalité professionnelle légitime" (employeur, société de crédit, opérateur téléphonique...). Aux Etats-Unis, 9 adultes sur 10 seraient concernés par de tels fichages.

Ce système présente des "effets pervers". commente la CNIL. Les personnes qui n'apparaissent pas dans la base de données peuvent être assimilées à des indésirables auxquels "aucun crédit n'a jamais été accordé"; le risque d'"exclusion sociale" est "réel". Autre difficulté: les "erreurs d'inscription". qui résultent "d'informations inexactes ou d'usurpation d'identité".

Les centrales de risque existent notamment en Allemagne, en Italie et en Espagne. Outre-Rhin, une société de droit privé, la Schufa, "occupe une place prépondérante sur le marché des centrales positives". En principe, sa base de données doit seulement servir à éclairer la "décision d'octroi de crédit aux particuliers". Mais de nombreuses entreprises la consultent, en réalité: sociétés de vente à distance, opérateurs de télécommunications, fournisseurs d'énergie, bailleurs, qui "sont considérés comme faisant crédit à leurs clients" car ceux-ci ne paient qu'à la fin du mois. Il est arrivé que des fichiers soient consultés par des employeurs qui souhaitaient se renseigner sur la solvabilité de leurs salariés. A la fin 2001, plus de 57 millions de personnes étaient fichées à la Schufa et celle-ci "stockait 299 millions de fiches d'information de toutes sortes".

En janvier, deux députés UDF, Jean-Christophe Lagarde (Seine-Saint-Denis) et Hervé Morin (Eure), avaient défendu une proposition de loi "tendant à prévenir le surendettement". Ce phénomène est intimement lié "à un usage irraisonné du crédit "revolving"". avait écrit M. Lagarde, dans un rapport rédigé au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée.

Mais ce type de prêt ne peut pas être présenté comme la cause unique du problème, même s'il apparaît dans 80% des dossiers de surendettement. L'étude conduite par la Banque de France au deuxième trimestre 2001 avait ainsi montré que les familles surendettées cumulaient, dans trois cas sur quatre, des prêts consentis par des établissements financiers et des créances liées à la vie quotidienne (loyers, factures EDF...).

Toutefois, certaines sociétés financières peuvent difficilement s'exonérer de leurs responsabilités. Le président de Conso France, Christian Huard, incrimine notamment les filiales bancaires des groupes de distribution, qui, sous prétexte de vouloir fidéliser leurs clients avec des cartes d'enseigne, leur vendent, en fait, à leur insu, des cartes de crédit. "La plupart des gens ne réalisent pas qu'ils acceptent une carte de crédit, commente-t-il. Jusqu'au jour où ils font usage du droit de tirage qu'elle offre, pour faire face à des difficultés de trésorerie. En fait de planche de salut, c'est l'entrée dans la spirale du surendettement."

La profession bancaire rejette ces critiques, en rappelant que les incidents de paiement liés aux crédits à la consommation ne représentent que 2% du total des prêts, sur un encours de 100 milliards d'euros, d'après l'Association des sociétés financières (ASF). Ce niveau de risque, qui est très inférieur à celui observé au Royaume-Uni (5%) ou aux Etats-Unis (6%), prouve que les établissements spécialisés ont un comportement responsable, souligne-t-on à l'ASF.

"UN MAUVAIS PROCÈS"

Pascal Roussarie, responsable de l'Observateur Cetelem, qui réalise des études sur la consommation, la distribution et le crédit, a même constaté que les incidents de paiement avaient diminué de 2% en 2004 chez Cetelem. Cette filiale de BNP-Paribas mène "une politique d'octroi de prêts rigoureuse". qui l'amène à refuser un dossier de demande de crédit sur trois. "On fait un mauvais procès aux établissements de crédit à la consommation, affirme M. Roussarie. Nous sommes les premiers à être intéressés par la maîtrise du surendettement: c'est elle qui décide de notre pérennité."

Pour lui, le marché du crédit à la consommation est insuffisamment développé en France et ne progresse que de 5% par an, et les ménages français sont parmi les moins endettés d'Europe: l'an passé, leurs dettes s'élevaient, en moyenne, à 4 800 euros, selon l'Observateur Cetelem, soit un niveau deux fois moins élevé que celui relevé chez les Britanniques ou les Scandinaves. "Cette situation n'est pas bonne". conclut M. Roussarie, mettant en garde contre l'amalgame communément fait entre "le surendettement, forme pathologique du crédit, et l'endettement, sain pour l'économie".

Quant aux banques, elles estiment "prêter de manière responsable". selon la formule de Pierre de Lauzun, l'un des porte-parole de la Fédération bancaire française (FBF). En 2004, la profession s'est engagée à obtenir "des informations appropriées sur la capacité de remboursement des emprunteurs".

M. de Lauzun considère que la France possède l'une des législations les plus protectrices d'Europe pour les consommateurs, grâce notamment au taux d'usure. Les taux d'intérêt restent en deçà de 20%: de 10% à 17% pour les crédits permanents; entre 3% et 7% pour les prêts personnels (crédit automobile). En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, poursuit-il, il n'est pas rare de trouver des crédits à 30%, 40%, voire 50%.

Pour M. de Lauzun, il ne faudrait pas que la législation soit durcie, au point de restreindre l'accès au crédit. "On ne peut tout à la fois accuser les banques de contribuer à l'exclusion sociale et leur reprocher de trop prêter, argumente-t-il. Attention à ne pas faire du crédit un luxe par un excès de réglementation."

Daniel Tournez, secrétaire général de l'Indecosa CGT, insiste sur l'importance des crédits à la consommation dans le budget d'un ménage. Sans eux, des "millions de personnes ne pourraient pas remplir leur chariot". Pour M. Tournez, le fait de "focaliser" les débats sur ce type de prêts escamote les problèmes de fond: aggravation du chômage, érosion du pouvoir d'achat...

Le législateur a, toutefois, pris l'initiative de mieux encadrer le crédit renouvelable, notamment à travers la proposition de loi de Luc-Marie Chatel, député (UMP) de la Haute-Marne. Adopté par le Parlement en janvier, ce texte permet au consommateur de demander à tout moment la réduction de sa réserve de crédit ou la suspension de son droit à l'utiliser (Le Monde du 22 janvier). MM. Lagarde et Morin ont tenté d'aller plus loin encore en préconisant l'instauration d'un "répertoire" qui recenserait les encours de crédit des particuliers. Pour les deux députés, la mise en place de ce "fichier positif" (par opposition aux fichiers négatifs, qui centralisent les incidents de paiement) viserait à aider les prêteurs "dans l'examen de la solvabilité de leur client".

Mais l'Assemblée nationale a retiré cette disposition de la proposition de loi, quand elle l'a examinée en première lecture. Il est vrai que la plupart des associations et des professionnels du crédit n'y sont guère favorables: les premières craignent qu'une telle base de données ne soit détournée de sa mission et serve d'outil de prospection commerciale aux banques; les seconds trouvent que ce système est inefficace.

A la mi-janvier, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a émis des réserves sur la création d'un tel outil, au nom "des risques d'atteinte à la vie privée". Un parlementaire devrait toutefois être désigné par le gouvernement pour explorer cette piste de travail.

La lutte contre le surendettement reste donc une priorité forte de l'équipe conduite par Jean-Pierre Raffarin. Mais elle risque de se heurter à un autre objectif: l'élargissement de l'accès au crédit pour stimuler la consommation.

Dans ses voeux pour 2005, Jacques Chirac avait estimé, début janvier, que la reprise des achats des ménages passait par "le développement du crédit, et notamment des microcrédits pour les 40% de Français qui en sont encore exclus".

Bertrand Bissuel et Anne Michel
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Société
Des créanciers ont fourni 40 crédits à Julien, et ont hurlé lorsqu'il n'a plus payé

 C ombien a-t-il de crédits sur le dos ? De créanciers qui exigent leur dû ? Julien, qui témoigne sous un faux prénom, hésite. La réponse se trouve dans un épais classeur, que cet homme de 45 ans a trimbalé dans un sac à dos. Tout est là, mentionné en petits caractères sur des dizaines de feuillets: échanges de correspondances, plan de rééchelonnement des dettes établi par une commission de surendettement.

Dans la seconde moitié des années 1990, Julien a souscrit une quarantaine d'emprunts. Les banques et les organismes de crédit lui ont accordé "entre 600 000 et 800 000 francs". évalue-t-il. "Du pouvoir d'achat artificiel". qu'il n'arrive plus à rembourser.

La vie de Julien a basculé le jour où son père est mort. "J'ai alors pris ma mère sous ma coupe". raconte-t-il. A l'époque, il pouvait faire face: un "très bon job dans le secteur du jeu et des jouets"; des revenus plus que confortables ­ "50 000 à 60 000 francs" par mois. Désireux de maintenir un "certain train de vie". Julien et sa mère ont "commencé à faire du crédit à la consommation" grâce aux cartes délivrées dans les grands magasins. Pour les obtenir, rien de bien sorcier: d'après Julien, il suffisait de présenter un chèque barré, la photocopie de ses trois derniers bulletins de salaire, un relevé d'identité bancaire. Ensuite, jackpot ! "Vous bénéficiez d'une facilité de caisse renouvelable, qui peut atteindre plusieurs dizaines de milliers de francs. Vous pouvez tout vous payer: appareils électroménagers, vêtements, voyages..."

Qu'importe si les taux d'intérêt pratiqués sont élevés ­ "de 10% à 15%". De toute façon, Julien ne s'est jamais vraiment soucié des conditions posées pour encaisser l'argent: "Les petites lignes du contrat, vous ne les lisez jamais." Au fil des mois, les mensualités se sont alourdies. Julien a eu de la peine à les honorer lorsqu'il a été licencié. Mais il a su rebondir, en trouvant un emploi dans l'édition, avant de créer sa propre société. Grâce à ce retour à meilleure fortune, il a pu tenir ses engagements financiers. Toutefois, ses dettes n'ont pas désenflé. Au contraire: il a décroché de nouveaux prêts, parfois auprès d'établissements qui lui avaient déjà avancé des sommes substantielles. Ceux-ci auraient pu être alertés par son niveau d'endettement. "Mais je n'étais pas inscrit au FICP [e fichier des incidents de remboursement de crédits]. Alors ils n'en avaient rien à foutre de savoir si j'étais lourdement débiteur." Jusqu'au jour où sa société a coulé. Ses ressources ont plongé et les créanciers, qui n'étaient plus payés en temps et en heure, se sont lancés à ses trousses.

Julien reconnaît que "les torts sont partagés". Il dit s'être comporté comme un "drogué". qui avait besoin d'emprunter, encore et toujours. "C'était un jeu de dupes". analyse-t-il: lui-même et les établissements qui lui firent crédit avaient conscience des risques encourus. Mais ils ont agi comme si de rien n'était. Aujourd'hui, Julien perçoit l'allocation de solidarité spécifique: 14 euros par jour, maximum. "Socialement, confie-t-il, je n'existe pas."

B. Bi.
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Société
La Belgique a créé un fichier recensant tous les prêts en cours
Bruxelles de notre correspondant

 L a Belgique a joué un rôle pionnier en Europe en adoptant, en mai 2001, le principe d'un "fichier positif". censé être un outil déterminant dans la lutte contre le surendettement. Enregistrant tous les contrats de crédit en cours, géré par la Banque nationale de Belgique (BNB, l'équivalent de la Banque de France), la Centrale des crédits aux particuliers doit obligatoirement être consultée par les établissements avant l'octroi d'un crédit.

La Commission de la vie privée a rendu un avis favorable à la création de ce fichier central, estimant, contrairement à certains de ses homologues, dont la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) française, qu'un tel outil comportait plus d'avantages que de désagréments.

Le fichier positif a été effectivement créé en juin 2003, après fusion des fichiers négatifs de la BNB et de l'Union professionnelle du crédit. Ceux-ci reprenaient les noms de 65 000 Belges en rupture de paiement, c'est-à-dire qui ne pouvaient faire face au remboursement d'au moins trois contrats de crédit.

Soucieux de recenser aussi les ménages proches de leurs limites financières et de remédier à une augmentation alarmante du nombre de dossiers de surendettement, le ministre de l'économie, Charles Picqué (PS francophone), souhaitait responsabiliser davantage les organismes prêteurs. En réalité, il visait surtout les organismes non bancaires (sociétés de financement, de vente par correspondance et de cartes d'achat) auprès desquels les ménages pouvaient emprunter pour tenter de rembourser d'autres emprunts.

"La réforme visait à éviter la fuite en avant". explique Jean Hilgers, membre du comité directeur de la BNB. Et, selon lui, le fichier positif a permis d'améliorer la situation. "Nous manquons peut-être du recul nécessaire, mais il semble que le nombre de personnes se trouvant en défaut de paiement soit à la baisse, alors que les ouvertures de crédit continuent de croître. On peut donc évoquer une plus grande prudence dans les comportements d'octroi."

Depuis l'instauration du fichier positif, tous les prêteurs sont tenus de le consulter avant d'octroyer un crédit. Ils vérifient si d'autres prêts sont en cours et si leur client a connu des difficultés de paiement. A cet égard, la nouvelle loi n'a rien changé: un incident, même régularisé, reste inscrit pendant un an au minimum, dix ans au maximum.

Le fichier, accessible aux prêteurs agréés, aux avocats ou aux notaires dans le cadre d'une affaire, ainsi qu'aux organismes de contrôle des assurances et des banques, reprend les renseignements sur tous les prêts en cours, ventes à tempérament, locations de longue durée et ouvertures de crédit (les cartes de paiement, par exemple) que le consommateur a souscrits. D'après la BNB, quelque 6,7 millions de contrats étaient enregistrés par la Centrale des crédits fin 2004; près de 4,4 millions de personnes (sur les 10 millions de Belges) étaient inscrites dans ce fichier positif.

La loi précise que les prêteurs ne sont pas obligés de refuser un crédit en cas de fichage de leur client. Leur récente prudence s'explique toutefois par le fait qu'ils s'exposent désormais à des poursuites au cas où la justice viendrait à se pencher sur la situation difficile d'un emprunteur et estimerait qu'elle a été encouragée par la légèreté du prêteur. Un contrat peut être déclaré nul ou son remboursement limité au montant emprunté, hors intérêts.

La Centrale informe aussi immédiatement une personne lorsqu'elle est enregistrée dans le fichier. C'est le cas lorsque trois mensualités prévues n'ont pas été payées à leur échéance ou lorsqu'une mensualité reste impayée durant trois mois.

La personne fichée peut demander à consulter son dossier, le faire rectifier ou compléter, par exemple en exigeant que le motif du défaut de paiement soit indiqué. "On peut ainsi faire valoir un "accident de vie", comme la perte d'un emploi ou un divorce, éléments dont le banquier pouvait antérieurement tenir compte lors d'une discussion en tête à tête destinée à évaluer la situation du client". explique un conseiller de la banque ING.

Le consommateur peut aussi introduire une plainte auprès de la Commission de la vie privée s'il estime que ses droits ont été bafoués. Quelques spécialistes, minoritaires, soulignent cependant que le droit d'accès à la Centrale n'est pas suffisamment restrictif.

Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Opinions
Chronique
Un bec qui refuse

 U ne jeune femme blonde entre en scène. C'est l'ouverture de Blackland, l'épouvantable et dévastatrice pièce d'Arpad Schilling. Robe noire, corps de fée, ses bras nus sont prolongés par une clarinette en si bémol. Elle s'assied. Elle écarte les jambes. Comme tous les clarinettistes du monde, elle suçote le bec pour en humecter l'anche. Elle y prend goût. Bientôt ­ comment dire ? ­ si l'on s'abrite derrière le lexique de Jean-Claude Carrière (Les Mots et la Chose, Pré-aux-Clercs), elle "tète" , elle "broute" , elle "ripoline le candélabre" , en roulant comiquement les yeux. Obscène, drôle, charmant, assez gênant pour l'instrument. On n'a jamais su si la clarinette était une Selmer.

La maison Selmer est le haut de gamme des saxophones, clarinettes, cuivres et becs. Elle fête ses 120 ans d'excellents et loyaux binious. Les Selmer sont les stradivarius des anches, la Bentley du poireau: 600 employés, le réseau de distribution couvre 60 pays. Depuis 1885, la maison Selmer est sur toutes les lèvres. Industrie de luxe qui tient de l'orfèvrerie, de la mécanique de haute précision et de la rigueur acoustique. Il règne un calme et un soin tatillon que l'on n'entend que chez les brodeuses, les prothésistes et les horlogers.

La maison mère est passée de la rue Myrha (Paris-18e), anciens établissements Adolphe Sax, au 28, rue de la Fontaine-au-Roi (Paris-11e). Laquelle est, au bas de Belleville, la rue de la dernière barricade de la Commune. C'est le cœur d'un des quartiers les plus violemment vidés par les rafles antijuives de l'Occupation.

S'installant en 1965 dans ce Paris populaire, juste au-dessus de l'avenue Parmentier, Selmer a fait un choix de musicien. On dit d'ailleurs de certains musiciens qu'ils jouent comme une patate. "S'occuper le matin de sciences exactes, dans la journée de philosophie, le soir de poésie et de musique". tel est le programme du chimiste chevronné Chevreul. Comme pas mal d'ingénieux inventeurs, il a sa rue dans l'arrondissement.

Un jour d'hiver, il y a une trentaine d'années, ciel gris perle comme ce matin, je monte chez Selmer pour la première fois. Je dépanne un interprète mondialement connu. Ses bras sont prolongés par des béquilles (une station de ski; l'invitation à jouer Mozart, Brahms et Berg; la jambe dans le plâtre). Rue de la Fontaine-au-Roi, je fais sherpa: plusieurs étuis et sacs et boîtes; la clarinette, il ne la quitte pas. Comme beaucoup de musiciens, il entretient un rapport religieux à l'instrument.

Chez Selmer, de la standardiste au chef d'atelier, étage par étage, je vois avec quelle ferveur le clarinettiste est accueilli. Clameurs de joie et d'admiration. Un roi dans sa cour. Même chaleur qu'au concert (classique ou pas), mais, ici, juste fondée sur la reconnaissance. Pour ses mises au point, ses essais, ses réglages, Selmer travaille avec les plus grands artistes.

Guidés par le chef d'atelier, l'artiste fêté dans tous les couloirs, le sherpa sherpant, on dépose les saxophones dans les services qui les concernent (il est multi-instrumentiste): "Monsieur Henri voudrait vous voir. Nous venons de le terminer. Il souhaite que vous l'essayiez." ­ "Pas ce matin, gémit le souffrant, je ne suis pas en lèvres. Je n'ai pu travailler ces jours-ci. Plus tard..." Le chef d'atelier se permet d'insister: "Vous direz ce que vous en pensez, pas plus." De quoi parlent-ils ?

Dans un dédale de coursives, d'escaliers, de bastingages, nous entrons chez "Monsieur Henri" , complet croisé bleu nuit à fines rayures. Il tient un écrin à la main. C'est la copie, au micron près, du bec historique du clarinettiste: six mois de recherche, de nuits blanches, de microscope électronique, de fraisage, d'alaisage et de cotes relevées au laser. Tel, l'objet est un chef-d'œuvre. Pour peu que l'artiste donne son agrément, on le tire à 10 000. En attendant, la troupe déménage vers le salon d'essai. Insonorisé, le studio résonne d'un silence double. Avec son"ouverture" , sa "table" , son "plafond" , sa "chambre" , ses "joues" , sa "lumière" et son "sifflet" , le bec condense l'être du musicien. On ne change pas plus de bec qu'on ne l'échange. Dans une lumière tamisée, Monsieur Henri ouvre l'écrin: velours couleur évêque, la pièce d'ébonite (caoutchouc vulcanisé) repose là. Atmosphère de catacombes. Tandis qu'il ajuste le baril au corps du haut, celui au corps du bas et ce dernier au pavillon, l'artiste continue de protester de ses lèvres flapies.

Personne n'en a cure. On lui demande simplement de tester. Il ajuste une anche. Fait encore des manières. Se lance. Ce n'est rien: ni une oeuvre, ni un concert, ni rien d'écrit, c'est éblouissant. Musique pure. Ce sont des écarts, des tests: du plus grave au plus aigu, une piste qu'on dévale en ski bémol, des fortissimo brisés par un souffle, un simple essai, la vie dans une tombe. Soudain, en plein élan, le musicien débranche le bec de sa bouche.

­ "Alors ?". glisse Monsieur Henri, légèrement bleu pâle... ­ "Alors ? Il refuse." ­ "Il refuse ?" Démontant le jouet: "Oui, c'est un bec qui refuse." Et là, sans pitié pour Monsieur Henri: "Peut-être pour un autre, je n'en sais rien, ça colle, mais pour moi il refuse."

On vit alors, dans la lueur du caveau, le regard résigné de Monsieur Henri qui caressait le bec: "Bien, soupira-t-il un peu las, on va le scier en deux, pour voir ce qui ne colle pas."

Francis Marmande
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Opinions
L'empreinte biologique, nouveau titre d'identité

 E n approuvant le projet d'Identité nationale électronique sécurisée (INES), Jean-Pierre Raffarin a sans doute pris, le 11 avril, l'une des décisions les plus importantes de son mandat. Préparée de longue date par les experts du ministère de l'intérieur, cette réforme entraînera à terme de profonds bouleversements dans les rapports qu'entretiennent l'Etat et les citoyens. Recours à la biologie des individus pour établir l'identité; création de fichiers nationaux de données biométriques; utilisation de ces fichiers à des fins d'enquête de police; création d'une carte d'identité électronique lisible à distance... L'énoncé des éléments-clés du projet de loi à venir suffit à illustrer l'importance des enjeux de la réforme.

Le dispositif INES repose pour une large part sur des technologies de reconnaissance biométrique. Dans la puce de la future carte d'identité ­ dont le déploiement devrait commencer en 2007 pour être généralisé en 2008 ­ seront stockées, outre l'état civil du porteur, deux empreintes digitales et une image faciale numérisée. Elément cardinal de la réforme, ces informations biométriques ne seront pas enregistrées uniquement sur les cartes elles-mêmes. Elles seront centralisées.

INES prévoit en effet la création de deux vastes fichiers nationaux. Le premier regroupera les empreintes digitales de tous les ressortissants français. Le second, leur image faciale numérisée. Ces bases de données seront sollicitées dans des conditions strictement encadrées par la loi. Cependant, la captation et l'exploitation systématique de données biologiques ne sont pas des opérations anodines. Prouver son identité ne passera plus par la présentation de documents, par l'exposé de faits ou d'événements constitutifs d'une existence. L'identité sera biologique, indissolublement liée à la matérialité du corps.

De plus, les fichiers centraux de données biométriques seront "automatisés". Cette caractéristique transforme potentiellement des fichiers voués à établir et gérer l'état civil en fichiers de police. Selon les épures du projet INES, les officiers de police judiciaire seront en effet habilités à confronter des empreintes digitales ou des photographies avec les fichiers INES. C'est-à-dire à remonter de données biométriques anonymes vers l'identité de leur propriétaire.

Ce dispositif donnera aux services de police des capacités d'élucidation largement renforcées. Mais la "fusion" des objectifs de gestion de l'état civil avec des objectifs policiers et judiciaires pose question.

Cette centralisation de données biométriques à une échelle nationale fonde un nouveau contrat ­ particulièrement léonin ­ entre l'Etat et le citoyen. Certains y verront l'avatar technologique du "biopouvoir" théorisé par Foucault. "Ce qui est en jeu ici n'est rien de moins que la nouvelle relation biopolitique undefinedundefinednormale'' entre les citoyens et l'Etat, écrivait dans Le Monde du 12 janvier 2004 le philosophe italien Giorgio Agamben. Cette relation n'a plus rien à voir avec la participation libre et active à la sphère publique, mais concerne l'inscription et le fichage de l'élément le plus privé et le plus incommunicable de la subjectivité: je veux parler de la vie biologique des corps."

En cette matière, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a toujours manifesté de grandes réticences. Le groupe"article 29" ­ qui fédère les autorités européennes de protection des données ­ a récemment fait part de sa plus vive opposition à la centralisation de données biométriques, dans le cadre de la mise en oeuvre du nouveau passeport biométrique européen (intégré au dispositif INES). En France, l'avis que devra rendre la CNIL sur INES est très attendu.

Mais outre la question de la centralisation de données biométriques, se pose celle de la lecture des informations destinées à être stockées sur la future carte d'identité. La puce incrustée sur le nouveau titre sera lisible à distance par les forces de l'ordre et les administrations autorisées. Le ministère de l'intérieur insiste sur son caractère hautement sécurisé seules les autorités habilitées y auront accès. Surtout, précise-t-on place Beauvau, le contrôle d'identité à l'insu de l'intéressé, s'il devient techniquement possible, demeure illégal.

Certes. Mais le rempart de la loi est ténu. Et ce que la technique rend possible a toutes les chances d'être mis en oeuvre à plus ou moins court terme. Pour autant, la société française semble de plus en plus prête à accepter ce qu'elle aurait dénoncé comme d'insupportables dérives voilà encore quelques années. En mars 1974, par exemple, le projet Safari (Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus) avait suscité un vaste mouvement d'opinion dont l'aboutissement fut, quatre ans plus tard, l'adoption de la loi sur l'informatique et les libertés, ainsi que la création de la CNIL.

Trente ans plus tard, force est de constater un profond changement des mentalités. Ainsi, les premières informations de presse en décembre 2003 rapportant les discussions entre la CNIL et le ministère de l'intérieur sur la création d'un fichier central de données biométriques n'ont pas suscité de réactions.

Cette atonie n'est pas générale en Europe, où des dispositifs semblables voient le jour ou sont en cours de finalisation. Au Royaume-Uni, par exemple, le débat fait rage. Le travail législatif en vue d'instituer une carte d'identité électronique et biométrique y est pourtant particulièrement avancé. Mais le projet est, pour l'heure, suspendu en raison des fortes réticences qu'il suscite.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Opinions
Retour de Chine, par Jean-Pierre Raffarin

 L a renaissance de la Chine, dont témoigne Shanghaï, fascine et inquiète l'Europe. Dotée d'une main-d'oeuvre peu qualifiée abondante et motivée, mais aussi de cadres de haut niveau, la Chine redevient ce pôle de savoir, de puissance et de prospérité qu'elle était avant 1800.

Un jeune ingénieur français poursuivant ses études en Chine me disait: "Mon problème, ce n'est pas le chinois, c'est les mathématiques." Cette anecdote illustre le niveau du système de formation en Chine, que l'on aurait bien tort de sous-estimer.

L'Europe et la France doivent s'adapter à cette nouvelle donne en développant avec la Chine des relations équilibrées, de puissance à puissance. Nous devons davantage tirer profit des opportunités qu'offrent les nouveaux pôles de croissance mondiale. C'était le sens de mon déplacement en Chine et du soutien apporté par le gouvernement aux efforts de nos entreprises, PME ou"champions nationaux" .

Comme j'ai pu le constater lors de mes entretiens, la Chine s'intéresse à la France, à son modèle d'"Etat stratège" qui a su faire des choix industriels de long terme, comme le TGV, le nucléaire, l'aéronautique, le spatial et la pharmacie. Faut-il être chinois pour reconnaître aux Français une capacité de créativité et de vision à long terme ? La Chine est en tout cas intéressée à la mise en place d'un partenariat équilibré avec l'Europe et la France.

Ce souci de rééquilibrage des échanges nous guide dans la gestion du dossier textile. Les Chinois nous rappellent malicieusement que, s'ils ont des exportations, c'est que nous avons des importateurs. Et, quand on leur dit que la croissance de leurs exportations est trop brutale car elle détruit nos emplois, ils se déclarent responsables et annoncent de nouvelles taxes sur leurs exportations.

Il est évident que, si ces mesures sont ou trop lentes ou insuffisantes, les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) s'appliqueront jusqu'à la nécessaire sauvegarde de notre industrie. Nous serons fermes mais respectueux des règles. Regardons la réalité en face: plus l'Europe sera forte, plus elle aura un dialogue crédible avec la Chine. Les rapports de forces exigent des forces; la faiblesse ne conduit pas à de bons accords.

En 2005, la mondialisation prend une dimension accélérée. A l'émergence rapide de la Chine et de l'Inde viennent en effet s'ajouter un choc pétrolier ainsi que des déficits budgétaire et extérieur américains considérables, qui fragilisent le dollar. La croissance européenne est soumise à ces chocs à la fois forts et simultanés.

La mondialisation nous montre ainsi son vrai visage: de nouvelles potentialités de croissance durable, mais aussi, par moments ­ et c'est actuellement le cas ­, des tensions sur le pétrole, les matières premières et les changes qui retardent en Europe la baisse du chômage.

Tous les continents sont affectés par cette mondialisation. La Chine elle-même est partagée entre régions développées de la côte, zones rurales de l'intérieur et régions industrielles du Nord-Est, en phase de reconversion, où je me suis rendu lors de ma récente visite. Ce déséquilibre est criant en Inde, entre Bombay et Bangalore. L'extrême pauvreté côtoie aujourd'hui l'ultra-développement. La construction européenne et le volontarisme national sont nos réponses à cette nouvelle donne.

Dans ce nouvel environnement, l'Europe et la France doivent conforter leur stratégie de protection et de conquête. Construire une Europe forte est le préalable. Tout retard se paiera comptant.

Grâce à l'euro, nous sommes protégés, pour les deux tiers de nos échanges, des turbulences monétaires et financières. Grâce à l'élargissement, l'Europe a atteint la"masse critique" qui lui manquait. Mais il n'y a pas de protection durable pour nous sans Europe politique. Cette Europe politique, telle que la construit le nouveau traité constitutionnel, nous donnera un gouvernement de l'Europe plus efficace, plus légitime, capable de tenir son rang et de dialoguer d'égal à égal avec les autres puissances.

L'Europe politique nous protégera, mais cette protection ne se justifie qu'à condition de nous permettre d'organiser une stratégie de reconquête industrielle. Face à la mondialisation, le repli sur soi et le protectionnisme conduiraient à une inéluctable marginalisation.

C'est de stratégie de reconquête que je veux parler ici. Cette stratégie transcende les débats sclérosants et typiquement français entre une voie prétendument sociale et une voie prétendument libérale. Il y a longtemps que nos voisins européens, qu'ils soient scandinaves, néerlandais ou britanniques, ne se posent plus ce genre de questions !

Après le temps des réformes destinées à revaloriser le travail, à doper la création d'entreprises et à redonner à notre protection sociale des bases mieux assurées, voici venu le temps des projets. 2005 sera une année charnière où nous allons commencer à récolter ce que nous avons semé.

Conformément aux orientations fixées par le président de la République, le gouvernement met aujourd'hui en place trois agences ayant vocation à regrouper et structurer nos efforts de recherche et d'innovation: l'Agence de l'innovation industrielle, pour les grands programmes;"Oseo" , pour le développement de nos jeunes entreprises; l'Agence nationale de la recherche, enfin, pour les appels à projets thématiques vers les laboratoires publics et les entreprises. L'une des traductions concrètes de cette stratégie de projets réside en la constitution de pôles de compétitivité regroupant entreprises, laboratoires et universités. La construction de synergies locales est le meilleur rempart contre les tentations de délocalisation. Dans cette mobilisation, la recherche fondamentale, amont de toute cette démarche, ne sera pas oubliée.

La France joue aujourd'hui, avec l'Allemagne, un rôle actif pour que l'Europe équilibre sa politique de la concurrence par une politique industrielle plus volontariste: l'Europe économique doit"marcher sur ses deux jambes" .

La France œuvre pour une Europe qui soutient et pilote des grands programmes, comme hier Ariane ou Airbus, demain ITER et Galiléo. C'est avec ces programmes que nous pourrons projeter nos forces dans le monde. Ces efforts sont nécessaires pour nos emplois.

La mondialisation appelle la mise en place d'une nouvelle stratégie industrielle. Contrairement à une opinion répandue, elle nous laisse aussi de l'espace pour développer de nouveaux marchés domestiques. Ces nouveaux marchés, notamment ceux des services de proximité, recèlent un potentiel élevé d'emplois qualifiés et peu délocalisables. Le gouvernement a préparé un projet de loi en ce sens pour lever, dès le second semestre 2005, les freins qui brident l'expansion de ces nouveaux emplois.

La mondialisation ne nous contraint pas davantage à revoir à la baisse nos ambitions sociales. Plusieurs pays européens nous montrent qu'il est possible de concilier ouverture au monde et protection sociale élevée, à condition de rendre notre modèle économique moins rigide et nos politiques sociales plus actives. Le gouvernement s'y emploie, comme le montrent notamment les initiatives du contrat"France 2005":
-­ la valorisation du travail et du temps choisi, car il n'y a pas de social durable sans augmentation totale des heures travaillées, via d'abord la baisse du chômage, ainsi que le prévoient de nombreux experts, d'ici la fin de cette année;
- ­ la participation et l'actionnariat des salariés, afin que les profits retirés de la mondialisation par les entreprises soient recyclés dans l'économie nationale;
- ­ la construction, avec le plan de cohésion sociale qui entre pleinement en application, de parcours personnalisés de formation et de reclassement pour accompagner les salariés victimes de restructurations vers de nouveaux emplois.

L'Europe politique, le volontarisme industriel et l'adaptation de notre modèle social constituent les axes de réponse que le gouvernement apporte aujourd'hui à la mondialisation. Face aux Etats-Unis, à la Chine, et bientôt à l'Inde, notre chance sera la force de l'Europe pour éviter la guerre des emplois.

Jean-Pierre Raffarin est premier ministre.

Jean-Pierre Raffarin
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Opinions
Les gènes de la gauche française, par Gilles Martinet

 C élébrer le centenaire de la création du Parti socialiste permet de retracer une histoire. Mais elle devrait être aussi l'occasion de mesurer l'influence qu'elle a sur les hommes d'aujourd'hui. Comme tout être vivant, la gauche française a un code génétique. Sa naissance remonte à 1789. Mais, depuis, au fil des générations, de nombreux métissages sont intervenus. Pendant longtemps, les enfants du père Marx ­ authentiques ou bâtards ­ ont occupé le devant de la scène. Mais les gènes de Proudhon n'avaient pas pour autant disparu. On les voit resurgir dès qu'il est question d'opposer au"parlementarisme" la démocratie directe, aux "professionnels de la politique" le combat social et le mouvement associatif. On peut, à partir de là évoquer l'existence de plusieurs gauches.

Il y a une gauche qui entretient une culture d'opposition et se contente de sa fonction "tribunicienne" , et une autre gauche, qui privilégie la lutte pour le pouvoir et la culture de gouvernement. Une gauche distributrice et une gauche plus rigoureuse sur le plan économique. Une gauche pour laquelle la propriété sociale sera toujours moralement supérieure à la propriété privée, et une gauche qui s'accommode assez facilement de l'économie de marché.

Entre ces différentes gauches, il n'existe pas de fossés infranchissables, car chacun est partagé entre des sentiments contradictoires. On peut, selon les événements, passer de l'une à l'autre. On le voit à l'occasion du débat sur la Constitution européenne. Certains défendent des positions en pleine contradiction avec celles qu'ils avançaient auparavant. Depuis le tournant des années 1980 règne une certaine confusion. D'une part, la gauche a perdu l'espoir d'une révolution, c'est-à-dire d'une rupture avec le capitalisme fondée sur les nationalisations et la planification (pour ne pas parler de l'autogestion), ce qui supposait, sans qu'on voulut l'admettre, un certain protectionnisme national, incompatible avec la construction européenne. D'autre part, personne ne peut plus nier que, dans tous les pays où le capitalisme a été renversé (toujours par l'affrontement armé), le"socialisme réel" ne s'est maintenu que par l'instauration d'un Etat totalitaire. Il n'y a malheureusement pas eu d'exception à cette règle.

Or le rêve du socialisme français, depuis Jaurès, était d'associer la révolution à l'épanouissement de la démocratie. Il lui faut maintenant assumer sa vérité réformiste, c'est-à-dire s'apprêter à gérer dans le cadre du capitalisme en combattant ses dérives libérales et en cherchant à lui imposer de nouveaux objectifs sociaux et environnementaux. Cette stratégie apparaît d'autant plus inévitable que l'économie de marché se développe aujourd'hui en Russie comme en Chine. Le grand rêve né de la révolution d'Octobre n'a pas seulement été souillé par la mort des libertés et le goulag, il a échoué finalement sur le plan économique.

Depuis sa défaite de 2002, le Parti socialiste français s'est refait une santé en soutenant toutes les revendications et en approuvant tous les mécontentements. Il lui faut maintenant démontrer qu'il existe un projet alternatif. Pour l'instant, nous n'en sommes qu'au diagnostic. Le projet doit tenir compte de la mondialisation, et donc de l'avenir de l'Europe. Il doit être conçu en accord avec les autres social-démocraties européennes.

Mais voilà où se situe la difficulté. Dans la gauche française, il existe des gènes réformistes, révolutionnaires et libertaires. Il n'existe pas un gène social-démocrate. La charte d'Amiens adoptée jadis par les syndicats en a interdit la naissance.


Gilles Martinet est ambassadeur de France et ancien secrétaire national du PS.

par Gilles Martinet
Article paru dans l'édition du 28.04.05


http://stalker.hautetfort.com/archive/2005/04/29/referendum_constitutionnel_cet.html
29/04/2005
Référendum constitutionnel: cette bizarre campagne
par Serge Rivron
Cette campagne est bizarre, parce que dans un premier temps tout le monde s'accordait sur le fait que le texte soumis à notre suffrage était un mauvais texte, au moins dans sa forme, et souvent sur telle ou telle partie de son fond. La différence entre les tenants du oui et ceux du non était alors que les premiers répétaient à l'envi que si le texte était certes très imparfait, on s'emploierait dès que voté à le faire évoluer pour qu'il soit mieux, alors que les seconds affirmaient texte à l'appui que ce ne serait pas possible.
Cette campagne est bizarre, parce que les tenants du oui ne cessent à présent de dire que ce texte est excellent, qu'il est le résultat d'un tas d'heure de discussions très ouvertes et que le refuser est inenvisageable parce qu'on ne pourra jamais le rediscuter.
Cette campagne est bizarre parce que ce mauvais texte, qui devrait être au centre du débat puisque c'est sur lui qu'il va falloir se prononcer, sert à tout sauf à enrichir le débat: ceux qui le rejettent s'échinent à démolir les propositions qu'il avance sans être d'accord sur celles qu'il faudrait lui opposer, et ceux qui le soutiennent n'ont d'autres justifications que de s'évertuer à lui faire dire autre chose voire l'inverse que ce qu'il dit.
Cette campagne est bizarre: le texte à ratifier compte plus de 500 pages, et ceux qui l'ont écrit n'arrêtent pas de nous expliquer que seules les 60 premières sont à considérer. Alors pourquoi en ont-ils écrit 460 de plus ?
Cette campagne est bizarre. On voudrait croire que ceux qui défendent la Constitution, parce qu'ils l'aiment bien, aimeraient la lire, mais ils ne citent jamais précisément le moindre de ses articles, et s'empressent d'en empêcher ceux qui sont contre. On préfère nous passer des reportages pour expliquer que l'Union européenne a fait du beau boulot depuis 35 ans, ce dont personne ne semble disconvenir.
Cette campagne est bizarre: on se demande où est passé Philippe Seguin – que la médiature unanime avait, à l'époque du référendum pour Maastricht, élu leader charismatique du non. On se dit qu'il n'y a sans doute pas de leader charismatique du non cette fois-ci, alors qu'on se rappelle que pour Masstricht ç'avait été exactement la même pagaille dans le camp du non (et du oui, d'ailleurs) et qu'il n'y avait pas plus de raison qu'aujourd'hui de trouver dans cette pagaille un leader charismatique, mais qu'on l'avait quand même trouvé.
Cette campagne est bizarre, il n'y a pas non plus de leader charismatique dans le camp du oui, mais Jack Lang semble bien vouloir de ce rôle, puisque le Président de la République refuse de l'assumer et ne veut surtout pas que Nicolas Sarkozy s'en empare. Et on essaye de nous expliquer que le bordel est seulement dans le camp du non.
Cette campagne est bizarre. La voix de ceux qui sont pour ce texte a priorité absolue dans tous les grands médias, ceux qui expriment ce choix détiennent l'essentiel des postes de pouvoir depuis 25 ans, et ils n'arrivent pourtant pas à convaincre largement les Français de l'intelligence de leur point de vue.
Cette campagne est bizarre: on n'a aucune envie de porter au pouvoir ceux qui disent non, mais on n'a aucune confiance en ceux qui disent oui.
Cette campagne est bizarre: tout le monde accuse tout le monde d'en vouloir à l'Europe, mais personne ne paraît s'apercevoir que la Constitution proposée ne définit jamais ce que c'est que l'Europe.
Cette campagne est bizarre. Ceux qui se prononcent pour cette Constitution au prétexte de ses avancées démocratiques et sociales regrettent qu'elle ait été jetée en pâture au suffrage universel; et ceux qui se prononcent pour le non au prétexte qu'elle n'est pas assez démocratique et pas assez sociale se revendiquent pour la plupart d'idéologies assez peu démocrates et pas très douées pour la prospérité des peuples.
Cette campagne est bizarre: les partisans du oui accusent ceux du non d'être frileux et peureux, mais ils ont peur que le non l'emporte parce qu'ils pensent que nous risquerions d'être mal jugés et mis au ban par les autres pays.
Cette campagne est bizarre. Ce texte que plus de 60 de ses propres articles nomment sans ambages la Constitution, est systématiquement appelé Traité par ceux qui l'approuvent lorsqu'ils expliquent à ceux qui redoutent son immuabilité une fois voté que ça n'est pas vrai du tout. Ils reprochent en revanche à ceux qui rejetteraient ce texte que ce serait une grande inconséquence que d'empêcher la Charte de droits fondamentaux d'être inscrite dans la Constitution, parce que cette inscription lui ferait gagner en respectabilité et garantirait sa durée.
Cette campagne est bizarre: les partisans du oui affirment que ce Traité pourra être modifié dès demain, mais il est selon eux inenvisageable de rediscuter le moindre article du projet en cas de victoire du non, parce que les 25 pays de l'Union ne pourront plus jamais se remettre d'accord.
Cette campagne est bizarre: les partisans du non sont jusqu'à 55% dans certains sondages. Or les médias semblent croire qu'ils soient très bien représentés par 4 à 5 leaders de partis politiques minuscules qui n'ont pas l'air de s'entendre du tout entre eux.
Cette campagne est bizarre: on nous dit sans arrêt que les 55% de Français qui s'apprêtent à dire non sont des vieux un peu trouillards et légèrement arriérés qui sont mal informés parce qu'ils habitent la province. Or je corresponds bien moins à ce profil que Jack Lang et même que Serge July, qui pourtant voteront oui, à ce qu'ils disent.
Cette campagne est bizarre: les ténors du oui anticipent comme une épouvante en cas de non le retour prévu au Traité de Nice qu'ils ont pourtant signé avec enthousiasme, quand les ténors du non qui l'ont toujours dénoncé sont prêts à faire avec encore un moment en attendant mieux.

Cette campagne est bizarre: malgré tout, elle pourrait bien finir par une victoire du oui.


Le Monde / Carnet
Philip Morrison, physicien américain

 L e physicien américain Philip Morrison est mort, vendredi 22 avril, à son domicile de Cambridge (Massachusetts). Il était âgé de 89 ans.

Né le 7 novembre 1915 à Somerville (New Jersey), Philip Morrison obtient un doctorat de physique théorique de l'université de Californie (Berkeley), en 1940. Deux ans plus tard, il s'associe au projet Manhattan, auprès du professeur Robert Oppenheimer, pour concevoir les premières armes nucléaires.

L'histoire veut que le physicien ait directement participé à l'assemblage de la première bombe au plutonium testée dans le désert du Nouveau-Mexique en juillet 1945, puis, quelques semaines plus tard, à celle qui fut lancée sur la ville japonaise d'Hiroshima, le 6 août 1945. Cependant, en dépit de cette participation technique directe au montage des premiers engins nucléaires, la contribution scientifique de Philip Morrison à la conception de la bombe A n'a pas été décisive.

Au sortir de la seconde guerre mondiale et après s'être rendu à Hiroshima pour évaluer les dégâts causés par la bombe atomique, Philip Morrison s'engage, au côté d'Albert Einstein, dans la Federation of American Scientists (FAS) ­ une organisation marquée à gauche ­, et s'engage dans la lutte contre la prolifération nucléaire.

La carrière de Philip Morrison n'en a pas moins été dominée par la recherche en astrophysique. Professeur dans les universités américaines les plus prestigieuses ­ à la fin de sa carrière, il était professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology (MIT) ­, il a été passionné par l'astronomie des hautes énergies, la cosmologie, la recherche de planètes extrasolaires et, plus spécifiquement, par la quête de vie hors du système solaire.

L'une de ses publications ­ cosignée avec le physicien Giuseppe Coconni ­, acceptée en septembre 1959 par la revue britannique Nature, pose les fondements théoriques d'une possible communication interstellaire. Philip Morrison y anticipe l'intérêt d'utiliser les micro-ondes dans les tentatives de communiquer à de très longues distances. Il propose même une fréquence de communication"idéale" , 1 420 mégahertz, la fréquence d'émission de l'hydrogène (H), l'élément le plus répandu dans l'Univers.

Selon cette "conjecture de Morrison-Coconni" , si une civilisation extraterrestre venait à vouloir communiquer, elle utiliserait comme fréquence d'émission celle de l'atome le plus simple et le plus commun. Cette idée sera l'un des fondements du projet SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence), popularisé plus tard par le film Contact.

La mort de Philip Morrison a suscité, outre-Atlantique, un grand émoi dans la communauté scientifique. "Le monde a perdu l'une des grandes consciences de la science. Pendant plus de cinquante ans, depuis son implication dans le développement de la première bombe atomique, Philip Morrison a été l'un des principaux acteurs dans les efforts pour contrôler et éliminer les armes nucléaires". a déclaré l'historien des sciences Charles Weiner.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Médias
La "psymania" envahit aujourd'hui l'ensemble des magazines féminins

 I l est loin le temps où la psychanalyste Françoise Dolto parlait sur les ondes de France-Inter. C'était en 1976. Trente ans plus tard, pas un magazine féminin qui n'ait sa rubrique psychologie, de Biba à Elle, en passant par Cosmopolitan ou Prima. Sans parler de la télévision ou de la radio.

Des journaux entièrement consacrés à la psychologie, surtout lus par des femmes, sont nés, le plus connu étant Psychologies magazine. Les rapports entre psys et médias ont été bouleversés, le psy devenant l'expert des pages psycho des magazines, labellisé par ses trois lettres qui recouvrent des catégories professionnelles différentes (psychanalyste, psychothérapeute, psychiatre).

Trente millions de lecteurs pour 44 titres

La presse féminine totalise 44 titres. Elle affiche une quasi-stabilité (+ 0,08%) de sa diffusion en 2004, selon l'Office de justification de la diffusion (OJD). La baisse est de 1,52%, si l'on exclut les suppléments vendus avec un quotidien, comme Version Femina, diffusé avec 30 titres de la presse quotidienne régionale et Le Journal du dimanche et dont la diffusion a été de 3,77 millions d'exemplaires, en 2004. Ce secteur reste l'un des plus dynamiques de la presse magazine, avec des lancements réussis, comme Glamour, des publications Condé Nast (264 000 exemplaires). Au total, 423 millions d'exemplaires de journaux féminins ont été vendus en France en 2004. La presse féminine généraliste compte 30 millions de lecteurs, dont 19 millions de femmes, selon Interdéco, régie publicitaire du groupe Hachette Filipacchi Média. Femme actuelle reste le leader du secteur avec 1,225 million d'exemplaires, suivi par Prima. Elle, qui a fêté ses 60 ans, ou Marie-Claire, qui a célébré son cinquantenaire en 2004, se portent toujours bien.

Le phénomène n'est pas nouveau mais s'est amplifié ces dernières années, au point de toucher aujourd'hui tous les secteurs de la presse, L'Usine nouvelle par exemple. Depuis janvier 2003, Le Monde publie une page Psychologie deux fois par mois. Vingt-huit titres de la presse quotidienne proposent eux, une fois par semaine, une page psycho, réalisée en partenariat par Psychologies magazine.

"LE CULTE DU MOI"

Cette "psymania" répond à l'évolution même de la société. "Cela correspond à un mouvement vers une individualisation, le culte du moi, la nécessité d'aller chercher une solution à ses problèmes". explique Dominique Lévy, directrice du département médias à TNS Sofres. "Dès qu'un événement se produit (guerre d'Irak, questions médicales, écologiques, etc.), des experts sont convoqués. Les Français sont aujourd'hui plus soucieux de leur bien-être psychique, parce que leur bien-être matériel est globalement acquis, même s'il est encore insuffisant". expliquait notamment Serge Tisseron dans Les Dossiers de l'audiovisuel de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), publiés en septembre-octobre 2003 et intitulés "Psys et médias sont-ils compatibles ?". "Dolto a fait le reste, poursuit M. Tisseron, en faisant sortir la psychanalyse et la psychiatrie du cabinet de consultation pour les faire entrer dans les médias."

"Les sujets psycho ont toujours remporté un vif succès parmi nos lecteurs". admettent tous les éditeurs. "La psychologie a toujours été présente et nécessaire dans la presse féminine et a toujours été un souci dans Marie-Claire. L'une des caractéristiques du journal est le témoignage et l'échange d'expériences". explique Monique Majerowicz, directrice déléguée de Marie-Claire. "Cette place de choix dans la presse féminine révèle plusieurs choses, notamment l'intérêt largement féminin pour les sujets psy, lebesoin de vérifier que l'on est "normal" en se retrouvant dans des témoignages ou des descriptions faites par des experts, le besoin de se sentir moins seul face à ses problèmes psychologiques et le besoin de mettre des mots sur des symptômes. C'est la même chose qu'en médecine". explique Anne-Françoise Chaperon, psychologue clinicienne.

L'illustration de ce mouvement, c'est le succès de Psychologies magazine. Créé en 1970 et intitulé à l'époque Psychologie, il a été racheté en 1997 par Jean-Louis Servan-Schreiber. Il n'a cessé de progresser en vente, malgré un prix élevé (4 euros), passant de 84 709 exemplaires en 1997 à 293 587 exemplaires en 2004, selon l'OJD. Il compte près de 100 000 abonnés et 2 millions de lecteurs.

Fort de ce succès, Psychologies magazine, détenu à 49% par Hachette Filipacchi Médias depuis juin 2004, s'est exporté en Italie, en Espagne et en Belgique, et prévoit trois autres éditions étrangères d'ici à la fin de l'année, indique Arnaud de Saint-Simon, directeur général. Le groupe Psychologies magazine (journal, site, édition), dont le chiffre d'affaires devrait atteindre 20 millions d'euros cette année, est rentable, assure la direction.

Cette réussite de presse a incité un peu plus les éditeurs, toujours en quête de nouveaux relais, à "mettre de la psycho" dans leurs journaux. Le féminin pratique Prima a rajouté un cahier "centré sur le bien-vivre". selon son éditeur Fabrice Boé, directeur général en charge des magazines chez Prisma Presse. "Nos études sociologiques ont montré ces dernières années que les lectrices sont de plus en plus intéressées par elles-mêmes et les relations avec les autres, la famille, les amis et les relations au travail". assure-t-il. Femme actuelle (également chez Prisma) lancera début mai un hors série Femme actuelle psycho, et le leader de la presse féminine sera rénové fin mai avec l'introduction de pages d'actualité générale et culturelle.

MALAISES DE L'INDIVIDU

Au-delà du contenu, certains magazines sont tout entiers orientés psycho, au niveau éditorial, comme Bien dans ma vie, lancé par Axel Springer uniquement en petit format. "Les entrées dans le magazine sont psycho. C'est "Je me fais du bien !", "Je craque !", "Je regarde !", l'idée même du mensuel étant: comment faire pour que je sois bien dans ma vie". résume Laurence Dorlhac, directrice de la rédaction.

Les autres éditeurs suivent la même voie: "20 ans est quasiment un psychomagazine pour les 18-25 ans, souligne Bruno Gosset, directeur éditorial des titres féminins et masculins d'Emap. Lorsqu'on a rénové Biba en 2004, lapsychologie se banalisait. Nous avons alors créé une rubrique, "Biba Zen"."

"Les médias peuvent souvent représenter, pour nous les psys, un excellent relais, car ils peuvent donner le petit coup de pouce nécessaire pour aller consulter, ce qui n'empêche pas que dans certains cas la psychologie se trouve dévoyée ou détournée". tempère Mme Chaperon. Jusqu'ici orientés sur les malaises de l'individu, les psys s'expriment sur les maux de la société, en généralisant forcément, ce qui peut entraîner des dérives aux yeux de certains professionnels.

Ainsi, le psychanalyste Claude Halmos estime que la parole psy est parfois surmédiatisée et déniée ou décrédibilisée. Au point que, selon Laurence Bernheim, directrice des études du pôle féminin chez Interdéco, "l'attrait pour la psychologie qui répond à ce que souhaite les lectrices s'essouffle quelque peu. Peut-être même a-t-il atteint un palier."

Pascale Santi
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Sciences
Le bébé forge-t-il une théorie de l'esprit ?

 G uignol profite de l'absence du Gendarme pour cacher le bicorne de celui-ci. Où donc le Pandore cherchera-t-il d'abord son couvre-chef à son retour ? "Là où Guignol l'a caché !", répondront les bambins de trois ans. "Là où le Gendarme l'avait laissé", corrigeront leurs aînés d'un an. Douze mois de maturation qui leur permettent de distinguer chez autrui les croyances fausses.

Cette capacité à appréhender la subjectivité, à se représenter l'esprit d'autrui, est une étape fondamentale du développement du petit d'homme. Les dispositifs expérimentaux, qui reprennent grosso modo la saynète décrite ci-dessus, indiquent qu'elle se construit au fil de l'acquisition du langage. Mais de nouvelles observations, mettant en scène des nourrissons de 15 mois, suggèrent que cette faculté pourrait avoir une origine bien plus précoce.

Kristine Onishi (université McGill, Montréal) et Renée Baillargeon (université de l'Illinois, Champaign) ont mesuré le temps passé par une cinquantaine de bébés à observer les faits et gestes d'une actrice jouant à ranger une tranche de melon en plastique dans des boîtes vertes ou jaunes.

L'expérience prévoyait ensuite un déplacement spontané de ces boîtes et le passage, ou non, de la tranche de l'une à l'autre, sous le regard des deux protagonistes, le bébé et l'actrice. L'hypothèse des chercheuses était que lorsque cette dernière chercherait l'objet dans la mauvaise boîte, le bout de chou regarderait plus longuement cette opération inattendue. C'est bien ce qui s'est passé, comme elles le résument dans la revue Science du 8 avril.

"Ces résultats suggèrent que les enfants de 15 mois possèdent déjà ­ au moins sous une forme rudimentaire ou implicite ­ une théorie de l'esprit, écrivent-elles. Ils comprennent que les autres agissent en fonction de leurs croyances et que celles-ci sont des représentations qui peuvent refléter, ou non, la réalité." Les deux chercheuses indiquent que leurs observations pourraient permettre de mettre au point des outils de détection précoce des enfants autistes, qui ont précisément des difficultés à passer les tests standards de "fausses croyances" et dont les difficultés de communication sont souvent décrites comme liées à une déficience dans l'élaboration d'une théorie de l'esprit.

UN PROCESSUS DOUBLE

Cet enthousiasme est cependant tempéré par un second article publié dans Science, qui s'interroge sur la véritable signification de ces nouvelles observations. Comment expliquer en effet que des bébés de 15 mois, ne sachant pas encore parler, possèdent la faculté de distinguer les fausses croyances, alors que ceux de trois ans, à la langue pourtant déjà bien pendue, n'en sont en grande majorité pas capables ?

Peut-être parce que la longueur du regard ne témoigne pas d'une prise de conscience d'un comportement erroné, avancent Joseph Perner (université de Salzbourg) et Ted Ruffman (université d'Otago, Nouvelle-Zélande). Mais plutôt d'un temps de traitement de l'information allongé, au niveau cérébral, face à une situation qui n'avait pas été rencontrée lors de la phase initiale de familiarisation, avancent-ils.

Seconde explication possible: les bébés auraient intégré une règle de comportement, sans pour autant se forger une théorie de l'esprit: dans l'expérience, la règle est que l'on cherche un objet là où on l'a vu pour la dernière fois. On peut parfaitement l'intégrer, et être surpris lorsqu'elle n'est pas respectée ­ ce que traduit un temps d'observation plus long ­, "sans pour autant concevoir que l'esprit est le médiateur" entre la vision et l'action.

Pour Joseph Perner et Ted Ruffman, la théorie de l'esprit ne vient aux enfants qu'au terme d'un processus double: comme les autres primates, ils ont une prédisposition à intégrer les nouvelles règles comportementales. "Ensuite, les enfants développent une compréhension plus profonde du comportement à travers leur "enculturation" dans une communauté de langage", notent les deux chercheurs.

Ils citent des études montrant que des enfants sourds élevés par des parents ne souffrant pas de ce handicap connaissent généralement un retard de développement langagier de plusieurs années, qui se traduit par une compréhension tardive des fausses croyances.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Sciences
Deux amphibiens archaïques révèlent la richesse de la faune de la Pangée

 A u cours de la longue histoire de la Terre, les continents se sont, à plusieurs reprises, réunis en un seul bloc avant de se séparer à nouveau. Il y a 251 millions d'années, tous les continents de la Terre étaient réunis en un continent unique, baptisé Pangée, qui s'étalait d'un pôle à l'autre et était traversé par l'Equateur. Il était entouré par un grand océan, le Panthallasa.

En raison de données insuffisantes, les scientifiques estimaient, jusqu'à présent, que le climat et la faune de ce super-continent étaient relativement homogènes. Une découverte, publiée dans la revue Nature du 14 avril, remet en question cette hypothèse, car elle montre que l'environnement et la faune étaient plus diversifiés.

Une équipe internationale de paléontologues nigériens, américains, sud-africains, canadiens et français, dirigée par Christian Sidor (département d'anatomie, New York College of Osteophatic Medecine, Old Westbury, N.Y.), vient en effet de mettre au jour au nord du Niger deux amphibiens archaïques de grande taille, inconnus jusqu'à présent et datés de 251 millions d'années. Cette découverte résulte de fouilles menées dans des couches sédimentaires d'âge permien, dernière période de l'ère primaire sur laquelle nous avons encore très peu de données. Les terrains explorés correspondent à la zone équatoriale de l'ancienne Pangée.

Appartenant au groupe des temnospondyles, ces amphibiens fossiles ont été baptisés respectivement Nigerpeton ricqlesi et Saharastega moradiensis. "Longs de plus de 3 mètres, ils étaient à la fois terrestres et aquatiques et ressemblaient à des crocodiles, dont ils avaient le mode de vie", explique Jean-Sébastien Steyer, paléontologue au département histoire de la Terre (Muséum national d'histoire naturelle), un des signataires de l'article de Nature. "Carnivores, ces sortes de salamandres géantes vivaient dans une immense plaine traversée par des cours d'eau en voie d'assèchement", ajoute le chercheur.

Les données géologiques et les simulations climatiques suggèrent en effet que des conditions semi-désertiques se mettaient en place, remplaçant peu à peu un climat plus modéré. En conclusion, les signataires de l'article estiment que "pendant le permien, les faunes établies de part et d'autre de la zone équatoriale différaient de manière importante de celles qui ont dominé les autres régions de la Pangée, où régnait un climat tempéré et tropical".

Lors des fouilles, les paléontologues ont aussi mis au jour des reptiles archaïques inconnus, terrestres et herbivores, appartenant aux groupes des paréiasaures et des captorhinomorphes. "Les paréiasaures, longs de 5 à 6 mètres, étaient des animaux assez massifs, cuirassés comme certains dinosaures, et dotés de cornes sur la tête", ajoute Jean-Sébastien Steyer.

Autre particularité: ces grands animaux vivaient sur une Terre qui avait été frappée environ trois millions d'années plus tôt par la plus grande extinction de l'histoire de la planète, celle de la fin du permien. On pense qu'elle a fait disparaître 90% des espèces marines, les deux tiers des familles d'amphibiens et de reptiles terrestres et 30% des ordres d'insectes. Bon nombre de paléontologues pensent que cette catastrophe a failli être fatale à la vie.

Un tel cataclysme aurait été provoqué par la conjonction de plusieurs facteurs. La réunion de toutes les terres du globe en un ensemble unique a considérablement réduit la surface des mers peu profondes et modifié le climat. Pendant des milliers d'années, d'énormes épanchements de laves se sont déversés en Sibérie pour former des trapps (du mot suédois qui veut dire escalier) similaires à ceux du Deccan, en Inde, créés il y a 65 millions d'années. Il se pourrait aussi que la Terre ait été frappée à cette époque par un astéroïde géant, dont on recherche toujours l'impact.

"La crise de la vie a été rapide à l'échelle des temps géologiques. Mais les renouvellements faunistiques ont aussi été rapides après la crise", ajoute Jean-Sébastien Steyer. Malgré l'hécatombe, la vie a survécu, car certaines espèces semblent avoir été protégées par des niches (marécages ou abysses). Pour expliquer ce phénomène, les scientifiques avancent la notion récente "d'extinction sélective". Mais les espèces qui apparaissent après la catastrophe sont différentes des précédentes. Ainsi, les nombreux animaux des mers permiennes qui vivaient fixés sur un support ont été remplacés par des animaux très mobiles.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / International
Vladimir Poutine veut inscrire la Russie dans le processus de paix israélo-palestinien
Jérusalem de notre correspondant

 P remier président russe à se rendre en Israël et dans les territoirespalestiniens, Vladimir Poutine, arrivé à Jérusalem, mercredi soir 27 avril, savait pouvoir compter sur un accueil emprunt de courtoisie de la part de ses hôtes. Les sujets de mécontentement ne manquent pourtant pas entre les deux pays.

Favorable à un programme nucléaire civil iranien qui inquiète au plus haut point Israël, la Russie compte par ailleurs livrer à la Syrie des missiles antiaériens, qui, comme l'a précisé crûment le président russe lors d'un entretien à une télévision israélienne, vont "compliquer la possibilité de vol rasant au-dessus de la résidence du président syrien" Bachar Al-Assad, en faisant allusion à une opération israélienne menée en 2003, sans changer l'équilibre des forces entre les deux pays.

La Russie et Israël s'opposent également sur la présence en Israël d'oligarques déchus réclamés par la justice russe. Mais l'heure n'est pas à la discorde, comme l'a d'ailleurs montré, sur ce dernier point, le report opportun du verdict du procès de l'ancien patron du groupe Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, dont certains proches se trouvent en Israël.

Pour des questions de standing international, M. Poutine, qui avouait, lundi, sa nostalgie de l'URSS, ne peut donner l'impression d'être tenu pour un acteur mineur au Proche-Orient. Israël, qui compte en son sein plus d'un million environ de russophones émigrés au cours des quinze dernières années, soit un cinquième de sa population, tient également à ménager son visiteur, à condition qu'il ne se montre pas trop volontariste.

BALLON D'ESSAI

Certes, la Russie est présente, aux côtés des Etats-Unis, de l'Union européenne et des Nations unies, dans le Quartet, cette instance informelle chargée théoriquement de piloter la "feuille de route". le plan de paix international.

Mais M. Poutine a bien conscience, comme les Européens, du monopole dont jouissent les Etats-Unis sur le dossier israélo-palestinien, puisqu'ils sont les seuls interlocuteurs véritablement acceptés par les Israéliens. En proposant, au Caire, où il a commencé, mardi, satournée au Proche-Orient, une conférence internationale dont la Russie serait l'hôte à l'automne, M. Poutine a lancé à la fois un ballon d'essai et affiché ses positions.

La réaction pour le moins mesurée des Etats-Unis laisse peu d'espoir à cette initiative, à laquelle Israël est également opposé. "Nous croyons qu'il y aura un moment opportun pour l'organisation d'une conférence internationale, mais nous n'en sommes pas à ce stade maintenant et je ne m'attends pas à ce que cela arrive d'ici à cet automne". a estimé le porte-parole de la Maison blanche, Scott McClellan. M. Pou- tine s'efforce cependant de prendre date.

Pour la diplomatie russe, en effet, le plan de retrait de Gaza, pour lequel le premier ministre israélien, Ariel Sharon, devait être complimenté jeudi, doit marquer un début et non une fin. La conférence internationale, que réclame également la France, de longue date, pourrait permettre de lancer un véritable processus politique avec, en ligne de mire, un accord de règlement définitif. "La conférence internationale que nous proposons découle de la nécessité de relancer le processus de paix". a d'ailleurs affirmé, au Caire, le président russe, en indiquant qu'il était en train "d'examiner le niveau -de représentation- et le calendrier de la réunion".

A Ramallah, où M. Poutine est attendu vendredi, la direction palestinienne, qui appelle de ses voeux des discussions substantielles le plus rapidement possible, a naturellement applaudi des deux mains l'initiative russe. Pour M. Sharon, en revanche, la perspective de telles négociations est tout simplement prématurée. A l'occasion de la Pâque juive, il a fait savoir que les "infrastructures terroristes" palestiniennes devaient être démantelées avant d'engager tout dialogue.

Gilles Paris
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / International
Bush promet de faire baisser les prix de l'essence

 L eorge W. Bush a promis, jeudi 28 avril, aux Américains, de tout faire pour faire baisser les prix de l'essence qui grèvent les budgets des ménages et des entreprises et commencent à freiner sérieusement la croissance de la première économie du monde.

Le président américain, qui fêtera samedi les cent premiers jours de son deuxième mandat mais dont la popularité est en berne, s'est voulu très volontariste sur ce sujet, promettant des mesures immédiates mais revenant aussi longuement sur son plan à long terme pour donner au pays une plus grande indépendance énergétique.

"Des millions de familles américaines et de petites entreprises souffrent à cause de la hausse des prix de l'essence. Mon gouvernement fait tout ce qu'il faut pour rendre les prix de l'essence plus abordables", a affirmé le président.

Parlant de "priorité vitale pour le peuple américain", il a promis que son gouvernement "allait encourager les pays producteurs de pétrole à augmenter leur production" pour essayer de faire reculer au plus vite les prix du brut.

Il a aussi promis qu'il allait "protéger les consommateurs" de ceux qui tenteraient de profiter de la flambée des prix: "Il n'y aura pas de manipulation des prix à la pompe aux Etats-Unis".

Les prix de l'essence à la pompe ont atteint des niveaux records en avril, selon l'Association des automobilistes américains, avec une moyenne de presque 2,3 dollars par gallon (environ 61 cents par litre). Ces prix, qui feraient rêver en Europe où l'essence est beaucoup plus chère, ont néanmoins un impact sur le budget des ménages et par conséquent sur la consommation, le pilier de la croissance américaine.

Le président lui-même l'a reconnu. "C'est comme un impôt sur les petites entreprises créatrices d'emplois. C'est un impôt sur les familles et je crois que cela a affecté le moral des ménages. Je pense que cela a affecté l'économie", a-t-il lancé.

De fait, les chiffres de la croissance, publiés jeudi, font état d'un net ralentissement de la conjoncture.

Le produit intérieur brut a augmenté de 3,1% en rythme annuel au 1er trimestre, sa plus faible progression depuis deux ans, à cause d'un fléchissement de la consommation et d'un déficit commercial toujours plus élevé.

Pour autant, M. Bush a tenté de rassurer: "Les experts me disent que les prévisions de croissance économique restent bonnes".

Soulignant que la consommation d'énergie aux Etats-Unis avait augmenté "quarante fois plus vite que la production d'énergie", M. Bush a longuement détaillé son plan destiné à réduire la dépendance des Etats-Unis envers l'étranger. Il a toutefois reconnu qu'il faudra du temps.

Il a notamment plaidé pour le développement de nouvelles sources d'énergie et suggéré d'aider les pays émergents comme la Chine et l'Inde, gros consommateurs d'énergie, à "utiliser de nouvelles technologies pour utiliser l'énergie plus efficacement et réduire la demande mondiale pour les énergies fossiles".

Le président a sommé le Sénat d'adopter son projet de loi sur l'énergie "d'ici à l'été". Ce projet, l'une des priorités de sa première présidence, avait été soumis au Congrès en 2001, et a finalement été adopté par la Chambre des représentants il y a quelques jours.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 29.04.05 | 08h08


Le Monde / France
Le oui en session de rattrapage avec Lionel Jospin

 V ingt minutes pour faire bouger le rapport de forces entre le non et le oui à gauche, pour l'instant favorable au premier dans les sondages. Voilà l'enjeu de l'intervention de Lionel Jospin, jeudi 28 avril sur France 2, dans "Question ouverte" à l'issue du journal télévisé de 20 heures. Après Jacques Chirac, sur qui reposaient les attentes de la droite, la pression du oui de gauche est maintenant sur l'ancien premier ministre socialiste. Mais pour Lionel Jospin, cette pression est double car c'est la première fois, depuis son élimination au premier tour de l'élection présidentielle, le 21 avril 2002, qu'il s'adressera en direct aux Français.

Duel à distance avec Laurent Fabius

Des Etats-Unis, où il se trouve en ce moment, Laurent Fabius a donné la consigne à ses partisans, et celle-ci a été respectée: aucun fabiusien n'a réagi au sévère rappel à l'ordre que Lionel Jospin a lancé, lors des cérémonies du centenaire du PS, samedi 23 avril, aux partisans socialistes du non. Surtout, ne rien faire qui puisse faire resurgir l'opposition entre les deux hommes, et qui avait abouti au congrès fratricide de Rennes, en 1990 !

Mais le calendrier fait que, jeudi 28 avril, Lionel Jospin et Laurent Fabius s'exprimeront en même temps, sur le même sujet, selon des positions diamétralement opposées. Décalage horaire oblige, c'est au moment où M. Jospin, promoteur du oui, interviendra sur France 2, que M. Fabius, tenant du non, expliquera ses raisons de rejeter la Constitution européenne devant les étudiants de l'université Columbia, à New York, dont il est l'invité pour débattre du "futur de l'Union européenne". Sur le même thème, il sera également devant les étudiants de l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), début mai.

Il s'y est préparé. "Il a beaucoup travaillé". assurent ses amis. Plusieurs d'entre eux lui ont conseillé de revenir sur la politique européenne qu'il a conduite de 1997 à 2002 à la tête du gouvernement et de lever les ambiguïtés persistantes sur le sujet. Un peu à la manière dont il s'est débarrassé, le 23 avril, lors des cérémonies du centenaire du PS, de ses phrases ­ "Mon projet n'est pas socialiste". "l'Etat ne peut pas tout" ­ qu'il traînait, depuis, comme un boulet.

Car l'Europe fait, aussi, partie des contentieux qui subsistent entre Lionel Jospin et une partie de l'électorat de gauche. Barcelone, Lisbonne, Nice, Amsterdam: ces noms de sommets européens restent en mémoire.

Le 16 mars 2002, en Espagne, Lionel Jospin et Jacques Chirac se présentent ensemble devant la presse. C'est leur dernière conférence de presse commune, et l'ambiance est assez glaciale. Quelques jours plus tôt, le premier ministre avait qualifié d'"usé" et "vieilli" son rival.

Mais ce que les Français retiendront du sommet, c'est la décision des Quinze, approuvée par les deux représentants de l'exécutif français, de retarder progressivement l'âge de la retraite.

A Barcelone, le sujet de fond était pourtant tout autre: il s'agissait d'ouvrir le marché de l'énergie à la concurrence. Lionel Jospin s'y montre tiraillé entre sa volonté de "défendre les services publics" et les appels de la direction d'EDF, relayés par Laurent Fabius alors ministre de l'économie, qui craint, si rien ne change, de ne pas pouvoir poursuivre son expansion.

Il y a Nice, en décembre 2000, le plus long sommet européen, sous présidence française. A l'usure, un accord sur la réforme des institutions de l'Union, préalable à son élargissement, est signé, en deçà des ambitions affichées. Tony Blair s'est refusé à la moindre concession en matière de fiscalité et de politique sociale. Le bilan n'est pas de bon augure pour la suite. Lionel Jospin en est conscient. "L'après- Nice, dit-il, est d'une autre nature, il faut aborder ce sujet avec une parfaite disponibilité intellectuelle, mais se montrer réaliste et prudent sur ce que l'on pourra faire."

L'HOMME DU "NON AU NON"

Il y a Lisbonne, en novembre de la même année, qui restera comme le sommet d'un aggiornamento historique entre chefs d'Etat et de gouvernement, la plupart de gauche, pour adopter une stratégie pour la croissance et l'emploi, fortement imprégnée de libéralisme. La France obtient que les secteurs de l'énergie et des transports soient maintenus à l'écart. Mais Lionel Jospin reconnaît que l'adaptation du secteur public français à la modernisation "doit se faire".

Il y a Amsterdam enfin, le tout premier sommet européen de Lionel Jospin, en juin 1997. Les Quinze entérinent le pacte de stabilité qu'il avait lui-même qualifié, en campagne électorale, de "concession faite absurdement aux Allemands". "Je n'ai aucune raison de me sentir engagé par cela". avait-il lancé en comparant le pacte à du "Super Maastricht".

Rien n'avance non plus sur l'adaptation des institutions européennes avant l'élargissement. Du coup, Lionel Jospin doit affronter le mécontentement dans son propre camp. Quelques députés, dont Julien Dray, votent contre.

Mais Lionel Jospin est aussi l'homme du "non au non". celui qui a toujours considéré que les "imperfections de l'Europe" ne devaient pas conduire à claquer la porte. "J'ai exclu la stratégie de rupture qui m'était parfois suggérée, écrivait-il dans Le Nouvel Observateur en novembre 2004, en se targuant d'avoir pu faire évoluer les préoccupations de l'Europe vers l'emploi, la politique sociale, la coordination des politiques économiques, la régularisation de la mondialisation, la sécurité maritime et même la moralisation du sport." Dans cette tribune intitulée "Pour moi, c'est oui". il prenait fermement position pour la Constitution en qualifiant "la thèse d'une crise européenne" de "chimérique".

Jeudi soir, il devait persister et signer. Avec un petit handicap supplémentaire. Si une majorité (62%) de sympathisants du PS espèrent son retour en politique, selon un sondage CSA paru le même jour dans Le Parisien, 41% des Français répondent par la négative, contre 38% qui souhaitent le contraire

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Chats
La Constitution rend-elle l'Union européenne plus démocratique ?
L'intégralité du débat avec Henri de Bresson, responsable du bureau Europe au "Monde", lundi 02 mai 2005

Test*: La Constitution, telle qu'elle nous est présentée, nous donnera-t-elle, aux citoyens, les moyens de se faire mieux entendre ?
Henri de Bresson:
Cette question appelle plusieurs réponses. D'abord, l'Union européenne telle que la Constitution la prévoit est basée sur une démocratie parlementaire. Donc le citoyen se fait d'abord entendre par le biais normal du fonctionnement démocratique, c'est-à-dire l'élection du Parlement européen, qui représente les peuples qui constituent l'Union. Ce Parlement européen a pour interlocuteurs la Commission, qui incarne l'intérêt communautaire, et les Conseils, à la fois le Conseil des ministres qui a un pouvoir de co-législation avec le Parlement européen, et qui représente les Etats nationaux; donc les gouvernements sont directement issus, dans chaque pays, des élections. En dehors de ce système classique de la démocratie, il est également prévu la possibilité pour les citoyens d'adresser des pétitions au Parlement européen, mais surtout, ce qui est nouveau, c'est ce qu'on appelle le "droit d'initiative", qui doit permettre à un million de citoyens membres de l'Union européenne, appartenant à plusieurs pays, d'interpeller la Commission pour lui demander de revoir un projet de loi ou de soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles les pétitionnaires considèrent qu'il faut légiférer. Il y a débat sur un terme de ce droit d'initiative: la Constitution prévoit que ces initiatives populaires permettent d'"inviter" la Commission à soumettre sa proposition. Juridiquement, ce n'est pas une obligation. La Commission est maître de ses propositions. C'est l'essence même de son existence. Quand le Conseil ou le Parlement lui demandent de faire une proposition d'acte législatif, elle n'est pas obligée d'accepter. C'est la même chose pour les initiatives populaires. Néanmoins, on peut raisonnablement penser qu'une initiative qui recueillerait un ou trois ou quatre millions de signatures pèsera d'un poids politique suffisamment important pour que la Commission ne puisse l'ignorer.

Jef: La possibilité offerte aux citoyens européens de se faire entendre par le biais de pétition est-elle un leurre ou un véritable nouvel outil démocratique ?
Henri de Bresson:
Nous ne connaissons pas en France ce genre de pétition. En Italie ou en Suisse, il existe une telle disposition. Il faut 500 000 signatures en Italie pour pouvoir organiser un référendum populaire pour rejeter un acte législatif. Il y a eu de nombreux exemples en Suisse, en Italie, en Californie de ce genre de manifestations, qui ont recueilli des nombres de signatures importants. Si dans un pays comme la Suisse le référendum a une valeur décisionnaire, il n'empêche qu'au niveau européen le poids politique de la pétition sera également important.

Manu: Pour qu'il y ait plus de démocratie il faudrait une véritable responsabilité de la Commission devant le Parlement, à l'image de celle du Parlement national devant le gouvernement. Cela est-il envisageable ?
Henri de Bresson:
Cela a été un des termes du débat sur la Constitution. Fallait-il une Union européenne plus fédérale ou non ? Les fédéralistes, qui se recrutaient dans des pays comme l'Allemagne, par exemple, souhaitaient effectivement qu'on aille beaucoup plus loin pour donner à la Commission un véritable rôle de gouvernement avec une responsabilité claire devant le Parlement. Un compromis a été passé entre la France, qui défendait une idée de l'Union européenne où les Etats-nations restent maîtres de la décision finale, et la thèse des fédéralistes. Le compromis, c'est que le président de la Commission ne peut être nommé par les chefs d'Etat et de gouvernement que s'ils ont l'approbation du Parlement européen. C'est un droit de veto. Le Parlement a également la capacité de destituer la Commission. Mais le Conseil européen, qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement, reste une instance au-dessus de la mêlée, qui donne les grandes orientations à l'Union. Il sera désormais présidé par une personnalité élue par les chefs d'Etat et de gouvernement. Nous avons donc un système tout à fait original à trois grandes composantes, qui n'est pas un régime fédéral.

"LE PARLEMENT SENSIBLEMENT RENFORCÉ"

Elo: Le rôle du Parlement européen, élu par le peuple, ne semble pas être vraiment renforcé par la Constitution. La Commission (qui n'a pas la même légitimité démocratique) ne reste-t-elle pas le moteur de l'Union européenne ?
Henri de Bresson:
La Commission a un grand pouvoir: celui d'élaborer des propositions de loi qui sont ensuite adoptées par le Conseil et le Parlement. C'est ce qu'on appelle le droit d'initiative. Il a une raison d'être, c'est de permettre à la Commission en tant qu'organe représentant l'intérêt communautaire de préparer des projets de loi qui correspondent à cet intérêt communautaire. On a voulu éviter de se retrouver avec des projets de loi émanant de groupes d'Etats ou de lobbies. Cela n'empêche pas le Conseil ou le Parlement de soumettre des propositions, mais c'est la Commission qui les met en forme et les envoie dans les rouages parlementaires. La Commission, ensuite, exécute les décisions une fois qu'elles ont été votées par le Conseil des ministres et le Parlement. Donc ce n'est pas la Commission qui prend les décisions. Le Parlement est quand même sorti très sensiblement renforcé des négociations sur la Constitution. On lui reconnaît désormais un droit général à co-légiférer avec le Conseil des ministres. Quand l'Union traite de sujets où il ne peut pas être un législateur, on considère que ce sont des exceptions. Le champ d'application de la co-législation s'est accru avec la Constitution d'une vingtaine de domaines dans lesquels, jusque-là, il ne pouvait que donner des avis.

Shimoda: Pourquoi le Parlement, démocratiquement élu, ne peut pas faire de propositions de lois ?
Henri de Bresson:
Il peut faire des propositions, c'est inscrit dans la IIIe partie de la Constitution, mais on a gardé le mode de fonctionnement traditionnel de l'Union, qui veut que ses propositions ne soient validées que si la Commission les fait siennes. On aurait pu, bien sûr, choisir un autre système. Mais ni la Convention, qui a négocié le projet de Constitution, ni les gouvernements des 25 Etats qui l'ont finalisée, n'ont souhaité avoir un système fédéral total. Un système où le Parlement, effectivement, partage avec l'exécutif le droit de proposition des lois. Dans un tel régime fédéraliste, les Etats auraient formé une deuxième Chambre, comme les régions allemandes en Allemagne ou espagnoles en Espagne. Mais ce n'est pas la solution qui a été retenue à ce stade.

Sabine: D'un point de vue juridique, la Cour européenne des droits de l'homme aura-t-elle une place renforcée ?
Henri de Bresson:
Quand on parle de la Cour européenne des droits de l'homme, on parle bien sûr de la Cour de Strasbourg, et non pas de la Cour de justice européenne de Luxembourg. La charte des droits fondamentaux fait beaucoup de références à la Convention européenne des droits de l'homme dont la Cour est la gardienne. En outre, cette référence est reprise par la Constitution dès sa Ire partie, qui stipule que l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que les droits fondamentaux garantis par cette Convention font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux.

Elo: Les juges ne risquent-ils pas, par l'interprétation de la présente Constitution, d'avoir un pouvoir accru ?
Henri de Bresson:
Là, on fait référence non plus à la Cour européenne des droits de l'homme, mais à la Cour de justice de Luxembourg, qui est chargée de veiller à la bonne application du droit européen. Il est clair que dans les domaines où la Constitution élargit le champ de compétences de l'Union, on élargit du même fait les compétences de la Cour de justice.

"UN SYSTÈME QUI TIENT COMPTE DE LA TAILLE ET DE LA POPULATION DE CHAQUE ÉTAT"

Erasmi: La Constitution donne-t-elle le même pouvoir, dans le processus de décision européen, aux 25 pays de l'Union quelles que soient leurs population et richesse ?
Henri de Bresson:
Non, on a adopté dans la Constitution un système qu'on appelle de double pondération des voix, qui tient compte de la taille et de la population de chaque Etat. C'est-à-dire que dans chaque vote, on tiendra compte, pour calculer la majorité, non seulement du nombre des Etats, mais également de leur importance démographique. Ce système remplace un système où chaque Etat disposait d'un nombre de voix en fonction de son importance. C'est le système de Nice, où la France avait obtenu que les quatre grands Etats gardent le même nombre de voix. Et ensuite, de manière dégressive, les Etats moyens, les plus petits, disposent d'un nombre de voix inférieur. C'est ce système que les Polonais et les Espagnols, qui sont très avantagés dans le traité de Nice, ont voulu garder, et auquel ils ont dû renoncer dans la Constitution. Dans le nouveau système, les quatre plus grands pays de l'Union européenne auront un avantage considérable dans les jeux d'alliances nécessaires pour adopter les décisions. Par ailleurs, au Parlement européen, là aussi, chaque pays se voit attribuer, avec une proportionnalité relative, un certain nombre de députés qui dépend de la taille de ces pays. Ainsi, l'Allemagne aura le droit à un nombre de députés supérieur à tous les autres, et les petits pays ne disposeront que d'un minimum de six députés.

Gael: On apprend très "jeune" qu'une des bases de la démocratie est la séparation des pouvoirs. Pourquoi le Conseil des ministres, représentant donc du pouvoir exécutif, partage-t-il le pouvoir législatif avec le Parlement européen ?
Henri de Bresson:
Dans le système français, le gouvernement est à la fois l'exécutant des lois et partage avec le Parlement le pouvoir de proposer des lois et négocie avec les deux chambres du Parlement l'adoption des lois. Donc l'exécutif a aussi un rôle législatif. Dans le système européen, le Conseil des ministres a longtemps été le seul maître à bord face à la Commission, et ce n'est que petit à petit que le Parlement européen a eu lui aussi le droit de prendre part à l'adoption de certains actes législatifs européens. On est donc dans un processus évolutif. Le Parlement n'est d'ailleurs élu au suffrage universel que depuis la fin des années 1970, donc ce n'est pas encore un processus très vieux, et on n'est pas encore dans un système parlementaire total. Si tant est qu'on y arrive un jour.

Sirius2: Du municipal à l'européen, les Français "bénéficient" de cinq niveaux d'administration; la démocratie ne s'y dilue-t-elle pas ?
Henri de Bresson:
C'est une bonne question, mais qui doit se poser au niveau national comme au niveau européen. On a ajouté en France au système des cantons des conseils généraux, des régions dont le rôle augmente petit à petit. On a créé des pays, des systèmes d'intercommunalité, et effectivement, on peut se poser la question de savoir si tout cela ne devient pas très compliqué et s'il ne faut pas revoir notre système. C'est en partie la question posée par la régionalisation. L'échelon européen n'est qu'à un seul niveau au-dessus du niveau national et il intervient dans des domaines où l'on estime que l'action de chaque pays n'a de sens que si elle est menée à un niveau européen face au monde extérieur.

Isildur: Qu'en est-il du rôle des partis politiques à l'échelle européenne. Leur rôle est-il affirmé ?
Henri de Bresson:
Là aussi, les choses avancent extrêmement lentement. Sur le principe, les partis politiques au niveau européen se voient reconnaître une existence juridique par la Constitution, qui affirme qu'ils contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l'expression de la volonté des citoyens. Les grands groupes de partis sont désormais organisés au Parlement européen par affinités politiques. On a le Parti populaire européen, qui représente les principales familles de la droite, le Parti socialiste européen, le groupe des libéraux, des Verts, de la gauche unie (surtout des apparentés communistes). Il y a à l'extrême droite de l'échiquier un groupe souverainiste. Ces partis européens n'ont pas évolué jusqu'à présent dans leur fonctionnement comme de véritables partis comme on les connaît dans chacun de nos pays, mais ils tentent d'aller dans cette direction. Il est prévu que la loi européenne fixe le statut des partis politiques au niveau européen. Il reste que c'est plus facile à dire qu'à faire. Il est souvent difficile de trouver des programmes communs entre des formations social-démocrates ou de droite qui ont chacune sa tradition nationale. Le Parti socialiste européen vient seulement, l'année dernière, de modifier ses statuts pour accepter que des membres puissent s'inscrire directement aux partis européens sans passer par les partis nationaux.

Khi-deux: Pensez-vous qu'à terme le président du Conseil élu pour 2 ans et demi trouvera sa place ? Aura-t-il un programme ? Aura-t-il des missions claires sur lesquelles on le jugera ?
Henri de Bresson:
C'est un peu une des grandes inconnues de cette Constitution. Les Etats, notamment sous l'influence de la Grande-Bretagne, se sont arrangés pour qu'il ait seulement un rôle d'impulsion et de coordination. Il n'est pas élu au suffrage universel, il est seulement élu par les chefs d'Etat et de gouvernement. D'autre part, sa relation avec le président de la Commission européenne n'est pas vraiment définie. Il reste qu'il aura la possibilité de préparer les réunions du Conseil, d'influencer l'ordre du jour. Il disposera de la durée pour trouver des compromis entre les approches des chefs d'Etat et de gouvernement. Beaucoup dépendra, évidemment, de la personnalité qui sera choisie pour exercer ce rôle. Si c'est quelqu'un qui a une véritable autorité et qui sait s'imposer, il peut avoir une grosse influence.

L'UE "SERA PLUS DÉMOCRATIQUE"

Eporue: Les syndicats de salariés forment un contre-pouvoir très salutaire pour la démocratie. On n'a pas l'impression qu'ils coordonnent beaucoup leur action au niveau européen. Qu'en est-il ?
Henri de Bresson:
Les syndicats ont une représentation auprès de l'Union européenne, qui est la Confédération européenne des syndicats. La Constitution donne une existence juridique à la notion de dialogue social entre l'Union, les syndicats de salariés et les syndicats patronaux, représentés par leurs organisations européennes. Ils ont notamment un rôle dans la discussion de tout ce qui concerne les conditions de travail. La Confédération européenne des syndicats a joué un rôle non négligeable lors de la Convention européenne, mais aussi lors de la Convention qui a négocié la charte des droits fondamentaux, par ses propositions. Une très grande majorité des syndicats nationaux qui la composent se sont prononcés en faveur de la Constitution. Du côté des syndicats français, font partie de la CES la CFDT, FO, la CGT, notamment. La CFDT a milité au sein de la CES pour la Constitution. La CGT s'était abstenue au départ, avant finalement de se prononcer pour le non.

Manu: La demande d'un supplément de démocratie dans le fonctionnement de l'UE et le rejet d'une Europe fédérale ne sont-ils pas contradictoires, voire insurmontables ?
Henri de Bresson:
La Constitution ne représente pas la dernière étape de l'Union européenne. Il y a eu discussion sur le préambule et sur les premiers articles de la Constitution pour savoir ce qu'il fallait préciser à ce propos. L'article Ier précise que l'Union exerce sur le mode communautaire des compétences qu'il lui attribue. On a remplacé effectivement le mot sur le mode "fédéral" qu'avait souhaité inscrire notamment M. Giscard d'Estaing, qui présidait les travaux, par le mot "communautaire". Le préambule rappelle la phrase qui se trouve dans les précédents traités, qui indique que les peuples d'Europe sont unis d'une manière sans cesse plus étroite pour forger leur destin commun. Le débat n'est pas achevé sur la forme finale que revêtira cette Union et les dispositions de la Constitution permettent simplement d'avancer un peu plus loin dans la manière de légiférer et de mener ensemble les actions.

Ledent: Avec cette Constitution, l'Europe sera-t-elle plus démocratique ou pas, selon vous ?
Henri de Bresson:
Elle sera plus démocratique, oui, parce que le Parlement européen est davantage impliqué, parce qu'il est également inscrit que lorsque le Conseil des ministres se réunit pour discuter de projets de loi, il le fait en public. Le fonctionnement de la Commission européenne est traditionnellement beaucoup plus transparent, si l'on veut bien prendre la peine d'aller regarder ce qui s'y passe, que beaucoup de gouvernements européens. Si l'on juge une démocratie aussi à sa transparence, l'Union européenne peut donner des leçons aux systèmes démocratiques nationaux. En revanche, on a tenu à ce que les prérogatives de l'Union ne touchent pas à tous les domaines: en matière de politique étrangère, de défense, pour la fiscalité, notamment, les Etats conservent leurs prérogatives et ne font éventuellement que coordonner leurs politiques à l'unanimité. Sur ce plan, on a également innové puisque les Parlements nationaux ont désormais un regard sur la répartition des compétences pour s'assurer que l'Union européenne n'accapare pas de nouvelles compétences sans que personne ne s'en rende compte.

Chat modéré par Constance Baudry et Tupac Pointu
LEMONDE.FR | 29.04.05 | 11h52


Le Monde / Société
Il y a soixante ans, les Françaises votaient pour la première fois

 I l a suffi de quelques mots pour que le suffrage devienne vraiment universel. Près d'un siècle après le suffrage universel masculin, institué en 1848, une ordonnance signée à Alger, le 21 avril 1944, par le général de Gaulle, accordait le droit de vote aux femmes: "Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes". proclamait-elle. Un an plus tard, le 29 avril 1945, les Françaises glissaient pour la première fois de leur histoire un bulletin dans l'urne à l'occasion des élections municipales.

Ce geste en faveur de l'égalité arrivait bien tard: les Néo-Zélandaises votaient depuis 1893, les Australiennes depuis 1902, les Canadiennes depuis 1917. Au lendemain de la Grande Guerre, une vague de réformes avait couronné l'action des "suffragettes" et salué la participation des femmes à l'effort de guerre en leur accordant le droit de vote en Grande-Bretagne, en Pologne, en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Belgique et aux Etats-Unis. Ces pays avaient ensuite été rejoints par le Liban, l'Inde, la Turquie, le Brésil, les Philippines ou la Suisse.

Mais la France, elle, continuait à traîner les pieds. Les réticences étaient anciennes: à la fin du XVIIIe siècle, la Révolution avait refusé le droit de vote aux femmes et leur avait même interdit, en 1795, toute réunion politique et tout rassemblement à plus de cinq dans la rue. "En général, les femmes sont peu capables de conceptions hautes et de méditations sérieuses, affirmait, en 1793, le député Jean-Baptiste Amar. Et si, chez les anciens peuples, leur timidité naturelle et la pudeur ne leur permettaient pas de paraître hors de leur famille, voulez-vous que, dans la République française, on les voie venir au barreau, à la tribune, aux assemblées politiques comme les hommes; abandonnant, et la retenue, source de toutes les vertus de ce sexe, et le soin de leur famille ?"

LES PARTIS RESTENT MASCULINS

En 1848, la France adoptait le suffrage universel, mais elle le réservait aux hommes. Un petit siècle plus tard, la Chambre des députés défendait à plusieurs reprises le suffrage des femmes ­ en 1919, 1925, 1927, 1932 et 1935 ! ­, mais ces propositions étaient toutes mises en échec par le Sénat. Et, en 1936, le Front populaire se contentait d'un geste symbolique: Léon Blum nommait trois femmes sous-secrétaires d'Etat, prouvant que l'on pouvait alors, comme Irène Joliot-Curie, appartenir au gouvernement, être titulaire du prix Nobel... et n'être ni électrice ni éligible.

Soixante ans après le scrutin de 1945, le vote des femmes ne se distingue plus, ou presque, de celui des hommes: aujourd'hui, les taux d'abstention sont proches et l'équilibre droite-gauche est à peu près semblable. Une exception: l'extrême droite. Depuis que Jean-Marie Le Pen est candidat à l'élection présidentielle, le pourcentage d'hommes qui ont voté pour lui a toujours été supérieur d'au moins six points à celui des femmes. Et le 21 avril 2002, si les électrices n'ont pas qualifié le président du Front national pour le second tour, alors que les hommes l'ont placé en tête, devant Jacques Chirac.

Ces réticences sont particulièrement fortes chez les femmes retraitées, veuves et âgées, et chez les femmes jeunes, célibataires, diplômées, salariées du public et parisiennes. Pour décrire ces "deux France de l'anti-lepénisme féminin". la chercheuse Mariette Sineau invoque le catholicisme et le féminisme: "Le catholicisme, en professant des valeurs humanistes et universalistes, s'oppose à l'idéologie xénophobe du Front national" tandis que "le féminisme, entendu comme l'idée d'égalité entre les sexes, s'oppose de façon radicale à l'idéologie sexiste du Front" (Le Nouveau Désordre électoral, les leçons du 21 avril 2002, Presses de Sciences Po, 2004).

Aujourd'hui, le paysage politique est loin d'être égalitaire. "Si le droit de vote est pleinement exercé, l'éligibilité demeure encore, pour une large part, hors de portée". résume Janine Mossuz-Lavau, directeur de recherche au CNRS (Cevipof), dans le Dictionnaire historique de la vie politique française (PUF, 2004).

Instaurée en l'an 2000, la parité a permis de porter au pouvoir une nouvelle génération de femmes dans les élections au scrutin proportionnel de liste ­ les européennes, les régionales, les municipales dans les villes de plus de 3 500habitants ­, mais à l'Assemblée nationale, où la loi prévoit de simples pénalités financières, l'échec est patent: en 2002, la part des fem-mes est passée de 10,9% à 12,3% (Le Monde du 8 mars).

Le déséquilibre est tel que la députée (UMP) de Moselle, Marie-Jo Zimmerman, rapporteure de l'Observatoire de la parité, a déposé, à l'occasion du soixantième anniversaire du vote de 1945, cinq propositions de loi destinées à favoriser la "dynamique paritaire". "En l'absence de dispositions contraignantes, les partis politiques ne font rien pour améliorer la situation, constate-t-elle. Il est donc illusoire de spéculer sur leur bonne volonté pour faire avancer les choses."

Les partis restent encore majoritairement masculins: les femmes représentent 35% des militants à l'UMP, près de 39% au PS. "Ce qui a trait au pouvoir est encore perçu comme naturel pour les hommes, moins pour les femmes, explique Réjane Sénac-Slawinski, déléguée nationale à la parité au PS. Aujourd'hui encore, on accepte que les femmes s'installent dans la sphère publique à condition qu'elles continuent à assumer la sphère privée. Cela constitue un obstacle à l'implication des femmes dans la vie politique."

Même si elles militent, les femmes peinent souvent à accéder aux instances dirigeantes des partis: l'UMP compte seulement 18% de femmes parmi les secrétaires nationaux thématiques et 21% parmi les secrétaires nationaux fonctionnels. "Nous essayons de mettre au point des règles favorisant la parité, explique Bérangère Poletti, députée (UMP) des Ardennes et secrétaire nationale à la place des femmes. Mais il faut une volonté politique forte, car les responsables ne voient pas pourquoi ils devraient céder leur place à des femmes."

Au PS, depuis le congrès de Dijon, les instances dirigeantes doivent comporter au moins 40% de femmes. "Cela a permis de féminiser la direction, constate Barbara Romagnan, membre du bureau national, qui vient de publier Du sexe en politique (Ed. Jean-Claude Gawsewitch, 252 pages, 19,50 euros). Mais les mentalités sont longues à bouger: beaucoup de femmes hésitent encore à prendre la parole en public et beaucoup d'hommes continuent à avoir, parfois sans s'en rendre compte, des réflexes sexistes."

Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Société
"Elles vont voter comme leur mari ou le curé, disait-on à gauche", se souvient Simone, 83 ans

 T outes les trois n'ont jamais été de ferventes féministes, mais elles se souviennent, non sans peine parfois, de ce jour "tant attendu par les femmes et tant redouté par les hommes". où elles mirent pour la première fois un bulletin dans l'urne.

Renée, qui ne souhaite pas donner son nom, avait 25 ans; elle venait de retrouver son mari, qui avait rejoint le général de Gaulle dès 1940 et avait été blessé dans les terribles combats du pont de Remagen, en mars 1945. "Je me revois dans la rue, bien habillée, toute fière d'aller voter, dit-elle. Je pensais que beaucoup de choses allaient changer. Les femmes étaient contentes comme tout parce que ça les valorisait, elles faisaient comme les hommes. Depuis, je n'ai jamais raté un vote !"

L'événement ne fit pas la "une" de La République du Centre ce jour du 29 avril 1945. L'imminence de l'armistice et la probable mort de Hitler à Berlin faisaient les gros titres du quotidien d'Orléans. En page 2, il faut lire attentivement un article consacré aux élections municipales pour découvrir la nouvelle. Les citoyennes qui "pourraient éprouver quelque timidité" trouveront sur place toutes les informations "pour voter tranquillement, sans perdre leur calme". indiquait le rédacteur.

Le journal rendait également compte d'un meeting de la liste unie de la Résistance. "Nous ne voulons nullement supplanter les hommes. Nous ne sommes pas de ces ardentes féministes qui font retomber tout le poids des erreurs passées sur le dos des hommes". lançait avec prudence une candidate de l'Union des femmes françaises, proche du PCF, montée à la tribune. A Orléans, douze femmes figurèrent sur les différentes listes, quatre furent élues.

En France, les femmes remplirent si bien leur devoir ­ beaucoup d'hommes étaient retenus prisonniers ou déportés en Allemagne ­ que l'on vit, paraît-il, des religieuses siéger dans les bureaux de vote.

"Il y avait un scepticisme sur le vote des femmes. Elles vont voter comme leur mari ou le curé, disait-on à gauche". raconte Simone Minet, 83 ans, jeune institutrice dans le Loiret à l'époque, pour qui ce jour fut moins marquant que "celui de l'armistice et de la naissance de sa fille" au même moment. "Avant la guerre, dit-elle, j'étais trop jeune pour penser à l'injustice que cela pouvait représenter de ne pas voter."

"J'AI LOUPÉ CE COMBAT"

Andrée Thomas, 85 ans, issue d'une famille ouvrière de gauche, a voté à La Ferté-Saint-Aubin (Loiret). Mais ce fut pour elle une "déception". car, se souvient-elle en souriant, c'était le "châtelain" qui l'avait emporté. "Les femmes disaient que ce n'était pas leur affaire de faire de la politique. Dans ce débat, je critique les femmes plutôt que les hommes."

Elle se souvient qu'à l'âge de 13 ans ­ en 1933 ­, elle avait demandé à son institutrice pourquoi les femmes ne votaient pas. "La maîtresse m'a répondu que c'était parce qu'elles ne pouvaient pas être soldat. Gamine comme j'étais, je lui ai rétorqué: mais qui le fabrique le soldat ? Cela l'avait un peu époustouflée !"

Juste avant la guerre, le Front populaire n'accorda pas le droit de vote aux femmes, qui était surtout combattu par les radicaux et au Sénat, et il se contenta de nommer trois femmes sous-secrétaires d'Etat. Pour Léon Blum, il était trop tôt. Alors que les femmes votaient déjà en Inde depuis 1921, et en Turquie depuis 1934. "Je suis entièrement pour le vote des femmes, quelles qu'en soient les conséquences politiques. Si elles n'ont pas eu les droits jusqu'ici, ce n'est pas la faute des hommes, c'est la faute des femmes. Elles n'y tien-nent pas". déclarait le leader socialiste.

Avant la guerre, Lucie Aubrac ne fut pas elle-même une militante du suffragisme. "C'est très curieux, j'ai loupé ce combat. J'en suis confuse maintenant, a expliqué avec sincérité l'ancienne résistante à Elisabeth Guigou dans l'ouvrage de celle-ci, Etre femme en politique (Plon, 1997). Je trouvais un peu ridicules Louise Weiss et ces jeunes femmes élégantes qui se faisaient enchaîner aux grilles du Sénat. Pour moi, c'était un combat de bourgeoises. En 1936, j'ai fait à vélo la campagne de Jean Zay dans l'Orléanais, sans me rendre compte que je n'allais pas voter. En avril 1945, il n'y avait plus eu d'élection depuis 1938. Sept ans après, ces élections étaient pour les jeunes hommes aussi étonnantes que pour les femmes. Je participais aux luttes antifascistes, j'ai créé un réseau de résistance, je me suis toujours sentie citoyenne, même en ne votant pas."

Régis Guyotat
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Société
Mariette Sineau, directrice de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po
"Le 21 avril 2002, les femmes n'ont pas qualifié M. Le Pen. Les hommes l'ont mis au premier rang"

Pourquoi la France a-t-elle été en avance pour instituer le suffrage universel masculin, en 1848, et en retard pour reconnaître le vote des femmes, en 1944 ?
Des raisons historiques longues éclairent ce paradoxe: sous la monarchie absolue, la loi salique, qui écarte les femmes du trône, a été exhumée, et l'un des premiers actes des révolutionnaires, en 1789, a été de publier un décret maintenant cette tradition. Si la Révolution a admis les femmes dans lacitoyenneté civile (instituant le divorce par consentement mutuel), elle leur a refusé la citoyenneté politique. Cela a légitimé pour longtemps, dans la conscience des républicains, l'incompétence des femmes dans la sphère politique.

Comment a évolué le vote des femmes depuis 1945 ?
En France, comme dans la plupart des pays européens, le gender gap ­ - les divergences politiques selon le genre - ­ a connu trois phases.
Dans un premier temps, les femmes étaient plus nombreuses parmi les abstentionnistes et, quand elles votaient, privilégiaient les partis conservateurs et confessionnels. Sous la IVe République, elles ont manifesté leur préférence pour le Mouvement républicain populaire (MRP) et boudé le Parti communiste. Sous la Ve République, elles ont épousé le camp gaulliste et voté massivement pour le général de Gaulle, en 1965. Au contraire, François Mitterrand était majoritaire chez les hommes: sans le vote des femmes, il serait devenu le premier président de la Ve élu au suffrage universel.
Au début des années 1980 a commencé une deuxième phase, celle du "réalignement": le taux d'abstention des femmes a reculé et leur vote s'est rapproché de celui des hommes, au terme d'un long mouvement de bascule vers la gauche. Aux élections législatives de 1981, pour la première fois de l'histoire, une majorité absolue de Françaises ont voté à gauche. Puis, lors de la présidentielle de 1988, François Mitterrand a même été réélu avec un surplus de voix féminines.
Aujourd'hui, nous sommes entrés dans le troisième âge du gender gap: les divergences ne portent plus sur l'orientation gauche/droite, mais sur l'extrême droite. Il en va ainsi dans tous les pays européens qui ont connu une poussée de ces partis. En France, ce clivage a pris un tour spectaculaire lors de l'élection présidentielle de 2002: le 21 avril, les femmes n'ont pas qualifié Jean-Marie Le Pen pour le second tour, alors que les hommes l'ont mis au premier rang des candidats.

Comment expliquer cette évolution du comportement électoral des femmes ?
Tout d'abord, des raisons structurelles ont inclus les femmes dans la gauche sociologique. Au cours des "trente glorieuses" , elles ont largement bénéficié de la démocratisation de l'enseignement secondaire et supérieur ­ dès 1967, les filles étaient majoritaires parmi les bacheliers ­ et sont entrées en masse dans la vie active salariée, notamment dans le secteur tertiaire. Là où elles étaient artisanes ou exploitantes agricoles, elles sont devenues institutrices, employées ou professeurs du secondaire, toutes catégories qui votent à gauche.
Les changements culturels et idéologiques advenus dans l'Europe de l'après-guerre sont aussi à prendre en compte. Déclin de la pratique et des valeurs catholiques d'un côté, montée des valeurs féministes de l'autre, ont été au principe du changement de cap des électrices. Les mouvements de femmes des années 1970, qui ont revendiqué de nouveaux droits reproductifs et une autre division sexuelle des tâches, ont socialisé toute une génération, celle du baby-boom, au refus d'un certain ordre patriarcal. Ordre dont le Front national voudrait la restauration et auquel les femmes disent non.

Quelles sont les inégalités hommes-femmes qui subsistent dans le système politique français ?
Si, depuis 1944, les Françaises sont éligibles à toutes les élections, ce droit est longtemps resté formel. Ainsi, durant les vingt premières années de la Ve République, elles n'ont jamais été plus de 2% à siéger parmi les députés ! La loi sur la parité, votée en 2000 sous le gouvernement de Lionel Jospin, a permis de faire élire des femmes dans les assemblées élues au scrutin de liste, en particulier dans les conseils régionaux et municipaux. Mais elle s'est révélée inopérante pour le scrutin uninominal des législatives, le plus discriminant pour les femmes, et pour lequel elle ne prévoit qu'une parité incitative. A l'Assemblée nationale, symbole républicain par excellence, près de 88% des représentants sont des hommes !
La responsabilité en incombe aux partis, qui, en sélectionnant leurs candidats, filtrent l'accès à la représentation. Or, en France, ces partis s'apparentent plus à des petits clubs d'élus, fermés sur eux-mêmes, qu'à des partis de militants. Aujourd'hui, plus que jamais, ils peinent à s'ouvrir aux forces vives de la société, à la différence de ce qui se passe en Scandinavie ou en Allemagne, par exemple, qui connaissent des partis de masse plus ouverts aux femmes comme aux jeunes.


Mariette Sineau a publié Profession: femme politique (Presses de Sciences Po, 2001, 305 pages, 25 euros).

Propos recueillis par Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Société
Procès des marchés publics: M. Giraud se dit victime du duel Chirac-Balladur

 M ichel Giraud, 75 ans, a disposé quelques feuilles surlignées devant lui, et plaqué ses deux larges mains de part et d'autre du pupitre, dans une de ces attitudes familières que trente-cinq années de tréteaux ont façonnée. "Monsieur le Président, Mesdâââmes." Il ne comparaît pas, il discourt.

Pendant près de cinq heures, mercredi 27 avril, l'ancien président du conseil régional s'est défendu contre les accusations de favoritisme et de complicité de corruption active et passive dans le dossier des marchés publics d'Ile-de-France, pour lesquelles il encourt dix années d'emprisonnement. Il a préparé ce moment, assistant depuis l'ouverture du procès à chaque journée d'audience.

Le voilà donc qui sème ses petits cailloux. Un rappel, d'abord, des conditions dans lesquelles il a été élu président de l'exécutif régional en 1992, après s'être opposé pendant la campagne au secrétaire général du RPR, Alain Juppé, qui avait eu des visées sur ce poste avant d'y renoncer.

Une évocation, ensuite, de sa "surprise" devant la concurrence acharnée entre les élus des Hauts-de-Seine ­ fief de Charles Pasqua ­ et ceux de Paris ­ dont Jacques Chirac était le maire ­ pour obtenir la présidence de la très stratégique commission de l'administration générale dont dépendait, alors, la commission d'appel d'offres. Chacun a compris où il veut en venir, mais il retarde le moment d'y arriver et, surtout, insiste sur les mesures qu'il a prises pour tenter de remettre de l'ordre dans le fonctionnement de cette commission. "En tant que président, je peux faire le maximum pour la rigueur et la transparence, je ne peux pas gérer ce qui est extérieur et antérieur". dit-il.

Le président du tribunal, Jean-Louis Kantor, en vient à l'épineuse question de ses relations avec Claude-Annick Tissot, la présidente de la commission d'appel d'offres dont la démission, en 1996, et la dénonciation publique des graves irrégularités dont elle avait été le témoin ont précipité l'ouverture de l'information judiciaire.

Il est question d'une scène assez violente, en mars 1995, au cours de laquelle M. Giraud avait convoqué Mme Tissot ­ qui s'était opposée à certaines procédures suspectes dans le choix des entreprises ­ pour lui intimer l'ordre de "choisir qui on [lui] dira de retenir et de faire ce qu'on -lui- dira de faire".

"PAS PENSABLE !"

L'ancien président du conseil régional jette un petit caillou. "C'est vrai qu'à ce moment-là, mes relations avec Mme Tissot ne sont pas bonnes. Entre janvier et mars 1995, il se passe un certain nombre de choses, monsieur le Président..." Le président ne relève pas. "Ce n'est pas moi qui ai allumé le feu avec Mme Tissot. A partir de 1995, on a dépassé le stade des désaccords techniques et on est entré dans un climat passionnel. La calomnie, les mensonges ont commencé à circuler sur moi. J'ai beaucoup souffert dans les années 1995, 1996 et 1997." Il glisse: "Peut-être que les événements nationaux de 1995 y ont été pour quelque chose..."

Jean-Louis Kantor saisit la perche tendue: "Ce qui est sous-jacent dans tout cela, ce sont des choix politiques. Vous, en 1995, vous avez pris l'option Balladur [lors de l'élection présidentielle].

- ­ Oui, j'ai perdu et je ne regrette rien. Mais en 1995, ce qui s'est passé, c'est une véritable mise à mort politique !­

- Il a été dit que Mme Tissot avait été envoyée par... l'autre candidat.­

- Je n'en sais rien­

- Pensez-vous qu'elle a pu avoir des motivations politiques ?

- ­ Je ne souhaite pas en dire plus". répond le prévenu.

On en vient à un autre point sensible pour la défense de M. Giraud: ses multiples contacts avec l'intermédiaire, Jean-Claude Méry, attestés par des agendas, et les accusations que celui-ci a portées contre le président de la région dans sa fameuse cassette, où il évoque, entre autres, une somme de 3 millions de francs en espèces qui lui aurait été remise.

"Alors, là, pardon, mais ce n'est tout simplement pas pensable ! Est-ce que je peux vous rappeler la date d'enregistrement de la cassette Méry ? C'est 1996. Je n'ai pas d'autre commentaire à faire, s'exclame-t-il.­

- Ah, si, s'agace le président, il faudrait en dire un peu plus­

- J'ai du mal. Disons que M. Méry, à ce moment-là, a pu être inspiré par son environnement". répond M. Giraud, soucieux de ne pas envoyer ses cailloux trop loin, ou trop haut.

Pascale Robert-Diard
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Société
Stéphane Rozès, sondeur des fractures

 P our justifier ses réticences à se voir portraituré dans les colonnes du Monde, Stéphane Rozès se réfugie derrière ce qu'il décrit comme sa propre "schizophrénie". Un rien flatté néanmoins, comme il le reconnaît volontiers, d'être pour une fois un sujet d'observation, le directeur de CSA-Opinions, qui se sait bavard, s'inquiète. Que retiendra-t-on de son flot de paroles, qui pourrait nuire à l'une ou l'autre de ses "casquettes" ? Son passé militant, ou la neutralité qu'impose l'exercice de sa profession ? Ses amitiés avec les élites, ou ses considérations sur "le peuple" ? Ses analyses publiques des mouvements d'opinion, ou les conseils qu'il dispense en privé à ceux qui cherchent à les anticiper ?

Rendez-vous est fixé "au premier étage du Flore". pour "faire connaissance". Certaines préventions étant tombées, un autre suivra, au rez-de-jardin d'une résidence de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), où habite Stéphane Rozès. A peine a-t-on franchi le pas de cette porte, début avril, que le politologue brandit deux feuillets de courbes et de chiffres. "Dépêchez-vous si vous voulez me présenter comme le premier qui a donné le non en tête, car le oui pourrait bien remonter". prévient-il.

Son fait d'armes remonte au 18 mars. Ce jour-là, Le Parisien barre sa "une" d'un "NON ?" en lettres rouges. En pages intérieures figurent les résultats du premier sondage accordant une ­ courte ­ majorité au non (51% contre 49%). En dépit de la traditionnelle marge d'erreur et, surtout, de la forte proportion d'indécis, sa publication déclenche une déferlante politique et médiatique. Les chiffres de CSA sont observés avec circonspection par les partisans du oui. Mais, dans les semaines qui suivent, tous les instituts confirment ­ ou amplifient ­ la tendance. Le 21 avril est publié le vingtième sondage consécutif donnant le non gagnant. Réalisée par CSA, cette enquête est également la première à montrer une baisse nette (quatre points) des intentions de vote contre la Constitution européenne. De quoi alimenter les soupçons des autres sondeurs, qui ironisent volontiers sur le sens aigu du marketing dont ferait preuve Stéphane Rozès...

Aux yeux de l'intéressé, le coup d'éclat du 18 mars est à la mesure de quelques glorieux précédents. Comme en février 1995, lorsque son institut enregistra le croisement des courbes d'intentions de vote Chirac-Balladur. "Chirac dépassant Balladur ? Les élites, qui sont mes clients, jugèrent cela baroque. Le client est roi, mais mon seul maître est l'opinion". assène Stéphane Rozès. Sur elle, il est intarissable. Le débit des mots s'accentue, avec la musique de Bach ­ l'une de ses passions ­ en fond sonore.

Le sondeur, qui enseigne à Sciences Po depuis une douzaine d'années, est moins disert sur son propre parcours. Des éléments épars finissent par apparaître, au hasard de brèves incidentes. Un milieu familial "plutôt bourgeois". des études au collège Stanislas, à Paris, puis dans une institution religieuse de Fontainebleau, dirigée par des jésuites; le militantisme "à l'extrême gauche [a Ligue communiste révolutionnaire] du milieu des années 1970 au début des années 1980, puis à gauche -au Mouvement des citoyens de Jean- Pierre Chevènement- jusqu'au milieu des années 1990". Une première passerelle est jetée des jésuites au trotskisme: "Je voulais réenchanter le monde."

Faut-il davantage de liant ? Bach, toujours lui, est appelé à la rescousse. "C'est le "Clavier bien tempéré", explique Stéphane Rozès. Le prélude, c'est la spontanéité que l'on canalise. Avec la fugue, on part de ce qui est canalisé pour le faire rayonner." La fugue, poursuit-il, fut le mouvement de sa jeunesse, marquée par des "concepts" qu'il lui fallut ensuite "oublier pour aller au réel" et se fondre dans l'empirisme: l'art du prélude.

Stéphane Rozès ne renie rien. Le suicide de son père lui apprit, très jeune, à "être -son- propre tribunal personnel". "Ma formation militante, indique-t-il, m'a permis de ne pas être comme une plume dans le caniveau." Bien arrimé, mieux vaut l'être lorsqu'on travaille "en même temps avec un ministre et la direction de la CGT". "Je converse aussi bien avec François Ewald [président du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique ­ Fondapol ­, proche de l'UMP] qu'avec Jean-Christophe Le Duigou [secrétaire confédéral de la CGT]". assure Stéphane Rozès.

Il a le tutoiement facile, l'emploie aussi bien "avec Philippe de Villiers qu'avec Marie-George Buffet". Ses liens avec Jean-Pierre Chevènement n'ont-ils pas contribué à ce que son institut en fasse un possible "troisième homme" avant la présidentielle de 2002 ? "Ceux qui le laissent entendre sont des médiocres, réplique- t-il, cela m'indiffère."

Pour celui qui fut marqué à gauche, l'éclectisme politique est, de fait, un sésame indispensable. "Je travaille pour des candidats différents ­ à l'exception de l'extrême droite ­ lors d'une même campagne". insiste Stéphane Rozès, qui se dit "aussi à l'aise à l'Elysée que place du Colonel-Fabien". Jean-Pierre Chevènement, bien sûr, mais aussi Claude Chirac, Robert Hue et François Bayrou lui témoignèrent leur solidarité lorsqu'il lutta contre un cancer tenace.

Son métier lui impose d'entretenir des relations équidistantes avec ses clients. Il lui faut aussi tenir le secret tout en répondant aux nombreuses sollicitations des médias. "Trois mois avant la date [le 21 avril 1997], j'ai su qu'il y aurait une dissolution. Interrogé à ce sujet par la presse, j'ai répondu en élaborant des scénarios". raconte-t-il. "C'est très simple. C'est une question d'ascèse". ajoute Stéphane Rozès.

Les points de repère n'étant pas légion dans sa vie professionnelle, il se dit "homme de rites" dans sa vie privée, "fidèle aux lieux, à Bach". ainsi qu'à son "footing du dimanche matin". Est-ce suffisant ? "Si j'avais le temps, je ferais des retraites de deux ou trois jours chez les bénédictins."

Tant qu'à vivre dans la schizophrénie, le politologue s'est pris de passion pour une "ligne de fracture". Celle qui, dit-il, sépare "le peuple" des "élites". Il lui a consacré un long article, intitulé "Aux origines de la crise politique". dans la revue Le Débat (mars-avril). "Le désamour entre nos concitoyens et les élus est le problème premier de la période". écrit Stéphane Rozès. Qui, fort de son expérience personnelle, cherche à rapprocher ces présumés contraires.

Jean-Baptiste de Montvalon
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Tous Européens

 D ans un mois, les Français auront dit oui ou non au traité constitutionnel de l'Union européenne qui leur est soumis. Avec et après la France, une dizaine d'autres pays membres de cette Union seront appelés à se prononcer par référendum, les autres, par tradition ou par prudence, laissant à leurs Parlements la charge de la ratification.

En France, l'élémentaire prudence parlementaire, née de la méfiance que tout républicain devrait nourrir à l'endroit du référendum, si souvent transformé en plébiscite ­ pour ou contre un homme ­, a été écartée au profit du risque maximum: celui de la simplification, alors qu'il s'agit de se prononcer sur un édifice complexe et qui, par nature, résulte d'un compromis.

C'est aussi le risque de la réponse donnée à une question qui n'est pas posée, à savoir la confiance au président et à son gouvernement, la mesure du mécontentement qu'il suscite.

A quelque chose malheur est bon: appelés à trancher, les Français exercent un droit, celui de choisir. Ils débattent de sujets qui semblaient jusqu'alors être le domaine réservé de ces "bureaux de Bruxelles" un temps dénoncés par le premier ministre. Et, finalement, l'intensité et l'âpreté de ce débat permet de prendre la mesure de l'enjeu, du cap symbolique et politique que le pays décidera de franchir ou de ne pas franchir.

Le débat en lui-même constitue une étape car, exception faite des extrêmes, les partisans du non eux-mêmes se réclament de l'Europe, d'une autre Europe ou d'une meilleure Europe au sens de leurs intérêts ou de leur idéologie. De fait, une majorité de celles et ceux qui vont voter sont nés, dans l'Union, après l'acte de naissance de celle-ci, à Rome, en 1957. Ils n'ont connu que les progrès de la construction européenne et ils vivent avec ses acquis. Ils n'ont eu vent des désordres qu'elle a contribué à faire reculer ­ la guerre, la pauvreté, les dictatures ­ qu'à travers les manuels d'histoire.

Il est donc tentant de penser que la paix, la prospérité, la démocratie peuvent désormais progresser autrement. En ce sens, nous sommes tous devenus Européens. Simplement, pour être sûrs de le rester, mieux vaut, à tout prendre, voter oui au texte tenant lieu de Constitution pour l'Europe. Car cette Constitution ouvre des portes. Elle est le point de passage vers une construction politique qui nous fait défaut, le moyen de franchir une étape supplémentaire sur un chemin long et inédit, qu'il faut poursuivre.

L'Histoire n'attend pas. Dans les négociations internationales de demain, quand il s'agira d'ériger quelques normes universelles ­ sur le commerce, la culture, l'environnement, l'énergie, l'immigration, par exemple ­, mais aussi de traiter à l'ONU de la guerre et de la paix, il y aura trois ou quatre poids lourds autour de la table: les Etats-Unis et peut-être l'ensemble latino-américain, la Chine, l'Inde; l'Europe si elle le décide. Si elle le veut bien.

Là est l'enjeu principal du projet soumis au vote de ratification des Français. Le traité dote l'Europe d'une personnalité politique et morale sur la scène internationale; il assure la représentation politique d'une population de 450 millions de personnes; il donne aux pays européens une masse critique organisée.

On peut juger que cette réorganisation des institutions européennes ne va pas encore assez loin, qu'elle est le reflet de l'euro-scepticisme de nos dirigeants, qu'elle fait la part trop belle aux gouvernements aux dépens d'un projet plus fédéral, qu'elle renonce ainsi à créer de véritables Etats-Unis d'Europe. On peut penser qu'il était inutile ou politiquement maladroit de regrouper dans un seul et même texte les trois éléments qui constituent le traité: l'organisation et le fonctionnement des nouvelles institutions de l'Union européenne; la Charte des droits fondamentaux de l'Union; la reproduction de tous les accords existants qui régissent déjà l'Europe unie. On peut estimer critiquable l'emploi du terme Constitution pour ce qui reste un traité conclu entre Etats indépendants, qui mettent volontairement en commun certains des attributs de la souveraineté. Mais le fait est là: ratifié, le traité permettra à l'Europe d'exister politiquement quand elle n'était jusqu'à présent qu'un géant économique, commercial et monétaire.

À LA TABLE DES GRANDS

L'Europe avait une adresse, une enseigne commerciale. Elargie à 25, puis à 30, si elle devait rester en l'état, cette Europe a toute chance d'être ingouvernable, de revenir à la case "zone de libre échange" et d'être l'Europe-passoire que le nationalisme ambiant appelle de ses voeux. Le choix est donc uniquement celui-ci: la ratification d'un projet qui autorise un début d'existence politique de l'Europe, ou un statu quo qui nous prive de cette fonction politique.

A Washington, New Delhi et Pékin, on attend une réponse à la question suivante: y aura-t-il demain un Européen à la table des Grands ? Dans le système actuel, un pays assume pour six mois une sorte de secrétariat général des affaires européennes. Le projet de traité confie au Conseil européen (qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres) le soin d'élire un président pour deux ans et demi (renouvelables une fois). Il ou elle n'est, certes, que le président du Conseil européen et, à ce titre, dirige le travail de secrétariat général qui était celui de l'ancienne présidence tournante de l'Union. Mais la dimension emblématique, symbolique, politique change.

Et ce tournant est confirmé par l'autre nomination à laquelle procédera le Conseil européen: un ministre des affaires étrangères de l'Union (qui sera aussi le vice-président de la Commission). Avec le traité constitutionnel, l'Europe acquiert une présence internationale.

Le traité a d'autres qualités. Il assure un fonctionnement de l'Europe qui est à la fois plus social, plus démocratique et plus favorable à la France.

Plus social: d'une part, il reconnaît expressément que des missions de service public échappent au domaine concurrentiel; d'autre part, la Charte des droits fondamentaux, document imprégné de l'esprit de l'économie sociale de marché, peut être invoquée devant la Cour de justice par tout citoyen d'un pays membre qui estimerait qu'une directive de Bruxelles lui est contraire. C'est une garantie qui n'a sans doute pas échappé à la Confédération syndicale européenne qui ­ à l'instar d'absolument tous les partis socialistes de l'Union ­ affirme son soutien résolu au traité.

Il organise un fonctionnement plus démocratique de l'Union: renforcement des pouvoirs du Parlement européen au niveau législatif (extension du nombre de sujets qui relèvent d'une codécision Parlement-Conseil) et politique (il élit à la majorité simple le président de la Commission, sur proposition du Conseil, lequel doit prendre en compte le résultat des élections européennes). C'est une architecture prudente, peut-être trop prudente, mais la vie de cette machinerie complexe sera plus démocratique.

La France y gagne. Cette conception de l'Europe, où le débat essentiel continue de se dérouler entre les Etats membres, est la sienne. En outre, le projet de traité accroît son poids au sein du Conseil européen, où elle disposerait, demain, de 13,4% des droits de vote, contre 9% dans le cadre actuel du traité de Nice. C'est encore plus vrai du couple franco-allemand, moteur historique de la construction européenne, dont les droits de vote passeraient de 18% à 31,4%.

MAUVAISE ADRESSE

Mais le scrutin ne se décidera pas sur la seule valeur du nouveau traité. L'irritabilité du corps social trouvera ­ a déjà trouvé selon les sondages d'opinion ­ un débouché dans les urnes. Elle est la marque d'une défiance à l'égard d'un pouvoir qui n'a pas entendu le message électoral du printemps 2004, certes; mais elle est aussi une défiance à l'égard d'une Europe soupçonnée de faire obstacle au modèle français, voire de le défaire.

Il est vrai que, depuis plus de quarante ans, la construction européenne a été un formidable levier de transformation de nos pays. La peur existe de voir celle-ci désormais conduire à l'effacement progressif de l'Etat et des politiques nationales qu'il continue d'incarner, peur liée au fait que le modèle étatique ancien n'a pas disparu, tandis que les contours de l'Etat moderne restent flous.

Tentés par le non, nombre de Français veulent aussi faire entendre une vraie souffrance sociale, leurs protestations devant cet aspect tristement essentiel du modèle social français, le chômage de masse. Il serait faux de leur dire que l'intégration européenne est un remède à tous nos maux. Elle ne l'est pas. Ces électeurs tentés par le non se trompent d'adresse: le chômage est un problème français.

Mais c'est bien dans le cadre de l'Europe qu'il faudra organiser et réguler des flux migratoires, commerciaux et monétaires qui n'en existeraient pas moins sans elle, mais dont l'existence "sauvage" serait dévastatrice. Ce n'est pas une contrainte. Cela peut rester une chance et une ambition, à la condition que le oui l'emporte.

Jean-Marie Colombani
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Mon cher Lionel...

 U u n'es pas un ami pour moi seulement, mais aussi pour de nombreux militants socialistes, et peut-être parce que, parmi toutes tes qualités ­ et tes défauts ­, il y en a une que l'on apprécie par-dessus tout: la franchise !

Alors, parce que tu as jugé nécessaire de t'exprimer franchement et publiquement, j'ai décidé de faire de même.

Comment peux-tu nous demander de respecter le vote du référendum interne du PS alors même que les dirigeants du parti et partisans du oui ont foulé aux pieds leurs propres engagements en"oubliant" les sept exigences pour une Constitution démocratique et sociale telle qu'elles avaient été adoptées lors du conseil national du 10 octobre 2004. Je te les rappelle:

- ­ une base juridique claire pour la protection et le développement des services publics doit être posée;

- ­ des mesures d'harmonisation de la fiscalité doivent pouvoir être adoptées à la majorité qualifiée. Ce doit être aussi le cas en matière sociale. Les critères de l'emploi et de la croissance seront introduits pour guider les interventions de la Commission et de la Banque centrale européenne. L'Europe doit être dotée d'un gouvernement économique, disposant d'un budget suffisant et d'un impôt, pouvant recourir à l'emprunt pour financer des grands travaux...;

- ­ la majorité qualifiée doit aussi devenir la règle pour la politique extérieure et de sécurité commune, l'unanimité étant l'exception;

- ­ la diversité culturelle doit être garantie. Nous souhaitons que la Constitution renforce les valeurs de la démocratie européenne et qu'elles permettent l'évolution des institutions;

- ­ le caractère laïque de la construction européenne est un principe à nos yeux fondateur;

- ­ les mécanismes de coopérations renforcée entre les Etats membres doivent être assouplis;

- ­ les révisions futures de la Constitution doivent pouvoir être adoptées, si possible par référendum européen organisé le même jour dans toute l'Union, à la majorité qualifiée de la population et des Etats.

Comment peux-tu nous demander de ne pas obéir aujourd'hui à une clause de conscience alors même que la démocratie a été bafouée par nos amis communs ? Comment peux-tu nous demander de cesser notre campagne alors que nous sommes engagés depuis des mois ­ sous des formes variées mais poursuivant le même but ­ pour une Europe conforme aux valeurs collectives du Parti socialiste et, partant, contre un texte qui transformerait "une économie de marché en société de marché" ?

Et comment peux-tu apporter ton appui à des camarades qui non seulement, on l'a vu, ne respectent pas les textes qu'ils ont votés, mais tentent en plus de faire croire aux militants et aux électeurs que la directive sur les services n'a rien à voir avec le projet de Constitution, alors même qu'elle n'en est que le bébé arrivé avant terme ?

A l'évidence, tu te trompes d'interlocuteurs mais aussi de combat ! De combat, quand tu laisses entendre que la politique du gouvernement actuel n'a rien à voir avec la conception même du projet de Constitution, alors qu'il vient de remettre en cause les 35 heures, tandis qu'une loi européenne en préparation fixe la durée maximale du travail à 65 heures, et que le texte en débat transforme un outil de l'économie de marché - ­ "la concurrence libre et non faussée" ­ - en objectif fondamental de l'Union ? Peux-tu vraiment douter de notre volonté européenne alors que nous avons accepté tous les traités passés, et, lorsque quelques-uns d'entre nous les critiquaient, c'était par souci de parvenir à une Europe plus sociale et plus rapidement que l'on ne nous le proposait ?

Penses-tu réellement que nous sommes rattrapés par le souverainisme ou le nationalisme alors que nous t'avons soutenu quasiment à l'unanimité lors de l'adoption du traité d'Amsterdam ­ - qui pourtant ne comportait pas les réponses positives aux quatre conditions que tu avais toi-même posées quelques mois auparavant ? Nous pensions alors collectivement qu'il serait malvenu en début de mandature d'ouvrir une crise avec le président de la République, que les occasions ne manqueraient pas pour donner à l'Europe des outils permettant de s'opposer au libéralisme et de la doter de normes sociales et fiscales favorables à l'emploi pour l'ensemble des travailleurs européens.

Comment peux-tu concevoir qu'après avoir accepté le traité de Maastricht ­ - traité dont tu reconnaissais toi-même à l'époque combien il était boiteux ­-, le problématique traité d'Amsterdam pour les raisons évoquées ci-dessus, l'ébouriffant traité de Nice pour accueillir dans un élargissement sans principes dix nouveaux pays, il nous faudrait à présent capituler devant ce qui ne serait plus un traité s'il était ratifié par tous les peuples mais une Constitution construite pour soumettre les citoyens au libéralisme ?

Car ne t'a pas échappé, je présume, l'énorme différence qu'il y a entre un traité thématique et une Constitution généraliste ? Comme ne t'a pas échappé non plus le fait qu'aucun partisan du oui n'est capable de justifier la raison pour laquelle le projet de Constitution reprend dans sa troisième partie les traités antérieurs, alors même que ces derniers restent toujours en vigueur en tant que traités ?

On ne nous convaincra pas, et l'électorat de gauche non plus, que si les traités antérieurs ont été repris dans la troisième partie ­ et de loin la plus longue ­ du projet de Constitution, c'est, comme le dit Jacques Julliard, parce qu'"on a voulu intéresser la partie, comme à la belote" !

Alors de grâce, Lionel, reprends-toi ! Et si tu veux, comme je le pense sincèrement, servir l'Europe, demande le retrait de la troisième partie du projet de Constitution. Et si nous y parvenons collectivement, nous aurons fait un grand pas vers la construction de l'Europe !

Avec franchise et amitié.


Vincent Assante est membre du conseil national du PS.

par Vincent Assante
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Chronique
Les lendemains incertains d'un référendum perdu

 E t si les Français disaient non, le 29 mai, à la Constitution européenne ? La question commence à agiter les chancelleries, même si elles se défendent d'y réfléchir sérieusement pour ne pas donner l'impression qu'elles jugent la partie perdue. Des hypothèses s'esquissent, des conjectures se forment. On se demande ce que feront les autres pays en cas d'échec du référendum en France, on s'interroge sur l'avenir du projet de Constitution, on s'inquiète de l'avenir même de l'Union. Pour le moment, on se contente de spéculer, mais il faudra bien se préparer à répondre à l'événement.

Première incertitude: un seul non suffisant à bloquer l'application du texte, la procédure de ratification sera-t-elle aussitôt interrompue dans les autres pays ? A quoi bon voter, disent les partisans de l'interruption, puisque, de toute façon, le projet ne pourra pas entrer en vigueur à cause de l'opposition française ? Des propos ambigus de Tony Blair ont ainsi accrédité l'idée que la Grande-Bretagne pourrait renoncer à organiser une consultation sur un traité condamné à demeurer virtuel. Les pays qui redoutent une réponse négative ne seraient pas mécontents de laisser la France porter seule la responsabilité d'un échec.

A l'inverse, ceux qui veulent que la procédure continue, même après un refus français, font valoir que chaque Etat doit se prononcer, par la voie référendaire ou par la voie parlementaire, avant que les Vingt-Cinq se réunissent pour examiner la situation et fixer la marche à suivre.

En adoptant le projet en 2004, rappellent-ils, les gouvernements ont prévu de convoquer un Conseil européen extraordinaire si dans les deux ans la ratification n'était pas unanime. Ils ont donc implicitement choisi d'aller jusqu'au terme de la procédure. Cette éventualité paraît la plus probable: aussitôt après le vote du 29 mai, les Néerlandais, le 1er juin, puis les Luxembourgeois, le 10 juillet, prendront le relais des Français.

La deuxième incertitude concerne le sort du projet de Constitution. Il sera certes mort-né sous sa forme actuelle, faute d'accord entre les Vingt-Cinq, mais n'est-il pas envisageable soit de rouvrir une négociation pour obtenir un texte meilleur, soit au moins de s'entendre pour mettre en application les dispositions les plus consensuelles ? C'est ce que soutiennent les partisans du non. Selon eux, l'Europe ne sera pas contrainte d'en rester au traité de Nice si le traité constitutionnel est rejeté: les Vingt-Cinq remettront le texte en chantier en tenant compte des positions françaises ou, à défaut, proposeront, comme l'a dit l'eurodéputé socialiste Henri Weber, proche de Laurent Fabius, un projet allégé, "recentré sur les institutions, les valeurs et les droits".

Cette analyse ne semble guère crédible. On imagine mal l'Union européenne recommencer de zéro une discussion qui l'a occupée pendant plus de deux ans et qui a permis aux représentants des gouvernements, des Parlements nationaux, du Parlement européen, de la Commission, dans leur diversité politique, d'échanger longuement leurs arguments. On imagine encore moins bien qu'elle puisse donner satisfaction à ceux qui demandent davantage d'Europe sociale, alors même qu'une partie de ses membres ont accepté à contre-cœur les quelques avancées de la Constitution.

On ne voit pas bien non plus comment les Vingt-Cinq pourraient choisir de conserver certaines parties du traité, jugées acceptables par tous, en renonçant à celles qui suscitent l'opposition des citoyens. D'abord parce que même les dispositions les moins contestées, comme la nomination d'un ministre des affaires étrangères, ont été le résultat de laborieux compromis. Ensuite parce qu'il faudrait, pour les appliquer, modifier le traité de Nice et faire ratifier ces modifications par chaque Etat.

Le gouvernement français procédera-t-il encore par référendum ? Non, car il s'exposerait à une nouvelle défaite. Mais s'il passe par le Parlement, ne sera-t-il pas accusé de chercher à contourner le vote populaire ? Il faut se rendre à l'évidence: si la France dit non, la Constitution sera bel et bien précipitée dans les oubliettes de l'Histoire.

L'Union continuera donc d'être régie par le traité de Nice. Faut-il s'en alarmer ? Oui et non. Non si l'on s'en tient aux aspects juridiques. L'Europe ne cessera pas d'exister, elle fonctionnera tant bien que mal, comme aujourd'hui, selon les mêmes règles et les mêmes procédures, qui rendent à vingt-cinq sa gestion difficile mais non pas impossible. En revanche, si l'on considère les effets politiques, les dégâts seront lourds. L'Union se porte plutôt mal, faute d'une véritable volonté européenne dans la plupart des Etats membres. Un vote négatif accélérerait son délitement. C'est bien l'objectif de ceux qui ne veulent pas de cette Europe-là.

Les partisans de la Constitution n'ont pas tort de s'inquiéter de ce qui se passera en cas de victoire du non. Mais, comme l'a dit avec lucidité le comédien Francis Huster, invité sur France 2 du magazine télévisé"Face à l'image", ils seraient plus convaincants s'ils expliquaient aussi ce qui se passera en cas de victoire du oui, c'est-à-dire ce qui changera en Europe quand la nouvelle Constitution entrera en vigueur.

Thomas Ferenczi
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Éditorial du Monde 2
"Au vif": l'affaire Vinaver

 À  quoi ça sert, le théâtre ? A remuer nos idées. Pas à nous asséner les idées de l'auteur, mais à déplacer les nôtres, à les mettre en mouvement, au risque du déséquilibre. La réponse a été donnée par celui que l'on considère, ici, comme un maître, l'un de nos plus grands auteurs de théâtre contemporains, Michel Vinaver. C'était en 1982, à Paris, au Théâtre national de Chaillot, lors d'un colloque sur "Théâtre et démocratie". "Il est vain d'appeler à l'existence un théâtre des idées, déclarait-il. Il est vain d'encourager les écrivains dans ce sens. Il en va des idées comme de la beauté. Il ne faut pas s'y efforcer. Si ça vient, c'est par-dessus le marché. Et si le théâtre des idées était un théâtre qui remue les idées du spectateur ? Qui ne laisse pas en place nos idées, qui les met en branle ?" (Ecrits sur le théâtre 2, L'Arche, 1998).

"11 SEPTEMBER 2001"

Depuis un demi-siècle et sa première pièce, Les Coréens (1955), le théâtre de Vinaver est fidèle à ce projet dont Roland Barthes fut le premier à saluer la radicale nouveauté. A rebours d'un théâtre militant ou édifiant, les textes de Vinaver affrontent le réel, sa trivialité et son opacité. Vinaver, écrivait Barthes en 1956, échappe au dilemme qui voudrait que l'on ne produise que "des œuvres bénisseuses ou révoltées, comme s'il n'y avait pas d'autre issue esthétique aux malheurs humains que l'Ordre ou la Protestation". "Aussi éloigné du prêchi- prêcha jdanovien que du psychologisme bourgeois", le travail de Vinaver, insistait-il, se situe "dans un certain en-deçà des concepts idéologiques, sans pour autant faire de cette restriction une irresponsabilité". "L'art a bien plus intérêt à nous montrer des inconscients que des méchants", poursuivait Barthes, qui n'hésitait pas à comparer l'exigence de Michel Vinaver à celle de Charlie Chaplin, tous deux ayant en commun d'asseoir leur pouvoir de démystification "sur une certaine imprécision politique". "Univers sans procès", le monde de Charlot n'en est pas moins "un univers profondément orienté", tout comme la politique de Vinaver "consiste à retrouver les rapports réels des hommes, débarrassés de toute décoration psychologique".

Si l'on s'autorise ces notes de lecture, c'est pour l'édification de la diplomatie française en général et de son ambassade à Washington en particulier. La dernière pièce de Michel Vinaver a pour titre 11 September 2001. Elle fut écrite dans les semaines qui ont suivi la destruction des Twin Towers de Manhattan, directement en anglais – "plus précisément en américain", précise l'auteur qui, jeune, a vécu aux Etats-Unis, ayant fui avec ses parents les persécutions antisémites du régime de Vichy et de son "Etat français". A la manière d'une cantate ou d'un oratorio, 11 September 2001 est un récit polyphonique de ces heures qui ont fait dévier le cours du monde. Des voix s'entremêlent, se croisent et se coupent. Le matériau est la réalité même: tirés des journaux, les mots prononcés par tous ceux qui, anonymes ou célèbres, victimes ou survivants, furent témoins et acteurs du drame. Parmi eux, George Bush et Oussama Ben Laden, évidemment, dont les discours télévisés se font écho dans le final de la pièce.

L'AMBASSADEUR ET L'OBJECTEUR

C'est ce que n'a pas supporté Jean-David Levitte, notre ambassadeur aux Etats-Unis, qui a brusquement décidé de retirer le soutien de ses services culturels à un événement qui était tout à l'honneur de la France: la première mondiale de 11 September 2001 à Los Angeles, dans une coproduction franco-américaine mise en scène par Robert Cantarella. On ne doute pas de l'intelligence ni de l'indépendance de M. Levitte. Immensément maladroit comme tout acte de censure, son geste nous étonne d'autant plus. Une nation qui prend peur au spectacle de sa propre culture témoigne de sa grande faiblesse. L'inculture est ici l'alibi d'une pathétique surenchère dans la vassalité. Car c'est bien de la France qu'il s'agit, le choix de la pièce de Vinaver par CalArts, l'Ecole des beaux-arts de Californie, n'ayant suscité aucune protestation américaine.

Pour un auteur qui n'est plus si jeune, ce spectacle est rassurant: le théâtre de Vinaver continue de faire scandale au point de remuer jusqu'au désordre les idées de nos meilleurs diplomates. Notre auteur s'est toujours défini comme un objecteur – L'Objecteur est d'ailleurs le titre de son deuxième roman, publié chez Gallimard par l'entremise d'Albert Camus. Un objecteur, pas un rebelle. Un "réfractaire", précise-t-il, de ces personnes dont le comportement "est à l'écart de ce qu'on attend, et c'est souvent plus intolérable". Vinaver ne fait pas la morale ni la leçon. Il objecte, tout simplement. Et, dans la pièce en cause, il se contente, dans un couper-coller saisissant, de faire entendre les similitudes rhétoriques des discours de Bush et Ben Laden.

On peut ne pas le supporter. Mais c'est alors la réalité que l'on ne supporte pas.

Edwy Plenel LE MONDE | 29.04.05 | 14h49


Le Monde / Entreprises
Les résultats de L'Oréal en Europe de l'Ouest déçoivent les marchés financiers

 D eux mois après l'annonce du départ de Lindsay Owen-Jones d'ici à un an de la tête de L'Oréal (Le Monde du 18 février), le numéro un mondial des cosmétiques a perdu de sa superbe en Bourse. Depuis le 15 avril, le titre a baissé de plus de 7% pour terminer, mercredi 27 avril à 55,7 euros. Loin derrière les performances de ses années fastes, lorsque l'action L'Oréal tutoyait, début 2002, les 80 euros.

En publiant, jeudi 21 avril, un résultat de 3,54 milliards d'euros, en hausse de 1,6% par rapport au premier trimestre 2004, L'Oréal n'a pas répondu aux attentes du marché. Pour les analystes de la banque Morgan Stanley, qui tablaient sur une hausse du chiffre d'affaires comprise entre 5,5% et 7%, à taux de change constant, les 3,1% de L'Oréal "représentent un début d'année très décevant". précisent-ils dans une note. "Nous sommes confrontés à beaucoup d'incertitudes et de difficultés, le chiffre d'affaires est décevant". a reconnu M. Owen-Jones, le PDG du groupe lors de l'assemblée générale (AG) du mardi 26 avril. Une réunion qui a permis à L'Oréal de proposer d'accueillir un nouvel administrateur, Louis Schweitzer, le PDG sortant de Renault.

Face à cette morosité boursière, le dirigeant du groupe cosmétique a voulu rassurer sur la bonne tenue générale de l'entreprise. "Je ne voudrais pas que la mauvaise performance de l'Europe de l'Ouest masque un démarrage prometteur des Etats-Unis et la poursuite du développement des nouveaux marchés". a-t-il souligné au cours de l'AG en commentant ces résultats. En cause: la faiblesse de la consommation des produits grand public en Allemagne et en France, une zone géographique qui représente 12% du chiffre d'affaires. Cette consommation morose s'est vue doublée d'une politique attentiste de la part des distributeurs, plutôt soucieux de procéder à des déstockages.

Un simple coup d'oeil à la courbe du cours de l'action L'Oréal depuis 1988, année où M. Owen-Jones est arrivée à sa tête, permet de relativiser ses déboires actuels. En l'espace de dix-huit ans, sa valeur boursière a été multipliée par plus de 11 en passant d'à peine 5 euros à 56 euros, avec un pic à plus de 85 euros fin 2000, juste avant l'éclatement de la bulle Internet.

VINGT ANS DE CROISSANCE

C'est à coup d'acquisitions successives que le groupe a construit sa croissance internationale. Alors que les années 1980 se traduisent par une hausse relativement lente du cours de l'action, les années 1990 le voient monter en flèche. Le véritable changement de dimension se situe juste après l'acquisition de Maybelline, numéro trois américain des cosmétiques, en 1996 pour 508 millions de dollars (394 millions d'euros). C'est dans la foulée que l'entreprise développe son implantation sur des marchés émergents (Chine, Mexique, Brésil...), devenus aujourd'hui de véritables relais de croissance.

Ces relais d'autant plus important que sur son marché historique, l'Europe, la tendance du marché est moins porteuse. "L'Oréal doit faire face à une concurrence beaucoup plus sévère de Procter & Gamble ou d'Unilever mais aussi supporter une pression de plus en plus forte sur les prix de la part des distributeurs". explique un analyste spécialiste du secteur.

A deux ans du centième anniversaire du groupe (fondé en 1907), Jean-Paul Agon, qui prendra la succession de M. Owen-Jones en avril 2006, va devoir réinventer le modèle qui a fait le succès commercial de L'Oréal. Après vingt années consécutives d'une croissance à deux chiffres des bénéfices, le groupe français doit composer avec l'apathie du marché européen. La mutation est déjà en cours. La part du chiffre d'affaires du groupe réalisée sur de nouveaux marchés (c'est-à-dire hors Etats-Unis, Europe et Japon) devrait passer d'ici 2010 de 22% à 30%, notamment grâce à la Chine et à l'Inde.

Jean-Baptiste Duval
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Entreprises
Nouvelle journée morose pour les places européennes

 À  l'exception de Wall Street, qui s'est ressaisie en fin de séance (+ 0,47%), l'ensemble des grandes places boursières internationales a connu, mercredi 27 avril, une nouvelle journée morose. Tous les marchés d'actions du Vieux Continent ont terminé dans le rouge, la palme revenant pour la deuxième séance consécutive à la Bourse de Stockholm avec un recul de 2,98%.

En abandonnant 1,64% à la fermeture, le marché parisien est revenu à ses niveaux du début du mois de février et n'affiche plus désormais qu'un gain de 2,79% depuis le début de l'année. La Bourse de Londres a terminé la séance sur une baisse de 1,16% alors que le marché francfortois perdait 1,06%.

Pour les observateurs, les investisseurs ont pris conscience que l'économie, des deux côtés de l'Atlantique, était entrée dans une nouvelle phase de ralentissement. En Europe, les statistiques rendues publiques mercredi avaient de quoi freiner les initiatives.

En Allemagne, l'institut de sondage GFK s'attend à une progression très faible des dépenses des ménages cette année (de l'ordre de 0,4%), et le baromètre de l'institut IFO sur le moral des chefs d'entreprise est ressorti en baisse pour le troisième mois consécutif.

En France, le moral des industriels a reculé en avril, selon l'enquête mensuelle de l'Insee, l'indicateur le mesurant s'établissant à 97, en baisse de 4 points.

Aux Etats-Unis, c'est la publication de l'indice des commandes de biens durables, en baisse de 2,8% en mars, alors que les économistes interrogés par Reuters attendaient une hausse de 0,3%, qui a contribué à la morosité ambiante.

La déception causée par la publication de quelques résultats trimestriels comme ceux d'Amazon aux Etats-Unis et de Siemens et STMicroelectronics en Europe a également contribué au pessimisme.

Jeudi, la Bourse de Tokyo a terminé inchangée par rapport à la veille.

François Bostnavaron
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Un grand patron

 A ussi austère de l'extérieur qu'il est audacieux de l'intérieur, Louis Schweitzer aura transformé Renault. Très rares dans l'histoire industrielle française sont les bilans aussi flatteurs que le sien. Le travail avait été préparé par ses prédécesseurs Georges Besse et Raymond Lévy, mais Louis Schweitzer, en treize ans, aura porté Renault au quatrième rang mondial de l'automobile.

Le constructeur était, au milieu des années 1980, une "régie nationale" bloquée dans l'économie mixte d'après-guerre, souffrant de graves problèmes de coûts. L'entreprise a traversé ce désert grâce aux aides de son propriétaire, l'Etat, c'est-à-dire du contribuable. Mais la menace planait de perdre des parts de marché et de devenir un petit constructeur régional comme l'italien Fiat aujourd'hui ou de disparaître complètement comme le britannique Rover.

Louis Schweitzer a mobilisé l'énergie française. Preuve utile, en ces temps de profond franco-pessimisme, que Boulogne-Billancourt, bref, le pays, recèle assez d'inventivité et de force pour conquérir une belle place dans la mondialisation. Encore faut-il accepter de s'adapter: ce fut le choix difficile de fermer l'usine de Vilvorde pour abaisser les coûts. Encore faut-il du style: ce fut le choix de lancer le modèle Scénic, contre l'avis conservateur de son état-major. Encore faut-il savoir choisir ses maréchaux: ce fut le cas en prenant à ses côtés Carlos Ghosn, dont la réputation de manager avait été faite à l'école Michelin. Encore faut-il du culot: ce fut la décision d'acheter Nissan, alors que l'allemand Daimler-Benz avait dédaigné la proie et que les marchés financiers, dont la vision à long terme n'est pas le fort, grimaçaient devant cette aventure.

Louis Schweitzer ne quitte pas l'industrie, de nombreux groupes européens le veulent à leur conseil d'administration. Mais, nommé à la tête de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) et au Festival d'Avignon, il change de vie.

Carlos Ghosn devra s'inscrire dans la ligne de son prédécesseur, de ses prédécesseurs, poursuivre l'internationalisation de Renault. L'automobile va devoir, dans les années qui viennent, se transformer plus rapidement encore avec la hausse du prix de l'essence, la lutte pour la préservation de l'environnement, qui va la repousser hors des villes, et l'essor immense de tous les marchés du tiers-monde, à commencer par la Chine et l'Inde.

Renault-Nissan a beaucoup d'atouts. Mais la fusion "binationale" franco-nippone reste à parachever dans cet univers de la mondialisation automobile dont l'avenir est à écrire. Pour la première fois, les nouveaux pays industriels ont des ambitions d'autonomie. La Corée a montré que l'Asie savait créer de nouveaux constructeurs: la Chine et l'Inde suivent.

Carlos Ghosn a lui aussi des atouts. Le risque est cette fois que Renault, aspiré par le monde, perde toute racine française. Le pari est que M. Ghosn s'attache à l'esprit national, celui de Boulogne-Billancourt.

Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Entreprises
Les cinq défis de Carlos Ghosn à la tête de Renault-Nissan

 "S on arrivée chez Renault ? Comparé au redressement de Nissan en 1999, ce sera le paradis." Carlos Ghosn ne perd jamais le moral. Pourtant, la pression est forte. A 51 ans, le Franco-Libanais s'apprête à affronter l'un des défis les plus ambitieux qu'un PDG ait eu à relever dans l'automobile. A l'issue de l'assemblée générale des actionnaires de Renault, vendredi 29 avril, M. Ghosn deviendra le neuvième président du constructeur français. Tout en restant patron de Nissan.

9 patrons en 106 ans

Louis Renault (1899-1944). Fondateur de l'entreprise, en 1899. Accusé de collaboration à la Libération, il est arrêté et meurt en prison le 24 octobre 1944. Renault est nationalisé.

Pierre Lefaucheux (1944-1955). Centralien, docteur en droit, nommé administrateur provisoire en 1944. En 1945, il devient le premier président de la Régie Renault. Il meurt dans un accident de la route en 1955.

Pierre Dreyfus (1955-1975). Docteur en droit, futur ministre socialiste (en 1981), il est l'homme des avancées sociales (congés payés, etc.).

Bernard Vernier-Palliez (1976-1981). Ce HEC/Sciences-po amorcera l'internationalisation de Renault, l'implantant aux Etats-Unis avec AMC et Mack.

Bernard Hanon (1981-1985). HEC, passionné de produit mais piètre gestionnaire, il démissionne après des pertes colossales.

Georges Besse (1985-1986). Ce X-Mines venu du nucléaire et de Pechiney est chargé de sauver la Régie à la dérive. Assassiné en 1986 par Action directe.

Raymond Lévy (1986-1992). X-Mines, ancien d'Elf, il parachève le redressement de l'entreprise, en la retirant notamment des Etats-Unis.

Louis Schweitzer (1992-2005). Licencié en droit, énarque, il est nommé en 1992. En 1996, il obtient la privatisation de l'ex-Régie nationale.

Carlos Ghosn. Polytechnicien et ingénieur des mines, il est le premier PDG, depuis Louis Renault, à ne pas être nommé par l'Etat.

L'homme se retrouve à la tête d'un mastodonte produisant 5,8 millions de véhicules, employant plus de 270 000 personnes, sur 42 sites de production, avec deux sièges sociaux distants de plus de 10 000 kilomètres. Pour corser le tout, les deux entreprises devront garder leur identité et leur culture propres, secret de la réussite de l'alliance depuis 1999.

"Gérer son emploi du temps sera son principal défi". dit de son successeur Louis Schweitzer, qui reste président du conseil d'administration de Renault. M. Ghosn affirme qu'il passera 40% de son temps à Paris, autant à Tokyo, et le reste aux Etats-Unis. Voilà pour la communication. La réalité risque d'être différente. "La première nécessité pour moi est de redécouvrir l'entreprise. Renault n'est pas en crise, donc il n'y a pas d'urgence, explique M. Ghosn. Je prends mes fonctions lundi et on commence par une visite d'usine." Le manager le plus médiatique de la planète se donne six mois avant de dévoiler sa feuille de route. "Dès la fin 2005 les objectifs seront fixés, a-t-il affirmé jeudi 28 avril. Sur un plan stratégique, il n'y aura pas beaucoup de surprise, le changement se fera sur le rythme, la vigueur. Je ne pratiquerais pas de copier-coller." Cinq grands chantiers se dessinent.

Rassurer les troupes. Depuis quelques semaines, un vent de paranoïa s'est emparé de Billancourt. "L'ambiance est complètement surréaliste, avoue un cadre dirigeant. Je ne reconnais plus les gens. Carlos Ghosn est exigeant, c'est vrai, mais de là à mettre Renault à feu et à sang..." Les précédentes expériences du PDG montrent en effet que sa méthode consiste à mettre l'entreprise sous tension, mais en s'appuyant sur les équipes en place. Ce fut le cas chez Renault, lors de son premier passage en 1996, ou chez Nissan en 1999.

La génération des cinquantenaires pourrait faire les frais d'un rajeunissement de l'état-major. Mais, globalement, les changements devraient être limités, dans la mesure où M. Schweitzer a déjà profondément modifié le comité exécutif en décembre 2004. Le directeur de la communication, Patrick Bessy, a déjà démissionné. L'avenir du directeur du design, Patrick Le Quément, très lié à M. Schweitzer, reste en suspens. A terme, M. Ghosn devra choisir un numéro deux capable de le soulager d'une partie de ses responsabilités.

Restructurer l'international. Carlos Ghosn hérite d'une organisation géographique compliquée. Les chantiers lancés par M. Schweitzer, à commencer par l'objectif de vendre 4 millions de véhicules par an (contre 2,5 millions aujourd'hui), passent obligatoirement par un changement en profondeur de la structure. Les premières décisions seront prises après l'été, date du départ en retraite de Georges Douin, directeur général adjoint chargé de l'international.

En outre, M. Ghosn devra transformer l'essai de la Logan, la voiture à 5 000 euros, qui constituera le principal levier de l'internationalisation de Renault dans les prochaines années. Enfin, il pourrait être l'homme du retour de Renault aux Etats-Unis, dix-huit ans après la cession d'AMC par Raymond Lévy.

Repenser la gamme. La question la plus urgente porte sur le haut de gamme. Après les récents échecs de la Vel Satis et de l'Avantime, M. Ghosn devra trancher: comment Renault peut-il être présent sur ce segment dominé par les Allemands ? Une solution consisterait à s'appuyer sur Nissan et sa marque de luxe Infiniti. Une stratégie de mise en commun de la technologie pourrait permettre à Renault de développer un véhicule de loisir haut de gamme. Concernant les petits véhicules, le nouveau PDG pourrait être amené à faire des choix différents de son prédécesseur. Les six petits modèles que Renault a en portefeuille ne sont pas loin de se cannibaliser. Le dernier arrivé, la Modus, a du mal à décoller. Compte tenu des derniers choix arbitrés par M. Schweitzer, la première Renault de l'ère Ghosn ne devrait pas voir le jour avant 2008.

Améliorer la performance industrielle. Même si Renault a fortement augmenté sa productivité sous l'ère Schweitzer, Carlos Ghosn a encore du grain à moudre. Un employé de Renault fabrique, en moyenne, 19,5 véhicules par an, contre 24,3 pour PSA, selon une étude de Morgan Stanley publiée le 22 avril. Par ailleurs, Renault devra améliorer l'utilisation de ses capacités de production, qui s'élèvent aujourd'hui à 60%, contre 75% chez Nissan.

Consolider l'alliance. Le concept d'entreprise binationale imaginé par Louis Schweitzer reste, malgré son succès incontestable, d'une évidente fragilité. La prise de contrôle "en douceur" de Nissan, en respectant son identité, a fait la force de l'alliance. Mais cette approche peut à tout moment se transformer en handicap.

Nissan est plus fort que jamais. Premier constructeur mondial en termes de rentabilité, deuxième capitalisation boursière du secteur derrière Toyota, le constructeur japonais a-t-il encore vraiment besoin de Renault pour passer la décennie ? Son loyalisme à l'égard de l'alliance va être un défi de chaque jour et M. Ghosn devra user de tout son charisme pour persuader les Japonais que l'avenir de Nissan est indissociable de celui de Renault.

Inventer un avenir commun entre Français et Japonais n'est pas une mince affaire. Pour fédérer les deux entités, le nouveau patron peut jouer sur la peur de la concurrence, face à laquelle Nissan et Renault doivent se persuader que la seule façon de lutter est d'unir leurs forces. L'ennemi commun est à l'évidence Toyota.

M. Ghosn aura en tout cas les moyens financiers de ses ambitions, puisqu'il va disposer d'un trésor de guerre colossal: les deux entreprises sont désormais très rentables et le bénéfice cumulé de l'alliance a atteint 7,3 milliards d'euros en 2004. Que pense M. Schweitzer des défis à relever par son successeur ? "J'ai eu des opportunités, Carlos Ghosn aura les siennes, dit le PDG sortant. Il faudra qu'il les saisisse, mais je ne me fais pas beaucoup de souci. Sa mentalité, c'est plutôt de battre les records que de les admirer."

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Entreprises
Le nouveau citoyen mondial de Billancourt

 J amais l'arrivée d'un nouveau patron chez Renault n'aura suscité autant d'attente ou d'angoisse. Carlos Ghosn saura-t-il s'adapter à la fameuse exception culturelle française ? "Notre époque porte une marque de fabrique qui s'impose aux entreprises comme à notre pays: le dépassement des frontières". lançait, en guise de profession de foi, le futur PDG, dans une tribune du Monde, le 24 mars.

Une chose est certaine: l'homme dispose d'une étonnante capacité d'adaptation. Dès son arrivée chez Renault, en 1996, Louis Schweitzer, qui songeait déjà à en faire son successeur, lui conseilla de prendre la nationalité française. Un patron de Renault libanais, né au Brésil, c'était trop atypique. M. Ghosn s'exécutera sans hésiter.

Partout où il passe, l'homme se coule dans les cultures, tente de laisser de côté les préjugés, avec un objectif: la performance. Ses origines y sont sans doute pour beaucoup. Son grand-père, un Libanais maronite, était allé chercher fortune au Brésil au début du XXe siècle. C'est là que Carlos Ghosn naît, en 1954. Passé par le moule des jésuites au Liban, il fait ensuite Polytechnique à Paris.

Michelin lui offre son premier emploi. Commence une ascension fulgurante. Directeur d'usine à 27 ans, patron de la filiale brésilienne à 33 ans, numéro un pour l'Amérique du Nord à 37 ans. Du jamais-vu. François Michelin l'a très vite repéré et lui accorde sa confiance, au point d'envoyer à ses côtés son fils Edouard pour faire ses armes de patron. De là naît un malentendu entre les deux hommes. M. Ghosn entre un jour dans le bureau de François Michelin pour lui demander s'il deviendra cogérant du groupe (la plus haute fonction chez Michelin). La fin de non-recevoir est sans appel, le poste est déjà promis à son fils. La direction de la branche pneu tourisme, la plus importante chez Michelin, ne réussira pas à retenir l'ambitieux manager.

COMPLÉMENTARITÉ

Louis Schweitzer cherche un numéro deux pour remettre de l'ordre chez Renault, qui perd de l'argent. Un cabinet de chasseur de têtes lui présente deux candidats, un normalien ­ qui a fait depuis une belle carrière ­ et M. Ghosn. "Je ne l'avais jamais vu aussi enthousiaste sur quelqu'un". se souvient un proche de M. Schweitzer. Les deux hommes se complètent à merveille. Schweitzer fixe le cap, Ghosn taille la route.

Lorsque l'opportunité de prendre le contrôle de Nissan se présente, le PDG de Renault sait que M. Ghosn est l'homme de la situation. Alors que tout le monde prévoit l'échec, le Franco-Libanais trouve les méthodes pour galvaniser les Japonais. "Pour être performante, une entreprise doit être sur la pointe des pieds". répète-t-il souvent. Une fois les objectifs fixés et acceptés, la marge de tolérance pour l'échec est extrêmement réduite. "J'aime bien les engagements clairs, ça pousse les gens à donner le meilleur d'eux-mêmes parce qu'ils n'ont pas d'échappatoire". dit-il.

Boulimique de communication, M. Ghosn utilise sa personnalité atypique comme une image de marque. Lorsqu'il arrive chez Nissan, le constructeur japonais n'a pas grand-chose à "vendre". Les résultats sont catastrophiques, les lignes des voitures banales. Il choisit alors d'incarner à lui seul l'identité du groupe. Une personnalisation à double tranchant, car le jour où le patron trébuche, c'est toute l'entreprise qui tombe par terre.

En tout cas, la méthode fonctionne chez Nissan. En l'espace de quelques années, il fait de "l'homme malade" de l'automobile nippone le constructeur le plus rentable de la planète. Avec ses solutions nouvelles, M. Ghosn arrive à point dans un Japon en proie au doute, après dix ans de crise. Le patron suscite une adulation des Japonais... et agace Billancourt.

Qu'importe, il estime qu'il n'a plus de comptes à rendre à Renault. Sur la façon de mener l'alliance, il n'hésite plus, à partir de 2001, à prendre le contre-pied de M. Schweitzer. S'il revient en France, ce sera bien comme numéro un. Le talon d'Achille de M. Ghosn est certainement son ego. Mais l'homme est habile et pragmatique. Il a déjà laissé entendre, à la veille de son arrivée à Billancourt, qu'il se médiatiserait moins qu'au Japon...

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Entreprises
Louis Schweitzer, la retraite en fanfare

 M ême les Renault se mettent à battre les Ferrari ! Quatre grands prix de formule 1: quatre victoires pour le constructeur français. Alors que le groupe enregistre des résultats financiers records, tout semble sourire à Louis Schweitzer à la veille de son départ. Vendredi 29 avril, le PDG cède, à 62 ans, le volant de Renault à Carlos Ghosn.

Pourtant, il y a quelques mois, voyant l'échéance se rapprocher, Louis Schweitzer n'était pas si serein. Son angoisse de "disparaître du paysage" était réelle. Il s'était pourtant juré qu'on ne le prendrait pas au petit jeu du patron qui se fait tirer l'oreille une fois l'heure de la retraite venue. En voulant continuer à présider le conseil d'administration de Renault, tout en laissant la direction opérationnelle à Carlos Ghosn, il avait, malgré lui, entretenu l'ambiguïté. Et puis la délivrance est intervenue le 19 février, lorsque Jacques Chirac lui a proposé la présidence de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde).

Le dirigeant va certes garder le titre de président du conseil d'administration, mais son esprit est désormais ailleurs. D'ailleurs, depuis la proposition du président de la République, Louis Schweitzer fait preuve d'un enthousiasme débordant, presque une seconde jeunesse. Oubliés ceux qui voulaient le propulser à la tête du Medef pour succéder à Ernest-Antoine Seillière. "Ce poste, ça n'est pas moi". insiste-t-il.

Après presque treize ans passés chez Renault, prendrait-il ses distances avec le monde de l'entreprise ? Pas vraiment. Louis Schweitzer est guetté par le syndrome du cumulard. Outre la présidence de Renault, qu'il conserve, il est, depuis le 1er janvier, président du groupe pharmaceutique anglo-suédois AstraZeneca, siège aux conseils d'administration de Volvo, BNP Paribas, EDF, Veolia et Philips, et vient d'être nommé à celui de L'Oréal. De quoi rassurer sa femme, qui avait peur de le voir à la retraite.

"J'ai l'air moins conformiste que j'en ai l'air, affirme-t-il à qui veut l'entendre. Chez Renault, ce contraste m'a aidé à faire des changements qui n'allaient pas de soi." Cette fois, Louis Schweitzer a décidé de mettre son "atypisme" affiché au service d'autres causes. La Halde, bien sûr, mais aussi le théâtre, en prenant la présidence du conseil d'administration du Festival d'Avignon. Cet homme réservé et pudique a toujours eu une certaine fascination pour la scène. Il ne se passe pas une semaine sans qu'il se laisse entraîner à Nanterre ou à Bobigny voir la dernière mise en scène de Peter Brook ou de Bob Wilson. "A chaque représentation, on a le sentiment d'assister à quelque chose d'unique, qui ne se reproduira plus, contrairement au cinéma ou à la télévision". explique celui qu'Alain Crombecque, le patron du Festival d'automne, avait qualifié un jour de "spectateur professionnel".

Une nouvelle vie attend donc Louis Schweitzer, l'occasion de peaufiner une image d'"honnête homme". que ses précédentes fonctions ne lui ont pas permis d'exprimer pleinement. Les marges de manœuvre seront sans doute plus confortables pour qu'il affirme ses convictions profondes quand il ne sera plus question de sauvegarde de la compétitivité de Renault.

Sur ce terrain, la mission est accomplie. Sous son impulsion, cette régie franco- française, symbole de l'économie mixte de l'après-guerre, s'est transformée en une multinationale, désormais quatrième constructeur mondial depuis sa prise de participation dans le japonais Nissan, en 1999.

Renault est devenue en 2004 le constructeur européen le plus rentable, si l'on excepte les deux spécialistes du haut de gamme, Porsche et BMW. La capitalisation boursière de la marque au losange pèse désormais plus lourd que celle de General Motors ou de Ford, pourtant respectivement numéro un et numéro trois mondial. Bien des inspecteurs des finances aimeraient afficher un tel bilan.

Qui aurait dit que, avec ses costumes sages et ses bonnes manières, le haut fonctionnaire se métamorphoserait en capitaine d'industrie ? "En fait, c'est un entrepreneur qui s'est égaré dans la fonction publique". confie en souriant son ami Noël Goutard, ancien PDG de Valeo. Un "égarement" conditionné sans doute par une famille peu banale. Petit-neveu du Prix Nobel de la paix Albert Schweitzer et du chef d'orchestre Charles Munch, il est aussi cousin de Jean-Paul Sartre. Issue de la bourgeoisie protestante alsacienne, né à Genève, Louis Schweitzer était formaté pour suivre les traces de son père, ancien directeur du FMI, célèbre pour avoir osé s'opposer à Richard Nixon en préconisant une dévaluation du dollar au moment de la crise financière du début des années 1970. C'est donc tout naturellement que, à sa sortie de l'ENA, il devient inspecteur des finances et entre à la direction du Trésor. Son destin bascule une première fois en mai 1981. Laurent Fabius, pressenti pour être ministre du budget, cherche un directeur de cabinet. "A l'époque, au budget, des hommes de gauche qui avaient des compétences incontestées n'étaient pas légion". souligne l'ancien premier ministre. Correspondant au profil, Louis Schweitzer est convoqué au siège du PS, rue de Solferino. M. Fabius est en retard. Au moment où M. Schweitzer songe à partir, le futur ministre arrive enfin. Une demi-heure a suffi pour souder le destin des deux hommes, qui ne se quitteront plus jusqu'en 1986. "Je ne sais toujours pas pourquoi il m'a choisi". affirme M. Schweitzer avec cette suprême vanité qui consiste à brider constamment son orgueil.

Après le budget, Louis Schweitzer suit Laurent Fabius à l'industrie, puis à Matignon. "Avec Louis, j'avais une sécurité de travail absolue. Pendant ces cinq années, il n'y aura pas un seul problème entre nous". souligne M. Fabius. Louis Schweitzer se met avec délectation dans la peau d'une éminence grise qui négocie, donne des avis, prépare les décisions mais "ne se voit pas".

Dès lors, il se trouve en première ligne sur plusieurs affaires délicates. Le dossier du sang contaminé d'abord, dans laquelle il bénéficiera d'un non-lieu. "Nous avons fait ce que nous devions faire, c'est-à-dire introduire des tests de dépistage beaucoup plus tôt que dans d'autres pays". explique-t-il aujourd'hui. Louis Schweitzer fait aussi partie des prévenus dans l'affaire des écoutes téléphoniques de l'Elysée. En tant que directeur de cabinet, il avait une autorité théorique pour donner le feu vert à ces pratiques. Le procès doit reprendre en septembre.

La crise calédonienne, puis l'affaire du Rainbow-Warrior, le navire amiral de Greenpeace, dont Louis Schweitzer a toujours nié connaître les tenants et les aboutissants, scelleront le destin des deux hommes.

A cette époque, il se lie d'amitié avec Georges Besse, dont il a soufflé le nom à Laurent Fabius pour remplacer Bernard Hanon à la tête de Renault. Les contacts entre la Régie et la tutelle sont réguliers. En 1986, à l'issue d'une réunion, Louis Schweitzer demande à Georges Besse si, à 43 ans, il peut encore espérer travailler dans l'industrie. "C'est un peu vieux". lui répond-il. La conversation en reste là, jusqu'à ce coup de fil du PDG, le 17 mars 1986, qui fait basculer une seconde fois la carrière de Louis Schweitzer.

La veille, la gauche vient de perdre les élections législatives. "J'étais un peu dans la situation de Gaston Lagaffe: un héros sans emploi". ironise Louis Schweitzer, qui a toujours eu la passion des BD. Georges Besse lui propose le poste de directeur de contrôle de gestion. Mais, auparavant, l'ancien "dircab" de Fabius doit se faire oublier et apprendre l'entreprise. Commence alors un stage de plusieurs mois à l'usine de Flins, au Mans, à Cléon, dans le réseau commercial. L'inspecteur des finances fera même du porte-à-porte à Pantin.

En novembre 1986, Georges Besse est assassiné par le groupe terroriste Action directe. Louis Schweitzer perd un ami, mais aussi son principal soutien chez Renault. Le nouveau PDG, Raymond Lévy, a toutes les raisons pour ne pas garder le "protégé" de Georges Besse. Cinq ans auparavant, M. Schweitzer, alors directeur de cabinet au ministère de l'industrie, avait annoncé à Raymond Lévy son renvoi de la présidence d'Usinor. Mais, lorsque celui-ci arrive à la présidence de Renault, il trouve une entreprise traumatisée. Pour ne pas ajouter au trouble, il choisit de jouer la continuité en confirmant toutes les décisions prises par M. Besse, y compris la nomination de Louis Schweitzer.

Dès lors, l'ascension chez Renault est rectiligne. Directeur financier, puis directeur général, Louis Schweitzer fait très vite figure de favori pour succéder à Raymond Lévy, en 1992. A l'époque, les Cassandre répètent que Renault n'a d'autre avenir que de se faire racheter ou mourir. Pour Louis Schweitzer, les choses commencent mal: c'est l'échec de la fusion avec Volvo, le 2 décembre 1993. A trop se préoccuper des futures structures d'organisation et pas assez des hommes et des différences culturelles, Renault est passé à côté de l'essentiel. Louis Schweitzer retiendra la leçon lorsque, cinq ans plus tard, il courtisera Nissan pour former une nouvelle alliance.

Il comprend également à cette occasion qu'un Renault nationalisée n'est plus suffisamment adapté à un monde qui s'internationalise. Celui qui a été l'un des principaux artisans des nationalisations de 1982 tire les conséquences, dix ans plus tard, de l'émergence de nouvelles règles de concurrence au niveau européen. "A partir du moment où l'Etat actionnaire ne pouvait plus aider les entreprises qui étaient sous sa coupe, la justification même d'une nationalisation était remise en question". explique-t-il.

Le feu vert politique à la privatisation prend deux longues années, pendant lesquelles il règne un certain flottement dans l'entreprise. Les coûts dérivent, la rentabilité s'érode, les doutes sur sa capacité à diriger Renault s'installent. "Il a toujours eu du mal à se passionner pour le lendemain; ce qui l'excite, c'est la vision à cinq ou dix ans. Il n'a pas la même voix pour trancher sur une nouvelle voiture que pour donner son avis sur un compte d'exploitation". estime un proche.

Sentant le danger, Louis Schweitzer décide de reprendre l'initiative en imposant à Renault un traitement de choc. "Nos voitures sont trop chères". proclame-t-il. Conscient de ses faiblesses dans la gestion quotidienne, il décide de recruter un numéro deux qui saura mener à bien la réduction des coûts. Son choix se porte sur Carlos Ghosn. Un OVNI chez Renault: Libanais né au Brésil, l'homme n'a pratiquement jamais travaillé en France, mais a connu un parcours de météorite chez Michelin au Brésil, puis aux Etats-Unis.

La relation n'a rien de fusionnelle: origines, parcours, mode de fonctionnement, tout sépare les deux hommes. Mais Louis Schweitzer a flairé le manager d'exception à qui, dès le départ, il promet qu'il lui succédera. "C'est le grand mérite du chef de savoir s'entourer des gens qui risquent d'être aussi bons, voire meilleurs que lui-même". note Raymond Lévy. C'est ce tandem qui, en 1997, prendra la responsabilité de fermer l'usine belge de Vilvoorde. Louis Schweitzer décide, Carlos Ghosn exécute. Conspué par les syndicats, par la Commission européenne et par ses amis politiques, qui lui reprochent d'avoir trahi ses idées, Louis Schweitzer se retrouve alors au ban de l'Europe sociale.

"On peut être patron et de gauche, mais je ne sais pas ce qu'est un patron de gauche". estime-t-il. Le PDG est à deux doigts de se faire limoger. Mais il parvient à convaincre Alain Juppé, puis Lionel Jospin, qui se succèdent à Matignon, que la fermeture de Vilvoorde est vitale pour Renault. Pendant six mois, l'entreprise fait bloc derrière son PDG. "C'est incontestablement avec cet épisode que Louis Schweitzer a gagné sa légitimité aux yeux des salariés de Renault". estime Patrick Faure, directeur général adjoint du groupe.

Renault restructurée, vient alors le temps des prises de risque et des paris gagnants. La Scénic, d'abord, ce modèle emblématique des années Schweitzer qui, par son concept révolutionnaire de monospace, permet à Renault de se constituer un véritable trésor de guerre. Louis Schweitzer a désormais les moyens de lancer son groupe à la conquête du monde. Il rachète le roumain Dacia, le coréen Samsung, et surtout Nissan. Alors que les patrons de l'automobile se sont lancés dans des fusions, Louis Schweitzer, fin stratège, propose aux Japonais une alliance basée sur le respect des cultures. Le modèle est inédit, le succès aussi. L'alliance Renault-Nissan fait en quelque sorte la synthèse des deux vies de Louis Schweitzer: c'est une idée politique appliquée au monde de l'entreprise.

Louis Schweitzer s'est donc toujours trouvé là où se situe le véritable pouvoir, qui s'est déplacé de la sphère publique vers le privé. "J'aurai connu le meilleur des deux mondes". conclut cet homme heureux. Etre toujours du bon côté: voilà sans doute le secret, et les limites, d'une belle réussite "à la française".

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Europe
Leonid Nevzline tente d'organiser l'opposition russe en exil
Tel aviv de notre envoyée spéciale

 A ssis dans le salon de sa villa au nord de Tel-Aviv, entouré d'une collection de statuettes japonaises représentant des samouraïs, Leonid Nevzline mène son combat contre Vladimir Poutine. Agé de 45 ans, cet oligarque russe vit depuis août 2003 en Israël, où il s'est réfugié pour fuir la justice russe. Moscou a émis à son encontre un mandat d'arrêt international pour "complicité de meurtre" dans le cadre de l'affaire Ioukos, la compagnie pétrolière russe que le Kremlin a entrepris de démanteler et de transférer à des structures contrôlées par l'Etat.

La Russie "allié stratégique" d'Israël
Selon un communiqué du gouvernement israélien, le président Poutine a déclaré, jeudi 28 avril, que la Russie est un "allié stratégique" d'Israël, lors de trois heures d'entretien avec Ariel Sharon. Les deux dirigeants se sont mis d'accord sur la mise en place d'un système de coopération dans la lutte antiterroriste prévoyant un partage d'informations en temps réel sur d'éventuelles menaces. Concernant la vente de missiles sol-air antiaériens Strelets à la Syrie, M. Poutine s'est engagé à ce que ces armes "ne parviennent pas à des organisations terroristes". "Le système que nous allons fournir à la Syrie est à courte portée et ne menace en aucune façon le territoire israélien". a-t-il également précisé. A propos du programme nucléaire iranien, M. Poutine a déclaré: "Nous travaillons avec l'Iran pour l'utilisation de l'atome à des fins pacifiques et nous sommes contre tout programme destiné à doter l'Iran d'une arme atomique." M. Sharon insiste depuis des mois sur la nécessité de transmettre le dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l'ONU afin que des sanctions soient imposées à Téhéran. ­ (AFP.)

Vêtu d'une chemise déboutonnée et de jeans, l'allure juvénile, Leonid Nevzline n'a pas de mots assez durs pour parler du régime de Vladimir Poutine. Il accuse le Kremlin d'être au coeur du "système de corruption qui sous-tend tout l'Etat russe, jusqu'au plus haut niveau" et d'avoir monté de toutes pièces le procès contre son ancien associé, Mikhaïl Khodorkosvki, l'ancien patron de Ioukos, afin de mettre la main sur sa compagnie.

AMBIANCE CALIFORNIENNE

Leonid Nevzline est devenu, au fil des mois, le chef de file des oligarques russes en exil qui ont juré la perte de Vladimir Poutine. Sa fortune, évaluée en 2003 à 2 milliards de dollars par le magazine Forbes, a subi le contrecoup des poursuites judiciaires et des saisies d'actifs visant Ioukos, mais elle reste conséquente. Leonid Nevzline contrôle aujourd'hui, à lui tout seul, 67% du capital de la holding Menatep, enregistrée à Gibraltar, qui détient plus de 60% de Ioukos.

Dans la quiétude du quartier balnéaire aisé de Hertsélia Pitouach, noyé dans les pins, les lilas et les palmiers, Leonid Nevzline passe le gros de ses journées pendu au téléphone avec Moscou et avec d'autres hommes d'affaires russes, exilés en Israël ou à Londres. Il reçoit régulièrement des émissaires venant de Moscou, dans cette maison à l'ambiance californienne. Les baies vitrées s'ouvrent sur un jardin avec piscine, et le garage abrite une luxueuse décapotable.

Leonid Nevzline multiplie les tribunes dans la presse russe et cherche à fédérer des forces politiques contre le pouvoir de Vladimir Poutine. En Israël, il compte comme soutiens l'ancien dissident Natan Chtcharanski, "un des leaders mondiaux de la pensée politique". selon lui, et Benyamin Nétanyahou. Il a investi dans le secteur pétrochimique israélien et a fondé un institut portant son nom, le Centre de recherches Leonid Nevzline pour les juifs de Russie et d'Europe de l'Est, qui veut venir en aide aux immigrés arrivant en Israël.

A 4 000 km de là, son ancien partenaire, Mikhaïl Khodorkovski, croupit depuis octobre 2003 dans une cellule de la prison Matrosskaïa Tichina de Moscou, en attente du verdict de son procès pour "évasion fiscale à grande échelle". qui doit être prononcé le 16 mai. Mikhaïl Khodorkovski risque dix ans de prison. Les deux hommes, liés par une vieille amitié, s'étaient rencontrés à la fin des années 1980, pendant le "boom" des coopératives d'étudiants autorisé par Gorbatchev, qui avait jeté les fondements du nouveau capitalisme russe. "On a été au coeur de cette révolution des mentalités". dit-il avec fierté.

Les deux partenaires avaient ensemble développé une banque, Menatep, qui allait bénéficier de nombreux transferts de fonds du budget fédéral russe et remporter, en 1995, des enchères contestées pour acquérir la société Ioukos. Ils avaient, au passage, financé la réélection de Boris Eltsine, en 1996. Ioukos s'est ensuite hissé au rang du numéro un du pétrole russe, avec une capitalisation d'environ 40 milliards de dollars. La chute de ces oligarques et le démantèlement de leur empire sont des faits marquants de la présidence de Vladimir Poutine.

Qui Leonid Nevzline tient-il pour responsable de cette disgrâce ? La version la plus couramment mise en avant en Russie met en cause des personnalités issues du KGB, entourant M. Poutine, qui chercheraient à rétablir l'autorité de l'Etat dans le secteur des hydrocarbures afin de renforcer le poids du pays sur la scène mondiale. Leonid Nevzline complète cette explication en évoquant un scénario fait de nouvelles luttes de clans, où le principal gagnant serait non pas l'Etat russe, mais l'un des oligarques les plus mystérieux de Russie, Roman Abramovitch, 38 ans, classé cette année "première fortune du pays" par Forbes, avec 15 milliards de dollars.

En 2003, l'année où les ennuis judiciaires de Ioukos ont commencé, Roman Abramovitch avait tenté de faire fusionner sa société pétrolière, Sibneft, avec Ioukos. Le projet a fait long feu.

"Je sais qu'Abramovitch a été le principal artisan de la campagne contre Ioukos". affirme Leonid Nevzline dans un entretien accordé au Monde, jeudi 28 avril, alors que le président russe effectuait une visite officielle en Israël. "Il voulait mettre la main sur Ioukos. Grâce à ses relations passées avec la "famille Eltsine" et son amitié avec Poutine, dont il est, je pense, un partenaire financier, Roman Abramovitch contrôle les services du procureur général de Russie, avance l'homme d'affaires exilé. J'ai moi-même entendu Roman Abramovitch dire, au début du pouvoir de Poutine, que "tout était arrangé": le secteur du gaz -le géant étatique Gazprom- irait aux gens de Poutine, tandis que lui, Roman, aurait le secteur du pétrole."

RELENTS D'ANTISÉMITISME

Il fut un temps où Leonid Nevzline participait activement à la vie publique en Russie, comme membre du Conseil de la Fédération russe (élu en 2001) et président du Congrès juif. Le portrait qu'il dresse de la Russie de Vladimir Poutine est celui d'un pays où des postes au sein des institutions d'Etat sont mis en vente par le Kremlin "au plus offrant". et où des grosses entreprises donnent des enveloppes d'argent à des "membres du Parlement, des forces de l'ordre, du parquet". pour parvenir à leurs fins. "La société Rosneft, entièrement dirigée par Igor Setchine, qui est un proche de Poutine, a payé pour la campagne contre Khodorkovski au sein des médias et dans les organes judiciaires russes". ajoute-t-il.

Leonid Nevzline estime clairement ne plus avoir grand-chose à perdre en se livrant à de pareilles accusations. La holding Menatep, qu'il contrôle, a cessé toute activité en Russie et a investi dans les hydrocarbures et les télécommunications en Europe centrale. Leonid Nevzline se dit prêt à financer des opposants politiques au régime de M. Poutine en Russie et appelle de ses voeux un "changement de régime". même s'il juge peu probable un scénario semblable à ce qui s'est produit en Ukraine et en Géorgie. Il dit s'appuyer sur un "bon réseaux de contacts" au Etats-Unis.

Devenu en 2003 citoyen israélien, Leonid Nevzline coordonne ses activités avec d'autres oligarques russes en exil. Parmi eux: ses amis actionnaires de Ioukos, Vladimir Doubov et Mikhaïl Broudno, qui vivent à Tel-Aviv; l'ancien magnat de groupe médiatique russe, Vladimir Goussinski, ainsi que Boris Berezovski, qui a obtenu le statut de réfugié politique à Londres, et un proche associé de ce dernier, l'homme d'affaires Badri Patarkatsichvili, réfugié en Géorgie. Tous ces millionnaires recherchés par la justice russe sont d'origine juive, ce qui fait dire à Leonid Nevzline, qui se revendique "sioniste et russophile". que la politique du Kremlin serait animée de forts relents d'antisémitisme. "Poutine n'a pas d'amis en Israël". insiste-t-il.

Natalie Nougayrède
Article paru dans l'édition du 30.04.05


Le Monde / France
Pour Lionel Jospin, les oui sont "compatibles", pas les non

 L' introduction a été brève. C'est parce que la Constitution européenne est un "enjeu majeur" que Lionel Jospin a justifié son retour sur un plateau de télévision, trois ans après les avoir quittés au soir du premier tour de l'élection présidentielle, en 2002. "J'ai voulu être avec ceux, notamment socialistes, qui disent qu'il faut voter pour", a expliqué l'ancien premier ministre, invité de "Question ouverte", jeudi 28 avril, sur France 2.

Laurent Fabius vante le non à New York
A l'heure où Lionel Jospin parlait sur France 2, Laurent Fabius donnait une conférence, en anglais, à l'université de Columbia, sur "l'avenir de l'Union européenne". Devant 150 personnes et trois équipes de télévision, l'ancien premier ministre a expliqué pendant une heure et demie "les remarquables réalisations de l'Union européenne" et les "profondes réformes aujourd'hui nécessaires pour mettre fin à la déconnection entre le projet européen et les institutions censées l'incarner". Il a regretté "le choix de l'élargissement au détriment de l'approfondissement de l'Union par manque de courage politique". Et redit combien il s'oppose, avant tout, à la partie III de la Constitution européenne "qui ne concerne pas le droit et les rapports de pouvoir, mais les politiques elles-mêmes. Ainsi, on ne pourra plus les changer."
Puis, alors qu'on lui demandait son avis sur le retour de Lionel Jospin dans le débat public, M. Fabius a fait mine de renoncer à tout esprit polémique, avant de lâcher: "Plusieurs anciens responsables politiques se sont exprimés récemment, comme Lionel Jospin, Valéry Giscard d'Estaing ou Simone Veil. C'est intéressant... Après, on n'est pas nécessairement de leur avis."

Tendu mais appliqué, il a commencé par dégager le traité européen des "interférences" politiques intérieures, soulignant, sans s'y attarder, la "colère" et le "mécontentement" des Français face à un "gouvernement désordonné dans sa façon de faire, le lundi de Pentecôte en étant le dernier exemple". "Voter contre le traité, c'est sanctionner la France, c'est sanctionner l'Europe, pas le pouvoir en place, a-t-il tranché. Si nous avons un problème politique à régler en France, (...) ne le réglons pas en prenant l'Europe à témoin..., en otage."

Ecartant d'un mot la directive Bolkestein, "sans rapport" avec la Constitution, ainsi que le "textile chinois", Lionel Jospin a alors dénoncé "l'incompatibilité des non entre eux". "Il y a une certaine logique du non antieuropéen à l'extrême droite et à l'extrême gauche, a-t-il exposé, mais il n'y a pas de cohérence d'un non proeuropéen." La zone d'influence du non ainsi réduite, il a pris soin de se démarquer du premier secrétaire du PS, François Hollande. "Je suis d'accord avec ceux qui disent qu'ils ne veulent pas être amalgamés, le non de l'extrême gauche, voire du Parti communiste, avec le non de l'extrême droite, a-t-il déclaré. Ils n'ont rien en commun."

En revanche, il y a bien, selon lui, "compatibilité du oui de gauche et de droite". "Non pas qu'il y ait une collusion, a précisé Lionel Jospin, mais parce que, les uns et les autres, nous savons que nous ne pouvons pas construire l'Europe si, à chaque alternance, de gauche ou de droite, on la remet en cause."

Un bref rappel à son propre bilan et l'ancien premier ministre a déroulé ses arguments non sans dénoncer les "affreuses caricatures" du non et les risques d'une France qui "s'isolerait". "Le terme de carcan libéral n'a aucun sens, a-t-il poursuivi. Le propre du libéralisme c'est justement de ne vouloir aucun cadre (...) de préférer la jungle, le "Laisser faire, laisser passer"."

Certes, Lionel Jospin aurait "souhaité que l'Europe aille plus loin, notamment en matière d'harmonisation fiscale". Ce point figurait parmi ses engagements de campagne, en 2002, au même titre que l'élaboration d'un traité social. "Mais, a-t-il tempéré, il faut bien se garder des conquêtes pour plus tard." Plus tard ? Sur ce terrain, Lionel Jospin reste prudent. S'il ne revendique "aucun rôle particulier", il entend bien ne pas être exclu de la partie: "Je souhaite que la gauche se rassemble, que les socialistes soient au coeur de cette gauche, si je peux contribuer à cela, je le ferai."

Après l'émission, ses partisans envoyaient des Texto enthousiastes. "Il est le meilleur, il nous donne envie de nous battre", exultait Pierre Schapira, adjoint au maire de Paris. Mais, à gauche, les réactions des partisans du non ont été vives. Au PS, Jean-Luc Mélenchon s'est dit "estomaqué d'entendre que le oui de gauche et le oui de droite seraient compatibles (...). Beaucoup l'entendront comme un aveu." "Le oui de Jospin est apparu aussi socialiste que son projet en 2002", ont cruellement réagi les comités du non socialiste créés par Henri Emmanuelli, tandis qu'Arnaud Montebourg a comparé, dans un entretien, vendredi, à Libération, le "retour de Jospin à un passeport pour le désespoir". "Quel dommage qu'il soit revenu pour nous faire la leçon !". a ironisé le PCF. "Il n'a pas apporté d'arguments nouveaux", affirme la secrétaire nationale du parti, Marie-George Buffet.

La droite est restée quasi muette, à l'exception de Brice Hortefeux, secrétaire général délégué de l'UMP, qui a évoqué "Hibernatus". "En trois ans, a-t-il déclaré, rien n'a changé chez lui, ni en qualité, ni en défaut."

Le prochain rendez-vous de Lionel Jospin est fixé le 19 mai à Nantes. Pour un meeting du oui.

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 30.04.05


Le Monde / Société
A Marigny-le-Grand, le Teknival continue malgré une décision préfectorale

 L e préfet de la Marne a décidé, vendredi 29 avril, pour des raisons sanitaires, de mettre fin au Teknival prévu jusqu'à dimanche sur une ancienne base aérienne à Marigny-le-Grand (Marne), en raison, a-t-il dit, de l'apparition en nombre sur le site de chenilles urticantes.

"La manifestation doit s'arrêter le plus vite possible", a déclaré à la presse sur place le préfet Dominique Dubois, en expliquant que la présence - qui serait due aux températures très douces - de nombreuse chenilles urticantes pouvait faire courir "un risque vital" aux participants.

Un "teufeur" décède, victime d'un arrêt cardiaque
Un homme de 47 ans qui participait au Teknival de Marigny-le-Grand (Marne) est décédé sur place, samedi matin, d'un arrêt cardiaque vraisemblablement lié à "une intoxication aux stupéfiants", a déclaré à l'AFP le préfet de la région Champagne-Ardennes, Dominique Dubois. "Nous avons eu un décès, ce matin vers 7 h 30, un homme de 47 ans victime d'un arrêt cardiaque, je pense pour un problème d'intoxication aux stupéfiants. Il n'avait pas été admis au poste médical avancé" installé sur l'ancienne base aérienne ou se tient le Teknival, a précisé le préfet. (AFP)

Le préfet s'est dit "dans l'obligation d'interdire l'accès au site" du festival de musique techno, débuté jeudi, et où quelque 40 000 personnes étaient attendues dans la nuit de vendredi à samedi.

Selon M. Dubois, le contact avec les chenilles urticantes peut provoquer de l'urticaire généralisée, de l'asthme, voire des oedèmes s'il y a eu consommation d'alcool ou de stupéfiants chez les victimes.

Parmi les quelque 8 000 personnes présentes sur le site en fin d'après-midi, selon la préfecture, plusieurs dizaines avaient déjà été soignées sur place pour des urticaires, a constaté une correspondante de l'AFP.

100 000 PERSONNES ATTENDUES

Six postes de secours et un poste médical avancé ont été installés sur le terrain de 320 hectares de l'ancienne base et une cinquantaine de pompiers et 700 gendarmes devaient assurer la sécurité de l'événement où environ 100 000 personnes étaient attendues jusqu'à dimanche.

Plusieurs associations de protection de l'environnement avaient protesté contre la tenue du Teknival sur un site distingué par l'initiative européenne"Natura 2000" et considéré comme "l'un des plus exceptionnels de Champagne-Ardennes", selon l'association écologique Cap 21.

Plusieurs associations avaient déposé jeudi un recours en référé contre l'autorisation préfectorale donnée à l'organisation de ce Teknival. Le tribunal administratif de Chalons-en-Champagne a suspendu vendredi soir l'autorisation verbale du préfet, mais la décision est de pure forme.

Le Teknival est organisé sur cette base désaffectée de l'OTAN, où s'était déroulé en mai 2003 le premier Teknival légal, qui avait rassemblé en trois jours 45 000 personnes, sans incident.

Avec AFP, Reuters
LEMONDE.FR | 30.04.05 | 11h26


Le Monde / Société
M. Pasqua se dit "étranger" au dossier "Pétrole contre nourriture"

 L' ex-conseiller diplomatique de Charles Pasqua, Bernard Guillet, a été mis en examen, jeudi 28 avril, pour "recel d'abus de biens sociaux" et "trafic d'influence aggravé" par le juge Philippe Courroye (Le Monde du 28 avril). M. Guillet a été laissé en liberté sous contrôle judiciaire, par le juge des libertés et de la détention, et ce, contre l'avis du parquet de Paris qui avait requis son placement en détention provisoire.

M. Guillet est suspecté d'avoir touché des commissions sur la revente de barils de pétrole exportés par l'Irak, du temps de Saddam Hussein, en marge du programme onusien "Pétrole contre nourriture".

La mise en examen de M. Guillet intervient dans le cadre de l'enquête du juge Courroye portant, à l'origine, sur les commissions versées par la société Total à des intermédiaires, afin d'accéder à certains marchés, notamment en Irak et en Russie. Plusieurs cadres du groupe sont poursuivis dans cette affaire (Le Monde du 23 octobre 2004).

Egalement soupçonné d'avoir bénéficié des largesses de l'ancien régime baasiste, sous forme de "coupons" pétroliers, Charles Pasqua pourrait être mis en cause dans ce dossier. Réélu sénateur des Hauts-de-Seine, en septembre 2004, M. Pasqua bénéficie d'une immunité qui le met à l'abri de toute mesure coercitive (garde à vue, contrôle judiciaire, incarcération).

"ACCUSATIONS DÉLIRANTES"

Jeudi, l'ancien ministre de l'intérieur s'est dit "indigné que l'on mêle -son- nom à cette affaire, à laquelle -il est- totalement étranger". Ironique, M. Pasqua a ajouté: "Ces derniers temps, je m'étonnais qu'on ne sorte rien contre moi, alors que je me suis lancé dans la campagne contre la Constitution européenne ! Or, à chaque fois qu'il y a une élection, on trouve quelque chose pour me mettre en cause. Je ne crois pas aux coïncidences..."

Sur le fond, M. Pasqua a déclaré: "Comme je l'ai dit à plusieurs reprises déjà, je n'ai rien à voir là-dedans. Je n'ai jamais reçu quelque somme que ce soit de Saddam Hussein, jamais commercé dans le pétrole. Si mon nom apparaît, il doit tout de même être facile de vérifier que ces accusations sont délirantes". a-t-il assuré. Selon l'ancien ministre, les documents, sur lesquels semble s'appuyer la justice française, "ne sont pas nouveaux": "Ce sont des éléments tirés du rapport de Charles Duelfer, dont les liens avec la CIA sont notoires."

Chef de l'Iraq Survey Group (ISG), le groupe des inspecteurs américains en Irak, Charles Duelfer avait provoqué une vive réaction des autorités françaises, en octobre 2004, lors de la publication d'un rapport selon lequel des personnalités et des entreprises françaises auraient bénéficié de l'argent du pétrole irakien (Le Monde du 9 octobre 2004).

M. Pasqua a, par ailleurs, affirmé qu'il entendait "prendre toutes les mesures, y compris judiciaires, afin de défendre -ses- intérêts". "Je ne me laisserai pas traîner éternellement dans la boue". a-t-il souligné.

F. Lh.
Article paru dans l'édition du 30.04.05


Le Monde / Société
Les renseignements généraux, la DST et la DNAT pourraient vivre ensemble

 E n 2006, les policiers spécialisés dans l'antiterrorisme pourraient découvrir, pour la première fois, les bienfaits du voisinage et travailler dans un même bâtiment. Le ministère de l'intérieur espère réunir la direction de la surveillance du territoire (DST), la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et la division nationale antiterroriste (DNAT). Ces services s'installeraient dans un immeuble situé rue de Villiers, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).

Le projet réclame encore d'ultimes arbitrages. Afin d'étudier la répartition des mètres carrés et des étages, une réunion technique a eu lieu à la direction de l'administration de la police nationale (DAPN), lundi 25 avril, avec les directeurs de la DST et de la DCRG, Pierre de Bousquet et Pascal Mailhos.

Dix jours plus tôt, les deux hommes ont visité le site pressenti. "Tout cela n'est pas encore totalement tranché, explique-t-on à la direction générale de la police nationale (DGPN). En tout cas, le projet s'inscrirait dans un grand plan de réaffectation des locaux de la police."

Le déménagement offrirait un gain de place, en particulier pour les fonctionnaires des RG et de la DNAT, confinés dans l'enceinte du ministère de l'intérieur, dans le 8e arrondissement à Paris. La DST devrait quitter ses locaux ­ qu'elle partage avec d'autres services ­ situés rue Nélaton, dans le 15e arrondissement. Elle est la moins enthousiaste à l'idée de cette réunion. "La DST tient farouchement à son indépendance, mais c'est le sens de l'histoire, explique-t-on dans l'entourage du ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin. Il faut décloisonner."

FUTURS RAPPROCHEMENTS

Ce regroupement permettrait de résoudre des problèmes de sécurité, notamment au cours des gardes à vue de suspects dans le domaine du terrorisme. La mutualisation des moyens, souhaitée depuis des années, pourrait enfin trouver des applications concrètes. Les cellules de garde à vue, par exemple, pourraient être communes à la DNAT et à la DST.

En septembre 2003, le ministère de l'intérieur s'était déjà penché sur un regroupement des fonctionnaires de la DST, de la DCRG et du service de coopération technique internationale de police (SCTIP). L'administration avait même repéré un immeuble, situé rue de La Boétie, dans le 8e arrondissement à Paris. Mais le loyer réclamé par la société d'assurances propriétaire des lieux s'était révélé trop important.

Le projet ne se limite pas aux seuls services antiterroristes; il concernerait l'ensemble des sections de la DCRG et de la DST, de l'intelligence économique aux courses et jeux. Mais ces deux directions et la DNAT ont un point en commun, qui laisse deviner de futurs rapprochements: elles travaillent toutes sur le terrorisme islamiste.

Tout en écartant l'idée d'une fusion entre les services, M. de Villepin a souvent insisté sur la nécessité d'une coopération dans ce domaine. Pour cela, il a créé en 2004 le conseil du renseignement intérieur (CRI), qui réunit chaque mois des représentants de la DST, des RG, du SCTIP et de la gendarmerie.

En outre, des pôles régionaux de lutte contre l'islamisme radical sont lancés partout en France, réunissant les fonctionnaires des RG et de la DST.

Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du 30.04.05


Le Monde / Opinions
Analyses
Les grands anciens au secours de l'Europe

 L a bataille du référendum fait sortir de leur retraite les grands anciens. Faut-il penser que la nouvelle génération de responsables politiques ­ - qui ont quand même tous atteint la cinquantaine ­ - n'est pas à la hauteur du défi que représente l'adoption du traité constitutionnel européen ?

Il est vrai que, selon les sondages d'intentions de vote, les plus de 65 ans sont la seule classe d'âge indéfectiblement acquise au oui. Longtemps, les 18-24 ans ont été favorables, en majorité, au traité constitutionnel européen, mais ils ont fini par douter eux aussi. S'ils n'ont pas rallié massivement le camp du non, du moins sont-ils partagés, avec un léger avantage pour le refus du traité. Entre 25 et 64 ans et, surtout, entre 30 et 54 ans, le non domine. Les dirigeants politiques qui appartiennent à ces catégories d'âge seraient-ils atteints, eux aussi, d'une forme sournoise d'euro-doute ? Ou bien hésiteraient-ils à affronter un air du temps porteur de mécontentement, de protestation, voire de révolte contre les élites ?

En fait, l'atonie de certains des défenseurs naturels du oui est venue rappeler une réalité propre à la France. Dans ce pays, si l'on a de hautes ambitions politiques, on hésite à s'afficher d'emblée pro-européen. L'Europe est plus facile à défendre en"contre" qu'à promouvoir de façon offensive.

En 1992, pendant la campagne pour le traité de Maastricht, les partisans du oui avaient tardé à répondre à la campagne de Philippe Séguin pour le non. Et ceux qui s'y étaient attelés les premiers n'avaient pas été des dirigeants de parti ni des candidats potentiels à la présidence de la République, mais les militants du Mouvement européen, association discrète de parlementaires dévoués à la cause de l'Union. Familiers des débats et des assemblées de Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg, souvent bien implantés localement, ils n'exerçaient pas de responsabilités nationales de premier plan et n'étaient pas candidats aux premiers rôles.

Si l'on est au pouvoir, président de la République, premier ministre ou membre important du gouvernement, on défend l'Europe, parce qu'on travaille tous les jours avec elle, parce qu'on sait ce qu'il en coûterait de la perdre et qu'on aurait du mal, de toute façon, à s'en dissocier. En revanche, si l'on est dans l'opposition ou dans la compétition pour le pouvoir, on ménage le sentiment anti-européen.

De la sorte, les anti-européens ont toujours une longueur d'avance, comme on l'a vu, de nouveau, dans la campagne pour le référendum du 29 mai. Ils partent les premiers. Ils profitent de la complexité des textes pour "révéler" au public ce qu'"on" lui cache. Incrédules, les pro-européens laissent faire ou, penauds, rentrent la tête dans les épaules. Pourquoi ? Parce que l'Europe est, auprès d'une partie des Français, une mauvaise cause. Elle n'est ni aussi belle, ni aussi simple, ni aussi pure qu'on le voudrait. Elle impose des renoncements plus visibles que ses bienfaits. Elle offusque le sentiment national en obligeant à composer avec ses voisins. Elle accompagne des changements économiques et sociaux douloureux pour ceux qui en font les frais.

C'est ainsi que, en 1992, Jacques Chirac avait longuement hésité avant de se prononcer pour le oui, et il avait accepté que les moyens de campagne de son parti, le RPR, fussent partagés entre partisans et adversaires du traité de Maastricht. Au PS, Lionel Jospin, plutôt que de prendre parti simplement pour le oui, avait préféré dire "non au non".

Treize ans plus tard, les mêmes font campagne pour le oui. Sans doute peut-on les soupçonner, l'un et l'autre, d'arrière-pensées. Le président de la République laisse planer le doute sur une éventuelle candidature à un troisième mandat en 2007. L'ancien premier ministre, quoi qu'il dise, est de retour dans une vie politique dont il s'était retiré en 2002. Néanmoins, ils sont passés, tous les deux, de l'autre côté de la barrière. Européens de fait et de pratique, ils n'ont pas le choix. Ils peuvent espérer convertir des anti-européens, pas les séduire.

Plus évidemment désintéressés, d'autres aînés de la politique ont repris du service pour secourir le oui. Raymond Barre, ancien premier ministre, Simone Veil, ancienne présidente du Parlement européen, Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, Edmond Maire, ancien secrétaire général de la CFDT, sont sortis de leur réserve afin de défendre l'Union européenne, menacée par un rejet du traité constitutionnel en France. De droite ou de gauche, issus ou proches de la démocratie chrétienne, ils jettent le poids de leur autorité et la force de leur témoignage dans le combat pour l'union politique de l'Europe. Qu'ils n'attendent plus aucune gratification pour eux-mêmes montre que l'enjeu de cette bataille est au-delà des calculs politiques, puisqu'il mobilise des hommes et des femmes qui, s'ils n'ont rien à y perdre, n'ont rien non plus à y gagner.

La situation de Valéry Giscard d'Estaing est différente. D'abord, puisque la Constitution européenne est son œuvre, la défendre devant les Français est bien le moins qu'il puisse faire. Ensuite, on ne peut pas jurer qu'il ne songe pas, si la Constitution est ratifiée dans toute l'Union, à inaugurer la présidence du Conseil européen qui en est l'une des innovations. Celui qui présida la Convention européenne est, comme Jacques Chirac et Lionel Jospin, un"grand ancien" dont l'horizon ne se borne pas au 29 mai ni à une place déjà définie dans l'Histoire.

Patrick Jarreau
Article paru dans l'édition du 30.04.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Dix ans de Chirac

 J acques Chirac l'a confié lui-même aux téléspectateurs: il n'aime pas – ou il n'aime plus – les anniversaires et les bilans. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le président de la République n'a prévu aucune célébration du dixième anniversaire de sa première élection, le 7 mai 1995, à l'Elysée. Il est vrai que la période actuelle, à trois semaines d'un référendum à hauts risques pour son initiateur, sur fond de malaise social et de record d'impopularité pour le couple exécutif, invite à la sobriété.

M. Chirac est le troisième président à franchir le cap des dix ans. Et les précédents ne sont guère réconfortants. En mai 1968, les manifestants scandaient à l'intention du général de Gaulle: "Dix ans, ça suffit !" En mai 1991, François Mitterrand était environné par les crises et confronté à son divorce avec une opinion de plus en plus sévère sur la montée des affaires et l'échec du gouvernement face au chômage.

Même si on lui fait la grâce de ne pas rappeler les affaires qui ont jalonné son septennat de 1995 à 2002, et contre lesquelles il a su se mettre judiciairement à l'abri, force est de reconnaître que son bilan ne prête pas à l'autocélébration, dont l'UMP, en voie de "déchiraquisation". se garde bien.

M. Chirac, qui manie excellemment l'art de faire campagne, tout en ayant réalisé de médiocres scores au premier tour de l'élection présidentielle, en 1995 et, plus encore, en 2002, comme président sortant, a souvent fait la démonstration de l'impuissance de l'action comme de l'incohérence et de l'inconséquence des promesses qui n'engagent que ceux auxquels elles sont destinées...

L'aura qu'il a fini par conquérir sur la scène internationale et le rôle qu'il a joué dans l'opposition à l'engagement américain en Irak l'ont sauvé d'un bilan qui aurait pu paraître au mieux vide, au pire en contradiction avec ses engagements de candidat. On se souvient que le champion de la lutte contre la "fracture sociale". celle qui, à ses yeux, menaçait en 1995 l'"unité nationale". s'est métamorphosé, cinq mois après son élection, en gardien de l'orthodoxie monétaire. Tant pis si, depuis, l'insécurité sociale a regagné du terrain.

M. Chirac a à son actif la professionnalisation des armées, l'ouverture de grands chantiers humanitaires, un combat verbal contre la mondialisation "ultralibérale". Il est l'homme du beau et courageux discours du Vél'd'Hiv, où il assuma la responsabilité historique de la France en tant qu'Etat dans la déportation des juifs pendant l'Occupation. Il est aussi celui qui se tira une balle dans le pied en prononçant, en 1997, la dissolution de l'Assemblée nationale. Une parenthèse de la cohabitation qui a débouché, avec un quinquennat auquel ce président plus opportuniste et pragmatique que gaulliste s'est résigné, sur une présidentialisation accrue du régime.

Ironie de l'Histoire, c'est sur l'Europe ­ terrain sur lequel, même s'il n'est plus eurosceptique, il a souvent tempéré ses élans ­ que l'opinion va lui dire "stop ou encore". Le 30 mai, il saura s'il doit préparer sa sortie ou... rêver d'une suite.

Article paru dans l'édition du 08.05.05


Le Monde / Opinions
Analyse
La révolution de l'espace de bataille

 C' est une révolution à la fois progressive et brutale, encore assez virtuelle, qui couve dans la discrétion des états-majors: la "numérisation de l'espace de bataille" est en marche sans retour possible. Jusque-là, l'art de la guerre était pragmatique: les artilleurs tiraient un coup long et un coup court, pour se régler; les généraux échafaudaient des plans sur des tableaux muraux; et sur le terrain, les officiers appliquaient ces consignes en plaçant leurs unités sur les cartes d'état-major avant de les envoyer dans la boue des champs de bataille.

Et puis, un peu après que la société civile eut basculé dans l'ère d'Internet, l'armée a découvert les systèmes d'information et de communication et son monde – l'espace de bataille – a changé de visage. Demain – aujourd'hui déjà –, le fantassin, la section, la division, l'avion de combat et le sous-marin, le satellite et le drone, le robot ne sont plus que des capteurs reliés entre eux et au commandement par un vaste réseau informatique crypté.

Utiliser les yeux de tous, faire bénéficier chaque soldat des observations d'une constellation de satellites, permettre au conducteur de char de voir le champ de bataille sur son écran, raccourcir la boucle entre la détection, la décision et l'action, entre les systèmes d'armes et les donneurs d'ordres, donner à tout responsable d'une action militaire la supériorité informationnelle: telle est l'approche qui prévaut dans la volonté de créer cet "intranet du champ de bataille".

La numérisation ne se limite pas au passage de l'analogique au numérique, elle n'est pas dictée par la professionnalisation des armées, par la réduction des effectifs, et n'est pas uniquement la réponse aux avancées technologiques, mais elle en est la synthèse. Elle répond au défi de l'interopérabilité, de plus en plus nécessaire avec l'évolution des conflits, qui montre la nécessité de réponses – presque toujours – multinationales. Cela suppose une standardisation des armements et une capacité de mise en réseau: la guerre plug-and-play (autoconfigurable) ne relève plus du domaine des jeux électroniques.

Cette révolution qui prend parfois l'allure d'une fuite en avant un peu inquiétante (on a très peu de "retour d'expérience" ), est liée à la transformation des armées, accélérée par la fin de la Guerre froide: il s'agit de les retailler en unités plus flexibles, légères et rapidement déployables. Peut-être cette numérisation est-elle née d'un rêve de stratège: disposer en permanence de toutes les informations utiles sur ses amis comme sur ses ennemis, afin d'être toujours capable de surprendre l'adversaire.

GUERRIERS DE L'INFORMATION

Aujourd'hui, la suprématie d'une nation n'est plus seulement liée à sa puissance de feu, mais à la circulation des informations entre ses systèmes d'armes, à leur capacité de s'intégrer dans un ensemble plus vaste, un"système de systèmes".

La numérisation est aussi une réponse à la nouvelle approche des conflits: les guerres doivent se gagner vite, en limitant au minimum les dommages collatéraux, notamment la destruction de l'outil économique. Il faut annihiler des centres de décision, pas de raser des villes.

Parallèlement à un blitzkrieg high-tech, la guerre se gagne aussi, et parfois surtout, sur le plan médiatique. Si l'écran d'ordinateur n'a pas remplacé le fusil ou le missile, il en est devenu l'indispensable complément. La guerre en réseaux, le Network Centric Warfare, que les Français traduisent par "combat infocentré". fait apparaître un nouveau type de combattants, les "guerriers de l'information" (les Knowledge Warriors).

Les Américains se sont lancés massivement, depuis le début des années 1990, dans cette numérisation. Ils ont donné au Global Information Grid (GIG, "réseau global d'information") un surnom: "God's eye view" ("la vision de l'œil de Dieu"). Dans les années qui viennent, les forces américaines seront dotées de centaines de milliers d'ordinateurs qui permettront aux capteurs de disposer en direct des informations fournies par cette Toile militaire.

Les promoteurs de ce système prédisent que ce maillage d'ordinateurs deviendra l'arme la plus puissante de l'arsenal américain et qu'il imprimera autant sa marque sur la guerre du XXIe siècle que les armes nucléaires l'ont fait sur la Guerre froide. Au cours de la prochaine décennie, le Pentagone prévoit de dépenser quelque 200 milliards de dollars dans le Centric Warfare Program.

En France, la numérisation du champ de bataille fait l'objet d'une approche prudente, mais déterminée. Le système d'information régimentaire (SIR) relie déjà toutes les unités de l'armée de terre au commandement, et, en 2007, deux brigades devraient être numérisées.

La numérisation de l'artillerie sol-sol est en passe d'être achevée avec le système Atlas-Canon, et elle précède celle des hélicoptères et de la défense sol-air, des blindés, des véhicules de transport tactique et de l'infanterie. Le programme Félin (Fantassin à équipement et liaisons intégrés), qui devrait équiper l'armée de terre vers 2007, permettra une visualisation des images vidéo transmises par les autres combattants.

Sur un assistant personnel, le soldat disposera d'une vision "en trois dimensions" de l'environnement urbain dans lequel il évolue. Mais cette révolution présente aussi de risques: trop d'information tue l'information. Si des filtres ne sont pas mis en place rapidement, si des mécanismes de synthèse, d'élimination de l'information non pertinente ne sont pas en place, la Toile militaire deviendra ingérable et paralysera la décision.

La diffusion ultrarapide, transversale, de l'information risque de s'affranchir de la hiérarchie, colonne vertébrale des armées, et de bousculer la notion pyramidale du commandement. C'est pour cela qu'à ce propos, la revue française Doctrine rappelle sagement la maxime du maréchal de Lattre: "Un outil ne vaut que par la main qui l'anime."

Laurent Zecchini
Article paru dans l'édition du 10.05.05


Le Monde / Opinions
POINT DE VUE
Ile Seguin: je renonce , par François Pinault

 C' est en septembre 2000 que j'ai décidé d'édifier un musée d'art contemporain sur l'île Seguin. Je rêvais alors d'un lieu où se comblerait la distance qui sépare trop souvent nos contemporains et l'art de leur temps, où je pourrais enfin ouvrir au plus grand nombre une collection que je rassemble depuis plus de trente ans. Mon objectif était de l'inaugurer en 2005.

J'avais conscience alors de me lancer dans une entreprise difficile mais exaltante. Une entreprise unique par son ambition et son propos: ce musée dédié à l'art contemporain venait en complément et non en concurrence des équipements publics de notre pays. Unique également par son inscription dans une opération d'aménagement qui se voulait exemplaire: ce musée devait contribuer à faire revivre le site des anciennes usines Renault à la faveur d'un urbanisme ambitieux et d'une conjugaison de volontés fortes; la mienne bien sûr, mais aussi celle de la ville de Boulogne-Billancourt, chargée d'aménager cette cinquantaine d'hectares en déshérence depuis 1989.

C'était une immense fierté pour moi de lancer un tel projet et je m'y suis engagé avec enthousiasme. Après avoir conclu un accord de principe avec la ville de Boulogne-Billancourt, je lançai en janvier 2001 une consultation internationale d'architecture à l'issue de laquelle je sélectionnai la proposition de Tadao Ando.

Pour constituer l'équipe de maîtrise d'oeuvre, celui-ci s'associait à Michel Macary, l'architecte du Louvre et du Grand Stade, entre autres, et au bureau d'études Setec, remarquable ingénieur ­ notamment du viaduc de Millau -Aveyron-. Très rapidement, j'organisais aussi la maîtrise d'ouvrage. Les études progressaient à un rythme soutenu.

Au cours de mes discussions avec Tadao Ando, je voyais peu à peu apparaître le bâtiment dont j'avais rêvé, un bâtiment dont la force et la sérénité devaient, à mes yeux, braver le temps. Le dossier de permis de construire était déposé, obtenu, puis les appels d'offres lancés. Entre-temps, j'avais confié à l'ancien ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, le soin de me proposer le schéma d'administration du futur musée. J'en avais pressenti le directeur, Philippe Vergne. Je préparais même l'exposition d'ouverture avec la première grande rétrospective de l'oeuvre de l'artiste américain Jeff Koons.

Une promesse de vente du terrain m'était consentie le 13 septembre 2004 par Renault. Les conditions mises à l'achat prévoyaient notamment un cadre réglementaire stabilisé pour l'aménagement des terrains Renault, conditions qui devaient être impérativement satisfaites avant le 28 février 2005. C'est-à-dire l'année où je devais initialement inaugurer le musée !

Certes, depuis 2000, j'avais appris à prendre patience. J'avais pris acte des retards infligés à ce projet en raison des opérations de démolition des anciens bâtiments, de dépollution du site, de renforcement des berges, opérations qui n'avaient pas été instruites à temps. C'était alors l'échéance de fin 2007 qu'on me disait devoir viser.

Cette prévision était, hélas, trop optimiste encore.

L'hiver dernier, il m'a en effet fallu prendre acte de l'enlisement administratif de l'opération d'aménagement. Des recours d'abord gracieux puis contentieux, non instruits à temps par la ville de Boulogne-Billancourt, remettaient en cause le plan local d'urbanisme. Il me fallait donc renoncer à mon intention de poser la première pierre le 21 mars 2005.

Mais, surtout, je constatais qu'à part un projet de "façade-enveloppe", contestable et contesté, le plan d'urbanisation de l'île et de ses abords, pour lequel le musée devait servir de locomotive, restait très approximatif. Or un voisinage de qualité et des accès performants sont des préalables indispensables à l'attrait de tout lieu culturel.

J'avais d'ailleurs fait de l'environnement urbain du musée l'une des conditions sine qua non au lancement de mon projet. Depuis septembre 2000, je n'ai eu de cesse de connaître précisément la nature des programmes que l'on m'avait promis sur l'île et le calendrier de leur réalisation. Toutes mes demandes se sont heurtées à des réponses imprécises ou à de vagues promesses. Mes interlocuteurs semblaient assimiler à de l'acharnement mon impatience à connaître le voisinage du musée, exigence pourtant exprimée dès l'origine à travers une correspondance soutenue.

L'incertitude sur le statut foncier du reste de l'île et l'énoncé successif de programmes très ponctuels mettaient peu à peu en évidence l'absence de tout concept pour le renouveau de l'île Seguin et la fragilité d'une opération qui paraissait reposer sur des expédients.

Pourtant mes partenaires s'étaient engagés à bâtir jusqu'à 150 000 m2 de programmes sur l'île Seguin en complément du musée. Naturellement, j'avais bien conscience que ces constructions ne pourraient être édifiées du jour au lendemain.

Mais tout de même ! Les programmes qu'on me propose aujourd'hui ne couvrent tout au plus que quelques milliers de mètres carrés et ne s'inscrivent dans aucune perspective concrète. Cinq ans après le lancement de cette opération, aucun exploitant, aucune institution ni personne n'a contracté un engagement ferme ! Comment imaginer que je mobilise le talent d'un immense architecte et un investissement de 150 millions d'euros pour construire un bâtiment dont l'environnement serait défiguré pendant plus d'une décennie par le voisinage au mieux d'un immense chantier, au pire d'un terrain vague ?

Le retrait des recours contre le plan local d'urbanisme, le 22 avril, éteint certes un contentieux qui obérait l'ensemble de l'opération. Mais, même dans l'hypothèse où par l'alliance des meilleures volontés toutes les incertitudes, qui demeurent grandes, seraient levées, je ne pourrais lancer le chantier de construction au mieux qu'en fin d'année, ce qui repousserait l'ouverture du musée à 2009-2010. Une échéance, hélas, encore très incertaine et en tout cas bien trop lointaine pour moi.

Chacun doit bien se rendre compte que le temps d'un projet culturel privé ne peut pas être celui d'un projet public. Le temps d'un entrepreneur, c'est celui de son existence, de son âge, de son impatience à concrétiser son rêve.

Le temps d'une administration, c'est celui des procédures, d'une patience sans limite qui s'accommode des inerties, des remises en cause politiques ou budgétaires, d'une résignation face aux pesanteurs, aux mois qui s'ajoutent à des semestres pour aboutir à des années de retard, en bref d'une constance sans passion. L'éternité est le temps de l'art, pas celui des projets qui veulent le servir.

Je ne veux faire ici le procès de personne, mais je dois constater que je n'ai plus la patience de persévérer dans le projet de doter la France du musée conçu par Tadao Ando. Je renonce à ce si beau projet avec une immense déception et une grande tristesse, avec d'autant plus de tristesse que beaucoup de talents s'y étaient engagés à ma demande, ceux bien sûr de Tadao Ando et de son équipe, mais aussi ceux des artistes qui ont conçu des oeuvres spécifiques pour ce musée, ceux de l'équipe que j'ai réunie autour de ce projet, ceux des entrepreneurs qui ont répondu aux appels d'offres.

Pour autant je n'aime ni subir ni renoncer. Aussi face à la situation bloquée de l'île Seguin, et a contrario devant l'accueil que m'ont réservé d'autres villes, j'ai décidé de ne pas baisser les bras.

Mon désir de faire partager ma passion pour l'art reste intact, c'est pourquoi je saisis cette formidable chance que constitue la disponibilité du Palazzo Grassi pour commencer sans tarder à ouvrir ma collection au public.

Dans cet extraordinaire creuset des cultures qu'est Venise, le Palazzo Grassi a acquis une grande réputation, à l'initiative de Gianni Agnelli, qui fut mon ami. C'est cet héritage dont j'assumerai désormais la responsabilité. Avant la fin de cette année, j'y déploierai un cycle d'expositions ouvert à l'art contemporain et à celui du XXe siècle. Fort de l'appui de la ville de Venise, de ses maires successifs, Paolo Costa et Massimo Cacciari, je tenterai de donner un nouveau souffle à cette prestigieuse institution. La possibilité m'étant offerte d'y ajouter un bâtiment nouveau, j'engagerai des travaux qui permettront de doubler les surfaces d'exposition.

C'est à mes yeux une première étape. Après Venise, je souhaiterais pouvoir associer d'autres villes, en Europe et, je l'espère, en France, essayant ainsi de constituer un réseau international dans lequel circuleront les oeuvres, les propositions, les idées, les regards.

Contrairement au regretté projet pour l'île Seguin, enlisé dans les incertitudes, les longueurs, et les pesanteurs, je manifeste ainsi mon désir de faire vite et d'ouvrir enfin ma collection au plus grand nombre. Je fais en même temps le choix que l'art a fait depuis bien longtemps: le choix de l'universalité, le choix de l'Europe.

Venise n'est ni le refuge d'une passion déçue ni un pis-aller. C'est ­ dans le meilleur de la tradition de cette ville ­ un point de départ et l'espérance de nombreuses aventures.


François Pinault est président d'honneur du groupe PPR.

par François Pinault
Article paru dans l'édition du 10.05.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
La liberté indivisible

 L es commémorations sont faites pour célébrer les mythes historiques, pas pour se livrer à des examens de conscience. Il en aurait été ainsi du 60e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, qu'une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement fêtent, lundi 9 mai à Moscou, si les dirigeants des Républiques baltes n'avaient pas rompu avec le politiquement correct.

Le président lituanien et le président estonien ont refusé de se rendre à Moscou. La présidente lettone a accepté l'invitation du président Poutine pour dire leur fait aux Russes. Tous les trois entendent protester contre la manière dont la Russie officielle continue à écrire l'histoire, considérant que la victoire sur le nazisme n'a pas marqué pour leurs peuples une libération, mais le début d'une nouvelle oppression.

Les Etats baltes ont été annexés par Moscou en 1945 après avoir été une première fois occupés par les Soviétiques en 1939 puis être tombés sous le joug nazi. Pour eux, la libération date de 1991. Les Polonais ne sont pas loin de penser la même chose. Or la ligne officielle russe actuelle reprend mot pour mot les fables de la propagande soviétique: les Baltes auraient librement demandé leur rattachement à l'URSS.

Les Russes ne sont certes pas les seuls à devoir examiner honnêtement la manière dont leur histoire est écrite. Les Baltes ne sont pas au-dessus de tout reproche. Les déportations en Sibérie expliquent peut-être que beaucoup d'entre eux aient, en 1941, accueilli les Allemands comme des libérateurs ­ ce qu'ils n'étaient pas. Elles ne sauraient justifier leur participation à la persécution des juifs vivant sur leur sol. Cette part tragique de leur histoire devrait être soumise au même examen critique qu'ils réclament à juste titre des Russes.

George W. Bush, plus connu pour son penchant manichéen, a montré dans un discours, samedi à Riga, capitale de la Lettonie, que la reconnaissance des erreurs ne devait pas être à sens unique. Après avoir admis que l'esclavage et la ségrégation raciale avaient été une honte pour les Etats-Unis, il a regretté que le président Roosevelt ait accepté avec les accords de Yalta la division de l'Europe pour un demi-siècle. Et que les Américains aient sacrifié la liberté des plus faibles à la stabilité internationale, ou plus exactement à une illusion de stabilité.

Sa visite en Géorgie, où les Américains ont été très actifs pour favoriser l'arrivée au pouvoir du président Saakachvili, s'inscrit dans cette nouvelle politique. Les Etats-Unis, sous la direction de George W. Bush, ne sont pas une puissance du statu quo mais une puissance du changement démocratique. L'expérience irakienne montre que c'est aussi une politique risquée. Mais on peut regretter que l'Union européenne ne tienne pas, dans ses relations avec Moscou, le même langage de fermeté démocratique. Les Européens de l'Est ont eu pendant cinquante ans l'impression d'être abandonnés. En ce jour de commémoration, le soutien de l'Union ne devrait manquer à aucun pays en mal de liberté.

Article paru dans l'édition du 10.05.05


Le Monde / Europe
La Géorgie, plate-forme des "valeurs occidentales"
Tbilissi de notre envoyée spéciale

 S irotant une bière sur une terrasse ensoleillée du vieux Tbilissi, près de l'ancienne place Lénine, rebaptisée place de la Liberté, Gueorgui Kandelaki commente avec une prudente satisfaction l'évolution politique de son pays, un an et demi après la "révolution de la rose" dont il a été l'un des participants les plus actifs. "Il n'y a pas assez de contre-pouvoirs en Géorgie. Les prérogatives présidentielles ont été accrues, tandis que l'opposition est insignifiante. Je veux croire que c'est temporaire", dit cet ancien activiste du mouvement des étudiants géorgiens, Kmara (Assez), qui avait pris part à l'assaut de la foule contre le Parlement, en novembre 2003.

Devenu journaliste à Tbilissi, Gueorgui Kandelaki s'efforce de répandre, ailleurs dans l'ex-URSS, les recettes du renversement de régime. Il fait partie de cette jeunesse géorgienne qui a bénéficié, dans les années 1990, de nombreuses bourses pour étudier aux Etats-Unis. Il a fréquenté une université en Caroline du Nord et a appris les méthodes du "soft power" à l'américaine qui, au grand dam de Moscou, s'exerce dans l'ancien espace soviétique aux moyens de fondations et d'ONG.

Au lendemain de la révolution géorgienne, Gueorgui Kandelaki s'est mis à voyager comme émissaire officieux de Tbilissi vers d'autres républiques: "L'Ukraine, trois fois, la Moldavie, une fois, le Kazakhstan, et des rencontres avec les oppositions de Biélorussie et d'Azerbaïdjan", énumère-t-il. Il a aussi été en contact avec des militants venus de Serbie (les anciens d'Otpor, le mouvement d'étudiants qui contribua au renversement de Slobodan Milosevic, en 2000). Un réseau régional de "champions de la liberté", comme les appelle George Bush, s'esquisse ainsi. L'argent, pour les déplacements de Gueorgui, est venu de programmes d'aides américains. Autant dire que, pour ce jeune homme qui cache une étonnante force de conviction derrière des allures débonnaires, la venue du président des Etats-Unis à Tbilissi s'inscrit dans toute une stratégie. "L'importance de cette visite ne peut être sous-estimée, car elle rend les espoirs nés de notre révolution encore plus réalistes", dit-il. Gueorgui a lu avec satisfaction, sur le site Internet du Washington Post, comment Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, a commenté avec irritation ­ "S'il fait cela, ces pays vont se croire tout permis" ­ l'annonce de la tournée de M. Bush dans la région balte et le Caucase.

Tout est possible, croit fermement Gueorgui. Même une révolution au Kazakhstan. "Ce sera difficile, concède-t-il: j'ai vu, sur place, les richesses que le régime de Nazarbaev peut déployer grâce à ses revenus pétroliers. Il n'y a, après tout, qu'un seul pays pétrolier qui soit démocratique, dans le monde: la Norvège." Quant à la Russie, Gueorgui est sceptique. Lors d'un voyage en Lituanie, il a rencontré des jeunes militants démocratiques venus de Moscou: "Ils sont exposés à de fortes manipulations."

Mais en Azerbaïdjan, il faut s'attendre, dit-il, à "des événements", à l'approche des élections législatives de novembre. "La Géorgie fera attention, dans ce cas, à ne pas trop s'impliquer", ajoute le jeune émissaire: "Le maintien de bonnes relations bilatérales avec ce pays est important pour nous, au moment où l'oléoduc Bakou-Ceyhan (qui traverse la Géorgie, vers la Turquie, et fait l'objet de forts soutiens américains) doit entrer en fonction cette année."

Entretemps, Tbilissi pavoise. La ville est couverte d'affiches honorant George Bush, qui, depuis une immense estrade, s'adressera à la foule, mardi. Promue plateforme de la promotion des valeurs occidentales, dans ces contrées jouxtant le Proche-Orient et le flanc sud de la Russie, la petite Géorgie s'attend à recevoir 200 millions de dollars, sur cinq ans, de nouvelles aides gouvernementales américaines.

Nathalie Nougayrède
Article paru dans l'édition du 10.05.05


Le Monde / France
Le Monde.fr: J - 5: Lionel Jospin veut "se battre avec le oui et pour le oui" à la Constitution
Lionel Jospin sur TF1: "Se battre avec le oui et pour le oui"

 L ors de sa deuxième intervention télévisée de la campagne référendaire, mardi soir, Lionel Jospin a appelé les Français à "se battre avec le oui" pour une Europe plus sociale plutôt que de "se crisper sur le non", qui "ne changera rien en France et nous affaiblira en Europe". Même placés dans un "shaker", les non à la Constitution européenne sont "incompatibles" et "irréalistes", a-t-il estimé, et laisseraient les voisins européens "sidérés".

"Tout ce que l'on voit, c'est que tous ces non sont incompatibles entre eux et que tous ensemble ils sont absolument irréalistes", a insisté l'ancien premier ministre socialiste, invité du journal télévisé de TF1. Citant les prises de position de Jean-Marie-Le Pen, Olivier Besancenot, Marie-George Buffet et Laurent Fabius, il s'est interrogé sur les lendemains du référendum en cas de victoire des opposants au nouveau traité de Rome.

"Qu'est-ce qu'on va en faire si les Français s'exprimaient dans ce sens ? On va les mélanger dans un shaker ? On va l'agiter ? On va demander au président de la République - que l'on veut paraît-il sanctionner par ailleurs - de présenter ce shaker du non à nos partenaires européens sidérés ? , s'est interrogé l'ancien chef du gouvernement, à qui François Hollande avait choisi de céder la place pour la dernière ligne droite avant le référendum, dimanche. Je pense qu'une telle attitude non seulement va isoler la France mais même va nous laisser incompris par les autres Européens".

Lionel Jospin a plaidé pour "une démarche positive, qui ne soit pas de résignation mais qui permette des combats, des actions". Pour lui, l'Europe est "une magnifique aventure historique" mais aussi "une réalité actuelle décevante". C'est pourquoi il estime qu'il faut "d'abord voter le traité pour que l'Europe ne soit pas affaiblie et la France pas isolée, puis se concentrer sur l'essentiel et peser de tout son poids pour faire bouger les politiques européennes".

"Il faut parler croissance, il faut parler emploi, il faut mener une grande politique de recherche, il faut défendre nos intérêts commerciaux - on le voit face à la Chine -, il faut jouer un rôle dans mondialisation pour la réguler mieux", a-t-il insisté. Et d'ajouter:"s'il y a une majorité anti-libérale à partir de 2007, il sera plus facile de le faire".

Avec Reuters et AFP
LEMONDE.FR | 24.05.05


Le Monde / France
J-4: les deux camps jouent la carte de la déstabilisation
Chaque camp relève "l'incompatibilité" de l'autre

 D epuis que Lionel Jospin a affirmé, mardi soir sur TF1, que les différents non sont "incompatibles entre eux et absolument irréalistes", chaque camp tente de décrédibiliser l'autre. L'ancien ministre de l'intérieur Jean-Pierre Chevènement, partisan du non, a affirmé mercredi que "le non républicain a sa cohérence", contrairement à ce qu'affirment les partisans du oui, dont Lionel Jospin. "Nous articulons l'abandon de la souveraineté monétaire et les délocalisations. Laurent Fabius remet en cause l'indépendance de la banque centrale, le pacte de stabilité budgétaire, accepte l'idée d'une Europe à géométrie variable", a expliqué le président d'honneur du Mouvement républicain et citoyen (MRC) sur France 2. Il a ajouté que "le oui de Lionel Jospin ne se différenciait en rien du oui de la droite". "Ses arguments sont exactement les mêmes, ils sont parfaitement compatibles", a-t-il jugé.

Jean-Luc Mélenchon, sénateur socialiste de l'Essonne opposé à la Constitution européenne, a renchéri: "C'est le propre des référendums de mêler des opinions extrêmement diverses." "En France, il y a douze familles politiques et deux réponses possibles" au référendum du 29 mai, a-t-il observé sur Europe 1. Interrogé sur les conséquences des divisions actuelles du PS et le risque d'avoir deux candidats à la présidentielle de 2007, l'animateur de la minorité Nouveau Monde a répondu: "J'espère que non. Vraiment je les invite tous à atterrir, et en particulier ceux qui ont fait monter le ton de cette manière tout à fait déraisonnable." "Agresser comme cela [Laurent] Fabius pendant quinze jours... Mais qu'est-ce qu'il leur a fait ?", a-t-il lancé, avant de dénoncer le terme de "poison xénophobe". employé à propos des déclarations du numéro deux socialiste.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 25.05.05


Le Monde / Opinions
"Au vif": le prochain et le lointain, par Edwy Plenel

 Q uel est l'horizon de la politique ? A cette question où se noue la relation complexe entre intérêts et principes, électeurs et valeurs, inquiétudes et espérances, Laurent Fabius a clairement répondu dès mai 2003, un an après l'échec retentissant de la gauche à la présidentielle. C'était au congrès de Dijon d'un Parti socialiste qui sauvait encore les apparences de l'unité. Comme il le racontera ensuite, dans Cela commence par une balade (Plon, 2003), le futur chef du "non de gauche" à la Constitution européenne avait prévu d'y intervenir sur la mondialisation, estimant dans un premier temps que c'était le sujet décisif de l'époque, "la plupart des questions" étant mondiales et appelant "des réponses qui le soient aussi". Mais, on s'en souvient, il lui préféra le voile islamique en France, s'offrant un succès de tribune républicain et ouvrant ainsi la voie à Jacques Chirac qui en fit une loi. Or, commentant son choix, Laurent Fabius écrit ceci: "Entre le lointain et le prochain, j'avais choisi le prochain."

Toute politique est d'abord un discours dont les mots, leur sélection et leur agencement, sont des actes. Donc, le prochain plutôt que le lointain. On a tort de ne lire la volte-face européenne de Laurent Fabius, hier symbole du libéralisme à gauche, qu'à l'aune de son ambition présidentielle. La part faite du calcul - de l'opportunisme, il faut bien le dire si l'on a quelque mémoire -, il n'en reste pas moins une part de conviction sur l'état de la France et celui de la gauche. La métaphore du prochain et du lointain laisse entendre qu'à trop privilégier ce dernier, ses idéalités et ses subtilités, la gauche aurait perdu le premier, en d'autres termes son assise électorale et sa base sociale.

LA QUESTION SOCIALE

Le constat de cette perte fut d'ailleurs le commentaire sociologique, trop vite oublié, de l'après-séisme de 2002: partagés entre l'abstention massive et le vote pour l'extrême droite, les ouvriers et les employés se sont durablement détournés de la gauche. Depuis vingt ans, tout un monde du travail s'est senti socialement dévalorisé, économiquement malmené, culturellement culpabilisé, spatialement ghettoïsé et politiquement effacé. Symbolisées par le chômage de longue durée qui, parfois, touche plusieurs générations d'une même famille, les crises et politiques économiques ne l'ont pas seulement privé de travail mais aussi de parole, de dignité et de visibilité. La classe ouvrière d'hier a été abîmée dans son identité propre, redevenue l'objet de fatalités sans espoir et non plus le sujet d'une histoire où s'inventeraient des lendemains, fussent-ils aléatoires.

Enquêtant depuis 1985 dans la même région ouvrière, celle de Sochaux-Montbéliard et des usines Peugeot, deux sociologues, Stéphane Beaud et Michel Pialoux, ont amplement décrit cette chute (Retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999; Violences urbaines, violence sociale, Fayard, 2003). C'est là, nous ont-ils appris, dans ce ressentiment accumulé, mélange d'exaspération et de désespérance, qu'il faut rechercher la clé de la persistance électorale du Front national.

Sans fard, ils ont souligné combien l'idéologie de la "préférence nationale" avait pénétré le monde ouvrier, y compris à l'abri d'étiquettes progressistes. "Moi, de toute façon, j'ai pas voté pour les étrangers, j'ai voté français": c'est ainsi qu'une ouvrière, "moderne, de gauche", fit comprendre son vote pour le FN à un délégué CGT, lequel ajouta pour Beaud et Pialoux ce commentaire: "C'est la première fois de ma vie, là, que je voyais le gaucho-lepénisme moyen."

LE RISQUE DU "NON"

Comment y mettre fin ? Comment faire sortir la question sociale de cette emprise du national, de ses pathologies et de ses exclusions ? En commençant par dire"non", n'a cessé de répéter Laurent Fabius. Un "non" à l'Europe dans l'instant du vote, qu'on le veuille ou non, du moins l'Europe telle qu'elle se fait et telle que la soutient la gauche européenne, qu'elle soit politique ou syndicale. Un"non" français au nom d'une Europe sociale dont notre gauche nationale saurait seule inventer le chemin. Le prochain, en effet, plutôt que le lointain. Mais quel prochain ? Un prochain défini par le statut social ou par l'identité nationale ? C'est tout le risque du"non" dit de gauche: un pari sur le sens du vote, sa dynamique et ses lendemains.

Et c'est tout notre désaccord: la conviction que le repli national, fût-il coloré de social, imposera sa symbolique. Car il a une longueur d'avance. Celle que non seulement la droite mais aussi une partie de la gauche lui ont donnée sur les questions de l'immigration et de l'insécurité, des cités et de la religion, des prétendus "sauvageons" en somme et du passé colonial en prime. Cette gauche qui a admis un discours d'ethnicisation d'un monde ouvrier renouvelé par les immigrations maghrébine et africaine. Cette gauche qui démonise l'islam et brandit la Turquie en épouvantail. Cette gauche qui croit encore, comme Fabius il y a vingt ans, que Le Pen, s'il apporte de mauvaises réponses, pose les bonnes questions.

Edwy Plenel LE MONDE | 27.05.05 | 14h15


Le Monde / International
Des rapports du FBI semblent confirmer les profanations du Coran par les geôliers américains à la prison de Guantanamo
New York de notre correspondant

 L' Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union, ACLU), a rendu publics, mercredi 25 mai, des résumés d'entretiens entre des agents du FBI (police fédérale) et des détenus de Guantanamo. Dans ces centaines de pages, des prisonniers se plaignent dès avril 2002, quatre mois après l'ouverture du camp de détention pour les "ennemis combattants" capturés en Afghanistan, d'attitudes "irrespectueuses" envers le Coran. Une dizaine de témoignages font état de la profanation du livre sacré. Depuis des mois, d'anciens détenus font des récits similaires.

Il y a deux semaines, l'hebdomadaire Newsweek affirmait que le Coran avait été jeté dans les toilettes à Guantanamo, provoquant des émeutes en Afghanistan au cours desquelles 16 personnes étaient mortes. Sous la pression de l'administration, Newsweek désavouait son article dont les sources étaient anonymes. Le Pentagone a affirmé à plusieurs reprises que les témoignages d'anciens prisonniers n'étaient pas crédibles et qu'ils étaient incités à travestir la réalité. La semaine dernière, pour Scott McClellan, le porte-parole de la Maison Blanche, les faits décrits par Newsweek "étaient faux".

Les documents révélés par l'ACLU renforcent plutôt les thèses du magazine américain et confirment en tout cas que le Coran était un sujet de contentieux entre les détenus et leurs gardiens, conduisant certains prisonniers à mener une grève de la faim ou à menacer de se suicider. Pour punir les récalcitrants, les interrogateurs les privaient de leur Livre saint et le leur rendaient s'ils se montraient coopératifs.

"COUPS DE PIED"

Les procès-verbaux rédigés par la police fédérale ont été obtenus par l'ACLU dans le cadre d'une procédure judiciaire lancée contre le gouvernement sur le traitement des prisonniers à la base militaire de Cuba. "L'administration détient des documents montrant qu'elle était informée de nombreuses allégations de profanation du Coran", explique Amrit Singh, un des avocats de l'Union américaine pour les libertés civiles. "L'incapacité à les prendre en compte pose de graves questions. Dans quelle mesure ces profanations étaient-elles autorisées par des officiels de haut rang ?", ajoute-t-il.

Le 6 avril 2002, un détenu affirme que "les gardes maltraitent les prisonniers en leur jetant des poubelles parfois pleines de détritus dans leurs cellules et donnent des coups de pied dans le Coran". Dans un témoignage du 1er août 2002, un prisonnier déclare: "Leur comportement est mauvais. Il y a environ cinq mois, les gardiens ont battu des détenus. Ils ont jeté le Coran dans les toilettes".

Pour le porte-parole du département de la défense, Lawrence Di Rita, "ce n'est pas crédible. Ce même détenu a été interrogé le 14 mai dernier. Il a été très coopératif, a répondu aux questions et n'a pas corroboré les allégations de 2002. Ces accusations fantastiques contre nos gars faisant quelque chose de vraiment haineux contre le Coran pour choquer les détenus ne tiennent pas debout".

Jameel Jaffer, un avocat de l'ACLU, n'est pas convaincu. "Malheureusement, nous avons appris au cours des dernières années que les déclarations de prisonniers sur leurs traitements à Guantanamo et ailleurs étaient parfois plus crédibles que les communiqués du gouvernement", explique-t-il.

Deux autres "ennemis combattants" de Guantanamo, tout en reconnaissant ne pas l'avoir vu directement, déclarent au FBI avoir entendu des récits de profanation du Coran par d'autres prisonniers. Il faut prendre ses récits avec prudence. La police fédérale fait état d'un incident où un détenu "a accusé à tort un garde d'avoir jeté le Coran après l'avoir fait lui-même. De nombreux prisonniers ont réagi à cette accusation". Cela aurait provoqué une émeute autour des 19 et 20 juillet 2002. Les procès-verbaux décrivent un cas où une femme, interrogeant un détenu, lui a déclaré être en période de menstruation et "lui a jeté du sang de son corps au visage et sur la tête".

Ce récit est similaire à celui de l'ex-sergent Erik Saar, ancien traducteur de l'armée américaine à Guantanamo, de décembre 2002 à juin 2003. Le Pentagone a indiqué que deux femmes, s'étant comportées ainsi, avaient en fait aspergé d'encre rouge des détenus et avaient été réprimandées. "Le gouvernement continue à ne pas vouloir voir les preuves grandissantes d'abus généralisés. Si nous voulons réellement réparer l'image de l'Amérique dans le monde, l'administration Bush doit tenir pour responsables les officiels de haut rang qui ont autorisé les mauvais traitements et les tortures", a souligné Anthony Romero, le directeur de l'ACLU.

Eric Leser


Antiterrorisme: des coûts triplés d'ici à 2015

Le monde entier va dépenser en 2005 environ 191 milliards de dollars pour se défendre contre le terrorisme, dont 44% à la charge des Etats-Unis, a estimé, mercredi 25 mai, le cabinet privé américain Homeland Security Research Corporation (HSRC). Ce chiffre devrait tripler en dix ans et dépasser 517 milliards en 2015, dont 35% pour les Etats-Unis. Pour parvenir à ces chiffres, HSRC a additionné les dépenses de "sécurité intérieure", c'est-à-dire "les activités de contre-terrorisme d'une nation, à l'intérieur de ses frontières, par les autorités civiles", et les dépenses de "défense intérieure", c'est-à-dire les activités antiterroristes d'une nation et de son armée à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières. Ces calculs ont été réalisés dans l'hypothèse qualifiée de "tension persistante", avec des attentats terroristes mais en l'absence d'attaque majeure du type 11 septembre 2001. ­ (AFP.)

Article paru dans l'édition du 27.05.05


Le Monde / Chats
Référendum: bilan de la campagne
L'intégralité du débat avec Raphaëlle Bacqué, chef du service France au "Monde", mercredi 25 mai 2005, mercredi 25 mai 2005

Cathy: Ne trouvez-vous pas que la campagne s'est "noyée" dans l'explication de texte, qui en fait intéresse peu de monde ?
Raphaëlle Bacqué:
Oui, c'est vrai. Mais est-ce que vraiment les gens s'en désintéressent ? Dans toutes les réunions publiques, des gens arrivaient avec leur Constitution, les livres sur le traité se sont très bien vendus. Mais c'est vrai que, du coup, beaucoup de gens ont perdu de vue le contexte, les enjeux, les suites et que l'on y revient un peu maintenant.

Jecallon: Pensez-vous que cette campagne référendaire soit identique à celle du traité de Maastricht, ou la division avait été plus nettement droite gauche, et ou l'implication des citoyens avait été - dans mon souvenir - moindre ?
Raphaëlle Bacqué:
La division n'avait pas été plus nette. La gauche s'était divisée avec les chevénementistes et la droite s'était divisée à 60/40 entre Pasqua/Séguin et la tendance Chirac/Juppé. Les citoyens s'étaient aussi passionnés pour la campagne et on avait connu un peu le même phénomène éditorial qu'aujourd'hui, toute proportion gardée. la différence, cependant, est que le référendum avait eu lieu le 26 septembre, après l'été et la campagne avait donc été moins suivie, du fait de la coupure des vacances.

Monique: La force du débat est-elle un signe de la qualité de la démocratie en France, ou plutôt un regain du débat qui n'avait pas eu lieu avant le premier tour de la présidentielle de 2002 ?
Maxx974: Pensez-vous que le choc du 21 avril 2002 - et l'image qu'il a montrée des relations entre les citoyens et leurs élus - a pris une importance équilibrée au cours de cette campagne ? On peut se dire déçu du peu de changement dans la conduite des élus.
Raphaëlle Bacqué:
Il est clair que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour, en 2002, a empêché le vrai débat d'avoir lieu sur le type de réforme, le type de représentation politique, etc. Et que nous avons en partie ce débat maintenant.
Il est vrai aussi que la classe politique n'a pas paru prendre en compte le 21 avril et le désaveu qu'il représentait à gauche et à droite. De la même façon, le président n'a pas tiré les conséquences des échecs électoraux de la droite aux européennes, aux régionales, aux cantonales. On finit toujours à avoir les débats que veulent les Français et nous l'avons amorcé pour cette campagne référendaire. Mais il reste encore à mener plus à fond pour la gauche, sur le choix entre une gauche plus réformiste ou pas et sur une droite plus libérale ou pas.

Komotini_ths_Elladas: Pensez-vous que le débat a vraiment permis aux citoyens de comprendre un texte sibyllin ?
Jean-Charles_Guichard: Selon vous, la vraie question de la campagne a-t-elle été bien comprise: oui à cette Constitution ou non mais..., ou alors oui à une Constitution, ou non à une Constitution pour l'Europe.
Raphaëlle Bacqué:
Je crois que pour une grande majorité les Français continuent d'ignorer ce qu'il y a dans la Constitution et continuent à ne pas savoir comment l'interpréter. Car le texte est non seulement très complexe, mais il permet parfois des interprétations diamétralement
opposées qui ont sans aucun doute dérouté beaucoup d'électeurs.
Par ailleurs, la question ne peut être que sur un texte précis: oui ou non à cette Constitution. Le vrai problème est qu'aujourd'hui, une part non négligeable d'électeurs vont aussi répondre à d'autres questions: oui ou non au pouvoir en place, oui ou non à la façon dont on gère la mondialisation, oui ou non à la classe politique française telle qu'elle est.

PARTISANS D'UNE EUROPE SOCIALE CONTRE TENANTS D'UNE EUROPE LIBÉRALE ?

Zack: Sommes-nous en train de constater l'abandon de la vision d'une Europe citoyenne (en France), au profit d'une Europe aux entités souverainistes et libéralistes ?
Dumb_&_happy: A vos yeux, comment expliquer que les opposants au traité aient pu faire du débat sur la Constitution un affrontement entre partisans d'une Europe sociale et tenants d'une Europe libérale (ce qui est à mon sens une grossière erreur de lecture du texte) ?
Raphaëlle Bacqué:
Ce qui est frappant, c'est de voir que les partisans du oui n'ont pas compris qu'ils auraient une vraie campagne à mener et ils l'ont entamée trop tard. Du coup, ils ont laissé les souverainistes et "l'autre gauche" (c'est-à-dire une part du PS, l'extrême gauche,
le PCF, les alter) la mener et imposer leurs propres thèmes.
Par ailleurs, le président de la République, qui décidait lui-même du référendum, n'a pas expliqué pourquoi il le lançait et quelle vision de l'Europe le traité impliquait. Du coup, chacun a été entraîné dans un débat sur d'autres sujets qui pourtant ne sont pas tous déconnectés du débat européen...

Pour_1_oui_ou_1_non: Comment peut-on expliquer l'attrait que cette campagne suscite dans les ménages français ? A l'inverse, pourquoi dans les autres pays tels que l'Allemagne ou l'Espagne (pour prendre deux consultations différentes), la Constitution indiffère-t-elle la population ?
Raphaëlle Bacqué:
D'abord, en Allemagne et en Espagne, les populations ne sont pas consultées puisque les ratifications se sont faites par voie parlementaire. Donc, de fait, les Allemands et les Espagnols ne se sont pas passionnés pour une question qu'on ne leur posait
pas.
En France, c'est très différent. La question de l'identité française est une question importante dans notre pays depuis déjà plusieurs années, mais elle a pris des formes diverses, comme la question de la place de la France dans le monde et a fortiori dans cette Europe dont nous avons longtemps été géographiquement le centre et qui s'élargit aujourd'hui, en nous obligeant
à reconsidérer notre position.
J'ajouterai que les Français restent un peuple passionné par la politique et ce n'est pas seulement anecdotique. Nous avons à la fois une très grande défiance à l'égard de nos élus et une grande foi dans la capacité de la politique à changer le monde ou au moins notre société.

Vylène_Fermière: Vous semblez sous-entendre que beaucoup vont voter non pour sanctionner le gouvernement, ce qui est déplacé. Mais beaucoup vont voter oui pour affirmer leur soutien au projet européen en général. N'est-ce pas tout aussi déplacé ?
Raphaëlle Bacqué:
On voit aujourd'hui dans les sondages, et ne serait-ce qu'autour de soi, qu'effectivement beaucoup de non sont aussi motivés par la volonté de sanctionner le gouvernement (ce n'est pas la seule motivation, mais celle-ci est très forte). Sans doute est-ce "déplacé", comme vous le dites, mais c'est le risque classique des référendums qui se transforment en plébiscites. Pour le oui, cela me semble moins "déplacé'" de voter pour la Constitution pour affirmer son soutien au projet européen tel qu'il est, puisque c'est Constitution en est une étape...

"LE RÉFÉRENDUM PERMET DONC DE RETREMPER LA LÉGITIMITÉ POPULAIRE"

Cathy: Le référendum est-il toujours un outil adapté à un Etat moderne ?
Raphaëlle Bacqué:
Non, je ne dis pas du tout que l'on ne devait pas faire de référendum. Je pense qu'au contraire il est bon qu'à un moment ou à un autre, les peuples se prononcent, notamment sur l'Europe qui a des implications importantes sur leur vie et les choix du pays. Nous sommes dans le temps des peuples, dans des démocraties d'opinion.
Par ailleurs, le référendum vient compenser la vraie faillite de nos institutions. Celles-ci ont en effet montré leurs limites. Regardez ce qui s'est passé le 21 avril 2002. L'extrême droite et l'extrême gauche ont été, d'une certaine façon, la clé de la présidentielle. Or, ils ne sont pas représentés à l'Assemblée nationale. Quoi que l'on pense de ces mouvements, cela pose un problème au bout d'un moment.
Le référendum permet donc de retremper la légitimité populaire. Cela dit, cela ne nous dispensera pas de modifier nos institutions et d'améliorer la démocratie représentative qui est tout de même la façon la plus efficace de faire fonctionner une démocratie.

Huskie: Bonjour, Jacques Chirac ne s'est-il pas pris lui-même au piège de la tentation "plébiscitaire" ?
Raphaëlle Bacqué:
Pour le coup, je crois que Jacques Chirac était intimement convaincu que la question européenne méritait référendum, justement pour les raisons que je viens d'énoncer plus haut et qui tiennent aux failles de notre démocratie représentative. Qu'il ait cru, cependant, que la gauche en pâtirait bien plus que lui, certainement. On peut avoir quelques grands principes et les accompagner de petits calculs...

Marcelle: Quel est le portrait type de l'indécis ?
Raphaëlle Bacqué:
D'après les derniers sondages, les indécis sont plus souvent des femmes, des jeunes et des moins de cinquante ans. On ne peut cependant tirer de conclusions sur leur profil socio-professionnel, car il semble qu'ils se recrutent un peu partout.

Martin: Comment analysez-vous le "retour" de Jospin pour soutenir le oui ?
Raphaëlle Bacqué:
On peut l'analyser de diverses manières. Il est d'abord le signe de la faiblesse et du défaut de leadership de l'actuelle direction du PS et d'abord de François Hollande. Veut-il pour autant, à cette occasion revenir dans le jeu politique ? Peut-être est-ce son désir, mais le peut-il vraiment ? Il peut aussi vouloir tenter d'éviter une fracture trop irrémédiable dans ce PS qu'il a longtemps dirigé.

Cabasset: Quelles seront les conséquences du référendum sur le Parti socialiste ?
Raphaëlle Bacqué:
Cela va être très dur. Plus encore si le non l'emporte. Si le oui gagne, François Hollande et les siens peuvent exclure de la direction, ou au moins sanctionner, Laurent Fabius, mais ils restent avec une aile gauche (LCR,PCF, alter, une part des Verts) très radicalisée, qui peut les empêcher de gagner les élections.
Si le non l'emporte, M. Fabius peut essayer de prendre la tête du PS, mais il n'est pas du tout sûr qu'il ait une majorité. Et l'on verra quels rapports il pourra établir avec une "autre gauche" qui le vilipendait il y a encore quelques mois...

"UNE VICTOIRE CONFORTABLE DU OUI ME PARAÎT EXCLUE"

RaphaëlA: La partie est-elle définitivement jouée ? Le non gagnera-t-il dimanche soir ?
Muriel: Les derniers sondages montrent le non gagnant à 54%. Pourquoi un tel emballement ? Une surprise est-elle envisageable dimanche, selon vous ?
Raphaëlle Bacqué:
Une élection n'est jamais jouée avant d'avoir eu lieu. Cependant, la progression et la consolidation du non sont des signes avant-coureurs d'une possible victoire. A 54% pour le non et 46% pour le oui, on assiste à un début de décrochage du oui.
Généralement quand un candidat ou un camp sont assez en tête juste avant un scrutin, une bonne part des indécis le rallient en raison de ce que l'on pourrait appeler un conformisme de la victoire. Ils veulent être dans le camp des gagnants. Cela dit, chaque élection recèle son lot de surprises.
En tout cas, une victoire confortable du oui me paraît exclue. Ce que l'on peut avoir c'est: soit une victoire nette du non avec un oui décroché, soit une victoire à l'arraché du oui...

Romuald: On a beaucoup reproché l'arrogance des tenants du oui tout au long de la campagne. Qu'en pensez-vous ?
Maria: Quels ont été, selon vous, les moments saillants de cette campagne ?
Raphaëlle Bacqué:
L'arrogance ou l'inconscience devant la montée des mécontentements ? Je pencherais plutôt pour la deuxième solution. Il me semble par ailleurs que les partisans du non ont beaucoup joué sur le thème "nous sommes des dominés, des exclus du débat" or tout le débat (sur Internet, dans les médias, partout dans la société) montre au contraire que leurs thèmes de campagne ont été très relayés et ont eu beaucoup d'impact.
Ce qui frappe dans cette campagne est l'émergence de certains thèmes: peur des délocalisations, peur de perdre les services publics, peur des nouveaux pays entrants, prise de conscience soudaine de la concurrence chinoise, que l'on avait pas perçus aussi nettement jusque-là.

Agnès: Qui a commis les plus grosses erreurs lors de cette campagne ?
Raphaëlle Bacqué:
Jacques Chirac, en premier lieu: défaut d'explication en début de campagne, apparitions maladroites, trop tardives. Une partie des partisans
du oui qui ont cru que la foi traditionnelle en l'Europe suffirait à faire voter le traité.
Certains reprochent à François Hollande de n'avoir pas su gérer son opposition interne, mais le référendum interne du PS était censé la régler. Quant à Fabius, il joue un quitte ou double et il sera intéressant de voir sur quelle base il entend tirer parti d'une victoire du non, si elle a lieu.

Chat modéré par Stéphane Mazzorato
LEMONDE.FR | 27.05.05 | 15h13


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Le grand écart de Bush

 R ecevant tour à tour le premier ministre israélien, Ariel Sharon, et le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, George Bush, pratiquant un grand écart diplomatique assez rare dans un si court laps de temps, a trouvé les mots pour satisfaire pleinement l'un et l'autre.

Au premier, il a affirmé à Washington le 11 avril: "Les nouvelles réalités sur le terrain font qu'il est irréaliste d'envisager que les négociations sur le statut final entraînent un retour complet -d'Israël- aux frontières de l'armistice de 1949. Tout accord sera effectué sur la base de changements acceptés mutuellement et reflétant ces réalités." L'administration américaine faisait connaître sa "compréhension" quant au maintien des grands blocs de colonies situés en Cisjordanie dans les futures "frontières définitives" d'Israël. M. Sharon exultait, les Palestiniens se disaient scandalisés.

Le 26 mai, pour sa première visite à Washington, Mahmoud Abbas a "obtenu" une déclaration à la tonalité fort différente. "Toute modification des lignes de démarcation de 1949 doit être mutuellement acceptée, a expliqué M. Bush. Une solution viable à deux Etats doit assurer la continuité territoriale de la Cisjordanie; une situation de territoires dispersés ne marchera pas. (...) Telle est et restera la position des Etats-Unis (...)."

Les Palestiniens exultent. "Le président Bush n'a pas changé de position". ont déclaré les autorités israéliennes. Mais les commentateurs ne s'y sont pas trompés. Certains mots ­ les modifications de frontières "mutuellement acceptées" ­ "restent les mêmes". écrit l'éditorialiste du quotidien Haaretz, "mais la musique a changé". "Le discours du président Bush constitue une défaite pour Israël". a estimé le président de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, Youval Steinitz.

Depuis le début de l'Intifada (29 septembre 2000), c'est la première fois que le gouvernement américain insiste aussi clairement sur le fait que les "frontières de 1949" ­ généralement appelées "frontières de 1967" (elles furent celles d'Israël jusqu'à la guerre de Six Jours, en juin 1967) ­ constituent le point de départ d'une négociation entre les deux parties sur l'aspect territorial du conflit. Le principe d'un retrait des Israéliens aux frontières de 1967 a été une exigence palestinienne constante depuis les accords d'Oslo entre les deux parties, en 1993.

Empêtré dans une crise politique liée au retrait de Gaza, prévu pour le mois d'août, M. Sharon peut espérer, une fois encore, gagner du temps. Mais Shimon Pérès, dirigeant du Parti travailliste, a tiré d'autres conclusions des propos du président américain. Selon lui, Israël devra "évacuer d'autres implantations" et "il est inconcevable que toutes les colonies restent en place". En attendant, les négociations bilatérales israélo-palestiniennes stagnent, la construction du "mur de sécurité" israélien à l'intérieur de la Cisjordanie et les confiscations de terres palestiniennes continuent. Le changement de "musique". à Washington, est remarquable. Il faut espérer qu'il ne soit pas une posture diplomatique conjoncturelle.

Article paru dans l'édition du 29.05.05


Le Monde / Opinions
point de vue
La bataille de France
par Timothy Garton Ash

 "F rançais ! Françaises ! Ici Londres..." Jamais, depuis mai 1940, le reste de l'Europe n'a observé avec autant d'attention et d'inquiétude ce qui se passe en France. Il y a soixante-cinq ans, l'avenir d'une Europe en guerre dépendait des Français. Aujourd'hui, c'est l'avenir d'une Europe en paix.

Les sentiments des Britanniques en cette occasion sont plus partagés. En 1940, ils étaient unis dans l'ardent espoir que les Français prononceraient un non retentissant contre les envahisseurs nazis. Ils avaient à leur tête Winston Churchill, francophile de toujours et grand admirateur des prouesses militaires françaises.

En 2005, une étroite majorité de Britanniques espère modérément que les Français vont dire non au traité constitutionnel. Une minorité éclairée espère ardemment que les Français vont dire oui. La place de Churchill est occupée par Tony Blair, qui est lui-même déchiré.

D'un point de vue tactique, un non français lui épargnerait la bataille difficile de son propre référendum.

D'un point de vue stratégique, il a besoin du oui français pour conserver une chance d'atteindre son double objectif historique ­ ancrer la Grande-Bretagne à la fois dans l'Europe et avec l'Amérique ­ avant que n'arrive le moment, pour lui, de passer la main à Gordon Brown.

Dans toute l'Europe, on assiste à une éruption de divers non incompatibles. Un non danois pour défendre le généreux Etat-providence est très différent d'un non polonais. Même les non français sont incompatibles. Jean-Marie Le Pen et les communistes français forment un drôle de couple. Ces non français ont toutefois quelque chose en commun: le sentiment de peur.

Lors des quelques jours que j'ai passés en France, récemment, j'ai trouvé un pays en proie à la peur: de l'inconnu, des étrangers, du changement. Peur du "plombier polonais" devenu proverbial, qui prend votre travail, peur d'une Union européenne (UE) élargie où Paris ne se trouverait plus aux commandes, d'un monde de plus en plus dominé par le "libéralisme anglo-saxon". La peur est mauvaise conseillère.

Français ! Françaises ! Qu'est-il arrivé à votre assurance ? Ne vous rendez-vous pas compte que la France demeure l'un des pays du monde les plus riches, les plus brillants, les plus attrayants, un pays qui possède non seulement un passé prestigieux, mais aussi, potentiellement, un grand avenir ?

Les non français et les non britanniques sont, de tous, les plus incompatibles. Si on laisse de côté le souci partagé du droit à la souveraineté nationale, ils sont presque diamétralement opposés. Pour les Britanniques, le traité constitutionnel est trop centralisateur, dans l'intérêt d'une superpuissance européenne, trop régulateur, dans la défense d'une prétendue "Europe sociale". dirigiste, étatiste; en un mot: français. Pour les Français, il est dangereusement néolibéral, dérégulateur, laissant le modèle social européen être englouti par le capitalisme du libre-échange de style anglo-saxon; en un mot: britannique.

Un vote pour le oui, écrivait récemment André Fontaine dans Le Monde, consoliderait "l'Europe de Tony Blair". Comme celui-ci aimerait lire cela dans un journal britannique ! En fait, le seul moyen de convaincre à la fois Français et Britanniques de voter oui serait d'organiser un échange massif de nos critiques sur le traité. Les arguments des Français contre le traité aideraient à convaincre les Britanniques qu'il s'agit réellement d'une bonne chose dans l'ensemble, et inversement. Cet échange servirait également le sort enlisé d'Eurotunnel et d'Eurostar, ces projets franco-britanniques emblématiques en difficulté.

Comment deux peuples peuvent-ils voir le même objet de manière aussi différente ? En partie parce que, Français et Britanniques, optiquement programmés par des versions contrastées des Lumières, avons des points de vue différents. Plus sérieusement, cet effet apparemment paradoxal est possible parce que le traité constitutionnel, compromis énorme et complexe entre les gouvernements nationaux, contient effectivement des éléments majeurs appartenant aux deux. Et à juste titre.

Au moins une des choses que critiquent le plus les Français comme étant britannique ou "anglo-saxonne". est en fait indispensable pour l'avenir de la France. Au moins une de celles que critiquent le plus les Britanniques comme typiquement française est indispensable à l'avenir de la Grande-Bretagne.

Quiconque observe le taux élevé de chômage structurel dans l'économie française ne peut sérieusement douter qu'elle a besoin d'une bonne dose de dérégulation et de libéralisation de son marché du travail, dans le style britannique. D'autre part, la leçon évidente de la crise irakienne est que, dans le monde d'après la guerre froide, le Royaume-Uni seul n'est plus capable d'influencer significativement la politique américaine. Pour ce faire, il faut le poids conjugué de l'Union européenne. Aucune des deux anciennes puissances mondiales européennes ne peut faire grand-chose isolément.

Soyons franc: ce traité est un document embrouillé et peu engageant. En réalité, ce n'est pas une Constitution, mais un traité. C'était une erreur d'intégrer autant de dispositions légalistes et bureaucratiques détaillées dans le document. Son principal architecte et auteur, Valéry Giscard d'Estaing, a reconnu récemment dans Time que le texte est plus efficace contre l'insomnie que la plupart des somnifères vendus en pharmacie. Autant pour la prose impérissable de son Préambule !

Mais c'est le meilleur traité que nous ayons. Avec tous ses défauts, il rend davantage possible à une Union de 25 membres (et bientôt plus) de fonctionner en interne et de parler d'une seule voix ­ ou, du moins, de mieux coordonner les voix ­ sur la scène internationale. Ces deux tâches sont urgentes.

On pourrait m'opposer qu'en établissant une comparaison avec cet autre mois de mai, il y a soixante-cinq ans, j'ai quelque peu dramatisé les conséquences d'une autre "drôle de défaite" en France. C'est naturellement exact. Mais la dédramatisation à laquelle on assiste en certains lieux ­ l'Europe s'en remettra, s'époussettera et votera un programme minimum de changements institutionnels qui conviendra parfaitement ­ me semble une sous-estimation dangereuse.

Les compromis durables entre 25 gouvernements sont difficiles à réaliser. Ce n'est pas dans l'air du temps actuellement en Europe, comme le montrent les négociations difficiles sur l'avenir du budget de l'UE. Et cela prendra du temps. Du temps que nous n'avons pas, car les puissances émergentes d'Asie, surtout la Chine et l'Inde, grandissent très vite, tandis que l'hyperpuissance américaine, en l'absence d'une réponse européenne unifiée, sera de nouveau tentée de faire cavalier seul. Toutes les tentatives précédentes pour unifier l'Europe ont échoué. Il n'est écrit nulle part que celle-ci doit réussir.

La semaine dernière, à un rassemblement des socialistes européens pour le oui au Cirque d'Hiver, à Paris, j'ai entendu Carmen Gonzalez, la femme de l'ancien premier ministre espagnol Felipe Gonzalez, faire un discours édifiant. Son thème était simple: l'erreur tragique de la gauche a trop souvent été de sacrifier le bien au nom du mieux. A vrai dire, le mieux est l'ennemi du bien.

Ce traité est loin d'être le meilleur, mais il est ce que nous obtiendrons de mieux. Si nous y renonçons, le reste du monde, de Beijing à Washington, nous prendra pour des clowns.

Français ! Françaises ! Soyez courageux. L'Europe attend que la France fasse son devoir. Nous vous demandons de voter oui dimanche, malgré tout.


Timothy Garton Ash est directeur du Centre d'études européennes du St Antony's College, à l'université d'Oxford (Royaume-Uni).

par Timothy Garton Ash
Article paru dans l'édition du 29.05.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Quelques vérités sociales
par Daniel Vaughan-Whitehead

 L e référendum se décidera autour des questions sociales. Pourtant, le social a donné lieu, dans la campagne, à nombre de contre-vérités ou de "vérités cachées". les partisans du oui comme du non revendiquant la "légitimité sociale" de leur vote.

Il est d'autant plus difficile de s'y retrouver que l'opposition à la Constitution est liée à l'élargissement de l'Union, réalisé il y a un an. Lequel, contrairement à la Constitution, n'a jamais donné lieu à débat public ni à référendum. Pour preuve, les craintes ­ systématiquement attisées par les opposants à la Constitution ­ à propos des travailleurs polonais ou lettons. D'où l'intérêt de présenter dans la transparence les risques sociaux futurs, afin de mieux juger de l'apport social de la Constitution.

Sur le premier aspect, disons-le: l'élargissement a apporté des décalages économiques et sociaux qui seront très longs à combler et qui stimulent déjà des comportements de dumping social. Ce constat est conforté par nombre d'études. Ajoutons que l'absence de solidarité de l'Union européenne (UE) des Quinze (sur leurs contributions, les fonds structurels, ou la mobilité des travailleurs) retardera le processus de rattrapage social. D'où un deuxième constat: c'est surtout l'élargissement, et non la Constitution, qui a été mal préparé.

De même, admettons que les délocalisations Ouest-Est ont déjà eu lieu de manière massive dans les grandes entreprises industrielles transnationales, souvent par la sous-traitance, et qu'elles continueront d'avoir lieu, pour s'étendre aux PME et aux services. Enfin, les pratiques de certains des nouveaux Etats membres ne se résorberont pas toujours au rythme du rattrapage économique, car elles reflètent aussi des orientations idéologiques, parfois libérales à l'excès. D'où un troisième constat: il sera désormais difficile (mais pas impossible) d'avancer dans le domaine social.

Comment, dès lors, juger de la contribution sociale de la Constitution ? Rappelons que la dimension sociale n'y avait pas été prévue. Il a été très difficile de faire accepter à la Convention l'idée même d'un groupe de travail sur le social ­ dont nombre de propositions sont d'ailleurs restées lettres mortes. Les politiques sociales (et fiscales) continuent d'être soumises au vote à l'unanimité. L'UE continue à ne pas être habilitée à agir ni même à proposer des mesures sur le droit de grève et les salaires.

Enfin, tout reste à faire au regard de la définition et de la consolidation du modèle social européen. Le projet de traité a donc bien raté l'opportunité de hisser une fois pour toutes le social parmi les dimensions essentielles de la construction communautaire (au même titre que l'économique et le monétaire). Pourtant, la Constitution apporte des éléments nouveaux. D'abord la reconnaissance des droits sociaux fondamentaux. Même si leur respect n'est toujours pas contraignant, ils pourront servir de base à une interprétation juridique future. De même, la reconnaissance d'une base juridique pour les services publics et d'intérêts généraux est une avancée significative. Enfin, l'avantage majeur de la Constitution est de permettre, malgré tout, de consolider ce qui est déjà acquis sur le social. Elle permet de garantir ces acquis sociaux plutôt que de tenter de jouer à quitte ou double dans une renégociation hypothétique de la Constitution.

En matière sociale, ce ne sont donc pas les "bénéfices" de la Constitution qu'il faut souligner mais plutôt les "coûts" de sa non-adoption. Car une renégociation déboucherait presque certainement non pas sur "plus" mais bien sûr "moins" de social, compte tenu de la position des nouveaux Etats membres, qui revendiquent haut et fort leur tendance libérale.

Dans un contexte libéral, l'acceptation de la Constitution ne serait qu'une première étape. Il faudra déployer encore bien des efforts pour continuer à faire progresser les droits sociaux dans une Union européenne élargie. Mais avant de s'atteler à des luttes futures, encore faut-il consolider les fruits des luttes passées.


Daniel Vaughan-Whitehead est conseiller principal au Bureau international du travail (BIT), à Genève.

par Daniel Vaughan-Whitehead
Article paru dans l'édition du 29.05.05


Le Monde / Sciences
Une équipe de l'Inserm conduite par le docteur Lionel Naccache démontre que notre cerveau est capable de distinguer la signification, menaçante ou non, de mots écrits, même lorsqu'ils sont présentés de manière très brève. De quoi bâtir un modèle scientifique de la conscience
Le cerveau humain accéderait inconsciemment au sens des mots

 L' inconscient n'est pas seulement structuré comme un langage. Il serait également capable de percevoir le sens et la valeur émotionnelle de mots présentés de manière très brève (subliminale). C'est ce qu'ont démontré le docteur Lionel Naccache (unité 562 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale et hôpital de La Pitié, Paris) et ses collaborateurs. Leur étude est publiée dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) datée du mardi 17 mai.

Cette équipe de l'Inserm, dont le directeur, Stanislas Dehaene, est également signataire de l'article, travaille sur la neuro-imagerie cognitive. Elle s'intéresse en particulier à ce qui est propre aux actions conscientes. Procédant par exclusion, ces chercheurs s'attachent à voir tout ce que nous sommes capables de faire inconsciemment. "Beaucoup de processus cognitifs ne sont pas conscients, explique Lionel Naccache. Mais, est-ce que cela va jusqu'à des niveaux de représentation très abstraits, en l'occurrence accéder au sens d'un mot par un processus non conscient ? Nous ne le savions pas."

Lionel Naccache et ses collaborateurs ont eu l'opportunité de conduire une expérience avec trois patients souffrant d'une épilepsie réfractaire aux médicaments, maladie pour laquelle ils devaient subir l'implantation intracrânienne d'une électrode. C'était l'occasion d'enregistrer, avec leur accord, les réponses d'une structure cérébrale, l'amygdale. Celle-ci joue un rôle fondamental dans les réactions émotionnelles à des stimuli effrayants ou menaçants présentés selon diverses modalités, dont des mots écrits. Ce procédé a permis "de mesurer le traitement sémantique subliminal réalisé par le cerveau de manière plus fine que par des évaluations comportementales" .

Le raisonnement à la base de l'expérimentation était le suivant: si l'activité neurologique dans l'amygdale peut être modulée par la qualité menaçante ou, au contraire, neutre de mots présentés de manière masquée, ce qui exclut leur perception de manière consciente, cela prouverait alors que le sens attaché à ces mots a été perçu de manière non consciente.

Pour présenter les mots de manière subliminale, les chercheurs ont adapté un modèle mis au point dans les années 1970: celui de l' "amorçage masqué" . Lors de chaque test, un mot était présenté pendant seulement 29 millisecondes. Il était précédé et suivi de pancartes comportant des signes dénués de sens (symbole d'un dièse, esperluette...), qui, eux, étaient visibles chacun pendant 71 millisecondes, produisant ainsi un effet de masque vis-à-vis du "mot cible". "Cette technique permet de supprimer la perception consciente du mot" , explique Lionel Naccache.

AU SEIN DE L'AMYGDALE

Des tests avec des mots rendus visibles par la suppression de toute inscription sur la pancarte faisant suite au "mot cible" étaient insérés de manière intermittente et aléatoire entre les tests avec les mots masqués. Cette modalité avait pour but de renforcer l'attention des sujets et le traitement sémantique des mots présentés. Les patients qui se sont prêtés à l'expérience devaient obligatoirement presser des boutons pour indiquer si le mot qui leur avait été présenté, même de manière masquée, avait ou non un sens menaçant. La moitié des 92 mots présentés - masqués ou non - avaient une connotation menaçante.

Durant la passation du test, l'électrode implantée dans le crâne permettait de mesurer les modifications du potentiel électrique au sein de l'amygdale en fonction du temps, traduisant sur le plan électrique l'impact du stimulus (technique dite des potentiels évoqués).

Les enregistrements réalisés ont permis de constater des différences de potentiels, apparaissant environ 800 millisecondes après le stimulus, selon que le mot était menaçant ou non, même lorsqu'il était présenté de manière masquée. "Bien que notre essai n'ait inclus que trois patients, il semble que cette différence s'explique par la valeur sémantique attachée au mot, analyse Lionel Naccache. Cela tendrait à prouver l'existence d'une première étape, inconsciente, dans le traitement d'un mot présenté visuellement de manière subliminale, avant que n'entre en jeu une amplification consciente. Il y aurait donc un décodage inconscient préalable de la signification du mot."

Commentant ces résultats, Juan Segui (laboratoire de psychologie expérimentale, CNRS-UMR 8581, Boulogne-Billancourt) estime que "les débats sont assez ouverts sur les possibilités de percevoir les caractéristiques sémantiques ou la valeur émotionnelle de mots présentés de manière subliminale" . "Lionel Naccache, ajoute-t-il, est un chercheur extrêmement sérieux et qui connaît bien ces questions. On peut observer un traitement non conscient des propriétés d'un stimulus par des techniques comportementales comme le temps de réponse, mais aussi en utilisant un indice psychophysiologique ou de l'imagerie cérébrale. Ces dernières techniques permettent de refléter les processus en jeu de manière beaucoup plus précoce, parce qu'elles court-circuitent les étapes décisionnelles de la réponse."

Le travail de Lionel Naccache renvoie à un modèle qu'il a contribué à développer en compagnie notamment de Stanislas Dehaene et de Jean-Pierre Changeux. Celui d'un "espace de travail global" . "A chaque instant, de nombreux réseaux cérébraux modulaires traitent l'information de manière inconsciente. L'information représentée localement au sein de l'un de ces processeurs n'accéderait au contenu conscient du sujet qu'en présence d'une amplification attentionnelle descendant de nombreux neurones distribués à travers l'ensemble du cortex cérébral" , résume Lionel Naccache. Lorsqu'ils sont activés, les neurones appartenant à cet espace de travail permettraient alors différents processus mentaux, comme la mémorisation à long terme.

Ce modèle scientifique de la conscience s'appuie sur un constat fondamental à propos des bases cérébrales de la conscience visuelle d'un point de vue biologique. "Lorsque nous rapportons avoir conscience de voir un objet, ce n'est pas de l'objet extérieur que nous prenons conscience, mais plutôt d'une représentation visuelle élaborée par notre cerveau. Magritte avait raison avec son fameux "Ceci n'est pas une pipe". Nous avons conscience de la représentation de la pipe et non de la pipe elle-même" , conclut Lionel Naccache.

Paul Benkimoun
Article paru dans l'édition du 05.06.2005


Le Monde / International
Six mois après le tsunami d'Asie, une faible part de l'aide internationale a été utilisée

 S ix mois après le tsunami d'Asie du Sud et du Sud-Est, qui a coûté la vie à environ 180 000 personnes (quelque 50 000 sont toujours portées disparues), le bilan de l'exceptionnel élan de générosité internationale fait apparaître un constat troublant: le taux d'utilisation des fonds mobilisés est faible. Les évaluations émanant de plusieurs sources se recoupent. Si l'on en croit Interaction, une coalition d'ONG américaines, 20% seulement de l'aide privée mondiale récoltée après la catastrophe ont été effectivement dépensés. En France, les ONG fournissent une fourchette comparable: entre 10% et 30% des sommes reçues ont été consommées sur le terrain. Pour sa part, l'ONU estime que ses différentes agences ont utilisé 35% des dons, mêlant contributions d'Etats et privées. Les contraintes du travail de reconstruction et le volume énorme des dons expliquent ce bilan.

Encore 49 000 disparus

Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, a reçu, samedi 25 juin, les familles des victimes françaises du tsunami afin de faire notamment le point sur l'avancement des recherches. Sur les 95 victimes françaises, 26 sont encore portées disparues, six mois après la catastrophe, dont de nombreux enfants. Seize corps avaient été reconnus par leurs proches immédiatement après la catastrophe et 53 corps ont été identifiés ultérieurement. Au Sofitel de Khao Lak, 11 des 42 victimes françaises n'ont toujours pas été retrouvées. Les familles ont obtenu que de nouvelles fouilles soient entreprises sur le site: un corps a ainsi été sorti des décombres le 17 mai.

Selon un bilan établi au début du mois de juin, entre 176 000 et 184 500 personnes seraient mortes à l'occasion du tsunami et 49 000 seraient encore portées disparues. L'Indonésie recense 128 803 morts et 37 066 disparus, le Sri Lanka entre 31 000 et 39 000 morts et 4000 disparus, l'Inde 10 749 morts et 5540 disparus, la Thaïlande 5395 morts et 2817 disparus.

L'aide d'urgence, pratiquement achevée aujourd'hui, a coûté moins que ce qui avait été initialement estimé. La deuxième phase, celle de la reconstruction, est longue à mettre en place, et devrait durer dix ans. Il est donc normal que l'argent disponible tarde a être utilisé. A la Croix-Rouge française, 7 millions d'euros ont été dépensés, sur les 105 millions reçus. "Pour le reste, 70 millions d'euros ont été engagés sur des programmes en cours de préparation, explique Alain Peigney, directeur des opérations internationales, qui ajoute: "Nous attendons d'autres évaluations pour les 35 millions restants"

Le travail de reconstruction demande du temps. Les ONG doivent d'abord évaluer les besoins. Elles tentent d'associer au maximum les populations locales aux projets. La coordination avec les autres entités (ONG, institutions Internationales, Etats) ralentit le processus d'aide. Elles doivent aussi négocier avec les autorités locales et nationales des pays touchés, souvent dans des contextes tendus, comme au Sri Lanka et en Indonésie. Au Sri Lanka, la Croix-Rouge attend toujours que le gouvernement définisse les zones constructibles pour pouvoir lancer son programme d'édification de logements. Les nombreux contrôles sur les dépenses ralentissent encore un peu plus l'affectation des dons. "Après le sprint de l'urgence, démarre maintenant le marathon de la reconstruction", résume Elizabeth Byrs, porte-parole du bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA).

APPEL SUSPENDU

L'objectif de l'ONU et des autres acteurs est clair: reconstruire, mais en mieux. L'impatience est grande chez les populations touchées. Et les donateurs demandent des comptes. "On nous demande de faire vite, mais aussi de faire bien. Il y a une tension entre ces deux objectifs, que nous essayons de concilier", analyse Eric Chevallier, délégué interministériel adjoint en charge de l'aide de la France.

La faiblesse des sommes dépensées s'explique aussi par l'ampleur des sommes reçues. Le total des dons a atteint des sommes jamais vues. Environ 10 milliards de dollars ont été versés, selon l'ONU, par l'ensemble des donateurs: Etats, organisations internationales et privés. On estime que ces derniers ont donné plus de 4,5 milliards de dollars. "L'ONU a reçu au total 1 milliard de dollars, dont 212 millions ne proviennent pas des Etats mais des entreprises et des particuliers, ce qui n'était jamais arrivé auparavant". souligne Elizabeth Byrs, d'OCHA. Au niveau européen, l'engagement des Etats membres et de la Commission se chiffre à 3 milliards d'euros, avec une contribution de Paris s'élevant à 66 millions d'euros. Mais le premier donateur, en France, est la générosité privée, qui a mobilisé plus de 270 millions d'euros. Un Français sur deux a participé à l'aide.

Trop d'argent a-t-il donc été donné pour le tsunami ? En janvier, Médecins sans frontières (MSF) avait suspendu son appel aux dons, estimant en avoir reçu suffisamment. Le son de cloche peut être différent dans d'autres organisations, où l'on estime que les zones touchées continuent d'avoir besoin d'être aidées. Selon Antoine Peigney, de la Croix-Rouge, tous les besoins ne sont pas encore évalués. Les sommes récoltées trouveront toutes une destination tant le travail de reconstruction est gigantesque. Certains acteurs, comme l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), n'ont pas encore reçu tout l'argent nécessaire. "L'ONU a encore besoin de 300 millions de dollars pour reconstruire" souligne-t-on à OCHA.

Olivier de Pins
Article paru dans l'édition du 26.06.05


Le Monde / Opinions
analyse
La France au miroir de son non, par Jérôme Jaffré

 L e non français résonne encore dans l'Hexagone, à la fois dans sa politique et dans la société tout entière. Le non a été un vote massif: 55% des voix, près de trois millions d'avance sur le oui, un écart sept fois plus important que celui observé dans l'autre sens pour la ratification du traité de Maastricht en 1992. Ce non a été un vote réfléchi: annoncé à partir de la mi-mars par les instituts de sondage, il ne s'est jamais démenti et s'est même amplifié. En ce sens, il n'est pas la réplique du 21 avril, coup de tonnerre dans notre ciel politique, somme de milliers de choix individuels dont aucun ou presque ne voulait aboutir au résultat collectif de l'élimination de Lionel Jospin au profit de Jean-Marie Le Pen.

Le vote à ce référendum est un dégradé sociologique qui accentue la double fracture du pays, sociale et territoriale. Selon le sondage "sortie des urnes" d'Ipsos, 76% des personnes gagnant plus de 4 500 euros par mois ont voté oui, contre 37% parmi celles gagnant moins de 2 000 euros. 70% des diplômés des grandes écoles, doctorants, titulaires de DEA ou de DESS ont voté oui, contre 28% des personnes sans diplôme.

Si l'on classe les villes et arrondissements de plus de 20 000 habitants selon leur vote, à un bout de la France, Neuilly-sur-Seine, la ville bourgeoise de Nicolas Sarkozy, détient le record du oui, avec82,5%, suivie de Paris-16e, Paris-7e, Paris-8e, Paris-6e, Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) et Le Chesnay (Yvelines). A l'autre bout, Le Grand-Quevilly (Seine-Maritime), la ville ouvrière de Laurent Fabius, détient le record du non, avec 81,2%, suivie de Liévin (Pas-de-Calais) et de Grande- Synthe (Nord).

Le non est d'abord un vote de gauche. On peut évaluer à près de 60% le poids des électeurs de gauche dans le total des voix du non. Le non a mobilisé les extrêmes ­ de gauche et de droite ­, auxquels s'est ajoutée une majorité des électeurs socialistes et Verts. La cassure du principal parti de gauche, le PS, que l'on peut évaluer à 3,5 millions de voix pour le oui, 4 millions pour le non, situe l'exact endroit où la France s'est coupée.

Dans ces conditions, il est tentant d'imputer la victoire du non à la vigueur du rejet d'un pouvoir exécutif trop usé ou à la sinistrose des Français. Dans cette façon de voir, l'Europe aurait été l'innocente victime de nos factions et de nos peurs. Mais cette approche ne va pas assez au fond des choses. Car le oui et le non opposent deux visions fondamentalement distinctes, faute que le chef de l'Etat, une fois encore, ait su trouver les mots pour rassurer les Français, faute aussi que les défenseurs du oui de gauche aient eu assez de force pour convaincre leurs propres troupes.

Les enquêtes post-électorales et les consultations fouillées auprès des internautes révèlent que le vote du 29 mai recoupe étroitement le clivage entre ceux pour qui la France doit prendre acte de la société mondialisée et de ses nouvelles règles du jeu et ceux pour qui la France doit le plus possible en rester à l'écart. Il est inexact de croire que l'Europe s'est trouvée prise en otage dans un débat qui ne la concernait pas. Le non s'appuie en effet sur l'idée que l'Europe n'est plus celle de l'après-guerre, dont la finalité était d'assurer la paix sur le continent, mais qu'elle est devenue l'accélérateur, voire l'organisatrice, de mutations indésirables.

Au sein de la droite modérée, le clivage du oui ­ très majoritaire ­ et du non oppose ceux qui voudraient que la France s'adapte plus vite à la société mondialisée et à ses règles du jeu et ceux qui s'inquiètent pour le maintien de l'identité française. Pour les partisans du oui, la concurrence est une bonne chose qu'il faut encourager, la montée de la gestion privée dans le secteur public souhaitable, les réformes nécessaires, le modèle social français à bout de souffle. La priorité du pays doit aller à la reconnaissance du travail et du mérite.

"SOCIAL-RAISONNABLE"

Les partisans du non au sein de la droite modérée sont, pour leur part, méfiants envers les grandes institutions comme l'Etat, le Parlement ou la justice et hostiles à la classe politique. Ils développent une opinion critique sur l'islam, s'inquiètent plus que les autres du nombre d'immigrés en France et réclament des mesures contre les flux migratoires. Ils se sentent davantage français qu'européens, refusent l'affaiblissement des Etats au profit de l'Union européenne. Leur priorité va au respect de la loi et de l'ordre public.

Dans notre système présidentiel, le travail des leaders politiques est de fédérer des électorats de nature différente. A droite, on voit bien la synthèse recherchée par Nicolas Sarkozy. En mettant en avant trois éléments: le respect de la loi et de l'ordre public en tant que ministre de l'intérieur, son opposition à l'entrée de la Turquie en tant que président de l'UMP et ses propos tranchés visant à le démarquer de l'ensemble de la classe politique, il veut jeter les bases d'un rassemblement beaucoup plus large que le simple oui de droite prolibéral.

A gauche, et en particulier au sein de l'électorat socialiste, coupé en deux, le oui et le non épousent parfaitement les contours d'un partage entre un électorat que l'on pourrait appeler social-raisonnable et un autre électorat de nature social-protestataire. Les partisans du oui intègrent la notion de société mondialisée et ses règles du jeu. Les partisans socialistes du non rejettent non pas l'idée européenne mais son fonctionnement actuel, accusé d'être porteur d'un triple démantèlement: les services publics, le modèle social français et, par le biais des délocalisations, l'avenir des emplois.

Les socialistes du oui sont moins critiques que les autres envers la mondialisation, moins opposés par principe au libéralisme, plus prêts à accepter l'ouverture du capital des entreprises publiques ou leur ouverture à la concurrence. Leur confiance dans les grandes institutions est plus élevée et ils n'ont pas d'hostilité de principe envers la classe politique. Le modèle social français leur paraît devoir être profondément réformé. Ils font leur le propos de Tony Blair donnant la priorité à la recherche des emplois de demain sur la préservation à tout prix des emplois menacés. L'Europe ne leur paraît pas être le fourrier de la mondialisation mais au contraire en limiter les excès.

Les socialistes du non sont beaucoup plus fermes dans leur attitude. Leur degré de critique envers la mondialisation, leur opposition au libéralisme et aux privatisations est massive. Pour eux, l'Union européenne n'est pas un objet sacré au-dessus des affrontements mais elle fait au contraire système avec les trois éléments précités. Elle leur paraît accélérer les effets négatifs de la mondialisation. Les socialistes du non préfèrent le maintien des politiques nationales à la mise en place de politiques européennes, qui pourraient susciter trop de remises en question. Les oui socialistes pensent que la France a beaucoup à apprendre des autres pays européens, les non socialistes pensent au contraire que la France a beaucoup à leur apporter.

A la différence de la droite, le travail de fédération et de jonction des électorats tarde à s'engager au sein de la gauche. Le non de gauche a pour lui de porter la souffrance et la protestation d'une large partie de l'électorat populaire. Ici, la référence au 21 avril 2002 sonne juste si l'on veut bien se rappeler que le déficit de voix de Lionel Jospin provient de l'électorat populaire et des salariés du secteur public, en raison du profil trop "social-raisonnable" adopté par le premier ministre candidat.

Mais le non de gauche fait aussi courir le risque d'une incompréhension des mutations en cours, d'un repli sur la sphère nationale et d'un insupportable décalage entre un discours tout feu tout flamme dans l'opposition et une pratique tellement plus modeste une fois parvenu au pouvoir.

Pour sa part, le oui de gauche doit comprendre pourquoi il a si peu convaincu au cours de la campagne. Il ne peut offrir aux électeurs comme seule perspective l'entrée dans la société mondialisée et l'acceptation de ses règles du jeu. La grande majorité des électeurs de gauche ne pourrait suivre ses porte-parole qu'à la condition de les voir y porter les objectifs de transformation et de justice qui sont les leurs.

Jérôme Jaffré pour "Le Monde"
Article paru dans l'édition du 19.07.05


Le Monde / Opinions
analyse
La tentation du populisme, par Jean-Baptiste de Montvalon

 "P opulisme: attitude politique consistant à se réclamer du peuple, de ses aspirations profondes, de sa défense contre les divers torts qui lui sont faits."

Comme l'a relevé l'un de nos lecteurs, qui livrait à l'appui de ses remarques cette définition tirée du Petit Larousse (Le Monde du 29 juin), il n'est sans doute pas excessif de qualifier Nicolas Sarkozy de populiste.

En promettant de "nettoyer au Kärcher" la cité de la Courneuve, après le meurtre d'un adolescent, ou en s'en prenant directement, à propos d'un crime commis par un récidiviste, à un juge qui, a-t-il dit, devra "payer pour sa faute". le président de l'UMP a usé d'un style et d'un vocabulaire qui appartiennent au registre classique de l'extrême droite. On aurait tort d'y voir l'expression de dérapages verbaux. Interrogé ultérieurement, M. Sarkozy a plusieurs fois revendiqué ses propos, auxquels il ne trouve rien à redire. Il ne faut pas s'y tromper: alors que le dictionnaire souligne que l'usage du terme "populisme" est "souvent péjoratif", le ministre de l'intérieur n'est pas loin d'y voir un éloge.

"Vous voulez être compris des donneurs de leçons, je veux être entendu du peuple ! J'emploie des mots pour être compris de tous. (...) Vous avez dit 'populisme'; je réponds "peuple"", a-t-il lancé, le 22 juin à l'Assemblée nationale, à l'adresse de ses détracteurs socialistes.

On pourrait se contenter de considérer l'outrance comme un faux pas qui menacerait son auteur d'une inéluctable sanction électorale. Surtout s'il est multirécidiviste... Mais le problème ne se pose pas en ces termes. Si M. Sarkozy, dont l'ambition personnelle n'est plus à démontrer, emprunte aussi ouvertement le chemin du populisme, c'est qu'il l'estime payant. Et s'il l'estime payant, c'est qu'il perçoit une demande en la matière.

INQUIÉTUDES ET PEURS

Le président de l'UMP, comme à son habitude, va plus vite et plus loin que ses concurrents, mais il n'est manifestement pas le seul à faire cette analyse. La campagne pour le référendum sur la Constitution européenne en a donné l'illustration. Alors que le camp du oui peinait à défendre un texte qu'il jugeait lui-même "trop compliqué", les partisans du non ont habilement surfé sur les inquiétudes et les peurs de l'électorat populaire.

Dans un contexte socio-économique profondément dégradé, le rejet de la Turquie et du "plombier polonais" a eu l'effet d'un rouleau compresseur que rien ne pouvait arrêter. Un autre présidentiable, Laurent Fabius, a jugé opportun d'emprunter cette voie. Il s'agissait là de l'Europe. Il est aujourd'hui question de sécurité et d'immigration. A la différence de M. Sarkozy, qui multiplie les déclarations péremptoires, l'ancien numéro deux du PS a suggéré ou laissé dire. Le style n'était pas le même. Mais le registre est semblable.

MM. Fabius et Sarkozy ne sont pas nés de la dernière pluie. D'où vient donc leur appétit à "se réclamer du peuple, de ses aspirations profondes, de sa défense contre les divers torts qui lui sont faits" ? Tel n'a pas toujours été le cas des leaders potentiels de la droite et de la gauche républicaine. Il suffit pour s'en convaincre de remonter quelques années en arrière.

Printemps 1998. Le paysage de la "gauche plurielle" est dominé par la personnalité de Lionel Jospin, qui est alors à Matignon depuis un an. L'ancien premier secrétaire du PS, à qui tout semble encore réussir, est réputé pour sa rigueur et sa droiture. "Un rigide qui évolue, un austère qui se marre, un protestant athée". selon l'autoportrait qu'il livrera dix-huit mois plus tard. Bref, rien qui prédispose au populisme.

A la même époque, la droite affronte le séisme des élections régionales, qui ont vu cinq présidents de région issus de ses rangs se faire réélire grâce aux voix de l'extrême droite. L'alliance avec le Front national est réclamée par une partie de la base, lasse d'enchaîner les défaites électorales. Mais elle est condamnée sans ambiguïté à l'Elysée, comme à la direction du RPR, alors présidé par Philippe Séguin.

A quelques jours du scrutin régional, ce dernier n'avait pas hésité à exclure du RPR son ancien secrétaire général, Jean-François Mancel, coupable d'avoir affirmé que le FN "devrait faire partie de la droite de demain". Jacques Chirac ne fut pas en reste. Le 23 mars 1998, dans une allocution solennelle, prononcée à la radio et à la télévision, il commentait gravement "l'épreuve" née du scrutin régional. "Je ne peux que désapprouver celles ou ceux qui ont préféré les jeux politiques à la voix de leur conscience", soulignait le chef de l'Etat.

Ce faisant, MM. Chirac et Séguin ne cherchaient pas, en l'espèce, à se "réclamer des aspirations profondes du peuple". mais à contenir celles d'une partie de leur base. A droite comme à gauche, on n'observe rien de tel aujourd'hui. La déflagration du 21 avril 2002 est passée par là.

L'élimination de M. Jospin dès le premier tour de l'élection présidentielle fut interprétée comme un désaveu de l'électorat populaire. La qualification concomitante de Jean-Marie Le Pen a toutefois conduit à élargir le champ du diagnostic.

"MESSAGE DU 21 AVRIL"

A droite comme à gauche, chacun s'est convaincu qu'un fossé s'était creusé entre le "peuple" et les "élites". Partant de ce diagnostic largement partagé, il convenait de trouver des remèdes.

C'est à M. Chirac qu'est revenue, dans l'urgence, cette responsabilité. Sa première décision, au lendemain d'un second tour aussi triomphal qu'ambigu, fut de nommer Jean-Pierre Raffarin à Matignon. Ne disposant d'autre légitimité que la confiance du chef de l'Etat, M. Raffarin était d'autant plus exposé aux regards des électeurs.

A maintes reprises, il leur assura avoir "compris le message" du 21 avril, auquel il répondit en affichant ostensiblement sa "modestie" et son désir de "proximité". Pour combler le "fossé", il chercha ainsi à se rapprocher de l'autre rive. Convenait-il de nier la spécificité et la responsabilité particulière du politique pour s'attirer de nouveau les faveurs d'un électorat déçu ? La pente était forte...

Encore ne s'agissait-il que de communication, domaine de prédilection de M. Raffarin. Marqué par l'expérience de son prédécesseur, Alain Juppé, qui avait laissé de son passage à Matignon le souvenir d'un homme "hautain" et "cassant", le sénateur de la Vienne a cherché à conforter une image faite de rondeurs et de consensus.

Un pas supplémentaire a été franchi après le référendum du 29 mai, qui a été perçu par certains comme une réplique du 21 avril. Le diagnostic fut peu ou prou le même qu'il y a trois ans. Le remède n'ayant pas agi, il convenait de forcer la dose. M. Raffarin parti, c'est M. Sarkozy qui administre sa potion. Il ne s'agit plus seulement de mettre en scène une prétendue "proximité" avec le "peuple", mais de devancer, tout au moins en paroles, ses désirs présumés.

La responsabilité du politique ne doit certes pas le conduire à ignorer les préoccupations de ses électeurs. Mais elle devrait l'amener à prendre en compte d'autres paramètres. Le séisme du 21 avril avait suscité une vaste mobilisation, à droite comme à gauche, pour défendre les valeurs de la République face au Front national. Il serait pour le moins paradoxal qu'un traumatisme voisin aujourd'hui puisse conduire, in fine, certains à calquer une partie de leur discours sur celui de l'extrême droite.

Jean-Baptiste de Montvalon
Article paru dans l'édition du 20.07.05


Le Monde / Chats
Dopage: le Tour de France est-il plus propre ?
L'intégralité du débat avec Stéphane Mandard, envoyé spécial du "Monde" sur le Tour de France, mercredi 20 juillet 2005.

jolafrite: Comment peut-on raisonnablement croire qu'il n'y a plus de dopage dans le cyclisme, quand on voit que la moyenne de vitesse augmente chaque année ?
Stéphane Mandard:
Je répondrai en reprenant la phrase de Jean-Marie Leblanc, patron du Tour de France, qui disait: eh oui ! les coureurs vont plus vite qu'en 1950, c'est étonnant, n'est-ce pas ? Les organisateurs nous expliquent depuis environ trois ans que le revêtement des routes est meilleur, et que cette année, par exemple, le vent a soufflé d'ouest en est, donc a poussé les coureurs à rouler plus vite. En ce qui me concerne, j'observerai seulement que les moyennes actuelles sont supérieures à celles des grandes époques de l'EPO.

Poupou: Existe-t-il des produits dopants indétectables ? Lesquels ?
Stéphane Mandard:
Logiquement, s'ils sont indétectables, on ne les connaît pas, par définition. La politique antidopage a fait des progrès, notamment scientifiques, dans la recherche, mais elle a toujours un temps de retard sur ceux qui élaborent les molécules. Je prends l'exemple de l'affaire Balco aux Etats-Unis, dont on a pu trouver la nouvelle molécule, la THG (tétrahydrogestrinone), qui était un stéroïde modifié, dont on a pu seulement détecter la présence dans les urines de sportifs parce qu'un échantillon avait été envoyé par un entraîneur. Aujourd'hui, par exemple, en ce qui concerne les transfusions sanguines qui sont utilisées notamment par les coureurs cyclistes, les scientifiques sont seulement capables de faire une détection entre deux donneurs, et non pas si le propre sang du coureur est réinjecté.

Lelaf: Quelles sont les méthodes qui expliquent que les coureurs ne sont presque jamais pris lors des contrôles antidopage mais par des moyens détournés (douanes, perquisition...) ? Les Festina ou Pantani n'ont jamais eu de contrôle antidopage positif. Ces coureurs ont pourtant reconnu se doper lors des courses !
Stéphane Mandard:
Aujourd'hui, cela reste très simple d'échapper à un contrôle antidopage. Les coureurs savent parfaitement quand prendre un produit et quand l'arrêter par rapport à un éventuel contrôle, en compétition, mais aussi hors compétition. C'est-à-dire que les coureurs ont une telle assistance médicale, de la part de médecins souvent peu scrupuleux, qu'ils connaissent parfaitement le temps de disparition de produits comme par exemple l'EPO. Aujourd'hui, on sait qu'avec des microdoses régulières après une cure faite durant la saison, l'EPO reste dans les urines moins de vingt-quatre heures. Or, comme les contrôles antidopage interviennent soit – contrôle urinaire – après l'arrivée des coureurs, soit – contrôle sanguin – le matin avant le départ des coureurs, il n'y a pas d'incertitude. Les coureurs peuvent savoir quand ils seront contrôlés. Comme en plus ils arrivent à contrôler leur hématocrite [pourcentage du volume occupé par les globules rouges par rapport au volume total du sang], ils connaissent tous les paramètres qui peuvent indiquer la prise de produits dopants. Et certaines équipes ont les mêmes machines que les contrôleurs antidopage, ce qui leur permet de surveiller en permanence l'évolution des différents paramètres sanguins qui peuvent indiquer des stimulations exogènes.

Lelaf: Pourquoi l'UCI [Union cycliste internationale] et l'organisation du Tour n'enlèvent-elles pas les victoires acquises par des coureurs ayant eu recours au dopage ? Exemple: l'équipe Festina a été reconnue coupable de dopage. Comment se fait-il que les victoires acquises par cette équipe et ses coureurs (dont Virenque) restent-elles à leur palmarès (acquis, comme l'a reconnu la justice, de façon illégale) ?
Stéphane Mandard:
C'est une bonne questio, qu'il faudrait leur poser. Je veux bien le faire moi-même. Je n'ai pas de réponse, quant à moi. Je peux juste observer qu'il y a quand même une tendance de l'UCI, par le passé, à couvrir certaines affaires, même si aujourd'hui elle communique beaucoup sur la lutte antidopage. Lors des JO à Athènes où des sportifs avaient été contrôlés positifs, on les avait dépossédés de leur médaille, donc ce serait possible.

DES JOURNALISTES "DE MOINS EN MOINS DUPES"

Lili: Quelle ambiance règne-t-il sur le Tour sur ces questions de dopage ? Comme à l'époque du scandale Festina, l'ambiance est-elle à la suspicion générale, ou l'attention se relâche-t-elle, du fait qu'un seul cas de dopage a été avéré ?
Stéphane Mandard:
Je crois que les journalistes sont de moins en moins dupes. Il y a des journalistes purement sportifs qui sont vraiment sur un événement qui est aussi leur passion et qui ont du mal, parfois, à voir la vérité en face; donc, quand certains publient des informations qui ne vont pas dans le sens de la course, cela crée des crispations entre les suiveurs qui n'ont pas la même perception du problème. Mais je constate que cette année, notamment, même des journalistes qui s'enthousiasmaient pour les exploits d'Armstrong sont un peu plus circonspects et s'interrogent beaucoup. Les gens ne semblent plus trop y croire.

Jobalain: Qu'en est-il des rumeurs disant que Lance Armstrong se dope de manière à ne jamais être pris ?
Stéphane Mandard:
Il avait été pris en 1999 avec un corticoïde et en fait, l'UCI avait produit a posteriori un certificat médical qui justifiait la prise de ce produit. Du coup, il n'avait pas été déclaré positif, même si l'échantillon d'urine avait, lui, révélé la présence d'une substance dopante. Et c'était l'année de sa première victoire sur le Tour de France. Et pour nous faire un peu de pub, ce sont nos confrères du Monde qui avaient révélé l'affaire. Lui, bien sûr, face à ses détracteurs, aux suspicions, aux doutes, répète qu'il est le sportif le plus contrôlé au monde et qu'il n'a jamais été contrôlé positif, et dont qu'il ne se dope pas. Or les dernières affaires de dopage – je pense notamment à l'affaire Cofidis – ont montré que des coureurs qui n'avaient jamais été contrôlés positifs, comme David Millar par exemple, ont avoué avoir pris de l'EPO, notamment.

Fanch: Je m'interroge surtout sur ses équipiers, qui peuvent être seconds à Roubaix et gagner une étape de montagne...
Stéphane Mandard:
Je crois que ceux qui connaissent un peu le sport et le cyclisme s'interrogent sur ce type de transmutation, de transfiguration, je ne sais pas quel superlatif employer. Armstrong a lui-même parlé de quelque chose d'extraordinaire, de surréaliste. Je crois que c'est le mot. Quand on voit le visage de George Hincapie lorsqu'il triomphe dans ce sommet après avoir enchaîné cinq ou six cols très difficiles, un terrain normalement réservé aux grimpeurs, qui sont de petit gabarit, alors que lui mesure 1,91 m pour plus de 80 kg, et quand on voit sa décontraction et son rictus quand il franchit la ligne d'arrivée, on a l'impression que lui-même est étonné par sa performance.

UN TOUR DE FRANCE À DEUX VITESSES

Etienne26: Pensez-vous que les pratiques de dopage sont moins répandues dans les équipes françaises, situation qui tendrait à justifier leur performance plutôt moyenne ?
Stéphane Mandard:
C'est vrai que depuis quelques jours, les coureurs français se plaignent de ne pas pouvoir suivre le rythme effréné du Tour de France et de finalement ne pas pouvoir disputer le classement général, et se contenter de coups d'éclat, d'échappées au long cours pour viser des étapes seulement. Certains coureurs français et des médecins français ont dénoncé un Tour de France à deux vitesses. Cela veut-il dire qu'il y a d'un côté des coureurs français propres et de l'autre des équipes étrangères qui ne respectent pas les règles ? Le suivi médical des équipes françaises est certainement plus poussé que dans beaucoup de pays, et de ce fait, il se peut que le contrôle des pratiques dopantes sur le territoire français soit plus poussé qu'à l'étranger, et du coup, rende plus difficile pour les Français de recourir à des produits dopants qu'à l'étranger. En même temps, l'affaire Cofidis a rappelé l'an dernier que les équipes françaises étaient loin d'être irréprochables.

Gaël Puebla: Diriez-vous comme Hein Verbruggen l'a dit autrefois: "Il y a un petit groupe de tricheurs; et puis il y a un groupe beaucoup plus grand de coureurs qui sont obligés de suivre, sinon ils se sentent défavorisés; la troisième catégorie ne se dope pas mais se bourre de médicaments autorisés; la quatrième, plus petite, ne prend rien du tout" ? Si oui, où situer la majorité des coureurs français ?
Stéphane Mandard:
C'est difficile de répondre à ce genre de question. Je ne pense pas que Verbruggen dirait cela aujourd'hui. Il est d'ailleurs étonnant qu'il ait un jour admis cette réalité. C'est très compliqué comme question, on ne peut pas quantifier, classer les coureurs dans des catégories. Je pense que dans les équipes françaises, le dopage est moins scientifiquement organisé aujourd'hui. Et comme la plupart des grands coureurs ne sont plus dans les équipes françaises, il y a moins recours à des médecins italiens qui se sont fait une spécialité de la préparation scientifique du dopage. Les coureurs qui ont recours à ces médecins appartiennent à des équipes étrangères, qui ont plus de moyens. Ensuite, la médicalisation du sport en général et du cyclisme en particulier est quelque chose de très répandu, dans les équipes françaises également.

Etienne26: Quid de la fameuse "black list" opérée par l'UCI pour surveiller les coureurs à risque ?
Stéphane Mandard:
La black list n'est pas un grand mystère. C'est très simple: c'est, selon les informations communiquées par l'UCI, les cinquante meilleurs coureurs du monde, d'une part, et ensuite, sont dans le collimateur de l'UCI des coureurs qui ont des grosses performances du jour au lendemain, qui apparaissent dans un palmarès et en disparaissent aussitôt. Ce sont aussi des coureurs qui, à travers les contrôles sanguins inopinés, ont des paramètres jugés anormaux qui peuvent laisser penser qu'il y a des stimulations exogènes. Donc ceux-là seront normalement, toujours selon l'UCI, l'objet de contrôles urinaires ciblés pour vérifier si ces paramètres anormaux correspondent à la prise de produits dopants.

Bbays: Ne pensez-vous pas que certains journalistes se voilent la face (volontairement, je pense) en faisant comme si de rien n'était et en s'extasiant sur les performances fantastiques de certains coureurs ?
Stéphane Mandard:
C'est évident, et les téléspectateurs ou les lecteurs peuvent le constater dans certains journaux ou sur certaines chaînes de TV. Quand une chaîne de télévision publique est partenaire et quasiment coorganisatrice du Tour de France, qu'elle retransmet quasiment douze heures sur vingt-quatre les étapes dans leur intégralité, avec des émissions avant et après la course, cela fait une part d'audience importante pour cette chaîne durant l'été, et on imagine mal qu'étant partie prenant de ce spectacle sportif, elle crache dans la soupe. Son intérêt est que le spectacle continue.

Webs: Ne pensez-vous pas tout simplement que les fédérations sportives, les médias et les sportifs eux-mêmes sont complètement dépassés par les enjeux financiers colossaux que représentent un Tour de France, mais aussi la Ligue des champions en foot, le tennis, les records des nageurs, et j'en passe ?
Stéphane Mandard:
C'est vrai qu'il y a des intérêts communs entre les organisations d'événements sportifs privés, fédérations sportives et médias. Pour revenir aux médias, aujourd'hui, les meilleures audiences partout dans le monde, c'est le sport. Une chaîne comme Canal+ a acheté les droits de retransmission du championnat de France [de football] pour une somme colossale qui, de mémoire, dépasse les 600 millions d'euros. Donc le sport est une source d'audience, de revenus publicitaires. C'est devenu, pour certains médias, leur principale source de revenus. A partir de là, on n'est pas forcément dans la meilleure position pour avoir une relation distanciée, neutre et objective par rapport aux spectacles sportifs.Quand on est partie prenante d'un spectacle, c'est difficile d'être à la fois juge et partie.

Bertrand: Quelle est la politique aux Etats-Unis en ce qui concerne le contrôle antidopage durant les entraînements ?
Stéphane Mandard:
Je ne suis pas un spécialiste de ce qui se passe aux Etats-Unis. Je sais qu'a été créée une agence antidopage américaine, que les Américains avaient beaucoup de retard en matière de lutte contre le dopage, qu'ils ont par le passé couvert beaucoup de contrôles positifs de leurs plus grands champions. Apparemment, ils se sont mis au travail. L'affaire de la THG, dont nous avons parlé, en est un exemple. Dick Pound, le patron de l'Agence mondiale antidopage, souligne que la collaboration avec l'agence américaine antidopage progresse et se félicite du travail et des signes encourageants qu'elle semble lancer. Maintenant, par rapport au cyclisme en particulier, je ne sais pas si par exemple elle opère beaucoup de contrôles inopinés sur les coureurs américains. C'est vrai qu'en discutant avec des confrères américains, on se rend compte que le sextuple vainqueur du Tour bénéficie d'une aura aux Etats-Unis qui semble un peu le protéger.

LE DOPAGE: UN ASPECT "CULTUREL" DU TOUR DE FRANCE

Poupou: Le cyclisme est-il le sport où il y a le plus de dopage ? Si oui, pourquoi ?
Stéphane Mandard:
Je ne sais pas si le cyclisme est le sport où il y a le plus de dopage. On sait qu'en athlétisme il y a beaucoup de cas de dopage qui ont été révélés. Des sports comme l'haltérophilie sont contaminés. Dans le football, le sport où il y a le plus d'intérêt et d'enjeux, moins de contrôles sont pratiqués. Mais le procès de la Juventus de Turin qui s'est achevé l'an dernier par la condamnation du médecin à un an de prison pour fraude sportives montre qu'il y a également eu recours à de l'EPO, à un moment où la Juventus gagnait tous les trophées nationaux et européens. Par rapport au cyclisme, ce qui est peut-être différent, c'est que le recours à des adjuvants est quelque chose de culturel. C'est-à-dire que dès les origines, dès les premiers Tours de France, les coureurs prenaient au départ de l'alcool, puis des amphétamines, puis des anabolisants, puis l'EPO, le dopage sanguin. Il y a une progression dans le dopage qui tient aussi au fait que c'est un sport très difficile, tout simplement. Quand on enchaîne trois semaines de course par tous les temps, c'est très dur. Et il y a donc une tendance à favoriser la prise de produits. Comme c'est très ancré dans la culture, il est difficile, voire impossible, de s'en défaire. Mais je crois que c'est surtout propre au sport de haut niveau et à la haute compétition, tous sports confondus, même si l'on voit que chez les amateurs, pour faire comme les professionnels, on essaie aussi le pot belge ["cocktail" d'amphétamines et d'antalgiques], par exemple.

Gaël Puebla: Compte tenu des positions de votre journal, quel est l'état de vos relations avec le milieu cycliste professionnel ? Notamment avec Bjarn Riis et son fichier"presse" ?
Stéphane Mandard:
Les relations ne sont pas simples. Avec certains, il n'y a aucun problème, avec d'autres, c'est beaucoup plus tendu. Cela peut aller des insultes à des pressions, à des refus de communiquer avec nous, à des"engueulades". Concernant Bjarn Riis, je n'ai jamais eu affaire à lui.

Srvgh: Si l'on fait un peu de prospective, quel avenir voyez-vous à moyen ou long terme à cette philosophie du sport basée sur le toujours-plus-vite, toujours-plus-fort ? Ne peut-on imaginer qu'il y aura un jour un ras-le-bol de tous, et une refondation des valeurs sportives, de plus en plus dévoyées aujourd'hui ?
Stéphane Mandard:
Je crois que le problème, ce sont les termes "valeurs sportives". Soit on parle du sport comme d'un loisir, soit on parle du sport de compétition, et ce n'est plus la même chose. Je pense que les valeurs du sport de compétition ne sont pas celles auxquelles on veut nous faire croire: fraternité, respect des règles, etc. Le sport de compétition a une logique qui est celle de la société, c'est-à-dire toujours plus de performances, de résultats, avec à la clé l'argent, la célébrité. Je crois donc qu'il faut surtout arrêter de vouloir faire des sportifs des modèles et des héros, et les replacer à leur place, dans notre société, dont la logique est d'ériger le culte du corps, du dépassement de soi. Le sport n'y échappe pas. Le sport illustre bien le modèle dans lequel on vit aujourd'hui.

Chat modéré par Constance Baudry et Fanny Le Gloanic
LEMONDE.FR | 20.07.05 | 17h10


Le Monde / Chats
Faut-il redouter une OPA sur Danone ?
L'intégralité du débat avec Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS, spécialiste d'économie industrielle, vendredi 22 juillet 2005

Stella: Dans quelle mesure le gouvernement français pourrait-il intervenir puisque qu'il s'agit d'une entreprise privée ?
Denis222: Quels sont les moyens que possèdent les pouvoirs publics pour contrer une telle OPA ?
Elie Cohen:
Danone est une entreprise privée, c'est une entreprise qui est donc la propriété des actionnaires, et il se trouve que ses deux principaux actionnaires ont moins de 10% du capital au total. Parmi ces deux actionnaires, il y a la Caisse des dépôts, émanation de l'Etat, qui n'a que 3% du capital. Donc, d'un point de vue actionnarial, l'Etat ne peut rien faire d'autre que d'encourager la Caisse des dépôts à monter dans le capital jusqu'à disons 34% pour pouvoir empêcher l'opération. La raison est que dans les statuts de Danone, il y a une clause que l'on appelle une "pilule empoisonnée" qui fait que si un actionnaire ne contrôle pas plus de 66% du capital, il ne peut pas prendre le contrôle, il ne peut exercer que 6% des droits de vote. Donc d'un point de vue capitaliste, l'Etat ne peut empêcher l'opération que si la Caisse des dépôts a plus de 34% du capital.
D'un point de vue légal, l'Etat ne pourrait empêcher l'opération que si l'acquéreur potentiel présentait des dangers pour l'entreprise, soit du point de vue de la sécurité alimentaire, soit du point de vue de la solvabilité, ce qui n'est pas le cas pour un éventuel investisseur comme Pepsi ou Nestlé, ou toute autre entreprise qui a pignon sur rue.
Le troisième moyen qu'a l'Etat d'empêcher l'opération, c'est de froncer les sourcils, de montrer ses muscles, et de parler à haute voix. C'est-à-dire de faire de la dissuasion en expliquant que Pepsi ou un autre n'est pas le bienvenu. En fait, pour un investisseur américain, le fait que l'Etat français montre sa très forte désapprobation est un signal très négatif qui peut bloquer l'opération dès le départ. Un investisseur étranger n'aime pas avoir face à lui un Etat unanimement hostile.

"EMBLÈME DE L'IDENTITÉ ALIMENTAIRE FRANÇAISE"

Lyfuko: Dans l'affaire Danone, pensez-vous qu'une intervention de l'Etat français soit de nature à avantager ou au contraire à représenter un risque futur pour Danone ?
Elie Cohen:
L'intervention de l'Etat français avec le concert unanime de la classe politique française a d'ores et déjà produit un résultat: tout investisseur étranger sait que Danone a un statut particulier comme emblème de l'identité alimentaire française. C'est donc une dissuasion forte à l'égard de tout investisseur étranger, mais pour l'avenir, cela veut dire que Danone sera beaucoup moins légitime pour faire des acquisitions à l'étranger. Or il faut rappeler que Danone ne fait en France que 20% de son chiffre d'affaires et que Danone se développe aujourd'hui essentiellement dans cinq pays: la Chine, l'Indonésie, le Mexique, la Russie et les Etats-Unis. Il lui sera très difficile demain d'aller faire des acquisitions alors même qu'il aura fait la démonstration que sur son territoire national il est protégé par son gouvernement.

Catherine: Vous pensez donc que l'OPA n'aura pas lieu, finalement ?
Elie Cohen:
Premièrement, il n'y a jamais eu l'ombre d'un début d'OPA. Il n'y a eu depuis le début que des rumeurs. Or les rumeurs sont rarement innocentes, les rumeurs proviennent soit de l'entreprise elle-même qui cherche à créer des réactions visant à dissuader d'éventuels prédateurs, soit elles sont le fait des entreprises qui veulent faire l'opération mais qui tâtent le terrain, qui explorent les possibilités avant de s'engager. Dans tous les cas, une rumeur n'est jamais innocente.
La rumeur ayant produit ses effets, on sait maintenant que l'entreprise est hostile à une OPA inamicale et l'entreprise est soutenue par l'ensemble de la classe politique française, et même par les syndicats qui, avec la CFDT, défendent un modèle social français dont Danone serait le parfait représentant. Donc en conclusion, quel que soit l'initiateur de la rumeur, il sait maintenant qu'une prise de contrôle hostile sera combattue par l'entreprise, par les syndicats et par le gouvernement.
Personnellement, je considère qu'un investisseur américain ayant observé la mobilisation des élites politiques françaises y regardera à trois fois avant de s'engager plus avant. Il est difficile, même quand on est américain, d'aller contre la volonté explicitement manifestée du gouvernement français. Il faut bien voir que la déclaration solennelle du président de la République française à Madagascar n'a aucun précédent dans l'histoire des affaires. Il faut bien voir que la mobilisation de la classe politique française pour défendre une entreprise de yaourts et d'eaux minérales, et pas une entreprise stratégique de défense, de high-tech, est sans précédent également. Donc le message envoyé par le gouvernement français, à mon avis, a été entendu.

Golgt: Si on part du principe qu'on reproche à la France d'être trop interventionniste, ne risque-t-on pas de "froisser" Bruxelles ?
Elie Cohen:
Il est clair qu'on vient de donner un exemple d'interventionnisme paroxystique. Et à mon avis, ce n'est pas Bruxelles qui risque d'être froissée, ce sont les marchés financiers internationaux. La France a un important programme de privatisations. Le gouvernement a même annoncé récemment qu'il allait l'accélérer. Comment convaincre les investisseurs étrangers d'acheter des actions françaises s'ils ne peuvent pas les vendre à qui ils veulent, quand ils veulent, et s'ils doivent composer avec le risque permanent d'interférence de l'Etat français ? Ça, c'est pour le volet privatisation.
Deuxième élément: il se trouve qu'aujourd'hui, 40% de la capitalisation boursière du CAC 40 sont détenus par des investisseurs étrangers. Ces investisseurs, à partir d'aujourd'hui, vont devoir apprécier le risque qu'il y a à détenir des actions d'entreprises qui, du jour au lendemain, peuvent devenir des symboles nationaux, et qui sont donc ne seront pas des actifs liquides.
Donc, en résumé, l'image que la France donne d'elle-même aux marchés financiers internationaux est clairement négative. S'agissant de Bruxelles, comme il n'y a pas eu d'OPA formelle, et que l'Etat n'a pas eu à l'empêcher, et que de surcroît, le candidat à l'acquisition était Pepsi, Bruxelles ne fera rien. Par contre, Bruxelles aurait à intervenir si, en cas de fusion, par exemple avec Nestlé, des positions dominantes apparaissaient; Bruxelles pourrait alors obliger les entreprises fusionnées à céder des actifs. Mais encore une fois, le problème aujourd'hui est un problème de marchés financiers, et pas de régulation bruxelloise.

MANIPULATION ?

Pedro: Ces rumeurs ont fait "gonfler" la valeur de Danone. 25% de plus-value en deux semaines c'est bien une performance. Y a-t-il eu manipulation de cours ?
Elie Cohen:
Il y a eu rumeur. La rumeur a provoqué une très forte hausse du titre. D'ailleurs, depuis que le gouvernement français a manifesté son opposition, le cours de Bourse s'est remis à baisser fortement. Il faudra donc, le moment venu, faire l'analyse de la production de la rumeur, et il faudra éventuellement détecter une éventuelle manipulation du marché, car il est probable que certains opérateurs ont joué la rumeur, ont gonflé leurs positions, et ont empoché des bénéfices purement spéculatifs. L'AMF, qui est l'Autorité de régulation des marchés financiers, va enquêter. On sait déjà que des mouvements anormaux sur le titre Danone ont eu lieu au moment où la rumeur démarrait sa course. Il y aura donc enquête, mais ce type d'enquête est en général assez long, car il faut reconstituer toute la chaîne des opérations financières, identifier les auteurs et qualifier les opérations elles-mêmes pour établir d'éventuels délits d'initiés.

Lada: Pouvez-vous analyser la naissance de cette rumeur d'OPA ?
Elie Cohen:
Les informations dont on dispose sont assez simples: on a eu d'abord un entrefilet dans un magazine qui annonçait l'imminence d'une OPA sur Danone lancée par un prédateur extérieur. Et on mentionnait comme possibilité Pepsi parmi d'autres. Puis il y a eu une déclaration faite par le responsable d'une grande entreprise de publicité française. Puis il y a eu une déclaration tonitruante faite par un député français, et c'est là que le cours s'est mis à flamber. Donc il faudra établir, s'il y a eu opération litigieuse, à quel moment les achats et les ventes de titres se sont faits, par qui, et quelles relations ces investisseurs avaient avec les émetteurs de ces rumeurs.

Eiffel: Le secteur d'activité de Danone est-il vraiment stratégique pour la France, au même titre que l'industrie de la santé ou la défense ?
Elie Cohen:
C'est le grand paradoxe de cette affaire. La France, au cours des dernières années, a privatisé des entreprises responsables de la production des vecteurs de la force de frappe: EADS, Thales, etc. Ces privatisations n'ont suscité aucun émoi. Par contre, le risque de prise de contrôle d'une entreprise qui produit du yaourt, de l'eau minérale et du biscuit a produit le brouhaha que l'on sait. Cela invite à la réflexion. Les produits agricoles transformés sont-ils plus importants que les médicaments, que le high-tech, que les composants électroniques, que les bombardiers ? Cela fait réfléchir. Ce qui est sûr, c'est que Danone est une icône nationale. Elle incarne les produits alimentaires sains, elle incarne la qualité et le goût français, surtout si l'on oppose Danone à Pepsi, car Pepsi fait des boissons sucrées, des chips, c'est-à-dire des aliments réputés peu sains. Donc la différence entre Pepsi et Danone d'un côté, l'importance de l'agroalimentaire en France de l'autre, expliquent peut-être cette mobilisation, mais ne la justifient pas à mes yeux.
La vraie question me semble être la suivante: Danone gagnerait-elle à se marier avec Pepsi ? Le yaourt gagnerait-il à être dans le même groupe que les chips ? Ma réponse est non. Une bonne défense du groupe Danone eût été d'affirmer ceci: Danone est leader mondial dans ce secteur d'activité, Danone n'a pas besoin d'un partenaire comme Pepsi, Danone connaît une forte croissance, Danone est rentable, Danone a conquis des positions enviables sur les marchés émergents, Danone peut se développer par lui-même. Cette ligne d'argumentation me semblerait suffisante. Elle eût été plus efficace que l'incroyable mobilisation politique autour du drapeau national.

Raphael39: Une OPA de Pepsi sur Danone serait-elle un bienfait pour le groupe, ou pourrait-elle induire un grand nombre de licenciements, ou de délocalisations ?
Elie Cohen:
Je viens de répondre à la première partie de la question: d'un point de vue stratégique, Danone n'a pas besoin de Pepsi, me semble-t-il. Danone peut continuer à réaliser sa stratégie de recentrage sur des produits alimentaires ayant une forte image de santé et de bien-être. Par contre, si Pepsi, pour une raison ou une autre, finissait par prendre le contrôle de Danone, l'enjeu majeur ne serait pas social, il ne conduirait pas à des délocalisations. Pour une raison simple, c'est qu'il n'y a pas de recoupement entre les activités de Pepsi et celles de Danone. Si Pepsi, demain, achetait Danone, ce serait pour contrôler des activités qu'il ne contrôle pas aujourd'hui. Donc les risques de redondance de produits, de sites, d'activités, de personnel, sont faibles. L'enjeu majeur, encore une fois, est économique, stratégique, il n'est pas social.

Havraise: Que peut craindre un petit producteur de lait, celui qui vend quotidiennement son lait à Danone ?
Elie Cohen:
Danone, contrôlée éventuellement demain par Pepsi, ferait toujours des yaourts, produirait toujours des fromages, et aurait donc toujours besoin de lait. Les conventions que Danone passe avec les producteurs laitiers ne seraient pas, à mon sens, fondamentalement remises en cause. Par hypothèse, si Pepsi achète Danone, il lui faudra mettre sur la table énormément d'argent. Pepsi a donc intérêt à ce que Danone croisse, se développe, et soit rentable. Pepsi, contrôlant Danone, aura toujours besoin de lait.

Golgt: Un mariage avec une multinationale suisse (donc européenne) comme Nestlé ne serait-elle pas souhaitable pour contrer le marché américain (PepsiCo et Coca-Cola) avec sa vision anglo-saxonne de fonctionnement ?
Elie Cohen:
Danone est aujourd'hui une entreprise qui fait 13,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires et qui est concentrée dans trois secteurs d'activités: l'eau, les produits laitiers frais et les biscuits. Sur chacun de ces marchés, Danone est soit première mondiale, soit très bien classée. Donc Danone n'a pas besoin, a priori, de consolider une position qui est déjà très forte. Danone, dans ses trois métiers de base, n'a pas besoin de partenaire, ni européen ni américain.
La vraie question est la suivante: Danone a-t-elle besoin d'exercer plus que les métiers qu'elle exerce aujourd'hui ? Doit-ellel par exemple aller vers les boissons sucrées, vers les snacks, vers les condiments, la bière, la charcuterie... ? La réponse est: Danone exerçait par le passé ces métiers et y a renoncé. Danone croit à la valeur d'un modèle économique basé sur les produits à connotation bien-être, santé. Danone, du reste, a une très bonne rentabilité dans deux de ses trois métiers de base et Danone, en termes de valorisation boursière, est dans une position favorable. Toute fusion avec Nestlé, Pepsi, Unilever, Kraft ou autre aboutirait à une multiplication des activités, à une diversification des métiers, et probablement à une moindre rentabilité. Danone, clairement, n'a pas intérêt à multiplier ses métiers.
Le problème pour Danone est qu'elle est la 6e mondiale dans le secteur, que jusqu'à présent, elle s'est développé par croissance interne, et que si elle veut se protéger contre des prédateurs, elle doit grossir. Mais il y a deux manières de grossir: soit en faisant des acquisitions – mais Danone n'en a probablement pas les moyens –, soit en améliorant encore davantage sa pénétration sur les marchés nouveaux dans ses secteurs traditionnels et en améliorant encore plus sa rentabilité. Le choix de M. Riboud est clairement ce second choix. Par contre, si Unilever ou Nestlé faisait une OPA sur Danone, et si même cette OPA devenait amicale, alors Nestlé + Danone pèserait un tel poids que Bruxelles obligerait le nouveau groupe à céder des activités. Je rappelle juste un chiffre: Nestlé aujourd'hui fait un chiffre d'affaires de 55,5 milliards d'euros. Donc l'idée d'un mariage Nestlé-Danone ne me semble pas à l'ordre du jour.

Toto: Quels sont les groupes européens pouvant venir à l'aide de Danone ?
Elie Cohen:
C'est très simple. Quand on regarde les six premiers grands groupes alimentaires mondiaux, on a en premier Nestlé (suisse), 2e Kraft (américain), 3e Pepsi (américain), 4e Unilever (européen), 5e Coca (américain), 6e Danone. Donc seuls Nestlé et Unilever pourraient se rapprocher de Danone pour former un groupe européen. Mais encore une fois, Nestlé est déjà trop gros, et Unilever n'est pas aussi performant que Danone.

Steve13: L'interventionnisme de l'Etat dans cette affaire a eu pour conséquence de faire chuter les cours de l'action de Danone, donc à court terme le cours de l'action pourrait chuter plus que prévu. Dans ce cas, une rumeur d'OPA peut-elle devenir réalité, car Danone deviendrait vulnérable ?
Elie Cohen:
Quand on fait ce type de remarque, il faut décrire l'ensemble du cycle. Au départ, Danone cotait à 72 euros environ, et la rumeur a fait qu'il est monté à 92. Et il est en train de retomber à 85, et même à 85 on est encore très au-dessus de 72. La question deviendrait pertinente si Danone chutait au-dessous du niveau de départ, à savoir 72 euros. Aujourd'hui, cette hypothèse n'est pas vraisemblable, et donc votre question n'est pour le moment pas d'actualité.

MORYOU: A quel prix se ferait l'OPA, selon vous ?
Elie Cohen:
Si Pepsi décidait de faire une OPA sur Danone, on sait que Pepsi pourrait aller bien au-delà des niveaux que nous avons constatés sur le marché. Parce que Pepsi verrait dans certaines parties de Danone des relais de croissance formidables, notamment à l'international, en Asie, dans les pays d'Europe centrale et orientale, donc il y a différentes rumeurs qui courent, mais d'après les bruits qui courent sur les marchés, Pepsi pourrait aller au-delà de 100 euros. Mais ma conviction est que si Pepsi lançait une OPA hostile, il y aurait une bataille boursière, et on sait quand commencent les batailles, à quel prix elles commencent, on ne sait jamais à quel prix et quand elles finissent. Pour être tout à fait clair, une OPA hostile déclenchée par Pepsi susciterait sans doute une contre-OPA de l'un des acteurs européens. Mais encore une fois, le gouvernement français ayant émis des signaux très négatifs, je pense que le soufflé va retomber.

UNE RUMEUR, DEUX GAGNANTS: LE GOUVERNEMENT ET DANONE

Locfer: France Télécom achète une grosse entreprise espagnole, Taittinger est vendue aux Américains..., pourquoi autant de passion envers Danone ?
Elie Cohen:
La question est tout à fait légitime. Comme vous le savez, France Télécom est en train de finaliser l'acquisition d'une société de téléphone mobile espagnole. EDF a racheté il y a un mois une société électrique italienne. Chacun célèbre en France les acquisitions réalisées par des multinationales à base françaises, il est difficile de comprendre pourquoi les Français n'admettent pas la démarche réciproque. Malgré tout, il y a deux réponses à votre question. La première, c'est que la prise de contrôle de Pechiney par Alcan a laissé de mauvais souvenirs. Pechiney était un fleuron technologique français, il maîtrisait la meilleure technologie de l'électrolyse au niveau mondial, et la prise de contrôle de Pechiney par Alcan a abouti à un quasi-démantèlement de ce groupe. Les Français ne veulent pas qu'il arrive le même sort demain à Danone. En d'autres termes, ils craignent le risque de démantèlement, le risque lié au déménagement des sièges sociaux. En un mot, ils craignent la perte d'affectio societatis.
Deuxième raison: Danone incarne le bon goût français, à tort ou à raison. Danone est une entreprise patrimoniale. Donc les Français et leur gouvernement verraient sans doute d'un mauvais œil une marque comme Danone passer sous le contrôle de Pepsi, qui, à l'inverse, a une image de produits moins valorisante.

Pascal1998: L'affaire Pechiney ne justifie-t-elle pas la réaction de la classe politique vis-à-vis de cette OPA aujourd'hui virtuelle ? Avons-nous suffisamment de "champions nationaux" pour nous permettre d'en perdre un ?
Elie Cohen:
La réponse est très simple: dans une économie de marché ouverte, dans une économie organisée autour de la propriété privée, dans une économie où le financement des entreprises et le contrôle des entreprises se jouent sur les marchés financiers, l'Etat français n'a littéralement pas le droit d'interférer avec la vie financière d'une entreprise privée cotée. Lorsqu'on veut contrôler des champions nationaux, qu'on veut les maintenir sous le drapeau français, en un mot, lorsqu'on veut protéger le capital national, il n'y a qu'une solution, c'est la nationalisation. Danone est une entreprise privée cotée. 84% de ses actionnaires sont des actionnaires petits ou moyens, intervenant sur les marchés, ces actionnaires ont le droit d'acheter et de vendre des titres à leur guise, et les actionnaires français, allemands, espagnols, anglais, n'ont pas à tenir compte de l'intérêt national français. Si l'on veut donc conserver Danone, cette "cathédrale de Chartres nationale", il faut trouver les moyens pour que capitalistiquement, son contrôle reste français, ce qui veut dire constituer un bloc de contrôle avec des investisseurs durables français. On peut imaginer que le Crédit agricole, la Caisse des dépôts, des caisses de retraite, forment un bloc d'actionnaires qui contrôlerait majoritairement Danone, et dans ce cas, des problèmes d'interférence d'éventuels prédateurs étrangers ne se poseraient plus. Mais encore une fois, aujourd'hui, Danone est une entreprise au capital fragmenté, une entreprise non contrôlée, et 42% de son capital sont d'ores et déjà détenus par des investisseurs étrangers. Il faut s'habituer à l'idée que dans une économie de marché, les capitaux vont dans les deux sens. La France peut acquérir des actifs à l'étranger, et vice versa. Et si l'on veut échapper durablement à cette règle de marché, il faut revenir à l'économie administrée.

Le_bon_mat: L'Etat n'aurait-il pas cherché à redorer son image sociale en prenant comme prétexte cette rumeur d'OPA sur un symbole français ?
Elie Cohen:
Je crois que l'internaute qui pose cette question a mille fois raison. Il s'est passé quelque chose d'étonnant avec cette rumeur d'OPA. 1) Danone, qui était décriée il y a trois ans comme fossoyeur du modèle social français, comme entreprise privilégiant les délocalisations, comme entreprise mue essentiellement par une logique boursière, est aujourd'hui métamorphosée en champion du modèle social français, en leader du bon goût français. Et donc, de ce simple point de vue, la rumeur a eu des effets terriblement bénéfiques pour l'entreprise au niveau national.
2) Le gouvernement, qui pouvait passer pour hésitant en matière de politique industrielle, comme insuffisamment déterminé dans la défense des intérêts de la France en Europe et dans le monde, est là aussi métamorphosé en champion de la défense de la cause nationale, de l'emploi national, de l'industrie nationale, et du modèle alimentaire national.
Il y a donc deux incontestables gagnants à cette rumeur. Je crains pour l'avenir des pertes plus fondamentales. D'une part, la France donne d'elle-même une image interventionniste, protectionniste, frileuse, alors que ce n'est pas la réalité de sa contribution à l'économie mondiale. D'autre part, Danone donne d'elle-même l'image d'une entreprise qui se réfugie dans les plis du drapeau national, alors que Danone a un bon modèle économique, une bonne stratégie, et qu'elle est de surcroît très performante. A chacun de juger la balance des avantages et des inconvénients de la crise de nerfs qu'on vient de vivre au cours des derniers jours. Je crains sur la durée que les effets négatifs l'emportent sur les bénéfices de court terme.

Chat modéré par Constance Baudry et Fanny Le Gloanic
LEMONDE.FR | 22.07.05 | 19h43


Le Monde / Europe
Compte rendu
Terrorisme: la Grande-Bretagne ne veut plus d'individus au "comportement inacceptable"
Londres, de notre correspondant

 L e "Londonistan" appartiendra bientôt définitivement au passé. Déjà partiellement démantelée après les attentats du 11 septembre 2001, la nébuleuse islamiste longtemps "sanctuarisée" dans la capitale britannique cessera d'exister, du moins au grand jour, lorsque le gouvernement de Tony Blair aura fait voter les mesures de prévention antiterroriste annoncées mercredi 20 juillet devant la Chambre des communes par le ministre de l'intérieur, Charles Clarke.

"Il fallait laisser les pays arabes libres"

Le maire de Londres, Ken Livingstone, a estimé, mercredi 20 juillet, que l'interventionnisme de l'Occident au Proche-Orient pouvait expliquer les attentats comme ceux du 7 juillet.

"Je n'ai aucune sympathie pour [les attentats-suicides]", a déclaré le maire travailliste interrogé sur la BBC. "Mais, a-t-il fait valoir, ils ne seraient probablement pas arrivés si l'Occident avait laissé les pays arabes libres de prendre leurs décisions après la première guerre mondiale. Je pense que nous avons eu quatre-vingts ans d'intervention occidentale dans des pays majoritairement arabes, à cause du besoin de pétrole de l'Occident." Et d'ajouter: "Nous avons soutenu des gouvernements peu recommandables, nous en avons renversé d'autres que nous ne jugions pas sympathiques. (...) Si, à la fin de la première guerre mondiale, nous avions fait ce que nous avions promis aux Arabes, c'est-à-dire les laisser libres d'avoir leurs propres gouvernements, et étions restés en dehors de leurs affaires, achetant simplement leur pétrole, (...) je pense que cela ne serait pas arrivé."

Les propos de M. Livingstone, treize jours après les attentats, ont été accueillis fraîchement par l'entourage de Tony Blair, qui cherche à tout prix à dissocier les attentats du soutien britannique à la guerre en Irak. ­– (AFP)

Résolue à se débarrasser des extrémistes auxquels elle accordait naguère généreusement le statut de réfugié politique, la Grande-Bretagne établira une liste de "comportements inacceptables". tels certains "prêches, tenues de sites Internet, ou rédactions d'articles qui ont pour but de fomenter ou de provoquer le terrorisme".

Les services de sécurité britanniques, a précisé M. Clarke, vont mettre en place une "banque de données des individus qui, partout dans le monde, ont un tel comportement".

Conséquence logique de ce durcissement, les extrémistes visés seront empêchés de fouler le sol britannique, ou s'ils vivent déjà au Royaume-Uni, risqueront l'expulsion. Devant les Communes, Tony Blair a révélé que Londres était en train de négocier avec plusieurs pays des accords permettant d'y renvoyer des étrangers qui en sont originaires.

EXPULSIONS ET EXTRADITIONS

Un premier accord de ce type a été conclu mercredi avec la Jordanie. D'autres devraient être signés avec des pays d'Afrique du Nord. Londres pourrait ainsi renvoyer vers sa terre natale le Palestinien Abou Qatada, tenu pour le chef spirituel d'Al-Qaida en Europe, et qui, après avoir été détenu pendant deux ans et demi dans une prison londonienne, est actuellement assigné à résidence. La Jordanie et plusieurs pays européens ont demandé son extradition.

Un autre prédicateur radical, le Libano-Syrien Omar Bakri, se trouve dans la ligne de mire des autorités. Il a dissous son mouvement, en octobre 2004, et lance maintenant ses appels à la guerre sainte sur Internet. Mardi, il affirmait encore dans un entretien à un journal anglais que le peuple britannique était largement responsable des attentats qui ont frappé Londres le 7 juillet.

Une partie du problème, a reconnu M. Blair, tient aux risques, parfois mortels, que les indésirables auraient encourus, une fois rentrés dans leur pays natal. Londres est-il désormais en mesure de recevoir de fermes assurances sur le sort des futurs extradés ou expulsés de Grande-Bretagne ? Beaucoup d'experts doutent de la validité de telles garanties. La justice britannique est d'ordinaire très sourcilleuse sur ce point et refuse de renvoyer dans leur pays des gens qui risquent d'y être maltraités, torturés, voire exécutés. En outre, dans ce genre d'affaires, les procédures sont très longues et sujettes à plusieurs recours.

M. Blair a également proposé d'organiser, peut-être dès septembre, une conférence internationale pour combattre l'extrémisme musulman, à laquelle seraient invités "les principaux pays ayant des inquiétudes" à ce sujet. Il a rappelé que "vingt-six pays avaient été victimes depuis 1993 d'Al-Qaida et des réseaux qui lui sont associés". Une chose est sûre: les attentats du 7 juillet, qui ont fait 56 morts d'au moins onze nationalités différentes, ont fini de convaincre la Grande-Bretagne qu'elle devait monter en première ligne contre le terrorisme islamiste.

Jean-Pierre Langellier
Article paru dans l'édition du 22.07.05


Le Monde / Opinions
Analyse
Les torpeurs du syndicalisme, par Michel Noblecourt

 L e diagnostic vient de Nicolas Sarkozy. "La France gronde", tonne le numéro deux du gouvernement et président de l'UMP, à l'attention d'un Jacques Chirac tout simplement comparé à Louis XVI égaré par sa passion de la serrurerie au point de ne pas avoir vu poindre la Révolution de 1789. "La France gronde", mais elle exprime sa colère et ses peurs dans les urnes ­ comme le 29 mai avec le référendum sur la Constitution européenne ­ ou dans les sondages.

Mais elle reste socialement calme, à la limite apathique. En dépit de quelques cris estivaux sur la "privatisation" d'EDF et des autoroutes, sur Danone et la Samaritaine, le syndicalisme, toujours faible et divisé, est en état de torpeur.

La victoire du non au référendum du 29 mai, qui s'explique aussi par la volonté des ouvriers et d'une partie des couches moyennes d'exprimer un fort mécontentement social, aurait-elle été libératoire ? Un cri de ras-le-bol pour solde de tout compte sans lendemain social ? Force est de constater que le non n'a engendré aucune dynamique sociale.

Les syndicats n'étaient pas dépourvus de volonté quant à l'organisation d'une "riposte sociale", mais ils ont été dans l'incapacité de le faire. La CGT a lancé seule, le 21 juin, une journée nationale d'action contre le plan sur l'emploi de Dominique de Villepin qui est passée totalement inaperçue.

Comme si les syndicats, supposés être les premiers porteurs de la grogne sociale, avaient été assommés par le non du 29 mai. Il est vrai que les confédérations ont toutes été, peu ou prou, déstabilisées par le référendum.

Un sondage CSA réalisé pour Liaisons sociales a montré que 74% des sympathisants de la CGT ont voté non, comme 70% à la FSU, 65% à SUD, 64% à Force ouvrière, 46% à la CFDT, 37% à la CFTC et 35% à la CFE-CGC. FO, grâce à l'indéniable habileté de son secrétaire général, Jean-Claude Mailly, a bien tiré son épingle du jeu, en affichant une hostilité opportune à la Constitution européenne, tout en faisant croire qu'elle ne propageait pas de... consigne de vote.

Quant aux centrales ayant soutenu le oui ­ CFDT, UNSA, CFTC ­, elles sont beaucoup moins secouées que la CGT. La centrale de Bernard Thibault avait prôné le non contre l'avis de son secrétaire général.

Malgré la volonté de la direction de la CGT de ne pas faire campagne ­ réaffirmée à son fameux comité confédéral national du 3 février, où M. Thibault avait été mis en minorité ­, nombre de responsables cégétistes ont passé outre. Didier Le Reste, qui a succédé à M. Thibault à la tête de la Fédération des cheminots, a ainsi été, en toute impunité, un actif propagandiste du non.

DISCOURS INCANTATOIRE

Pourtant, aucun des maux sociaux qui ont nourri le vote du 29 mai n'a disparu comme par enchantement. Le taux de chômage demeure supérieur à 10%. Le sous-emploi caracole chez les jeunes et les seniors. Les inégalités sociales mutilent et fracturent la société française. L'insécurité sociale progresse, s'enracine.

Les syndicats disposent d'un terreau composé de mille raisons, pour les salariés, de manifester, de faire grève, bref de se mobiliser. Mais ils ne sont à l'initiative de rien. Le résultat est dangereux: la colère sociale se manifeste par d'autres voies, plus radicales, voire plus violentes, à travers des actes de désobéissance civile ou des explosions de fièvre dans les cités. Là où les syndicats sont absents.

Les torpeurs du syndicalisme s'observent à tous les niveaux, qu'il s'agisse du discours (incantatoire), de l'action (illusoire) ou de la stratégie (aléatoire).

Cet engourdissement se retrouve dans les revendications, qui peinent à se renouveler, ou dans les propositions, qui souvent manquent à l'appel, comme si les syndicats voulaient conforter leur image d'organisations défendant principalement les salariés protégés, et donc d'abord ceux du secteur public et les fonctionnaires, et s'érigeant en gardiennes de l'immobilisme social.

Alors que toutes les confédérations syndicales se réclament, plus ou moins, de la volonté de changer la société par la réforme. C'est-à-dire du réformisme.

A cet égard, le positionnement des syndicats sur les méthodes et la politique de M. de Villepin est une bonne illustration de leur état. Les prochaines élections prud'homales ont beau avoir été reportées d'un an, en décembre 2008, les syndicats font dans la surenchère sur l'appréciation du plan emploi du gouvernement.

La CFTC, habituellement mesurée mais de plus en plus portée à la contestation, avec son président, Jacques Voisin, et qui prépare son congrès, du 14 au 18 novembre à Bordeaux, voit dans le contrat "nouvelles embauches" cher au premier ministre une entreprise de "destruction du code du travail".

La CFDT n'est pas en reste, en estimant que les dispositions de ce contrat à durée indéterminée hors normes ­ auquel l'employeur pourra mettre fin à tout moment, pendant un délai de deux ans, sans avoir à se justifier ­ "dégradent les garanties apportées aux salariés".

Et les syndicats s'inquiètent déjà de voir Laurence Parisot, la nouvelle présidente du Medef, réclamer, juste élue, à M. de Villepin qu'il donne "plus d'ampleur" à son contrat "nouvelles embauches", aujourd'hui réservé aux entreprises de moins de 20 salariés. Le premier ministre, qui s'est donné cent jours, c'est-à-dire jusqu'au 10 septembre, pour regagner la confiance des Français dans la lutte contre le chômage, a commencé par braquer les syndicats, au lieu de les mobiliser.

En recourant à la procédure expresse des ordonnances, il a réduit comme peau de chagrin la concertation sociale.

M. de Villepin a surtout porté le fer là où cela fait le plus mal aux syndicats: dans les petites entreprises ou chez les salariés précaires, dans l'un et l'autre cas des déserts syndicaux.

Selon la dernière étude du ministère du travail sur la syndicalisation ( Premières informations, Dares, octobre 2004), le taux de syndicalisation dans les entreprises de moins de 50 salariés est de 3,5% (contre 5,2% dans le secteur privé); il n'est que de 2,4% chez les salariés en CDD ou en intérim (contre 9,5% chez les salariés en contrat à durée indéterminée et à temps complet).

La cible est bien délimitée. Le contrat "nouvelles embauches" ? Les entreprises de moins de 20 salariés. L'extension du "forfait jour", qui, jusqu'alors réservé aux cadres, permet aux entreprises de s'affranchir du paiement des heures supplémentaires ? Les PME.

Cerise sur le gâteau, M. de Villepin a même eu recours à une novation exorbitante dispensant les petites entreprises de comptabiliser les jeunes de moins de 26 ans dans les effectifs pour le calcul des seuils sociaux.

"RENTRÉE SOCIALE"

Ainsi une entreprise qui atteindra onze salariés ne sera pas obligée de faire élire un délégué du personnel si un seul d'entre eux a moins de 26 ans. "Demain les patrons demanderont qu'on ne compte pas les seniors !", s'insurge M. Mailly, qui va saisir le Bureau international du travail pour "discriminations". Même si elle est plus un rite qu'une réalité, la "rentrée sociale", à l'automne, peut permettre au syndicalisme de sortir de son engourdissement. Trois scénarios sont possibles. Dans le premier, l'Etat reprend la main, "catalyseur" ou "émulateur".

C'est la suggestion qui lui est faite par un atelier de prospective du Commissariat général du Plan, le groupe Thomas, composé d'experts, sous la houlette d'Yves Chassard et de Laurent Duclos, sur l'avenir du dialogue social. Si, à la lumière de l'expérience européenne, l'Etat veut réinventer le modèle social français, il lui faut partager "son action avec les acteurs du pacte social".

DEUXIÈME SCÉNARIO

Pour ce groupe Thomas, "plutôt que de continuer, au fil de l'eau, à rendre l'ordre public social dérogeable", l'"Etat social moderne" pourrait chercher, avec les partenaires sociaux, à "fonder un nouveau droit de la régulation". M. de Villepin le peut-il et le veut-il ?

Dans un deuxième scénario, c'est le Medef qui reprendrait la main, profitant de la carence de l'Etat. L'accord interprofessionnel normatif qui s'esquisse, entre le Medef et tous les syndicats, sur le télétravail est un bon signe. Mais Mme Parisot veut-elle s'engager dans cette voie de relance du dialogue social interprofessionnel ?

Plus classique, le troisième scénario verrait les syndicats se ressourcer dans l'action. Toutes les confédérations se préparent à une mobilisation commune à l'automne contre le plan emploi de M. de Villepin.

Et M. Thibault, qui promet "du sport" dès septembre, peut céder à une "tentation de radicalité" pour gagner son futur congrès, en avril 2006.

Avec le risque d'une nouvelle fuite en avant.

Michel Noblecourt
Article paru dans l'édition du 24.07.05


Le Monde / Sciences
Le cortex, un supercalculateur qui gère nos informations sensorielles

 L es neurones corticaux sont capables d'incroyables performances. Des chercheurs de l'Institut des sciences cognitives de Lyon (CNRS-université Claude-Bernard), en collaboration avec des équipes de l'Université catholique de Louvain et de l'université de Rochester, viennent d'en administrer la preuve dans la revue Nature Neuroscience du mois de juillet.

Ils montrent comment certains neurones du cortex pariétal parviennent à intégrer différentes informations spatiales provenant de signaux visuels ou sonores et de stimulations mécaniques à la surface du corps, pour procéder ensuite à une pondération entre ces différentes informations.

"Tout se passe comme si le cerveau humain fonctionnait à l'image d'un ordinateur qui combine de multiples données pour trouver l'information optimale", explique Jean-René Duhamel, neurophysiologiste à l'Institut des sciences cognitives. C'est ce que fait notre cerveau lorsque nous nous trouvons dans un environnement bruyant et que nous réussissons néanmoins à comprendre ce que nous dit notre interlocuteur. C'est aussi de cette façon qu'un boxeur anticipe l'impact sur son corps d'un coup porté par son adversaire.

Dans le cerveau, le cortex comporte des aires qui répondent de manière spécifique à différentes composantes élémentaires des stimuli visuels (couleur, direction du mouvement, reconnaissance des formes). D'autres aires corticales participent aussi à l'élaboration de la perception visuelle, comme le cortex temporal ou le cortex pariétal. Ce dernier évalue certaines données, telles la position du corps et celle d'un objet dans l'espace, grâce aux informations sensorielles qu'il reçoit.

ÉTUDIER LA RÉACTION DES SINGES

Comment toutes ces données se combinent-elles ? Pour le savoir, les chercheurs ont étudié les réactions de singes macaques soumis à des stimulations sollicitant plusieurs sens. Parallèlement, ils ont fait appel à des simulations fournies par des réseaux de neurones artificiels.

Cela leur a permis de vérifier deux hypothèses. D'une part, avant d'être combinées, les informations sensorielles et posturales convergent vers des ensembles de cellules situées dans des aires intermédiaires. Ces cellules servent à nouer un "dialogue" entre les cartes visuelles et les cartes somatosensorielles du cortex. D'autre part, les chercheurs ont constaté que les voies de communication nerveuses sont à double sens, permettant ainsi à l'information de circuler de manière itérative d'une région à l'autre.

Les scientifiques estiment qu'ils peuvent extrapoler à l'homme les données obtenues sur le petit macaque, car "leur système visuel et la structure interne de leur cerveau sont très semblables", précise Jean-René Duhamel.

Ces travaux concernent une région du cortex impliquée dans "des fonctions cognitives de très haut niveau, comprenant notamment la capacité à manipuler les nombres", ajoute le scientifique. Une aptitude qui a été mise en évidence par les techniques d'imagerie fonctionnelle.

Ainsi les travaux menés récemment par Stanislas Dehaene, spécialiste des neurosciences à l'Inserm, ont montré une très forte relation entre nos capacités mathématiques et notre faculté à manipuler les informations spatiales.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 24.07.05


Le Monde / Sciences
Percer les mystères du cerveau humain en simulant les réseaux de neurones

Une coupe cranio-encéphalique | AFP/JOEL SAGET
AFP/JOEL SAGET
Une coupe cranio-encéphalique

 M algré les connaissances accumulées à partir d'expériences biologiques, par imagerie cérébrale ou à l'aide de modèles mathématiques, le cerveau humain demeure encore un continent inconnu. "C'est l'organe le plus complexe du corps humain, fruit de plusieurs millions d'années d'évolution", explique Jean-René Duhamel, neurophysiologiste et directeur de recherches à l'Institut des sciences cognitives (CNRS, université Claude-Bernard) de Lyon.

"Le cerveau a évolué en même temps que se développaient la locomotion, les stratégies d'attaque des proies et celles destinées à la défense des groupes humains contre les prédateurs, précise le scientifique. C'est pourquoi il est formé de multiples couches, la plus évoluée étant le cortex, véritable réseau associatif qui permet de s'adapter à l'environnement de manière très souple."

Physiologiquement, le cortex ­ - qu'on appelle aussi néocortex ­ - se présente comme une "écorce" très mince, formée de six couches distinctes de plusieurs milliards de neurones, enveloppant les deux hémisphères du cerveau. Afin de percer les mystères de leurs interactions, les chercheurs créent des réseaux neuronaux artificiels en utilisant les moyens considérables de l'informatique. Le projet Bio-i3 (Bio-inspired intelligent information systems) de l'Union européenne a ainsi pour objectif de réaliser des modèles simplifiés de l'activité neuronale et d'étudier, à l'aide de circuits intégrés, l'émergence de propriétés collectives de réseaux neuronaux. Lancé en juin, ce projet, qui fait partie du programme européen des technologies émergentes futures, est doté d'un budget d'une vingtaine de millions d'euros.

Le programme Blue Brain Project, annoncé à la même époque par IBM et l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), est plus ambitieux encore. Il envisage de modéliser l'ensemble du cerveau pour tenter de reproduire la pensée humaine.

Dirigé par Henry Markram, spécialiste de la physiologie corticale et codirecteur du Brain Mind Institute de l'EPFL, ce projet consiste, dans un premier temps, à simuler sur ordinateur une"colonne corticale", c'est-à-dire une unité de base du cortex. Chez l'homme, ces structures se sont multipliées au cours de l'évolution pour atteindre le chiffre d'environ un million. Chacune de ces colonnes, d'un diamètre de 0,5 mm, est composée de 10 000 neurones et d'un plus grand nombre encore de synapses qui assurent les communications entre ces cellules nerveuses. Cet ensemble sera reproduit virtuellement, et tous ses éléments seront interconnectés.

L'ÉMERGENCE DE L'INTELLIGENCE

Une fois réalisée la réplique numérique d'une première colonne corticale, l'étude sera progressivement étendue à plusieurs colonnes, puis à l'ensemble du cortex. "Simuler le fonctionnement du cerveau au niveau cellulaire est une gigantesque entreprise, en raison des centaines de milliers de paramètres qui doivent être pris en compte, explique Henry Markram. Notre but est de tenter de comprendre l'émergence de l'intelligence chez les mammifères, puis chez l'homme. Et d'en savoir plus sur certains désordres neurologiques et psychiatriques." Les scientifiques de l'EPFL vont utiliser pour la première fois dans l'histoire des neurosciences les capacités d'un super-calculateur, le Blue Gene d'IBM, déjà employé pour simuler la structure tridimensionnelle et le fonctionnement des protéines. Cet ordinateur géant pourra traiter 22 800 milliards d'opérations par seconde. Les simulations seront effectuées en utilisant les grandes quantités de données biologiques expérimentales disponibles qui sont stockées dans une base de données. Ces dernières seront mises en ordre au moyen d'un logiciel spécialisé qui combinera deux programmes américains, le Neocortical Simulator et le programme Neuron.

SIMULER "EN DUR"

Certains chercheurs se demandent si Henry Markram a pris le sujet par le bon bout. Reproduire à l'infini une colonne corticale considérée comme un motif élémentaire constitue peut-être une simplification réductrice de phénomènes extrêmement complexes. "Dans le domaine cortical, nous avons identifié un ensemble de lettres (neurones, synapses) et de mots (microcircuits) dont nous ignorons encore la syntaxe. Nous en sommes au stade de l'inventaire, sans savoir comment assembler les différents éléments de façon à produire l'émergence d'un langage neuronal au sein du réseau cortical", commente Yves Frégnac, directeur de l'unité de neurosciences intégratives et computationnelles (UNIC) du CNRS à Gif-sur-Yvette (Essonne).

Aussi des pistes différentes sont-elles explorées par d'autres équipes. C'est le cas du programme européen Facets, qui, au sein de Bio-i3, regroupe un consortium de seize laboratoires, dont quatre français: l'UNIC, l'Institut des neurosciences cognitives de la Méditerranée à Marseille, le laboratoire d'étude de l'intégration des composants et des systèmes électroniques de Bordeaux et l'Institut national de recherche en automatique et en informatique (Inria).

"Notre objectif est moins ambitieux que celui du Blue Brain Project", explique Alain Destexhe, directeur de recherches au CNRS et spécialiste en neurosciences computationnelles à l'UNIC. "Nous voulons élaborer un modèle simple de l'activité neuronale, en conservant certaines caractéristiques des neurones et en en laissant d'autres de côté. Ce qui ne nous empêche pas, précise le chercheur, d'intégrer la grande diversité des formes et des réponses neuronales dans notre simulation. Les neurones ont en effet chacun leur personnalité et réagissent de manière différente."

Outre la modélisation sur ordinateur de l'architecture corticale, les scientifiques impliqués dans Facets envisagent de réaliser des circuits intégrés pour simuler "en dur", et non plus de façon virtuelle, le fonctionnement d'un grand nombre de neurones. Ces circuits électroniques reproduiront différents types de neurones simplifiés ainsi que leurs synapses. "Nous tentons de les relier à un ordinateur pour les faire ensuite travailler ensemble dans un réseau", ajoute Alain Destexhe.

Toutes ces approches devraient permettre de pénétrer un peu plus avant dans l'intimité de l'esprit de l'homme.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 24.07.05


Le Monde / Société
Saint-Vincent-de-Paul: l'angoisse et l'attente des parents

Caroline Lemoine, une jeune femme dont le foetus qu'elle a porté est l'un des 351 conservés à l'hôpital parisien Saint-Vincent de Paul, répond aux questions des journalistes, mercredi 3 août. | AFP/THOMAS COEX
AFP/THOMAS COEX
Caroline Lemoine, une jeune femme dont le foetus qu'elle a porté est l'un des 351 conservés à l'hôpital parisien Saint-Vincent de Paul, répond aux questions des journalistes, mercredi 3 août.

 «J e suis papa. D'un enfant mort, peut-être, mais je suis papa." Son histoire, P. préfère ne pas la raconter dans le détail. Juste dire que son fils est né et décédé à l'hôpital Port-Royal, qui appartient au même groupe que Saint-Vincent-de-Paul, après une interruption médicalisée de grossesse. C'était il y a quelques années, en plein été. Il n'a pas abandonné le corps de son enfant. Avec sa femme, il a préféré le confier pour autopsie à l'établissement hospitalier, chargé ensuite de la crémation.

"Quand j'ai appris par la presse la découverte de 351 foetus dans la chambre mortuaire de Saint-Vincent-de-Paul, ça a été très dur. Nous avons vécu un vrai moment d'angoisse". témoigne-t-il. Dès l'annonce de la mise en place d'un numéro de téléphone, mercredi 3 août, par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), il a pris contact, comme 453 autres familles, avec le service d'information.

A l'occasion d'une conférence de presse organisée mardi 2 août, la directrice de l'AP-HP, Rose-Marie Van Lerberghe, s'était engagée à ce que les demandes soient traitées "dans les quarante-huit heures". Mais devant l'afflux d'appels de parents inquiets du sort réservé au corps de leur enfant et les nombreuses vérifications à effectuer, cet engagement n'a pu être tenu.

"Ils m'ont recontacté vendredi pour me demander un délai supplémentaire de vingt-quatre heures. Ce n'est que samedi, vers 10 h 30, que j'ai su que mon bébé ne faisait pas partie des corps retrouvés", raconte P., soulagé mais solidaire des autres familles: "Aujourd'hui, j'éprouve un goût amer, un sentiment de dégoût. Je me mets à la place des autres parents. Perdre un enfant, c'est assez dur. Mais le tuer une seconde fois, c'est encore pire."

AIDE PSYCHOLOGIQUE

Lundi matin, les demandes effectuées les 3 et 4 août auprès du numéro unique avaient toutes été traitées, assure-t-on à l'AP-HP: "Nous avons rappelé les familles qui nous avaient contactés et nous leur avons fourni une réponse. Pour celles qui étaient injoignables, nous avons laissé un message et nous essayons de leur retéléphoner."

Concernant la nature des réponses, les services de l'AP-HP préfèrent ne pas communiquer: "Il s'agit d'informations strictement réservées aux parents." Seule précision: ce sont des médecins de Saint-Vincent-de-Paul qui se chargent de joindre les familles qui, si elles le souhaitent, peuvent bénéficier d'une aide psychologique.

"Tout cela fait ressurgir beaucoup d'angoisse et de colère", constate Caroline Lemoine, jeune mère de famille qui a involontairement déclenché l'affaire en cherchant à en savoir plus sur l'incinération de son fils décédé en 2002. Sur le forum de son site (petiteemilie.org), créé pour permettre aux familles ayant perdu un enfant avant terme ou au moment de l'accouchement de s'exprimer, les réactions se multiplient.

"Certains parents souhaitent porter plainte. J'essaie de calmer le jeu". concède Mme Lemoine. Après un entretien, jeudi, avec Xavier Bertrand, le ministre de la santé, elle dit attendre les résultats de l'enquête pour décider de l'attitude à adopter. "Je garde quand même confiance. Il est invivable de douter de tout". admet-elle.

Il est pourtant difficile pour certains parents de garder confiance en l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul. "Que dire à ces mères qui téléphonent ? J'avais l'impression, en toute bonne foi, de leur dire la vérité". s'interroge Jean-Philippe Legros, psychologue clinicien rattaché à la maternité de l'établissement. Depuis près de dix-sept ans, il accompagne au quotidien, des femmes enceintes qui apprennent la maladie de leur enfant et les aide à accepter "l'impensable".

Déjà sensible au manque de traçabilité des parcours des corps et au flou législatif du statut de l'enfant mort-né, il a travaillé à l'élaboration de la circulaire du 30 novembre 2001 relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des corps des enfants avant la déclaration de naissance.

"Depuis cette circulaire, les corps ne devraient pas être conservés. Je me sens trahi au sein de mon établissement. Comment vais-je pouvoir encore travailler ?". se demande-t-il, tout en s'interrogeant aussi sur la façon de permettre à Saint-Vincent-de-Paul de retrouver sa crédibilité après "l'affaire".

Un souci partagé par l'AP-HP, qui a rappelé, vendredi, dans un communiqué, que, si certains dysfonctionnements de la chambre mortuaire de Saint-Vincent-de-Paul ont bien été constatés, "la maternité de cet établissement (...) fait partie des services les plus réputés de Paris. (...) La grande qualité et la haute technicité de ses équipes méritent toute la confiance des patients et de l'institution".

P. et sa femme attendent un autre enfant, et la grossesse est suivie par la même équipe, à Port-Royal: "Ça va être difficile d'y retourner, mais on n'a pas vraiment le choix. On n'a pas envie de blâmer qui que ce soit. Mais, quand on perd un enfant, il n'y a pas de mot dans le dictionnaire pour parler de ça."

Anne-Lise Defrance
Article paru dans l'édition du 09.08.05


Le Monde / Société
Syndicats, usagers et soignants redoutent une fermeture anticipée du site

 L e site de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, situé dans le 14e arrondissement de Paris, est l'objet de convoitises immobilières depuis des années. La vente des 35 000 mètres carrés de l'établissement, qui doit fermer ses portes en 2008, pourrait rapporter 200 millions d'euros à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Celle-ci a prévu le transfert de certains services vers le pôle voisin de Port-Royal-Cochin et la dispersion de l'activité pédiatrique dans d'autres établissements.

En janvier, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait envisagé d'y délocaliser certains bureaux du ministère des affaires étrangères (Le Monde du 29 janvier). Mais, depuis, le Quai d'Orsay a assuré que "le choix n'était pas fait". Selon Alain Lhostis, adjoint au maire de Paris chargé de la santé, un seul projet "reste d'actualité": l'installation d'un pôle médico-social pédiatrique pour enfants handicapés dès la fin de l'activité hospitalière.

Face à la médiatisation de l'affaire des foetus organisée par le gouvernement, les syndicats s'interrogent sur l'existence d'éventuelles arrière-pensées politiques. "Que cherche-t-on a démontrer ?" , se demande la secrétaire générale adjointe de la CFDT AP-HP, Annie Pivin. "Ce qui nous surprend, c'est que ça sorte en plein mois d'août", s'étonne FO-Santé.

VENTES EN CASCADE

Tous attendent les résultats des enquêtes, mais restent sceptiques. "Il faut éviter de lier l'histoire (des foetus) et l'établissement", prévient la CFTC-Santé et Sociaux. Le comité de sauvegarde de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, qui regroupe usagers et soignants, craint que cette affaire ne serve de "prétexte à une accélération du démantèlement pour aller vers une fermeture". Dans un communiqué publié vendredi 5 août, la direction générale de l'AP-HP indique que "cet événement malheureux ne peut avoir d'influence sur le devenir de Saint-Vincent-de-Paul".

La CGT s'inquiète de l'impact de "la mauvaise image sur un établissement qui a rempli sa mission, notamment envers les enfants handicapés". Le secrétaire fédéral de FO-Santé, Gilles Damez, soupçonne la direction de l'AP-HP de vouloir "trouver des responsabilités à rejeter sur le personnel".

Le Comité de sauvegarde ajoute, pour sa part, que le débat sur le statut juridique du foetus "ne peut être réduit à la diabolisation d'un établissement". Et rappelle que "Saint-Vincent-de-Paul permet la prise en charge de 25 000 urgences pédiatriques, 2 500 accouchements et plus de 3 500 opérations par an".

Depuis 2000, l'AP-HP a adopté une politique de valorisation financière de son patrimoine. En 2001, l'hôpital Boucicaut (15e) a été vendu à la Caisse des dépôts pour 65 millions d'euros. En juillet 2002, la Cogedim a acheté le site de Laennec (7e) pour 80 millions d'euros. Actuellement, les locaux de l'hôpital Broussais (14e) sont cédés "par appartements", après le rachat par la Croix-Rouge d'un des bâtiments pour 22,4 millions d'euros ( Le Monde du 2 mars).

Frédéric Gerbaut
Article paru dans l'édition du 09.08.05


Le Monde / Société
Définir un statut englobant l'espace-temps qui va de la conception à la naissance

 L' histoire retiendra sans doute que la découverte, durant l'été 2005, de plus de 350 corps de foetus et d'enfants mort-nés dans la chambre mortuaire de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, a coïncidé avec l'examen, par le Conseil d'Etat, d'un décret qui, dès l'automne, autorisera des biologistes français à mener des recherches sur des embryons humains. Des embryons fécondés in vitro, conservés par congélation et, pour reprendre la formule en usage, "ne s'inscrivant plus dans un projet parental".

Comment mieux dire l'effacement des repères ancestraux, l'émergence de nouvelles contradictions, ainsi que – corollaire – l'urgence qu'il faudrait accorder à l'invention de nouveaux outils juridiques ?

Dans le premier cas, la justice est saisie en extrême urgence. Le premier ministre décide, à la veille de son départ en vacances, de mettre solennellement en scène ce qui peut, au choix, être présenté soit comme un véritable scandale éthique, soit comme un dysfonctionnement administratif parmi tant d'autres. Toutes affaires cessantes, on impose au ministre de la santé de convoquer la presse pour que cette dernière sache au plus vite à quel point il est personnellement bouleversé par ce qu'il vient de voir dans une chambre mortuaire parisienne.

Dans le second cas, au terme d'un très long processus démocratique, avec l'aval des principales institutions juridiques, scientifiques et médicales, et en l'absence notable de polémique de grande ampleur, la France s'apprête à rejoindre le groupe des pays qui autorisent, tout en l'encadrant, la destruction d'embryons humains à des fins de recherche.

Dans un cas, on s'émeut que des corps naturellement morts avant la naissance aient pu être conservés à des fins scientifiques dans un espace médical. Dans l'autre, on accepte que des embryons créés in vitro – et qui, in utero, pourraient poursuivre leur développement – soient utilisés à des fins thérapeutiques. Comment comprendre ? On peut voir là la dernière conséquence en date d'un ensemble d'évolutions qui, à partir de la seconde partie du XXe siècle, a commencé à marquer l'humanité de manière sans doute irréversible.

Un ensemble problématique qui met au premier plan la question hautement délicate du statut de l'embryon et du foetus ou, pour le dire autrement, de l'enfant à naître. Les pays occidentaux ont ainsi dû commencer à composer avec la maîtrise croissante de la contraception et de la fonction de reproduction, associée à la dépénalisation de la pratique de l'interruption volontaire de grossesse. Parallèlement à ces avancées, on a assisté, avec les progrès majeurs de l'assistance médicale à la procréation mais aussi de l'échographie obstétricale et du diagnostic prénatal, à l'émergence d'un nouveau regard porté sur le futur enfant.

LE DROIT ET LES MOEURS

A sa façon, la circulaire du 30 novembre 2001, texte au centre de l'actuelle affaire de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, témoigne de cette évolution. Cette circulaire "relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance" prévoit ainsi, en fonction de leur âge de gestation et de leur stade de développement, les procédures – crémation ou inhumation – devant être observées à l'égard des "enfants sans vie" (enfants nés vivants mais non viables et enfants mort-nés), une fois accomplis les gestes diagnostiques des anatomopathologistes.

Elle prévoit ainsi que, pour un enfant sans vie, la famille peut faire procéder, à sa charge, à l'inhumation ou à la crémation du corps. Dans le même temps, aucun texte législatif ou réglementaire ne traite de la situation, récemment observée en France, qui voit des embryons humains conçus in vitro et conservés par congélation détruits du fait d'un dysfonctionnement technique dans le maintien de la chaîne du froid.

Si un relatif consensus existe pour dire que l'enfant à naître ne saurait, stricto sensu, être assimilé à une personne, le même consensus peut, sans mal, être trouvé pour affirmer que ce même enfant ne peut être réduit au rang de chose. Et une majorité semble se dégager pour convenir qu'un embryon formé de quelques cellules n'est pas l'équivalent d'un foetus qui, bientôt, respirera par lui-même.

Peut-on, dès lors, chercher à dépasser les catégories de personnes et de choses héritées du droit romain sans être soupçonné de vouloir remettre en question la législation sur la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse ?

Pour l'heure, en France, seuls quelques courageux spécialistes de philosophie des sciences et du droit médical osent s'intéresser à ce sujet à haut risque, auquel l'affaire de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul vient, brutalement, de conférer une nouvelle actualité.

Le temps n'est plus où, pour tenter de résoudre cette équation moderne, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé hésitait entre la définition de "personne humaine potentielle" et celle de "potentialité de personne humaine".

L'époque serait-elle plutôt à la mise en scène médiatique d'une indignation gouvernementale dans laquelle on redoute que le souci de compassion ne soit guère éloigné de préoccupations politiciennes ?

Elle devrait, plus simplement, se consacrer à la recherche d'une adéquation entre le droit et les moeurs qui permettrait, enfin, de définir un statut évolutif embrassant cet espace-temps qui va de la conception à la naissance.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 09.08.05


Le Monde / Europe
Londres devrait procéder à des audiences judiciaires sans jury

 L a Grande-Bretagne devrait procéder à des audiences judiciaires sans jury pour des affaires de terrorisme, au cours desquelles un suspect pourra être détenu sans être inculpé, ont rapporté, mardi 9 août, deux quotidiens londoniensThe Guardian et The Times.

Le président Moucharraf dénonce le laxisme de Londres à l'égard des islamistes

Le président pakistanais a accusé le gouvernement britannique d'avoir été trop indulgent et même "laxiste avec les imams radicaux" et avec les extrémistes présents sur son territoire. Il a également rappelé que son pays n'a pas joué de rôle clé dans les attentats du 7 juillet à Londres. "Il n'y a aucune preuve pour affirmer cela", a-t-il déclaré, lundi 8 août, dans une interview diffusée sur la BBC, tout en reconnaissant qu'au moins deux des quatre auteurs présumés des attentats s'étaient rendus dans son pays avant l'opération. (- AFP.)

Les suspects seraient représentés par des avocats ayant subi avec succès une enquête de sécurité, mais qui auraient interdiction de révéler à leurs clients des preuves en vertu desquelles ils sont détenus. Un tel système permettrait de répondre à la demande des services de police et de sécurité qui souhaitaient étendre de quatorze jours actuellement à trois mois la période de détention sans inculpation d'une personne soupçonnée de terrorisme.

La réforme judiciaire qui est actuellement examinée par le ministre de l'intérieur donnerait à un juge spécialisé un accès à des informations secrètes sensibles, notamment des enregistrements téléphoniques, lors de l'instruction du procès, a indiqué The Guardian. Cette réforme faisait partie d'une série de mesures destinées à combattre l'extrémisme islamiste après les attaques terroristes de Londres des 7 et 21 juillet.

Selon les déclarations du premier ministre britannique, Tony Blair, le gouvernement était déjà en train d'examiner une nouvelle procédure judiciaire s'appliquant à la période d'instruction avant le procès proprement dit. Edward Garnier, porte-parole de l'opposition conservatrice, a demandé au gouvernement de se calmer, de réfléchir à fond sur ces projets et de consulter d'autres partis. De son côté, le porte-parole du parti d'opposition libéral-démocrate pour les affaires judiciaires a estimé qu'il serait plus difficile de justifier un allongement aussi important de la période de détention sans inculpation des suspects.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 09.08.05


Le Monde / Europe
Bruxelles investit 250 millions d'euros dans la recherche antiterroriste
BRUXELLES de notre bureau européen

La Commission européenne a décidé de consacrer 250 millions millions d'euros à la sécurité et l'antiterrorisme, au lieu des quinze millions actuel.  | AFP/PHILIPPE DESMAZES
AFP/PHILIPPE DESMAZES
La Commission européenne a décidé de consacrer 250 millions millions d'euros à la sécurité et l'antiterrorisme, au lieu des quinze millions actuel.

 L a Commission européenne a décidé d'accroître considérablement le budget qu'elle consacre aux recherches dans le domaine de l'antiterrorisme et de la sécurité. Il passera de quelque 15 millions d'euros actuellement à 250 millions d'euros à l'horizon 2007.

En soutenant des projets censés améliorer la sécurité des citoyens de l'Union, Bruxelles entend également renforcer le rôle des industries européennes dans un marché mondial en pleine expansion. Il est estimé, par les experts, à 100 milliards d'euros, en plus de 50 milliards pour la sécurisation des réseaux d'information. Il est, actuellement, largement dominé par les Etats-Unis qui, depuis les attentats du 11 septembre 2001 consacrent annuellement 1,1 milliard de dollars à la recherche et au développement dans ce domaine et ont dépensé des sommes considérables dans le cadre du projet Homeland Security, présenté comme "la plus grande réalisation de l'administration depuis 1947".

Plus modestement, la Commission européenne a décidé de financer, pour la période 2004-2006, 13 initiatives sur les 156 qui lui ont été soumises. Elles concernent d'abord les transports publics ­ métros, trains et avions ­ avec la création de systèmes de protection contre des attaques de tout type (y compris des "bombes sales" ou des missiles téléguidés). Le contrôle des côtes et des ports est également à l'ordre du jour, ainsi qu'un projet visant à améliorer la surveillance des conteneurs.

Le renforcement des échanges d'information et une protection plus efficace de ceux-ci est l'autre grand axe de la politique mise en place. Bruxelles insiste également sur la nécessité d'une meilleure gestion des crises et d'une meilleure collaboration entre les services concernés. Enfin, le plan comporte des projets relatifs à la surveillance des frontières avec, par exemple, l'usage de drones.

L'Europe communautaire a longtemps hésité à s'engager dans le sillon tracé par les Etats-Unis, refusant même la notion de "sécurité intérieure", à laquelle elle préférait celle de "sécurité sociétale". Les attentats de Madrid, en 2004 et ceux de Londres, en juillet, semblent avoir vaincu ses réticences, même si les dépenses resteront, même à terme, très inférieures à celles des Etats-Unis. La Commission souligne cependant que ces budgets s'ajoutent à ceux des Etats et à ceux affectés à des projets intergouvernementaux.

La pression de l'industrie européenne n'est sans doute pas étrangère à la forte augmentation des crédits dévolus à ce secteur. L'industrie de la défense, notamment, voit dans le développement de la sécurité antiterroriste un formidable gisement et un moyen de rentabiliser les investissements, souvent très coûteux, dans le domaine militaire. "Homeland Security, c'est l'opportunité d'un marché global". avait lancé un grand patron européen lors d'un colloque organisé à Genève, en octobre 2004.

Plusieurs grands groupes européens, souvent présents sur le marché américain, poussaient les responsables politiques des Vingt-cinq à développer les techniques de surveillance des transports, des réseaux informatiques ou des grandes infrastructures réputées "critiques". Après les attentats de New York, en 2001 et de Madrid,en 2004, les dirigeants de l'Union avaient pris des décisions en ce sens. Toutes n'ont pas été concrétisées.

La Commission manifeste, par sa récente décision, sa volonté d'aller de l'avant, tout comme son désir de ne pas laisser les entreprises américaines régner seules sur un domaine gigantesque. EADS, Thales, Dassault aviation, le Centre national d'études spatiales se sont vu attribuer les premiers contrats, au côté des Suédois de Saab, des Allemands de Diehl et des groupes italiens Galileo Avionics et Ansaldo Trasporti. Divers centres universitaires sont également parties prenantes dans le cadre de consortiums mis en place.

Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 11.08.05


Le Monde / International
Quatre kamikazes du 11-Septembre avaient été identifiés un an avant les attentats
NEW YORK de notre correspondant

 L e New York Times a encore allongé la liste des occasions manquées par les services de renseignement américains pour empêcher les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Le quotidien révèle, en effet, dans son édition du 9 août, qu'une unité de renseignement secrète de l'armée avait identifié, dès l'été 2000, Mohammed Atta et trois autres futurs pirates de l'air du 11-Septembre comme appartenant à une possible cellule d'Al-Qaida opérant aux Etats-Unis.

L'Egyptien Mohammed Atta était le pilote du premier avion qui s'est écrasé sur les tours du World Trade Center et est considéré comme le responsable opérationnel des attentats contre New York et Washington. Les trois autres terroristes repérés, les Saoudiens Marwan Al-Shehhi, Khaled Al-Midhar et Nawaf Al-Hazmi, ont aussi joué un rôle important. Marwan Al-Shehhi appartenait, comme Mohammed Atta et le Yéménite Ramzi Ben Al-Shaiba, qui a coordonné les opérations depuis l'Europe, à la cellule de Hambourg, en Allemagne.

Khaled Al-Midhar et Nawaf Al-Hazmi se trouvaient tous deux dans le vol 77 d'American Airlines qui s'est écrasé sur le Pentagone. Ils sont entrés sur le territoire américain le 15 janvier 2000 après avoir participé, du 5 au 8 janvier, à une réunion très importante d'Al-Qaida à Kuala Lumpur, en Malaisie, destinée à organiser à la fois l'attaque du destroyer Cole, dans le port d'Aden, au Yémen, en octobre 2000, et à lancer les préparatifs des attaques du 11 septembre 2001. La rencontre était surveillée étroitement par la CIA. Mais l'Agence centrale de renseignement n'a mis les deux hommes sur la liste des personnes suspectes de l'immigration que le 23 août 2001. Or ils se trouvaient aux Etats-Unis depuis vingt mois...

Apparemment, l'unité de renseignement militaire baptisée "Able Danger" (Danger réel) avait été plus rapide et avait établi, dès l'été 2000, un schéma précis des réseaux d'Al-Qaida dans le monde. Il comprenait une cellule sur le sol américain, baptisée "Brooklyn", et les photographies figurant sur les visas des quatre suspects. "Able Danger" avait alors recommandé au Commandement militaire des opérations spéciales, dont il dépendait, de partager ses informations avec le FBI (police fédérale).

RAISONS OBSCURES

La suggestion a été rejetée et, pour des raisons obscures, les renseignements n'ont pas été transmis. "Able Danger" avait été créée en 1999, sous l'administration Clinton, par un ordre direct du général Hugh Shelton, alors chef de l'état-major combiné. L'unité avait pour mission de réunir toutes les informations sur Al-Qaida dans le monde et aurait été dissoute.

Cette affaire a été révélée par le parlementaire Curt Weldon, vice-président de la Commission des armées et de celle sur la sécurité intérieure de la Chambre des représentants. Elle a été confirmée au New York Times par un agent de renseignement non identifié. Curt Weldon est un personnage controversé, auteur d'un livre, Countdown to Terror (Compte à rebours de la terreur ), qui accuse l'Iran d'être le principal ennemi des Etats-Unis et de protéger Oussama Ben Laden.

M. Weldon est en conflit avec les services de renseignement, dont il dénonce depuis longtemps les carences. Il se targue d'ajouter un nouvel élément aux conclusions déjà sévères du rapport de la commission sur les attaques du 11-Septembre, rendu public en juillet 2004.

Ce rapport soulignait, sur plus de 500 pages, les erreurs et opportunités ratées par le FBI et la CIA. La police fédérale n'avait ainsi, avant le 11 septembre 2001, "jamais établi une évaluation de la menace sur le sol américain et ne disposait pas des moyens adéquats pour utiliser pleinement et efficacement les informations qu'elle collectait". La CIA n'était pas beaucoup plus efficace. Ses tentatives pour mettre hors d'état de nuire Al-Qaida et Oussama Ben Laden avant les attentats ont été "désordonnées, confuses et sans effets". "Entre 1998 et 2001, rien n'est venu perturber les préparatifs des attentats par Al-Qaida." En réponse aux conclusions de la Commission, l'administration Bush a décidé de créer un nouveau poste de directeur national du renseignement pour coordonner les quinze agences fédérales.

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 11.08.05


Le Monde / Société
Deux frères d'origine marocaine indésirables à la base de Toulon
TOULON de notre correspondant

 K halid et Rachid Skikar sont persuadés d'avoir été victimes d'un "amalgame". Employés sur la base navale de Toulon par la société Main sécurité, ces deux frères d'origine marocaine ont été informés, fin juillet, qu'ils n'étaient plus autorisés à pénétrer dans l'enceinte militaire. Privés de leurs badges d'accès, ils ne peuvent donc plus y travailler et seront probablement affectés sur un autre site par leur employeur.

Les deux hommes travaillaient jusqu'à présent sur la base des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA). L'un était affecté au poste de commandement anti-incendie depuis plusieurs années, l'autre contrôlait les accès depuis le mois de juin. "Notre chef de service nous a convoqués le 25 juillet, en fin de matinée, et nous a indiqué qu'il avait reçu un coup de fil des autorités. raconte Khalid Skikar, qui a également servi pendant trois ans dans la marine. Il nous a demandé de quitter immédiatement la base, sans explication."

Les autorités militaires n'en fourniront aucune. "Les motivations de cette décision n'ont pas à être communiquées". indique la préfecture maritime, qui se contente d'invoquer "un principe de précaution".

"Cette décision n'est pas liée au plan Vigipirate -qui a été élevé au niveau "rouge" après les attentats du 7 juillet à Londres- ni, bien évidemment, à la consonance de leur nom, affirme le commandement de la base navale, mais il s'agit de prévenir un risque auquel certains d'entre nous peuvent être exposés, y compris les militaires d'active."

Khalid et Rachid Skikar exigent des explications plus claires. "Nous n'avons aucun antécédent. affirme Khalid. Quand notre société a appris cela, elle a pris contact avec les renseignements généraux. Ceux-ci ont assuré que nous étions "clairs". Si nous sommes suspectés de quelque chose, pourquoi ne pas le dire ?"

La société Main sécurité, qui reconnaît que les deux frères sont de "très bons éléments". ne peut rien faire, puisque les accès à la base navale sont du ressort exclusif des autorités militaires. Les personnes qui vont et viennent sur le site font l'objet d'enquêtes d'un service spécialisé et sont contrôlées par la gendarmerie maritime.

Les frères Skikar redoutent désormais de devoir quitter le département pour poursuivre leur activité, la base navale de Toulon étant en effet le seul marché de leur employeur dans le Var.

Lilian Renard
Article paru dans l'édition du 11.08.05


Le Monde / Europe
Attentats de Londres: le "Londonistan" visé alors qu'un rôle étranger semble écarté

 S i la thèse Al-Qaida a été vite évoquée pour les bombes du 7 juillet (56 morts) et les attentats ratés du 21 juillet, elle semblait se dégonfler samedi.

CELLULES 100% BRITANNIQUES

Pour des sources internes aux services antiterroristes britanniques, citées par le quotidien The Independent, ces attaques seraient l'oeuvre de deux cellules 100% britanniques, sans lien avec un quelconque réseau terroriste et surtout sans "maître à penser" étranger. "Le point clé est que les événements ne sont pas liés" à une organisation extérieure, a affirmé au journal une source anonyme du contre-terrorisme: "Il semble que (les terroristes) évoluaient en circuit fermé et qu'ils ne recevaient pas de consignes d'un maître à penser d'aucune sorte".

De même, aucun lien n'aurait encore été trouvé entre les quatre terroristes présumés du 7 juillet, tous morts avec leurs bombes, et les auteurs des attentats du 21, qui n'auraient été que des "copieurs". De plus, aucune implication d'Al-Qaida n'aurait été démontrée: "ce qui nous préoccupe, c'est qu'aucun d'entre eux n'avait été repéré par les services secrets", a ajouté la source de l'Independent, selon qui "il existe très probablement d'autres cellules dont nous ne savons rien".

Isolée, l'équipe du 7 juillet aurait en fait été radicalisée et menée par le seul Mohammed Sidique Khan, 30 ans, le plus âgé du groupe. Un Britannique d'origine pakistanaise, né et élevé en Grande-Bretagne.C'est peut-être cette "auto-suffisance" des deux cellules des attentats de juillet, et leur ancrage dans la communauté musulmane britannique, qui a conduit au "changement de règles du jeu" annoncé par le premier ministre Tony Blair le 5 août.

OMAR BAKRI MOHAMMED INTERDIT DE SÉJOUR EN ANGLETERRE

De fait, la liberté de parole quasi totale accordée pendant des années aux prédicateurs extrémistes islamistes réfugiés à Londres semble bel et bien suspendue. Pour Omar Bakri Mohammed, ce Libanais d'origine syrienne, chef du mouvement extrémiste Al Mouhadjiroun, la question semble réglée. Parti à Beyrouth, officiellement en vacances, il y a une semaine, il a été interpellé jeudi par la police libanaise.

Le ministère de l'intérieur britannique a bondi sur l'occasion vendredi pour annuler définitivement son permis de séjour en Angleterre. Installé à Londres depuis 1986, c'est Bakri, "l'ayatollah de Tottenham", qui avait baptisé les 19 kamikazes auteurs des attentats du 11 septembre 2001 les "19 magnifiques". Remis en liberté vendredi, Omar Bakri Mohammed pourrait maintenant être extradé vers la Syrie, qui l'a demandé, selon un porte-parole du ministère des affaires étrangères libanais.

ABOU QATADA DERRIÈRE LES BARREAUX

Quant à Abou Qatada, présenté comme "l'ambassadeur d'Oussama ben Laden en Europe", à Londres depuis 1993, il est derrière les barreaux depuis jeudi, en compagnie de neuf autres extrémistes islamistes pris dans le même coup de filet. En attendant son éventuelle expulsion vers son pays d'origine, la Jordanie.Cette expulsion, en cas d'appel, pourrait prendre "des mois, voire des années", ont averti des juristes.

Avec Abou Hamza incarcéré à la prison de Belmarsh depuis mai 2004, dans l'attente de son procès à Londres, avant une éventuelle extradition vers les Etats-Unis, ce sont les trois figures de proue du "Londonistan" qui sont aujourd'hui écartées.

Abou Hamza al-Masri, 47 ans, Britannique d'origine égyptienne, ex-imam de la mosquée salafiste londonienne de Finsbury Park, est notamment accusé par Washington d'avoir voulu installer un camp d'entraînement pour Al-Qaïda dans l'Oregon.

Avec AFP
LE MONDE | 13.08.05


Le Monde / France
François Hollande demande au gouvernement "un geste exceptionnel" sur les prix du carburant

 C oup de feu sur le prix du carburant. En juillet, les automobilistes ont payé leur plein en moyenne 16% plus cher qu'une année plus tôt: le litre de gazole (1,05 euro en moyenne) a connu une hausse de 20,8% en un an; celui de supercarburant sans plomb 95 (1,19 euro) a augmenté de 10,9%. En un seul mois, de juin à juillet, les prix à la pompe ont enregistré une augmentation de 7,5%.

Un coût supplémentaire pour les usagers de la route, particulièrement sensible en cette période de migrations estivales. Mais aussi, par le mécanisme des taxes cumulées (TVA et TIPP), "une aubaine fiscale" pour le gouvernement, estime François Hollande. Ainsi le premier secrétaire du PS a-t-il accusé le gouvernement, vendredi 12 août, de "laisser les consommateurs être victimes d'une double peine: la hausse des prix du pétrole et le prélèvement de l'Etat". M. Hollande, qui dénonce le "silence" et l'"hypocrisie" des pouvoirs publics, estime que "l'Etat n'a pas à diminuer subrepticement ses déficits par une hausse des recettes fiscales liées aux produits pétroliers".

Le député de la Corrèze demande "un geste exceptionnel pour le mois d'août". Il rappelle que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, s'était engagé, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2005, à restituer aux ménages les éventuels surplus fiscaux sur les produits pétroliers.

Dans un entretien au Télégramme du 13 août, François Bayrou rappelle également l'engagement du gouvernement précédent: "Cette question doit être reprise". juge le président de l'UDF.

Sous la pression conjointe de la gauche et de l'UDF, et alors que la hausse des prix des carburants n'avait pas atteint la même ampleur que ces derniers mois, M. Sarkozy s'était résigné à constituer une commission chargée d'"évaluer si l'Etat s'est enrichi ou s'il s'est appauvri" avec la fiscalité sur le pétrole. Fin novembre 2004, le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, indiquait que les surplus de recettes seraient redistribués aux titulaires du minimum vieillesse, sous la forme d'une "prime" exceptionnelle de 70 euros.

Le sujet pourrait rapidement prendre un tour politique. La majorité est en effet farouchement opposée à la baisse de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) que réclame le PS. Anticipant l'offensive de l'opposition, le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, Gilles Carrez, suggère au gouvernement de faire le bilan, "en novembre". des rentrées de TVA et de TIPP générées par les produits pétroliers et d'engager alors un débat au Parlement sur une éventuelle redistribution des surplus.

Le député (UMP) du Val-de-Marne exclut cependant une baisse du prix à la pompe, la jugeant "absurde": "Un centime de baisse sur le prix final, cela représente 850 millions d'euros, soit 1,5 point d'impôt sur le revenu". évalue M. Carrez. Il recommande de ne pas agir "à la hâte". estimant qu'il serait "extrêmement dangereux de laisser croire aux Français qu'on peut régler des problèmes de long terme par des mesures de court terme". M. Sarkozy, pour sa part, a prévu d'intervenir sur le sujet à l'occasion de la convention de l'UMP sur l'économie qui aura lieu le 7 septembre.

Le gouvernement pourra toutefois difficilement continuer à observer le silence sur une question qu'il sait sensible. A l'impact immédiat sur les consommateurs s'ajoutent les effets sur la croissance et l'exécution budgétaire. Le projet de loi de finances pour 2005 avait été bâti sur une hypothèse moyenne d'un baril à 36,50 dollars. Le prix de celui-ci atteint aujourd'hui près du double.

Quant aux recettes fiscales, elles faisaient apparaître fin juin, avant la flambée des prix pétroliers de juillet, une augmentation de 1,5% par rapport à l'année précédente. Le produit de la TIPP était en léger recul (-1,4%), de 9,86 milliards à 9,72 milliards. En revanche, les recettes de TVA ont crû de 2,68 milliards d'euros, passant de 58,48 milliards à 61,16 milliards, soit une progression de 4,6%.

Patrick Roger
Article paru dans l'édition du 14.08.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Des athlètes en or

 E n deux jours, un jeune garçon de l'Essonne est devenu la nouvelle image de l'athlétisme français. Ladji Doucouré, 22 ans, est monté deux fois sur la plus haute marche du podium lors des championnats du monde d'Helsinki, qui se sont achevés dimanche 14 août. Individuellement lors du 110 m haies et puis avec l'équipe de relayeurs au 4 × 100 m, il a offert l'image de la simplicité et de l'élégance, bref de la sportivité.

Privé de médaille olympique à Athènes l'an passé à la suite d'une chute, il n'a pas renoncé, déterminé à poursuivre le dur entraînement des athlètes de haut niveau pour accéder au cercle très fermé des meilleurs coureurs de 110 mètres haies. Ladji Doucouré ne s'est pas découragé lorsque les moments étaient difficiles et la victoire encore incertaine. Il a multiplié efforts et sacrifices pour atteindre son but. Il a surtout cultivé une vision équilibrée de sa discipline, relativisant avec intelligence les enjeux: "Ce n'est que du sport, déclarait-il le 6 août. Il y a beaucoup de choses autour, c'est sûr, mais on est là pour s'amuser, alors qu'il y a beaucoup de gens qui galèrent, il y a des guerres."

Ce jeune médaillé est représentatif d'une nouvelle génération d'athlètes. Comme ses amis Ronald Pognon et Eddy De Lépine, autres membres du relais 4 × 100 m, il court pour la victoire. Tous, sans complexes, ne se laissent plus impressionner par les rodomontades des Américains ou les sourires moqueurs des Jamaïquains en chambre d'appel. Enfants des banlieues de métropoles ou des Antilles, ils veulent tout simplement être les premiers, considérant que le titre de champion ne revient qu'à ceux qui gagnent.

Des sportifs tricolores à la recherche d'une victoire, il y en avait d'autres dans le stade d'Helsinki. Des trentenaires comme Christine Arron, enfin libérée de ses angoisses et médaillée à titre personnel, ou comme Eunice Barber, capable d'une formidable combativité lors des épreuves de l'heptathlon. Des athlètes confiants dans leur potentialité pour monter sur le podium et qui se battent jusqu'au bout même s'ils doivent se contenter de la pire des places, la quatrième, comme Manuèla Montebrun au marteau, ou la cinquième, comme Karl Taillepierre au triple saut et Salim Sdiri à la longueur.

Au total, l'équipe de France présente un bilan plus qu'honorable avec ses 7 médailles et ses 18 places de finaliste, et parvient à effacer la grisaille athénienne. Sixième au classement et première nation de l'Europe occidentale, l'équipe d'Helsinki bénéficie de la politique menée auprès des jeunes depuis une dizaine d'années par la Fédération française.

Certes ce bilan ne saurait se comparer à celui des Etats-Unis, grand vainqueur de ces Mondiaux avec 25 médailles dont 14 en or. La première nation de l'athlétisme a réussi à faire oublier ses sportifs trop proches des laboratoires où l'on veut décupler la force humaine pour promouvoir des jeunes collectionneurs de médailles à l'image du sprinteur Justin Gatlin.

Article paru dans l'édition du 16.08.05


Le Monde / Sciences
Sur la piste d'une hypothétique langue mère

 F adaises, absurdités, non-sens. Dans la communauté des linguistes, les travaux sur l'origine du langage et des langues ont, longtemps, été frappés du sceau de l'hérésie. Il suffit, pour s'en convaincre, de consulter les statuts de la Société linguistique de Paris (SLP), fondée en 1866: l'article 2 de son règlement dispose sans ambages qu'"aucune communication concernant soit l'origine du langage, soit la création d'une langue universelle" n'est admise.

Depuis, une part de ces tabous sont tombés. Même si d'importantes controverses subsistent. "Il y a deux aspects distincts dans ces discussions, dit Christophe Coupé, chercheur au laboratoire de dynamique du langage (CNRS et université Lyon-II). D'une part, la question de l'émergence de la fonction du langage qui pourrait remonter à plusieurs centaines de milliers d'années, voire à un à deux millions d'années. Et, d'autre part, la question d'une hypothétique langue mère, qui aurait été parlée par nos ancêtres, les premiers Homo sapiens, voilà environ 100 000 ans, en Afrique de l'Est, et dont dériveraient toutes les langues actuelles."

Ces deux questions n'auront, sans doute, jamais de réponses autres que spéculatives. Bon nombre de paléoanthropologues, de linguistes ou de préhistoriens ont cependant acquis la certitude que les premiers sapiens disposaient d'un langage évolué. Que l'émergence d'une langue structurée autour d'un lexique et d'une grammaire est, en somme, consubstantielle à l'apparition de l'homme moderne. "C'est ce qui donne tout son sens à l'hypothèse de la langue mère, dit Bernard Victorri, directeur de recherche (CNRS) au laboratoire langues, textes, traitements informatiques, cognition (Lattice). Si nous descendons de quelques milliers d'Homo sapiens partis d'Afrique et si ce groupe utilisait une seule et même langue, il est naturel de penser que toutes celles que nous parlons aujourd'hui dérivent, d'une manière ou d'une autre, de cette langue primitive."

Si, au contraire, on postule qu'une proto-langue n'est apparue chez sapiens qu'au cours de sa dispersion sur la planète, alors "tout devient plus compliqué". explique M. Victorri. "Dans ce cas, il est très difficile d'expliquer pourquoi toutes les langues partagent autant de caractéristiques, poursuit-il. Tous les lexiques du monde ont, par exemple, des propriétés de polysémie ­ - le même mot peut avoir plusieurs sens sans aucun rapport ­ - et de synonymie ­ - un même objet peut être décrit par plusieurs mots distincts." Des propriétés qui semblent banales au profane mais dont l'indéfectible présence dans toutes les langues humaines trahit, peut-être, leur lointaine parenté.

D'autres indices suggèrent que sapiens disposait d'une langue complexe avant de quitter son berceau est-africain. La colonisation de l'Australie, par exemple. Celle-ci, rappelle M. Coupé, s'est faite "il y a environ 60 000 ans alors qu'aucun bras de terre ne reliait le bloc australien au continent". "Les longues traversées maritimes nécessaires à sa conquête, poursuit M. Coupé, nous renseignent sur les capacités cognitives et sur la complexité des systèmes de communication des premiers sapiens pour, par exemple, construire des embarcations, etc."

Mais, à ce jeu, Homo sapiens n'a pas eu, tant s'en faut, l'exclusivité d'un système de communication sophistiqué. Car, comme le rappelle M. Coupé, "d'autres colonisations par voie maritime, plus anciennes, ne sont pas le fait de notre espèce". Les côtes de la Corse et de la Sardaigne ont, par exemple, été abordées voilà 300 000 ans par des esquifs sans doute très rudimentaires, construits et manoeuvrés par des spécimens d'Homo neanderthalensis. Voilà qui pose la question, dit M. Coupé, du niveau de complexité linguistique atteint par ces hominidés qui devaient disposer, au moins, d'un lexique élaboré.

Cette possibilité amène d'autres questions sur les origines des langues actuelles. Après sa sortie d'Afrique, Homo sapiens s'est frotté, parfois de près, aux Néandertaliens en Europe, mais aussi à des erectus archaïques en Asie. Y a-t-il eu échanges linguistiques ? La langue des sapiens s'est-elle, par endroits, mâtinée de parlers plus anciens encore, inventés par d'autres espèces que la nôtre ? Cette hypothèse ne peut être exclue, même si l'apport de preuves demeure illusoire.

Connaître le contenu de cette toujours hypothétique proto-langue est-il possible ? Depuis la fin du XIXe siècle, la linguistique s'échine à classer les langues en familles ­ chamito-sémitiques, indo-européennes, etc. ­ et à reconstruire leurs idiomes d'origine. A partir de l'indo-européen (sanskrit, latin, grec, etc.), les linguistes ont ainsi retrouvé le lexique du proto-indo-européen. Perdu depuis des milliers d'années, il a été ressuscité à force de déductions et de comparaisons. Un peu comme si, ignorant tout du latin, on le redécouvrait grâce au français, à l'italien et à l'espagnol...

Pourquoi, dès lors, ne pas réitérer ces recoupements pour tenter de parvenir, par comparaisons successives, à la fameuse langue mère ? Impossible, répondent la grande majorité des linguistes. "Les méthodes de la linguistique historique ne permettent pas de remonter au-delà de 7 000 ou 8 000 ans", explique M. Victorri.

Passant outre ce principe, le grand linguiste américain Joseph Greenberg, mort en 2001, avait pourtant proposé une nouvelle classification des langues du monde en une dizaine de "super-familles", dont les divergences remonteraient à plus de 12 000 ans... Son disciple Merritt Ruhlen, chercheur à l'université Stanford, est allé plus loin en proposant, dans un ouvrage paru en 1994 (L'Origine des langues, éd. Belin, coll. "Débats"), la reconstruction d'une trentaine de racines du lexique de l'hypothétique langue mère. Ses travaux sont cependant très controversés, et beaucoup de ses pairs lui reprochent une démarche qui manque cruellement de rigueur...

Le rêve de reconstituer, un jour, les premiers mots d'Homo sapiens est-il vain ? La génétique des populations apportera peut-être des éléments de réponse. L'étude des génomes permet en effet de dater les séparations des populations. En recherchant, en Afrique australe, à identifier des populations isolées depuis 50 000 à 70 000 ans, Joanna Mountain et Alec Knight, du laboratoire de génétique des populations de l'université Stanford, sont parvenus à la conclusion que sapiens pourrait bien avoir utilisé, en tout premier, une de ces langues "à clic" popularisées par un film des années 1980, Les Dieux sont tombés sur la tête...

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 17.08.05


Le Monde / Sciences
Les racines de la langue présumée de nos lointains ancêtres
Les premiers mots d'"Homo sapiens"

 Q uels étaient les premiers mots d'Homo sapiens ? Dans son ouvrage L'Origine des langues (éd. Belin, collection "Débats"), paru en 1994, le linguiste américain Merritt Ruhlen prétend avoir identifié, en collaboration avec John Bengston, une trentaine de racines appartenant à la langue présumée des ancêtres de l'humanité actuelle, partis à la conquête du monde depuis l'Afrique de l'Est, voilà plus de 50 000 ans. En observant, dans de très nombreuses langues, la redondance de suites de sons associées à certaines notions fondamentales, le linguiste américain, professeur à l'université Stanford, conclut qu'au sortir de son berceau africain sapiens disait, par exemple, aq'wa pour désigner l'eau. Dans cette hypothétique langue mère, tik signifierait "un" ou "doigt", mano voudrait dire "homme" et "tenir à la main" se dirait kama...

Les conclusions de M. Ruhlen ­ scientifique de renom, disciple du grand linguiste Joseph Greenberg ­ ont subi un feu nourri de critiques, la majorité de ses pairs jugeant sa démarche biaisée. Pourquoi ? Reconstituer le lexique d'une langue disparue corps et biens voilà plusieurs milliers d'années est possible si l'on dispose de sa descendance directe et si l'on ne remonte pas au-delà d'environ 7 000 ans. Or M. Ruhlen s'attaque au lexique d'un idiome vieux de plus de 50 000 ans !

Pierre Bancel et Alain Matthey de l'Etang poursuivent pourtant des objectifs semblables. Ces deux chercheurs français, financés par une institution américaine, le Santa Fe Institute, ont cependant restreint le champ de leurs investigations aux termes décrivant les systèmes de parenté. Ceux-ci, explique M. Matthey de l'Etang, "ont un intérêt linguistique particulier du fait qu'ils sont à la fois fondamentaux et d'une grande importance dans toutes les cultures". Deux termes se retrouvent notoirement dans une proportion importante des 6 000 langues actuelles. La mère est désignée par les mots de la forme mama ou nana ­ notés (m) ama et (n) ana. Les formes papa ou baba ­ notés (p) apa ­, désignent, elles, le père ou un aïeul de la branche paternelle.

SIMPLES À PRONONCER

Comment expliquer que ces deux racines se retrouvent aussi régulièrement dans des idiomes réputés n'avoir aucun rapport ? L'explication généralement avancée tient à ce qu'ils sont les plus simples à prononcer pour le bébé humain. En somme, le murmure de contentement du nourrisson lors de la tétée, combiné à la voyelle ouverte la plus aisée à articuler, le "a", donnerait les mots de la forme (m) ama. La mère et la nourriture y seraient naturellement associées. Cette explication, purement physiologique, n'exclut pas que les premiers sapiens aient utilisé cette racine, bien au contraire. Mais elle implique que ce mot soit, en quelque sorte, "réinventé" à chaque génération. On ne pourrait donc pas y voir, stricto sensu, un vestige de la langue mère.

Pour Pierre Bancel ­ qui a traduit en français l'ouvrage-phare de Merritt Ruhlen ­, l'explication physiologique est insuffisante. "La facilité avec laquelle les nourrissons prononcent ces termes est indéniable, dit-il. Mais, à mon sens, cela explique leur grande stabilité au cours du temps, pas leur apparition." Pour étayer cette thèse, MM. Bancel et Matthey de l'Etang ont recherché d'autres racines primordiales décrivant des liens de proche parenté et aussi fréquentes que (p) apa et (m) ama. S'appuyant sur les travaux de M. Ruhlen, ils estiment qu'une autre racine de ce type existe: (k) aka, signifiant "aîné mâle du côté maternel" ou "oncle maternel". Cette racine serait à l'origine du latin avunculus ­ dont le sens est "oncle maternel" ­, lui-même à l'origine du français "oncle".

Les deux chercheurs ont dressé les nomenclatures de systèmes de parenté dans plus de 500 langues, réparties sur les cinq continents et dans les principales familles linguistiques. Parmi elles, plus de 300 présentent un ou plusieurs mots de la forme (k) aka. La distribution sémantique de ces termes a mis en évidence une forte prééminence de la signification "frère de la mère": environ 30% des langues étudiées comprennent un mot de la forme (k) aka porteur de ce sens. "On retrouve cette proportion de 30% ­ ce qui, en linguistique, est très important ­ dans les langues aborigènes d'Australie, ajoute M. Matthey de l'Etang. Or cela est très signifiant puisque cette famille de langues remonte à environ 50 000 à 60 000 ans." En outre, une claire distinction sémantique a été mise en évidence avec (p) apa, (k) aka ne désignant presque jamais le père et très rarement le frère du père. A l'inverse, (p) apa ne signifie jamais "frère de la mère".

Si elle était confirmée, l'existence de cette racine "serait très intéressante". confie Bernard Victorri, directeur de recherche au CNRS, qui n'accorde pourtant guère de crédit aux travaux de M. Ruhlen. "On pourrait alors, effectivement, être en présence d'un terme provenant de la langue mère", estime-t-il. L'existence d'un terme supplémentaire décrivant une proche parenté ne pourrait être expliquée par la seule théorie physiologiste. La preuve serait ainsi apportée de l'existence de vestiges laissés par les premiers mots de sapiens dans les langues actuelles.

S. Fo.
Article paru dans l'édition du 17.08.05


Le Monde / Sciences
Les mutations d'un seul gène, FOXP2, semblent avoir été déterminantes
Pourquoi l'homme parle et pas le singe ?

 T andis que les linguistes s'échinent à remonter aux sources d'une "langue mère", les généticiens suivent, eux, la piste des origines moléculaires du langage. Comme souvent dans cette discipline, ils se servent du pathologique pour éclairer le normal. Ainsi, depuis quinze ans, ils étudient une famille anglaise, connue sous le nom de code KE, dont la moitié des membres souffre de sévères difficultés d'élocution liées à des problèmes d'articulation et à des défaillances linguistiques.

Sur trois générations, la famille KE offre un terrain d'expérimentation inespéré pour les biologistes, qui ont soupçonné d'emblée qu'un gène, et un seul, était responsable de leur handicap. En 1998, une première étude génétique a permis d'identifier une altération située sur le chromosome 7. La même année, des observations en imagerie cérébrale mirent en évidence les structures affectées par cette mutation. En 2001, des travaux publiés dans la revue Nature identifiaient un gène particulier, FOXP2, dont une mutation ponctuelle était responsable des carences observées dans la famille KE.

S'agissait-il du "gène du langage" tant recherché, comme la presse fut tentée de le dénommer ? Pour les spécialistes, le problème ne se pose pas en ces termes. FOXP2 appartient, en effet, à une famille de gènes, les facteurs de transcription, qui permettent à des cascades entières de gènes de s'exprimer. Définir les modifications génétiques à plus grande échelle qu'induit l'altération d'un gène régulateur unique est un casse-tête encore loin d'être résolu.

FOXP2 n'en représente pas moins un formidable banc d'essai entre les espèces. En 2002, une équipe a ainsi comparé les versions normales du gène chez divers mammifères. Chez l'homme, la protéine dont la production est régie par FOXP2 est faite de 715 acides aminés. La version humaine de cette molécule diffère de deux acides aminés seulement de celles du gorille, du chimpanzé et du singe rhésus, identiques entre elles. Chez la souris, elle compte une altération supplémentaire.

Au fil de l'évolution, le taux de mutation de FOXP2 a donc eu tendance à s'accélérer: l'ancêtre commun des primates et de la souris vivait il y a 75 millions d'années environ. Cela signifie qu'en 150 millions d'années d'évolution séparée une seule mutation est intervenue, alors que deux nouvelles mutations sont survenues depuis 7 millions d'années, après qu'ancêtres des chimpanzés et des humains se sont engagés sur des rameaux séparés.

Quand sont intervenues les mutations humaines de FOXP2 qui ont pu facilitmr l'émergence du langage ? Les généticiens donnent une fourchette autour de 120 000 ans. Ce qui peut "coller" avec une date-clé de l'évolution humaine décrite grâce aux fossiles, celle du départ d'Homo sapiens sapiens d'Afrique à la conquête du monde.

Cette explication quasi miraculeuse de l'émergence de "mutants" humains parlants est probablement trop simpliste. Elle doit faire la place à d'autres critères, anatomiques, comme l'abaissement du larynx (observé chez d'autres mammifères) ou la fermeture de la cavité nasale, considérés comme favorables à l'émergence du langage articulé et qui seraient plus anciens. Les nouvelles variantes de FOXP2 ont-elles permis de faire exploser les potentialités linguistiques offertes par ces innovations anatomiques ?

Il faudrait, pour répondre, déterminer le spectre des modifications physiologiques induites par les modifications de FOXP2. Si les "mutants" de la famille KE montrent une grande immobilité musculaire de la bouche et de la face, on ne peut encore dire s'il s'agit d'une cause ou d'une conséquence de leurs difficultés d'élocution. Leur exemple n'est pas pertinent sur le plan de l'évolution, car la mutation dont ils souffrent ne correspond pas à un retour aux formes antérieures de FOXP2 portées par nos ancêtres.

Les études animales se sont parallèlement multipliées. Il a ainsi été montré que FOXP2 s'exprimait à un plus haut niveau dans le cerveau d'un petit passereau, le diamant mandarin, lors de sa période d'apprentissage du chant. Chez le canari, l'expression du gène suit un rythme saisonnier, synchrone avec l'évolution du chant du volatile.

Mais c'est la souris, plus proche de l'homme, qui offre le terrain d'expérimentation le plus excitant pour les généticiens ­ en attendant de passer au singe. Une équipe américaine vient de montrer que la mise hors circuit des deux copies de ce gène conduit à la mort prématurée des souriceaux, qui souffrent de graves retards moteurs. Ceux qui ne portent qu'une seule copie fonctionnelle de FOXP2 subissent un léger retard de développement. Leurs capacités d'apprentissage et de mémorisation semblent normales. Surtout, les petits rongeurs mutants sont incapables d'émettre des ultrasons lorsqu'ils sont séparés de leur mère, un réflexe observé chez les souris "sauvages". Cela plaide, là encore, pour l'implication de FOXP2 dans les phénomènes de vocalisation et de communication sociale.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 17.08.05


Le Monde / Sciences
Le mystère de l'écriture du disque de Phaistos

 "E n 1978, alors que nous fouillions à Nérokourou, à deux pas de la baie de Souda -en Crète-. un jeune homme passablement excité vint nous trouver. Il avait fait une retraite spirituelle dans les Montagnes blanches en compagnie des chèvres, des brebis et de l'édition photographique du disque de Phaistos (...). La vérité n'avait pas tardé à lui être révélée et, bien entendu, il avait déchiffré le disque (...). C'est le message de ce dernier qui le plongeait dans un tel abîme d'anxiété: n'y lisait-il pas un avertissement venu d'En-haut, annonçant l'imminence de la fin du monde ?"

Des dizaines d'interprétations

Depuis la découverte du disque de Phaistos, plusieurs dizaines de propositions de traduction, des plus farfelues aux plus documentées, ont été publiées ­ souvent aux frais de leurs auteurs. Certains croient savoir que le disque retranscrit une langue indo-européenne proche du louvite (une langue parlée en Anatolie au deuxième millénaire avant notre ère), d'autres qu'il s'agit d'une forme très archaïque de grec. D'autres encore pensent pour leur part qu'il s'agit d'une langue sémitique (comme l'arabe ou l'hébreu) apparentée à celles jadis parlées en Phénicie, dont les côtes sont proches de la Crète.

Parmi toutes les solutions qui ont été proposées se cache peut-être la juste interprétation du texte ­ si c'est bien d'un texte qu'il s'agit. Mais c'est une succession de seulement 241 signes qui figure sur les deux faces du disque. On est très loin de disposer de la "masse critique" de documents permettant de valider ­ ou d'infirmer ­ une proposition de traduction.

L'anecdote que rapporte l'archéologue et historien Louis Godart dans un de ses ouvrages (Aux pays des premières écritures, éditions Armand Colin) illustre autant le caractère singulier du disque de Phaistos que l'intérêt fébrile qu'il suscite depuis sa découverte, voilà près d'un siècle. L'objet, qui fait aujourd'hui la fierté du musée archéologique d'Héraklion, dans l'île de Crète, demeure l'une des plus persistantes énigmes de l'archéologie du monde méditerranéen. Les questions qu'il pose aux épigraphistes, aux archéologues, mais aussi aux linguistes, n'ont pas d'équivalent dans l'histoire des écritures.

En juillet 1908, Luigi Pernier, un archéologue italien, exhume ce petit disque d'argile cuite des ruines du premier palais de Phaistos (Crète), dont la destruction date d'environ 1700 avant l'ère chrétienne. L'objet, qui n'excède pas 17 centimètres de diamètre pour 20millimètres d'épaisseur, attire aussitôt l'attention du chercheur. Sur chacune de ses faces apparaissent une centaine de signes gravés, disposés en spirale.

Les inscriptions qui y figurent sont inconnues, et plus d'un siècle de fouilles menées en Crète et dans le monde égéen n'ont pas permis de mettre au jour une pièce équivalente ou seulement comparable. Une singularité qui fait dire à Françoise Rougemont, chercheuse (CNRS) à la Maison de l'archéologie et de l'ethnologie et spécialiste de la protohistoire égéenne, qu'"il reste impossible de prouver de façon absolument certaine que les inscriptions du disque de Phaistos sont bien un système d'écriture". Cependant, ce constat est trop peu enthousiasmant pour faire l'unanimité.

Quarante-six caractères distincts composent les 123 signes de la première face du disque et les 118 de la seconde. Des signes dont le nombre, la récurrence et l'agencement laissent penser à la plupart des spécialistes qu'il est "probable qu'il s'agisse d'un texte", comme le dit Jean-Pierre Olivier, directeur de recherche au Fonds national pour la recherche scientifique (FNRS), en Belgique. Et si les inscriptions présentes sont bien un système d'écriture, poursuit Pierre Carlier, professeur à l'université Paris-X et spécialiste du monde grec, "alors il ne peut s'agir que d'une écriture syllabique". "Quarante-six signes, c'est trop pour être un alphabet. précise-t-il, et trop peu pour être une écriture idéographique." Tous les autres systèmes d'écriture exhumés en Crète sont, en partie au moins, des syllabaires.

Quelle langue est-elle transcrite par cette cabalistique écriture ? Le mystère est total. Certains pensent à un "vieux substrat européen" ­ une langue qui, tel le basque, n'est pas apparentée aux idiomes indo-européens. D'autres penchent pour une forme très archaïque de grec...

L'étude de la technique de réalisation du disque apporte de vraies surprises. Les inscriptions n'ont en effet pas été gravées ou tracées dans l'argile du disque: la parfaite netteté des caractères suppose que chaque signe y a été pressé à l'aide d'un poinçon ­ sans doute métallique. Le disque de Phaistos pourrait donc être le plus ancien texte de l'histoire à avoir été, en quelque sorte, "imprimé". Même si, tempèrent certains chercheurs, l'apposition de sceaux attestant la propriété d'un objet ou l'authenticité d'un document, courante dans l'Antiquité, peut être vue comme une technique comparable.

Autre particularité, autre paradoxe. Car, souligne M. Olivier, "l'auteur du disque n'a certainement pas confectionné des poinçons en métal pour chaque caractère dans le but de les utiliser sur un seul document" ! Cette technique d'impression laisse entendre ­ si c'est bien un texte qui figure sur le disque ­ que son système d'écriture a dû être employé à une bien plus vaste échelle. Or nulle autre trace de cette écriture n'a été exhumée à ce jour, ni en Crète ni ailleurs.

C'est sur ce point, celui de l'origine de l'objet, que les divergences de vues sont le plus marquées. Pour certains, le disque est d'origine minoenne ­ du nom de la civilisation qui rayonne sur la Crète jusqu'à l'arrivée des Mycéniens, vers 1450 avant J.-C. Pour d'autres, il faut chercher hors de Crète. "Aucun élément typique de l'iconographie crétoise n'apparaît sur le disque, comme la double hache ou la tête de taureau que l'on retrouve dans les autres systèmes d'écriture crétois", indique M. Olivier.

D'autres chercheurs mettent quant à eux en exergue de possibles apparentements entre certains caractères du disque et des signes retrouvés sur une table à libation ou une double hache en bronze, datant toutes deux de la période minoenne. Certains archéologues y voient des relations avec la Phénicie, sur la côte syro-libanaise actuelle, ou encore la Lycie, en Asie mineure. Mais, prévient un chercheur, les spécialistes peuvent discuter à l'infini de ces éventuelles ressemblances iconographiques. L'hypothèse d'une origine anatolienne est toutefois souvent évoquée. La raison en est simple: "L'Asie mineure est une région qui a encore été relativement peu fouillée", explique M. Olivier. Et c'est peut-être la Turquie actuelle qui recèle les alter ego du disque de Phaistos.

Quelle que soit son origine, crétoise ou non, les spécialistes s'accordent généralement pour dire que l'objet revêtait une importance particulière pour son auteur ou son commanditaire. "L'uniformité de la cuisson montre indéniablement que le disque a été cuit de façon intentionnelle", souligne M. Olivier. Donc que l'auteur du disque a voulu rendre pérenne son oeuvre, car la cuisson des tablettes n'était alors pas la coutume. Et, en Crète, les documents exhumés ont généralement subi la chaleur d'un incendie qui, en durcissant le matériau, a permis leur conservation au cours des siècles. M. Olivier en tire la conclusion que le disque n'est sans doute pas un document administratif ou économique. Mais, ajoute aussitôt le chercheur, "tout ce que l'on peut raconter sur le disque de Phaistos n'est pas démontrable".

L'histoire du disque de Phaistos a, en somme, tous les traits d'un polar historique des mieux ficelés. Il y manque encore, toutefois, une chute.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 18.08.05


Le Monde / Sciences
Le minoen résiste aux efforts de décryptage des linguistes

 L e 10 juillet 1952, sur les ondes de la BBC, un jeune architecte anglais annonce avoir décrypté le "linéaire B", une écriture crétoise vieille de 3 500 ans. En expliquant que celle-ci transcrit une forme archaïque de la langue grecque, Michael Ventris bouleverse la compréhension du monde égéen.

La découverte du chercheur anglais montre en effet, définitivement, que les habitants de la Grèce continentale parlaient déjà le grec à l'"Age héroïque", au IIe millénaire avant J.-C. Les personnages chantés par Homère, Ulysse, Achille, Agamemnon et les autres, s'ils ont jamais existé, s'exprimaient en grec. L'information peut sembler triviale: habitants de la Grèce, ces hommes parlaient grec. Elle est, au contraire, saisissante.

Pour comprendre, il faut savoir qu'outre les inscriptions dites marginales, comme celles du disque de Phaistos, les archéologues ont exhumé de leurs fouilles sur l'île de Crète trois grands systèmes d'écriture: le hiéroglyphique crétois, le linéaire A et le linéaire B. Plusieurs indices portent les chercheurs à penser que le linéaire B dérive des deux autres graphies, qui, elles, semblent plus anciennes. En outre, de nombreux documents rédigés en linéaire B sont également retrouvés dans les ruines des palais de Mycènes bien sûr, mais aussi de Pylos, de Tyrinthe ou de Thèbes.

Or les Grecs continentaux envahissent la Crète vers 1450 avant l'ère chrétienne. La grande île est alors dominée depuis plus de mille ans par la brillante civilisation minoenne, dont les traits caractéristiques disparaîtront après environ deux siècles de domination mycénienne. Les chercheurs déduisent que les envahisseurs continentaux ont conçu le linéaire B en adaptant les écritures de leurs vaincus minoens à leur propre langue. Mais cela ne dit pas laquelle.

L'hypothèse d'un parler mycénien disparu et sans apparentement avec les langues sémitiques ou européennes actuelles n'est pas à exclure. Michael Ventris pense, au tout début de ses recherches, que le linéaire B n'écrit pas du grec, mais une langue proche de l'étrusque, c'est-à-dire un isolat, un idiome sans apparentement connu. Ses travaux donneront tort à sa première intuition.

En moins de deux ans, les résultats de Michael Ventris, aidé du philologue et helléniste John Chadwick, sont acceptés par la communauté scientifique. Mais, cinquante ans plus tard, les deux systèmes d'écriture dont dérivent plus ou moins directement le linéaire B, le linéaire A et le hiéroglyphique crétois, demeurent indéchiffrés. Aucune des propositions de décryptage publiées n'a été reconnue par la communauté des chercheurs. La difficulté semble presque insurmontable. Non seulement les épigraphistes ne savent pas lire phonétiquement le linéaire A et le hiéroglyphique crétois, mais les linguistes ignorent tout de la langue minoenne, transcrite, selon toute évidence, par les deux graphies... Et l'idiome minoen est probablement, comme le pensait M. Ventris du mycénien, un pur isolat.

Autre difficulté, le nombre de documents exhumés à ce jour et rédigés dans ces deux systèmes syllabiques reste très limité: à peine 300 inscriptions en hiéroglyphique crétois et 1 600 en linéaire A, contre 5 000 tablettes de linéaire B. Pour Pierre Carlier, professeur à l'université Paris-X et spécialiste du monde grec, la "masse critique" n'est pas atteinte. Mais, ajoute-t-il, "on découvre chaque année une quinzaine de nouveaux documents en linéaire A". Ces obstacles rendent improbable un décryptage prochain du linéaire A et du hiéroglyphique crétois. D'autant que guère plus d'une dizaine de chercheurs dans le monde y travaillent.

L'avancée des connaissances pourrait néanmoins s'accélérer avec la découverte d'inscriptions bilingues. Ce n'est pas exclu, surtout pour le linéaire A. Peuple maritime, les Minoens ont eu en effet de nombreux contacts avec la Phénicie, l'Egypte et plusieurs civilisations du pourtour méditerranéen. "Des tablettes de linéaire A ont même été retrouvées à Samothrace -une île grecque du nord de la mer Egée, à environ 600 kilomètres de la Crète-, explique ainsi M. Carlier. Cela montre le rayonnement important de ce système d'écriture en Méditerranée."

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 18.08.05


Le Monde / Sciences
La lente résurrection du méroïtique, première langue écrite d'Afrique

 L e méroïtique est mort. Claude Rilly, chercheur (CNRS) au laboratoire Langage, langues et cultures d'Afrique noire, veut le ressusciter. L'énoncé est simple; l'affaire est délicate. Elle était même réputée perdue ­ ou presque ­ jusqu'à ces toutes dernières années. La langue des royaumes de Kerma, de Napata et de Méroé ­ qui se sont succédé sur le territoire de l'actuel Soudan, entre le milieu du troisième millénaire avant J.-C. et le IVe siècle de l'ère chrétienne ­ s'est éteinte de longue date. "Vraisemblablement au Moyen Age", dit le chercheur, et "sans descendance".

L'idiome de Méroé a cependant laissé d'abondantes traces écrites: environ un millier de documents ont, à ce jour, été exhumés, textes magiques ou funéraires, édits royaux, etc. Dès le IIIe siècle avant J.-C., les Méroïtes ont adapté à leur langue l'écriture inventée quelque vingt-cinq siècles plus tôt en Egypte, le puissant suzerain du nord.

Les relations sont en effet étroites entre les civilisations koushitique et égyptienne. L'Egypte a dominé, plusieurs siècles durant, le pays de Koush. Quant à ce dernier, il a donné à l'Égypte les rois de la XXVe dynastie (environ 715-656 avant J.-C.), celle des "pharaons noirs", ainsi dénommés pour la couleur de leur peau.

Le syllabaire méroïtique existe sous deux formes, cursive et hiéroglyphique. Il a été entièrement décrypté en 1911 par l'égyptologue britannique Francis Llewelyn Griffith, grâce à une stèle bilingue comprenant des inscriptions hiéroglyphiques égyptiennes et méroïtiques. Celle-ci a permis d'établir les valeurs phonétiques de chaque signe du système graphique. Toutes les inscriptions peuvent donc être lues et prononcées. Mais elles demeurent incomprises.

Pour la majorité des linguistes, la probabilité était grande que la langue de Méroé soit un isolat, c'est-à-dire une langue sans aucun apparentement connu, à la manière du sumérien en Mésopotamie, de l'étrusque méditerranéen ou encore du basque, toujours parlé en France et en Espagne. Si tel avait été le cas, les chances de pouvoir comprendre un jour le parler des "pharaons noirs" auraient été nulles ou presque.

STÈLES BILINGUES

Le sumérien, langue principalement liturgique morte dès le milieu du troisième millénaire avant J.-C., n'a pu être reconstitué que grâce à la présence massive de tablettes bilingues suméro-akkadiennes. Quant à l'étrusque, qui a vraisemblablement perdu ses derniers locuteurs peu après l'émergence de Rome, il résiste encore et toujours à la sagacité des linguistes.

Quelques stèles bilingues ont, certes, permis de traduire un petit corpus de termes méroïtiques. Rien qui permette, tant s'en faut, la compréhension totale des textes exhumés. Egyptologue, disciple de Jean Leclant ­ le fondateur, dans les années 1950, de l'école française d'études nubiennes, sans formation initiale de linguiste, Claude Rilly a formulé, ces dernières années, l'ambitieuse hypothèse d'un apparentement du méroïtique avec plusieurs langues parlées dans l'actuel Soudan, au Tchad et en Erythrée.

Etudiés depuis une vingtaine d'années par le linguiste américain Lionel Bender, le nubien, les dialectes taman, le nara ou encore le nyima ont été rassemblés par M. Rilly, avec le méroïtique, dans le groupe soudanique oriental nord (SON), sous-ensemble de la grande famille des langues nilo-sahariennes.

Les comparaisons entre des termes méroïtiques connus et leurs équivalents dans les différentes langues du groupe SON valident le postulat de M. Rilly. Mais, pour ouvrir définitivement la voie à la compréhension totale du méroïtique, il reste à reconstituer le lexique du proto-SON, la protolangue dont dérivent ces idiomes. Une tâche considérable, d'autant que toutes les langues du groupe ne sont pas encore totalement documentées.

La traduction des édits des souverains de Méroé permettrait d'éclaircir certaines zones d'ombre de l'histoire du pays de Koush, mais aussi de son voisin égyptien. Outre les aspects historiques et linguistiques, ces travaux, de l'aveu même de M. Rilly, présentent une dimension "presque politique". Puisque l'égyptien parlé à la cour des pharaons (dont dérive le copte) est une langue chamito-sémitique apparentée aux idiomes du Levant, le méroïtique est en effet la première langue typiquement africaine à avoir été écrite. La retrouver serait, aussi, rendre à l'Afrique une part glorieuse, mais perdue, de son histoire.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 18.08.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Les deux Sharon

 "L a colonisation a été un programme sérieux qui va se poursuivre et se développer." Alors que l'évacuation forcée des colons de la bande de Gaza est entrée dans sa phase cruciale, qu'Israël est très justement applaudi dans toutes les chancelleries ­ Paris qualifiant le retrait d'"historique" ­ et dans plusieurs capitales arabes, au Caire et à Rabat en particulier, Ariel Sharon a confirmé mercredi 17 août ce qu'il avait expliqué lors d'une interview accordée au Monde (27 juillet), à savoir qu'il entend "conserver des zones qui ont une grande importance stratégique" en Cisjordanie et qu'il nommait "les grands blocs d'implantations". Lors de la présentation publique de son "plan de désengagement" de Gaza, le 18 décembre 2003, lequel avait alors stupéfié autant sa propre opinion publique que la communauté internationale, le premier ministre israélien avait déjà clairement annoncé la donne: "Dans le même temps, avait-il déclaré, le pays va renforcer son contrôle sur les parties de la terre d'Israël qui constituent une partie inséparable de l'Etat." Aujourd'hui, Ariel Sharon confirme que tel serait bien l'objectif du "désengagement" actuellement à l'oeuvre à Gaza.

Il faut se souvenir en effet qu'"Arik, roi d'Israël", comme le nomment ses fidèles, avait aussi promis que jamais, au grand jamais, il n'abandonnerait la moindre colonie: "A aucun prix", affirmait-il le 13 avril 2001, dans la première interview qu'il donnait après son accession au pouvoir, précisant qu'il ne lâcherait "pas même Netzarim", une implantation totalement isolée en plein coeur de la bande de Gaza.

Aujourd'hui, c'est la totalité des colonies de Gaza qu'Israël évacue. Et, en septembre, l'Etat juif devrait également abandonner quatre implantations au nord de la Cisjordanie. Certes, il s'agit de petites colonies isolées, mais on a peu remarqué jusqu'ici que l'espace territorial qui leur était dévolu est... bien supérieur encore à celui de toute la bande de Gaza.

De quoi sera fait l'après-Gaza ? On peut se demander si les déclarations actuelles de M. Sharon quant à "la poursuite" de la colonisation en Cisjordanie n'auront pas un destin identique à ses déclarations passées sur le maintien "à tout prix" des colonies à Gaza. Même s'il l'a sans doute fait à son corps défendant, le chef de file de la droite israélienne, avec son désengagement "unilatéral" de Gaza, a provoqué un séisme politique dans l'histoire de son pays et dans son rapport aux Palestiniens. Il a fait ce qu'en trente-huit ans aucun de ses prédécesseurs, nationaliste ou travailliste, n'avait jamais entrepris: démanteler des colonies, et ce "sans contrepartie", uniquement parce qu'Israël ne peut les préserver plus longtemps et se doit de les quitter. Bref, il a amorcé un nouveau chemin.

Demain, le premier ministre va devoir affronter le problème de la Cisjordanie. On est en droit d'espérer que, comme dans le cas de Gaza, il sait déjà en son for intérieur que l'avenir de la relation israélo-palestinienne passe inéluctablement, comme à Gaza, par ce nouveau chemin.

Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Chats
Pétrole: que faire face à la flambée des prix ?
L'intégralité du débat avec Jean-François Gruson, directeur adjoint aux affaires économiques à l'Institut français du pétrole (IFP), lundi 22 août 2005

Henri: Comment expliquer cette flambée des prix du baril de pétrole ?
Jean-François Gruson:
Pour expliquer la flambée des produits pétroliers que les gens constatent à la pompe: la première raison est la montée observée depuis maintenant près de deux à trois ans, régulière et progressive, du prix du pétrole brut, de 25 dollars le baril fin 2002 à plus de 60 aujourd'hui. Pourquoi cette montée ? La première explication, c'est la forte croissance de la demande pétrolière mondiale, particulièrement en Chine, dans les pays en développement, mais aussi aux Etats-Unis, qui s'est révélée plus forte que prévu. La seconde explication, c'est la faible croissance dans le même temps des capacités de production de pétrole brut dans le monde. On avait donc des excédents de capacité essentiellement en Arabie saoudite, qui se sont très fortement réduits et qui ont entraîné cette croissance continue du prix du pétrole.

France: Existe-t-il un risque de pénurie du diesel ?
Jean-François Gruson:
Aujourd'hui, il n'y a pas de risque de pénurie de carburant diesel. Ce que l'on observe en Europe, c'est que la forte croissance de la consommation de gasoil, qui est due pour partie à la diéselisation du parc automobile, pour partie au développement du transport routier de marchandises, fait que les prix du gasoil hors taxes sont aujourd'hui au même niveau que les prix de l'essence.

Lou: Les pays interviennent-ils face à ce fléau ? Des plans d'économie d'énergie sont-ils mis en place ?
Jean-François Gruson:
Sur ce point, les situations sont très différentes d'une région du monde à l'autre. Les solutions alternatives à court terme sont toutefois réduites. Les possibilités sont essentiellement en premier lieu des actions sur la réduction de la consommation, aussi bien chez les particuliers que dans l'industrie, c'est la mise en place de programmes visant à développer les biocarburants, c'est enfin une incitation à développer des technologies plus économes en énergie. On peut citer à titre d'exemple les véhicules hybrides, mais aussi, à plus long terme, de nouvelles technologies dans le bâtiment ou une modification de l'organisation de la logistique des transports de marchandises. Mais ces solutions sont du long terme. L'autre approche possible, mais qui n'est pas du ressort directement des pouvoirs publics des pays consommateurs, c'est aussi d'accroître les investissements dans les pays producteurs pour redonner des surplus de capacités de production de pétrole brut. Mais le délai de réalisation de ces investissements est de l'ordre de deux à cinq ans.

LES BIOCARBURANTS: "PREMIÈRES ÉNERGIES ALTERNATIVES" DANS LE DOMAINE DES TRANSPORTS

Henri: Quels sont les différents types d'énergies alternatives ?
Jean-François Gruson:
Dans le domaine des transports, qui est le secteur le plus important dans nos pays, les premières énergies alternatives sont les biocarburants: éthanol pour l'essence; biodiesel ou ester d'huile végétale pour les moteurs diesel, qui sont les solutions les plus avancées. Mais le problème principal concernant ces solutions est la limitation des ressources, sauf à modifier profondément la répartition des usages des terres agricoles entre la vocation alimentaire et la vocation énergétique. Des recherches sont aussi en cours pour élargir cette ressource par l'utilisation des matières lignocellulosiques comme le bois ou les déchets de bois, ou la paille, pour fabriquer des carburants. Les autres options envisagées sont les moteurs à gaz naturel, qui sont déjà bien diffusés dans le secteur des transports urbains. Enfin, les solutions plus lointaines, même s'il existe aujourd'hui des véhicules en démonstration, c'est la voiture électrique, avec deux grandes options: soit tout électrique avec l'utilisation des batteries pour stocker l'électricité à bord du véhicule, soit la voiture à pile à combustible utilisant de l'hydrogène comme vecteur pour stocker et produire l'électricité. Ces deux dernières solutions sont encore loin d'une commercialisation généralisée.

Franck: Pourquoi attend-on de développer les biocarburants ? Des pays comme le Brésil le font depuis des années !
Jean-François Gruson:
La France n'a pas attendu les résultats du Brésil pour développer les biocarburants. Dès 1979, il y avait eu un plan "carburol" qui visait à développer une filière biocarburant en France. Il est vrai qu'à partir de 1986, la forte chute des prix pétroliers a stoppé une bonne partie de ces travaux, y compris au Brésil. C'est donc seulement depuis quelques années que de nouveaux projets ont vu le jour, avec un soutien fiscal de l'Etat, principalement sur le biodiesel, qui apparaissait comme un nouveau produit bien en ligne avec la croissance de la demande de gasoil. Il existe également une directive européenne qui incite les pays membres de l'Union à s'assurer que 5,75% des besoins énergétiques en carburants seront d'origine biomasse en 2010.

Rouchon: Sur la base de la consommation mondiale actuelle, à combien se situent les réserves mondiales de pétrole ? Avons-nous atteint le pic ?
Jean-François Gruson:
C'est une question difficile. Aujourd'hui, il existe plusieurs évaluations différentes sur le sujet. L'école des pessimistes pense que le pic de production de pétrole brut dans le monde se situera aux alentours de 2015. D'autres experts, dont fait partie l'IFP, pensent que le recours aux technologies de récupération assistée, aux technologies qui permettront de mieux visualiser les réservoirs où sont piégés les hydrocarbures, les technologies qui permettront de mettre en valeur les réserves non conventionnelles, comme les huiles extra-lourdes du Venezuela, ou les sables asphaltiques du Canada, devraient permettre de repousser ce pic de plusieurs années. Il n'en demeure pas moins que le pétrole est une matière première finie et que l'époque d'un pétrole pas cher et très abondant est probablement derrière nous.

DES ÉNERGIES ALTERNATIVES "SOUVENT CHER À PRODUIRE"

Lou: Quelle part donner aux énergies alternatives ?
Jean-François Gruson:
La question serait plutôt: quelle part pourraient prendre les énergies alternatives. Le premier enjeu est de réduire les coûts de ces énergies alternatives, qui restent encore trop souvent cher à produire. Il faut ensuite mettre en place l'ensemble des logistiques pour permettre leur déploiement. Je pense par exemple à une généralisation de l'électricité pour le transport ou la mise en place de réseaux de distribution d'hydrogène pour alimenter les véhicules à pile à combustible. On voit toute la difficulté de la tâche. Ce qui fait qu'aujourd'hui, il est encore difficile de pouvoir donner une estimation fiable sur cette part. On peut toutefois noter que, dès aujourd'hui, l'hydraulique dans la production d'électricité, ou la biomasse utilisée comme combustible, ne sont pas négligeables dans le bilan énergétique mondial. Un dernier point: dans le cas de la production d'électricité, l'éolien apparaît comme une des ressources alternatives relativement compétitives, mais pose encore des problèmes d'acceptation sociale pour construire ces éoliennes, ainsi que des problèmes d'intégration au réseau, dans la mesure où c'est une énergie intermittente.

Olivier: Quelle énergie renouvelable présente à ce jour une viabilité économique qui lui permettrait de remplacer en partie le pétrole ?
Jean-François Gruson:
Pour reprendre ce que j'ai dit précédemment, l'énergie alternative aujourd'hui la plus compétitive mais qui est déjà fortement développée, c'est l'hydraulique. La seconde, c'est la biomasse lignocellulosique aujourd'hui utilisée le plus souvent dans les pays en voie de développement comme combustible, avec toutefois les problèmes graves liés à la déforestation. L'éolien, pour la production d'électricité, est également assez proche d'un seuil de compétitivité. Pour les biocarburants, il n'y a pas que les prix du pétrole brut qui doivent être élevés, mais il faut également que les cours des matières premières (blé, maïs, huile de colza) ne connaissent pas eux-mêmes des hausses importantes comme cela a pu être le cas récemment pour les huiles végétales. On considère donc aujourd'hui que les biocarburants, même avec un prix du brut à près de 60 dollars le baril, ont encore besoin en Europe d'un soutien des pouvoirs publics, soit par le moyen d'une détaxation, ce qui est le cas aujourd'hui, soit par des moyens plus délicats comme une obligation d'incorporation en mélange dans les carburants pétroliers. Cette dernière solution est évidemment très controversée entre l'industrie pétrolière et les filières biocarburants. Les autres énergie alternatives (photovoltaïque, pile à combustible et hydrogène) sont encore loin d'offrir une compétitivité par rapport aux énergies traditionnelles.

Un pseudo: En ce qui concerne le transport aérien, il n'existe pas d'énergie alternative. Est-ce que l'on peut imaginer un système de priorité pour un usage privilégié du carburant dans ce secteur ?
Jean-François Gruson:
Il est vrai que le transport aérien, qui utilise une fraction de la coupe pétrolière qui s'appelle le kérosène, est le secteur pour lequel il apparaît le plus difficile de trouver une solution alternative. Il est clair qu'à terme, quelles qu'en soient les modalités, soit par le simple jeu du marché et par les prix ou par des systèmes normatifs ou d'autres procédures encore, se mettra en place un usage, une organisation de l'utilisation du pétrole brut plus soucieuse de la rareté future de ce carburant. On peut en effet penser que le transport aérien sera probablement un des derniers secteurs qui continueront à utiliser largement le pétrole.

Kitano: Les compagnies pétrolières n'ont-elles pas intérêt à garder leur prépondérance dans la fourniture d'énergie et à ne pas se lancer dans d'autres types d'énergies substituables ?
Jean-François Gruson:
Les compagnies pétrolières sont aujourd'hui également des compagnies gazières, et souvent de raffinage pour les plus grandes compagnies internationales. C'est vraiment leur cœur de métier, et c'est aujourd'hui dans cette activité qu'elles dégagent leurs bénéfices. Un point de précision: ces grandes compagnies ne contrôlent aujourd'hui qu'à peine 15% des réserves de pétrole brut mondiales. En effet, la plupart des réserves pétrolières sont aujourd'hui sous le contrôle de compagnies nationales. Pour citer certains pays: PDVSA au Venezuela, Aramco en Arabie saoudite. La Russie est un cas assez complexe, mais on peut considérer que les grandes compagnies sont encore sous le contrôle plus ou moins direct du gouvernement russe. On voit donc que l'enjeu des énergies alternatives ne concerne pas uniquement les grandes compagnies pétrolières privées. Il convient d'ajouter que, malgré tout, ces grandes compagnies sont également présentes dans le secteur des énergies alternatives. Pas de manière exhaustive, mais Total a des activités dans l'éolien, BP a pas mal investi dans le secteur du photovoltaïque, pour ne citer que ces deux compagnies. On peut donc dire que les compagnies pétrolières, dans la mesure où elles ne sont pas assurées à long terme de renouveler leurs réserves en pétrole ou en gaz naturel, n'ont pas intérêt à se désintéresser complètement des autres sources d'énergie, même si aujourd'hui la part de ces énergies reste marginale dans leur activité. Contradiction à surmonter pour nos pays: dans le cadre du protocole de Kyoto et du problème du réchauffement climatique, c'est la volonté affichée de réduire nos émissions de CO2, et donc de mettre en place à la fois des énergies alternatives non émettrices de CO2, de privilégier les technologies économes en énergie, d'inciter à des comportements économes en énergie, et dans ce cadre-là, on peut dire que la hausse des prix du brut est un élément favorable et positif. C'est également un indicateur pour le comportement des consommateurs. Et, d'autre part, la volonté de limiter l'impact sur l'activité économique, sur la consommation des ménages, de prix élevés de l'énergie. Il est quasiment sûr que des prix élevés de l'énergie - pas uniquement du pétrole - seront nécessaires si l'on veut voir se développer toutes les technologies et solutions permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Chat modéré par Fanny Le Gloanic et Justin Meade.
LEMONDE.FR | 19.08.05 | 13h37


Le Monde / Chats
Comment renforcer la sécurité aérienne ?
L'intégralité du débat avec Denis Chagnon, porte-parole de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), vendredi 19 août 2005

Youssef: Comment analysez-vous la succession de crashs ces dernières semaines ?
Denis Chagnon:
Ici, à l'OACI, pour nous, c'est un concours de circonstances, évidemment malheureux. Il reste que de prime abord, il n'y a pas de lien direct entre ces accidents. Il faut analyser, bien sûr, les rapports d'accident pour en connaître la cause véritable et prendre les mesures qui s'imposent, par la suite, pour corriger toute anomalie dans le but d'éviter que ce genre d'accident ne se répète.

Mimi: Quel est le rôle de l'OACI dans le contrôle de la sécurité aérienne ?
Denis Chagnon:
En fait, le rôle de l'OACI est bien établi, bien arrêté. Il s'agit d'une part d'élaborer les normes de sécurité pour l'aviation civile internationale, donc l'exploitation de vols internationaux, et d'autre part, de venir en aide, d'appuyer les efforts des Directions générales d'aviation civile des pays membres de l'OACI, pour renforcer leur propre sécurité aérienne. De même que leur programme de surveillance de la sécurité. C'est donc un rôle double.

Roger: La pression économique étant apparemment responsable des accidents des petites compagnies, pensez-vous que les Etats devraient leur verser des subventions ?
Denis Chagnon:
C'est une question à laquelle les Etats seuls peuvent répondre. J'explique davantage le rôle de l'OACI: j'ai mentionné précédemment que son rôle est d'établir les normes de sécurité. Il revient à chacun des Etats membres de l'OACI la pleine responsabilité de la mise en œuvre des normes. Donc chaque pays membre doit s'assurer que les composantes de l'aviation civile – dont les aérogares, les lignes aériennes, les services du contrôle aérien –, soient conformes aux normes de l'OACI.

Jeanne: La culture nationale et le niveau de développement d'un pays ont-ils un lien avec le niveau de sécurité des compagnies ?
Denis Chagnon:
Je dirai que le niveau de sécurité des compagnies découle de la capacité d'un Etat à surveiller la mise en œuvre des normes internationales. Et l'OACI a mis sur pied un programme universel de surveillance de la sécurité par lequel elle apporte son appui à chaque Etat membre qui en ressent le besoin, afin d'amener son infrastructure d'aviation civile à des standards reconnus par l'OACI. Donc c'est essentiellement la capacité d'un Etat membre d'assurer la surveillance de la sécurité.

Youssef: Quels sont les critères pour autoriser une compagnie à voler ?
Denis Chagnon:
Une compagnie aérienne doit recevoir un certificat d'exploitation du pays concerné. Donc c'est une question qui revient, encore une fois, à chacune des Directions générales d'aviation civile d'octroyer un certificat d'exploitation. Et pour ce faire, le transporteur doit bien sûr satisfaire à toutes les conditions afférentes à un certificat d'exploitation.

L'AVION: "UN MOYEN DE TRANSPORT EXTRÊMEMENT SÉCURITAIRE"

Wilfried: Les charters et lowcosts baissent-ils le niveau global de la sécurité aérienne ?
Denis Chagnon:
Question intéressante. Je la place dans un contexte historique et mondial pour tout d'abord indiquer que les années 2004 et 2003 ont été de loin les plus sécuritaires dans l'histoire de l'aviation civile internationale. Exemple: en 1947, il y avait sur les transporteurs de l'époque 8 millions de passagers. En 2004, on comptait 1 800 000 000 de passagers et moins d'accidents et moins de décès. Donc somme toute, l'aviation civile est un moyen de transport extrêmement sécuritaire, et même le plus sécuritaire qui soit. Maintenant, les transporteurs lowcost ne sont pas nécessairement moins sécuritaires. Il y a eu en 2004, c'est vrai, plus d'accidents chez les transporteurs non réguliers. Il reste toutefois que ce nombre, au total, est extrêmement bas. L'objectif majeur de l'OACI est de réduire davantage le nombre d'accidents, autant chez les transporteurs réguliers que lowcost. Qui dit lowcost ne suggère aucunement une diminution de la sécurité comme telle. C'est tout simplement une formule de gestion qui permet d'offrir des vols à moindre coût. Chez les transporteurs où l'on a des accidents, tant chez les services réguliers que non réguliers, on note souvent que la cause est un non-respect de normes de l'OACI ou de normes de sécurité nationales. C'est la distinction importante que l'on doit apporter à tout ce débat.

Olivier: Comment se fait-il que ce soit justement ces compagnies qui subissent le plus d'accidents ? Les règles d'entretien ne sont-elles pas les mêmes pour tout le monde ?
Denis Chagnon:
Les normes d'entretien des aéronefs sont les mêmes pour tous les transporteurs, bien sûr. Ce qu'il faut assurer, c'est justement le respect de ces normes d'entretien et les normes d'exploitation. Les causes d'accident sont variées et comportent plusieurs facteurs, dont parfois l'entretien, les mesures d'exploitation ou autres facteurs humains. Encore une fois, ce qu'il faut assurer, et, j'insiste, pour tous les transporteurs, tous les exploitants, c'est le respect de toutes les normes. Et c'est en fonction des rapports d'accident détaillés que nous pourrons corriger les lacunes qui ont entraîné ces accidents.

Jeanne: Dans le monde de l'aviation, il était apparemment de notoriété publique que les avions de la West Caribbean étaient toujours en réparation, toujours en retard, avec des itinéraires et des durées de vols approximatifs. Comment expliquer qu'ils continuaient à voler sans aucune difficulté ?
Denis Chagnon:
Je ne peux répondre directement à cette question. Il faut bien sûr attendre les résultats de l'enquête.

Roger: Comment essayer d'améliorer le niveau de sécurité ?
Denis Chagnon:
Du point de vue de l'OACI, deux pistes s'offrent à nous: d'abord, le programme de surveillance de la sécurité, pour lequel l'organisation travaille en étroite collaboration avec les pays membres afin d'améliorer la mise en œuvre et le respect des normes internationales et des procédures d'exploitation. Nous avons, en 2004, adopté une stratégie unifiée pour résoudre les carences en matière de sécurité. Axée sur une plus grande transparence en ce qui concerne les résultats de ces audits de supervision de la sécurité. Cette nouvelle stratégie entraîne un plus grand partage des informations essentielles pouvant avoir une incidence sur la navigation aérienne. Cette stratégie repose essentiellement sur la coordination et la coopération de l'OACI d'une part, et d'autre part, des autorités nationales de l'aviation civile, de l'industrie et des institutions de financement, qui sont d'une importance critique dans l'apport de conseils et d'assistance technique aéronautique. En somme, c'est un effort global pour assurer à tous les passagers, où qu'ils soient, le plus haut niveau de sécurité. Le deuxième volet de cette approche est, comme je le disais, un apport technique de l'OACI à tous les Etats et aux directions générales d'aviation civile qui ressentent le besoin d'une plus grande expertise ou de sources de financement pour corriger les lacunes de leur système.

Roger: Existe-t-il une liste noire de compagnies peu fiables ? Si oui, le public peut-il y accéder ?
Denis Chagnon:
L'OACI ne dispose pas de liste noire de transporteurs. Encore une fois, notre souci premier est d'amener tous les pays membres à s'assurer que tous les transporteurs assurent le même niveau de sécurité, le même respect des normes d'exploitation.

Jeanne: De quelle manière les pilotes sont-ils contrôlés ?
Denis Chagnon:
Les pilotes sont contrôlés, d'une part, de par les normes internationales de l'OACI au niveau de la certification et de l'obtention de licence. Chacun des pays membres de l'OACI émet, bien sûr, ces licences conformément aux normes de l'OACI.

"UN CONCOURS DE CIRCONSTANCES TRÈS FÂCHEUX"

Wilfried: L'OACI n'a-t-elle pas l'impression – notamment avec les crashs récents – d'avoir des normes d'exploitation un peu faibles ?
Denis Chagnon:
Encore une fois, l'aviation civile est extrêmement sécuritaire. Il faut voir dans les récents accidents, déplorables, un concours de circonstances très fâcheux. Il reste que les normes de l'OACI sont très élevées et sont constamment remises à jour, surtout en fonction de rapports d'accident et de recommandations qui sont faites par les différents intervenants en aviation civile, de même que par les pays membres. En somme, je dirai que les normes de l'OACI sont très élevées et mises à jour de façon continue.

Thierry: L'OACI dispose-t-elle de pouvoirs d'interdiction d'exploitation ou se borne-t-elle a prodiguer des recommandations aux Etats et/ou aux compagnies ?
Denis Chagnon:
Bonne question, qui me permet de préciser le mandat de l'OACI. L'OACI tire son mandat de la convention relative à l'aviation civile internationale. Cette convention dicte très clairement le mandat de l'OACI comme étant d'assurer le développement sûr et ordonné de l'aviation civile internationale, en élaborant des normes et en apportant aux Etats membres qui en ressentent le besoin l'assistance technique nécessaire. La convention indique clairement la responsabilité des Etats dans la mise en œuvre, dans l'application des normes. L'OACI, de par son programme de surveillance de la sécurité, remet un rapport d'audit complet à chacun des pays membres, qui s'en trouve évalué, et remet également copie de cette évaluation à tous les autres pays membres. Ce qui fait que ce partage d'informations peut permettre à l'ensemble des pays de corriger les lacunes perçues, et pour les pays dans le besoin d'obtenir un appui, et pour ces mêmes pays où l'on note des lacunes, de procéder justement aux correctifs. Donc sans avoir un pouvoir d'imposer les normes comme telles, ce partage d'informations peut mener justement les Etats membres à améliorer la situation générale.

Wilfried: Existe-t-il des sanctions pour ceux qui ne respectent pas les recommandations?
Denis Chagnon:
A cette question, je répondrai de la façon suivante: comme expliqué plus haut, j'ai fait la distinction entre le mandat de l'OACI d'établir les normes, et la responsabilité des Etats d'en assurer la mise en œuvre. Il n'y a pas de sanction. C'est plutôt l'information, le partage de l'information, qui s'avère la formule la plus efficace pour encourager la mise en œuvre des normes et ainsi l'accroissement de la sécurité.

Jeanne: Je souhaite partir en voyage prochainement, mais tous ces crashs me font peur. Pouvez-vous m'indiquer les critères de choix d'une compagnie aérienne afin de voler en toute sécurité ?
Denis Chagnon:
Une recommandation, qui est faite assez souvent, c'est de communiquer avec les agents de voyages, ou encore les autorités gouvernementales de votre pays, pour savoir le niveau de sécurité du transporteur que vous comptez utiliser. C'est la meilleure approche.

Roger: Faut-il craindre une multiplication des accidents pour les années à venir ?
Denis Chagnon:
Je dirai que la tendance est à la baisse pour ce qui a trait aux accidents, et à la hausse pour ce qui a trait aux systèmes visant à améliorer la sécurité aérienne. L'ensemble de la communauté internationale de l'aviation déploie de toute évidence de plus en plus d'efforts afin de réduire constamment le nombre d'accidents. Dans le but, bien sûr, de protéger la vie des passagers.

Mimi: N'est-il pas illusoire de vouloir sécuriser tous les vols ?
Denis Chagnon:
C'est un objectif peut-être difficile à atteindre, mais qui nous guide de toute façon. Encore une fois, je donne comme exemple le dossier de l'année 2004, somme toute la meilleure depuis 1945, et jumelé aux efforts déployés par les Etats, par l'OACI, par les lignes aériennes et les constructeurs d'avions, on peut souhaiter, bien sûr, une diminution des accidents dans les années à venir. Et il est dans l'intérêt de tous, y compris bien sûr des passagers, que nous puissions en arriver un jour à zéro accident. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ce souhait se réalise.

Chat modéré par Fanny Le Gloanic et Bérangère Lepetit.
LEMONDE.FR | 19.08.05 | 11h45


Le Monde / Entreprises
Il y a dix ans, Internet commençait à changer le monde

En dix ans, Internet n'a pas seulement impacté l'économie, il a envahi la vie quotidienne de millions de gens. | AFP/VALERY HACHE
AFP/VALERY HACHE
En dix ans, Internet n'a pas seulement impacté l'économie, il a envahi la vie quotidienne de millions de gens.

 L e 9 août 1995, le navigateur Netscape s'introduisait au Nasdaq, la Bourse des valeurs technologiques américaines. Cette PME de la Silicon Valley avait seize mois d'existence, ses ventes totalisaient à peine 25 millions de dollars et elle perdait de l'argent. Pourtant l'action, proposée à 14 dollars, a plus que doublé le jour même (29 dollars), accordant à la société une capitalisation boursière de 2 milliards. Son logiciel de surf ouvrait une nouvelle ère: il permettait au grand public, et non aux seuls initiés de l'informatique, d'accéder aux merveilles du World Wide Web.

Cette entrée en fanfare donna le coup d'envoi d'une euphorie autour de l'Internet, dont on prédisait qu'il allait révolutionner les modes de vie et créer une nouvelle économie. En Bourse, cette "exubérance irrationnelle", selon l'expression du président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, s'est traduite par une multiplication par près de cinq de la valeur du Nasdaq entre 1995 et son pic en mars 2000: des sociétés Internet naissantes, fondées par des étudiants dans des garages, qui dépensaient l'argent de leur capitaux-risqueurs avant d'avoir concrétisé la moindre vente, voyaient leurs valorisations boursières dépasser celles des géants de l'industrie.

Toutes ces illusions se sont envolées avec l'éclatement de la bulle spéculative: le Nasdaq n'est plus qu'à 40% du niveau qu'il atteignait il y a cinq ans. La plupart des valeurs ". com" ont été rachetées ou liquidées.

Aujourd'hui, aux Etats-Unis, seules quatre survivantes 100% Internet figurent au nombre des 150 premières capitalisations américaines: le moteur de recherche Google (30e), le site d'enchères eBay (50e), le portail Yahoo! (65e) et le cybermarchand Amazon (145e); en Asie, seulement une cyberentreprise appartient à ce club (le fonds Softbank, notamment actionnaire de Yahoo!) et aucune en Europe, même si de petites cyberentreprises grandissent régulièrement (comme le montrent, en France, les succès de Rueducommerce, Priceminister, Meilleurtaux, auFeminin ou Meetic).

Certes, le secteur connaît encore des poussées de fièvre: Google a vu son action s'envoler de 240% depuis son introduction en Bourse le 19 août 2004; son homologue chinois Baidu, lui, a vu son titre quintupler le jour de son entrée au Nasdaq, le 5 août. Cependant, ces entreprises justifient désormais leur valeur selon les critères classiques de Wall Street: forte croissance mais surtout solide rentabilité.

Leurs résultats prouvent la validité de certains cybermodèles économiques. Le business sur Internet est devenu une affaire sérieuse dans nombre de secteurs. Aux Etats-Unis, plus de 20% des achats de voyages se font électroniquement, le commerce en ligne représente plus de 6% de l'ensemble des ventes au détail, la e-publicité pèse pour plus de 4% des dépenses publicitaires totales. Et la part de l'Internet croît de 20% à 40% chaque année.

LES AUTRES MÉDIAS MENACÉS

Sur certains marchés, la rupture technologique est même brutale, déstabilisant les acteurs en place. L'exemple le plus frappant est certainement celui de l'industrie de la musique. Les grands du secteur souffrent d'un déclin des ventes de disques (20% depuis 2000) alors que, depuis le succès du site Napster, des millions de chansons sont téléchargées gratuitement via des réseaux décentralisés (peer-to-peer) d'échange de fichiers (Kazaa, eMule, BitTorrent...).

Les studios de cinéma commencent à subir le même détournement de leur activité. Plus de 60% des capacités du réseau Internet mondial seraient ainsi mobilisées par le téléchargement de contenus (musique, films, jeux vidéo, logiciels...).

Plus diffuse mais non moins réelle est la menace que fait peser le média Internet sur la presse, la télévision et la radio. Non seulement, il leur arrache de la publicité mais il les concurrence de manière frontale, ébranlant même leur légitimité.

Mais ceux qui ont le plus de souci à se faire sont certainement les grands opérateurs de télécommunications. D'ici cinq ans, les experts estiment que jusqu'à un tiers de leurs recettes issues de la téléphonie fixe vont fondre avec l'avènement de la téléphonie sur Internet (IP), qui casse la tarification à la durée et à la distance, rendant modique le prix des appels.

Les opérateurs ont vu le danger: en Europe, les grands (Deutsche Telekom, France Télécom, Telecom Italia et Telefonica) ont ainsi, en un an, racheté leur filiale d'accès Internet et multiplient les investissements pour avancer sur la convergence entre fixe, mobile et Internet.

Ce n'est là que la face visible de la "nouvelle économie". L'usage de la Toile s'est propagé dans toutes les entreprises (logistique, gestion des stocks, achats, distribution, service-client). Les économistes estiment ainsi que les Etats-Unis doivent chaque année un point de leur croissance aux gains de productivité apportés par la diffusion des technologies de l'information et de la communication.

En dix ans, Internet n'a pas seulement marqué l'économie, il a aussi envahi la vie quotidienne de millions de gens ­ au moins dans les pays développés. Ses trois pouvoirs ­ l'ubiquité, la variété et l'interactivité ­ rendent son potentiel d'usages quasi infini.

Sur Internet, on peut certes comparer les prix des locations de vacances, acheter son frigo, vendre sa voiture d'occasion et payer ses impôts mais aussi se faire expliquer un itinéraire routier, lire le mode d'emploi de fabrication d'une bombe ou comparer les articles de la presse internationale, partager sa passion pour les hameçons anciens ou jouer au poker avec un internaute aux antipodes, trouver un ancien copain de classe ou un nouvel amoureux, discuter des prix du pétrole ou des frasques de Paris Hilton, montrer les photos de ses enfants à sa famille, télécharger un tube de Madonna ou la Constitution européenne, livrer ses réflexions et sa vie intime...

Que peut réserver de plus la décennie à venir ? Le développement du Web a été l'un des plus rapides de l'histoire des technologies (avec la téléphonie mobile): le cap du milliard d'internautes devrait être passé cette année.

Mais les perspectives de croissance restent énormes dans les pays émergents (notamment en Chine et en Inde). Et l'arrivée à l'âge adulte des jeunes générations, rompues à l'utilisation du Web, devrait encore y contribuer. Si l'accès à haut débit représente une première étape dans l'accélération de l'usage du Net, la deuxième étape, son accès depuis les appareils mobiles, le rendra définitivement omniprésent.

Gaëlle Macke
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Entreprises
Jean de Chambure, expert en veille technologique
"Internet a bien donné plus de pouvoir à chaque individu"

 J ean de Chambure est responsable éditorial de l'Atelier, une structure de BNP Paribas qui effectue depuis quinze ans de la veille sur les technologies de l'information et de la communication.

Internet grand public a dix ans. Est-on sorti de la phase des fantasmes et des désillusions ?

La puissante euphorie collective de la fin des années 1990 autour des perspectives de l'Internet serait un bon sujet d'étude pour les historiens. Y aurait-il un phénomène millénariste ? En l'an 1000 proliféraient les scénarios catastrophistes sur l'avenir de la planète; en l'an 2000 se sont développées des prédictions positivistes tout aussi passionnées sur un futur high-tech enchanteur.
Par ailleurs, alors que la génération des jeunes des années 1970 s'exprimait dans la contestation politique, ses enfants a vu avec l'Internet l'opportunité de bousculer l'ordre économique: au lieu que le peuple renverse le gouvernement, les mini-entreprises agiles allaient détrôner les grands groupes. Il y avait dans l'Internet une idéologie libertaire, où tout était gratuit, et les cyberentreprises se souciaient plus d'innover que de gagner de l'argent.

Internet n'a-t-il pas perdu un peu de la magie de ses débuts ?

Certes, le business sur Internet est devenu une activité économique importante et le mythe du tout gratuit a vécu. Cependant, l'Internet a bien donné plus de pouvoir à chaque individu: chacun peut être aussi bien informé qu'un journaliste, commercer à l'autre bout du monde comme une multinationale, partager ses fichiers avec ceux de millions d'autres pour constituer une banque de données géante... Son pouvoir de rassemblement a créé des formes de travail collectif, voire de troc et d'entraide: la plus connue est la confrérie des programmeurs de logiciels libres autour de Linux, qui fait trembler Microsoft.
Sur eBay, des gens achètent des objets à des inconnus avec pour seule garantie les évaluations en ligne des précédents acheteurs sur la fiabilité du vendeur. Des milliers d'experts sur tel ou tel sujet écrivent bénévolement les 200 millions d'articles de l'encyclopédie en ligne multilingues et gratuite Wikipedia.

Quel est le principal impact sociétal d'Internet ?

On craignait qu'Internet maintienne les gens derrière leur ordinateur: ils travailleraient en ligne, consommeraient en ligne, passeraient tous leurs loisirs en ligne. Mais Internet est un formidable moyen de communication. Le courriel reste le premier usage de la Toile. Messagerie instantanée, forums de discussion, sites de communauté et de rencontres, blogs: en fait nos sociétés modernes ont une soif d'expression, d'information.
La diversité, l'accessibilité des contenus, auquel chacun peut contribuer, est une grande richesse. Mais attention au nivellement. Le principal problème du Net, qui explique l'importance prise par les moteurs de recherches, reste le tri, la hiérarchisation, la pertinence de ces milliards de pages Web.

Propos recueillis par Gaëlle Macke
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Entreprises
La "nouvelle économie" existe bel et bien
NEW YORK de notre correspondant

 L' expression "nouvelle économie", popularisée par le magazine Business Week en 1996, évoque aujourd'hui plutôt les excès de la bulle spéculative de la fin du XXe siècle et les promesses illusoires de prospérité pour tous et de croissance sans fin.

La frénésie d'enrichissement et la naïveté sont parties en fumée, mais pas les bouleversements nés de la mise en réseau planétaire des consommateurs, des producteurs et des distributeurs.

Dans son best-seller publié au début de l'année aux Etats-Unis The World is Flat ("Le monde est plat"), le journaliste et écrivain Thomas Friedman prend la mesure de l'impact des technologies de l'information. Il annonce la troisième phase de l'économie monde.

La première, remonterait àla découverte de l'Amérique en 1492. Elle est marquée par l'expansion européenne et par la "mondialisation des Etats". La deuxième, de 1800 à 2000, se caractérise par la "mondialisation des entreprises", la naissance et l'apogée des multinationales.

La troisième étape vient de commencer. Il s'agit de la "mondialisation des individus. Ils peuvent collaborer comme jamais et sont en c ompéti tion sur toute la planète. Le moteur n'est plus le muscle ni les machines, mais les logiciels et le réseau mondial de fibres optiques".

Pierre Omidyar, fondateur de la maison d'enchères en ligne eBay, fait une analyse similaire. "Nous assistons à un transfert de pouvoir fondamental, dit-il. Partout, les gens se rassemblent en utilisant Internet et changent les activités dans lesquelles ils sont impliqués."

Il y a à peine dix ans, il fallait téléphoner à sa banque pour connaître l'état de son compte, timbrer une enveloppe pour envoyer du courrier et lire son quotidien ou regarder la télévision pour connaître les résultats des matches de football etles prévisions météorologiques.

Aujourd'hui, selon une étude du Pew Internet & American Life Project, deux Américains sur trois font cela bien plus vite en ligne. Ils étaient 58 millions en décembre 2004 à envoyer au moins un courriel par jour et 35 millions à avoir fait de l'Internet leur principale source d'information.

Quelque 2 milliards de recherches sont effectuées chaque mois via Google; dans le même temps, le site de son concurrent Yahoo! est consulté par 345 millions de personnes. Près de 1 milliard d'êtres humains ont accès au réseau.

La partie émergée de l'iceberg de la nouvelle économie est le commerce en ligne. Deux entreprises, eBay et Amazon, ont fait de l'Internet une part grandissante du commerce mondial. Les ventes en ligne aux Etats-Unis ont atteint, en 2004, 6,5% du chiffre d'affaires du commerce de détail. Selon Forrester Research, ce taux pourrait atteindre 13% en 2010. La communauté des utilisateurs d'eBay dans le monde représente 157 millions d'individus, dont 500 000 aux Etats-Unis en ont fait leur principale activité professionnelle. La valeur des enchères sur eBay devrait atteindre 45 milliards de dollars (36,6 milliards d'euros) cette année.

Sur un modèle de commerce plus classique, Amazon compte 41 millions de clients dans sept pays. La musique en ligne et le piratage ont explosé, mettant à mal les maisons de disques. Légal et payant, l'Apple Music Store a vendu plus de 500 millions de chansons en deux ans. Dans le domaine de l'information, Internet menace la suprématie et l'avenir des médias traditionnels, notamment écrits.

UNE NÉCESSITÉ

La partie la moins visible des transformations, celles qui affectent le fonctionnement des entreprises, leur organisation, leurs stratégies, est sans doute la plus lourde de conséquences. Les sociétés peuvent aujourd'hui à la fois s'adresser au monde et s'adapter localement à chaque marché. La concurrence en est décuplée.

La capacité à recueillir, à traiter et à exploiter l'information, à travailler en réseau, à servir de manière personnalisée ses clients, tout en tirant parti des avantages d'une production à grande échelle, devient une nécessité pour rester compétitif. L'utilisation de supports électroniques pour les échanges d'information entre fournisseurs, sous-traitants, clients, prestataires de services et organismes financiers s'est généralisée.

Cela se traduit par une accélération sans précédent des gains de productivité. Entre les années 1970 et 1990, la productivité du travail aux Etats-Unis a augmenté en moyenne de 1,4% par an. A partir de 1995, elle s'est accrue de 2,5%, et de 4% depuis 2001.

Le centre de recherche du MIT (Massachusetts Institute of Technology) sur la nouvelle économie souligne les stratégies très différentes d'entreprises. Certaines se contentent de supprimer certaines tâches. D'autres, celles qui réussissent le mieux, changent totalement leur organisation et donnent les informations et les responsabilités nécessaires aux salariés pour qu'ils puissent à tout moment reprendre le contrôle.

La preuve de la foi retrouvée dans la nouvelle économie se trouve dans le retour des utopies. Dans son numéro d'août consacré aux "Dix ans qui ont changé le monde", le magazine Wired constate avec satisfaction que "moins de la moitié du Web est commercial, le reste fonctionne avec la passion". Il prend pour exemple le phénomène des blogs, dont 50 millions "sont apparus presque instantanément et n'ont aucune logique économique".

Yochai Benkler, professeur à l'université Yale, spécialiste de l'économie des réseaux, estime que la collaboration en ligne crée un nouveau mode de production différent de la relation traditionnelle entre les entreprises et le marché. Il prend pour exemple les logiciels libres, le partage de données en ligne et les millions d'appréciations portées par les consommateurs et accessibles sur les sites. "Le rôle économique du comportement social devient plus important", souligne-t-il.

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Sciences
Rico, le chien auquel il ne manque que la parole

 S i, comme le prétendait Jacques Lacan, "l'inconscient est structuré comme un langage", quel psychanalyste animalier accouchera la psyché de Rico, un colley élevé en Allemagne dont le vocabulaire atteint 200 mots ? Ce chien, qui a fait un pas important vers le monde des hommes, est-il menacé de dédoublement de personnalité ? Le psychologue expérimental Paul Bloom (Yale University) voit, en tout cas, en lui un "nouveau chimpanzé" dans la mesure où ses talents lexicaux en font l'égal des primates non humains.

Né en décembre 1994, l'animal possède un répertoire d'une étendue inédite pour un canidé, même s'il s'applique principalement à des jouets d'enfant et des balles, qu'il est capable de rapporter correctement. Une équipe, de l'Institut Max-Planck d'anthropologie de l'évolution de Leipzig, a étudié ses performances et tente d'en cerner les mécanismes.

Juliane Kaminski a découvert Rico grâce à une émission de télévision, très populaire outre-Rhin, intitulée "Parions que...". "Le pari en question était qu'il serait capable de retrouver 80 objets par leur nom. Ce qu'il a fait", se souvient cette spécialiste du comportement animal qui a immédiatement contacté ses maîtres.

Ceux-ci entraînaient Rico depuis l'âge de dix mois, ayant pris l'habitude de placer trois joujoux différents dans diverses pièces de leur appartement et de demander au jeune chien de rapporter l'un d'eux. Quand il y parvenait, il obtenait une récompense. Il leur suffisait de répéter le nom de l'objet deux ou trois fois pour que Rico le retienne. "Quand il a maîtrisé dix mots, nous avons décidé d'arrêter, car ça nous semblait déjà beaucoup, se souvient Susanne Baus, la maîtresse de Rico. Mais ça a continué, car Rico amusait toute la famille, les amis et les voisins. Tous apportaient de nouveaux jeux quand ils nous rendaient visite."

Pour évaluer ses dons, la famille de Rico a accepté de le confier aux scientifiques. "Sans s'en rendre compte, sa maîtresse donnait, en fait, beaucoup d'indices corporels au chien, comme de pointer des objets du doigt, par exemple", se souvient Juliane Kaminski. Il lui a donc été demandé de rester dans une pièce séparée de celle où Rico devait aller chercher un objet désigné parmi une dizaine de jouets familiers. Rico restait tout aussi performant. "En fait, il n'obéit pas seulement aux ordres de sa maîtresse mais à quiconque prononce correctement les mots qu'il connaît", précise Juliane Kaminski.

Au cours de cette phase de l'expérience, l'animal a rapporté 37 des 40 objets qui lui étaient réclamés. Au final, "l'étendue de son vocabulaire est comparable à celle d'animaux entraînés à des tâches langagières comme les singes, les dauphins, les lions de mer et les perroquets", indique l'équipe de Juliane Kaminski.

Mais Rico se distingue par sa faculté à apprendre rapidement de nouveaux termes. Dans une seconde phase expérimentale, il devait rapporter soit des objets qu'il connaissait déjà, soit un objet nouveau qu'on venait de lui désigner par son nom. A nouveau, Rico s'est montré particulièrement efficace, saisissant l'objet demandé dans sept cas sur dix. Sans doute procédait-il par exclusion. "Soit parce qu'il savait que les objets familiers avaient déjà un nom ou qu'ils n'étaient pas nouveaux", avancent les chercheurs allemands.

Quatre semaines plus tard, ceux-ci ont encore compliqué la tâche en plaçant un des objets que Rico n'avait vu et entendu nommer qu'une seule fois, au milieu de quatre de ses jouets familiers et de quatre autres entièrement nouveaux. Ils lui ont d'abord demandé de rapporter un objet connu, puis celui aperçu un mois auparavant. Il a réussi cette épreuve trois fois sur six, un niveau "comparable aux performances d'un enfant de 3 ans", assure l'équipe de Leipzig. Mais moins bonne que celle d'un enfant de 9 ans, capable, lui, d'intégrer dix nouveaux mots par jour, pour en posséder jusqu'à plus de 50 000 à la fin de sa scolarité...

Comment expliquer ce phénomène ? L'une des hypothèses était que Rico était un chien exceptionnel. "Mais, depuis la publication de nos résultats en 2004, nous avons reçu de nombreux témoignages de performances similaires et nous avons pu tester d'autres chiens qui réussissent effectivement aussi bien", précise Juliane Kaminski. Reste à découvrir les fondements de cet apprentissage particulier.

Pour sa consoeur américaine Irene Pepperberg, qui étudie la communication entre espèces avec son perroquet Alex, l'étude de Rico est "très intéressante, mais préliminaire". "Il faudrait savoir s'il comprend le sens des termes qu'il a acquis, indique-t-elle. Il peut considérer que le mot "balle" fait référence à celle qui se trouve dans sa boîte de jouets, mais on ignore encore s'il peut étendre ce concept aux ballons de plage, aux balles de ping-pong, etc. Alex peut faire ce genre de transfert."

Juliane Kaminski entend bien creuser la question. Certains chiens d'aveugle sont entraînés à répondre à des commandes comme "trouver les escaliers". "Ils l'apprennent avec un seul escalier et sont ensuite capables de généraliser cette connaissance à tous les escaliers du monde, rapporte la chercheuse. Je présume que ces chiens ont donc un concept/catégorie évoquant l'escalier. Mais cela reste effectivement à tester."

Un point essentiel pour Paul Bloom qui considère que Rico et ses pareils, contrairement aux petits enfants, qui effectuent naturellement ce type de généralisation, se situent dans un tout autre registre. Celui de l'action de "rapporter" qui a servi à sélectionner des générations de chiens depuis la domestication du loup, dans l'est de l'Asie, il y a quinze mille ans.

Une expérience conduite par plusieurs collègues de Juliane Kaminski à l'Institut Max-Planck de Leipzig, publiée dans Science en 2002, a montré que les chiots interprètent correctement les signaux humains leur indiquant la position de nourriture cachée, parmi deux emplacements possibles ­ que l'expérimentateur touche la bonne cache, qu'il la pointe du doigt ou se contente de la regarder. Les primates non humains, mais aussi les loups, même "domestiqués", en sont incapables.

Les auteurs de l'étude en concluaient qu'"au cours du processus de domestication les chiens ont été sélectionnés pour favoriser une série de facultés sociales et cognitives qui leur permettent de communiquer avec les humains selon des modalités uniques". Peut-être la performance de Rico s'inscrit-elle dans cette lignée. Elle continue à buter, entre autres, sur la limite que les meilleurs amis des chiens connaissent bien. Il ne leur manque que la parole.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Sciences
Vinciane Despret, philosophe et ethnopsychologue belge
"Communiquer, c'est un acte social"

 P ourquoi n'avait-on pas étudié plus tôt les compétences linguistiques des chiens ?

En fait, on l'a déjà fait mais c'était toujours suspect. Le premier exemple est Van, le chien de Sir John Lubock. Vers 1880, ce banquier et naturaliste avait écrit un article dans la revue Nature intitulé "Apprendre la conversation aux animaux". Il décrivait comment il avait disposé des cartons imprimés avec les mots "nourriture", "os", "eau", "dehors" à chaque fois que ces actions étaient réalisées.
Après un mois de travail, le chien demandait lui-même à sortir, avoir de l'eau, etc. La suspicion, c'était que Sir John envoyait des indices à son chien, comme ce fut le cas avec Clever Hans, un cheval, célèbre il y a un siècle, dont on croyait qu'il savait compter en tapant du sabot alors qu'il se fondait sur l'attitude de l'assistance pour frapper le bon nombre.
La plupart des études sur les chiens ont été disqualifiées de cette façon. Ce qui en ressortait, c'est qu'ils avaient des capacités extraordinaires à discriminer les indices: le comportement humain est impossible à contrôler parce que les chiens perçoivent des choses que les humains eux-mêmes ne décodent pas: posture, respiration, relâchement des muscles, odeurs. Ainsi, on a constaté que les chiens détecteurs de mines étaient capables de trouver des engins dont ils ne pouvaient objectivement pas connaître la position. On suppose qu'ils décelaient, chez les prisonniers utilisés pour déminer, des indices qui leur permettaient de savoir où étaient les pièges.
De plus, les chiens chercheurs de mines ont des performances différentes si leur maître a peur ou non. Dans les écoles pour chien d'aveugle, un même animal a des comportements très différents selon la personne à laquelle il est associé.

Rico peut-il être un "descendant" de Hans le cheval ?

Dans la mesure où le maître n'est pas dans la pièce, on élimine l'effet Clever Hans, l'influence par des indices subtils. Mais on peut trouver des similitudes. Ce sont des êtres de très grand talent. La psychologie s'est longtemps intéressée à des "quiconque": un rat, on le numérote pour le protocole, sans faire attention à sa biographie. Alors que Rico est unique au monde.
Tout comme Alex, le perroquet de la psychologue américaine Irene Pepperberg. On savait que les perroquets parlent, mais les scientifiques pensaient qu'ils ne savaient pas ce qu'ils disaient. Irene Pepperberg a montré que, dans un environnement qui les intéresse, ils peuvent même faire des catégories abstraites; on peut demander à Alex lequel, parmi des objets, est rose et carré. Il trouve la solution.
Cette branche de la psychologie commence à chercher du talent, des êtres d'exception. Mais elle reste suspecte: elle est anecdotique, pas répétable, ce qui est gênant selon les canons expérimentaux.

Quels enseignements tirer de ces observations ?

Ça pose la question: "Qu'est-ce que communiquer ?" On considère généralement que c'est un transfert d'information. Or c'est avant tout un acte social qui ne se résume sans doute pas, pour le chien, à une traduction lexicale du type tel mot signifie telle chose. Il est inséparable de la relation.
Irene Pepperberg estime que les compétences ne peuvent s'acquérir que dans un contexte pertinent: peut-être que, pour un chien, faire des associations entre des mots et des objets n'a pas beaucoup de sens, si ce n'est en passant par une association dans laquelle le chien est à son affaire, c'est-à-dire chercher des objets.

La domestication pourrait alors avoir un rôle...

Il est fort possible que la sélection ait joué et, certainement, la sélection humaine. Par rapport au loup, le chien peut transférer la compétence de rechercher en acceptant que quelqu'un d'autre le lui demande. Les chiens, quand ils arrivent dans une maison, cherchent ce qu'on attend d'eux: bébé, consolateur, gardien, protecteur d'enfant... Aller chercher fait partie des compétences que les humains ont sélectionnées.

Quel est le rôle de la motivation ?

On ne peut enseigner quelque chose à un animal si on ne lui donne pas l'appétit d'apprendre. Pour Alex le perroquet, Irène Pepperberg s'est appuyée sur la jalousie et le sens de la rivalité de l'animal: il suffit d'introduire un autre humain dans l'apprentissage pour que le perroquet jaloux veuille le devancer. Cela suggère que la maîtresse de Rico a su lui donner le goût d'apprendre sans recourir uniquement à la nourriture.

Comment interpréter la compétence de Rico ?

Certains éthologues considèrent que pour les animaux, le monde existe dans l'action. Les objets existent si l'on peut agir sur eux. En fait, deux mondes se sont croisés: le monde d'action du chien et notre monde de langage. Les auteurs de l'étude cherchent chez le chien l'origine du langage chez l'homme. Ce faisant, ils ratent peut-être quelque chose. Notre langage est hérité de milliers d'années d'évolution, le chien l'apprend et le greffe partiellement sur sa propre histoire constituée d'action. Rico va nous apprendre beaucoup sur les humains en révélant peut-être qu'ils communiquent une foule de choses à leur insu.

Propos recueillis par Hervé Morin.
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Sciences
Des chercheurs ont guéri des brûlures sur des enfants avec des cellules foetales

 U n groupe de médecins et de chercheurs suisses a expliqué, jeudi 18 août, sur le site de la revue médicale britannique The Lancet. comment il est parvenu à guérir huit enfants souffrant de brûlures graves à partir de cellules prélevées sur un foetus.

Dirigés par le professeur Patrick Hohlfeld (département de gynécologie-obstétrique, hôpital universitaire de Lausanne), ces chercheurs ont, dans un premier temps, constitué une banque de cellules cutanées à partir d'un prélèvement effectué sur un foetus âgé de 14 semaines après interruption médicale de grossesse. La femme concernée avait, par écrit, donné son accord à l'équipe pour qu'une biopsie cutanée soit pratiquée sur ce foetus à des fins de recherche à visée thérapeutique.

A partir d'un unique prélèvement d'une surface de 4 cm2 de peau, les chercheurs suisses sont parvenus à obtenir, in vitro, une spectaculaire prolifération de cellules cutanées foetales. Ayant recours à une matrice de collagène d'origine équine, ils ont parallèlement mis au point, à partir de ces cellules, un procédé de mise en culture leur permettant de disposer de plusieurs millions de "lambeaux cutanés" d'une centaine de centimètres carrés chacun.

Plusieurs centaines de ces lambeaux ont été utilisées pour traiter un groupe de huit enfants (âgés de 1 à 8 ans) victimes de brûlures importantes du deuxième et du troisième degré, d'origine accidentelle.

EFFET SPECTACULAIRE

L'application de ces lambeaux, renouvelée tous les trois ou quatre jours sur ces lésions, a permis d'obtenir une guérison spectaculaire des huit enfants en moins de trois semaines.

Les chercheurs suisses estiment apporter la démonstration que ce procédé pourra, à l'avenir, utilement se substituer à la procédure actuellement en vigueur ­ efficace mais beaucoup plus lourde ­ qui consiste à pratiquer des autogreffes de tissus cutanés prélevés sur des zones indemnes de brûlure.

"Il ne s'agit pas ici d'une forme de greffe mais, plus exactement, d'une forme de pansement biologique qui permet de stimuler très rapidement la reprise de la multiplication naturelle des cellules de la peau des patients, précise le professeur Hohlfeld. De ce fait, nous n'observons aucun effet secondaire de type immunologique."

Pour sa part, The Lancet prend soin de préciser que deux des huit auteurs de cette publication ont, d'ores et déjà, déposé un brevet protégeant les applications pratiques qui pourraient résulter de cette découverte.

Publiée après l'affaire de la découverte, au début du mois d'août, des corps de foetus et d'enfants mort-nés au sein de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris, cette avancée thérapeutique vient, à sa manière, relancer la controverse sur l'usage qui peut ou non être fait des restes d'enfants à naître qui, faute d'un développement suffisant, n'ont pas respiré et ne disposent actuellement d'aucun véritable statut juridique. A la demande du premier ministre, le Comité national consultatif pour les sciences de la vie et de la santé a été saisi de cette question.

Les chercheurs suisses précisent, quant à eux, que le prélèvement de cellules cutanées foetales auquel ils ont procédé peut, dans leur pays, être assimilé à une forme de don d'organe.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Sciences
La première photographie, grâce à la faible luminosité d'une naine brune

La première image d'une exoplanète prise en 2004 et annoncé au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO) a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique. | GAMMA/CNRS
GAMMA/CNRS
La première image d'une exoplanète prise en 2004 et annoncé au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO) a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique.

 L a première image d'une exoplanète, annoncée au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO), a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique. Tous les mondes extérieurs détectés jusqu'à présent l'ont été de manière indirecte, en observant la perturbation qu'ils engendrent sur l'étoile qu'ils contournent.

Fin avril, une équipe internationale franco-américaine, dirigée par l'astrophysicien Gaël Chauvin (ESO, Chili), confirmait, en effet, l'image qu'elle avait prise en 2004 concernant un corps céleste dénommé 2M1207b. Ce dernier est situé à 230 années-lumière de la Terre et orbite autour d'une naine brune (une étoile avortée).

La détection de la planète avait été réalisée, en 2004, avec le NACO du Very Large Telescope du Chili, dont l'optique adaptative réduit les distorsions liées aux perturbations atmosphériques. Pour éviter toute ambiguïté, les chercheurs ont réalisé des observations complémentaires qui ont confirmé les premiers résultats. Ils ont notamment éliminé l'hypothèse d'un objet d'arrière-plan (situé plus loin que la naine brune, mais se trouvant par hasard dans sa direction).

Les couleurs infrarouges et les données spectrales de la planète indiquent la présence de molécules d'eau et permettent d'évaluer sa masse, équivalant à 5 fois celle de Jupiter. Mais il faudra du temps pour étudier son mouvement orbital car les scientifiques estiment sa période à 2 500 ans environ... La planète se situe, en effet, à 55 unités astronomiques de son étoile, ce qui représente deux fois la distance de Neptune au Soleil. "C'est la première fois que nous découvrons une exoplanète aussi éloignée d'une étoile ou d'une naine brune", explique Gaël Chauvin. Une naine brune est une étoile avortée dont la masse est insuffisante pour démarrer des réactions nucléaires. Peu lumineuse, elle a rendu possible la prise de vue de sa planète.

"En raison de ses particularités, la planète géante 2M1207b ne s'est probablement pas formée de la même manière que celles de notre système solaire, ajoute l'astrophysicien. Il est vraisemblable qu'elle a été créée, comme le Soleil, par l'effondrement gravitationnel d'un nuage de gaz et de poussières."

Peu après sa première photo, la même équipe a réédité l'exploit en découvrant un objet en orbite autour de la jeune étoile AB Pictoris, et dont la masse équivaut de 13 à 14 fois celle de Jupiter, ce qui pose un problème de nomenclature. Selon l'Union astronomique internationale, la masse d'une planète ne doit pas dépasser 13,6 fois celle de Jupiter. Au-delà, il s'agit d'une naine brune, catégorie de corps céleste détectée en 1995.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 20.08.05


Le Monde / Sciences
Dix ans de découvertes de planètes extrasolaires
La première image d'une exoplanète prise en 2004 et annoncé au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO) a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique. | GAMMA/CNRS
GAMMA/CNRS
La première image d'une exoplanète prise en 2004 et annoncé au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO) a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique.

 E n 1995, deux astrophysiciens suisses de l'observatoire de Genève, Michel Mayor et Didier Queloz, faisaient sensation en annonçant la découverte de la première planète extérieure au système solaire. Elle orbitait autour de l'étoile 51 Pégase b, située dans la constellation de Pégase, à 40années- lumière de la Terre. Depuis cette date mémorable, 162 planètes ont été mises en évidence dans la Voie lactée (voir le site http://www.obspm.fr/encycl/f). Pour célébrer ces dix années de recherches qui ont révolutionné les connaissances sur les systèmes planétaires, un colloque international doit se tenir à l'observatoire de Haute-Provence, du 22 au 26 août.

Corot, chercheur de planètes telluriques

La communauté scientifique internationale attend beaucoup du satellite Corot, réalisé sous la maîtrise d'oeuvre du Centre national d'études spatiales (CNES). La case d'équipement et la caméra de l'engin ont été livrées, fin juin, par les équipes de l'observatoire de Paris à Meudon. Conçu par plusieurs laboratoires français, l'Agence spatiale européenne et plusieurs pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Brésil, Espagne), le satellite, dont le budget est de 150 millions d'euros, devrait être lancé, durant l'été 2006, depuis la Russie.

Corot a deux objectifs. Il doit d'abord détecter la vibration des étoiles, semblables à celles du Soleil, pour comprendre leur structure interne. Ensuite, il cherchera des planètes telluriques analogues à la Terre hors de notre système solaire, en utilisant la méthode du transit. L'engin observera 50 étoiles pour étudier la sismologie stellaire et 60 000 pour détecter les exoplanètes. Les scientifiques espèrent détecter plusieurs dizaines de planètes extérieures lors de cette mission, qui durera deux ans et demi.

Détecter des mondes extérieurs constituait un vieux rêve de l'humanité. Déjà, il y a vingt-trois siècles, Epicure écrivait dans sa Lettre à Hérodote: "Les atomes étant en nombre infini, il n'est rien qui fasse obstacle à l'infinité des mondes." Mais il faudra attendre la fin du XXe siècle pour détecter de nouveaux mondes et aller de surprise en surprise. "Personne ne s'y attendait. explique Didier Queloz. Nous avions sélectionné 150 étoiles non binaires relativement brillantes et observables à partir du télescope de 193 cm de diamètre de l'observatoire de Haute-Provence. Notre objectif était de rechercher de grosses planètes orbitant loin de leur étoile. Or, à notre grand étonnement, nous avons détecté un gros corps gazeux qui faisait le tour de son étoile en 4 jours, contre 11 ans pour Jupiter autour du Soleil."

Personne, dans la communauté des astrophysiciens, ne s'attendait à un tel cas de figure, confirmé, ensuite, à maintes reprises. A tel point qu'on a même découvert une planète orbitant autour de son étoile en 1,2 jour... Ces planètes géantes gazeuses très proches de leur étoile ont reçu le nom de "Jupiters chauds" par opposition à notre Jupiter froid. "Ces astres étranges sont situés à une distance de leur étoile qui varie entre 0,23 unité astronomique (UA) et 4 à 5 UA (1 UA égale 150 millions de kilomètres, soit la distance de la Terre au Soleil)", précise Alain Lecavelier des Etangs, à l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP).

THÉORIE DE LA MIGRATION

Il a bien fallu trouver une explication à l'existence de tels corps, "pour lesquels il n'y a pas d'équivalent dans le système solaire", explique Michel Mayor. Les astrophysiciens ont ainsi élaboré la théorie de la migration. Au départ, le principe de la formation du système planétaire est similaire au nôtre. D'un immense nuage de poussières et de gaz interstellaires se crée, par effondrement, une étoile entourée d'un disque de matière. Dans ce dernier s'agglomèrent peu à peu des planétissimaux, qui donneront naissance aux planètes.

Mais, "pendant les premiers 10 millions d'années de vie de l'étoile, période au cours de laquelle se forment les planètes géantes, une interaction de gravité se produit entre ces dernières et le disque de matière. La planète migre alors très vite (en moins de 100 000 ans !), en spirale, de l'extérieur du système planétaire vers l'étoile. Et, apparemment, rien ne peut l'empêcher d'être engloutie", ajoute Alfred Vidal-Madjar (IAP). Néanmoins,"on se demande comment certains Jupiters chauds ont survécu. Et pourquoi notre Jupiter n'a pas migré plus près du Soleil".

"BESTIAIRE INIMAGINABLE"

Les découvertes planétaires qui ont suivi ont encore bouleversé lesschémas connus. Alfred Vidal-Madjar et son équipe ont ainsi détecté, en 1999, une planète géante gazeuse, Osiris, si proche de son étoile qu'elle perd 10 000tonnes d'hydrogène par seconde (Le Monde du 6 février 2004). A terme, il ne subsistera que le coeur de la planète. Alain Lecavelier des Etangs suggère que de nombreux résidus rocheux planétaires pourraient ainsi peupler les abords des étoiles (Pour la science, août 2005).

Autre surprise: dans la revue Nature du 14 juillet, Maciej Konacki, astrophysicien du California Institute of Technology (Etats-Unis), a annoncé la découverte d'une planète géante gazeuse installée dans un système stellaire composé de trois étoiles. Cette configuration inexplicable pour l'instant suscite l'étonnement des spécialistes. Car elle n'a jamais été constatée à ce jour, bien que 20 des planètes extrasolaires détectées tournent autour d'un système d'étoiles doubles.

En dix ans, "on a découvert un bestiaire inimaginable et très diversifié de planètes extrasolaires, complètement différent de ce que l'on pouvait imaginer", confirme Alfred Vidal-Madjar. Ainsi, un grand nombre de planètes extrasolaires sont installées sur des orbites allongées, contrairement à celles, presque circulaires, du système solaire. "On a aussi constaté que 10% des étoiles possédaient des planètes et que, plus elles contenaient d'éléments lourds, plus elles avaient des chances de posséder des plan ètes." Tous les espoirs sont donc permis, car "on n'a, pour l'instant, sondé que la banlieue du Soleil", précise Alain Lecavelier des Etangs.

La chasse aux nouveaux mondes, d'abord abandonnée à quelques chercheurs farfelus, mobilise aujourd'hui de nombreuses équipes internationales. "C'est une aventure extraordinaire qui continue. Nous sommes dans le domaine de la passion et de l'aventure scientifique", jubile Didier Queloz.

Après la mise en évidence de grosses planètes gazeuses, tous les efforts portent maintenant sur la recherche d'astres similaires à la Terre. Des équipes ont découvert récemment trois petites exoplanètes dont la masse est de 15 à 20 fois celle de la Terre. Tandis que l'équipe de Geoffrey Marcy (professeur d'astronomie à l'université de Californie à Berkeley) vient d'observer la plus petite exoplanète connue à ce jour: sa masse équivaut à 7,5 fois celle de la Terre, et elle orbite à une distance de 0,02 UA autour de l'étoile Gliese 876.

A terme, les astrophysiciens veulent étudier la composition de l'atmosphère de ces planètes soeurs de la Terre pour y détecter la présence de méthane et d'eau. Car la question ultime, qui taraude tout le monde, est de savoir s'il existe de la vie ailleurs que sur notre planète. La réponse arrivera peut-être entre 2015 et 2025, grâce aux progrès de l'instrumentation et aux différents satellites dédiés à cette recherche.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 20.08.05


Le Monde / Sciences
La précision des instruments joue un rôle décisif

 M ichel mayor et Didier Queloz insistent sur le rôle d'Elodie dans leurs travaux. Ce spectroscope "nous a en effet permis de faire une découverte capitale avec le petit télescope de 193 cm de diamètre de l'observatoire de Haute-Provence", atteste Michel Mayor, alors que des prédécesseurs malheureux et des équipes concurrentes n'y étaient pas parvenus.

Le spectrographe est un outil capital dans la technique de détection par vitesse radiale des étoiles. Il décompose la lumière de ces astres et produit de fines raies noires inégales semblables à un peigne édenté. Ces raies sont caractéristiques des éléments chimiques qui composent l'atmosphère stellaire.

Lorsque l'étoile se déplace dans l'espace en s'éloignant de nous, ces raies sont décalées vers les plus grandes longueurs d'onde (vers le rouge). Si elle vient vers nous, les raies sont décalées vers le bleu. Lorsqu'une planète orbite une étoile, le spectre de cette dernière se modifie régulièrement et avec une sorte de "balancement".

Cette technique de la vitesse radiale des étoiles a été dévelop-pée initialement par les Canadiens Bruce Campell et Gordon Walker. Mais leurs recherches ne leur ont pas permis à l'époque de découvrir des planètes extrasolaires. Alors que la réalisation du spectrographe Elodie par l'opticien André Baranne "a permis de détecter des mouvements à des vitesses de 10 à 15 m/s, au lieu de 250 m/s précédemment, précise Michel Mayor. Depuis, Elodie a été encore améliorée, et la précision a été portée à 6 m/s".

En octobre 2005, l'observatoire de Haute-Provence devrait être équipé du spectrographe Sophie. Plus stable, il permettra d'observer par vitesse radiale des déplacements à des vitesses inférieures à 3 m/s et des planètes extrasolaires de petite masse équivalant à 15 fois la Terre. Dans l'hémisphère Sud, le spectrographe Harps, qui a été installé au foyer du télescope de 3,6mètres de l'ESO (European Southern Observatory), percevra, quant à lui, des mouvements ne dépassant pas 1 m/s.

Un autre moyen utilisé par les astrophysiciens pour détecter de nouveaux mondes consiste à observer les transits planétaires. Lorsqu'une planète passe devant une étoile, elle provoque une atténuation de la lumière en provenance de l'étoile parente. Cette trace permet de la détecter. Le premier transit fut observé, en 2000, par David Charbonneau (Harvard Smithsonian Center for Astrophysics, Etats-Unis).

QUÊTE DES MONDES EXTÉRIEURS

Depuis, plus d'une centaine de candidates ont été identifiées par cette méthode. Un groupe de chercheurs polonais a engrangé les résultats les plus spectaculaires avec le télescope de l'observatoire de Las Campanas, au Chili, explique Claude Bertout, de l'Institut d'astrophysique de Paris, dans son ouvrage Naissance et évolution des systèmes planétaires (éd. Flammarion). "En nous renseignant sur le diamètre et la densité des planètes, les transits ont confirmé l'existence et le caractère planétaire des Jupiters chauds, dont certains doutaient", ajoute Claude Bertout. La mission américaine Kepler, qui doit être lancée en juin 2008 et qui utilisera la méthode du transit, devrait apporter son lot de découvertes.

Dans leur quête des mondes extérieurs, les scientifiques envisagent aussi de développer la technique de l'astrométrie. Ce procédé permet de connaître le mouvement (et non plus la vitesse) et les positions des étoiles dans le ciel. Le premier instrument d'astrométrie dédié à la recherche des exoplanètes, Prima, sera installé sur le Very Large Telescope Interferometer de l'European Southern Observatory (ESO) au Chili.

Prima servira à préparer la mission d'astrométrie du satellite Gaia que doit lancer l'Agence spatiale européenne en 2011. Destiné à réaliser une carte en trois dimensions de la galaxie, Gaia devrait avoir la capacité de détecter de nombreux nouveaux systèmes planétaires extrasolaires.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 20.08.05


Le Monde / Carnet
Disparition
Kees Mok

 K ees Mok, linguiste néerlandais, grand connaisseur de la littérature occitane, est mort vendredi 12 août à Leyde (Pays-Bas). Il était âgé de 80 ans.

Né Quirinus Ignatius Maria Mok, le 30 juillet 1925 à Amsterdam, Kees Mok y fait ses études supérieures de français, qu'il suit à la Sorbonne.

Enseignant à l'université d'Amsterdam dès 1955, il y est nommé maître de conférences en 1968, année de publication de sa thèse consacrée à l'"Etude des catégories morphologiques du genre et du nombre dans le français parlé actuel". De 1971 à 1988, il occupe la chaire de linguistique romane à l'université de Leyde.

Kees Mok met à profit, depuis 1955, ses séjours réguliers en Périgord, Languedoc et Provence, pour approfondir sa connaissance directe de l'occitan contemporain. Il prolonge ainsi ses travaux sur la langue d'Oc médiévale (notamment son Manuel pratique de morphologie d'ancien occitan ) par de nombreuses enquêtes de terrain et consacre divers articles à certains aspects grammaticaux des écrits de Jasmin, Alphonse Daudet, Jean Boudou, Max Rouquette et Bernard Manciet.

Nommé en 1978 chevalier de la Légion d'honneur au titre de son action en faveur du maintien des études françaises aux Pays-Bas, Kees Mok a été, en 1981, cofondateur, et administrateur, puis secrétaire général (1984-1990), enfin président (1990-1993) de l'Association internationale d'études occitanes (AIEO,) qui rassemble plus de quatre cent cinquante spécialistes de vingt-cinq nationalités et dont le VIIIe congrès international se réunira à Bordeaux du 12 au 17 septembre.

Article paru dans l'édition du 21.08.05


Le Monde / International
Reprise des évacuations forcées à Gaza

 R eprenant leurs évacuations forcées après la pause de samedi pour cause de sabbat, les forces israéliennes ont contourné dimanche matin une barricade en flammes et pénétré à l'intérieur de la colonie de Katif, l'une des quatre de la bande de Gaza où se trouvent encore des réfractaires.

La confrontation couve entre les centaines de jeunes ultras, venus renforcer les dizaines de familles de colons toujours présentes, et les soldats sans armes dépêchés pour vider cette colonie de ses habitants.

Les occupants de Katif ont mis le feu à des ballots de foin, à des pneus et à des planches à l'entrée principale de Katif. Des dizaines de soldats ont contourné l'obstacle et sont entrés en franchissant une barrière non loin de là. Une épaisse fumée noire s'élève dans le ciel.

Un colon de Katif, Haïm Ben-Arieh, a dit espérer une intervention divine pour empêcher l'évacuation: "Le grand miracle peut se produire, ici à Katif, avec l'aide de Dieu".

Sur les 21 implantations juives progressivement construites dans la bande de Gaza depuis 1967, quatre n'ont toujours pas été totalement abandonnées par leurs habitants.

"CIMETIÈRE DES OPPRESSEURS"

Les unités israéliennes, composées de soldats non armés, doivent se rendre également dimanche dans la colonie d'Atzmona, autre communauté agricole, où vit une centaine d'habitants. Elles interviendront également dans la petite implantation de Shalev, déjà quasiment désertée, avant de se tourner mardi vers la dernière colonie de ce territoire, Netzarim, bastion isolé de juifs ultras situé à proximité de la ville de Gaza.

Devant une habitation d'Atzmona, les opposants au retrait ont érigé un petit cimetière factice, en carton, qu'ils ont baptisé le "cimetière des oppresseurs". Deux des fausses tombes portent le nom, d'une part de Hitler, d'autre part de Yasser Arafat.

Plus de 85% des 8.500 colons ont quitté ou ont été évacués de la bande de Gaza, mais les récalcitrants ont reçu le soutien de plusieurs centaines de manifestants, souvent jeunes, qui n'ont pas hésité à affronter les forces de l'ordre lors des évacuations forcées.

La mise en oeuvre du plan de retrait du Premier ministre Ariel Sharon a été deux fois plus rapide que les projections du gouvernement. Deux des quatre colonies de Cisjordanie concernées par le projet doivent cependant encore être évacuées et l'armée s'attend à un baroud d'honneur des ultranationalistes à Sanur et Homesh, en raison de la signification religieuse prêtée à ces implantations.

En accord avec l'Autorité palestinienne, les forces israéliennes doivent également commencer ce dimanche la démolition complète des maisons désertées de la bande de Gaza, territoire densément peuplé où les Palestiniens souhaitent construire des immeubles.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 21.08.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Des avions plus sûrs

 L a sécurité des avions peut paraître bonne avec seulement 1,5 accident par million de décollages ou atterrissages. A l'évidence, elle n'est pourtant pas à la mesure du développement de ce moyen de transport de masse.

Si les taux des accidents ont été divisés par 30 depuis 1960, le nombre des victimes reste, lui, égal, bien que fluctuant selon les années, autour de
1 000 par an, du fait de l'accroissement de la taille des appareils et du trafic. La profession ne doit plus se retrancher derrière la comparaison avec l'automobile qui ne tient pas pour des raisons à la fois d'évidence (un avion est piloté par un autre, qui est professionnel) et psychologiques.

En réalité, comme l'écrit fort justement le rapport parlementaire établi sous la direction d'Odile Saugues (député PS du Puy-de-Dôme) après l'accident de Charm el-Cheikh, l'aviation commerciale n'a pas encore adopté "une culture de sécurité" adaptée à la mondialisation et au boom du trafic.

Il faut aller plus loin dans l'exigence des normes techniques ainsi que dans les contrôles, et surmonter, avec détermination, les barrières diplomatiques et bureaucratiques qui bloquent l'actuel système de contrôle international établi sous l'égide des Etats et de l'OACI (Organisation de l'aviation civile internationale).

Le problème est celui des Etats défaillants, une trentaine dans le monde, qui, faute de moyens ou de volonté, immatriculent des compagnies sans vérifier suffisamment leurs appareils selon les exigences de l'OACI. L'Europe effectue quelques contrôles de ces compagnies étrangères dans ses aéroports, mais cela ne suffit pas.

Pour aller plus loin, la France propose de rendre publics ces contrôles et de labéliser les bonnes compagnies (Label bleu). Jacques Barrot, commissaire européen aux transports, veut, pour sa part, inverser la logique et publier la liste noire des mauvaises compagnies, comme le fait déjà, de son côté, le Royaume-Uni. Il a raison.

L'élaboration de cette liste constituera un bon moyen de forcer les pays membres jusqu'ici réticents, comme Chypre, à se mettre enfin au niveau communautaire. Les passagers et les tour-opérateurs qui, parfois, ignorent sur quelle compagnie s'effectuera le vol, seront incités à le demander pour que s'établisse enfin la transparence indispensable.

Cette liste doit relever non plus d'une entente entre les 25 pays membres mais d'une autorité communautaire qui s'impose aux Etats. Il sera ainsi possible de dépasser, à l'échelle européenne d'abord, le système international actuel qui laisse le pouvoir aux seuls Etats.

Les statistiques sont claires: pour l'essentiel, les accidents proviennent de ces Etats défaillants. La communauté internationale doit prendre les moyens de contraindre les compagnies de ces pays à se soumettre aux normes techniques de l'OACI ou bien les interdire de vol international. Au-delà, la mondialisation aérienne soulève la question de la création d'une autorité mondiale dotée de pouvoir de coercition.

Article paru dans l'édition du 23.08.05


Le Monde / Sports
De nouvelles accusations de dopage visent Lance Armstrong

 À  peine retiré de la compétition, l'Américain Lance Armstrong voit sa légende une nouvelle fois éclaboussée par des soupçons de dopage. Les accusations sont portées, cette fois, par L'Equipe. Selon le quotidien sportif français daté du mardi 23 août, des analyses effectuées par un laboratoire français sur des échantillons d'urine congelée démontrent que le vainqueur de sept Tours de France consécutifs aurait utilisé de l'érythropoïétine – plus connue sous le nom d'EPO – lors de sa première victore dans la Grande Boucle en 1999. Cette hormone de synthèse, qui augmente le nombre de globules rouges, améliore l'oxygénation des muscles et procure un gain de performance pouvant aller jusqu'à 30%

Les tests de dépistage de cette substance n'étaient pas encore au point en 1999 et n'ont été utilisés qu'à partir de 2000 aux Jeux de Sydney et l'année suivante sur le Tour de France. Le laboratoire de Châtenay-Malabry a effectuédes analyses à partir de 2004, qui ne visaient pas a priori à incriminer le champion américain.

Réalisées sur des échantillons prélevés en 1998 et 1999 – à une époque où l'utilisation de l'EPO était pratique courante dans les pelotons –, elles devaient simplement permettre au laboratoire, pionnier dans la détection d'EPO, d'affiner ses méthodes de repérage de l'hormone. Les tests ont d'ailleurs été réalisés sur des échantillons qui n'étaient pas nominatifs. Mais comme le montre L'Equipe, documents à l'appui, les numéros des échantillons analysés correspondent à ceux des contrôles effectués sur le champion américain.

Les résultats obtenus par le laboratoire sont accablants. Des traces d'EPO ont été trouvées dans six échantillons d'urine prélevés sur le champion américain à six dates différentes sur le Tour 1999, le premier que remporta Lance Armstrong. "Bien sûr, il ne s'agit pas d'un contrôle positif au sens réglementaire du terme", souligne le journal, qui fait valoir qu'il ne s'agissait pas de prendre des sanctions, mais que l'affaire pourrait néanmoins avoir des suites, l'Agence mondiale antidopage (AMA) étudiant la possibilité d'éventuels recours juridiques. Le dossier, poursuit L'Equipe, pourrait également être transmis à son pendant américain l'Usada, qui a montré lors de l'affaire Balco que des athlètes pouvaient être sanctionnés même sans avoir été au préalable contrôlés positifs.

"JOURNALISME À SCANDALE"

Lance Armstrong, après sa lutte victorieuse contre un cancer des testicules et son retour dans les pelotons, s'est toujours défendu, tout au long de ses sept succès dans le Tour de France, d'avoir utilisé un quelconque produit dopant malgré les suspicions et les accusations à répétition qui l'ont visé. A une seule reprise, le champion américain avait été contrôlé positif, lors du Tour 1999, mais avait été blanchi après que son équipe l'US Postal eut produit un certificat médical montrant qu'il avait utilisé une pommade pour soigner une douleur à la selle contenant un corticoïde interdit.

Le coureur a réagi à ces accusations sur son site Internet affirmant n'avoir "jamais pris de drogues favorisant la performance", qualifiant de "journalisme à scandale" les accusations de dopage du quotidien français L'Equipe mardi. "Encore une fois, un journal européen rapporte que j'ai été contrôlé positif à des drogues favorisant la performance". "L'édition de demain (mardi) de L'Equipe, un quotidien sportif français, rapporte que mes échantillons de 1999 étaient positifs. Hélas, la chasse aux sorcières continue et l'article de demain n'est rien d'autre que du journalisme à scandale".

Le journal admet même dans son propre article que la méthode scientifique en question ici est défaillante et que je n'ai aucun moyen de me défendre,rsuit le Texan. Ils disent: il n'y aura donc aucune contre-expertise ni poursuites réglementaires, au sens strict, puisque les droits de la défense ne peuvent être respectés". "Je répèterai simplement ce que j'ai dit à maintes reprises: je n'ai jamais pris de drogues favorisant la performance", conclut-il.

Pour sa part, Jacques de Ceaurriz, le directeur du laboratoire qui a décelé la présence d'EPO, a estimé, mardi matin, qu'il n'y a aucun doute possible sur la validité du résultat, bien que l'analyse ait été réalisée cinq ans après le prélèvement. "Nous n'avons aucun doute sur la validité du résultat", a déclaré le Dr de Ceaurriz du laboratoire de Châtenay-Malabry, en banlieue parisienne, "dans un tel échantillon, soit l'EPO se dégrade, et devient indétectable, soit la protéïne reste en l'état".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 23.08.05 | 09h04


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Le mensonge

 L ance armstrong a remporté le Tour de France, cette année, comme il l'avait fait lors des six éditions précédentes. Un mois après cette victoire, alors que le coureur américain a annoncé sa retraite et qu'il s'adonne à la promenade en VTT avec son ami le président George W. Bush, des documents viennent mettre au jour des pratiques peu conformes à l'éthique sportive.

S'appuyant sur les résultats d'analyses du Laboratoire national antidopage de Châtenay-Malabry, recoupés par des documents officiels, le quotidien L'Equipe du mardi 23 août affirme que l'homme à l'éternel maillot jaune a menti.

Lors de la Grande Boucle de 1999, celle qui suivait l'"affaire Festina" et qui devait marquer le "renouveau" du cyclisme, Lance Armstrong a consommé de l'EPO. Des produits dopants ont été retrouvés dans les urines du Texan lors de six étapes de ce Tour qui l'a fait entrer dans la légende.

A l'époque Le Monde écrivait: "Sauf catastrophe, Lance Armstrong remportera cette année le Tour. Trois ans après avoir guéri d'un cancer (...), le coureur américain a survolé la Grande Boucle, ne donnant jamais l'impression de pouvoir être inquiété par ses adversaires. Cette supériorité suffirait-elle à jeter le doute sur sa performance et à faire soupçonner une pratique de dopage ? Pour l'heure, rien ne permet d'affirmer que Lance Armstrong a eu recours à des substances non autorisées. Certes il a utilisé, pour soigner une dermatite allergique, une pommade à base de glucocorticoïdes, mais l'on ne saurait ici parler de pratique illicite..." Dans la caravane comme chez les coureurs, ces réserves avaient été peu appréciées, et nos envoyés spéciaux sur l'épreuve devaient faire montre de patience face à un milieu prompt à se défendre. Armstrong lui-même affirmait, en juillet 1999, n'avoir rien à cacher et ne pas utiliser de produits type EPO. Il s'en prenait même violemment au "journalisme de ragots" qui, selon lui, tentait de le discréditer.

Informer, tel était notre rôle. Expliquer, au fil des années qui ont suivi ce premier sacre sur les Champs-Elysées, tous ces liens étranges qui existaient entre le coureur et un médecin italien condamné pour fraude sportive. Donner la parole à ses compatriotes, qui, comme Greg LeMond, émettaient des doutes sur la réalité de ses performances. Raconter les étranges histoires d'un ancien assistant ou d'une soigneuse évoquant des pratiques peu orthodoxes.

Aujourd'hui, des preuves du mensonge du recordman des victoires sont publiées. Celui qui se voulait le héros du Tour chute. Il n'est plus le champion extraordinaire que d'aucuns voulaient voir.

Dans le cyclisme, le dopage a existé et existe sans doute toujours. Des athlètes de haut niveau n'hésitent pas à chercher des substances qui leur permettent d'améliorer leurs performances. Il faut dénoncer inlassablement cette pratique, malgré ses complexités et l'inventivité des laboratoires. Parce que c'est une tricherie sportive et parce qu'elle a des effets désastreux sur la santé des sportifs.

Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sports
Un faisceau de présomptions

 D epuis sa première victoire dans le Tour de France, en 1999, de nombreuses interrogations entourent les performances de Lance Armstrong.

Une hormone non décelée. Le 8 octobre 1996, le coureur américain annonce qu'il souffre d'un cancer du testicule. Il explique alors que sa maladie a été détectée à la suite d'un dosage anormalement élevé d'hormones gonadotrophines chorioniques (hCG).

Sa maladie, telle qu'il l'a décrite lui-même, était, lors de sa détection, à un stade avancé de type III. Or l'hormone révélatrice sert à des fins dopantes, et est censée être détectée lors des contrôles antidopage. Durant la période concernée, les contrôles réalisés sur le coureur américain n'avaient pourtant rien révélé de particulier. Soit ils ont été inefficaces, et jettent un doute sur la crédibilité des performances du coureur, soit leurs conclusions ont été étouffées (Le Monde du 19 juillet 1999).

Des cancérologues dubitatifs. Après un cancer du testicule, avec métastases au cerveau et au poumon, opérations et chimiothérapie, peut-on retrouver la plénitude de sa condition physique d'avant la maladie, peut-on même améliorer ainsi considérablement ses performances ? Des cancérologues, tel Thierry Bouillet (Le Monde du 5 juillet 2003), émettront des doutes sur le sujet.

Un contrôle positif. Juillet 1999. L'année de sa première victoire dans le Tour de France, Lance Armstrong subit un contrôle positif à la triamcinolone acétonide, un corticoïde (Le Monde du 21 juillet 1999). L'affaire est classée par l'Union cycliste internationale (UCI), qui explique que l'Américain avait "utilisé de la pommade Cemalyt afin de traiter une dermatite allergique -une maladie de la peau- ", et qu'il bénéficiait d'une "prescription médicale".

Une ancienne soigneuse, Emma O'Reilly, affirmera plus tard dans L. A. Confidentiel, un livre du Français Pierre Ballester et du Britannique David Walsh, paru en France avant le Tour 2004, que ce justificatif thérapeutique a été rédigé après le contrôle positif. En outre, toujours selon la soigneuse, l'Américain n'aurait jamais utilisé ce produit.

La Cemalyt aurait dû en tout cas faire l'objet d'une demande d'autorisation d'importation auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Selon cette agence, "aucu ne autorisation d'importation n'a été délivrée à l'US Postal pour la Cemalyt pour le Tour de France 1999".

Une enquête contre l'US Postal. Le 22 novembre 2000, une information judiciaire contre X... visant l'équipe de Lance Armstrong, l'US Postal, soupçonnée d'avoir usé de produits dopants, est ouverte par le parquet de Paris.

Cette procédure fait suite à la découverte d'emballages d'Actovegin, un fluidifiant du sang, dans les poubelles de l'équipe américaine, par des journalistes de France 3, le 18 juillet, durant le Tour.

L'Actovegin, qui sera, à partir de décembre 2000, classé parmi les produits dopants, peut être associé à la prise de produits comme l'érythropoïétine (EPO), dont il compense les effets secondaires.

Un équipier qui accuse. Le coureur néo-zélandais Stephen Swart, qui a côtoyé Lance Armstrong chez Motorola au milieu des années 1990, laisse entendre dans L. A. Confidentiel que l'Américain avait recours à l'EPO lorsqu'ils étaient coéquipiers.

Un compatriote qui doute. Greg LeMond, le premier Américain à avoir remporté le Tour de France (à trois reprises), émet des doutes sur les performances de Lance Armstrong. " Il n'y a pas de miracle dans le vélo. Il y a toujours une explication". explique notamment l'ancien équipier de Bernard Hinault, dans Le Monde du 16 juillet 2004.

Un médecin condamné pour exercice illégal. En octobre 2004, le médecin italien Michele Ferrari est condamné pour fraude sportive et exercice illégal de la profession de pharmacien. Or, il est de notoriété publique que Lance Armstrong fait appel aux services de l'Italien.

Un ancien assistant qui parle. Mike Anderson a été pendant deux ans l'assistant personnel du coureur américain. Il affirme n'avoir aucun doute "sur le fait que Lance Armstrong a utilisé des produits interdits pour gagner le Tour de France" (Le Monde du 13 juillet).

Olivier Zilbertin
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sports
Lance Armstrong a utilisé de l'EPO en 1999

 L' américain Lance Armstrong a utilisé un produit dopant pour remporter le Tour de France 1999, le premier de ses sept Tours victorieux. Le quotidien sportif L'Equipe le révèle, dans son édition du mardi 23 août.

Le journal s'appuie sur des analyses effectuées récemment par le Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD) de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Des traces "caractéristiques, indiscutables, et conséquentes" d'érythropoïétine (EPO), selon L'Equipe. ont été retrouvées dans les urines du coureur américain.

Un produit qui améliore le transport de l'oxygène

Initialement destiné aux insuffisants rénaux ou aux patients souffrant de graves anémies, l'usage de l'érythropoïétine (EPO) artificielle, commercialisée depuis 1983, a vite été détourné à des fins de dopage, défrayant notamment la chronique sportive lors du Tour de France 1998, avec l'affaire Festina. L'EPO, produite naturellement par le corps, stimule la fabrication des globules rouges, qui transportent l'oxygène vers les organes. Une augmentation artificielle de l'hématocrite (le taux de globules rouges dans le sang) permet une amélioration sensible de la performance.

Depuis le 1er avril 2001, l'Union cycliste internationale a validé une méthode française, mise au point en 2000 grâce au travail de Jacques de Ceaurriz et Françoise Lasne, chercheurs du Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD), à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), qui permet de détecter la présence d'EPO artificielle dans les urines. Cependant, au bout de trois jours, la molécule devient indétectable, alors que ses effets durent deux à trois semaines. Seuls les contrôles inopinés sont donc aujourd'hui vraiment efficaces.

En 1999, Lance Armstrong avait porté le maillot jaune durant quinze jours, et avait donc été contrôlé à de multiples reprises. A l'époque, aucune méthode de détection de l'EPO dans les urines n'était encore validée ni disponible. Les premiers tests n'ont commencé qu'à partir des Jeux olympiques de 2000, à Sydney. En 1999, les coureurs n'avaient donc encore aucune raison de se méfier.

A partir de décembre 2004, comme le relate le quotidien sportif, le Laboratoire de Châtenay-Malabry, en collaboration avec l'Agence mondiale antidopage (AMA) et le ministère des sports, entreprend de contrôler les échantillons "B" du Tour de France 1999, avec les méthodes plus récentes de détection. Ces échantillons, congelés, sont conservés par le laboratoire.

L'opération ne vise alors nullement à confondre d'éventuels tricheurs, mais à peaufiner une méthode de contrôle a posteriori, mise au point par des chercheurs du LNDD.

En 2000, le laboratoire avait déjà travaillé sur les prélèvements du Tour de France 1998, celui de l'affaire Festina et des révélations sur la consommation d'EPO au sein du peloton. Ces travaux avaient été l'objet d'une publication par la revue scientifique britannique Nature. "Nous n'avons aucun doute sur la validité du résultat". a expliqué, mardi, Jacques de Ceaurriz, le directeur du laboratoire de Châtenay-Malabry. Cette fois, le LNDD avait relevé la présence d'EPO dans douze échantillons.

La procédure veut normalement que les échantillons transmis et conservés à Châtenay-Malabry restent parfaitement anonymes. Il faudra donc un recoupement entre les numéros des flacons et les procès-verbaux conservés notamment par le ministère des sports et la Fédération française de cyclisme pour aboutir à cette conclusion: six des prélèvements appartiennent à Lance Armstrong. Il s'agit des contrôles effectués sur l'Américain à l'issue du prologue du 3 juillet au Puy-du-Fou et après les 1re, 9e, 10e, 12e et 14e étape. Des résultats "confondants pour le Texan". écrit L'Equipe.

Mardi matin, le coureur américain a réagi à ces révélations par le biais d'un communiqué sur son site Internet. "Je n'ai jamais pris de drogue favorisant la performance, explique Lance Armstrong. (...) La chasse aux sorcières continue et l'article (...) n'est rien d'autre que du journalisme à scandale." Une ligne de défense habituelle, mais qui sera sans doute plus difficile à tenir désormais.

Certes, ainsi que le note d'ailleurs L'Equipe. les tests effectués par le laboratoire n'ont qu'un caractère expérimental, et n'ont donc pas la valeur juridique d'un véritable contrôle antidopage. Donald Manasse, l'avocat américain de Lance Armstrong, joint mardi matin, le constatait: "Je note qu'il est écrit noir sur blanc dans l'article en question qu e les droits de la défense ne peuvent être respectés dans cette affaire. Je les prends au mot. Les procédures doivent être respectées. Dans le cas contraire, ce genre d'article n'a aucune fiabilité. Ce ne sont pas les journaux qui font les procès, à ce que je sache. La présomption d'innocence est un principe juridique qu'il convient de respecter. Nous allons prendre en compte avec mon client les différents éléments du dossier, et nous déciderons ensemble de la suite à donner à cette affaire, s'il y a suite. Mais rien n'est encore décidé pour le moment."

L'Agence mondiale antidopage n'excluait, mardi, aucun recours éventuel devant des juridictions ad hoc.

Les révélations du quotidien sportif viennent s'ajouter au faisceau de présomptions qui n'ont cessé de s'accumuler dans le sillage des succès à répétitions de Lance Armstrong.

Joints mardi, ni Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour de France, ni la Fédération française de cyclisme n'ont souhaité réagir aux accusations lancées contre Lance Armstrong.

"Je sais qu'un certain nombre ne supportaient pas que l'on doute, a déclaré de son côté Daniel Baal, ancien président de la FFC et membre de l'UCI. Aujourd'hui une réponse est donnée qui me semble scientifique, rationnelle et très difficile à contester. Le mythe n'a plus raison d'être."

Olivier Zilbertin et Guillaume Lainé
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sciences
Des robots remontent aux sources du langage

 U ne balle orange sépare deux robots-chiens Aibo qui effectuent une danse savante et coordonnée sur la moquette du Computer Science Lab (CSL) de Sony, à Paris. "Ils sont en train de s'initialiser". indique Luc Steels, directeur du laboratoire. Quand les deux créatures mécaniques auront fini de scruter leur environnement, elles pourront commencer un dialogue, par ondes radio, afin de s'accorder sur la position de la balle. Et émettre, à partir d'un registre limité de termes aléatoires et personnels, des propositions telles que "Vuzupu" pour désigner l'angle qui les sépare du ballon.

Maido et Gurby, les bavards virtuels

En plus des robots-chiens, le laboratoire CSL de Sony de Paris abrite des petites créatures numériques telles que Maido et Gurby, bavards impénitents. Conçues par Pierre-Yves Oudeyer, dotées d'un conduit vocal et d'oreilles ­ haut-parleur et microphone ­, elles permettent de remonter aux origines non du langage ou des langues, mais de la parole. "Comment est-il possible qu'un système de sons puisse se former et se modifier au cours du temps alors qu'il n'y a pas de chef ?". s'interroge le chercheur, dont la thèse a reçu, en 2004, le prix Le Monde de la recherche universitaire.

La réponse est fournie par un simple jeu d'imitation: un locuteur émet un son aléatoire, l'interlocuteur tente de le reproduire. Chacun met à jour son répertoire. "Avec une dizaine d'agents et des répertoires vides au départ, on aboutit vite à une sorte d'autoprogrammation de 100 à 200 vocalisations". constate Pierre-Yves Oudeyer. Des "accents" apparaissent, et certaines contraintes de vocalisation ont fait se dégager les grandes tendances des langues du monde.

L'exercice sera répété des dizaines de fois, jusqu'à ce qu'émerge un même mot pour qualifier un certain état de la balle pour les deux Aibo. "Ils deviennent capables de parler des trajectoires des ballons, mais jamais de façon exacte, en raison des incertitudes engendrées par leurs caméras et leurs capteurs". souligne Luc Steels. Cette incertitude, liée au fait de posséder un corps nécessairement imparfait, c'est l'un des secrets de la linguistique expérimentale et théorique ­ il préfère dire "dynamique sémiotique" ­ qu'il pratique depuis une dizaine d'années.

"Notre projet consiste à étudier comment des langues émergent à partir de jeux de langage appliqués à des agents qui peuvent être des robots ou des logiciels". résume-t-il. Le point de départ de ces expériences, baptisées "Talking Heads", était minimaliste: "Donner des noms à des choses dans un environnement." Deux agents-caméras regardent un même tableau et échangent à tour de rôle des termes pour désigner les formes géométriques qui y figurent. Lorsqu'ils sont identiques, la partie est gagnée et le mot accepté. Dans le cas contraire, les deux agents conservent en mémoire le terme utilisé par leur partenaire. C'est la répétition de ce processus des dizaines de milliers de fois, entre une multiplicité d'agents, qui permet progressivement de forger un vocabulaire commun. L'expérience, conçue par Frédéric Kaplan et pratiquée à distance via Internet, a été concluante.

Sous ses aspects ludiques ­ en 1999 et en 2000, elle a été conduite simultanément dans plusieurs musées et permettait aux visiteurs d'interagir avec les agents ­, elle visait à tester quatre idées théoriques. La première était que la langue émerge à travers l'auto-organisation, du fait d'interactions locales entre les utilisateurs de cette langue. La deuxième est que le sens est construit lentement par chaque individu, à travers un processus cumulatif. La troisième hypothèse est qu'une métaphore écologique, avec ses processus d'adaptation et de sélection, est plus réaliste que celle de l'esprit ordinateur pour rendre compte des mécanismes cognitifs. Enfin, Luc Steels soutient que la grammaire non plus n'est pas innée, mais qu'elle est un produit de l'usage de la langue.

Ces conceptions vont à l'encontre des vues des innéistes, dont le plus célèbre est Noam Chomsky. Le chercheur américain postule l'existence d'une grammaire universelle, de structures innées commandant le langage. Luc Steels, qui fut son étudiant dans les années 1970 et n'est revenu à la linguistique qu'après un long détour par la robotique et l'intelligence artificielle, estime au contraire que le langage est un système adaptatif.

Certes, beaucoup d'éléments nécessaires au langage, comme la mémoire associative, sont innés, et sans eux ses agents seraient bien incapables de constituer un lexique et de l'échanger avec leurs pareils, reconnaît-il. Mais, avec quelques modules de base qui confèrent aux robots, en plus d'organes sensoriels, cette mémoire, la capacité d'adopter les termes proposés par autrui et de s'insérer dans une négociation, ceux-ci se montrent rapidement capables d'utiliser des mots, mais aussi des catégories, comme couleur, texture, longueur, largeur.

"Pour beaucoup, cela semble magique puisqu'au départ les robots n'ont pas de lexique commun". convient Luc Steels. Mais, en fait, ceux-ci parviennent peu à peu à s'entendre, en procédant à une sorte de découpage du réel ­ grand-petit, haut-bas, etc. La motivation de ces agents n'est pas la survie, mais le succès dans la communication et une dépense d'énergie minimale. Ils ne permettent pas de tester l'émergence du langage lui-même, mais de langues qui apparaissent éminemment évolutives. Qu'un certain nombre d'agents naïfs soient intégrés à une population de locuteurs stabilisés, et l'on verra apparaître, en quelques générations, de nouveaux termes dont certains s'imposeront avant qu'un nouveau lexique se stabilise.

Le chien Aibo s'est inséré naturellement dans ce programme de recherche, car sa mobilité permet de tester d'autres modules, comme la faculté à adopter le point de vue d'autrui: "Quand je dis à gauche, cela signifie à ma gauche. Mais si vous me faites face, cela voudra dire à votre droite. rappelle Luc Steels. Dans nos jeux de langage, ces notions émergent et subsistent."

Les dialogues des chiens mécaniques restent encore sommaires et un humain "naïf" serait bien incapable, sans le truchement des ordinateurs, de comprendre ce qu'ils se disent. Mais l'objectif n'est pas d'en faire des compagnons parlants.

"Il y a encore une différence énorme vis-à-vis des langues humaines". ne cache pas Luc Steels. L'exploit n'est cependant pas mince: le jeu de baballe de ses toutous mécaniques est devenu un révélateur d'une des facultés humaines les plus mystérieuses.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sciences
"Les couleurs, ça se discute", affirment les automates

 D ans les forêts de l'Irian Jaya, le peuple Dani se contente de deux mots pour décrire le monde des couleurs. Pourtant, lorsqu'on demande à ses membres de mémoriser une teinte donnée sur une palette, ils se montrent aussi performants qu'un Occidental. Etudiés dans les années 1970, les Danis avaient apparemment apporté la preuve que la langue n'influence pas la perception et que les couleurs constituent, en fait, des catégories universelles.

"Pas si vite !". rétorquent Jules Davidoff (université de Londres) et deux collègues britanniques, qui ont reproduit l'étude conduite sur les Danis dans une autre tribu "de l'âge de pierre". les Berinmos de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ceux-ci n'ont que cinq mots de base pour désigner les couleurs, contre huit pour les Anglo-Saxons. Ainsi, "ils ne marquent pas la distinction entre le bleu et le vert, mais ils ont une frontière, entre leur "nol" -à cheval sur le bleu et le vert- et leur "wor" -qui couvre du vert, de l'orange et du marron-, qui n'existe pas en anglais", indiquaient les chercheurs britanniques dans un article publié dans Nature en 1999.

Les linguistes se sont précisément intéressés à ces frontières, grâce à des épreuves de mémorisation. Celles-ci consistent à présenter une couleur à un individu, puis à lui montrer deux échantillons et à lui demander de choisir lequel est le plus proche de celui qu'il a observé trente secondes plus tôt. Le résultat est éloquent: les Berinmos ont du mal à mémoriser et à distinguer les couleurs situées dans ce qui correspond au bleu et au vert des Occidentaux sur une palette chromatique standardisée. Mais ces chasseurs-cueilleurs parviennent sans difficulté à le faire lorsqu'elles se trouvent de part et d'autre de la frontière entre "nol" et "wor". Les résultats inverses étaient obtenus avec des cobayes anglais.

La conclusion rejoint l'hypothèse "relativiste" d'Edward Sapir (1884-1939) et son élève Benjamin Whorf, selon laquelle l'environnement façonne notre façon de parler du monde. L'exemple type étant les Inuits, dont le vocabulaire pour parler de la glace est d'une richesse effarante. La question étant de savoir si ce vocabulaire façonne en retour leur perception de leur environnement glacé. L'exemple des Berinmos semble apporter la preuve que la langue elle-même influence la catégorisation des couleurs, laquelle ne serait finalement pas universelle.

Le débat n'est cependant pas clos, certains s'interrogeant sur l'isolement génétique des Berinmos. Celui-ci n'aurait-il pu entraîner une dérive de leur perception visuelle ?

Les robots pourraient aider à trancher la question, comme l'indique un article de Luc Steels, directeur du laboratoire Sony à Paris, qui paraîtra à l'automne dans le journal Behavioral and Brain Sciences. Avec son collègue Tony Belpaeme, de l'Université de Bruxelles, il a mobilisé des populations d'automates parlants pour des jeux de discrimination et de "devinette".

Placés devant une palette, ils devaient d'abord former individuellement leur propre catégorisation, les frontières entre différentes couleurs du spectre. Ensuite, en couple, avec un locuteur et un "écouteur", ils devaient négocier sur la dénomination de certaines d'entre elles. Après de nombreuses interactions, un découpage linguistique assez homogène du monde chromatique a émergé. Mais l'introduction de nouveaux automates peut faire bouger ces frontières.

Ces modélisations ont permis de tester trois approches. La première, dite nativiste, postule que les êtres humains naissent avec des catégories perceptuelles identiques. Ils auraient simplement à apprendre de leurs parents le nom de chacune d'elles. La deuxième, appelée empirique, fait au contraire l'hypothèse que cette catégorisation reflète la structure "statistique" du monde dans lequel ils évoluent. Enfin, la position culturaliste voit dans le langage lui-même, à travers l'échange avec d'autres individus, un moyen de coordonner la catégorisation des perceptions.

Pour Luc Steels, c'est la troisième option qui semble la plus réaliste: "Cet apprentissage culturel conduit au développement d'un répertoire adéquat de catégories et de termes de couleurs qui sont partagées par les membres d'une même population, mais pas entre deux populations". conclut-il.

Pour le chercheur, même si le saut entre ses agents artificiels et le genre humain est délicat, ces modélisations appuient l'approche culturelle. "Je prends des positions fortes en ce se ns", indique-t-il. Car la question, qui s'inscrit dans le débat nature versus culture, est aussi éminemment politique. "Si l'on suit les innéistes, où tout est prédéfini, même la morale, on peut facilement glisser vers des thèses racistes ", prévient-il. De l'importance de discuter des goûts et des couleurs...

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sciences
Trois questions à... Bernard Victorri

 C hercheur au Laboratoire langues, textes, traitements informatiques, cognition (CNRS-ENS), vous êtes mathématicien de formation, passé à la linguistique. Qu'ont ces deux disciplines en commun ?
Au départ, la linguistique et l'informatique appartenaient à deux mondes séparés. Mais les informaticiens, qui voulaient modéliser les langues de façon parfois naïve, ont fait d'énormes progrès, ce qui a abouti à un changement d'état d'esprit des deux côtés. L'intérêt de l'informatique, c'est qu'elle permet, sur des systèmes simples, d'apporter la preuve qu'un mécanisme peut fonctionner dans telle ou telle condition. Pour simuler certains phénomènes, la robotique offre même une meilleure solution, parce qu'elle introduit de la variabilité du fait de l'imperfection physique des agents.

Quels types d'expériences peut-on faire sur la langue avec l'informatique ?
On peut, par exemple, étudier pourquoi il y a de la polysémie. Les mots prennent régulièrement des sens nouveaux, ils bougent. Pourquoi ? A priori, c'est une charge cognitive supplémentaire pour les locuteurs. Or ce sont les mots les plus fréquents qui ont le plus de sens possible. Grâce à des modèles informatiques, on montre qu'en fait la polysémie s'impose dès que les conditions des simulations sont suffisamment réalistes.
On peut aussi, comme Simon Kirby, de l'université d'Edimbourg, étudier la façon dont les grammaires ont pu émerger et évoluer. Par exemple, les langues n'emploient pas de la même façon les propositions relatives: toutes les langues qui disposent d'un pronom objet possèdent aussi un pronom sujet alors que l'inverse n'est pas vrai. Certaines ne diront pas "l'homme que j'ai vu", mais "l'homme qui a été vu par moi". Les pronoms apparaissent dans les langues dans l'ordre suivant: sujet, objet direct, objet indirect, circonstanciel, complément de nom, comparatif.
Kirby a montré, en faisant évoluer des générations d'agents locuteurs et apprenants, que ces "universaux implicationnels", comme les appellent les linguistes, émergent à partir de conditions très simples, sans qu'il soit nécessaire d'impliquer un mécanisme inné. Deux lois opposées, l'une portant sur la facilité de production par l'énonciateur et l'autre sur la facilité de compréhension par le récepteur, suffisent pour expliquer ce type de phénomènes.

Noam Chomsky ne se trouve-t-il pas contredit ?
C'est clair, le chomskysme est en passe d'être tranquillement dépassé. Chomsky a joué un rôle extrêmement important en opérant une coupure radicale avec une linguistique très descriptive, en affirmant que toutes les langues obéissent aux mêmes mécanismes syntaxiques, en postulant un organe du langage inné, une faculté spécifique à l'homme.
Or ce qui se dégage des travaux récents, en particulier les simulations informatiques, c'est qu'on peut aboutir à des grammaires "cognitives" qui font beaucoup plus de place au sens, sans recourir à des mécanismes innés.

Propos recueillis par Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Société
Des "bénévoles" autorisés à assister les chirurgiens au bloc opératoire

 P our les médecins, il s'agit d'une "très ancienne tradition". à laquelle est donnée aujourd'hui une "garantie supplémentaire de qualité"; pour les infirmières, ce sont des "mesures scandaleuses prises au mépris de la sécurité des patients".

La publication, le 10 août, d'un décret et d'un arrêté permettant à des personnes "bénévoles" d'exercer, dans les blocs opératoires des cliniques, les fonctions d'aides opératoires et d'aides instrumentistes auprès des chirurgiens a créé, lundi 22 août, une vive polémique dans le milieu médical.

Dénoncés par l'Association des enseignants et des écoles d'infirmiers de bloc opératoire (AEEIBO) et l'Union nationale des associations d'infirmiers de bloc opératoire diplômés d'Etat (Unaibode), ces textes régularisent la situation des femmes de chirurgiens qui assistent, hors de tout statut légal, leurs maris.

Dans le milieu médical, ce n'est un secret pour personne: certains chirurgiens exerçant dans le privé s'entourent, au bloc opératoire, de leurs secrétaires ou de leurs épouses, sans que ces collaboratrices aient reçu de formation pour exercer des actes de soin.

PROFESSION "BAFOUÉE"

Selon le Syndicat des médecins libéraux (SML), ces personnes, qui sont parfois amenées à intervenir directement sur le corps des patients, en refermant une paroi, par exemple, "ont acquis, de par leurs longues années de pratique, des connaissances réelles et un savoir-faire indiscutable". "Comme dans d'autres professions artisanales ou commerciales, les épouses faisaient l'assistance de leurs maris. explique le docteur Dinorino Cabrera, président du SML. Imaginer qu'elles sont incompétentes est ridicule: elles sont formées sur le tas et placées sous la responsabilité directe des praticiens."

Cette situation, qui n'a pas cours dans les hôpitaux publics, où toutes les personnes exerçant au bloc ont un diplôme d'infirmier, a perduré sans contrôle jusqu'à la fin des années 1990.

Souhaitant faire reconnaître leurs collaboratrices, notamment pour ne pas leur faire encourir de poursuites pour exercice illégal du métier d'infirmier, les médecins ont obtenu l'adoption par le Parlement, en 1999, d'un amendement officialisant la situation des personnes "salariées" de leur cabinet.

La loi prévoyait un contrôle des connaissances: 2 600 personnes se sont soumises, en 2003, à un examen national dénoncé par les syndicats d'infirmières. "L'examen s'est borné à un questionnaire fermé très succinct et le taux de réussite a frôlé les 99%. affirme Martine Reiss, présidente de l'AEEIBO. Par ailleurs, la loi prévoyait la mise en place d'une formation professionnelle obligatoire pour ces personnes, qui n'a jamais vu le jour."

Restait le cas des épouses, "bénévoles": c'est pour réparer cette "injustice". selon la SML, qu'un amendement a été ajouté à la loi de financement de la Sécurité sociale du 20 décembre 2004. Un nouveau contrôle des connaissances devrait concerner, selon le ministère de la santé, 300 à 400 personnes.

La situation est "scandaleuse" pour les infirmières diplômées d'Etat, qui estiment que leur profession, déjà confrontée à des difficultés de recrutement, "est de nouveau bafouée". "Cette décision est totalement contradictoire avec le renforcement de la qualité des soins et la lutte contre les infections nosocomiales. explique Mme Reiss. A titre d'exemple, les infirmières de blocs reçoivent 120 heures de cours d'hygiène, ces personnes aucune."

Estimant que ces textes contreviennent aux directives communautaires sur la formation minimale des infirmiers, l'AEEIBO et l'Unaibode devaient déposer, mardi 23 août, un référé en annulation devant le Conseil d'Etat, ainsi que, dans les jours qui viennent, un recours en excès de pouvoir.

Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Société
L'antidépresseur Deroxat accusé d'inciter au suicide

 D ans son édition du lundi 22 août, le quotidien britannique The Times reprend, à la "une", les conclusions d'une étude médicale indiquant que les personnes traitées par la paroxétine (l'un des antidépresseurs les plus prescrits au monde, commercialisé en France sous le nom de Deroxat) seraient exposées à un risque élevé de mort par suicide. Ce travail, mené par un groupe de scientifiques norvégiens, vient d'être publié dans la revue médicale en ligne BMC Medicine. Il a été mené à partir des observations faites sur environ 1 500 personnes avant la commercialisation de ce médicament, au début des années 1990.

La multinationale pharmaceutique GlaxoSmithKline, qui commercialise le Deroxat, a vivement réagi à la publication de cette étude dont elle dénonce tant la méthodologie que les conclusions.

Pour l'heure, les autorités sanitaires britanniques et françaises estiment que les preuves scientifiques qui pourraient justifier le retrait de la paroxétine du marché ne sont pas réunies. Ce médicament avait été déconseillé chez les adolescents par l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA), en décembre 2004 (Le Monde du 13 décembre 2004).

Commercialisé en France depuis 1992, le Deroxat est prescrit dans de nombreuses situations pathologiques parmi lesquelles les "épisodes dépressifs majeurs". les "troubles obsessionnels compulsifs" ou encore les "phobies sociales". Il fait partie d'une famille médicamenteuse qui, selon les spécialistes, a bouleversé la prise en charge des malades hautement dépressifs.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Europe
Terrorisme: Londres publie une liste des comportements qui justifient une expulsion

 L ondres a précisé, mercredi 24 août, les nouvelles "règles du jeu" contre le terrorisme promises par Tony Blair, dressant la liste des "comportements inacceptables" qui pourront conduire à l'expulsion des imams extrémistes et autres figures de proue du "Londonistan". Ce programme sera mis en œuvre "très rapidement, dans les prochains jours", a affirmé le ministre de l'intérieur, Charles Clarke.

La liste de "comportements inacceptables au Royaume-Uni" comprend notamment le fait de "fomenter, justifier ou glorifier la violence terroriste", de "chercher à provoquer des actes terroristes" ou de "fomenter la haine pouvant mener à des violences entre les différentes communautés au Royaume-Uni"

Dix personnes paraissent déjà directement concernées: les dix étrangers arrêtés le 11 août pour "menace à la sécurité nationale". Parmi eux, Abou Qatada, considéré comme le chef spirituel d'Al-Qaida en Europe. Figure de proue du "Londonistan", la mouvance islamiste radicale installée dans la capitale britannique, ce Palestinien est à Londres depuis 1993, mais le ministère de l'intérieur n'a qu'un désir: le renvoyer vers son pays d'origine, la Jordanie. Restera à convaincre les juges que cette expulsion ne mettrait pas sa vie en danger.

SCEPTICISME DE KEN LIVINGSTONE

Si Charles Clarke a insisté sur le fait que l'intention du gouvernement n'était pas "d'étouffer la liberté d'expression ou le débat légitime sur les religions ou d'autres thèmes", tout le monde n'est pas convaincu.

Le maire de Londres, Ken Livingstone, a ainsi affirmé qu'il soumettrait ces nouvelles dispositions au "test Nelson Mandela": "Si ce texte avait été en place il y a vingt-cinq ans en Grande-Bretagne, les partisans de Nelson Mandela auraient-ils été expulsés de notre pays car ils soutenaient la campagne d'attentats à la bombe contre le régime raciste d'apartheid en place en Afrique du Sud ?", s'est-il demandé. "Si oui, alors le Parlement devrait s'insurger contre cette mesure", a-t-il insisté.

Pour M. Livingstone, les nouvelles dispositions entre les mains du ministre de l'intérieur ne devraient pas permettre d'interdire du territoire quelqu'un comme Youssef Al-Qardaoui, un influent religieux qatari d'origine égyptienne. Interdit de séjour aux Etats-Unis, Youssef Al-Qardaoui, 79 ans, a déjà effectué de nombreuses visites en Grande-Bretagne, mais il a suscité la polémique par ses propos justifiant les attentats-suicides en Israël. Si les nouvelles dispositions devaient viser des gens comme Al-Qardaoui, "il y aurait très peu d'imams ou de militants musulmans acceptés sur le territoire britannique, car la vaste majorité d'entre eux s'identifient avec le combat du peuple palestinien", a ironisé Ken Livingstone.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 24.08.05 | 15h12


Le Monde / Sports
Pendant le dernier Tour, la brigade des stupéfiants épiait Discovery Channel

 R attrapé par les analyses de ses prélèvements urinaires du Tour 1999, Lance Armstrong a échappé à une opération menée par la police française lors du dernier Tour de France. Cette opération, dont a été témoin Le Monde. a en effet eu lieu, lundi 18 juillet, à Pau, lors de la seconde journée de repos de la Grande Boucle 2005.

Pendant plus de douze heures, une demi-douzaine de policiers en civil, appartenant, selon nos informations, notamment, à la brigade des stupéfiants de Paris, a surveillé les va-et-vient autour de l'hôtel de la Discovery Channel. Comme à son habitude, l'équipe de l'Américain avait pris ses quartiers dans une résidence de luxe, la Villa Navarre, située légèrement à l'écart du centre-ville de Pau, à l'abri d'un grand parc et à l'unique entrée barrée d'un grand portail métallique.

D'abord dissimulés dans des véhicules banalisés, puis mélangés aux curieux venus guetter la sortie du maillot jaune, les enquêteurs avaient pour mission de tenter d'interpeller un présumé pourvoyeur de produits suspects.

Lors de la précédente journée de repos, le lundi 11 juillet, à Grenoble, un homme étranger à l'équipe américaine avait été photographié en train de pénétrer dans l'hôtel de la Discovery Channel avec une glacière. Orientés dans leurs investigations par leurs homologues italiens, les policiers français avaient été alertés que le même individu devait se présenter de nouveau à l'hôtel de la formation américaine lors de cette seconde journée de repos. Munis de la photographie du mystérieux homme, les policiers ont guetté. Apparemment sans résultat.

PLUSIEURS ANNÉES D'ENQUÊTES

La police française enquête sur le coureur texan depuis plusieurs années. Lors du Tour 2004, les fonctionnaires du groupe "surdoses et dopage" de la brigade des stupéfiants de Paris avaient interrogé Emma O'Reilly, une ancienne soigneuse personnelle de l'Américain.

Sur procès-verbal, l'Irlandaise avait confirmé toutes les informations qu'elle avait livrées à Pierre Ballester et David Walsh, les auteurs du livre-enquête L.A. Confidentiel, Les secrets de Lance Armstrong: le coureur américain, affirme-t-elle, lui avait demandé de se débarrasser d'un sac rempli de seringues après le Tour des Pays-Bas 1998, de lui maquiller le bras pour dissimuler des hématomes causés par les piqûres ou encore d'aller lui chercher en toute discrétion des médicaments au siège espagnol de l'US Postal, en 1999.

Peu après, les inspecteurs de la brigade des stupéfiants s'étaient rendus au tribunal de grande instance d'Annecy pour rencontrer le procureur de la République, Philippe Drouet. En janvier 2005, celui-ci a ouvert une enquête préliminaire sur les agissements d'un ostéopathe exerçant à Annecy. La police le soupçonne d'avoir joué un rôle dans un dispositif qu'auraient mis en place Lance Armstrong et son équipe pour échapper aux contrôles antidopage grâce à l'utilisation de produits masquants.

L'ostéopathe français affirme avoir seulement rencontré le Texan à deux reprises: une première fois en 2002, pour "des conseils nutritionnels". et à une seconde reprise lors du Tour du centenaire, en 2003, pour "des soins d'ostéopathie". Le Savoyard explique avoir connu le coureur par l'intermédiaire de son entraîneur, Chris Carmichael, lorsqu'il conseillait une équipe de VTT aux Etats-Unis. En 1997, un de ses protégés, le champion d'Europe 1995 de cross-country, avait été suspendu la veille des championnats du monde de VTT pour un hématocrite supérieur à 50%. Contacté par Le Monde. le parquet d'Annecy n'a pas souhaité faire de commentaire sur l'enquête en cours.

Quelques années auparavant, le 22 novembre 2000, la juge parisienne Sophie-Hélène Château avait ouvert une information judiciaire contre X... pour "infraction à la loi relative à la prévention de l'usage deproduits dopants, incitation à l'usage de produits dopants et infraction à la législation sur l es substances vénéneuses". Le 18 juillet 2000, lors de l'étape du Tour Courchevel-Morzine, des journalistes de France 3 avaient filmé le médecin et le chiropracteur de l'US Postal en train de se débarrasser de sacs-poubelle sur une aire d'autoroute. Les sacs renfermaient notamment des emballages d'Actovegin, un produit à base de sang de veau.

"CELUI QUI FOURNIT"

Sur commission rogatoire de la juge Château, le groupe "surdose et dopage" de la brigade des stupéfiants avait interrogé Johan Bruyneel et Luis Garcia del Moral, respectivement directeur sportif et médecin de l'US Postal. Sans résultat. Ils avaient également essayé de faire venir les coureurs quai des Orfèvres, pour pratiquer des prélèvements capillaires afin de rechercher la présence éventuelle de produits dopants. En vain.

Fin août 2002, la juge d'instruction avait rendu une ordonnance de non-lieu. "La situation des sportifs aux termes de la loi française exclut tout moyen de coercition à leur égard, avait alors précisé le procureur François Franchi, chef de la section de lutte contre la criminalité non organisée du parquet de Paris. Celui qui est visé par la loi est celui qui fournit les produits, pas celui qui les utilise."

Stéphane Mandard, Guillaume Prébois (à Milan) et Olivier Zilbertin
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Sports
Jan Ullrich serait "très déçu" si l'affaire était "confirmée"

 L es révélations de L'Equipe. mardi 22 août, sur l'utilisation d'érythropoïétine (EPO) par Lance Armstrong pendant le Tour de France 1999 ne laissent pas indifférents le peloton des professionnels et le milieu du cyclisme. Déception, surprise, méfiance, toute la palette des sentiments est invoquée.

Sur le site Internet de son équipe T-Mobile, l'Allemand Jan Ullrich raconte ainsi comment, mardi matin, avant le départ de la 9e et dernière étape du Tour d'Allemagne, où il a finalement fini 2e derrière l'Américain Levi Leipheimer (Gerolsteiner), l'information "s'est répandue comme une traînée de poudre".

"Il est clair, prévient le vainqueur du Tour 1998, qui n'a pas couru l'édition 1999, que je serais très déçu si les informations contenues dans cet article étaient confirmées."

Parmi les anciens coureurs, nombreux sont ceux qui défendent le septuple vainqueur de la Grande Boucle. Ainsi du quintuple vainqueur belge du Tour, Eddy Merckx. "C'est du journalisme à sensation, affirme-t-il. Armstrong m'a toujours affirmé ne jamais s'être dopé. Entre [ce qu'écrit] un journaliste et la parole de Lance, je fais confiance à Armstrong. Par ailleurs, il faudrait lui donner la chance de se défendre. Or il semble qu'une contre-analyse ne soit pas possible. Cette histoire de 1999, c'est donc chercher midi à quatorze heures. Oui, je continue à faire confiance à Lance Armstrong."

La manière dont sont apparus les faits heurte aussi Marie-George Buffet, qui était ministre des sports en 1999. "J'avoue être un peu gênée de l'utilisation par L'Equipe de ces contrôles a posteriori, qui n'en étaient pas, puisqu'il s'agissait de recherche pour affiner encore la définition de l'EPO, parce qu'on dit ou on ne dit pas tout, et, selon le document, d'autres flacons sont concernés. Or on publie un seul nom". a-t-elle expliqué.

Pour l'actuel ministre, Jean-François Lamour, l'enseignement est ailleurs: "Je suis convaincu qu'il faut qu'il y ait une épée de Damoclès sur la tête de ceux qui veulent tricher et de ceux qui les aident à tricher". affirme-t-il. Et pour cela, constate-t-il, "il faut que nous soyons en capacité de recontrôler a posteriori un certain nombre de flacons".

(Avec AFP.)
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Sports
En 1999, les doutes, déjà, et la légende du "miraculé"

 L' histoire était si belle. Dans ce Tour 1999, la victoire de Lance Armstrong sur ses adversaires et plus encore sur lui-même ne pouvait que susciter le lyrisme des ménestrels qui accompagnent chaque mois de juillet le peloton sur les routes de France. Le rescapé du cancer, à qui, fin 1996, les médecins ne donnaient qu'une chance de survie sur deux, remportait une des épreuves les plus dures du sport moderne: on était là dans la chanson de geste. Survenue dix ans plus tôt, une telle épopée aurait immédiatement figuré, bordée d'enluminures, dans la légende du Tour.

Mais 1999 venait après 1998, ce tour du déshonneur, avec arrivées d'étape au commissariat. Les verves s'étaient singulièrement émoussées à la lecture d'arides procès-verbaux. Le dopage avait inoculé le doute. "Cette année, je proscris les superlatifs". avait prévenu un chroniqueur désabusé comme qui décide d'arrêter de boire.

Les organisateurs savaient qu'ils risquaient gros dans cette 86e édition, qu'ils avaient baptisée "Tour du renouveau". "Le cyclisme a trois semaines pour se réhabiliter". assurait Jean-Marie Leblanc, directeur général de l'épreuve. Le peloton se fit donc exemplaire. Il n'était qu'une chose à reprocher aux héros en quête de rachat: leur refus obstiné de parler du dopage. Aborder le sujet aboutissait immanquablement à se retrouver avec un boyau arrière comme interlocuteur. Une chape était retombée sur le peloton.

DU DÉGOÛT, EN APARTÉ

Les faux-semblants auront duré jusqu'à la première étape de montagne, le 13 juillet, entre Le Grand-Bornand et Sestrières. Après avoir dominé le contre-la-montre, à Metz, et repris le maillot jaune, Lance Armstrong s'imposait sans le moindre stigmate d'effort. Lui qui n'avait jusque-là fait que de la figuration dans les gruppetti dès que s'élevait la route, terminait détaché sous l'orage.

Ce soir-là, trempés, humiliés, de nombreux coureurs exprimèrent leur dégoût en aparté. Mais aucun n'osa s'épancher publiquement. A Sestrières, Lance Armstrong n'avait pas seulement assis sa première victoire dans le Tour. Il avait également endossé un statut de patron qu'il défendra pendant sept ans.

Un seul homme bravait encore l'interdit: Christophe Bassons. Ce jeune coureur de La Française des jeux osait exprimer sans détour ses doutes. Dans les premiers kilomètres de l'étape suivante, Lance Armstrong se glissa à ses côtés. "Fous le camp !". lui intima-t-il. Deux jours plus tard, épuisé physiquement et moralement, las des invectives de cabots qui s'étaient trouvés un nouveau maître, Christophe Bassons abandonnait.

Le Tour du renouveau espérait une relève. Il avait éclos d'un revenant de 28 ans. La caravane regarda d'abord avec circonspection cette prise de pouvoir inattendue. Elle avalait mal les explications techniques fournies pour justifier la transformation du champion: perte de poids, accélération de la cadence de pédalage, effet de résilience, souci du détail, de la diététique et, bien sûr, travail acharné. On lui en avait déjà tellement servi, dans ce registre.

L'arrivée massive des médias américains, par l'histoire alléchés, ôta les inhibitions. Ces journalistes commencèrent à forger l'image du "miraculé" qui vaudra au champion un prestige inégalé dans son pays. A L'Alpe-d'Huez, le 14 juillet, un présentateur enthousiaste s'extasiait ainsi sur "l'homme qui avait sauvé le Tour de France". Les thuriféraires ont brodé de toutes pièces le mythe. Les suiveurs ont suivi. Et les superlatifs sont réapparus. La salle de presse, naguère solidaire, se divisa en deux camps irréductibles: les convaincus et ces fameux sceptiques que Lance Armstrong ne cessera de fustiger. Une fracture qui gagnera le public et perdurera sept ans. L'annonce par Le Monde. le 23 juillet, que Lance Armstrong avait été contrôlé positif aux corticoïdes ajouta au trouble. "Me traitez-vous de menteur ou de dopé, Mr Le Monde ?". lança Lance Armstrong à l'envoyé spécial de ce journal. Un opportun certificat médical, justifiant la prise d'une pommade, mit fin pour un temps à la polémique.

D'autres soupçons naîtront, les années suivantes, d'autres enquêtes, judiciaires et journalistiques, qui n'auraient sans doute jamais existé si le coureur avait atteint la gloire avant 1998. L'Amérique, elle, refusera systématiquement d'apporter le moindre codicille à son dithyrambe, faisant encore récemment de son héros un candidat potentiel à la présidence du pays. Ce ne sont pas les dernières révélations qui semblent vouloir la dessiller. L'histoire était si belle, il est vrai. Quel regret de ne pouvoir la croire !

Benoît Hopquin
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Sports
Trois questions à... Dick Pound

 1 -  En tant que président de l'Agence mondiale antidopage (AMA), avez-vous le pouvoir de prendre des sanctions à l'encontre de Lance Armstrong dans cette affaire ?

Le code mondial antidopage prévoit que l'on peut disqualifier un sportif rétroactivement jusqu'à huit ans après qu'il a subi un contrôle positif. Le cas présent remonte à six ans. Mais, malheureusement, en 1999, le code mondial antidopage n'existait pas encore. L'AMA elle-même n'a été créée qu'en novembre 1999. C'est dommage, mais il est difficile d'assumer une juridiction rétrospectivement. C'est l'Union cycliste internationale (UCI) qui est la juridiction compétente.

2 - Mais pensez-vous que Hein Verbruggen, le président de l'UCI, aura la volonté de lancer des procédures disciplinaires à l'encontre du septuple vainqueur du Tour ?

Ce serait un coup encore plus dur pour le cyclisme si l'UCI ne prenait pas de sanction. Si les faits sont avérés ­ et apparemment tous les éléments nécessaires à prouver la culpabilité de Lance Armstrong sont réunis ­, l'UCI ne peut pas rester sans rien faire.

Les résultats des analyses réalisées ont été envoyés au bureau de l'AMA, et nous sommes en train d'étudier les possibilités juridiques qui s'offrent à nous. Même si nous savons qu'il nous est difficile d'envisager une action, nous allons encourager la fédération internationale de cyclisme à agir.

3 - Avant le Tour 2004, Lance Armstrong vous avait adressé une lettre ouverte dans laquelle il mettait en cause votre place à la tête de l'AMA et affirmait sa probité, soulignant qu'il était le sportif le plus contrôlé au monde...

Ces nouveaux éléments montrent que ce n'est pas parce qu'un sportif affirme qu'il a été contrôlé 200 fois sans jamais avoir été contrôlé positif que cela signifie pour autant qu'il ne s'est pas dopé. Cette affaire montre en tout cas que n'importe quand, même quelques années plus tard, on peut rattraper les tricheurs.

Propos recueillis par Stéphane Mandard
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Sports
Les révélations du quotidien sportif L'Equipe. mardi 23 août, sur l'utilisation d'érythropoïétine (EPO) par le septuple vainqueur américain du Tour de France, Lance Armstrong, ne concernent que sa première victoire, en 1999. Pourquoi si tard ? L'Américain peut-il être sanctionné ? Depuis, le cyclisme a-t-il changé ? Eléments de réponse.
L'impunité de Lance Armstrong en question

 P ourquoi les tests portent-ils sur les échantillons de 1999 ?

Au départ, il ne s'agissait que d'affiner une méthode de recherche de l'érythropoïétine (EPO) dans les urines. Pour ce travail de recherche, le laboratoire de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) a décidé d'analyser tous les échantillons "B" des tests antidopage effectués à l'occasion du Tour de France 1999. Ce choix a été dicté par plusieurs raisons: les échantillons de 1998 avaient déjà été utilisés, et ceux de 2000 sont toujours sous scellés, en raison d'une enquête judiciaire sur une affaire de dopage, concernant l'équipe US Postal de Lance Armstrong. Quant aux échantillons des années suivantes, ils présentent peu d'intérêt: les tests de recherche de l'EPO dans les urines ayant été utilisés sur le Tour à partir de 2001, les coureurs disposaient déjà des moyens de ne pas se faire prendre.

Les tests réalisés, comme tous ceux effectués par les laboratoires antidopage, sont anonymes. C'est le journal L'Equipe. en faisant le rapprochement avec les procès-verbaux rédigés à l'occasion des contrôles, en 1999, qui a abouti à la conclusion que Lance Armstrong a utilisé de l'EPO.

Durant ce Tour victorieux, Lance Armstrong avait porté quinze jours le maillot jaune et avait remporté quatre étapes. Il a donc été logiquement le plus contrôlé des coureurs de l'épreuve.

Pourquoi l'affaire n'est-elle publiée que maintenant ?

Pour expliquer la publication des informations près d'un mois après la fin du Tour de France, synonyme de retraite pour Lance Armstrong, Michel Dalloni, directeur de la rédaction de L'Eq uipe. revient sur la chronologie de l'enquête menée par le journal. "Damien Ressiot, l'un de nos journalistes, a eu vent il y a quelques mois du fait que le Laboratoire national de dépistage du dopage [LNDD] effectuait depuis la fin de 2004 des analyses sur des échantillons d'urine prélevés en 1999, qui donnaient lieu à des résultats étonnants, avec la découverte d'EPO". Le journaliste s'est alors attaché à se procurer les résultats des examens des échantillons anonymes, ainsi que les procès-verbaux rédigés lors des prélèvements en 1999.

"Obtenir ces documents et procéder à toutes les vérifications et les recoupements nécessaires a pris du temps, et n'a pu être complètement verrouillé que ces jours-ci", assure M. Dalloni.

Il ajoute que l'appartenance du quotidien sportif au groupe Amaury, dont une autre filiale, Amaury Sport Organisation (ASO), gère le Tour de France, n'a eu aucune influence sur la date de publication de cette enquête. "L'Equipe et ASO sont deux entreprises différentes, et le journal n'organise pas le Tour."

Que risque Lance Armstrong ?

Les tests réalisés par le LNDD sont fiables et ne laissent "aucun doute sur la validité du résultat", affirme le directeur du laboratoire, Jacques de Ceaurriz. Mais ce ne sont pas des contrôles antidopage officiels, qui permettent une contre-expertise. Une sanction paraît donc difficile à envisager.

Seule l'Union cycliste internationale (UCI) pourrait éventuellement en décider. "Dans ce cas seulement, en tant qu'organisateurs de l'épreuve, nous pourrions nous associer au pouvoir sportif, je ne sais pas encore sous quelle forme, a expliqué Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour de France. En réclamant, par exemple, un déclassement."

Les révélations de L'Equipe ne seront cependant pas sans effet: elles devraient en particulier apporter un peu d'eau au moulin de la compagnie d'assurance texane SCA Promotions, avec laquelle le coureur est en conflit à propos d'une somme de 5 millions de dollars, que l'assureur refuse de lui verser pour sa victoire dans le Tour 2004. "Pour mes clients, c'est une preuve matérielle et plus seulement des suspicions, explique Me Thibault de Montbrial, qui défend les intérêts de la société en France. Lorsqu'il a signé le contrat en 2001 avec SCA Promotions, il leur a caché un élément essentiel: qu'il s'était dopée en 1999, poursuit l'avocat. Il n'a pas respecté la bonne foi contractuelle." Un procès est prévu fin 2006 au Texas.

Les contrôles antidopage sont-ils aujourd'hui fiables ?

Non reconnue lors du Tour 1999, mais validée par l'UCI le 1er avril 2001, la méthode mise au point par le laboratoire de Châtenay-Malabry est "extrêmement fiable, dans une fenêtre de détection comprise entre 48 et 72 heures après l'injection, alors que les effets se font sentir pendant deux à trois semaines", explique Michel Rieu, professeur des universités et conseiller scientifique du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD). "Le problème, ajoute-t-il, c'est que la méthodologie des sportifs pour contourner les contrôles s'est adaptée à cette nouvelle donne: en fonction des compétitions disputées, ils prennent pendant une courte période des doses élevées, puis un peu plus tard des "microdoses" difficilement décelables."

Lors du Tour 2005, 164 contrôles avaient été effectués, pour un seul cas litigieux, d'ailleurs classé sans suite par la commission antidopage de l'UCI. Pour Michel Rieu, la solution pour piéger les "tricheurs" serait de "multiplier les contrôles inopinés aux moments opportuns, c'est-à-dire à des moments où l'on sait que la cure d'EPO va être efficace pour la compétition à venir".

Service sports
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Le deuil martiniquais

 P our une fois, les habitants des départements français des Antilles ne se sont pas sentis oubliés par la métropole. De ce point de vue, l'hommage national organisé mercredi 24 août pour les victimes du crash aérien du 16 août, qui a fait 160 morts, dont 152 Français de Martinique, est comme le symbole d'un lien renouvelé, d'une forme de respect auquel les Martiniquais ont été d'autant plus sensibles qu'ils ne s'y attendaient peut-être pas.

Certes, il aura fallu des circonstances tragiques pour rapprocher la Martinique de la métropole. Mais, face à la catastrophe de l'avion de la West Caribbean, la France, sous l'impulsion du président de la République, a répondu "présent". Jacques Chirac, qui connaît bien l'outre-mer et y est populaire, a compris qu'en ces instants de douleur, la Martinique a besoin de la solidarité et même de l'affection nationales.

M. Chirac, qui participe lui-même à la cérémonie oecuménique organisée mercredi au stade Dillon de Fort-de-France, a envoyé au Venezuela, puis sur place, le ministre des DOM-TOM, François Baroin. En liaison constante avec l'Elysée, M. Baroin ne s'est pas contenté d'un déplacement ministériel éclair. Il est resté pendant une semaine.

L'amorce de polémique avec le président du conseil régional, l'indépendantiste Alfred Marie-Jeanne, n'a pas troublé cette atmosphère de cohésion nationale. Au contraire, même, puisque M. Marie-Jeanne devait accueillir M. Chirac à son arrivée en Martinique, ce qui était une première.

De leur côté, les Martiniquais ont renvoyé à la métropole une image de dignité, de cohésion et de solidarité. Dans un premier temps, l'ampleur du traumatisme subi par les Antillais a pu surprendre l'opinion dans l'Hexagone. C'était oublier qu'il faut rapporter le bilan des pertes à une population martiniquaise d'à peine 395 000 habitants. C'est un peu comme si, en métropole, un désastre avait provoqué d'un coup plus de 20 000 morts.

En outre, la Martinique est une petite communauté insulaire. Comme dans toutes les îles, les liens humains et familiaux, le sentiment d'appartenance à une même entité y sont plus forts que sur un grand continent. Les Martiniquais ont vécu leur deuil en conjuguant leur spécificité antillaise et leur appartenance à la nation française.

Au bout du compte, la catastrophe de Maracaibo aura sans doute resserré les liens entre la Métropole et ses lointains territoires des Caraïbes. Peut-on espérer que le choc aura été assez fort pour que ces sortes de retrouvailles autour d'un drame ne soient pas qu'un instant fugace de communion, mais trouvent leur prolongement dans la durée, la vie quotidienne et une attention plus forte portée aux problèmes de nos compatriotes antillais ?

Y aura-t-il, y compris en bien, un "avant" et un "après-Maracaibo", comme le pense le poète Aimé Césaire ? C'est l'enjeu auquel seront confrontés les pouvoirs publics. Après le deuil.

Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
La France rend un hommage national aux morts de Martinique

 L a cérémonie d'hommage national aux victimes de l'accident d'un avion de la West Caribbean qui s'est produit le 16 août au Vénézuela devait réunir, mercredi 24 août, au stade Dillon de Fort-de-France (Martinique) plusieurs milliers de personnes, en présence de Jacques Chirac et du ministre de l'outre-mer, François Baroin, de tous les élus de l'île, ainsi que du premier secrétaire du PS, François Hollande.

Au moment de la célébration oecuménique de la Martinique, à 10 h (16 heures en métropole), avec des représentants de tous les cultes existant sur l'île, catholique, orthodoxe, adventiste, évangélique, hindou, juif, musulman, une messe a été organisée à Notre-Dame de Paris, en présence du premier ministre, Dominique de Villepin, et de Bernadette Chirac. Les drapeaux ont été mis en berne sur le tout territoire français et les établissements publics et privés de la Martinique, fermés.

Aucune cérémonie de cette ampleur, à la laquelle assiste le président du Venezuela, Hugo Chavez, avec d'autres officiels étrangers, n'avait jamais été organisée par la France.

"A la demande des élus socialistes de Martinique", précise un communiqué publié, mardi, par le PS, même le chef de l'opposition, François Hollande s'est rendu sur l'île, remplacé au dernier moment par son bras droit, François Rebsamen, à un déjeuner prévu avec la presse à Paris. Les élus martiniquais ont fait valoir au premier secrétaire qu'il ne pouvait être absent de cette cérémonie solennelle en hommage aux 152 disparus de la Martinique, où il se rend accompagné du secrétaire national à l'outre-mer de son parti, Victorin Lurel, président de la région Guadeloupe.

De son côté, Jacques Chirac, qui, par penchant personnel et politique, use volontiers du registre compassionnel, ne s'est "même pas posé la question" de sa venue, évidente, à Fort-de-France, assure son entourage. Une présence à la fois solennelle, au stade Dillon, et plus personnelle et intime, puisque le président a prévu de rencontrer durant deux heures, les familles des victimes, à huis clos.

Ses proches insistaient davantage, mercredi, sur cet aspect de sa visite. M. Chirac ne se pardonne guère son absence durant la canicule de l'été 2003. Lors du dernier conseil des ministres du 2 août, il a personnellement ordonné à chaque membre du gouvernement d'être disponible et joignable à tout moment.

Cette ferme recommandation prenait d'autant plus de poids, après une série d'échecs politiques retentissants: le non au référendum du 29 mai, suivi d'une semi-capitulation devant Nicolas Sarkozy au 14 juillet. Le président ne peut guère échouer sur ce qui reste aujourd'hui sa marque: la communion compassionnelle avec les Français.

L'annonce de sa venue a été bien ressentie en Martinique. L'entregent du ministre François Baroin, sur place pour préparer la cérémonie, ont également joué, tandis que les tensions entretenues, immédiatement après l'accident, par les élus indépendantistes de l'île ont provoqué une certaine gêne dans la population. Celle-ci n'avait qu'un désir: honorer convenablement ses morts.

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / France
RONAN ORIO, médecin psychiatre urgentiste au centre hospitalier universitaire de Nantes
"Les responsables politiques se réfugient dans la communication"

 V ous venez de passer une semaine au Venezuela pour accueillir les familles des victimes de la catastrophe aérienne qui a fait 160 morts, dont 152 Français, le 16 août. Le Quai d'Orsay envoie-t-il toujours des psychiatres sur les lieux de catastrophes ?

Non. On envoie toujours beaucoup de médecins, mais les pratiques se modifient. Parmi les 120 accompagnants dépêchés sur cet accident, mon rôle a consisté à aider les familles, mais aussi à apporter, comme psychiatre, une "aide à l'analyse". Les diplomates n'ont pas toujours de solutions pour mettre en place un dispositif d'urgence ou organiser des cérémonies.

C'est la nouveauté des catastrophes: l'installation immédiate de cellules de crise, comme si les familles de victimes, perdues dans leur chagrin, étaient aussi malades...

C'est un peu difficile pour moi de le dire, mais il est clair que ces hommes en blanc que l'on voit partout ne font pas de la médecine. Ils sont les officiants de la cérémonie. Ils rassurent. Ils servent aussi sans doute à donner l'illusion que l'Etat et les politiques ont la maîtrise de la situation.

Lors du crash de Charm el-Cheikh, en janvier 2004, vous aviez déjà été mandaté par le Quai d'Orsay pour "organiser l'événement". En Egypte, les familles de victimes avaient été protégées des médias. Au Venezuela, en revanche, les journalistes se sont mélangés aux familles, ont assisté aux réunions d'information...

Nous avons changé de stratégie. Nous nous adaptons très rapidement, en tenant compte de l'évolution des mentalités. Je ne regarde pas les émissions de télé-réalité, mais je sais que nous sommes dans l'ère de la célébrité facile. En quelques secondes, la télé fait de vous une star.

J'ai compris que les gens avaient besoin de se confier -aux journalistes- , que cela faisait partie, d'une certaine manière, de leur soulagement. Une minute trente, on veut une petite histoire...

C'est le format exigé par les médias. Je l'ai accepté: j'ai pensé qu'en refusant ces contacts je refusais l'évolution sociale. Je ne suis pas là pour éduquer, je suis là pour faire de la pédagogie.

Les familles endeuillées adoptent désormais un vocabulaire qui, naguère, n'appartenait qu'aux psychologues. Par exemple, "faire son travail de deuil"...

On ne sait pas d'où sortent ces formules, qui tiennent plus de la magie que de la science. Ce sont des termes qui correspondent à ce que j'appellerai des truismes incantatoires. Il y a des formules qu'il faut prononcer, dans un rite quasi liturgique.

Autre évolution: aujourd'hui, les familles veulent absolument "voir les corps", quel que soit leur état...

Notre époque est fascinée par la mort. Cette requête, morbide, est devenue partie intégrante de la cérémonie. Il y a aussi une autre valeur de cette requête: on réclame quelque chose qu'on ne peut pas obtenir. S'installe ainsi un discours "victimaire" rassurant qui rejoint les thèses complotistes à la mode ­ on nous ment, on nous trahit, on nous trompe. Les petites gens sont victimes des personnages importants.

Au Venezuela, une rumeur a commencé à enfler il y a quelques jours: les corps seraient tous dans une fosse commune. Il faut démentir, mais parfois on ne peut pas lutter.

Dans votre fonction, vous observez toutes ces transformations sociales. Mais quel peut-être votre rôle ?

Mon rôle, c'est de donner du sens à l'événement et expliquer que chacun peut vivre la mort à sa façon, loin du politiquement correct, loin de formes de deuil et de discours standardisés, sans être pour autant scandaleux. S'est en effet installée une sorte de discours totalitaire qui voudrait que, si on récupère le corps, si on est indemnisé, on sera guéri. C'est évidemment faux. Il faut expliquer aux gens qu'ils devront être patients: treize ans après la catastrophe du mont Sainte-Odile, l'enquête est tout juste close et les restes de corps du crash de Charm el-Cheikh ne sont toujours pas restitués.

On assiste aussi à un phénomène de mondialisation des cérémonies de deuil, où les spécificités ethniques s'estompent, disparaissent.

Jacques Chirac devait présider, mercredi 24 août, un hommage national mais religieux dans un lieu profane, le stade de Dillon, sans tenir de discours. Qu'en pensez-vous ?

Les hommes politiques sont devenus les officiants de cérémonies toujours oecuméniques. Dans ces retrouvailles, il ne faut fâcher ni les religions ni les partis politiques.

Comme ils n'ont plus de pouvoir d'action sur la réalité sociale, les responsables politiques se réfugient dans la communication. La communication compassionnelle, celle qui prend aux tripes, est celle qui, aujourd'hui, paraît la meilleure voie possible.

Propos recueillis par Ariane Chemin
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / International
Les chiites d'Irak étalent leurs divisions sur la Constitution

 D e sanglants affrontements ont opposé, mercredi 24 août, des partisans de l'imam chiite Moktada Al-Sadr à la police et à des milices rivales à Nadjaf, Bagdad et dans d'autres villes irakiennes. Moktada Al-Sadr s'est joint aux dirigeants de la minorité sunnite pour dénoncer le projet de Constitution qui risque, selon eux, de faire éclater le pays.

A Nadjaf, ville sainte du chiisme, cinq personnes sont mortes et sept ont été blessées dans des affrontements entre partisans et adversaires de la mouvance du chef radical Moqtada Al-Sadr. Les partisans de l'imam chiite ont accusé les forces gouvernementales d'avoir mené une attaque. Celles-ci ont démenti. Ces incidents ont eu lieu après la tentative de partisans de l'imam chiite de se réinstaller dans le cœur de la ville sainte, à 160 km au sud de Bagdad, à laquelle se sont opposés des habitants. Des miliciens de Moktada Al-Sadr se sont emparés des permanences du parti Dawa du premier ministre chiite Ibrahim Jaafari à Bagdad et se sont déployés en force à Nassiriya, dans le sud du pays.

"LE LANGAGE DES ARMES DOIT CESSER"

Pour protester contre ces violences, deux ministres proches de l'imam chiite – le ministre des transports, Salam Al-Maliki, et de celui de la santé, Abdel Mouttaleb Mohammed Ali –, ont suspendu leur participation au gouvernement, selon M. Amiri. Les députés de la même mouvance ont également suspendu leur participation à l'Assemblée. M. Jaafari est intervenu à la télévision publique Iraqia pour lancer un appel au calme et annoncer la formation d'une commission d'enquête. "Je condamne ces événements prenant pour cibles les bureaux d'autorités religieuses", a dit M. Jaafari en promettant une enquête afin de déterminer qui est à l'origine de ces troubles. "Le langage des armes doit cesser", a-t-il ajouté en invitant les chiites à se souvenir de la répression qu'ils subissaient sous Saddam Hussein.

DÉPÔT JEUDI DE LA VERSION DÉFINITIVE DE LA CONSTITUTION

Des partisans de Moktada Al-Sadr ont manifesté ces derniers jours contre le projet de Constitution et certains d'entre eux se sont joints mercredi à des manifestants sunnites mobilisés pour tenter de faire échouer le référendum prévu en octobre sur le texte. Les sunnites, qui avaient boycotté les élections législatives de janvier, ne sont guère représentés au Parlement. Ils craignent que le système fédéral proposé dans le projet de Constitution les prive des ressources pétrolières au profit des régions kurdes et chiites.

A la veille de la réunion du Parlement consacrée au dépôt de la version définitive de la Constitution, les chefs politiques ne semblent pas avoir aplani leurs divergences sur les questions essentielles du fédéralisme, du statut du parti Baas et de la répartition des pouvoirs au sommet de l'Etat.

Le négociateur sunnite Saleh Al-Motlak a accusé dans la soirée les chiites d'avoir fait échouer une réunion des chefs politiques en n'y envoyant que des délégués qui ne sont pas mandatés pour négocier. Il a reproché au chef chiite Abdel Aziz Hakim de ne pas avoir fait le déplacement et affirmé ne plus s'attendre à un consensus sur le texte. "Nous voulons que la Constitution souligne clairement l'unité de l'Irak et interdise toute possibilité de le diviser", a-t-il souligné.

Le Comité des oulémas irakiens, la principale association de religieux sunnites du pays, a tiré quant à lui à boulets rouges sur le texte et appelé les Etats-Unis à mettre fin à leur "occupation et à laisser les Irakiens élaborer leur Constitution sans ingérence étrangère".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 25.08.05 | 08h15


Le Monde / Sports
Pour sa défense, Lance Armstrong évoque un complot anti-américain

 L' expert français Jacques de Ceaurriz, à l'origine des révélations sur le cycliste américain Lance Armstrong, a indiqué à un quotidien allemand que l'analyse d'échantillons prélevés lors du Tour de France 1998 avait révélé quarante cas de dopage à l'érythropoïétine (EPO).

Dans un entretien au Süddeutsche Zeitung à paraître vendredi 26 août, Jacques de Ceaurriz, directeur du laboratoire français de dépistage du dopage (LNDD), a expliqué que son équipe a également analysé d'autres échantillons prélevés lors du Tour de France. Pour l'édition 1999 du Tour, a-t-il rappelé, "nous avons analysé environ 70 échantillons et 12 se sont révélés positifs" dont, selon le quotidien L'Equipe, celui de l'Américain Lance Armstrong, septuple vainqueur du Tour.

"En ce qui concerne le Tour 1998, 70 échantillons ont été analysés et 40 se sont révélés positifs, mais attention, cela ne veut pas dire que 40 coureurs différents se sont dopés", a souligné Jacques de Ceaurriz. "Cela ne peut concerner qu'une petite partie du peloton", a insisté le patron du LNDD.

NOUVELLE MÉTHODE DE DOPAGE

Jacques de Ceaurriz a par ailleurs indiqué que ces analyses ont été menées à la demande de l'Agence mondiale antidopage (AMA) qui voulait savoir si "les sportifs n'avaient pas changé leur façon de recourir au dopage lors des dernières années." "L'AMA avait l'impression que les coureurs prenaient de plus fortes doses de produits dopants pendant leur période d'entraînement et ne faisait plus que les 'rafraîchir' en course", a-t-il expliqué.

"Il nous fallait découvrir si ces petites doses prises pendant les courses étaient identifiables par nos tests. La question qui se pose derrière tout cela, est: 'ne faut-il pas revoir à la baisse les seuils à partir desquels on considère qu'un athlète est dopé ?'", a ajouté M. de Ceaurriz. L'expert de la lutte antidopage a également précisé qu'il ne redoutait pas une éventuelle procédure judiciaire à l'instigation d'Armstrong.

"Notre laboratoire a donné les conclusions de ses analyses aux autorités compétentes (l'AMA), nous ne les avons pas données à la presse directement et nous avons respecté l'anonymat des échantillons", a assuré Jacques de Ceaurriz.

VICTIME D'UN COMPLOT

Pour sa part, Lance Armstrong a lancé sa riposte des Etats-Unis, jeudi 25 août, face aux accusations de dopage invoquant dans la presse américaine un complot. L'Europe en général, et la France en particulier, lui en veut. Le Vieux Continent est jaloux du succès d'un "US Boy" dans l'un des sports dits "européens". Une ligne de défense très populaire outre-Atlantique.

Depuis son premier communiqué de presse, le coureur évoque une nouvelle "chasse aux sorcières". "Encore une fois, un journal européen rapporte que j'ai été contrôlé positif à des drogues favorisant la performance", dit-il. "Un gars dans un laboratoire parisien ouvre votre échantillon. Il le teste. Il n'y a personne pour l'observer, aucun protocole n'est suivi. Et ensuite vous recevez un appel d'un journal disant 'nous avons découvert que vous avez été six fois positif à l'EPO'. Depuis quand un journal gouverne-t-il le sport ?", a déclaré Armstrong lors de l'émission de CNN "Larry King Live".

Il a toutefois balayé pour le moment l'hypothèse de lancer une procédure judiciaire qui "coûterait un million et demi de dollars et une année de ma vie". "J'ai de bien meilleures choses à faire avec un million et demi... et avec mon temps", a déclaré le jeune retraité américain, pour lequel les révélations arrivent un peu tard pour le troubler.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 26.08.05 | 10h03


Le Monde / Entreprises
Un choc pétrolier plus violent que les précédents

 L e prix du baril WTI (brut léger américain) en termes réels, c'est-à-dire actualisés par l'inflation, avait été en hausse de 160% lors du premier choc pétrolier de 1973. Les cours du brut avaient un peu plus que doublé (+108%) lors du second choc pétrolier. Depuis le début 2002, ils ont déjà triplé (+196%). Selon les calculs réalisés par les économistes de la banque HSBC CCF, "le prix du baril WTI se rapproche dangereusement du record absolu de "cherté du baril" établi en mai 1980. Le niveau de 40 dollars auquel il culmina alors serait après actualisation par l'inflation américaine cumulée depuis mai 1980 équivalent à un niveau de 94 dollars aujourd'hui".

Le cours du baril de WTI a par ailleurs établi jeudi, un nouveau record en prix courants en franchissant les 68 dollars."Si le choc actuel est ressenti comme moins brutal, c'est principalement parce qu'il s'est étalé sur une période de temps plus longue: 43 mois cette fois-ci à comparer à dix mois en 1979/1980 et à 9 mois en 1973", précisent les experts de HSBC CCF. De plus, les prix du pétrole ont enregistré une pause entre octobre 2004 et mai 2005 favorisant un redressement, en juin et juillet, des indices de confiance des entreprises des pays industrialisés, signal précurseur d'une amélioration de la conjoncture au second semestre.

Le rebond brutal du prix du baril depuis la mi-2005 risque de la faire avorter, préviennent toujours les économistes de HSBC CCF. Ils rappelent pour cela que la très forte hausse des prix du baril intervenue entre février et octobre 2004 avait été suivie d'un net ralentissement de la croissance du PIB du G10 de la mi-2004 à la mi-2005."La capacité de l'offre de pétrole à répondre à une demande mondiale toujours en forte expansion demeure la question centrale depuis 2002", précisent-ils.

LE FACTEUR IRANIEN

"L'élément nouveau qui a contribué à l'accélération de la hausse du baril, c'est un facteur géopolitique susceptible de rester présent durablement. Les discussions entre les pays industrialisés et l'Iran sur la question nucléaire viennent d'entrer dans une impasse qui a toutes les chances de se prolonger et qui pourrait aboutir à une confrontation", poursuivent-ils.

"Dans ce contexte, les marchés craignent une spirale de représaille entre les pays industrialisés et l'Iran, deuxième pays producteur de l'OPEP derrière l'Arabie Saoudite." "Tant que le scénario principal demeure celui d'un rebond de la croissance dans le G10, le prix du baril WTI physique devrait continuer à fluctuer entre 60 dollars et 70 dollars d'ici fin 2005 avec une propension à rester proche de 70 dollars plutôt que de 60 dollars", le vrai débat consiste maintenant à savoir si "la complication géopolitique avec l'Iran est susceptible d'amener le prix du baril au-dessus de 70 dollars avant la fin de l'année 2005 pour se diriger ensuite vers 80$", préviennent-ils.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 26.08.05 | 21h27


Le Monde / France
Pétrole cher: M. Villepin consulte les industriels sur des mesures de riposte

 L a table ronde, qui a réuni plusieurs PDG de grands groupes et experts énergétiques pendant deux heures à l'Hôtel Matignon, n'a donné lieu à aucune décision. Elle visait cependant à faire le point sur les mesures possibles de riposte alors que le baril de pétrole flirte désormais avec les 70 dollars. "Le premier ministre voulait se faire une opinion. Il a demandé à ses interlocuteurs de lui faire des propositions concrètes et sera amené à faire des annonces dans quelques jours", a indiqué un des participants.

Etaient notamment présents les PDG de Total, Thierry Desmarest, d'EDF, Pierre Gadonneix, de Suez, Gérard Mestrallet, et de Veolia, Henri Proglio, ainsi que le président du Syndicat des énergies renouvelables, André Antolini, et la présidente de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'Energie (Ademe), Michèle Pappalardo."On sent que le pétrole est durablement cher", a déclaré le ministre de l'industrie, François Loos, résumant le sentiment général des participants, à l'issue de la réunion."Tout le monde a bien compris que le niveau d'économies d'énergie en France est bon mais devrait être encore meilleur, que de nombreux programmes de recherche sont nécessaires (et) qu'il y a beaucoup d'investissements à faire dans le raffinage, la production d'électricité, dans les énergies renouvelables", a-t-il ajouté.

Les économies d'énergie - qui pourraient notamment passer par une baisse des limitations de vitesse sur les routes - permettraient tout à la fois de réduire la dépendance énergétique de la France et de lutter contre le réchauffement climatique. "La problématique n'est pas seulement l'essence à la pompe et le pouvoir d'achat des Français mais tout autant celle du climat et de l'environnement", relève ainsi un participant.

DES MESURES ATTENDUES

Dominique de Villepin, contraint de réagir vite devant l'ampleur de l'inquiétude suscitée par la flambée des cours, pourrait s'exprimer sur ce sujet lors de sa conférence de presse jeudi. Le président Jacques Chirac doit aussi définir mardi à Reims "les grandes orientations de la nouvelle politique industrielle et d'innovation de la France". Le 16 août, le premier ministre, soulignant que la crise pétrolière était "appelée à durer", avait déjà prôné une politique de relance du nucléaire et de développement des énergies renouvelables. Il avait également appelé à une relance des investissements dans le domaine pétrolier, notamment dans le secteur du raffinage.

Parmi les idées sur la table figure aussi un renforcement du crédit d'impôt en faveur d'équipements moins consommateurs d'énergie tels que les voitures propres et chauffages fonctionnant à partir d'énergies renouvelables (chauffe-eau solaire, pompe à chaleur). Selon des participants, de nouveaux programmes de recherche-developpement sont également à l'étude, dans le cadre de l'Agence de l'innovation industrielle (AII), lancée jeudi, et de l'Agence nationale de la Rercherche (ANR). Ces programmes pourraient notamment porter sur la pile à combustible, les bioénergies et la sortie par les constructeurs français d'un véhicule hybride (diesel/électricité). Dans un bref communiqué, le premier ministre a appelé les acteurs du secteur à "accélérer et intensifier" leurs investissements et annoncé la création d'une "cellule de veille sur la situation pétrolière" associant experts publics et entreprises.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 26.08.05 | 21h21


Le Monde / Sciences
La mondialisation menace la planète Babel

 B abel brûle. La Terre abrite environ 6 000 langues, mais la grande majorité d'entre elles sont menacées de disparition. Environ 97% de la population parlent 4% des langues du monde. A l'inverse, presque 96% des langues ne sont parlées que par 3% des Terriens. Et 10% ont moins de 100 locuteurs. Ces chiffres, rassemblés par des experts mandatés par l'Unesco, témoignent d'une diversité linguistique effarante.

Mais environ la moitié des langues perdent actuellement des locuteurs. Cette tendance lourde ­ dénoncée entre autres par le linguiste Claude Hagège ­ pourrait se traduire par le remplacement de la moitié, voire de 90% des langues minoritaires, par les idiomes dominants d'ici à la fin du siècle...

Face à cette perspective, les linguistes de terrain, qui ont fait profession de décrire le fonctionnement, la richesse, l'histoire et l'évolution des langues, doivent, de plus en plus, se transformer en sauveteurs d'une ressource en voie de raréfaction. Petit tour des questions auxquelles ils sont confrontés.

Comment sait-on qu'il existe 6 000 langues aujourd'hui ?

"Il s'agit évidemment d'une approximation". indique Jon Landaburu, recteur du centre d'études des langues indigènes d'Amérique (Celia, CNRS). D'autant que les démarcations construites par les locuteurs eux-mêmes peuvent être artificielles, "comme entre les Serbes et les Croates". rappelle le chercheur.

Les linguistes ont cependant établi des critères scientifiques de distinction. "On procède comme les biologis tes: on fait des relevés sur le terrain". indique Claire Moyse-Faurie, spécialiste de l'Océanie au laboratoire des langues et civilisations à tradition orale (Lacito, CNRS). Ces entomologistes de la langue traduisent 600termes de base. Lorsque 85% d'entre eux sont partagés par deux idiomes, on considère qu'il s'agit de dialectes. Ces recensements peuvent être trompeurs, car les locuteurs, flattés de l'intérêt porté à leur langue, ont tendance à exagérer les différences.

Cette première enquête, auprès d'un interlocuteur "compétent", peut ne prendre qu'un ou deux jours. Mais la description plus approfondie d'une langue tient du sacerdoce. "Il faut cinq ans pour faire le tour d'une langue, voire dix pour en tirer un dictionnaire". indique Bernard Caron, directeur du laboratoire langage, langues et cultures d'Afrique noire (Llacan, CNRS).

A quoi tient la diversité linguistique ?

Les langues, comme les espèces animales et végétales, sont filles de l'isolement. Qu'un peuple se divise et occupe deux régions séparées, et les deux groupes finiront par parler deux idiomes différents. "Les choses ne sont pas si simples". tempère Alexandre François (Lacito, CNRS), spécialiste du Vanuatu, une nation de 200 000 habitants riche de 110 langues. "En Polynésie, il n'est pas rare qu'on se comprenne entre des îles pourtant éloignées les unes des autres, parce que historiquement des relations culturelles et économiques ont été maintenues". dit-il. Mais, à l'inverse, en Mélanésie, un mode de vie plus terrien peut aboutir à une division linguistique marquée sur un même territoire, comme sur l'île de Malekula (2 000 km2), où l'on recense 30 langues.

Quelle est la viabilité des langues ?

Cette question suscite des batailles de chiffres parmi les linguistes, certains soutenant que, avec un seul locuteur, une langue peut être "sauvée" ­ entendre: être étudiée, sous ses aspects lexicaux et grammaticaux. Mais d'autres considèrent qu'il faut se concentrer sur des groupes humains plus importants, capables de perpétuer eux-mêmes leur tradition linguistique.

"Le critère numérique n'est en fait pas le seul". rappelle Colette Grinevald, professeur de linguistique à Lyon-II. A la demande de l'Unesco, elle a participé en 2003, avec un groupe d'experts, à l'établissement d'outils d'évaluation de la vitalité des langues. Le premier facteur retenu est la transmission de la langue entre générations avant même le nombre absolu de locuteurs et leur proportion par rapport à la population totale. Viennent ensuite les critères d'usage de la langue, sa capacité à intégrer de nouveaux domaines lorsque les conditions de vie du groupe de locuteurs changent. Son usage dans les médias, l'existence de matériel pédagogique et d'une littérature propre sont aussi prépondérants, comme l'attitude des pouvoirs publics et des locuteurs eux-mêmes à l'égard de leur langue, parfois facteur de discrimination.

En Amérique latine, "la langue quechua est parlée par 8 millions de locuteurs. Mais, dans des zones entières, les enfants parlent espagnol. Dans trente ans, le quechua y aura disparu", prédit Colette Grinevald. A l'inverse, des petites tribus d'Amazonie peuvent perpétuer leur langue. "Celle-ci se porte bien. Ce sont les gens eux-mêmes qui sont en danger physique, en raison des maladies ou des déplacements forcés". indique la chercheuse.

Certains critères sont déterminants, en particulier la transmission dans les familles. "C'est le cas du maori: depuis une trentaine d'années, il fait l'objet d'une promotion scolaire particulière, qui n'a pas connu le succès escompté". rappelle Claire Moyse-Faurie.

Pourquoi les sauvegarder ?

"L'extinction de chaque langue provoque la perte irrémédiable de connaissances culturelles, historiques et écologiques uniques". répond l'Unesco. Le sauvetage peut être demandé par les intéressés eux-mêmes. Colette Grinevald a ainsi été appelée au chevet de la langue rama, au Nicaragua, par les sandinistes. "Au départ, ils voulaient apprendre l'espagnol aux Indiens, mais ceux-ci menaçaient de prendre les armes". se souvient-elle. La linguiste a donc été chargée d'étudier la langue rama. "Il n'y avait plus qu'une poignée de locuteurs pour un millier de Ramas, raconte-t-elle. Leur langue n'a pas été ressuscitée, mais les enfants connaissent plein de mots et savent qu'il s'agit d'une vraie langue. Ils sont rassurés: leurs ancêtres n'étaient pas des primitifs."

Comment les sauvegarder ?

Plusieurs programmes internationaux ont été lancés. L'Unesco soutient des programmes locaux. Des fondations privées s'y consacrent également, en collectant des données, comme la bibliothèque virtuelle du Rosetta Project. Certaines organisations protestantes, comme la puissante SIL américaine, sont très actives. Avec ses 5 000 membres présents dans 70 pays, elle accomplit un important travail de recensement dans le dessein de traduire la Bible. Mais ces "sectes" choisissent les langues les plus rentables en termes de nombre de fidèles accessibles.

Le sauvetage reste un travail de titan. Il peut réussir, comme le prouve la résurrection de l'hébreu, redevenu langue vivante grâce à Eliezer Ben Yehuda (1858-1922). En Amérique latine, certains mouvements indiens sont très volontaristes, avec la fabrication de dictionnaires illustrés. Au Guatemala, on trouve ainsi des livres illustrés traduisant en maya des scènes d'aéroport.

La survie des langues est aussi affaire de fierté. "En Amérique latine, dans les pays où la Constitution a reconnu les langues indigènes, les attitudes des intéressés changent. assure Jon Landaburu. "Au début, pour la réussite de leurs enfants, ils voulaient l'espagnol et l'arithmétique. se souvient-il. Ils s'aperçoivent aujourd'hui que les gamins alphabétisés dans leurlangue maternelle apprennent ensuite plus facilement l'espagnol."

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 26.08.05


Le Monde / Sciences
En Amérique latine, des linguistes au secours des dialectes "primitifs"

 "N otre boulot, c'est rendre témoignage de la richesse de ces langues." Jon Landaburu, directeur du centre d'études des langues indigènes d'Amérique (CNRS), ne tarit pas d'anecdotes sur les idiomes et les peuples étranges qu'il a pu croiser au cours de sa carrière. Il évoque ainsi l'exemple du Vaupes. Dans cette région entre Colombie et Brésil, il est tabou d'épouser quelqu'un parlant sa langue. Pour respecter l'interdit, la fiction de l'ignorance de la langue maternelle est entretenue. Le chercheur évoque cette autre langue qui permet de raconter des histoires comme en caméra subjective, par des mécanismes qui apparaissent dans la conjugaison.

Comme lui, sa collègue Colette Grinevald (Lyon-II), spécialiste de l'Amérique latine, rappelle que le travail des linguistes réfute nombre d'a-priori sur la prétendue simplicité des langues indigènes ­ un argument commode pour les disqualifier. Or elles n'ont rien de "primitif". "Elles sont incroyablement compliquées. Nous sommes en train de nous casser la tête sur les langues amazoniennes", assure-t-elle. Pour exprimer "je vous le dis", certaines font appel à des systèmes de suffixes, signifiant qu'il s'agit d'un dicton, ou bien que le locuteur a été témoin de la scène, ou encore que c'est quelqu'un qui la lui a racontée. D'autres langues donnent à chaque objet une qualification de taille, de forme, de matière...

HILARITÉ

Dans sa thèse, publiée en 1977 au MIT, Colette Grinevald présentait, pour la première fois, la vision de phrases complexes dans une langue maya, le jacaltec, parlé dans les montagnes du Guatemala. Depuis, celle-ci a été rebaptisée popti'par les Indiens eux-mêmes. Et la chercheuse a compris pourquoi elle faisait l'hilarité de ses interlocuteurs: elle ne maîtrisait pas les directionnelles, de petites particules indiquant constamment la position des objets, du locuteur et de ceux à qui il s'adresse. "J'y étais au début des années 1970, rappelle-t-elle. Je viens seulement d'écrire un nouveau chapitre sur les directionnelles".

Tout le monde n'est pas aussi consciencieux: "Sur un millier de langues en Amérique, il y a peut-être 50 bonnes grammaires", estime la chercheuse. A ceux qui seraient prêts à baisser les bras face aux rouleaux compresseurs des langues dominantes, Jon Landaburu en appelle donc au sursaut: "Ces langues minoritaires font partie de notre héritage, pas comme des choses mortes, assure- t-il. Elles peuvent se renouveler et nous aider à porter un regard sur nous-mêmes."

H. M.
Article paru dans l'édition du 26.08.05


Le Monde / Sciences
La course contre la montre des Kanaks
NOUMÉA de notre correspondante

 Q uelque 3 000 ans après son premier peuplement, la Nouvelle-Calédonie abrite encore 28 langues locales, qui appartiennent à la famille austronésienne. "Elles ont toutes une même langue mère qui était parlée il y a environ 6 000 ans par des tribus de Taïwan", explique Jacques Vernaudon, maître de conférences en linguistique océanienne à l'université de Nouvelle-Calédonie. Mais seules cinq langues ont plus de 5 000 locuteurs, avec, en tête, le drehu, langue de Lifou parlée par environ 17 000 personnes, et le nengone de Maré. Au bas de l'échelle, le sishëë, avec quatre locuteurs rescapés. Le waamwang, parlé dans deux villages du Nord, n'a pas survécu.

Au Centre culturel Tjibaou, la course contre la montre est lancée. "Grâce à des conventions avec les conseils d'aires coutumiers, on collecte auprès des tribus les savoirs traditionnels. Il faut sauvegarder notre patrimoine oral, en train de disparaître et rendu inopérant par la vie contemporaine", explique Emmanuel Tjibaou, responsable du département patrimoine et recherche.

Fils du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, assassiné en 1989, Emmanuel Tjibaou juge ce travail "indispensable face à une transmission qui ne se fait plus, dans une société sans tradition d'écriture". Trois contes bilingues ont été publiés pour ouvrir les enfants kanaks au livre, encore trop souvent considéré "comme l'objet des Blancs". En province Nord, les noms en langue kanake des lieux sont recensés et rétablis.

Ces initiatives découlent de l'accord de Nouméa de 1998, qui déclare que "les langues kanakes sont, avec le français, des langues d'enseignement et de culture". Une académie des langues kanakes est prévue par le texte, qui prône aussi leur usage dans les médias.

IDIOMES INDIGÈNES

En 1969, trois jeunes militants kanaks ont été emprisonnés pour avoir distribué des tracts dans leur langue. A la rentrée scolaire de 1985, les indépendantistes du FLNKS avaient appelé au "boycott des écoles coloniales" au profit des "écoles populaires kanakes" où l'enseignement était dispensé en langue maternelle. Parler la langue est alors un acte militant qui puise sa détermination dans les premières heures de la colonisation (1853), où les "idiomes indigènes" sont interdits à l'école et dans toute publication. Solidement implantés dans les tribus, les missionnaires s'appuyant sur ces langues pour évangéliser et enseignant dans les écoles indigènes ont joué un rôle déterminant dans leur survivance.

En 1999, avec l'appui de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Langues O'), un DEUG langues et cultures régionales, pour les quatre langues déjà présentes au baccalauréat, a été créé à l'université. La licence a vu le jour en 2001, et ses premiers diplômés ont participé à une expérimentation pour former des enseignants spécialisés dans certaines langues kanakes. Dix écoles et 210 élèves ont été concernés par ce projet, dont les résultats sont qualifiés, en 2005, de "très encourageants". "L'enjeu se situe tant au niveau de la lutte contre l'échec scolaire, largement plus important chez les Kanaks que dans les autres communautés, que de la sauvegarde du patrimoine linguistique et culturel", affirme Chantal Mandaoué, directrice de l'institut de formation des maîtres (IFM), qui a piloté l'opération.

L'expérience ne sera pourtant pas reconduite, du fait de l'absence de statut pour ces enseignants. Déplorant l'immobilisme des autorités locales, les étudiants de la filière ont formé un collectif pour réclamer la création d'un statut de professeur des écoles spécialisé en langues régionales. "Il faut qu'on arrête de bricoler pour enseigner les langues", assène Jacques Vernaudon. L'humeur demeure malgré tout optimiste: "La question est aujourd'hui dépolitisée. Avant, enseigner les langues kanakes revenait à fabriquer des indépendantistes. On en est sorti", se félicite Chantal Mandaoué.

Claudine Wéry
Article paru dans l'édition du 26.08.05


Le Monde / Europe
Londres veut lutter contre les comportements inacceptables des imams étrangers
LONDRES de notre correspondant

 C omment définir un "comportement inacceptable" justifiant l'expulsion ou l'interdiction du territoire ? Cette question posée par la publication, le 24 août, par le ministère britannique de l'intérieur, de mesures destinées à lutter contre les prédicateurs extrémistes étrangers divise le royaume britannique en deux.

Les bombes ont été activées "manuellement"

Les bombes utilisées pour les attentats londoniens du 7 juillet, qui ont fait 56 morts, ont été " activées manuellement ", a affirmé, mercredi 24 août, le Guardian en citant des sources policières de haut rang. Cette révélation semble battre en brèche les doutes qui étaient apparus sur la volonté des auteurs des attentats du 7 juillet de périr, notamment en raison d'informations selon lesquelles les bombes avaient été actionnées par les minuteries de téléphones portables et non pas manuellement. "Elles ont été activées manuellement... Il n'y avait aucune minuterie de téléphone portable le 7" juillet, a indiqué une source policière anonyme au Guardian. Les bombes qui n'avaient pas explosé dans les tentatives d'attaques du 21 juillet pouvaient également être "activées manuellement". a précisé le même journal. Le quotidien ne détaille pas le mode exact de fonctionnement de ces dispositifs. Il cite toutefois un expert antiterroriste qui avance les hypothèses d'un "bouton de déclenchement que l'on pousse pour que la bombe explose". ­ (AFP.)

A gauche, les défenseurs, très minoritaires, de la liberté d'expression, que mettrait à mal une législation visant ceux qui "fomentent, justifient ou glorifient la violence terroriste", "ceux qui cherchent à provoquer des attentats" ou "à distiller la haine pouvant perturber la paix communautaire".

A droite, les tenants de l'arsenal répressif, annoncé le 5 août par le premier ministre, Tony Blair, pour protéger le Royaume-Uni des "fous d'Allah", après les attentats de Londres des 7 et 21 juillet. "J'ai l'obligation d'empêcher l'installation dans ce pays de ceux qui peuvent, en particulier, influencer les jeunes". a indiqué le ministère de l'intérieur, Charles Clarke. Les nouvelles dispositions ont le soutien de l'opposition, conservatrice et libérale-démocrate (centriste), et de l'écrasante majorité de l'opinion pour qui l'incitation au terrorisme doit être interdite dans toute démocratie.

"Les règles du jeu ont changé", avait déclaré M. Blair à propos des ressortissants non britanniques qui s'adonnent à l'apologie et à la justification de la violence. Le 10 août, dix islamistes étrangers "ultras" ­ dont Abou Qatada, considéré comme le chef spirituel d'Al-Qaida en Europe, ont été arrêtés pour menace à la sécurité nationale.

La volonté du gouvernement est claire: mettre une fois pour toutes fin au "Londonistan", l'asile politique accordé aux radicaux fondamentalistes dans les années 1990 en contrepartie de l'absence d'attentat sur le sol britannique. La guerre en Irak avait fait voler ce consensus en éclat.

"Ces provocateurs ternissent la réputation des musulmans et sont responsables de la montée de l'islamophobie et de l'extrême droite", affirme le député musulman travailliste Shahid Malik, partisan de cette politique musclée. En revanche, le conseil des musulmans du Royaume-Uni évoque le risque de transformer les étrangers menacés d'expulsion en martyrs d'un gouvernement allié aux Etats-Unis en Irak et en Afghanistan.

Pour leur part, nombre d'experts soulignent les difficultés d'appliquer la législation envers des opposants bénéficiant de la protection de l'habeas corpus. Les tribunaux risquent de se trouver dans l'incapacité de fixer des repères permettant de définir les prêcheurs qui pervertissent l'islam au nom d'une lecture dévoyée du Coran.

Comme le souligne Amnesty International, l'extradition de religieux ou militants islamistes étrangers dans un pays où ils risquent d'être torturés est contraire à l'article 3 de la législation européenne des droits de l'homme. Pour contourner cet obstacle, le Royaume-Uni s'efforce de conclure des accords bilatéraux (memorandum of understanding) avec de possibles pays d'asile comme l'Algérie ou le Liban, sur le modèle de celui signé récemment avec la Jordanie.

Les méandres juridiques d'appel en Grande-Bretagne ne manqueront pas d'entraver la mise en oeuvre des déportations qui pourraient prendre jusqu'à deux ans. Le cas extrême de Rachid Ramda, l'Algérien du GIA qui, de Londres, aurait financé les attentats de 1995 dans le métro parisien et dont Paris réclame depuis dix ans qu'il soit remis à la justice française, illustre ces interrogations.

Marc Roche
Article paru dans l'édition du 26.08.05


Le Monde / Sciences
L'homéopathie ne serait qu'un placebo

 L a controverse sur l'efficacité thérapeutique de l'homéopathie est relancée. Dans son édition datée du 27 août, l'hebdomadaire britannique The Lancet publie une étude dont les conclusions laissent clairement entendre que cette pratique médicale, mise au point il y a près de deux siècles par l'Allemand Christian Friedrich Samuel Hahnemann, n'aurait pas d'efficacité spécifique et serait, au total, comparable à un placebo.

La question, récurrente, de la réalité et du caractère reproductible ou non des résultats thérapeutiques de l'homéopathie est soulevée depuis plus d'un siècle.

Comment comprendre qu'un milieu très hautement dilué ­ et dont il est parfaitement démontré qu'il ne peut pas matériellement contenir les traces moléculaires d'une substance physiologiquement active ­ pourrait, introduit dans un organisme souffrant, corriger tout ou partie des manifestations pathologiques ? Comment, surtout, faire la part de l'effet placebo, cet effet thérapeutique d'ordre psychologique lié à la prescription de toute substance présentée comme étant un médicament efficace, quand bien même elle ne contient aucune substance pharmalogiquement active ?

REMISE EN CAUSE

Depuis une vingtaine d'années, des praticiens convaincus des bienfaits de l'homéopathie et des industriels directement concernés ont entrepris de démontrer, avec les outils de la science médicale et statistique, que l'efficacité de l'homéopathie était spécifique et qu'elle était notablement supérieure au simple, mais toujours mystérieux, effet placebo. Nombre de ces travaux ont conclu de manière positive et certains ont même été publiés dans des journaux prestigieux au premier rang desquels The Lancet (Le Monde du 14 décembre 1994).

C'est la crédibilité même de la quasi-totalité de cette production médico-scientifique qui est aujourd'hui remise en cause avec la publication, dans l'hebdomadaire médical anglais, d'une étude conduite par un groupe de huit chercheurs de nationalités suisse et britannique dirigés par le docteur Aijing Shang (département de médecine sociale et préventive, université de Berne). A partir d'une enquête portant sur 19 banques électroniques de publications médicales, ces chercheurs ont repris la totalité des essais cliniques étudiant les effets comparés des pratiques homéopathiques par rapport à l'effet placebo.

Les pathologies concernées étaient très variées, incluant des infections respiratoires, des manifestations allergiques, des affections gynécologiques, musculosquelettiques, neurologiques ou gastro-intestinaux. Ils se sont également intéressés aux essais cliniques comparant les pratiques de la médecine conventionnelle (ou allopathie) à l'effet placebo. Tous ces essais incluaient en moyenne 65malades, avec un éventail allant de 10 à 1 573 personnes.

Sur la base de ce matériel, les chercheurs ont retenus ce qu'ils estimaient être les meilleurs essais. Ils ont ainsi constitué deux groupes de 110 publications chacun, qu'ils ont passé au crible d'une analyse statistique hautement sophistiquée visant à débusquer les biais méthodologiques, volontaires ou non, qui pouvaient entacher les résultats de ces travaux.

Les auteurs de cette publication expliquent avoir retrouvé des biais méthodologiques dans les deux types de travaux et plus particulièrement dans les essais cliniques de petite taille, ces derniers ayant plus que les autres tendances à conclure au bénéfice des médications étudiées. Une fois ces biais pris en compte, Aijing Shang et ses collaborateurs observent que rien, en définitive, ne permet de penser qu'il existe une efficacité spécifique des pratiques homéopathiques, une conclusion radicalement opposées aux observations faites à partir des médicaments de la médecine allopathique.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 27.08.05


Le Monde / Sciences
verbatim
"Dilutions absurdes"

 N ous publions ci-dessous des extraits de l'éditorial de The Lancet daté du samedi 27 août:

"Pendant trop longtemps, l'homéopathie a bénéficié d'un "laisser-faire" politiquement correct, mais des signes d'éclaircissement apparaissent maintenant. La commission parlementaire britannique sur la science et la technologie a rendu un rapport en 2000 au sujet de la médecine complémentaire et alternative. Il recommandait que "toute thérapie qui affirme spécifiquement être capable de traiter des situations précises doit avoir la preuve qu'elle est en mesure de le faire au-delà de l'effet placebo ". Allant plus loin, le gouvernement suisse (...) a retiré la couverture maladie de l'homéopathie et de quatre autres traitements complémentaires, parce qu'ils ne satisfaisaient pas les critères d'efficacité et de rapport coût/bénéfice.

Les consommateurs de soins médicaux peuvent voir l'homéopathie comme une alternative holistique à un modèle médical centré sur des maladies précises et piloté par la technologie. L'état d'esprit des patients et des fournisseurs suscitant la recherche de médecines alternatives crée un danger plus important pour les soins conventionnels ­ et la santé des patients ­ que les faux arguments sur les bénéfices potentiels de dilutions absurdes.

L'heure n'est probablement plus (...) à la poursuite de recherches pour perpétuer le débat entre homéopathie et allopathie. Désormais, les médecins doivent être (...) honnêtes avec leurs patients sur le manque d'effets de l'homéopathie, ainsi qu'avec eux-mêmes sur les échecs de la médecine moderne pour répondre à l'attente des malades en matière de soins personnalisés."

Article paru dans l'édition du 27.08.05


Le Monde / Sciences
Des cellules adultes reconverties en cellules souches

 L a somme croissante des recherches menées ces dernières années dans le domaine des cellules souches humaines est, pour les biologistes, une source continuelle d'émerveillement et de surprises. Dans le numéro daté du 26 août de la revue Science. un groupe de chercheurs américains annonce avoir mis au point une nouvelle technique, particulièrement spectaculaire, de production de cellules souches humaines. Parce qu'elle laisse entrevoir la possibilité d'obtenir ces cellules, pour un usage thérapeutique, sans avoir recours à des embryons humains conçus in vitro, cette première scientifique vient aussi relancer le débat éthique sur le caractère légitime ou pas de certaines recherches actuellement menées dans des laboratoires de biologie.

Les cochons clonés produisent un médicament

Des scientifiques sud-coréens ont déclaré, jeudi 25 août, avoir créé par clonage des cochons dont le patrimoine a été génétiquement modifié pour produire une protéine destinée à certains traitements anticancéreux. Le professeur Park Chang-sik, de l'Université nationale de Chungnam, précise avoir, avec son équipe, obtenu la naissance de quatre petits cochons femelles dont le lait contient la molécule GM-CSF (cytokine granulocyte-macrophage), une protéine qui stimule la production de globules blancs. Cette molécule est prescrite aux patients souffrant de certaines formes de leucémie ou dont le nombre de globules blancs a diminué lors d'un traitement anticancéreux. "Les cochonnets clonés vont donner du lait contenant un taux élevé de GM-CSF d'ici à un an". a assuré le professeur Park. Les porcs clonés selon la méthode utilisée pour la brebis Dolly peuvent, selon lui, se reproduire, et leur descendance femelle fabriquera aussi de la GM-CSF. ­ (AFP.)

Dirigés par Kevin Eggan et Douglas Melton, les chercheurs de l'Institut des cellules souches de l'uni- versité Harvard (Massachusetts) sont parvenus à faire fusionner des cellules de peau avec des cellules souches embryonnaires humaines, obtenant ainsi des cellules hybrides comportant un double matériel génétique. Ces mêmes chercheurs sont aussi parvenus, grâce à des techniques sophistiquées, à démontrer que cette fusion cellulaire était suivie d'une forme de déprogrammation du génome des cellules cutanées, ces dernières retrouvant, pour partie, leur stade embryonnaire. En d'autres termes, ces résultats prouvent que des cellules souches embryonnaires peuvent, après fusion cellulaire, reprogrammer le matériel génétique des cellules somatiques adultes.

Les biologistes américains ont enfin observé que les cellules hybrides issues de la fusion conservent les caractéristiques des cellules souches embryonnaires, au premier rang desquelles la faculté de se diviser en donnant naissance soit à des cellules identiques, soit à des cellules pouvant se différencier de manière à donner naissance aux différents types de cellules constituant l'organisme humain. Selon les auteurs de la publication de Science. on peut, au vu de ces résultats, espérer pouvoir produire de la sorte des cellules souches pouvant ensuite être utilisées à des fins thérapeutiques.

En dehors de celles qui sont présentes dans l'organisme adulte, les biologistes ne disposent actuellement que de deux méthodes pour obtenir et cultiver des cellules souches. La première, bientôt autorisée en France, consiste à utiliser des embryons humains conçus in vitro dans le cadre d'un programme d'assistance à la procréation, conservés par congélation et ne s'inscrivant plus dans le cadre d'un projet parental. La seconde, prohibée par la loi de bioéthique, est celle du clonage thérapeutique. Il s'agit d'introduire dans un ovocyte (cellule sexuelle féminine) préalablement énucléé le noyau d'une cellule prélevée sur un organisme adulte. Les cellules souches embryonnaires sont alors extraites de l'"embryon" ainsi conçu.

TECHNOLOGIE PRÉLIMINAIRE

Cette dernière méthode offre, en théorie, l'avantage de fournir des cellules dotées de caractéristiques génétiques quasi identiques à celles de la personne chez qui la cellule a été prélevée. Il s'agit là, également, de l'objectif visé par les biologistes de Harvard. Peut-on, d'ores et déjà, penser que la première américaine ouvrira un jour une nouvelle voie de production ? Tout en le laissant clairement entendre, les chercheurs américains restent prudents, soulignant que de nombreux défis doivent être encore surmontés.

Il faudra, en particulier, sur la cellule hybride, obtenir l'expulsion du matériel génétique provenant de la cellule souche embryonnaire. Ensuite, il restera à vérifier que les nouvelles cellules souches obtenues conservent bien leur caractère totipotent en l'absence du matériel génétique des cellules souches embryonnaires. Pour Kevin Eggan, cette technologie doit être considérée comme étant à un stade très préliminaire. Il estime à environ une dizaine d'années le délai nécessaire à la mise au point d'un procédé thérapeutique standardisé.

CONTROVERSE RÉCURRENTE

Ce biologiste estime que ce résultat ne doit pas être utilisé pour freiner les recherches sur les cellules souches obtenues à partir d'embryons conçus in vitro ou par clonage à visée thérapeutique. Outre-Atlantique, cette publication a relancé la controverse récurrente sur le caractère éthique des recherches qui ne peuvent être menées qu'à partir de la destruction d'embryons humains, condition indispensable à la création de lignées de cellules souches. Soutenu par la partie la plus conservatrice de son parti, le président George W. Bush a interdit, en septembre 2001, le financement fédéral de la recherche sur des lignées de cellules souches créées après cette date.

La question fait l'objet de vifs débats au Congrès américain où plusieurs projets de loi ont été présentés en vue de la prochaine reprise des travaux du Sénat sur ce thème. Depuis quatre ans, une large fraction de la communauté scientifique américaine tente, sans succès, d'obtenir un assouplissement des dispositions en vigueur. Profitant de la présentation de son travail, Douglas Melton s'est publiquement plaint des contraintes existantes et a expliqué qu'il n'avait pu effectuer ses recherches que grâce à des fonds privés.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 27.08.05


Le Monde / Europe
L'intellectuel musulman Tariq Ramadan est invité par l'université d'Oxford

 L' intellectuel musulman Tariq Ramadan a été choisi comme universitaire-invité par le prestigieux Saint Antony's College pour l'année universitaire 2005-2006.

Il ne devrait pas avoir d'activité d'enseignement et devrait s'installer en Grande-Bretagne, en octobre. Sollicité par Le Monde. M. Ramadan n'a pas souhaité s'exprimer sur cette nomination.

Dans un communiqué, l'établissement d'enseignement supérieur, qui fait partie de l'université d'Oxford, justifie son choix. "Le professeur Ramadan est un intellectuel reconnu dans le monde entier. (...) Le collège Saint Antony's est un forum de débat universitaire sur les problèmes contemporains. Il est opposé à tout discours de haine et à toute intimidation qui viseraient à réprimer la liberté universitaire". indique ce communiqué.

Le collège répond ainsi par avance aux critiques que risque de soulever la venue de M. Ramadan. "Nous sommes heureux de l'accueillir. insiste Polly Friedhoff, chargée de communication de Saint Antony's. C'est une personnalité largement respectée."

M. Ramadan a séjourné en Grande-Bretagne peu après les attentats du 7 juillet et il a donné une conférence, le 24 juillet, à l'invitation de la police métropolitaine de Londres.

Le Sun avait publié sa photo en "une", assortie de ce commentaire: "Interdit aux Etats-Unis pour terrorisme, interdit en France, accueilli en Grande-Bretagne après les attentats d'Al-Qaida !" Le journal présentait M. Ramadan comme offrant "un visage aimable de la terreur afin de séduire les jeunes musulmans". Au contraire, The Independent l'avait décrit, le 25 juillet, comme "l'un des plus brillants espoirs de réconciliation entre les musulmans et le reste de la société".

Cependant, le ministre britannique de l'intérieur, Charles Clarke, a présenté, mercredi 24 août, les nouvelles "règles du jeu" contre le terrorisme. Elles permettent d'empêcher l'entrée sur le territoire britannique de prédicateurs aux "comportements inacceptables". On y trouve notamment le fait de "fomenter, justifier ou glorifier la violence terroriste" ou, encore, de "fomenter la haine pouvant mener à des violences intercommunautaires ".

Selon Jane Parsons, porte-parole au Home Office, "le ministère ne communique pas sur les ca s individuels" et statuera "en se fondant sur des preuves". Le collège Saint Antony's a refusé de dire s'il avait agi en concertation avec les autorités gouvernementales. Il était donc impossible, vendredi matin, de savoir si M. Ramadan sera admis en Grande-Bretagne.

En 2004, M. Ramadan, de nationalité suisse, avait été engagé par l'université américaine Notre-Dame, dans l'Indiana, pour occuper une chaire intitulée: "Religion, conflit et promotion de la paix". Cependant, le département d'Etat avait révoqué son visa de travail pour des raisons de sécurité.

M. Ramadan, qui avait démissionné de son poste de professeur de philosophie au lycée de Saussure, à Genève, s'était retrouvé sans emploi.

Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 27.08.05


Le Monde / France
Dominique de Villepin veut préparer l'opinion à une hausse durable des prix de l'énergie

 A près des mois de silence et d'incertitude, le gouvernement est désormais convaincu que le prix du pétrole restera très élevé pour de longues années et sonne l'heure de la mobilisation. Le premier ministre a réuni à Matignon, vendredi 26 août, plusieurs dirigeants du secteur de l'énergie pour analyser avec eux les conséquences de la flambée des cours de l'or noir. La veille, à New York, le baril de brut (WTI) pour livraison en octobre avait clôturé sur un nouveau record (67,49 dollars), et les analystes sont désormais persuadés qu'il franchira prochainement la barre des 70 dollars.

Les PDG de grands groupes du secteur (Total, EDF, Veolia, Suez), le directeur général de l'Insee, la présidente de l'Agence nationale de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et celui du Syndicat des énergies renouvelables (SER) ont débattu avec Dominique de Villepin et Thierry Breton, le ministre de l'économie, des "grands enjeux" du secteur: les prix, les approvisionnements, les investissements, la recherche, les économies ou les énergies de substitution. Une réunion qui en appellera d'autres, selon Matignon, pour affiner "la stratégie énergétique de la France".

Le 16 août, le chef du gouvernement en avait tracé les "trois axes" principaux: relance des investissements, développement des énergies renouvelables, économies d'énergie. M. Breton a souligné jeudi, sur France Info, que les Français devaient "s'habituer à consommer moins" et qu'il allait "les aider à réaliser des économies d'énergie". Dans le cadre du projet de loi de finances 2006, il étudie un renforcement du crédit d'impôt pour l'achat d'installations domestiques fonctionnant avec des énergies renouvelables (40% du coût de l'installation actuellement).

M. de Villepin souhaite aussi que les compagnies pétrolières ­ tout particulièrement Total ­ relancent leurs investissements dans le raffinage, les goulets d'étranglement apparus dans l'aval de la filière en Europe, aux Etats-Unis et en Asie étant en partie responsables de l'envolée des cours. "Il revient à Total et aux autres entreprises françaises qui réalisent des profits importants d'engager rapidement cet effort d'investissement dont notre pays a besoin". avait-il prévenu le 16 août.

La prise de conscience sur les conséquences du renchérissement du pétrole, mais aussi du charbon, du gaz et de l'électricité, est désormais mondiale. La Maison Blanche s'inquiète du prix trop élevé de l'essence. La flambée des cours menace le dynamisme de la croissance, notamment dans certains pays d'Asie, a prévenu, jeudi, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI). Pour Rodrigo Rato, "nous voyons que l'impact des prix pétroliers est modéré à ce stade, mais nous pensons que si des prix élevés persistent (...), la croissance de l'Asie pourrait en souffrir".

Le patron du FMI a invité les gouvernements à "sensibiliser les consommateurs et les sociétés à la vérité des prix". car "il ne va pas s'agir d'une hausse de courte durée des prix du pétrole". Il met ainsi en garde contre le risque que la politique de subvention des produits pétroliers fait courir, selon lui, à certains pays en voie de développement.

Jean-Michel Bezat
Article paru dans l'édition du 27.08.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Pour une réforme radicale de la fiscalité familiale, par Michel Godet et Evelyne Sullerot

 S' IL est un domaine où le temps perdu ne se rattrape pas, c'est bien celui de lapolitique de la famille. Elle conditionne d'une part la démographie, donc l'économie (pas de développement durable sans enfants), et d'autre part la cohésion sociale (réparer les carences familiales coûte extrêmement cher pour de piètres résultats). Si on laisse filer l'indice de fécondité, si on laisse se détricoter le tissu familial, on le paiera très cher. Encore faut-il, pour choisir une politique de la famille, oser dire la réalité.

Dans une Europe promise à un vieillissement démographique dramatique, la France fait encore bonne figure. Elle doit la relative bonne tenue de sa natalité à ce qui reste de la grande politique familiale votée à l'unanimité à la Libération. Bien qu'écornée, celle-ci fait aujourd'hui figure de modèle en Europe.

Si elle nous a protégés, c'est par son volet universel ­ - des allocations familiales et un quotient familial pour la fiscalité qui réduisent les inégalités entre foyers avec ou sans enfants et une école maternelle unique au monde par son extension, sa gratuité et son excellence. Ce volet universel est un précieux capital. Si on le réduit pour le convertir en politique de réduction des inégalités de revenus, on perdra sur les deux tableaux, démographique et démocratique. La politique de lutte contre la pauvreté doit s'y ajouter, pas s'y substituer. D'autant que le ciblage sur les pauvres finit par avoir des effets pervers.

Il convient de ne pas confondre politique familiale et politique sociale, en distinguant bien les trois volets - ­ l'universel, précédemment évoqué, l'horizontal et le vertical ­ - de la politique familiale. Le volet vertical vise à corriger les inégalités sociales entre familles. Il ne doit pas être confondu avec le volet horizontal, qui s'attache à atténuer, au sein de chaque catégorie sociale, la paupérisation relative des familles avec enfants.

Or le niveau de vie des familles diminue avec le nombre d'enfants (en moyenne de 10% avec le premier, de 10% encore avec le deuxième, puis de 5% à 10% par enfant à partir du troisième).

Cela explique peut-être pourquoi nous assistons à une diminution constante du nombre des familles nombreuses, qui sont pourtant nécessaires au remplacement des générations, puisque 10% des femmes n'ont pas d'enfant et 20% n'en ont qu'un.

Même après impôts et transferts, le niveau de vie d'une famille avec quatre enfants est, en moyenne, inférieur de 35% à celui d'un couple sans enfants. Les familles nombreuses, généralement modestes ­ - près de la moitié des familles de quatre enfants et plus sont de référence "ouvrière" - ­ constituent le plus fort contingent de pauvres (au sens monétaire défini par les économistes: ceux qui gagnent moins que la moitié du revenu médian). Au total, il y a deux fois plus d'enfants pauvres de moins de 18 ans dans les familles nombreuses que dans les familles monoparentales.

Au nom de l'immense effort envers les familles que la France pauvre de 1945 a consenti, nous devons maintenir solidement l'acquis de la politique familiale et compléter le système du quotient familial en modulant le nouvel impôt qu'est la CSG selon la présence et le nombre d'enfants au foyer.

Actuellement, la CSG, qui représente 120% de l'impôt sur le revenu, contribue à la paupérisation relative des familles avec enfants. Ainsi les familles nombreuses, comme les familles monoparentales, paient en proportion deux fois plus de CSG que d'impôt sur le revenu. Au total, les ménages de moins de 60ans sans enfants représentent le quart de la population et bénéficient du tiers des revenus disponibles et les familles avec enfants comptent pour 54% de la population et seulement 43% des revenus.

Nous proposons de "familialiser" la CSG, en attribuant une demi-part par enfant. Ce serait un préalable à toute augmentation future de la CSG; laquelle, autrement, ne ferait qu'aggraver la paupérisation des familles avec enfants.

Dans un esprit d'équité fiscale et de neutralité des pouvoirs publics vis-à-vis du statut matrimonial des conjoints, nous proposons aussi de ramener le coefficient conjugal à 1,7 au lieu de 2. Les personnes vivant sous le même toit font des économies d'échelle dont il faut tenir compte.

Il faut aider les familles avec enfants, car elles font faire de sérieuses économies à la collectivité: un enfant placé dans une famille d'accueil ou dans un organisme public coûte respectivement six à douze fois plus cher à la collectivité que le surplus de revenu de 2 400 euros par enfant perçu en moyenne par famille.

La baisse de niveau de vie n'est pas la seule variable à prendre en compte pour expliquer l'écart entre le désir d'enfant et la réalité. Partout, en Europe, une femme sur deux voudrait un enfant de plus mais doit y renoncer pour des raisons de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle.

Le bon taux de travail féminin en France est l'autre atout précieux qu'il faut encourager. Il n'empêchera pas les naissances si nous inscrivons comme prioritaires toutes les mesures permettant la conciliation famille/travail. Les entreprises doivent le comprendre et les hommes aussi. Le partage des responsabilités dans la vie domestique est devenu une condition du désir des femmes d'avoir des enfants.

Les femmes, maîtrisant leur fécondité, arbitrent entre activité professionnelle et procréation. Aussi faut-il leur offrir des conditions de vie et de travail qui leur permettent d'avoir un enfant sans sacrifier leurs chances, au bon moment. Or elles ne cessent de retarder ce moment. Désormais, c'est seulement à 28 ans en moyenne que les Françaises ont leur première maternité. Retarder les naissances retentit de façon préoccupante sur la fertilité des femmes, sur leur santé et celle des nouveau-nés. En outre, ces reports ont des répercussions démographiques sérieuses.

On sait déjà que la génération 1970, affectée par ces retards, ne sera pas remplacée. La situation est encore réversible si l'on ouvre aux jeunes mères des droits spécifiques à la formation, à l'emploi et au logement.

La famille est une affaire publique dans la mesure où elle compte des enfants. En revanche, la vie sexuelle et affective est une affaire privée. L'Etat ne devrait rémunérer financièrement ni les unions ni les désunions. Or c'est ce qu'il fait en consentant des avantages fiscaux aux mariés et aux pacsés sans enfants.

Les couples, de plus en plus souvent, éclatent. Actuellement, plus de 40% des couples mariés divorcent, dont 65% ont des enfants. Les séparations de concubins sont encore plus fréquentes et précoces. Le constat le plus préoccupant est l'accroissement du nombre d'enfants qui ont à subir la séparation de leurs parents: bientôt, à 16 ans, un enfant sur trois aura connu la séparation de ses parents. Les relations avec le père, dans 40% des cas, se raréfient dangereusement ou cessent.

Les études existantes montrent que les enfants souffrent de la mésentente entre leurs parents, des conflits qui en résultent et des séparations qui les suivent, à la fois dans leur santé physique, leur santé psychique, leur scolarité et leurs études et dans leur socialisation (conduites à risques, violences). Les juges voient défiler de jeunes délinquants sans père ou sans mère au foyer.

En résumé, les familles avec enfants sont majoritaires dans la population (54%) et minoritaires parmi les ménages (un tiers) et les électeurs. Seule une forte volonté politique est à même de défendre les intérêts des enfants à naître. Il en va de la durabilité de notre développement et de la pérennité des solidarités intergénérationnelles.


Michel Godet est économiste, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Conseil d'analyse économique auprès du premier ministre (CAE).
Evelyne Sullerot est sociologue, cofondatrice du Planning familial.

par Michel Godet et Evelyne Sullerot
Article paru dans l'édition du 27.08.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

killy ♦ 29.08.05 | 07h05 ♦ A Michel B: Vu la superficie de la France (pensez a l'auvergne) on pourrait facilement eberger 120 millions de personnes. Quand a la pollution, en France au niveau local, elle baisse, les riviere sont plus propres, de meme pour l'air. Et le chomage n'est pas une fatalite........ A ROBERT J: Super idee, comme ca les retraites participeront activement au devellopement des pays pauvres, et a la reductions des inegalites mondiale!!! N'est ce pas ce que tous bien pensant Francais souhaite et redoute
ROBERT J. ♦ 28.08.05 | 14h35 ♦ en somme pour les retraités, il ne leur reste plus qu'à aller vivre dans un pays comme le maroc, afin de maintenir un niveau de vie correct!!! ces retraités chassés de leur pays par la fiscalité que cet article nous préfigure, iront enrichir ces pays, en délocalisant leur revenu
lucide ♦ 28.08.05 | 08h24 ♦ Votre article garde pour référence la famille "traditionnelle". Or, nous savons bien (voir l'Espagne et d'autres pays) que la famille se transforme: monoparentale, homosexuelle. Qu'on soit pour ou contre, c'est un fait. Comment envisagez-vous la cohésion socilae face à cette évolution? Peut-elle se passer de réflexion citoyenne qui ne se confine pas aux Parlements? Pour avoir des enfants, faut-il n'importe quel enfant? Jean-Paul C.
Michel B. ♦ 27.08.05 | 19h59 ♦ Ne croyez-vous pas que favoriser la natalité consiste simplement à repousser un problème sans cesse plus grâve ? Lorsque 80 millions de FRAN9AIS pourront à peine poser les pieds sur le sol, chômage, retraites, pollutions, énergies… s'effaceront comme par enchantement ? Ou l'inverse ?
Marco ♦ 27.08.05 | 16h46 ♦ J'aime bien cet article qui avance une idée originale. Dans le même ordre d'idée, ne faudrait-il pas familialiser la Politique Agricole Commune (PAC) pour que les couples homosexuels ne soient pas lésés par l'augmentation du prix du pétrolé sans TIPP?
sysyphe ♦ 27.08.05 | 14h26 ♦ Je me permets d'ajouter que ce ne sont pas les couples les plus argentés qui sont les plus fertiles
sysyphe ♦ 27.08.05 | 14h25 ♦ S'il fallait seulement faire des réductions de CSG pour augmenter la fertilité, je serais très inquiêt. L'une des questions est de savoir pourquoi la fertilité mascukine et féminine baisse dans notre vieil occcident. Je ne suis pas non plus certain que ce soient uniquement les femmes qui décident des enfants à venir.
Georges B. ♦ 27.08.05 | 12h28 ♦ Je pense qu'il est anormal que l'on continue à publier les écrits de michel Godet. Sans méchanceté mais avec lucidité et raison, nous devons prendre acte que cette "ménie grégoire de l'économie, ce pélonamse à 2 jambes" n'écrit que poncifs et pléonasmes en permanence. Après avoir sévi dans les Echos, le voilà dans Le Monde ! Où es tu tombé, journal ouvert et de bon niveau ! de grâce, épargnez nous ce trou noir de la pensée humaine. SVP. Merci
AGNES D ♦ 27.08.05 | 10h49 ♦ A l'heure où la plupart des enfants naissent de toute façon hors mariage, il est temps de changer de politique. De plus, pourquoi les pacsés n'auraient ils pas d'enfants ou moins ? Ne mélangeons pas tout !
guelwad ♦ 27.08.05 | 10h00 ♦ Si les couples de 60 ans possèdent plus de patrimoine que les couples du même âge avec enfants, il convient d'intégrer les dons aux enfants sous forme de'argent, de meubles ou autres biens. A 60 ans, les enfants ont entre 25 et 40 ans. Quand on essaie de convaincre d'une politique avec des chiffres, autant bien les choisir. Et quand on parle d'économie d'échelle, c'est très différent de préparer pour un enfant ou pour six, les très très "pauvres" seraient ainsi avantagés ?
Erik L. ♦ 27.08.05 | 04h13 ♦ Article interessant. Faut-il "familialiser" la CSG et favoriser la natalite "locale" ou favoriser une immigration selective sur le modele du Canada ou de la NZ? La second option me parait plus porteuse d'avenir dans la mesure ou elle favorise la diversite et un "renouvellement" culturel
M.M. ♦ 27.08.05 | 02h57 ♦ Je suis en plein accord avec les réactions des personnes précédentes. Je ne crois pas que le français soit une espèce en voie de disparition au point d'instaurer encore un nouveau système d'allocations "braguette" (désolé pour l'expression). Qu'est que l'on veut ? La planète peine déjà à supporter 6 milliards d'humains et il faudrait encore l'augmenter. Et puis, je pense qu'il faut faire seulement les enfants que l'on est capable d'élever par ses propres moyens et pas avec ceux des autres.
CLAUDE C. ♦ 27.08.05 | 02h29 ♦ Les avantages fiscaux aux mariés et pacsés sans enfants sont un anachronisme et aussi une injustice vis-à-vis des très nombreux célibataires qui doivent faire face seuls aux coûts (non partagés) de la vie. Il serait temps de faire une vraie réforme fiscale, avec imposition sur la personne indépendamment de son statut marital, et prélèvement à la source. Les aides et dégrèvements étant par ailleurs accordés pour l'éducation des enfants présents au foyer.
PatLeChat ♦ 27.08.05 | 01h22 ♦ Je suis assez choqué par ces réactions. La surpopulation à l'échelle mondiale est une chose. Le cas de la France ou la population vieillit de plus en plus en est une autre. Par ailleurs, s'il est évident que fonder une famille avec 1, 2 ou 3 enfants relève d'un choix personnel, il semble normal de s'interroger pour savoir s'il est judicieux ou non pour notre société de soutenir ces familles dont les enfants construiront une part de notre avenir.
Cyrille Z. ♦ 26.08.05 | 19h36 ♦ Si j'adhère presque entièrement à cette analyse, j'emet un avis différent concernant les avantages fiscaux pour les couples mariés et pacsés sans enfants: les premiers ont par nature vocation à en avoir, les seconds... j'en doute ! Ce contrat est un artifice inventé pour satisfaire une minorité certe fort agissante, mais peu "reproductive". Pourtant, ils disposent des mêmes avantages que ceux qui s'engagent avec, en majorité, l'idée de faire des enfants !
valérie t. ♦ 26.08.05 | 19h14 ♦ Après lecture,je me demande:combien vaut mon enfant?peut-il me rapporter plus qu'un LEP ou un placement immobilier! Si l'avenir de la politique familiale en France se résume à des considérations économiques,où va-t-on! Et quid de la réflexion sur le projet d'avenir des couples?leur capacité et leur envie de se projeter dans le futur et lequel??
Pierre C. ♦ 26.08.05 | 18h03 ♦ 2 milliards et demi d'individus en 1950, 10 milliards en 2050 quadruplement de la population en un siècle dans l'espace d'une vie humaine jamais la planète n'a connu un tel bouleversement c'est ce fait qui est responsable de la pollution du réchauffement planétaire. Le croisser et multiplier de l'époque du début du christianisme est criminel aujourd'hui. Faire des enfants est l'expression d'un égoïsme criminel à courte vue
D . Zebris ♦ 26.08.05 | 17h33 ♦ "Familiariser" la csg ne semble pas aller dans le sens de la simplification de l'impot, dont nous avons bien besoin en France. Mieux vaut developper les creches et centres d'accueil hors horaires et periodes scolaires pour permettre aux enfants de se developper (sport, instruction) pendant que les parents travaillent. Enfin ne faut-il pas plutot inciter les riches que les pauvres a avoir des enfants ?
BENOIT K. ♦ 26.08.05 | 15h19 ♦ Les réalités qu'il faut oser dire pour choisir une politique familiale c'est que la planète, l'Europe et la France sont ravagées par la surpopulation; que les enfants ne peuvent pas être éduqués correctement par des parents qui eux-mêmes n'ont pas été éduqués et qui n'ont rien à transmettre sauf peut-être le désir médiocre d'être un rouage d'une économie absurde. (Nous faire le coup des enfants indispensables au développement durable est une belle preuve du caractère aberrant de cette notion.)


Le Monde / Opinions
Point de vue
Réformer d'urgence notre "modèle social", par François Chérèque

 F lambée du coût du pétrole, effets controversés des quotas textiles chinois, quasi-disparition de l'industrie de la chaussure française, nouvelles délocalisations... Cette année encore, les préoccupations sociales des Français sont marquées par la situation internationale et les effets de la mondialisation. L'emploi et le pouvoir d'achat sont donc, sans surprise, au centre de la rentrée sociale.

Le nouveau gouvernement a promis de faire de l'emploi sa priorité. Mais ses premières mesures sur ordonnances relèvent, pour l'essentiel, d'un rafistolage contestable et traduisent surtout l'absence de plan d'ensemble. Présenté comme une mesure-phare, le contrat nouvelles embauches (CNE) privilégie la précarité au détriment de la sécurité. Ce n'est certainement pas en amplifiant le "tout flexible" que l'on redonnera confiance aux Français.

D'autant que nos systèmes de protection sociale ne permettront pas indéfiniment d'amortir les chocs. Le CNE risque de devenir un système d'intermittence pour les salariés des petites entreprises. L'employeur embauche et licencie sans s'encombrer de motifs, l'assurance-chômage prend le relais... Et prend l'eau.

Faut-il pour autant renoncer à toute évolution du contrat de travail ? Cette question n'est pas taboue pour la CFDT.

Le temps de toute une carrière dans la même entreprise s'éloigne pour beaucoup, qu'on le veuille ou non.

Mais, choisie ou subie, la mobilité ne doit pas rimer avec l'instabilité chronique: elle appelle au contraire des parcours professionnels sécurisés.

A tout nouveau contrat de travail nous voulons que soit associé un nouveau contrat de confiance. Quel pourrait être ce contrat ? Il passe par une refondation de nos solidarités et une autre politique fiscale. Il suppose la mise en place de protections collectives plus dynamiques et plus adaptées aux situations individuelles.

Augmenter le volume et la qualité de la formation professionnelle; généraliser la protection sociale; complémentaire; accompagner plus étroitement les chômeurs, en les plaçant au centre de l'action coordonnée des Assedic et de l'ANPE, notamment par la création d'un guichet unique de l'emploi: tout cela est essentiel, mais risque de ne pas suffire. Encore faut-il que les offres d'emploi existent et que l'assurance-chômage soit économiquement assez stable pour répondre aux besoins.

Ce sera là l'un des enjeux de la prochaine convention Unedic. Au- delà de la question, brûlante, du déficit, c'est le système lui-même qui est en question. Parce que notre environnement économique a profondément changé, nous sommes à un tournant de notre histoire sociale.

Le capitalisme s'est profondément transformé. La mondialisation impose des conditions de concurrence qui poussent les entreprises à comprimer leurs coûts au maximum.

Soumises par ailleurs par leurs actionnaires à des exigences de rentabilité intenables, elles considèrent de plus en plus la masse salariale et le travail comme une variable d'ajustement et, au total, prennent des décisions contre l'intérêt des salariés.

Ces bouleversements accélèrent l'usure de notre pacte social conçu pour une économie de plein emploi et une société jeune.

Aujourd'hui, le risque de chômage ne peut plus être considéré comme un accident de parcours exceptionnel. Parce qu'il est devenu massif, les ressources de l'assurance sociale vacillent: là où il s'agissait d'indemniser 3% de la population active, il faut aujourd'hui en indemniser plus de 10%; avec, en prime, un Etat qui se désengage progressivement.

Bref, il ne suffit plus d'"ajuster" nos systèmes. Quand un "modèle social" produit autant de chômage et n'endigue plus le développement de la pauvreté, il faut le réformer.

Il nous faut une politique structurelle de l'emploi, une politique de conquête. C'est sur la recherche et l'innovation qu'il convient de miser, ainsi que sur une politique industrielle capable de favoriser de nouvelles spécialités, d'attirer en France des créations d'emplois.

L'Europe est l'espace d'impulsion de cette ambition. Elle a pour cela besoin de volonté politique et d'un budget à la hauteur, donc de dépasser les égoïsmes nationaux.

L'emploi et le pouvoir d'achat sont bien les préoccupations dominantes des salariés. Avec eux, la CFDT les exprimera en cette rentrée. Mais après ? Nous avons la volonté d'obtenir des résultats pour les salariés et les demandeurs d'emploi. Pour cela, trois postures doivent, à mon sens, être évitées.

La première consiste à dire que notre code du travail est un frein audéveloppement économique et qu'il est grand temps de le vider de son contenu.

Une autre défend l'idée qu'il faut préserver l'acquis sans voir que ce code laisse passer quantité de salariés à travers ses filets de protection.

La troisième consiste à rester dans une joute syndicats contre gouvernement, en laissant de côté la responsabilité du patronat, en laissant ainsi s'appauvrir le dialogue social.

Il est grand temps de sortir du rafistolage et de nous redonner une nouvelle ambition collective. Si les garanties d'hier ne sont plus suffisantes aujourd'hui, il est urgent d'en négocier de nouvelles.

Pour cela, il nous faut un grand débat démocratique sur le modèle que nous voulons tisser. Nous devons ainsi redéfinir ce qui relève de la solidarité nationale, donc de l'impôt, et ce qui relève des cotisations sociales, donc des seuls revenus du travail. Dans ce modèle, le paritarisme, le rôle et la responsabilité des acteurs doivent être repensés.

Il nous faut aussi un Etat partenaire, présent, qui se donne les moyens d'assurer la solidarité, qui s'engage au lieu de rogner sur ses contributions. Il nous faut un patronat qui accepte clairement de revenir dans le jeu de la négociation, avec la volonté de construire de nouvelles garanties pour les salariés. Il nous faut des organisations syndicales qui acceptent d'engager des discussions sans jeter l'anathème sur telle ou telle piste d'évolution de nos règles collectives.

Le début d'un nouveau pacte social ? Pour la CFDT, il n'y a pas d'autre choix.


François Chérèque est secrétaire général de la CFDT.
Article paru dans l'édition du 28.08.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Logement: urgence

 L' incendie dramatique du boulevard Vincent-Auriol à Paris illustre, une nouvelle fois, le scandale des conditions de logement des plus démunis, en particulier les immigrés. Les besoins vont bien au-delà d'un nouveau recensement des taudis parisisiens, annoncé par Nicolas Sarkozy, ou d'un programme d'"hôtels sociaux", qui au demeurant existent déjà, évoqué par Jean-Louis Borloo.

Vendredi 26 août, Martine Aubry a souligné que les gouvernements de gauche, pas plus que ceux de droite, n'avaient pris le problème à bras-le-corps. Elle a ajouté que, tant que cette situation perdure, il ne sert à rien de se lamenter. La maire de Lille a raison. Il est temps qu'enfin les pouvoirs publics lancent une politique nationale du logement.

Que la France de l'abbé Pierre, moins de dix ans après la fin de la guerre, se soit trouvée aux prises avec une crise du logement était plus compréhensible. Mais que des familles - et pas seulement immigrées - vivent aujourd'hui en France dans des conditions dignes des romans de Zola est simplement inadmissible. L'Etat, en coopération avec les élus, doit s'attaquer vraiment à l'insuffisance de construction de logements sociaux, dans des régions très urbanisées comme l'Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence - Alpes - Côte d'Azur, et, d'une façon plus générale, au problème du logement. La France a les moyens de se fixer des objectifs et un échéancier concrets.

Il existe environ 4 millions de logements sociaux. On en construit à peine quelque 60.000 par an. Le double serait nécessaire pour couvrir les besoins, y compris ceux d'une partie des classes moyennes. Car la hausse non contrôlée du foncier et du bâti touche des catégories de plus en plus larges. Les déséquilibres de ce secteur produisent de multiples effets pervers: vieillissement des centres-villes, étalement urbain désordonné, circulation accrue, productrice d'embouteillages et de pollution supplémentaires, ménages pris dans le piège du surendettement...

Il faut agir sur toute la palette: des logements dits d'"urgence", à ceux du secteur privé. De multiples pistes existent: imaginer des incitations nouvelles pour les maires, élargir le dispositif actuel, qui impose 20% de logements sociaux dans les grandes villes... La décentralisation a abouti à une dispersion de la décision et de la volonté de construire. Peut-être faudrait-il rationaliser les dispositifs, en évitant les querelles politiciennes paralysantes, notamment en Ile-de-France. Beaucoup est affaire de volonté politique. Jean-Louis Borloo a le logement dans son vaste portefeuille, mais aucun ministre ne s'occupe du dossier à plein temps. Une loi "habitat pour tous", promise par Gilles de Robien quand il était responsable du logement, n'est toujours pas prête.

Dans certains secteurs, le seul jeu du marché ne peut pas suffire à satisfaire les besoins collectifs. Le logement, le premier d'entre eux, en fait partie. L'Etat et les élus doivent le comprendre, sous peine d'aggraver encore le sentiment d'impuissance des politiques, et l'impression d'abandon qu'éprouvent trop souvent nos concitoyens les plus modestes.

Article paru dans l'édition du 28.08.05


Le Monde / Chats
Le PS peut-il surmonter ses divisions ?
L'intégralité du débat avec Isabelle Mandraud, journaliste au service France du "Monde", lundi 29 août 2005.

De Bakou: Ne pensez-vous pas que les difficultés de divisions au sein du PS sont liées plutôt à la personnalité de M. Hollande qu'aux nouvelles tendances politiques ?
Isabelle Mandraud:
Que voulez-vous dire par nouvelles tendances politiques ? Est-ce le camp du non ? S'agissant de François Hollande, ce serait trop simple de réduire les difficultés actuelles du PS à sa seule personnalité. Que faites-vous des autres ?

Œdipe: Peut-on m'éclairer: à quoi bon vouloir faire cohabiter au sein d'un même parti des idéologies aussi différentes que celles de Messieurs Lang, Hollande ou Montebourg, et des ambitions égocentriques exacerbées telles que celles de Messieurs Fabius, Strauss-Kahn et consorts ?
Isabelle Mandraud:
Comme dirait Jean-Christophe Cambadélis, le débat fait partie du code génétique du PS. Ce parti compte beaucoup de talents qui, à tort ou à raison, estiment aujourd'hui pourvoir concourir pour 2007.

UNE LÉGITIMITÉ MILITANTE CONTRE UNE LÉGITIMITÉ CONQUISE DANS LES URNES

Mathieu54: Les partisans du non invoquent la défaite du 29 mai pour justifier un changement de majorité au sein du PS. Or la majorité n'a fait que soutenir le choix des militants suite au vote interne. En stigmatisant ce qu'ils considèrent comme une erreur, ne risquent-ils pas d'irriter ces militants, qui reconduiraient alors la majorité sortante ?
Isabelle Mandraud:
Il est vrai que la direction s'est appuyée sur le vote, majoritaire, des militants. Mais elle s'est aussi beaucoup impliquée pour obtenir ce vote pour le oui. La première manche a donc été gagnée par cette direction, soutenue par les militants. Les représentants du non ont remporté la deuxième manche le 29 mai. C'est une légitimité militante qui affronte une légitimité conquise dans les urnes. Pas simple à résoudre pour le PS.

Stanto: Bonjour. N'est-il pas profitable que le PS soit constitué de plusieurs courants afin de mobiliser un plus grand nombre d'électeurs (en pensant aux élections de 2007) ? Cela ne permettrait-il pas de répondre aux attentes de plusieurs catégories socioprofessionnelles ?
Isabelle Mandraud:
Cela fait partie des arguments souvent entendus. Chacun détient une part de l'électorat. Le PS a toujours été constitué de "sensibilités" dans le passé, qui cohabitent plus ou moins bien, mais finissent toujours par se rassembler aux élections. La difficulté, aujourd'hui, provient du fait que, pour la première fois, des responsables socialistes sont passés outre un référendum interne– ce qui est aussi une première dans l'histoire du parti.

"LA DIVISION N'EST PAS FORCÉMENT LA MEILLEURE RÉPONSE"

Rawls: La personnalité de François Hollande a certainement arrangé tout le monde car son manque de charisme permettait aux présidentiables de se préparer. Je maintiens que le PS doit éclater pour créer un vrai pôle social démocrate en France, quitte à repenser nos alliances (avons-nous encore des valeurs communes avec le PC, la frange gauchiste des Verts....). Les centristes sont ils infréquentables ?
Isabelle Mandraud:
Si le PS éclate, quelle sera sa force ? La division n'est pas forcément la meilleure réponse, si l'on en juge par les (rares) séparations antérieures, comme celle qui a abouti au départ de Jean-Pierre Chevènement. Par ailleurs, je ne pense que la tendance "centriste" du PS, comme vous dites, représente les socialistes...

Hubert: Selon vous, à qui profiterait une scission au sein du PS ?
Isabelle Mandraud:
Au camp adverse, c'est-à-dire à la droite, bien sûr !

Elfuse: Que pensez-vous de la proposition de Bernard Kouchner de discuter avec François Bayrou d'une éventuelle alliance en vue de la création d'une "nouvelle force" ?
Isabelle Mandraud:
Elle ne représente pas le parti, si l'on en juge par les déclarations entendues à La Rochelle, lors de l'université d'été du PS qui a sans doute aussi, dans l'élection ratée du 21 avril, souffert, dans son électorat, du manque de clivage entre la gauche et la droite.

Hubert: Je suis militant PS en Haute-Vienne et au sein de ce territoire, le débat interne manque singulièrement de démocratie. Ne pensez-vous pas que les "éléphants" du PS d'aujourd'hui ne sont plus capables d'incarner un idéal de gauche pour les jeunes ?
Isabelle Mandraud:
Les éléphants s'étant ébroués un peu chacun de leur côté, il faut souhaiter pour ce parti qu'il y ait bien l'un d'entre eux qui redeviendra un chef de file suivi... y compris parmi les éléphanteaux.

J.T: Ne peut-on pas considérer que la vie politique française gagnerait à ce que le PS définisse un projet clair, une ligne de conduite forte et sincère, véritablement ancrée dans la social-démocratie européenne ? Je pense que le véritable problème actuel du PS est de ne pas mobiliser ses électeurs potentiels autour d'une ligne de conduite courageuse, même si celle-ci ne correspondrait pas forcément aux vœux de tous.
Isabelle Mandraud:
Incontestablement, si le PS veut l'emporter, il devra présenter un projet clair et des propositions innovantes. Mais il doit aussi se poser la question de ces alliances avec ses partenaires que sont les communistes, les Verts, les radicaux de gauche...

Logan: Bonjour. La scission n'est-elle pas préférable à ce grand écart qui dure depuis le congrès de Tours ? Est-on vraiment si sûr que le pari mitterrandien (unir la gauche, avant de mordre sur le centre) soit le seul qui permette la victoire ? Les fameuses "majorités d'idées" de Rocard sont-elles définitivement mortes ? La cohérence n'exige-t-elle pas des réformistes, en particulier, qu'ils cessent d'être victimes du chantage récurrent de"la barre à gauche toute" ?
Isabelle Mandraud:
Les courants minoritaires pèsent tout de même d'un certain poids dans le parti. Et votre question suppose des changements d'alliance auxquels une majorité de socialistes ne sont sans doute pas prêts à consentir. L'influence de Michel Rocard a été très importante à l'intérieur et à l'extérieur du PS. Elle me semble aujourd'hui bien moins présente.

Bastien: Ne voit-on pas apparaître au sein du PS une ligne qui accepte l'économie de marché tout en souhaitant la réformer et une ligne qui la rejette ? N'est-ce pas l'un des sujets de l'opposition actuelle?
Isabelle Mandraud:
La première, Lionel Jospin l'a défendue. La seconde, telle que vous la définissez, ne me paraît pas née. Bien peu de socialistes, quelle que soit leur sensibilité, remettent en cause l'économie de marché. Ils se disputent plutôt sur la façon de contrôler et de contrer ses excès. La part d'utopie n'est pas morte, mais le réalisme la devance largement.

Mathieu54: Pourquoi la majorité ne s'est-elle pas entendue avec le NPS alors que, notamment sur la question des institutions et d'une VIe République, il existe des points de convergence ?
Isabelle Mandraud:
Il y a quelques points de convergence, c'est vrai, mais aussi de gros "nœuds" de divergence, à commencer par la question européenne... Sur les institutions, tous les socialistes sont d'accord pour les changer, mais pas tous de la même façon. NPS milite pour un régime très parlementaire, où les pouvoirs du président de la République sont très réduits. La majorité Hollande-DSK-Lang-Aubry ne va pas aussi loin.

LE FEUILLETON PRÉFÉRÉ DES MÉDIAS: "JOSPIN, LE RETOUR"

Hubert: Que pensez vous du yo-yo départ-retour du militant Jospin ? Est-ce que cela n'enrichit pas l'idée que le PS ne sait plus sur quel pied danser ? Cela ne démontre-t-il pas que M. Hollande manque définitivement de charisme ?
Isabelle Mandraud:
Voilà le feuilleton préféré des médias ! Jospin, le retour... L'ancien premier ministre conserve dans le parti nombre de partisans qui aimeraient qu'il revienne. La question de l'autorité de François Hollande est souvent posée, c'est vrai. Mais il dirige aussi le PS depuis 1997 !

Fuddish: Des ténors socialistes se déclarent candidats à la candidature présidentielle. Hollande non, alors qu'il est le leader du parti (en théorie), donc candidat naturel... Le PS semble en pleine logique divisionnaire.
Œdipe: Qui des ténors de la gauche vous semble le mieux armé pour 2007 ?
Isabelle Mandraud:
Les difficultés actuelles de Hollande ne signifient pas qu'il soit éliminé de la course. En tout cas, il a manifesté sans ambiguïté, après les succès électoraux du PS de 2004, son désir de figurer sur la ligne de départ. Aujourd'hui, il est contraint de réviser à la baisse ses ambitions, mais demain, s'il emporte le congrès, je ne doute pas qu'il fera à nouveau partie des prétendants. Alors, qui ? Ce sont les militants qui vont choisir, après le congrès du Mans. Tout le monde a ses chances... puisque aucun, pour le moment, n'émerge réellement. Ceci expliquant cela, cette situation crée les candidatures multiples.

Mathieu54: Laurent Fabius, après avoir été le plus "libéral" des socialistes, prône aujourd'hui une politique de rupture. Son discours depuis un an étant même empreint d'un certain radicalisme. A-t-il réellement changé d'opinion ou s'agit-il d'un populisme de gauche pour se refaire une image plus conforme à celle d'un homme de gauche pour pouvoir briguer la présidence ?
Isabelle Mandraud:
Fabius se définit avant tout comme un mitterrandien qui n'a pas oublié qu'il faut d'abord rassembler à gauche. Il justifie ses positions et affirme qu'il a commis quelques "erreurs", s'agissant notamment de la baisse des impôts.

Joe: Les difficultés que traverse le PS ne seraient-elles pas résolues si les socialistes désignaient d'ores et déjà leur leader pour la présidentielle ? Il me semble en effet que tout ce vacarme est attisé par la bousculade au portillon du siège de candidat socialiste à la présidentielle.
Isabelle Mandraud:
Ah oui ! Je suis bien d'accord avec vous ! Mais c'est un choix qui se mûrit lentement... à coups de crise.

Goupil: Pourquoi n'entend-on aucune proposition du PS pour revenir sur les réformes Fillon (retraites, éducation) et Assedic....? Franchement, de mon côté, je voterai plus sûrement pour d'autres candidats de gauche, car là le summum de l'hypocrisie est atteint.
Isabelle Mandraud:
Faux. Des dirigeants socialistes proposent de revenir sur les lois de la droite, en particulier sur la loi dite Fillon. Ils sont plutôt du côté du non.

Chat modéré par Fanny Le Gloanic et Stéphane Mazzorato
LEMONDE.FR | 29.08.05 | 13h14


Le Monde / Entreprises
Le pétrole a dépassé le seuil symbolique de 70 dollars

 L e pétrole a brièvement dépassé les 70 dollars le baril, lundi 29 août, à l'approche de l'ouragan Katrina, l'un des plus puissants qu'ait connus les Etats-Unis. Le cours du light sweet crude pour livraison en octobre a atteint dans la nuit un plus haut à 70,80 dollars le baril, avant de se replier à 69,95 dollars à 6 heures, heure de Paris), soit un bond de 3,82 dollars par rapport à sa clôture de 66,13 dollars à New York, vendredi.

Cette poussée à la hausse résulte des craintes suscitées par l'arrivée du cyclone Katrina, qui menace les nombreux puits de pétrole du golfe du Mexique. Le président George W. Bush a déclaré l'état d'urgence dans la région, et 21 puits et plates-formes, qui représentent 42% de la production de la zone, ont été fermés.

"Le marché semble vraiment fou", a commenté Tetsu Emori, analyste à la Mitsui Bussan Futures à Tokyo, tout en estimant que les cours ne devraient pas pouvoir s'installer au-dessus de 70 dollars, puisque s'achève aux Etats-Unis la saison estivale, synonyme de forte circulation.

Dariusz Kowalczyk, stratège à la CFC Seymour Securities, juge lui possible que le prix du baril atteigne 80 dollars, car Katrina, classé de niveau 5, risque d'endommager les plates-formes. Or l'ouragan Ivan, de catégorie 3, qui avait ravagé le golfe du Mexique et ses infrastructures pétrolières en septembre dernier, avait provoqué une augmentation de 22% des cours du brut. "La similitude avec Katrina est tellement importante que les marchés s'énervent, poussant ainsi les cours à la hausse", souligne l'expert, qui rappelle que le port de La Nouvelle-Orléans traite 11% des importations de brut des Etats-Unis, soit un million de barils par jour. Le contrat à terme pour février a atteint à New York le record de 71,87 dollars le baril, une indication de la tendance à venir, ajoute-t-il, d'autant que le risque demeure de sanctions contre l'Iran, compte tenu de ses ambitions nucléaires.

RECOURS AUX RÉSERVES STRATÉGIQUES ?

Les produits pétroliers ont flambé encore plus que le brut, le contrat octobre de l'essence s'adjugeant 11,3%, à 2,1448 dollars le gallon (soit 3,785 litres), et celui du fioul domestique 9,6%, à 2,0135 dollars le gallon. Les opérateurs redoutent que Katrina réduise encore la production de carburants dont les stocks se situent dans le bas de la fourchette habituelle pour cette période de l'année. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dont la production approche ses capacités maximales depuis près d'un an, a exprimé dimanche ses inquiétudes concernant la flambée des cours, en hausse de 61% depuis le début de l'année. Mais selon les analystes, l'OPEP, qui se réunit le 19 septembre à Vienne pour déterminer sa politique de production, ne dispose quasiment plus d'aucun recours pour freiner les cours.

"On peut s'attendre à deux mois de production perdue. Et à l'approche de la période où la demande est la plus forte, cela ne peut pas être pire, estime David Thurtell, stratège chez Commonwealth Bank of Australia. Le seul moyen d'éviter une nouvelle escalade des cours est le déblocage par le président Bush d'une partie des réserves stratégiques de pétrole." L'administration Bush avait précisé qu'elle ne le ferait qu'en cas de perturbation sérieuse, sans plus de précisions.

En Equateur, où la production est revenue à la normale après avoir été perturbée par une semaine de manifestations, les protestaires ont menacé dimanche de reprendre leur mouvement d'ici qauarante-huit heures si les groupes pétroliers n'acceptent pas d'accroître leurs investissements locaux.

Les économistes s'accordent à penser que le renchérissement du pétrole ralentira la croissance en Asie, mais de manière limitée. "Le fait que les cours du pétrole reflètent largement jusqu'à présent une forte demande plutôt qu'une rupture d'approvisionnement est une raison de garder confiance dans la santé de la demande internationale, et cela devrait soutenir une croissance toujours solide des exportations au second semestre", estime David Cohen, économiste régional à Singapour pour Action Economics.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 29.08.05 | 09h50


Le Monde / France
Le gouvernement va publier une liste des secteurs où les OPA seront interdites

 L e gouvernement publiera dans les prochaines semaines une liste des secteurs industriels "stratégiques" dans lesquels le gouvernement pourra interdire une OPA, pour "donner une bonne visibilité" aux investisseurs étrangers, a annoncé le ministre délégué à l'industrie, François Loos, dans Les Echos du lundi 29 août.

"Le code monétaire et financier a été récemment amendé pour permettre au gouvernement d'interdire une prise de contrôle dans des secteurs jugés stratégiques. Un décret d'application va être publié dans les toutes prochaines semaines pour lister et définir précisément ces secteurs", précise le ministre.

"RENFORCER LA COMPÉTITIVITÉ ET L'INDÉPENDANCE DES ENTREPRISES"

"Notre politique n'est pas de s'opposer par principe à tout rachat d'une entreprise française: elle est de renforcer la compétitivité et l'indépendance de nos entreprises et faire en sorte qu'elles soient à armes égales avec leurs homologues étrangers", a t-il ajouté." Mais fondamentalement, c'est avant tout aux entreprises de veiller à leur indépendance en créant de la valeur."

M. Loos ajoute que le groupe minier français Eramet, sur lequel planait des rumeurs de rachat de la part du principal producteur mondial de fer, le brésilien Vale do Rio Doce (CVRD), est "plus stratégique" que le groupe alimentaire Danone. CVRD a déclaré que ces rumeurs étaient "sans fondements".

En juillet, des rumeurs d'offre publique d'achat hostile de l'américain PepsiCo sur Danone avaient déclenché en France une levée de boucliers dans la classe politique, tandis que le titre Danone progressait très fortement à la Bourse de Paris. Samedi 27 juillet, le premier ministre, Dominique de Villepin, avait déclaré qu'il souhaitait "rassembler toutes [les] énergies autour d'un véritable patriotisme économique". Le même jour, le président Jacques Chirac avait demandé au gouvernement de "renforcer le dispositif de protection de nos entreprises stratégiques", déplorant en conseil des ministres "l'absence de stabilité du capital de grandes entreprises" françaises.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 29.08.05 | 11h30


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Laurence Parisot prévoit une faible croissance du pouvoir d'achat

Laurence Parisot, élue à la présidence du Medef lors du 1er tour de l'assemblée générale extraordinaire. | DE MALGLAIVE ETIENNE / GAMMA
DE MALGLAIVE ETIENNE / GAMMA
Laurence Parisot, élue à la présidence du Medef lors du 1er tour de l'assemblée générale extraordinaire.

 A lors que le gouvernement table officiellement sur une croissance du produit intérieur brut (PIB) "proche des 2%" en 2005, la nouvelle présidente du Medef, Laurence Parisot, a estimé que la faiblesse de l'activité interdisait une véritable progression du pouvoir d'achat. Lors de l'ouverture de l'université d'été de l'organisation patronale, elle a jugé qu'une croissance de 1,3% à 1,5% en 2005 rendrait "possible" une "faible croissance du pouvoir d'achat" des Français. Celle qui a succédé en juillet à Ernest-Antoine Seillière a également lancé un avertissement: "on ne peut pas donner ce qu'on n'a pas".

"Comment faire beaucoup plus avec une croissance à 1,3% ou 1,5%", s'est-elle interrogée. "La vraie question c'est comment fait-on pour re-booster la croissance", a-t-elle affirmé sans développer davantage. "Il faut cesser d'inverser les choses", a-t-elle conclu, alors que les syndicats réclament depuis des mois une revalorisation des salaires.

Mme Parisot, qui a "écrit vendredi" aux grandes centrales syndicales pour leur proposer une prochaine rencontre, entend renouer le dialogue avec celles-ci afin de "tenter d'établir un diagnostic commun de la situation", visant à "hiérarchiser les réformes" nécessaires. Deux leaders syndicaux, Jean-Claude Mailly (FO) et François Chérèque (CFDT) sont invités à cette université d'été, respectivement mardi et mercredi. Un groupe de travail intitulé"commission Dialogue économique" a été mis en place lundi par M me Parisot pour plancher sur ce thème.

"SITUATION FRAGILE"

Sans répondre aux questions sur les mesures attendues par le Medef dans les mois à venir, elle a pointé la nécessité de réformer le marché du travail, alors que les chiffres du chômage de juillet seront publiés mercredi. "Tout le monde a dit - les économistes, l'OCDE, les rapports commandés par le gouvernement - (...) que le marché du travail en France ne fonctionne pas bien. C'est principalement par cela qu'on peut agir aujourd'hui", a-t-elle lancé.

Interrogée sur son appréciation des 100 premiers jours du gouvernement Villepin, dont le premier ministre tirera le bilan jeudi, Mme Parisot a estimé qu'il était "trop tôt pour tirer un bilan des premières initiatives" prises par ce gouvernement. Elle a toutefois salué le fait que Dominique de Villepin soit "habité par le sentiment de l'urgence". "Nous considérons que la situation de notre pays est extrêmement fragile, et qu'il y a urgence à se mobiliser pour engager un certain nombre de réformes", a-t-elle affirmé.

L'université d'été du Medef rassemble quelque 3 000 chefs d'entreprise sur le campus de l'école de commerce HEC jusqu'à mercredi.

LEMONDE.FR | 29.08.05 | 18h55


Le Monde / Sciences
Une découverte fondamentale sur l'origine des ovocytes a été faite aux Etats-Unis

 C' est le dogme central de la biologie de la reproduction qui est aujourd'hui remis en cause par une équipe de biologistes américains. Ce dogme veut que, dans la plupart des espèces mammifères ­ à la différence des oiseaux ou des poissons ­, le stock des cellules sexuelles femelles (ou ovocytes) est établi une fois pour toutes au cours de la vie foetale. Il forme ensuite une réserve qui diminue au fil des ovulations. Dans l'espèce humaine, cette réserve s'épuise à l'approche de la ménopause, phénomène qui entraîne la stérilité de la femme et qui induit des modifications hormonales importantes, souvent handicapantes.

Les choses pourraient en réalité être beaucoup plus complexes et peut-être, contrairement aux apparences, n'y a-t-il là aucune fatalité. Dans le dernier numéro (daté du 28 juillet) de la revue Cell, le professeur Jonathan L. Tilly (Harvard Medical School, Massachusetts General Hospital, Charlestown) et ses collaborateurs fournissent en effet une série de preuves expérimentales obtenues chez des souris adultes qui bouleversent les connaissances et les certitudes des biologistes de la reproduction.

Les chercheurs américains expliquent en substance avoir découvert dans l'ovaire de ces animaux une zone proche des vaisseaux sanguins contenant des cellules souches germinales capables de se différencier pour donner des ovocytes. Ils ajoutent avoir pu mettre en évidence, dans le sang circulant ainsi que dans la moelle osseuse, des cellules similaires, porteuses de marqueurs spécifiques.

Ils apportent en d'autres termes la preuve expérimentale de l'existence d'une communication, d'un véritable "dialogue cellulaire", établi par l'intermédiaire du courant sanguin entre la moelle osseuse et les ovaires. Ils fournissent en outre la démonstration que cette communication, jusqu'alors inconnue, peut permettre à la moelle osseuse de reconstituer les réserves en ovocytes des ovaires. Ces chercheurs ont en outre réussi à greffer des cellules souches germinales productrices d'ovocytes dans des ovaires de souris qui avaient été rendus stériles après administration de produits anticancéreux.

Le professeur Tilly confirme ainsi des travaux préliminaires publiés dans Nature (Le Monde du 17 mars 2004) qui avaient été à l'origine d'une vive controverse scientifique. Il précise aujourd'hui ne pas avoir encore la preuve permettant d'affirmer que les ovocytes ainsi produits peuvent être fécondés. Pour autant, il rappelle que dans le passé des femmes ayant été rendues stériles du fait d'un traitement anticancéreux sont redevenues fertiles après avoir reçu une greffe de moelle osseuse; un phénomène jusqu'alors inexpliqué.

"Tout laisse penser que les retombées de ces découvertes vont être considérables, tant dans le domaine de la médecine humaine que dans celui de la zootechnie. estime le professeur Bernard Jégou, biologiste de la reproduction (université de Rennes, directeur de l'unité 625 de l'Inserm). Dans un premier temps, la voie de la greffe de cellules germinales pour traiter les ménopauses précoces et les stérilités générées par certains traitement va s'ouvri r. Et l'on peut d'ores et déjà imaginer que certains seront tentés d'user de cette nouvelle connaissance pour retarder l'âge de la ménopause."

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 30.07.05


Le Monde / Entreprises
Laurence Parisot, la nouvelle présidente du Medef, souhaite "réconcilier la France et l'entreprise"

 L aurence Parisot est attendue, et elle le sait. Par ses pairs, par le gouvernement et la classe politique, et par les syndicats. Lundi 29 août, la nouvelle présidente du Medef, qui reste PDG de l'IFOP (institut de sondages), commence sa nouvelle vie. Elle réunit dans la matinée son conseil exécutif. Et ouvre dans l'après-midi la 7e université d'été du Medef. Deux rendez-vous cruciaux ­ l'un à huis clos, l'autre public ­ pour donner le ton de sa présidence.

Le départ de Guillaume Sarkozy

La présidente du Medef a annoncé, lundi, de premiers changements. Comme il le souhaitait, Guillaume Sarkozy, candidat malheureux à la succession de M. Seillière, quitte les instances dirigeantes du Medef. Jean-René Buisson reprend le dossier de la protection sociale. Le bureau du conseil exécutif compte 12 membres, dont Yvon Jacob et Hugues-Arnaud Mayer, ex-rivaux de Mme Parisot, et Denis Gautier-Sauvagnac, qui restera chargé des relations du travail et de l'emploi. Dix commissions classiques et trois commissions transversales, dont une sur les Nouvelles générations, sont créées.

Au conseil exécutif, Mme Parisot devait annoncer de premières décisions sur la reconfiguration des instances dirigeantes. Elle souhaite à la fois apaiser le Medef, après une campagne électorale "assez vive". mais aussi le rajeunir et le féminiser. Sur le campus d'HEC à Jouy-en-Josas (Yvelines), où plusieurs centaines de chefs d'entreprise, quatre ministres dont Azouz Begag et Nicolas Sarkozy, des politiques, un syndicaliste (Jean-Claude Mailly, FO), et moult acteurs de la société civile (écrivains, universitaires, scientifiques, psys...) vont débattre des moyens de "réenchanter le monde". Mme Parisot devait rompre un assez long silence estival pour donner ses premières orientations en matière économique, sociale et fiscale.

Mais aussi pour délivrer un message plus large sur sa conception de l'action patronale. "Tendus vers le futur, les entrepreneurs ont le devoir de participer activement à la réflexion sur l'évolution du monde, de donner de nouvelles impulsions. Le devoir aussi de s'ouvrir toujours plus à la société civile et de dialoguer avec tous ses acteurs sans esprit partisan, sans parti pris ni défiance, sans autre idéologie que celle de l'action et de la réussite. La réconciliation de la France et de l'entreprise est notre espoir et notre but". écrit-elle déjà dans un éditorial consacré à l'université d'été. Cette ouverture sur la société française réjouit fort le président du Conseil économique et social, Jacques Dermagne, ancien dirigeant patronal et grand défenseur de l'entreprise citoyenne.

Mis à part deux fois cinq jours de vacances, Mme Parisot a consacré son été à travailler, et à consulter, notamment deux de ses prédécesseurs, Jean Gandois et François Périgot, et "pas mal de gens du conseil exécutif". comme Denis Gautier-Sauvagnac et Guillaume Sarkozy. Première femme élue à la tête du patronat français, soutenue par toutes les fédérations du tertiaire, Mme Parisot n'était pas la candidate de l'industrie, qui, jusqu'au 5 juillet, faisait les rois au Medef. Consciente des risques de clivage que son élection peut provoquer, Mme Parisot a passé du temps à apaiser l'organisation. "On a été en compétition, on ne l'est plus. Il nous fallait retrouver un discours commun et de la sérénité". explique-t-elle.

REÇUE À L'ÉLYSÉE ET À MATIGNON

Côté politique, la présidente du Medef a vu la plupart des ministres travaillant sur des dossiers intéressant le patronat, comme Jean-Louis Borloo (cohésion sociale), Gérard Larcher (emploi), Xavier Bertrand (santé et comptes sociaux) ou Christine Lagarde (commerce extérieur). Si elle n'a pas encore rencontré Thierry Breton à Bercy, la présidente du Medef a pris soin de s'entretenir avec Nicolas Sarkozy, avec le directeur de cabinet de Dominique de Villepin et avec le secrétaire général de l'Elysée, Frédéric Salat-Baroux.

Avant une semaine cruciale pour le gouvernement, Mme Parisot a été reçue par Dominique de Villepin, mardi 23, et par Jacques Chirac, vendredi 26. La présidente du Medef, qui n'entend pas "parler à tout moment et à tout bout de champ". est restée discrète sur ces deux entretiens. Mais tant à l'Elysée qu'à Matignon, une certaine satisfaction était perceptible à l'idée que puisse s'ouvrir une nouvelle ère avec le Medef.

Patron de combat contre la gauche, Ernest-Antoine Seillière s'est aussi beaucoup "bagarré" contre Jean-Pierre Raffarin, l'accusant même de n'avoir "rien fait" pour les entreprises. D'un naturel plus réservé et moins agressif, Mme Parisot ne devrait toutefois rien céder sur le fond. A moins de vingt mois de la présidentielle, elle a à coeur de rencontrer élus et responsables de l'opposition. PDG de l'IFOP, elle les connaît quasiment tous.

Ce week-end, elle a écrit aux syndicats, très critiques sur ses premières déclarations sur le code du travail et sur son soutien au contrat nouvelles embauches, pour leur proposer un rendez-vous officiel début septembre.

Claire Guélaud
Article paru dans l'édition du 30.08.05


Le Monde / Opinions
point de vue
Famine au Niger: nous sommes tous responsables, par Kofi Annan

 M ardi 23 août, à Zinder, une des principales régions agricoles du Niger, j'ai rencontré une jeune femme de 23 ans du nom de Sueba. Pour obtenir des secours alimentaires, elle avait parcouru plus de 75 kilomètres avec, dans les bras, safille, Zulayden, âgée de deux ans. Sueba avait déjà perdu deux enfants, morts de faim, et celle qui lui restait ne pesait que 60% du poids normal d'un enfant de son âge.

Elle craignait qu'au pis Zulayden ne survive pas, qu'au mieux l'enfant connaisse, toute sa vie, la faim et les privations qu'elle-même ne connaissait que trop bien. Avec dans les yeux un regard que je n'oublierai jamais, elle implorait le monde d'entendre son appel à l'aide, non seulement ce jour-là mais aussi dans les mois et les années à venir.

Le peuple et le gouvernement du Niger traversent une multitude d'épreuves redoutables, dont la faim, une sécheresse persistante, l'avancée de la désertification, des invasions de criquets pèlerins et des marchés régionaux en déconfiture.

Des organismes publics et des associations de la société civile se mobilisent pour venir en aide aux plus nécessiteux, en particulier les enfants. La détresse dont j'ai été témoin au Niger est profonde, mais certains signes montrent que le pays devrait être capable de surmonter cette crise, et de nous apprendre des choses à tous. Quoique tardivement, le reste du monde vole au secours du Niger. Mais le même spectre ­ celui d'une famine survenant dans un climat généralisé d'insécurité alimentaire ­ hante près de 20 millions de personnes dans d'autres régions du Sahel: dans le sud du Soudan, en Ethiopie, en Erythrée, en Somalie et en Afrique australe. Si nous agissons sans attendre, ce spectre pourra être conjuré.

Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), un Africain sur trois souffre de malnutrition. Chaque année, des centaines de milliers d'enfants africains, affaiblis par la malnutrition et la faim, connaissent une mort qui aurait pu être évitée.

Tant l'activité humaine que la nature entrent en jeu. Au Sahel, la désertification et la dégradation de l'environnement privent la population de terres cultivables et d'eau potable, la vouant à la famine. La médiocrité des performances des marchés régionaux fait que de nombreux ménages pauvres n'ont pas les moyens de s'alimenter. La sécheresse qui a suivi les invasions de criquets de l'an dernier a été un véritable désastre pour la population de cette région aride et fragilisée.

La pauvreté, annonciatrice de la faim, est l'éternelle toile de fond de cette détresse. Ce n'est pas un hasard si le Sahel occidental, terre d'élection de la faim, est une des régions les plus pauvres et les plus inaccessibles de la planète. Et la faim, à son tour, fait souvent le lit de l'instabilité sociale, des émigrations massives, de la maladie et de la violence. Homère l'a bien dit, il y a des siècles: "La faim est pleine d'insolence."

Nous devons chercher à régler le problème de la sécurité alimentaire à ses premiers stades, avant que la souffrance ne gagne du terrain et que secourir les plus vulnérables ne devienne une entreprise très coûteuse. S'il n'y a ni remède miracle ni solution unique à la disette, il y a tout de même beaucoup de choses à faire.

Premièrement, il nous faut mieux analyser le système de l'alerte rapide. Dans les premiers temps, au Niger, la communauté internationale n'a pas su faire la différence entre une situation classique ­ un pays pauvre qui se débat pour subvenir aux besoins de sa population ­ à une véritable situation d'urgence. Certains des remèdes préconisés n'étaient donc pas ceux que dictaient des circonstances devenues dramatiques.

Deuxièmement, il faut que suffisamment de fonds soient disponibles à l'avance pour que les gouvernements, les organismes de l'ONU et les organisations non gouvernementales (ONG) puissent se préparer à intervenir et déployer plus rapidement du personnel.

Une des principales réformes que je souhaite voir examinée au sommet mondial, qui se tiendra le mois prochain, consisterait à décupler les réserves disponibles dans le Fonds de secours des Nations Unies pour que ses organismes d'aide puissent lancer rapidement des opérations de secours.

Troisièmement, nous devons privilégier la prévention. L'allégement de la dette, l'accroissement de l'aide et des réformes des régimes commerciaux régionaux et internationaux allant dans un sens favorable aux pauvres sont autant d'éléments propres à favoriser le développement de la production agricole locale. En développant l'agriculture irriguée, on pourrait également réduire la dépendance à l'égard de pluies irrégulières et améliorer la production alimentaire.

De manière générale, il est grand temps d'exploiter les progrès scientifiques et l'expérience acquise, en Asie et ailleurs, afin d'amorcer une révolution verte en Afrique. On le sait, prévenir revient moins cher que guérir.

Mais lorsqu'il est trop tard, lorsqu'une crise s'est déjà déclarée, il ne peut plus être question de subordonner l'octroi de l'aide d'urgence qui permettra de sauver des vies à un quelconque objectif d'autonomie pour l'avenir. C'est aux êtres humains, et non aux grands principes, qu'il faut penser d'abord.

Quatrièmement, nous devons consolider les structures de la région et exploiter ses points forts. La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) se montre de plus en plus apte à faire face aux problèmes humanitaires et aux menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité dans la région.

Le Nouveau partenariat pour ledéveloppement de l'Afrique (Nepad) gagne en importance comme cadre de coopération entre les pays africains et les donateurs bilatéraux et multilatéraux. Tous deux méritent de bénéficier d'un soutien international accru.

Cinquièmement, chacun doit accepter sa part de responsabilité, au lieu de rejeter la faute sur autrui.

Tous les intéressés ­ gouvernements de la région, donateurs, institutions financières internationales et organismes d'aide ­ ont une part de responsabilité dans la crise. Nous avons tous mis trop de temps à réagir, à comprendre la situation, à déployer du personnel, à dégager des ressources.

Le défi que nous devons collectivement relever à ce stade est d'éviter que des populations ne souffrent inutilement, de nous doter des moyens de réagir plus vite et de renforcer les mécanismes d'adaptation et de survie des populations locales, pour que les problèmes de sécurité alimentaire soient abordés comme un continuum, de façon globale et à long terme. Le Sahel ne pourra se développer, prospérer ou être véritablement libre tant que ses habitants auront le ventre creux.

Ni Sueba, ni Zulayden, ni des millions d'autres Sahéliens ne seront vraiment libres tant que la pauvreté continuera d'ébrécher leur dignité d'êtres humains. Pour eux et pour les générations futures, nous devons, sans plus attendre, mettre fin à la calamité qu'est la faim en Afrique.


Kofi Annan est secrétaire général de l'Organisation des Nations unies.

par Kofi Annan
Article paru dans l'édition du 30.08.05


Le Monde / Société
Article interactif
Energiques réactions des politiques et syndicats français
1 - Le président du conseil régional d'Ile-de-France veut créer une "agence foncière"
2 - Les syndicats pressent le gouvernement à engager une action "rapide et vigoureuse"
3 - Le Parti socialiste accuse le gouvernement de "démanteler" la politique du logement social
4 - Sarkozy prône la fermeture des squats
5 - Le président de la République annonce des "initiatives fortes"
6 - François Bayrou appelle à la "mobilisation des pouvoirs publics"
1 - Le président du conseil régional d'Ile-de-France veut créer une "agence foncière"

 L e président du conseil régional d'Ile-de-France, Jean-Paul Huchon (PS), a demandé au gouvernement de réunir "tous les acteurs concernés" par le problème du logement et d'"autoriser la région à créer une agence foncière" susceptible de "faire baisser le prix des terrains".

M. Huchon a rappellé l'effort de la région qui "s'est mobilisée depuis 1998 pour lutter contre l'insalubrité et offrir aux plus démunis des accueils d'urgence décents". "4 millions d'euros sont affectés à la création et à la rénovation de structures d'hébergement d'urgence", a-t-il souligné. Mais aujourd'hui, il y a "urgence pour les pouvoirs publics à trouver ensemble des solutions pour la production de logements sociaux", affirme-t-il.

L'élu estime que parmi les mesures à prendre, il faudrait "obliger chaque commune à offrir 20% de logements sociaux sur l'ensemble de son parc locatif". Il demande aussi la création d'une agence foncière, réclamée par les élus régionaux "depuis bientôt deux ans" et qui permettrait selon lui de faire baisser le prix des terrains.

2 - Les syndicats pressent le gouvernement à engager une action "rapide et vigoureuse"

 D e leur côté, les syndicats FO, CGT et UNSA ont pressé le gouvernement d'engager une action "rapide et vigoureuse" en faveur du logement social.

"Toute frilosité dans l'action à conduire équivaut à faire perdurer des risques majeurs supplémentaires à des populations déjà très fragilisées", a ainsi déclaré FO dans un communiqué. "Le gouvernement se doit d'engager une action rapide et vigoureuse pour que pareil drame ne se renouvelle pas", a-t-elle ajouté en demandant "des aides fiscales pour le logement social plutôt que pour l'investissement privé". Selon FO, les terrains de l'Etat devraient être mis à disposition immédiatement pour lancer des programmes de construction. "Le droit et la finance doivent être mis au service de cet objectif. Ce sont des moyens et non des fins en soi", estime la confédération.

Pour la CGT, "ces drames révèlent la situation catastrophique du logement qui perdure depuis des années". "Celle-ci s'aggrave de jour en jour avec les mesures du gouvernement actuel", affirme la centrale, pour qui "l'inadmissible est dépassé" et qui exige "des mesures d'urgence et une tout autre politique du logement à Paris, en Ile-de-France et dans tout le pays". "Nous n'admettrons pas que "l'inventaire" de ces lieux soit le prétexte à amplifier les expulsions", prévient-elle en demandant la construction "de logements sociaux en quantité et qualité pour satisfaire les besoins de toutes les familles".

Enfin, l'UNSA dénonce "une fois de trop". Pour elle, "ces incendies sont la conséquence de la grande précarité qui s'installe dans les grandes villes et à laquelle les pouvoirs publics ne répondent pas". "L'UNSA demande que toutes les mesures d'urgence soient prises pour loger durablement les familles éprouvées et celles dont la situation déplorable et inacceptable est connue afin de mettre un terme à cette série de catastrophes" précise le communiqué.

3 - Le Parti socialiste accuse le gouvernement de "démanteler" la politique du logement social

 L e Parti socialiste a accusé le gouvernement d'avoir "démantelé" la politique du logement social. Il a aussi réclamé un "effort sans précédent de construction et de réhabilitation".

"Depuis plus de trois années, le gouvernement a démantelé méticuleusement les outils et les financements de la politique du logement social", déclare le PS dans un communiqué. Il critique "le désengagement de l'Etat" à qui il reproche en particulier de ne pas appliquer la loi Solidarité et rénovation urbaine (SRU) et "l'obligation de 20% de logements sociaux dans chaque commune". La loi SRU de décembre 2000 contraint la plupart des communes urbaines ayant moins de 20% de logements sociaux à rattraper leur retard, sous peine de sanctions financières.

Le PS, qui exprime aussi "sa plus profonde émotion devant le nouveau drame", estime que l'incendie de lundi soir "vient confirmer l'ampleur et les dangers de la situation du logement en Ile-de-France et dans notre pays, qui touche plus de 3 millions de personnes".

Soulignant que l'Ile-de-France et la municipalité de Bertrand Delanoë "ont engagé une politique volontariste", le PS estime que "la politique du logement doit être une politique nationale". Il demande au gouvernement "de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour qu'un effort sans précédent de construction et de réhabilitation soit engagé".

4 - Sarkozy prône la fermeture des squats

 "I l faut fermer tous ces squats et tous ces immeubles pour arrêter ces drames, et c'est ce que j'ai demandé au préfet de police, parce que ce sont des êtres humains qui sont logés dans des conditions inacceptables", a déclaré le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, en marge d'un déplacement à Reims, aux côtés de Jacques Chirac et Dominique de Villepin, sur le thème de l'innovation.

"A force d'accepter des gens malheureusement à qui on ne peut proposer ni travail ni logement, on se retrouve dans une situation où on a des drames comme ça", a-t-il déploré.

5 - Le président de la République annonce des "initiatives fortes"

 L e président Chirac a annoncé, mardi 30 août, que le gouvernement et Dominique de Villepin prendraient "des initiatives fortes" pour éviter que des incendies dramatiques dans des immeubles insalubres se reproduisent à nouveau.

"Ce qui me paraît essentiel, aujourd'hui, à la suite de ce deuxième drame, c'est de prendre ensemble, c'est-à-dire toutes les autorités compétentes nationales, régionales, départementales, municipales, les mesures qui s'imposent pour éviter des drames de cette nature", a déclaré M. Chirac lors d'un déplacement à Pomacle (Marne), près de Reims. "Je crois qu'on peut le faire, je pense que le gouvernement et le premier ministre vont prendre très prochainement des initiatives fortes dans ce domaine", a-t-il ajouté.

M. Chirac a souligné que sa réaction à ce nouvel incendie était "une réaction de consternation, de compassion à l'égard des victimes, d'horreur et de condoléances". "Je voudrais souligner combien cette situation (de logement insalubre) est tout à fait indigne des exigences naturelles de l'accueil qu'on doit à celles et à ceux qui sont chez nous, quelles que soient leurs origines, quelle que soit leur nationalité", a-t-il précisé.

6 - François Bayrou appelle à la "mobilisation des pouvoirs publics"

 L e président de l'UDF, François Bayrou, a lui appelé à la "mobilisation des pouvoirs publics" pour "recenser les lieux dangereux".

"C'est une terrible série, qui parle à tout le monde je crois de l'inhumanité de la société dans laquelle nous vivons", a-t-il déclaré devant la presse, en marge de l'université d'été de son parti à Giens (Var). "C'est une société si dure, dans laquelle certains sont en situation si précaire que ça nous oblige à des changements profonds, dans l'urgence", a-t-il ajouté.

"Lorsqu'il s'agit de recenser les lieux dangereux, de veiller à la sécurité, d'imposer des travaux immédiats ou des normes d'urgence, c'est à l'Etat de le faire", a-t-il précisé, soulignant qu'"à chaque incendie malheureusement on répète que ça va se faire, et hélas ça ne se fait pas". "Il faut que tout le monde dans les pouvoirs publics exerce la mobilisation qui s'impose pour repérer les lieux dangereux, proposer des normes d'urgence, faire que des enfants et des familles ne soient plus dans cette situation exposée", a-t-il enfin dit.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 30.08.05 | 19h46


Le Monde / Société
Après l'incendie du 3e arrondissement à Paris, la préfecture va évacuer les immeubles dangereux

 L a préfecture de police de Paris a annoncé, mardi 30 août, "l'évacuation des immeubles et des squats les plus dangereux", au lendemain d'un nouvel incendie qui a fait sept morts, dont quatre enfants, dans un immeuble vétuste du 3e arrondissement squatté par des familles ivoiriennes. Le communiqué évoque ainsi la mise en œuvre, "dans les tout prochains jours, en lien avec la Ville de Paris, [d']un dispositif d'urgence pour prévenir de nouveaux sinistres". Mais la Mairie a répondu dans la soirée qu'elle "ne souhaite être associée en aucune façon aux décisions d'évacuation". "Notre démarche est une démarche de prévention des risques, et toute évacuation qui s'avère nécessaire au vu du dossier technique doit faire l'objet de solutions d'hébergement adaptées proposées aux personnes concernées, et ce sur l'ensemble du territoire de l'Ile-de-France", souligne dans le communiqué Jean-Yves Mano, adjoint au maire chargé du logement.

Alors que le débat sur les responsabilités fait rage et que Dominique de Villepin doit annoncer, jeudi, ses mesures en faveur du logement social, son ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, s'est cantonné à une rapide suggestion: "fermer tous ces squats et tous ces immeubles pour arrêter ces drames." "A force d'accepter des gens (...), on se retrouve dans une situation où on a des drames comme ça", a-t-il ajouté.

PROPOSITIONS DE RELOGEMENT

La préfecture indique qu'elle a "notamment" procédé, dès mardi, à l'évacuation du squat de la rue du Chalet (10e arrondissement). Elle entend aussi rappeler à leurs devoirs les propriétaires des immeubles dégradés, en renouvelant les "prescriptions fermes de remise en état dans des délais contraints", et organiser des visites des bâtiments signalés, par les services de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Elle précise avoir alerté le propriétaire de l'immeuble incendié, la société d'économie mixte Siemp, "à plusieurs reprises, notamment le 9 août dernier, à la suite d'une visite d'un architecte de sécurité de la préfecture qui a mis en lumière l'état général de vétusté de l'immeuble et les risques pour la sécurité de ses habitants". Mais "l'immeuble devait être progressivement vidé pour être réhabilité et ne faisait donc pas l'objet d'une demande d'expulsion de ses occupants", a-t-elle rappelé.

En fin de journée, le maire du 3e arrondissement, le socialiste Pierre Aidenbaum, a annoncé que "toutes les familles ont déjà reçu des propositions de relogement et que certaines d'entre elles sont parties visiter des appartements". Il a appelé à la régularisation des familles sans-papiers, tout comme l'ambassadeur de Côte d'Ivoire, "choqué" et "écœuré" par ce drame. Dans la soirée, quelque 150 personnes ont manifesté près de l'immeuble, rue du Roi-Doré, et observé cinq minutes de silence.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 09h17


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Impuissance

 P our la troisième fois depuis le début de l'année, un incendie d'une particulière violence a embrasé un immeuble parisien et provoqué la mort d'au moins sept personnes d'origine africaine. La répétition, à quelques jours d'intervalle, d'un drame de cette nature accentue l'impression d'accablement qui saisit chacun et l'impuissance bien réelle des pouvoirs publics à prévenir ces catastrophes.

Dans la soirée du lundi 29 août, le feu qui s'est déclenché dans un squat situé rue du Roi-Doré, dans le Marais, a aussitôt pris des proportions alarmantes. Au petit matin, les pompiers ont rendu public un bilan provisoire: sept morts (dont un enfant) et trois blessés graves. La semaine dernière, l'incendie du boulevard Vincent-Auriol avait provoqué la mort de dix-sept personnes (dont quatorze enfants). En avril, les flammes avaient détruit l'Hôtel Paris-Opéra, tuant vingt-quatre personnes (dont cinq enfants).

La répétition ne signifie pas que ces drames sont en tous points comparables. Les occupants du Paris-Opéra étaient des ressortissants étrangers, sans-papiers recueillis à titre provisoire, provenant de divers pays européens et africains. Les habitants de l'immeuble du boulevard Vincent-Auriol, géré par une association caritative, étaient des Français d'origine malienne en attente, pour certains, d'un logement social depuis plus de dix ans. Les victimes du squat de la rue du Roi-Doré étaient des étrangers dépourvus de titres de séjour réguliers.

Mais cette différence des statuts ne peut pas masquer l'évidence: à chaque fois, ce sont des familles modestes, voire carrément démunies, essentiellement d'origine africaine, qui deviennent les prisonnières de bâtiments insalubres et surencombrés. A chaque fois, des femmes et des enfants périssent dans des feux ravageurs, sans que la rapidité et le courage des pompiers puissent être mis une seconde en doute.

Ce n'est bien sûr ni la première ni la dernière série d'incendies qui frappe des personnes vivant dans la précarité et réfugiées dans les centres de grandes villes. Trois feux avaient ainsi réduit en cendres des hôtels meublés vétustes, à Paris, en 1986, tuant dix-huit personnes au total. Des Grecs, des Turcs, des Africains et des personnes d'origine indochinoise. Ce simple rappel suffit à montrer que les pouvoirs publics n'ont pas su, en vingt ans, apporter une solution au problème du logement des populations fragiles.

La Ville de Paris a recensé voilà trois ans un millier d'immeubles insalubres. Un plan d'action a été tracé: rachat, réhabilitation. Il est en cours de réalisation. C'est mieux que rien, mais cela ne répond pas quantitativement à l'immense demande de logement social ni à l'envol, apparemment inexorable, du prix des loyers et du foncier, en règle générale. Face à la spéculation et au gonflement de la bulle immobilière, il serait temps d'affecter les crédits logement du "ministère Borloo" vers les plus pauvres au lieu de vouloir à tout prix privilégier l'accession à la propriété.

Article paru dans l'édition du 31.08.05


Le Monde / International
L'ouragan Katrina a fait des "centaines de victimes" et inondé La Nouvelle-Orléans

 L e nombre de victimes s'est considérablement alourdi après le passage du cyclone Katrina, dont les vents ont balayé la Louisiane à plus de 220 km/h avant de s'abattre sur le Mississippi, l'Alabama et le Tennessee. Des premières estimations font état, mercredi 31 août, de "centaines de morts", alors que mardi, le bilan était de 54 morts.

La Nouvelle-Orléans, dont la plupart des 1,4 million d'habitants vivent en dessous du niveau de la mer, a été submergée à 80%, a indiqué le maire, Ray Nagin. Les deux aéroports sont sous les eaux, au moins trois des digues protégeant la ville ayant cédé. Une brèche de 60 mètres laisse se répandre dans la ville les eaux du lac Pontchartrain. "Notre ville est ravagée, a déclaré le maire. C'est comme un cauchemar dont on espère se réveiller." Il a fait état de corps flottant sur des eaux qui atteignent par endroits six mètres de profondeur. Des magasins d'électronique, des pharmacies et des supermarchés ont été dévalisés par les pillards.

Le gouverneur de la Louisiane, Kathleen Blanco, a dressé un tableau alarmant de la situation: "Il n'y a plus d'électricité, et il n'y en aura pas pendant un bon moment (...). Il n'y a pas d'eau potable (...). Et il n'y a pas de nourriture. Nous allons devoir en envoyer aux secouristes et aux rescapés", a-t-elle indiqué. Dans cette situation, qui menace de devenir une crise humanitaire, la Croix-Rouge a lancé une importante opération pour venir en aide à la population. Les communications téléphoniques, par fixe ou portable, sont très limitées, dans l'attente d'un réseau d'urgence. Et le seul axe routier qui relie encore la ville à l'extérieur a été réservé aux secours. Plusieurs incendies noircissaient le ciel, et les pompiers ne pouvaient y accéder.

"COMME UNE EXPLOSION NUCLÉAIRE"

Des milliers de personnes, qui n'avaient pas évacué la ville à l'appel des autorités dimanche, ont été tirées de l'eau ou hélitreuillées depuis le toit de leur maison, mais "le volume de travail restant à accomplir est ahurissant", selon Mme Blanco. Dans les rues inondées, où flottaient lignes électriques, conduites de gaz et débris, les sauveteurs ont parfois dû renoncer aux bateaux et recourir aux hélicoptères. Plusieurs hôpitaux, dont les générateurs d'urgence ont succombé aux flots, ont commencé à évacuer leurs patients par le toit.

Des centaines d'habitants, épuisés et trempés, avaient traversé dans la matinée le pont Saint-Claude, espérant s'abriter dans le stade couvert du Superdome, où quelque 10 000 personnes ont déjà trouvé refuge. Mais le gigantesque stade va être évacué, ont annoncé les autorités. Pour combler les brèches des digues, l'armée compte larguer par hélicoptère des sacs de sable de plus de 1 300 kg, et faire venir des conteneurs remplis de sable.

"On dirait qu'on a été victimes d'une explosion nucléaire", se lamente Hayes Bolton, 65 ans, qui monte la garde devant les ruines de son magasin de prêts sur gages à Biloxi, dans le Mississippi. Plusieurs centaines de personnes seraient mortes après qu'une vague de neuf mètres de haut se fut fracassée sur les côtes de l'Etat, selon un porte-parole de la municipalité. Des équipes de secouristes secondés par des chiens tentaient de détecter d'éventuels cadavres sous les décombres.

M. BUSH ÉCOURTE SES VACANCES

Selon le gouverneur du Mississippi, on dénombrerait environ 80 morts dans le secteur de Biloxi, mais sur place, plusieurs sources annonçaient un bilan beaucoup plus lourd, atteignant "plusieurs centaines" de morts. Cependant, l'incertitude demeure, les secouristes peinant encore à atteindre certains secteurs du golfe du Mexique touchés lundi par l'ouragan.

Dans toute la région, des habitants se sont réfugiés sur les toits pour échapper à la spectaculaire montée des eaux. Les gardes-côtes ont participé au sauvetage de 1 200 personnes à La Nouvelle-Orléans, lundi soir, et, mardi, de plusieurs milliers d'autres personnes le long de la côte du golfe du Mexique. "Ce que j'ai vu aujourd'hui ressemble à ce que j'ai vu en survolant les zones touchées par le tsunami en Indonésie. Il y a des endroits qui ont carrément disparu", a déclaré la sénatrice de Louisiane Mary Landrieu, après un survol des zones inondées.

Le président George Bush va écourter ses vacances dans son ranch de Crawford pour superviser les opérations de recherche et de reconstruction. Il doit présider une réunion de crise avec les représentants des quatorze organismes fédéraux impliqués dans les efforts de secours et de déblaiement. "Pour le moment, notre priorité est de sauver des vies", a-t-il déclaré.

Les gouverneurs des Etats affectés ont appelé à la rescousse plus de 7 500 membres de la garde nationale pour prévenir les pillages, déblayer et distribuer l'aide aux populations sinistrées. L'électricité, coupée pour près de cinq millions de personnes en Louisiane, dans le Mississippi, l'Alabama et la Floride, selon les fournisseurs, pourrait ne pas être rétablie avant plusieurs semaines. Les dégâts causés par Katrina pourraient atteindre un coût record: certains cabinets d'analyse des risques l'estiment à 26 milliards de dollars (21 milliards d'euros).

Avec Reuters et AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 08h37


Le Monde / Opinions
Point de vue
Gaza: théâtralité et leçons d'un retrait, par Arno Klarsfeld

 "I l ne se passe vraiment rien ici" : cette complainte d'un photographe de la presse italienne, au deuxième jour de l'évacuation des colons de Gaza, représentait bien l'état d'esprit spontané du vaste corps de la presse, plus nombreux sur l'étroite bande de terre de quelques centaines de kilomètres carrés que sur tout le vaste, tumultueux et sanglant continent africain.

Huit mille juifs, répartis en 21 implantations, vivaient sur près d'un quart des terres de la bande, parmi un million et demi de Palestiniens. Ils en sont partis: certains de gré, d'autres de force. En Israël comme à l'étranger, certains avaient prédit l'apocalypse: des milliers de soldats désobéiraient. Des députés avaient prévenu: "Nous ne partirons du Goush Katif que dans un cercueil", ce serait un second Massada. Jusqu'au bout, certains rabbins prédisaient un miracle.

Il était juste et raisonnable de se retirer de Gaza. Huit mille israéliens ne peuvent vivre en dehors des frontières internationalement reconnues dans des oasis, même si leur ardeur les a fait germer, tandis que les Palestiniens vivent un quotidien sordide ­ même si c'est le destin que leurs leaders ont choisi pour eux.

Pourquoi Sharon a-t-il changé d'avis, lui qui était opposé, il y a deux ans encore, au retrait de Gaza ? Ce désengagement permet de reprendre l'initiative d'un point de vue diplomatique, de ne pas se voir dépasser par des propositions extérieures, de placer théoriquement les Palestiniens au pied du mur afin qu'ils démantèlent leurs réseaux terroristes.

Enfin, Sharon ne croit pas à la paix dans le contexte actuel. Ou, s'il y croit, il ne la voit qu'à long terme. Autant, alors, se replier sur des lignes plus défendables, tout en cherchant à consolider sa position sur les implantations dans la banlieue de Jérusalem.

Ce désengagement indispensable est cependant, pour Israël, une défaite, ou le révélateur d'une erreur d'analyse historique. Depuis 1967, Israël affirmait: "Nous ne quitterons les territoires qu'en échange de la paix." Aujourd'hui, Israël s'en va, sans rien obtenir en échange, si ce n'est la promesse du Hamas de tirs de roquettes sur les villes du Sud israélien.

Israël n'aurait sans doute jamais dû conquérir Gaza. Le zèle a joué contre la prudence et Gaza a été conquise. Israël s'était promis une occupation éclairée. Arrogance ! Même si une des premières mesures prises par Moshe Dayan, à l'issue de la guerre de six jours [juin 19 67 ] fut d'ouvrir les frontières de Gaza et de la Cisjordanie vers Israël. On a pu alors circuler librement. Il n'y avait pas de check-points, car il n'y avait pas d'attentats. Quand les Egyptiens occupaient Gaza [1949-1967], les Palestiniens ne pouvaient travailler ou même se rendre en Egypte...

Mais Israël occupait. Et toute occupation est insupportable aux populations conquises. Avec qui négocier ? Face au refus du monde arabe et des Palestiniens, Israël a laissé le mouvement des colonies se développer. Il fallait qu'il y ait des civils pour que les militaires trouvent une raison à leur présence. On parle de colonisation, mais les Israéliens tirent-ils des revenus de matières premières extraites d'une terre par des autochtones exploités, comme la France le faisait en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie, l'Angleterre aux Indes ou les Portugais en Angola ?

La colonisation a été d'abord sécuritaire, ensuite idéologique. Elle aurait pu être évitée si une offre de paix s'était manifestée ou si les Israéliens étaient parfaits. Les Arabes n'ont pas voulu la paix et les Israéliens ne sont pas parfaits. Le problème de fond n'a cependant pas changé: les Palestiniens et le monde arabe sont-ils prêts à accepter qu'au Moyen-Orient se développe un Etat juif et indépendant ?

Il n'est pas encore midi et on s'ennuie un peu dans l'implantation de Netzer Hazani. On hésite à désigner le plus désagréable: la canicule, l'humidité, les mouches, nombreuses et agressives, ou l'absence de café. Régulièrement, quelqu'un crie: "Les soldats !" Les premières fois, tous se ruent vers la barrière de sécurité. Mais rien n'arrive, et tout le monde repart déçu. Les hommes continuent à prier. La religion est un solide appui pour cette vie consacrée au travail, à la famille, à l'amour et l'étude de la Torah. Dans combien de villages français de 700 habitants les gens parlent-ils plusieurs langues, étudient à l'étranger et font souvent partie d'unités d'élite ?

Je cherche à joindre les anciens camarades de mon unité de gardes-frontières. "On avait reçu l'ordre de sortir. Il a été annulé", me répond-on. L'armée est une longue attente, avec des périodes de rush. Ce sera sans doute pour demain, ou après-demain. Les soldats ont reçu des cours de psychologie pour procéder à l'évacuation. Exemple de question: "Vous entrez dans une maison, la famille dîne. Que faites-vous ? a) Vous les évacuez en laissant la nourriture sur la table. b) Vous les évacuez en emportant la nourriture. c) Vous mangez la nourriture et vous ne les évacuez qu'ensuite. d) Vous vous asseyez pour discuter en tentant de les convaincre."

L'action était bien pour le surlendemain. A Kfar Darom, devant chaque maison était constituée une force d'une vingtaine d'hommes et de femmes issus de la police, des gardes-frontières et de l'armée. Après le refus des habitants de partir, les portes ont été ouvertes. Certains ont été persuadés de sortir, il a fallu extraire les autres.

Les scènes étaient tristes, mais pas tragiques. Les familles seront raisonnablement indemnisées, pas envoyées vers une destination dangereuse. Scandaleuses, les scènes où certains sortaient les bras en l'air, une étoile de David cousue sur la poitrine. Honte à ceux qui traitaient de nazis les soldats qui les ont si longtemps protégés et sans lesquels ils auraient été égorgés !

Quant aux fanatiques, ces jeunes qui avaient promis de combattre et peut-être de se donner la mort ou de mourir, regroupés sur le toit de la synagogue, ils ont été évacués sans la moindre perte et avec quelques blessés légers. L'armée et la police leur ont permis de ne pas perdre la face devant les journalistes. Il est probable que certaines règles avaient été négociées auparavant: ces jeunes s'abstenant d'user d'une violence excessive, les forces d'intervention leur permettant de se montrer et, elles aussi, s'abstenant de frapper.

Jamais les forces de l'ordre israéliennes ne se sont montrées aussi courtoises. Il est vrai, comme l'ont écrit certains journaux israéliens, que jamais elles ne se sont conduites avec une telle délicatesse dans leurs confrontations avec les Palestiniens. Mais les excités sur le toit de la synagogue se sont contentés de lancer de la peinture, des oeufs et des tranches de pastèque. Pas d'armes à feu, de couteaux, de cocktails Molotov, ni même de pierres.

Ce n'était pas un combat, mais une simulation active, une scène destinée aux télévisions, signifiant: "Aujourd'hui nous renonçons, mais pour la Judée-Samarie ce sera un vrai combat, car cette terre est sacrée." Les récents attentats terroristes d'un colon juif et d'un soldat déserteur contre une population palestinienne civile innocente sont aussi un message de ces quelques irréductibles animés d'une vile passion antiarabe.

Je ne crois pas que la terre d'Israël ait été divinement promise. Pour ceux qui le croient, tout est facile. Ce n'est ni Dieu ni un messie qui sont parvenus à établir une indépendance politique juive en Palestine au XXe siècle, mais un mouvement séculaire. Les juifs y sont venus pour vivre en nation libre. Israël était le seul endroit où ils pouvaient établir leur indépendance: ils avaient là des droits non pas divins mais historiques et légaux.

Les Israéliens, dans leur grande majorité, sont prêts à revenir aux frontières de 1967. Des solutions d'échange de territoires peuvent être trouvées. Rien ne s'oppose à la création d'un Etat palestinien libre et indépendant, à condition que les Palestiniens renoncent à un droit de retour qui pourrait faire théoriquement des juifs une minorité dans leur propre Etat, et qu'ils renoncent au terrorisme. Arafat ne le voulait pas, Abou Mazen aura-t-il la force et le courage de l'imposer à son peuple ?

Personne ne sait comment tout cela se terminera. Ce n'est l'intérêt ni des leaders ni des médias de prévoir la paix à très long terme. Après tout, le conflit ne dure que depuis près d'un siècle. Celui qui oppose Anglais et Irlandais pour une même terre ne s'achève aujourd'hui qu'après quatre siècles de batailles.

Les menaces démographiques, stratégiques existent pour Israël. On peut se demander comment les dirigeants palestiniens pourraient proposer à leur peuple une solution qui leur apporterait moins que ce qu'ils auraient pu obtenir pacifiquement il y a bientôt soixante ans. Pourtant les deux peuples ont tant à gagner à s'entendre et tant à perdre à continuer le combat.

L'Allemagne et la France ont sacrifié des millions de leurs fils pour la guerre de 1914-1918 dont les petits Français et Allemands aujourd'hui seraient bien incapables de désigner les causes. Il est peut-être aussi inutile de chercher à prévoir l'avenir trop d'années à l'avance, et le peuple juif, qui a vécu aux temps des pyramides et du papyrus, est encore présent au temps des gratte-ciel et d'Internet.


Arno Klarsfeld est avocat.

par Arno Klarsfeld
Article paru dans l'édition du 31.08.05


Le Monde / Entreprises
Le gouvernement voudrait protéger dix secteurs contre les OPA

 A près l'affaire Danone, le gouvernement français a dévoilé, mercredi 31 août, dix secteurs industriels français qui pourront être protégés des OPA lancées par des groupes étrangers. Aux termes de ce projet de décret, cité par le ministère de l'industrie, seront protégés les casinos, les activités de sécurité, les biotechnologies, la production d'antidotes, le matériel d'interception des communications, la sécurité des systèmes informatiques, les technologies duales (relatives au civil et au militaire), la cryptologie, les marchés secret-défense, et l'armement. Cette liste ne sera définitive qu'après l'examen, en cours, du projet de décret par le Conseil d'Etat. Il permettra au gouvernement d'empêcher une fusion-acquisition, au cas par cas.

Beaucoup de ces secteurs sont directement ou indirectement liés à la sécurité nationale, et donc déjà éligibles à des mesures de protection, selon des économistes. Le gouvernement affirme pour sa part que "dans le travail de concertation avec Bruxelles", ces secteurs "n'ont pas été considérés comme relevant de la défense nationale". "Ça fait un peu pschiit", a commenté l'économiste Xavier Timbeau, économiste de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui estime que dans leur majorité, "ce sont des secteurs sur lesquels on peut à chaque fois évoquer une clause de type sécurité nationale".

La présence des casinos dans cette liste s'explique par leur utilisation possible pour le blanchiment de l'argent sale. La mention de la "production d'antidote" fait écho à la volonté exprimée en mars 2004 par l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin de veiller à préserver le potentiel scientifique de l'industrie pharmaceutique française dans la lutte contre le bioterrorisme. A l'époque, le groupe suisse Novartis cherchait à se rapprocher du groupe français Aventis (Sanofi-Aventis est le numéro un mondial de la production de vaccins).

Le projet de décret ne cite ni l'agroalimentaire, ni la grande distribution, ni le secteur minier ou pétrolier, à propos desquels des rumeurs d'OPA ont suscité l'inquiétude des milieux politiques français, s'agisssant du géant américain PepsiCo et Danone ou du groupe minier brésilien CVRD et Eramet, spécialisé dans le nickel, le manganèse et les aciers spéciaux.

Le gouvernement français promet qu'il respectera le droit européen. "Cela s'inscrit évidemment dans le cadre de la réglementation européenne stricto sensu", a assuré le ministre de l'économie, Thierry Breton, au micro d'Europe 1. "Chaque pays (de l'UE) a la possibilité de définir des secteurs dits 'stratégiques', conformes à l'intérêt national, par exemple dans le domaine de la défense ou des technologies sensibles", a souligné Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement. "C'est dans ce cadre seulement que le gouvernement réfléchit à des dispositions qui pourraient être tout à fait comparables à ce qui se pratique dans d'autres pays membres de l'Union européenne."

La publication de la liste des secteurs sanctuarisés "donnera une bonne visibilité aux investisseurs étrangers", déclarait François Loos lundi dernier dans une interview publiée par le quotidien économique Les Echos. "Notre politique n'est pas de s'opposer par principe à tout rachat d'une entreprise française: elle est de renforcer la compétitivité et l'indépendance de nos entreprises et de faire en sorte qu'elles soient à armes égales avec leurs homologues étrangers", assurait-il. Le ministère de l'industrie mise ainsi sur le renforcement de l'actionnariat des entreprises françaises, souligne son entourage, notamment par la mise en place des PERP, sortes de fonds de pension à la française.

"PATRIOTISME ÉCONOMIQUE"

Le 27 juillet, après l'affaire Danone, le premier ministre, Dominique de Villepin, avait déclaré qu'il souhaitait "rassembler toutes nos énergies autour d'un véritable patriotisme économique". Le même jour, le président Jacques Chirac avait demandé au gouvernement de "renforcer le dispositif de protection de nos entreprises stratégiques", déplorant en conseil des ministres "l'absence de stabilité du capital de grandes entreprises" françaises.

Dans un éditorial du 31 août, le Financial Times dénonce la politique protectionniste du gouvernement français en matière de fusions-acquisitions, sous couvert de défense des intérêts nationaux, "alors que les entreprises françaises accumulent les rachats à l'étranger". Le quotidien britannique relève "un double langage typiquement français", accusant le gouvernement français de démagogie. "Il est difficile de résister à la conclusion que poser pour la galerie protectionniste est l'un des moyens utilisés par le gouvernement français pour tenter de retrouver une certaine crédibilité au lendemain de sa cuisante défaite au référendum sur la Constitution européenne", insiste le FT dans son éditorial. Ces réactions très critiques interviennent alors que le groupe français Saint-Gobain (verre, emballages, matériaux de construction) a confirmé mercredi son offre sur le plâtrier britannique BPB.

Toujours dans les colonnes du FT mercredi, David Willets, porte-parole du Parti conservateur britannique sur les questions de commerce et d'industrie, est encore plus véhément, accusant la France "de faire preuve de stupidité" et "d'appliquer deux poids, deux mesures". "Les Français semblent considérer que beaucoup de leurs entreprises sont liées à leur sécurité nationale", ironisait ce dernier, en référence aux craintes suscités en France en juillet par les rumeurs de rachat de Danone par l'Américain PepsiCo.

Avec Reuters et AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 18h56


Le Monde / France
Les objectifs de croissance en 2005 revus à la baisse

 L e ministre de l'économie, Thierry Breton, a revu à la baisse l'objectif du gouvernement en matière de croissance, indiquant, mercredi 31 août, sur Europe 1, qu'il était "entre 1,5% et 2%" cette année. C'est la première fois que le gouvernement cite comme bas de la fourchette le chiffre de 1,5%, qui est celui retenu par l'Insee. Le taux retenu jusqu'ici par le gouvernement était de 2%.

"LE PIRE EST DERRIÈRE NOUS"

"Notre objectif est entre 1,5 et 2%. J'ai dit que le plafond était à 2%, on se bat de toute notre force, c'est vrai que c'est difficile, mais nous sommes clairement entre 1,5 et 2%", a-t-il dit. Mais, a-t-il souligné, "nous sommes en retournement de cycle depuis le mois de mai en France mais aussi en Europe. La conjoncture se retourne, les entreprises réembauchent". "Je le redis, le pire est derrière nous", a-t-il insisté, indiquant qu'une accélération de la croissance était perceptible depuis "fin mai début juin, et puis on la confirme en juillet, on la confirme en août".

"Les commandes industrielles sont à la hausse, les exportations sont bien meilleures que ce qu'elles n'étaient, notamment les exportations industrielles, les perspectives sont clairement au vert depuis le mois de juillet, l'activité industrielle repart à la hausse." "C'est vrai qu'il y a un décalage", concernant la consommation et le moral des ménages, a-t-il reconnu.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 09h33


Le Monde / France
Article interactif
Il faut "simplifier" l'impôt sur le revenu, selon M. Breton
1 - Il faut "simplifier" l'impôt sur le revenu, selon M. Breton
2 - Les objectifs de croissance pour 2005 revus à la baisse
3 - Le chômage passe sous la barre des 10%
1 - Il faut "simplifier" l'impôt sur le revenu, selon M. Breton

 L e ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton, a estimé sur Europe 1 qu'il fallait "simplifier" l'impôt sur le revenu, "le rendre plus juste, plus lisible", indiquant que la réduction du nombre de tranches était "une piste de bon sens".

"RENDRE PLUS JUSTE" L'IR

"Il y a des blocages dans notre pays, on le sait, on parle en particulier de la fiscalité de l'impôt", a dit M. Breton. Interrogé plus particulièrement sur une réforme de l'impôt sur le revenu, il a déclaré avoir "beaucoup travaillé avec le premier ministre sur ce sujet". "De cette concertation, il ressort des choses assez évidentes aux yeux de tous les Français: c'est vrai qu'on a un impôt compliqué, c'est vrai qu'on a un impôt qui n'est pas assez lisible, c'est vrai qu'on a un impôt qui n'est pas toujours considéré comme étant juste. Il faut le simplifier, le rendre plus juste, le rendre plus lisible", a dit M. Breton.

A la question de savoir si le nombre de tranches serait réduit alors qu'il en existe sept actuellement, il a répondu "c'est une piste de bon sens, dans la mesure où elle peut bénéficier à ceux qui sont les plus fragiles". "Tous ces éléments seront pris en considération et seront annoncés demain par le premier ministre", a-t-il conclu, précisant qu'il s'agissait d'une "réforme très importante, très compliquée à mettre en oeuvre".

Dominique de Villepin donnera jeudi à 11 heures une conférence de presse pour faire le bilan de ses "cent jours" destinés à redonner confiance aux Français. Selon le quotidien Les Echos mercredi, Matignon s'est saisi d'un projet consistant à "réduire significativement le nombre des tranches" de l'impôt sur le revenu.

M. Breton a par ailleurs indiqué qu'une réforme de l'impôt sur la fortune "fait partie du paquet global". "Qu'il soit réaménagé dans le cadre global pour éviter les aberrations et surtout les effets pervers qui seraient contre-productifs pour la France", tout cela "a été pris en compte dans la réflexion du premier ministre". Il a indiqué qu'il participerait le 7 septembre prochain à une convention de l'UMP organisée par Nicolas Sarkozy sur la fiscalité et qu'il s'y exprimerait.

2 - Les objectifs de croissance pour 2005 revus à la baisse

 L e ministre français de l'économie, Thierry Breton, a revu à la baisse l'objectif du gouvernement en matière de croissance, indiquant mercredi 31 août, sur Europe 1, qu'il était "entre 1,5% et 2%" cette année. C'est la première fois que le gouvernement cite comme bas de la fourchette le chiffre de 1,5%, qui est celui retenu par l'Insee. Le taux retenu jusqu'ici par le gouvernement était de 2%. "Notre objectif est entre 1,5 et 2%. J'ai dit que le plafond était à 2%, on se bat de toute notre force, c'est vrai que c'est difficile, mais nous sommes clairement entre 1,5 et 2%", a-t-il dit.

"LE PIRE EST DERRIÈRE NOUS"

Mais, a-t-il souligné, "nous sommes en retournement de cycle depuis le mois de mai en France mais aussi en Europe. La conjoncture se retourne, les entreprises réembauchent". "Je le redis, le pire est derrière nous", a-t-il insisté, indiquant qu'une accélération de la croissance était perceptible depuis "fin mai début juin, et puis on la confirme en juillet, on la confirme en août".

"Les commandes industrielles sont à la hausse, les exportations sont bien meilleures que ce qu'elles n'étaient, notamment les exportations industrielles, les perspectives sont clairement au vert depuis le mois de juillet, l'activité industrielle repart à la hausse". "C'est vrai qu'il y a un décalage", concernant la consommation et le moral des ménages, a-t-il reconnu.

3 - Le chômage passe sous la barre des 10%

 L e nombre de demandeurs d'emploi de catégorie 1 a diminué de 25 600 en juillet (-1%), ce qui permet au taux de chômage de repasser sous la barre de 10% de la population active pour la première fois depuis octobre 2003, a annoncé mercredi 31 août le ministère de l'emploi. La baisse est de 1,2% pour les hommes et de 0,9% pour les femmes.

C'est le quatrième mois de baisse consécutif. Le chômage avait enregistré une baisse de 1,4% en juin. En un an le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie 1 a reculé de 0,8%, précise le ministère (-1,1% pour les hommes et -0,4% pour les femmes). Le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) était fin juillet de 9,9% de la population active.

"LA ROUTE EST LONGUE"

La baisse du chômage sous la barre des 10% en juillet en France est une "bonne nouvelle", a déclaré sur Europe 1 le ministre de l'économie Thierry Breton. "Derrière ces chiffres il y a des hommes et des femmes qui retrouvent du travail", a commenté M. Breton. La lutte contre le chômage "est une priorité de longue haleine", mais "c'est la tendance qui est importante", a-t-il dit. Cependant le taux de chômage en France reste supérieur à la moyenne de la zone euro. Aussi, pour Thierry Breton, "la route est longue" et il faudra "se battre avec énergie" pour faire baisser durablement le chômage.

Reuters et AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 11h00


Le Monde / France
Article interactif
La garde rapprochée du premier ministre
1 - Pierre Mongin, 51 ans, directeur de cabinet
2 - Bruno Le Maire, 35 ans, conseiller auprès du premier ministre
3 - Florence Berthout, 43 ans, relations avec le Parlement
4 - Alain Quinet, 43 ans, directeur adjoint de cabinet aux affaires économiques
5 - Louis-Charles Viossat, 41 ans, directeur adjoint de cabinet pour les affaires sociales
6 - Véronique Guillermo, 47 ans, chef du service de presse
1 - Pierre Mongin, 51 ans, directeur de cabinet

 I l a connu le premier ministre à l'ENA (promotion Voltaire), mais il s'est engagé au côté d'Edouard Balladur, dont il fut le chef de cabinet à Matignon de 1993 à 1995, alors que Dominique de Villepin s'engageait pour Jacques Chirac.

Ce "péché originel" a été pardonné et, quand M. de Villepin lui a demandé de diriger son cabinet au ministère de l'intérieur, d'abord, puis à Matignon, il dit n'avoir pas hésité "trois secondes". Son parcours vaut à ce préfet un carnet d'adresses enviable et une réputation d'habileté.

Proche de Nicolas Sarkozy et de son principal lieutenant, Brice Hortefeux, respecté des chiraquiens et "bon camarade" de M. de Villepin, il peut être ­ dans le cas où les relations entre les patrons de la droite vireraient à l'aigre ­ celui qui assumera les pourparlers de paix dans la famille...

2 - Bruno Le Maire, 35 ans, conseiller auprès du premier ministre

 D u jour où ce jeune agrégé de lettres ­ normalien brillant mais énarque passable, passionné de Proust mais professeur peu enthousiaste ­ est entré dans le bureau de Villepin pour lui proposer des notes sur la situation intérieure, les deux hommes ne se sont plus quittés.

C'était en 1997, et rares étaient ceux qui, à cette époque marquée par la dissolution ratée, pariaient encore sur le hussard des chiraquiens.

Ce "villepinisme" paradoxal vaudra à M. Le Maire d'être de toutes les aventures ministérielles du chef du gouvernement, du Quai d'Orsay à Matignon en passant par la Place Beauvau.

"Plume" du premier ministre, il lui a consacré un livre (Le Ministre. Grasset, 2004) et les trois quarts de son temps. Si M. de Villepin le consulte plusieurs fois par jour, les deux hommes continuent de se vouvoyer.

3 - Florence Berthout, 43 ans, relations avec le Parlement

 U ne élue pour parler aux élus: "Ça aide pour comprendre le terrain". déclare Florence Berthout, chargée des relations avec le Parlement dans l'équipe du premier ministre. Conseillère (UMP) de Paris et d'Ile-de- France, cette chiraquienne a travaillé avec Jean-François Copé, chargé des relations avec le Parlement dans le gouvernement Raffarin et au Sénat, auprès de Josselin de Rohan puis du président du Sénat, Christian Poncelet.

De ces expériences, elle a gardé un solide réseau d'élus mis aujourd'hui à la disposition de M. de Villepin, qui avait la réputation d'en manquer. Depuis l'été, elle réunit autour du premier ministre une vingtaine d'élus qui ont pour mission de faire remonter "les impressions de terrain" et "les suggestions concrètes" sur l'emploi. Certains y voient déjà l'embryon d'un fan-club.

4 - Alain Quinet, 43 ans, directeur adjoint de cabinet aux affaires économiques

 I l a été, dans le domaine économique, l'un des piliers du cabinet de Jean-Pierre Raffarin, dont il fut d'abord conseiller pour la macroéconomie avant de voir ses compétences étendues à la fiscalité puis à l'ensemble des affaires économiques et financières, emploi compris.

Elève de l'ENA de 1986 à 1988 (promotion Michel de Montaigne), coauteur avec Alain Demarolle d'Economie des taux d'intérêt (PUF, 1996), cet administrateur civil a effectué la plus grande partie de sa carrière dans une des grandes directions de Bercy, la direction de la prévision.

Il a également travaillé à l'OCDE et à la Banque de France comme macroéconomiste. Directeur adjoint du cabinet pour les affaires économiques, c'est lui qui a suivi, pas à pas, l'élaboration du plan de relance présenté jeudi 1er septembre.

5 - Louis-Charles Viossat, 41 ans, directeur adjoint de cabinet pour les affaires sociales

 A vant sa nomination comme directeur adjoint de cabinet pour les affaires sociales, Louis-Charles Viossat présidait aux destinées de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale, dont il était le directeur général.

Spécialiste de la protection sociale, auteur d'un ouvrage sur les retraites, M. Viossat a dirigé le cabinet de Jean-François Mattei au ministère de la santé.

Elève de l'ENA entre 1990 et 1992 (promotion Condorcet), en poste à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), il fut aussi conseiller de Jacques Barrot et d'Hervé Gaymard (lorsqu'il était secrétaire d'Etat à la santé et à la Sécurité sociale).

Il a également travaillé à la Banque mondiale et est passé par le privé, ayant été directeur corporate affairs des laboratoires Lilly France, qui fabriquent l'antidépresseur Prozac.

6 - Véronique Guillermo, 47 ans, chef du service de presse

 C' est la juppéiste de coeur de l'équipe Villepin. Passionnée par les relations internationales, membre du staff de campagne de Jacques Chirac en 1995, elle a d'abord suivi Alain Juppé à Matignon. Une période noire où elle tentait vaillamment de convaincre ses interlocuteurs que son mentor "n'est pas l'homme que l'on croit".

Après la dissolution de 1997, elle l'a encore suivi à la mairie de Bordeaux, pour superviser la communication de la communauté urbaine et le lancement du tramway.

Ecarté de la vie publique après sa condamnation judiciaire, M. Juppé l'a recommandée à M. de Villepin, quand celui-ci est devenu ministre des affaires étrangères.

Depuis, elle s'efforce de démentir toute anicroche dans la mécanique gouvernementale.

LEMONDE.FR | 31.08.05 | 13h10


Le Monde / Société
Une radiographie du vote des Français issus de l'immigration

 C itoyens Français issus de l'immigration comment votez-vous ? La réponse à cette question figure dans un document de 159 pages, intitulé "Rapport au politique des Français issus de l'immigration" qui a fait l'objet de plusieurs notes pour le gouvernement. Deux chercheurs du Centre d'étude de la vie politique française (Cevipof), Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, ont cherché à savoir si ces Français se distinguaient du reste de la population quant à leurs attitudes et préférences politiques du fait de leurs relations à la religion, à l'Etat et aux valeurs culturelles.

Une majorité se montre favorable aux quotas
Au chapitre des enjeux politiques, les Français issus de l'immigration africaine et turque placent le chômage au premier rang de leurs préoccupations, comme l'ensemble des Français, et la sécurité au dernier. Les problèmes d'intégration n'arrivent qu'en cinquième position (sur huit). "Cette indication tend à contredire un éventuel caractère communautaire des priorités", souligne l'étude. S'agissant de la politique d'immigration, les Français qui en sont issus sont pour 59% d'entre eux tout à fait ou plutôt d'accord avec cette phrase: "On devrait réserver un quota d'emploi aux immigrés dans les administrations et les grandes entreprises" . Par ailleurs, 80% sont favorables au droit de vote des étrangers non européens aux élections locales. Et 60% se disent partisans de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, alors que, dans le reste de la population française, 64% des personnes y sont défavorables.

Leur étude concerne exclusivement les personnes d'origine africaine (maghreb et Afrique noire) et turque et vise donc de façon explicite celles qui ont potentiellement un lien avec l'Islam. Ce document, qui se conclut par un chapitre "Français comme les autres !" , n'a encore jamais été rendu public.

Alors que le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, a fait de l'immigration l'un des sujets majeurs de l'élection présidentielle de 2007, l'enquête des deux chercheurs lève des idées préconçues. La gauche continue à devancer largement la droite dans les préférences partisanes bien que, paradoxalement, Jacques Chirac y apparaisse comme la personnalité politique préférée.

Basée sur la comparaison de deux panels, l'un spécifique sur les Français issus de l'immigration, l'autre sur l'ensemble des Français, l'étude relève d'emblée leur "attachement spécifique à la démocratie hexagonale". Ouvriers et employés d'origine immigrée portent un jugement positif sur la démocratie (respectivement 58% et 59%), alors que dans le reste de la population, elle est bien plus négative dans les classes populaires. Cependant, 23% des Français issus de l'immigration ne sont pas inscrits sur les listes électorales, contre 7% pour les Français du panel miroir.

Une autre distinction s'opère dans le rapport à la droite et à la gauche. Alors que 38% des Français s'affirment "ni de droite ni de gauche", seuls 25% des Français issus de l'immigration réfutent ce clivage. Ces derniers montrent même un attachement à la gauche particulier: 76% se déclarent proches d'un parti de gauche, (contre 54%) et ce, quel que soit le milieu social.

Agriculteurs, commerçants, chefs d'entreprise sont aussi à gauche, voire plus que les ouvriers. La crise de la représentation politique qui touche particulièrement les classes populaires paraît moins affecter les Français d'origine immigrés modestes qui, s'ils votent moins, acceptent paradoxalement mieux de se situer sur l'échiquier politique. Ce constat, notent les auteurs, "rappelle d'une certaine manière la stabilité des noirs américains à l'égard des démocrates" .

Dans ce contexte, le PS écrase les autres partis, révélant au passage que "les signes envoyés à la population des Français issus de l'immigration par le gouvernement Raffarin n'ont guère pesé" . Pour 51%, le vote PS est "probable" et 25% l'envisagent comme "possible" (contre 34% de probables et 24% de possibles dans le panel comparatif). Le PCF et l'extrême gauche arrivent loin derrière, même s'ils suscitent des probabilités de vote supérieures à ceux du reste de la population (17% pour chacun d'entre eux). "Cette prédominance socialiste , jugent Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, n'est pas due à un effet génération "marche des beurs" puisque, peu ou prou, la proximité partisane ne varie pas en fonction de l'âge".

UN REJET DE LA DROITE

Toutefois, cette fidélité apparaît relative. Il s'agit "de plus en plus" , en effet, d'un rapport "par défaut", d'un rejet de la droite, plutôt que d'une adhésion à la gauche. Les sondés ont marqué leur préférence en choisissant souvent le parti "dont ils se sentent le moins éloignés" plutôt que "les plus proches" . La gauche manque également, soulignent les chercheurs, "d'incarnation, de leader fort, ce qui n'est pas le cas à droite" . Ainsi, François Hollande, suivi par Dominique Strauss-Kahn ­ les deux seules personnalités socialistes testées ­ arrivent derrière.... Jacques Chirac.

"Il existe un rapport de sympathie particulier entre le chef de l'Etat et les Français issus de l'immigration africaine et turque (...) qui ne peut s'assimiler à du légitimisme et ne s'étend à aucune des autres personnalités de la droite modérée", affirment les auteurs. L'origine, selon eux, "est peut-être à rechercher dans les événements du 21 avril 2002", lorsque M. Chirac est apparu comme le dernier rempart contre l'extrême droite. Le refus de la guerre contre l'Irak a sans doute aussi pesé, même si l'étude n'en fait pas mention.

Cet "effet Chirac" ne bénéficie pas à son camp, alors même qu'au chapitre des valeurs, les Français issus de l'immigration se situent à mi-chemin entre la droite et la gauche, en alliant la solidarité et l'ambition individuelle dans le travail ­ "il ne semble pas que la culture de l'assistanat puisse s'appliquer à cette population, bien au contraire", écrivent les auteurs.

Malgré les signaux envoyés par Nicolas Sarkozy, comme la nomination d'un préfet d'origine algérienne, ou ses déclarations en faveur de la discrimination positive, son appréciation par les Français issus de l'immigration, contrairement au reste de la population, est négative.

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 31.08.05


Infographie
Sondage sur les Français issus de l'immigration turque et africaine


Les Français issus de l'immigration africaine et turque se sentent plus proche des partis de gauche et préfèrent Chirac à Sarkozy | Le Monde

Les Français issus de l'immigration africaine et turque se sentent plus proche des partis de gauche et préfèrent Chirac à Sarkozy.


Le Monde / Société
La composition de l'échantillon, principale difficulté de ce genre d'enquête

 R echercher des sponsors, c'est la première activité à laquelle se sont livrés Sylvain Bouard et Vincent Tiberj, les deux auteurs du "Rapport au politique des Français issus de l'immigration" afin de couvrir le coût de leur enquête (près de 100 000 euros), confiée à l'institut TNS-Sofres.

C'est en effet au titre de "soutiens" qu'apparaissent ­ en première page de cette étude ­ les noms du service d'informations du gouvernement (SIG), du Centre d'études du ministère de l'intérieur, de la Fondation nationale des sciences politiques, de la Fondation Jean-Jaurès, proche du Parti socialiste, et du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations. "Ces institutions ont déjà travaillé avec le Cevipof. Jamais elles n'ont interféré dans notre travail, raconte Vincent Tiberj. Contactés, les partis politiques, eux, se sont montrés peu intéressés."

Principale difficulté de cette enquête réalisée entre le 8 avril et le 7 mai: la composition de l'échantillon de 1 003 personnes de plus de 18 ans censées représenter "la population française composée des immigrés d'Afrique et de Turquie devenus français par acquisition" et "les Français nés en France d'au moins un parent ou un grand-parent immigré d'Afrique ou de Turquie".

Pour y parvenir, la Sofres est partie d'un listing de 28 000 numéros de téléphone. Chaque personne interrogée s'est entendue demander sa nationalité et celle de ses ascendants, ce qu'autorise la CNIL (Le Monde du 16 juillet). Les réponses ont été réparties selon la méthode des quotas (sexe, origine, âge etc.) afin d'établir "l'échantillon représentatif". "Celle-ci nous a permis d'éviter les biais des précédentes enquêtes. En effet, sélectionner un échantillon par le patronyme ne permet pas de prendre en compte les familles mixtes, analyse M. Tiberj. De même, isoler la population d'un quartier privilégie les urbains au détriment des ruraux." La Sofres a enfin constitué un "échantillon miroir" de 1 006 Français en âge de voter, et interrogés entre le 13 et le 21 avril, afin de comparer les réponses des deux panels.

Pour M. Tiberj, cette analyse "inédite" dont "20 exemplaires papier" ont été diffusés depuis juin, "remet en cause beaucoup d'idées reçues": "Notre étude montre qu'être musulman ce n'est pas se retirer du modèle français, explique-t-il. Il n'y pas d'opposition à la laïcité et au système de méritocratie et l'identité nationale n'est pas en opposition avec le pays d'origine." L'enquête devrait paraître en novembre aux presses de Sciences-Po, sous un nouveau titre: "Des Français comme les autres ?"

Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 31.08.05


Le Monde / Société
Des musulmans majoritairement à gauche mais conservateurs en matière de moeurs

 P lus à gauche que la majorité de la population française, les musulmans sont cependant plus conservateurs en matière de moeurs. C'est l'un des enseignements de l'enquête du Cevipof, qui a le grand mérite de dessiner, pour la première fois, les contours d'une identité musulmane à la française.

Celle-ci prend à rebours bon nombre de préjugés. C'est ainsi que les auteurs de ce rapport battent en brèche la notion de réislamisation. Première statistique étonnante: 20% des populations issues de l'immigration africaine et turque se déclarent sans religion. Un chiffre pas si éloigné des 28% de sans religion dans la population française. Il y aurait donc une "sortie de l'islam", comme il existe chez les populations de culture chrétienne une "sortie de la religion".

Des préjugés antisémites plus répandus

L'enquête du Cevipof montre une présence importante des préjugés antisémites dans la population issue de l'immigration turque et africaine. 50% des personnes interrogées approuvent la formule "On parle trop de l'extermination des juifs" (35% de l'ensemble de la population française) et 39% considèrent que "les juifs ont trop de pouvoir en France" (20% dans la population française). En revanche, l'image d'Israël est légèrement plus négative dans l'ensemble de la population française (51%) que dans celle issue de l'immigration (49%). L'enquête met en évidence un lien entre la pratique religieuse et l'antisémitisme: "Il semble que l'intensité de la socialisation religieuse aille de pair avec le rejet des juifs de France, mais il est difficile de déterminer si c'est la fréquentation de la mosquée qui accroît le niveau d'antisémitisme ou bien si ce sont les musulmans déjà antisémites qui pratiquent plus." Enfin, l'antisémitisme est davantage répandu chez les Français d'origine turque.

Autre enseignement surprenant de ce sondage: seulement 5% des musulmans de l'échantillon souhaitent pour leurs enfants une scolarisation "dans une école privée coranique" . On peut regretter cependant l'emploi de ce terme d'"école coranique" (équivalent d'un catéchisme musulman) et non pas celui d'"école privée musulmane", qui conviendrait mieux.

Sur la pratique religieuse, les résultats obtenus par le sondage ne sont pas très différents de ceux mis en évidence par une précédente enquête IFOP-Le Monde de septembre 2001. Selon celle-ci, 20% des musulmans déclaraient aller "généralement à la mosquée le vendredi" . Selon l'enquête du Cevipof, 21% des personnes interrogées déclarent assister à un office religieux "au moins une ou deux fois par mois" .

Ces chiffres, qui ne sont pas très éloignés de ceux de la pratique chez les catholiques (12% de pratiquants réguliers selon un sondage CSA-La Vie -Le Monde d'avril 2003), confirmeraient l'existence d'un processus de sécularisation à l'oeuvre chez les musulmans et un alignement sur les comportements du reste des Français.

On peut se demander si le critère d'assistance à un office religieux "au moins une fois par mois" est le plus pertinent pour juger de la pratique des musulmans. La participation à la prière collective du vendredi n'a pas un caractère d'obligation comparable à l'assistance à la messe dominicale dans le catholicisme. En transposant à l'islam la catégorie de ceux qu'on appelait jadis "les messalisants" (ceux qui vont à la messe), l'enquête se prive d'explorer des modes d'appartenance plus complexe.

De manière significative dans l'enquête, certains comportements de nature religieuse restent très prégnants: le jeûne du ramadan (respecté par 80% des musulmans déclarés), l'absence de consommation d'alcool (77% affirment n'en boire jamais), l'intention de se rendre en pèlerinage à La Mecque (81%).

Ces pourcentages élevés semblent montrer la résistance, y compris chez les enfants de l'immigration, d'un islam conçu comme un mode de vie davantage que comme une pratique religieuse régulière. C'est ainsi que seulement 16% de l'échantillon musulman affirment accorder "moins d'importance qu'avant à la religion" . 16% affirment "pratiquer mieux" que leurs parents. Les auteurs de l'enquête en concluent un peu vite que cette attitude correspond aux tenants d'un "islam pur de tradition wahhabite".

L'enquête confirme l'adhésion massive des musulmans à la laïcité. 81% des musulmans déclarés accordent à ce mot une valeur positive. Un tiers d'entre eux expriment leur désaccord avec la phrase: "Un musulman doit suivre les principes coraniques, même s'ils s'opposent à la loi française."

En ce qui concerne les mariages mixtes, là encore l'enquête va à rebours des préjugés: 65% des musulmans ne s'opposeraient pas à ce que leur fille épouse un non-musulman.

Les populations issues de l'immigration se montrent en revanche fortement conservatrices en matière de moeurs: 39% ne sont pas d'accord avec la proposition "l'homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité".

L'enquête du Cevipof dessine donc ce paradoxe frappant: il existe une identité musulmane conservatrice en matière de moeurs et qui se situe pourtant à gauche, comme si la préoccupation sociale de cette population qui reste généralement modeste reprenait le dessus.

Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 31.08.05


Le Monde / International
Reportage
Ravagée par le cyclone Katrina, Biloxi pleure les victimes de "son tsunami"
BATON ROUGE (Louisiane) de notre envoyé spécial

 H arvey Jackson pleure devant la caméra de WKRG, une chaîne de télévision locale du Mississippi. Cet homme d'une quarantaine d'années, accompagné de deux enfants, a perdu la trace de son épouse, Tonette. "Ma femme, je peux pas trouver son corps, elle a disparu", souffle-t-il, entre deux sanglots. Leur maison s'est fendue en deux, après avoir été frappée par la vague qui a dévasté Biloxi lundi 29 août. "Nous sommes montés sur le toit. Je lui tenais la main aussi fort que je pouvais. Elle m'a dit "Tu ne vas pas pouvoir me tenir. Occupe-toi des enfants"", raconte-t-il, le regard perdu.

Devant les journalistes, la voix de Vincent Creel se brise aussi. "Des gens sont toujours prisonniers des décombres dans leurs greniers ou au dernier étage de leur maison. Nous tentons de les secourir. Nous découvrons des corps par dizaines et leur nombre ne cesse d'augmenter. Il pourrait atteindre des centaines. La ville de Biloxi est décimée, c'est terrifiant". Vincent Creel est le porte-parole de la municipalité de cette station balnéaire du Mississippi, dont les 50 000 habitants ont eu le malheur de se trouver exactement sur le passage du cyclone Katrina. Une vague géante de 10 mètres a balayé la localité, laissant derrière elle des milliers de sans-abri. "C'est notre tsunami à nous, résume A. J. Holloway, le maire. Nous en sommes toujours au stade des recherches et des secours d'urgence. Nous sommes incapables de savoir combien de personnes ont péri." Selon le gouverneur du Mississippi, Haley Barbour, la police a dénombré de 50 à 80 victimes dans le seul comté de Harrison, sur la côte; le bilan devrait nettement s'alourdir en prenant en compte les comtés voisins.

A Biloxi, des maisons en bois ont été pulvérisées, des bateaux ont été précipités dans les arbres, des voitures ont été jetées contre des maisons. Les casinos flottants qui attiraient les touristes ont rompu leurs amarres et ont été traînés à l'intérieur des terres. Les 200 policiers de la ville, privés de moyens de transport et de communications, attendent des renforts avec impatience. Plusieurs ponts reliant les villes de la côte ont été emportés et la principale autoroute menant à Biloxi était impraticable. Le long du front de mer, le cyclone a anéanti petits commerces et maisons individuelles. Le spectacle est irréel, des marches menant nulle part, des piles de débris parfois hautes de 2 mètres, regorgeant d'effets personnels happés par les flots qui ont éventré les maisons. Des appartements de Quiet Water Beach (littéralement "la plage de l'eau calme"), il ne reste qu'une dalle de béton et un tas de briques rouges. Landon Williams, ouvrier de 19 ans, avait choisi de rester dans son appartement. Il s'est enfui avec sa grand-mère et un oncle quand l'immeuble s'est effondré. En nageant parmi les débris, "nous avons regardé les appartements se désintégrer. On entendait les gros morceaux de bois craquer et se briser", a-t-il raconté.

Le gouverneur de Louisiane, Kathleen Blanco, a décidé l'évacuation totale de La Nouvelle-Orléans dont les digues ont cédé et qui est menacée d'être submergée. Le président George Bush, lui, écourte ses vacances dans son ranch de Crawford, au Texas. Il devait rentrer mercredi à Washington pour suivre les opérations de secours.

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 01.09.05


Le Monde / France
Le premier ministre voit chaque semaine deux consultants en communication qui font partie de son "think tank"

 M atignon a beau démentir tout dispositif institutionnel de communication politique, Dominique de Villepin a constitué autour de lui un véritable "think tank" pour mettre en musique son action. Bien sûr, il est rare qu'un premier ministre ne se préoccupe pas de la mise en scène de son action. Depuis quinze ans, la communication du chef du gouvernement est même l'un des gros postes de dépenses plus ou moins officiel de Matignon. Mais il est inhabituel qu'un chef de gouvernement s'y soit autant préparé... bien avant de parvenir au poste.

Certes, son prédécesseur Jean-Pierre Raffarin était un spécialiste du marketing. Villepin, lui, a une longue expérience de la communication politique, y compris en période de crise. Quand il occupait le poste de secrétaire général de l'Elysée (1995-2002), il concevait d'abord son rôle auprès de Jacques Chirac comme celui d'un agitateur d'idées doublé d'un stratège en manipulation des médias.

Même ses débuts furent marqués de ce sceau. C'est à la direction du service de presse de l'ambassade de Washington (1986-1989) que le jeune diplomate qu'il était alors s'est vraiment fait remarqué.

A Matignon, "la com, c'est d'abord lui". résume donc l'un deses principaux collaborateurs. "Villepin utilise des stratégies de communication pour faire bouger le système au fond". nuance un autre de ses conseillers. Il s'y est attelé depuis longtemps.

Dès l'automne 2004, alors qu'il est encore ministre de l'intérieur, le voilà qui prépare déjà avec son directeur de cabinet, Pierre Mongin, et son conseiller politique, Bruno Le Maire, tous deux reconduits dans les mêmes fonctions à Matignon, la feuille de route de son action future et sa mise en scène.

Depuis la fin 2004, ils sont aidés dans cette tâche par des consultants externes: Bernard Sananès, directeur général adjoint du cabinet Euro RSCG, que lui a présenté Jacques Séguéla (rencontré à l'Elysée du temps de François Mitterrand, quand M. de Villepin était directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères Alain Juppé, de 1993 à 1995) et Philippe Méchet, l'ancien directeur des études politiques de la Sofres, aujourd'hui sous contrat avec Matignon.

Tous les quatre, ainsi que Véronique Guillermo, la responsable du service de presse, lui servent de "capteurs" et de partenaires de "ping-pong stratégique".

Quand M. de Villepin est nommé, le 30 mai, sa stratégie pour les deux prochaines années est donc prête. "Il est arrivé avec une vision claire, écrite et très phrasée de ce qu'il allait faire". constate un collaborateur. Des objectifs clairs et limités, un rythme de communication régulier et accéléré: tous les ingrédients qui constitueront bientôt la marque de fabrique du nouveau premier ministre.

Si Jean-Pierre Raffarin donnait l'impression d'être dépassé par les événements et de monter au front sur tous les sujets, M. de Villepin surprend, le 8 juin, avec une déclaration de politique générale resserrée sur un seul thème: l'emploi.

L'annonce du choix de la procédure des ordonnances pour instaurer un nouveau contrat de travail dans les petites entreprises lui permet d'aller vite. "Il s'agissait aussi de priver Nicolas Sarkozy du monopole de l'action et de l'activisme". résume un proche.

Même si, au jour le jour, le premier ministre est très présent sur tous les arbitrages gouvernementaux, il l'est encore davantage sur le chômage. En juin et juillet, chacun de ses déplacements de fin de semaine y a été consacré. Et, signe des temps, à Matignon, la réunion hebdomadaire des directeurs de communication ne réunit plus que les représentants des ministres directement associés au plan de lutte contre le chômage.

Professionnel et perfectionniste, le premier ministre assure aussi la "communication interne". Le 7 juillet, il s'invite par surprise à une convention des directeurs d'agence ANPE pour galvaniser les troupes sur le plan de cohésion sociale. "C'est plus utile que de mobiliser les préfets !". tranche- t-on à Matignon.

DOUZE MOIS UTILES

Le deuxième acte de l'action du premier ministre a été préparé avec le même soin. Son démarrage a été fixé au 1er septembre, au lendemain de l'annonce d'une baisse du chômage, qui repasse sous la barre des 10%.

Heureux hasard du calendrier ? Ce serait faire injure aux stratèges de la communication qui entourent le premier ministre ! A commencer par lui-même. Dès la mi-juillet, le ministère du travail avait communiqué au chef du gouvernement des premiers indicateurs qui laissaient entrevoir un retournement de tendance, après la baisse constatée depuis juin.

La date du 1er septembre a donc été choisie pour faire coup double: rebondir sur les chiffres du chômage et griller la politesse à Nicolas Sarkozy, qui s'exprimera à l'université d'été des Jeunes populaires le 4 septembre, et lors de la convention fiscale de l'UMP le 7.

Le premier ministre juge n'avoir plus qu'une année utile avant le début de la campagne présidentielle de 2007. Et le scénario de ces douze mois est écrit: emploi, rémunération du travail, formation et éducation. Sa garde rapprochée a déjà son slogan: travailler "pour le moyen et long terme".

Christophe Jakubyszyn
Article paru dans l'édition du 01.09.05


Le Monde / France
M. Chirac peine à mettre en scène l'union gouvernementale
REIMS de notre envoyée spéciale

 B londe, rose, ronde, Catherine Vautrin arrive la première, comme un tourbillon. En deux minutes, la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité s'attache à démolir Renaud Dutreil, ministre des PME, son rival pour la mairie de Reims aux municipales de 2008. Lui n'arrivera qu'avec "la charretée de ministres", dit-elle.

Mme Vautrin a plusieurs heures devant elle pour poser au côté de Jacques Chirac qui visite, mardi 30 août, à Pomacle, le site d'ARD, une raffinerie végétale qui transforme les céréales en autobronzant, détergent ou carburant. Et elle pose, sûre d'elle. Le samedi précédent, en visite dans la région, le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, lui a affirmé qu'elle " était, est et restera rémoise." Les élus présents ont pris cela comme une assurance d'investiture.

Cette bisbille gouvernementale n'est qu'un amuse-bouche. Juste avant que le président de la République, qui effectue son premier déplacement en province pour la rentrée, n'arrive au palais des congrès de Reims, le premier ministre, Dominique de Villepin, et le ministre de l'intérieur s'affrontent à fleurets mouchetés.

Tous les micros, comme à l'ordinaire, sont braqués sur M. Sarkozy, tandis que le chef du gouvernement s'entretient avec les "vrais gens". "Cette proximité est formidable", dit une dame, radieuse, au premier ministre. Très occupé avec la presse, le ministre de l'intérieur lance crânement: " Eh, Dominique, il faut m'aider !" L'intéressé, glacial: " Vous vous débrouillez très bien tout seul."

M. Sarkozy est de méchante humeur. Il devait intervenir, ce mardi, à l'université d'été du Medef. Réquisitionné par l'Elysée pour accompagner le président à Reims, avec le premier ministre, le ministre de l'économie, Thierry Breton, le ministre de l'éducation nationale, Gilles de Robien, M. Dutreil et Mme Vautrin, il a dû annuler sa prestation. Lorsqu'on lui demande s'il est content d'être là, il grince: " Il fait beau". Le ministre de l'intérieur n'a pourtant aucune peine à justifier sa présence dans la mise en scène présidentielle sur les pôles de compétitivité, thème de la journée: "C'est moi qui les ai lancés", assure-t-il.

Sur l'estrade, où l'on a pris soin de placer M. Dutreil et Mme Vautrin le plus loin possible l'un de l'autre, M. Sarkozy s'ennuie ferme, pendant les discours. Son pied bat nerveusement, comme naguère celui de Jacques Chirac. Il suit cependant des yeux, en souriant, les allées et venues de Claude Chirac, dans la salle. Le président, très patriarche, ayant terminé sa grande déclaration sur la compétitivité de la France, s'entretient une minute avec le ministre de l'intérieur et le premier ministre. Il est ostensiblement aimable avec les deux hommes. Mais M. Sarkozy file à toute allure: il ne participe pas au déjeuner de M. Chirac avec les ministres, lassé de faire de la figuration.

Qu'il est difficile d'afficher la cohésion quand les ambitions se bousculent au gouvernement ! Depuis la rentrée, à droite, chacun a compris que les rivalités allaient encore s'aiguiser. "Villepin, il arrive doucement à la présidentielle", lâche tout de go un ami de longue date de Jacques Chirac. "Dominique monte tranquille. Il est parti d'assez bas, il ne peut que grimper. Sarkozy est monté très haut, il ne peut que descendre", analyse ce vieux routier, sans négliger les atouts du ministre de l'intérieur: son intelligence politique, ses réseaux, la formidable machine de l'UMP, la vénération des jeunes de droite.

Et le président ? Même ses amis le jugent hors course. Selon L'Express du 29 août, le patron François Pinault considère en privé qu'il faut désormais tourner la page et a dîné au mois d'août avec M. de Villepin.

RELATIONS FLUIDES

Pour l'instant, rien ne grince entre l'Elysée et Matignon. La poignée de députés qui font des notes pour les deux maisons s'extasie de la fluidité des relations: "Quand on envoie des papiers aux uns, ils nous demandent de faire suivre par mail aux autres." Lorsque l'otage de France 3 a été libéré le 22 août, à Gaza, le président a appelé M. de Villepin pour lui dire: "Annoncez-le".

Mais chacun est attentif à l'autonomisation progressive du premier ministre. "Croyez-vous qu'il ait demandé la permission de qui que ce soit pour s'exprimer sur la Turquie le 2 août ?", demande un ministre. Et plusieurs membres du gouvernement, qui savent pourtant qu'"avec Chirac, on ne prend son autonomie que s'il vous la donne", sont persuadés que M. de Villepin mènera sa propre politique économique en imposant ses choix au président.

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 01.09.05


Le Monde / France
Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement

 P our le quatrième mois consécutif, le taux de chômage est à la baisse et repasse, fin juillet, sous la barre symbolique des 10%. Est-ce une tendance durable ?

Ce qui importe, ce n'est pas tant la baisse que l'inversion du flux. Après des années de hausse quasi ininterrompue, depuis 2001, nous enregistrons depuis quatre mois une stagnation puis des microbaisses et, enfin, aujourd'hui, des chiffres lisibles, significatifs. La tendance est structurellement à la baisse même si elle n'exclut pas tel ou tel mois ponctuel à la hausse.

"Une tendance insignifiante", pour la CGT

Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, a indiqué que "la tendance est insignifiante, la baisse infinitésimale". "Quand on vit le chômage, il n'y a pas de barre symbolique des 10%. Compte tenu de la masse du nombre de chômeurs, la diminution enregistrée est de l'ordre de la marge d'erreur dans les statistiques". estime M. Thibault. Le numéro un de la CGT souligne que ces chiffres révèlent toujours "une grande précarité de l'emploi, deux emplois sur trois étant des CDD -contrat à durée déterminée- ou du temps partiel".

De son côté, le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, a déclaré, mercredi 31 août, sur France 2, que la poursuite de la baisse du chômage provenait de deux éléments: "D'abord un nombre de radiations qui, comme le mois précédent, a été assez importante; et un deuxième élément, le traitement social du chômage, que l'ancien gouvernement avait abandonné et qui est en train de remonter." M. Mailly a aussi indiqué que, "si on veut créer de vrais emplois et non pas des emplois précaires, il faut qu'une croissance économique puisse se produire".

Cette baisse est-elle uniquement liée à votre plan de cohésion sociale ?

Chacun tirera ses conclusions. Je remarque que mon "usine à gaz", comme certains la qualifiaient, commence à produire ses effets: les chiffres de l'apprentissage connaissent une forte hausse de 11,6%, le chômage des jeunes recule de 2,5%, et l'entrée en alternance augmente de 16,3%... Ces éléments sont liés. J'avais dit que ce plan commencerait à produire ses effets au deuxième semestre. Je pensais que le chômage pouvait baisser de 3 points en cinq ans.

Votre politique consiste en partie à recréer des emplois aidés...

Non, il ne s'agit pas que d'emplois aidés. On va vers une société de l'alternance entre la formation et l'emploi. La vision d'un parcours professionnel, avec un contrat dans une entreprise unique et, peut-être, le chômage avec son traitement administratif, ne correspond plus à la réalité d'aujourd'hui. Dans notre société, il faut d'abord sécuriser les parcours, avec de la formation, des périodes de réadaptation, de perfectionnement, que ce soit dans le secteur public, le parapublic ou le privé.

Une partie de la droite vous reproche cependant de privilégier le "traitement social" du chômage au détriment de l'incitation à un retour à l'emploi.

Et alors ? Le vrai problème aujourd'hui, c'est la crise du recrutement. On le voit bien dans les secteurs moteurs que sont le logement et les services à la personne, où il y a des emplois disponibles. Il faut mieux organiser la gestion des ressources humaines du pays, c'est le coeur de ma politique. Beaucoup de personnes travaillent dans des conditions difficiles, parfois quinze, vingt heures par semaine, faute de pouvoir travailler encore davantage, et parcourent 40 kilomètres pour se rendre à leur travail. Les Français sont des bosseurs, il faut le dire.

Le premier ministre, Dominique de Villepin, boucle ses cent jours à Matignon. A-t-il eu raison de fixer cette première échéance à son action ?

Annoncé poète et littéraire face à un Sarkozy pragmatique et efficace, il devait mettre en avant son volontarisme. A ce titre, les "cent jours" l'ont démontré.

Ce résultat encourageant sur le chômage peut-il permettre à M. de Villepin de nourrir une ambition présidentielle ?

D'abord, la bataille contre le chômage n'est pas gagnée, même si, en plus du plan de cohésion sociale, les nouvelles mesures, notamment le contrat nouvelles embauches, démarrent très vite. L'emploi reste l'obsession du gouvernement.

Ensuite, son action et son image seront jugées par les Français tout au long de sa mission, dans les succès comme dans les difficultés. Certes, sa nomination à Matignon a probablement changé, pour lui, la donne. Mais je peux vous assurer qu'il n'est pas dans un calcul personnel. De plus, il connaît assez bien les vicissitudes de la vie politique pour se tenir à l'écart des jeux tactiques.

La candidature déclarée de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007 perturbe-t-elle la vie gouvernementale ?

En aucune façon. Nicolas ne fait pression ni sur les hommes ni sur l'action. Au risque de vous décevoir, je ne perçois pas "l'omniprésence" ou l'"activisme" de Nicolas Sarkozy. Je trouve qu'il n'excède pas les limites de sa fonction et qu'il est même très ministre de l'intérieur. Cette organisation, annoncée par certains comme improbable, fonctionne bien. Les remarques de Nicolas aident à la prise de décision de Dominique.

Pourtant, ses critiques sur le modèle social français vous visaient aussi...

Première remarque, il s'exprimait en tant que président de l'UMP. Deuxième remarque, on met tout sous cette appellation de "modèle social". Je n'ai jamais pensé qu'il fallait continuer comme avant, sans rien changer, mais s'il faut tout déréguler comme le pensent certains, alors je m'y opposerai.

Il ne sert à rien de critiquer notre modèle social, il faut encore proposer des solutions. Prenons l'exemple du contrôle des chômeurs et la polémique qui l'a accompagné. Ce problème a été réglé dès lors qu'on a transformé le "contrôle" en "suivi" et en "accompagnement" des demandeurs d'emploi. S'il s'agit de substituer à un système basé sur les seules allocations, un nouveau modèle construit sur la gestion des ressources humaines et l'incitation, alors je suis d'accord.

Propos recueillis par Rémi Barroux et Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 01.09.05


Le Monde / Entreprises
Rhodia: les deux principaux plaignants ont été espionnés par des sociétés privées

 A u cœur de l'été, l'affaire Rhodia a connu un nouvel épisode. Il est apparu que, derrière cet austère dossier financier, se dissimulaient des pratiques relevant de l'espionnage économique et visant les deux principaux plaignants de cette enquête, Hugues de Lasteyrie et le banquier Edouard Stern, assassiné le 1er mars, à Genève, par sa maîtresse. MM. de Lasteyrie et Stern sont considérés par un certains nombre d'autres actionnaires de Rhodia comme des spéculateurs.

Incident lors d'une perquisition

La spectaculaire perquisition menée, le 27 juin, dans les bureaux du ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton, présent ce jour à l'ONU, à New York, a été le théâtre d'un incident resté inconnu à ce jour. Alors que les deux juges chargés d'enquêter sur l'affaire Rhodia s'affairaient à recenser les pièces qui pouvaient intéresser leurs recherches dans le bureau de M. Breton, à Bercy, l'un des policiers de la brigade financière qui les accompagnaient s'est aperçu que le conseiller juridique du ministre enregistrait les magistrats à leur insu. L'intéressé, Jean-Baptiste Carpentier, a été interpellé et auditionné. Il est apparu qu'il avait enregistré les propos des juges d'instruction à l'aide de son "Palm", sorte d'assistant personnel électronique pouvant servir, à l'occasion, de magnétophone, qui été saisi.

Sollicité par Le Monde. l'intéressé s'est refusé à tout commentaire. Mais devant les policiers, il avait indiqué que cette démarche équivalait à une simple prise de note et qu'il n'agissait en aucun cas sur ordre de son ministre. Il s'agissait selon lui d'"un malentendu".

La justice a découvert, le 13 juillet, que deux rapports d'enquêtes réalisées sur Edouard Stern avaient été soumis à l'ancien président de France Télécom, Thierry Breton, actuel ministre de l'économie et des finances.

Quelques jours plus tôt, les enquêteurs avaient mis la main sur une étude effectuée, pour le compte de Rhodia, sur M. de Lasteyrie.

Interrogé, mardi 30 août, le ministre des finances a expliqué qu'après avoir effectivement pris connaissance d'un rapport réalisé par la société Sécurité sans frontières (SSF), il avait signifié une fin de non-recevoir et qu'aucune facturation n'avait été adressée à France Télécom.

Edouard Stern et M. de Lasteyrie sont à l'origine de cette enquête.Ils ont porté plainte pour diffusion de fausses nouvelles, présentation de comptes inexacts et abus de biens sociaux.

Leurs accusations visent notamment Jean-Pierre Tirouflet, président de Rhodia au moment des faits, Jean-René Fourtou, en qualité de patron d'Aventis, principal actionnaire, passé depuis à la tête de Vivendi, et Thierry Breton, administrateur et président du comité d'audit de Rhodia jusqu'en 2002. Jusqu'à présent, cette affaire n'a débouché sur aucune mise en examen.

Ces nouveaux éléments étayent les soupçons de surveillance dont ces deux financiers affirmaient être l'objet.

L'un des associés d'Edouard Stern, à New York, avait découvert, fin 2004, un système d'écoutes dans son téléphone. Fin juin, une enquête préliminaire a été ouverte au parquet de Paris à la suite de la plainte de M. de Lasteyrie et de son avocat, Philippe Champetier de Ribes, pour atteinte à la vie privée. Leurs ordinateurs et leurs domiciles auraient été visités.

Le 27 juin, lors de la perquisition du siège de Rhodia, les policiers découvrent qu'une société d'intelligence économique, Egideria, a enquêté sur M. de Lasteyrie pour le compte de l'entreprise.

Quatre mois plus tôt, le 11 mars, M. Lasteyrie avait affirmé, devant les juges, être l'objet de filatures organisées par Egideria avant de faire état des menaces qui pesaient sur lui et Edouard Stern. Selon lui, "un certain Joël Rey avait accepté un mandat de Jean-René Fourtou et de Claude Bébéar pour constituer un dossier de moeurs sur Stern et le déstabiliser".

Le dirigeant d'Egideria, Yves-Michel Marti, prestataire de Rhône-Poulenc puis de Rhodia depuis une dizaine d'années, a expliqué aux policiers qu'il s'agissait de savoir s'il n'y avait pas d'autres intérêts financiers derrière M. de Lasteyrie.

Le rapport, facturé près de 30 000 euros, détaille l'ensemble des avoirs de M. Lasteyrie, domicilié en Belgique, et ses biens personnels. "Je ne suis pas autorisé à commenter les prestations que je réalise pour mes clients", a indiqué au Monde M. Marti.

Quant aux recherches menées sur "Joël Rey", dont le nom a été cité par M. Lasteyrie, elles ont permis, comme l'a indiqué le Journal du dimanche, fin juillet, de remonter jusqu'au dirigeant de la société Astarte, auteur, pour le compte de Sécurité sans frontières (SSF), de deux rapports sur Edouard Stern.

SSF, créée en 2000 et rachetée, fin 2004, par la Sofema, ancienne émanation du ministère de la défense, est spécialisée dans la sûreté des entreprises et la protection des expatriés.

SSF est présidée par Frédéric Bauer, ancien directeur de la sécurité chez Dassault, secondé par Pierre-Jacques Costedoat, qui fut directeur des opérations de la DGSE et gouverneur militaire de Paris.

Selon M. Costedoat, interrogé par Le Monde, les rapports concernant Edouard Stern ont été "présentés et commentés" à M. Breton sans que celui-ci n'ait commandé cette enquête, qui ne relevait que "d'une offre commerciale sans suite, qui n'a pas été rémunérée".

SOUMIS À THIERRY BRETON

Le premier rapport propose de recenser et de décrire les adversaires du financier puis d'approfondir ses relations avec Vincent Bolloré et Albert Frère.

L'auteur passe en revue un certain nombre de chefs d'entreprise et de présidents de banque et s'arrête sur le cas de Claude Bébéar, fondateur d'Axa. Ce dernier est présenté par SSF comme la tête de réseaux qui ont tout intérêt à réduire "la nuisance" d'Edouard Stern. Le deuxième rapport traite du parcours personnel du banquier disparu.

L'actuelle direction de France Télécom a indiqué que l'entreprise est sous contrat depuis plusieurs années avec SSF pour des prestations de sûreté et pour la protection des expatriés. Le directeur des relations humaines, Olivier Barberot, a ajouté que SSF s'occupait de la protection personnelle des présidents de France Télécom. La direction a ajouté que les collaborateurs de M. Breton n'avaient pas été informés de ce rapport.

Le porte-parole de France Télécom, Marc Meyer, a confirmé que l'entreprise n'avait jamais "commandé ni payé une telle étude". Lors de leurs recherches, les policiers ont, néanmoins, trouvé la trace d'une facture de 11 960 euros liée à ces rapports et adressée, le 24 février, à France Télécom. Le 3 mars, pourtant, cette même facture était annulée.

Des experts ont été commis par les juges chargés de l'affaire, Henri Pons et Jean-Marie d'Huy, afin d'effectuer des recherches sur les disques durs et agendas saisis à France Télécom dont ceux de l'actuel président, Didier Lombard, et de son prédécesseur, Thierry Breton, de Jean-Yves Larrouturou, secrétaire général du groupe, et d'Olivier Barberot. L'avocat des sociétés d'Edouard Stern s'est refusé à tout commentaire.

Jacques Follorou
Article paru dans l'édition du 01.09.05


Le Monde / France
Matignon veut un "big bang" fiscal en faveur des classes moyennes

 "L e travail doit payer". Dominique de Villepin a trouvé le mot d'ordre de la grande réforme fiscale qu'il doit annoncer, jeudi 1er septembre. Il a choisi de s'attaquer à une réforme en profondeur de l'imposition des personnes physiques, à travers l'impôt sur le revenu et la prime pour l'emploi. A quelques heures de ses derniers arbitrages, le premier ministre a désormais les idées claires sur ce qu'il veut proposer aux Français.

Révision à la baisse de la croissance en 2005

Le ministre de l'économie, Thierry Breton, a revu à la baisse l'objectif de croissance, indiquant, mercredi 31 août sur Europe 1, qu'il était "entre 1,5% et 2%" cette année. C'est la première fois que le gouvernement cite, comme bas de la fourchette, le chiffre de 1,5%, qui est celui prévu par l'Insee. Le taux retenu jusqu'ici officiellement était de 2%.

Toutefois, a-t-il souligné, "nous sommes en retournement de cycle depuis le mois de mai en France mais aussi en Europe. La conjoncture se retourne, les entreprises réembauchent ". "Je le redis, le pire est derrière nous ". a-t-il insisté, indiquant que l'accélération de la croissance avait été confirmée en juillet et en août. "Les commandes industrielles sont à la hausse, les exportations sont bien meilleures, notamment les exportations industrielles, les perspectives sont clairement au vert depuis le mois de juillet, l'activité industrielle repart à la hausse". Mais, "c 'est vrai qu'il y a un décalage". concernant la consommation et le moral des ménages, a-t-il reconnu.

Son "big bang fiscal". comme le dit Matignon, ira au-delà des premières propositions du ministère de l'économie, jugées "trop fadasses". Bercy se défend de cette accusation, affirmant avoir soumis plusieurs scénarios au premier ministre. "Pas assez ambitieux sur les revenus du travail". a martelé Dominique de Villepin. Bref, à 24 heures des annonces du premier ministre, les rôles sont soigneusement distribués: le premier ministre veut se présenter en réformateur progressiste s'adressant aux Français et résistant aux tentations libérales de Bercy, qui s'intéresse trop aux entreprises et aux grandes fortunes.

En outre, les propositions du rapport du conseil d'analyse économique (Le Monde du 27 août) et la concurrence de la convention fiscale de Nicolas Sarkozy prévue le 7 septembre ont certainement constitué de forts stimulants à la créativité gouvernementale.

Le premier ministre devrait donc annoncer une réduction du nombre de tranches pour l'impôt sur le revenu. Les sept tranches actuelles seraient ramenées à quatre, ou trois, afin d'accroître la visibilité de cet impôt. Le taux marginal (48% pour la tranche de revenus au-delà de 48 747 euros annuels par part) serait abaissé. Mais les classes moyennes (que Matignon identifie comme les Français percevant des revenus mensuels de 2 000 à 3 000 euros) devraient être les principaux bénéficiaires de la réforme.

PLAFOND D'IMPOSITION

L'idée, pas tout à fait encore tranchée à Matignon, serait d'amplifier la perception de baisse d'impôt en incorporant dans les taux les anciens abattements forfaitaires dont bénéficient la plupart des redevables (10% pour les frais réels et 20% pour les revenus salariés). Ces abattements sont actuellement plafonnés. Ainsi, l'impôt sur le revenu serait "simplifié et plus lisible". décrypte-t-on dans l'entourage du premier ministre.

"Il faut clairement encourager le travail. résume-t-on à Matignon. La personne qui se donne du mal ne doit pas voir ses revenus partir en fumée." "Les revenus intermédiaires seront les premiers bénéficiaires.". ajoute-t-on. Parallèlement, les niches fiscales, qui bénéficient à certaines professions, seraient de nouveau rognées et plafonnées.

Les revenus modestes ne seront pas pour autant oubliés. Une profonde réforme de la prime pour l'emploi (PPE) devrait être annoncée par le premier ministre: plutôt que de recevoir un chèque de l'Etat un an plus tard (sous forme d'impôt négatif pour les bas revenus), les salariés les plus modestes devraient percevoir, chaque mois, un acompte de l'Etat directement sur le bulletin de salaire. "L'Etat veut encourager et payer davantage ceux qui travaillent". a indiqué Thierry Breton, mercredi 31 août, sur Europe 1.

Un projet de resserrement des critères d'attribution des minima sociaux auraient par ailleurs été soumis à Matignon, qui hésite à engager cette réforme sensible et délicate.

Pour donner encore plus de lisibilité à sa grande réforme, M. de Villepin envisagerait d'accompagner ces mesures concrètes par une sorte de "charte" du contribuable qui proclamerait les grands principes de l'impôt.

Cette charte, qui comprendrait cinq articles, instaurerait notamment un plafond d'imposition (par rapport aux revenus). Une manière habile et élégante d'instituer, de nouveau, un plafond pour l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui peut, dans certains cas de figure, dépasser les revenus annuels d'un redevable et serait à l'origine, selon de nombreux députés de la majorité, d'un départ à l'étranger des grandes fortunes.

La question de la réforme de l'ISF n'est pas encore définitivement tranchée par le président de la République et le premier ministre, qui craignent une réaction de rejet d'une grande majorité de Français. "Ce n'est clairement pas une priorité". tranche Matignon, qui pourrait au final laisser les parlementaires de la majorité prendre eux-mêmes l'initiative lors du débat budgétaire. M. Breton, qui est convaincu des effets pervers de l'ISF, fait du forcing dans la dernière ligne droite: "L'ISF, ça fait partie du paquet global !" voulait-il encore croire, mercredi matin sur Europe 1.

Le taux d'intérêt appliqué au contribuable qui paie ses impôts en retard ne pourrait plus être supérieur au taux d'intérêt que l'Etat s'applique lorsqu'il rembourse un trop perçu au contribuable, selon un autre principe de la charte. Actuellement, ces deux taux sont de 9% et 2%.

Seul bémol à la révolution fiscale "coup de poing" de M. de Villepin, selon l'expression de son entourage elle ne pourra être effective qu'à partir de 2007, juste avant les présidentielles. En 2006, les contraintes budgétaires, les engagements européens et la perspective d'une hausse du prix du pétrole interdisent de faire le grand saut.

A part quelques aménagements dans le projet de loi de finances pour 2006 et probablement la mise en oeuvre rapide du versement de la PPE sur la feuille de paie, le coeur du dispositif de réforme de l'impôt sur le revenu ne s'appliquera qu'à l'impôt 2007 (pour les revenus 2006). Il n'y aura donc pas de coup de pouce fiscal immédiat mais l'assurance donnée que les revenus du travail seront moins taxés.

Le premier ministre croit à l'effet d'entraînement de ce dispositif programmé. "Il y a aura un effet de dynamique, de cristallisation sur la croissance et l'économie". affirme Matignon.

Christophe Jakubyszyn
Article paru dans l'édition du 01.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Impasse ivoirienne

 L e mot n'est pas prononcé, mais c'est bien sur un échec que se termine la médiation sud-africaine en Côte d'Ivoire. Le président Thabo Mbeki a essayé pendant un an de rapprocher les diverses factions qui se déchirent dans le pays, jadis un des plus prospères du continent noir. Il a réussi à réunir les représentants du président ivoirien Laurent Gbagbo, les partis politiques de l'opposition officielle et les chefs de la rébellion qui contrôle le nord de la Côte d'Ivoire depuis 2002. Il est même parvenu à leur faire accepter un accord sur le principe d'une élection présidentielle qui devait se tenir le 30 octobre et sur les lois de nature à l'organiser le plus honnêtement possible.

Mais, comme pour les cinq autres "accords de paix" qui ont précédé la médiation sud-africaine, les divers protagonistes ne lisent pas les mêmes textes de la même façon. Alors qu'un accord a été trouvé sur l'identité des candidats susceptibles de se présenter à une élection présidentielle ­ "l'ivoirité" était une notion hautement controversée ­, le point d'achoppement concerne maintenant "l'identification des électeurs". La rébellion souhaitait que les lois électorales soient modifiées. Bien que le président Gbagbo n'ait pas obtempéré à la demande relayée par les médiateurs sud-africains, Thabo Mbeki a donné un satisfecit à son collègue ivoirien. Le geste a provoqué une crise de confiance entre la médiation sud-africaine et l'opposition ivoirienne.

L'Afrique du Sud s'en remet maintenant aux Nations unies. L'organisation internationale pourrait accorder à Laurent Gbagbo un délai supplémentaire, avec menaces de sanctions, pour organiser l'élection présidentielle, personne ne croyant plus à la possibilité d'organiser un scrutin le 30 octobre. Si toutefois la guerre civile, qui continue de couver, n'a pas repris d'ici là, malgré la présence des forces françaises de l'opération "Licorne" et des casques bleus de l'ONU...

La France, dont les efforts pour résoudre le conflit ivoirien ont été vains après le fiasco des accords de Marcoussis de janvier 2003, n'a aucune raison de se réjouir de l'échec sud-africain. Sans doute va-t-elle retrouver un rôle diplomatique plus actif avec le transfert du dossier au Conseil de sécurité de l'ONU, mais en tant qu'ancienne puissance coloniale elle n'a aucun intérêt à revenir au premier plan.

D'autre part, l'idée d'une "solution africaine aux problèmes africains", dont la France s'est aussi faite la championne, se révèle difficile à mettre en oeuvre. A cause de son poids économique et diplomatique, grâce à l'aura internationale de son premier président, Nelson Mandela, l'Afrique du Sud doit être le principal vecteur de cette politique. Elle a investi du temps et de l'argent pour résoudre d'autres conflits, au Burundi ou dans l'ancien Zaïre.

Elle ne peut cependant réussir sans un fort engagement de toute la communauté internationale. Au moment où une réforme du Conseil de sécurité pourrait donner un siège permanent à un pays africain, ce rappel arrive à point nommé.

Article paru dans l'édition du 01.09.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
La politique de l'émotion ou l'antipolitique, par Maurice Goldring

 C ent soixante morts dans un accident d'avion au Venezuela, puis dix-sept dans l'incendie d'un immeuble parisien, et sept morts de nouveau quelques jours après. Chaque fois, l'émotion est à son comble. Radios et chaînes de télévision consacrent l'essentiel de leur information à ces catastrophes.

Si vous n'êtes pas ému, inutile d'envisager une carrière politique.

Désormais, faire de la politique, c'est montrer qu'on a du cœur. Le président de la République prend un air de circonstance et dit les paroles qu'il faut. Les ministres suivent. Les dirigeants de l'opposition montrent qu'ils n'ont pas moins de coeur que le pouvoir en place. Tout le monde se déplace sur les lieux de la catastrophe.

Désormais, faire de la politique, ce n'est pas élaborer et mettre en place des solutions, c'est réagir le plus vite possible à l'émotion. On promet donc dans l'urgence, dans les heures qui suivent, que les contrôles des avions seront renforcés, que des logements d'urgence vont être construits, que les logements sociaux vont sortir du sol.

Puis l'actualité génère d'autres émotions. Chaque semaine produira les événements qu'il faut. Ici une inondation, un ouragan, un tremblement de terre, là un nouveau crash, des incendies, des morts en nombre suffisant pour créer l'événement.

Mais l'émotion passée se transforme en souvenir, dont bientôt plus personne ne parle. En silence, on réduit le nombre de contrôleurs, on diminue le budget des logements sociaux, les crédits attribués aux associations.

La politique dictée par l'émotion est le contraire de la patiente construction de solutions à long terme. Un incendie prend quelques heures, la construction de logements prend des années. Aucun micro, aucune caméra ne sont présents pour l'emménagement de familles dans un logement neuf. Ce n'est pas un événement.

La prévention, par essence, est le contraire d'une politique de l'émotion, puisqu'elle cherche à en réduire le nombre. Entretenir les forêts est une politique de long terme et coûteuse, qui vise à réduire le nombre d'incendies, donc à diminuer les occasions de spectacle. Vous ne passerez pas au journal de 20 heures si vous consacrez du temps et de l'argent à débroussailler.

L'actuel ministre de l'intérieur est le symbole de la politique de l'émotion. Il est le premier sur place, ce qui permet d'oublier que les villes que son parti contrôle préfèrent payer des amendes plutôt que de respecter leur quota de logements sociaux.

La politique de l'émotion satisfait la droite, puisqu'elle permet de manifester sa compassion tout en réduisant les crédits consacrés à la recherche, à la formation, à la prévention.

J'ai personnellement été témoin de l'efficacité des associations du quartier de la Goutte-d'Or pour empêcher des émeutes après une bavure policière. Mais le commissaire qui a rendu hommage à leur travail n'a pas été interviewé par les radios et les télévisions; et aucun ministre de l'intérieur n'est venu rendre hommage au travail silencieux, patient, efficace, de ces associations. Elles continueront donc, dans l'indifférence, à mendier des crédits pour poursuivre leur travail.

La politique de l'émotion envahit aussi la gauche. Comment résister ? Ainsi, on apprend que, pour rénover l'immeuble du boulevard Vincent-Auriol [lieu de l'incendie du 26 août à Paris], il fallait d'abord évacuer ses habitants. Mais les familles ont refusé les offres de logement qui dispersaient leur communauté, et des militants, qui se disent "de gauche", ont manifesté leur compassion en soutenant leur refus. Il fallait respecter leur souhait de "rester ensemble".

Les familles sont restées ensemble et c'est ainsi qu'elles sont mortes, ensemble.


Maurice Goldring est ancien professeur d'études irlandaises à l'université Paris-VIII-Saint-Denis.

par Maurice Goldring
Article paru dans l'édition du 01.09.05


Le Monde / Europe
Tariq Ramadan va conseiller la Grande-Bretagne dans sa lutte contre l'extrémisme islamique

Tariq Ramadan, le 29 avril 2004. | FLUSIN LIONEL/STILLS/GAMMA
FLUSIN LIONEL/STILLS/GAMMA
Tariq Ramadan, le 29 avril 2004.

 L' intellectuel musulman Tariq Ramadan a été recruté pour conseiller le gouvernement britannique dans sa lutte contre l'extrémisme islamique, selon le journal The Guardian.

Tariq Ramadan, de nationalité suisse, fait partie d'un groupe de treize personnes appelées à faire des propositions pour empêcher les musulmans de Grande-Bretagne de glisser dans l'extrémisme, précise le journal. Le groupe doit rendre son rapport au premier ministre, Tony Blair, et au ministre de l'intérieur, Charles Clarke, à la fin du mois de septembre. La mise en place de ce groupe intervient moins de deux mois après les attentats-suicides du 7 juillet à Londres, qui ont fait 56 morts, dont les quatre poseurs de bombes et 700 blessés. Trois des quatre kamikazes étaient d'origine pakistanaise et le quatrième d'origine jamaïcaine.

Charles Clarke a présenté, mercredi 24 août, les nouvelles "règles du jeu" contre le terrorisme. Elles permettent d'empêcher l'entrée sur le territoire britannique de prédicateurs aux "comportements inacceptables". On y trouve notamment le fait de "fomenter, justifier ou glorifier la violence terroriste" ou, encore, de "fomenter la haine pouvant mener à des violences intercommunautaires ".

"VISAGE AIMABLE DE LA TERREUR"

Tariq Ramadan vient d'être nommé universitaire-invité du prestigieux Saint Antony's College d'Oxford pour l'année académique 2005-2006 qui débute en octobre. L'établissement d'enseignement supérieur a rappelé qu'il est un intellectuel internationalement reconnu qui a été classé par le magazine Time parmi les cent innovateurs du XXIe siècle pour ses travaux sur la création d'un islam européen indépendant. En juillet 2004, les autorités américaines avaient retiré à M. Ramadan son visa, ce qui l'avait obligé à démissionner de l'université américaine Notre-Dame, qui lui avait confié une chaire, et à retourner à Genève. Ce petit-fils de Hassan Al-Banna, fondateur des Frères musulmans égyptiens, a croisé le fer à de nombreuses reprises avec des personnalités officielles françaises, au sujet de la place de l'islam en France. Il avait été interdit d'entrée en France durant quelques mois en 1995.

M. Ramadan a séjourné en Grande-Bretagne peu après les attentats du 7 juillet. Il a donné une conférence, le 24 juillet, à l'invitation de la police métropolitaine de Londres. Le Sun avait publié sa photo en "une", assortie de ce commentaire: "Interdit aux Etats-Unis pour terrorisme, interdit en France, accueilli en Grande-Bretagne après les attentats d'Al-Qaida !" Le journal présentait M. Ramadan comme offrant "un visage aimable de la terreur afin de séduire les jeunes musulmans".

Le Monde.fr
LEMONDE.FR | 01.09.05 | 09h52


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Industrie: un cap flou

 D es "pôles de compétitivité", une agence de l'innovation et, mercredi 31 août, une liste de secteurs "stratégiques" que l'Etat doit protéger: la France se dote d'une politique industrielle. Elle a une qualité: son existence. Elle a des défauts: ses relents nationalistes (le "patriotisme économique"), un excès de communication et des incohérences d'ensemble.

Les pôles de compétitivité, notamment inspirés par la Silicon Valley en Californie, ont pour objectif d'associer géographiquement des industriels et des universitaires. Une synergie doit naître pour élever le contenu technologique des productions et atteindre un niveau qui donne aux entreprises concernées la capacité de résister à la concurrence des pays à bas coûts comme la Chine.

L'Agence de l'innovation se veut une relance des "grands programmes" gaullistes. Elle entend financer des recherches "en amont", dans des domaines où les groupes, pris par des considérations financières, n'ont plus les moyens de s'aventurer. Les secteurs stratégiques sont, eux, relatifs à la sécurité militaire du pays. Les rachats par des groupes non européens d'entreprises "sensibles" seront soumis à l'aval de l'Etat.

En 1986, Jacques Chirac, premier ministre, a démoli consciencieusement les différents "plans" que la gauche venait de mettre en place pour l'informatique, l'électronique ou la chimie. La "politique industrielle" était un concept jugé dépassé, conduisant à des erreurs et à un gâchis de l'argent public. En 2005, Jacques Chirac, président de la République, réhabilite la politique industrielle. Pourquoi ? Il ne s'en explique malheureusement pas. Et du coup, l'action engagée par le gouvernement est hésitante.

Il faut se réjouir de voir M. Chirac, malgré ses virages, redécouvrir l'importance cruciale de la technologie et de la recherche dans la compétition mondiale. Mais faute d'être argumentée et explicitée, la nouvelle politique industrielle française ne convainc pas nos partenaires européens et elle reste conduite en solitaire, ce qui limite considérablement sa portée. Le nationalisme hexagonal risque, pour le coup, de conduire à un gâchis de l'argent des contribuables.

La nouvelle politique industrielle est aussi polluée par des considérations électorales. C'est ainsi que le gouvernement Villepin a retenu un trop grand nombre de "pôle de compétitivité" régionaux, soixante-sept, provoquant une dispersion de ses (rares) moyens. On peut aussi penser que la liste des secteurs sensibles aurait dû rester discrète pour ne pas provoquer de réaction protectionniste en retour.

Enfin, cette politique reste mal étayée, donnant trop peu de place aux problèmes de l'actionnariat. Le gouvernement s'est mobilisé cet été pour protéger Danone, une entreprise qui, ni technologique ni sensible, ne s'inscrit dans aucun des dispositifs de sauvegarde proposés. Pour surmonter cette contradiction, le gouvernement devra définir bien plus précisément sa politique industrielle.

Article paru dans l'édition du 02.09.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Les "listes noires" ne servent à rien, par Alexandre Aubin

 A près un été meurtrier dans le transport aérien, le gouvernement a publié, le 29 août, une "liste noire" des compagnies indésirables sur le sol français. Celle-ci n'apporte rien de nouveau: les cinq transporteurs cités y étaient déjà interdits. Mais, face à la psychose ambiante, l'administration cherche à calmer les esprits.

On occulte, cependant, le fait que d'autres Etats ­ notamment l'Italie ­ optent pour une autre liste, dite "bleue" ou "blanche". Plutôt que de désigner les compagnies interdites de territoire, ces listes ont vocation à nommer celles susceptibles d'y exercer. La démarche est donc exactement inverse.

En Grande-Bretagne, un permis est délivré aux compagnies charters qui en font la demande. Elles doivent, pour l'obtenir, répondre à un niveau de sécurité élevé. Les Etats-Unis, eux, procèdent à des audits pour chaque compagnie désireuse d'y opérer et de survoler leur pays.

Après l'accident du Boeing 737 de Flash Airlines, à Charm el-Cheikh (Égypte), le 3 janvier 2004 (148 morts dont 133 Français), la France et l'Union européenne se sont penchées, à nouveau, sur l'établissement d'une liste de compagnies aériennes ayant, ou pas, le niveau de sécurité requis pour travailler en Europe.

Auparavant, le 6 février 1996, le crash d'un Boeing 757-200 de la compagnie charter turque Birgenair, affrété par le tour-opérateur dominicain Alas Nacionales pour le compte d'agences de voyages allemandes, avait déjà fait 176 morts parmi des touristes allemands en République dominicaine. Berlin avait alors travaillé à la mise au point de critères pour élaborer une liste des compagnies autorisées ou interdites en Europe. Malheureusement, les autres Etats européens, peu concernés à l'époque, ne donnèrent pas de suite à cette démarche.

L'accident était pourtant déjà typique de l'utilisation de règles sauvages par les petites compagnies, qui n'ont pas de culture sécuritaire, pas plus que les voyagistes n'ont de scrupule pour vendre n'importe quoi, pourvu que cela soit moins cher que la concurrence.

On se souvient ainsi que, le 9 février 1992, un Convair de la compagnie gambienne Gamcrest, sous-traité par Air Sénégal et affrété par le Club Méditerranée, qui transportait 50 passagers dont 48 Français, fut responsable de la mort de 30 personnes et de 26 blessés au Sénégal. Le 6 juillet 2000, Gilbert Trigano et son fils, ex-patrons du Club Med, furent condamnés pour "homicides et blessures involontaires" pour avoir affrété un "avion poubelle". Les mêmes causes produisent chaque fois les mêmes effets.

L'affaire ne date donc pas d'aujourd'hui, et on ne peut faire mine de découvrir le problème. Le commissaire européen aux transports, Jacques Barrot, est désormais chargé de proposer une "liste noire" de compagnies non autorisées à voyager en Europe. Elle doit s'appliquer à l'ensemble des Etats de l'Union, plus la Suisse.

Mais cet inventaire ne sera qu'un état des lieux incomplet, qui ne tiendra pas compte des nouvelles compagnies, par définition plus fragiles qu'une compagnie structurée et qui pourraient provoquer un accident avant d'être vraiment identifiées comme dangereuses.

De plus, les propriétaires d'une compagnie inscrite sur la "liste noire" pourraient rapidement en créer une nouvelle afin de contourner le listing. Le paradoxe des "listes noires", c'est que les nouvelles compagnies, qui par définition n'ont jamais exercé d'activité aérienne, offrent selon leurs critères... la meilleure sécurité au monde.

C'est la porte ouverte à n'importe quel investisseur qui, n'ayant ni expérience aérienne ni culture sécuritaire, pourra se lancer ­ à l'image de Flash Airlines ­ dans le transport aérien sans qu'on puisse lui opposer quoi que ce soit. Bref, la liste noire n'est pas pertinente.

En revanche, l'établissement d'une "liste bleue", même imparfaite, présente bien plus d'avantages. Quels critères de sécurité faut-il pour l'établir ? Tout simplement les règlements et recommandations de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI).

L'Agence européenne de la sécurité aéronautique (AESA) pourrait en définir les modalités d'application et soumettre les compagnies aériennes qui font une demande d'agrément à un audit effectué par ses experts. De même qu'il existe certains labels ou normes, les candidats devraient alors fournir les preuves de leur niveau de sécurité. Un temps d'observation, suivi d'inspections régulières, permettrait d'obtenir le "label bleu", renouvelable après contrôle.

Les nouvelles compagnies pourraient exercer leur activité par l'obtention d'un "label bleu provisoire", sous réserve de remplir certaines conditions, notamment de faire appel à un encadrement d'experts européens provisoirement intégrés pour veiller à la bonne application des règles de sécurité.

Ce, afin de s'assurer, par exemple, de la bonne organisation de la compagnie, notamment dans l'élaboration des plannings de vol. Un expert chargé d'encadrer les personnels navigants veillerait particulièrement à la formation et au contrôle des pilotes. Un autre serait chargé de l'entretien et du suivi des avions.

Tout cela a forcément un coût, pris en charge par la compagnie candidate. Mais la sécurité a, elle aussi, un prix, qui est devenu non négociable pour les utilisateurs européens.

En règle générale, la sécurité aérienne est d'autant meilleure que les pays sont riches. Pourtant, certaines compagnies de régions plus pauvres obtiennent d'excellents résultats, grâce à une bonne coopération avec des grandes compagnies. C'était le cas de la défunte Air Afrique. Il n'y a pas de fatalité à l'insécurité du transport aérien, seulement une inertie à vaincre de la part de certaines administrations, qui manquent d'indépendance vis-à-vis de l'Etat.

C'est notamment le cas en France. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne disposent, eux, d'instances administratives indépendantes qui ont la latitude de prendre des décisions autonomes.

L'amélioration de la sécurité aérienne est, aussi, affaire de volonté politique. Nos élus en ont fait la démonstration, en prenant les mesures nécessaires pour résorber le fléau des accidents de la route. Il en va de même de l'amélioration de la sécurité aérienne. Elle passe par l'adoption d'une liste des compagnies agréées, et non d'une "liste noire" inefficace.

La "liste bleue" aurait, enfin, l'avantage supplémentaire de favoriser les compagnies européennes et françaises. Si l'Angleterre possède un très grand nombre de compagnies charters, c'est parce que celles-ci répondent à ses normes strictes d'agrément. Une "liste bleue", antilaxiste, favoriserait l'emploi dans un secteur sinistré, tout en limitant les délocalisations du transport aérien.


Alexandre Aubin est pilote de ligne à Air France.

par Alexandre Aubin
Article paru dans l'édition du 02.09.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
La clé de la crise iranienne est à Pékin, par François Heisbourg

 V oici que se dessine la crise iranienne, après la crise irakienne. Tous les éléments d'un mauvais remake paraissent réunis: George W. Bush, les armes de destruction massive, le Moyen-Orient, le pétrole et l'islam. Mais, malgré ces termes communs, les aboutissants de ces deux crises seront fondamentalement différents.

La crise irakienne a détruit un ordre existant sans pour autant jeter les bases d'une nouvelle règle du jeu, semant la confusion dans les relations entre les Etats-Unis et leurs alliés et engendrant le chaos au Moyen-Orient. La crise iranienne promet, au contraire, d'être un acte fondateur de ce que sera le futur système international: malheureusement, la nouvelle donne a peu de chances d'être favorable aux intérêts des démocraties européennes.

Le premier enjeu, qui est aussi le plus important du fait de sa nature existentielle, est celui de l'avenir du régime international de non-prolifération des armes nucléaires. Ce régime, contrairement aux prévisions des cyniques, a remarquablement fonctionné jusqu'à la fin des années 1990.

Outre les cinq puissances nucléaires officielles reconnues par le traité de non-prolifération (TNP), trois pays seulement avaient acquis l'arme militaire: Israël dès la fin des années 1960, l'Inde avec sa première explosion, en 1974, puis le Pakistan. Ces Etats n'étaient pas signataires du TNP, donc pas liés par ses dispositions.

Depuis l'ouverture du TNP à la signature, en 1968, de nombreux Etats ont renoncé à l'acquisition de l'arme nucléaire (Brésil, Argentine, Taïwan, Corée du Sud) ou accepté leur dénucléarisation (Afrique du Sud, Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan). Le seul cas avéré de violation majeure avait été celui de l'Irak: le travail acharné des inspecteurs de l'Unscom (Commission spéciale des Nations unies chargée du désarmement), consécutif à la première guerre du Golfe, y mit fin dès la première moitié des années 1990.

Malheureusement, les acquis de la non-prolifération sont menacés d'implosion. En 2004, la Corée du Nord a déclaré s'être retirée du TNP, Pyongyang disposant vraisemblablement de plusieurs charges nucléaires. Ce retrait solitaire a pu être considéré comme une aberration, la Corée du Nord étant, comme l'ex-Allemagne de l'Est, un régime et non un pays.

Une sortie de fait ou de droit de l'Iran du TNP et des engagements souscrits avec l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) serait, lui, un précédent d'une tout autre portée.

Le leadership régional auquel pourrait prétendre l'Iran grâce à la possession de l'arme atomique serait inacceptable pour nombre d'Etats du Moyen-Orient. Leur réponse serait l'acquisition de capacités nucléaires, d'autant que les Etats arabes n'avaient pour la plupart adhéré que tardivement et à contre-cœur au TNP.

Aussi, les Européens défendent-ils leurs intérêts vitaux en tentant de ramener Téhéran au respect des règles et résolutions de l'AEIA, car peu de perspectives seraient aussi menaçantes que celles d'un Moyen-Orient instable où la possession de la bombe serait devenue la règle générale, plutôt que l'exception que constitue la possession, déjà ancienne, de l'arme nucléaire par Israël.

Les négociateurs européens ont eu et continuent d'avoir raison de s'en tenir à la ligne sur laquelle s'est fait jusqu'ici l'accord général à l'AIEA: aucune activité liée à l'enrichissement de l'uranium, en contrepartie d'une ouverture maximale dans tous les autres domaines. Au-delà de son impact sur les intérêts directs des Européens, la nucléarisation du Moyen-Orient signerait la fin de l'autorité du TNP à l'échelle planétaire: l'Asie orientale ne tarderait pas à subir la réaction en chaîne, avec la nucléarisation éventuelle du Japon et de la Corée du Sud.

Face à un enjeu d'une telle ampleur, que penser de l'hypothèse d'un recours à la force contre l'Iran ? Une attaque armée se heurterait à plusieurs obstacles qui, pris ensemble, sont dirimants, même en faisant abstraction du discrédit que la guerre d'Irak fait peser sur une telle option.

D'abord, la difficulté technique et opérationnelle de conduire des frappes efficaces est grande: éliminer durablement le programme iranien ne peut se faire à travers une opération ponctuelle aux effets provisoires comme la destruction du réacteur Osirak par l'aviation israélienne en 1981.

Plus encore, elle engendrerait une aggravation mortifère des tensions entre l'Occident et le monde musulman. S'y ajouterait l'impact vraisemblable d'une guerre d'Iran sur les cours du pétrole, et donc sur l'économie mondiale.

Entre un recours calamiteux à la force et une politique d'apaisement catastrophique en termes de conséquences pour la prolifération nucléaire, comment maintenir l'efficacité du régime de non- prolifération ?

Ici intervient le second enjeu: celui de la nature et de l'ampleur de l'émergence de la Chine comme nouvelle grande puissance.

S'il est évident que l'attitude de Pékin est fondamentale dans la gestion du problème nucléaire nord-coréen, cette réalité s'applique dorénavant aussi à la crise iranienne. Dans cette affaire, la Chine peut décider de s'en tenir à la défense à court terme de ses intérêts énergétiques, en bloquant ou en délayant, au Conseil de sécurité, toute résolution qui isolerait sérieusement le régime iranien.

Pékin peut, en effet, espérer obtenir un accès privilégié aux sources iraniennes d'hydrocarbures. Cela serait assez conforme au profil très économique adopté par la Chine dans le développement de ses relations internationales.

Cependant, celle-ci ne peut ignorer les conséquences en Asie orientale d'un effondrement du système de non-prolifération, avec les choix nucléaires attenants de Séoul, Tokyo et Taïpeh. Aussi Pékin pourrait-il changer de braquet et jouer la solidarité, notamment au Conseil de sécurité, avec l'espoir qu'un front commun fasse revenir l'Iran à la négociation, dans le respect de l'ensemble de ses engagements internationaux en matière de non-prolifération.

Autrement dit, les Européens, tout comme les Américains, auront intérêt dans les prochains mois à encourager Pékin à agir de façon constructive, à l'instar de la coopération établie sur le dossier iranien entre les négociateurs européens et la Russie.

Il s'agit là d'une des grandes conditions d'une possible réussite de la politique européenne tendant à ramener l'Iran sur le chemin de la non-prolifération dans le respect des résolutions de l'AIEA. Mais à quel prix ? Car Pékin monnaierait forcément un éventuel soutien au Conseil de sécurité, vraisemblablement aux dépens de Taiwan ?

La crise iranienne sera ainsi l'occasion de tester la vigueur et l'orientation de ce que Pékin nomme " l'émergence pacifique" de la Chine. Un monde bipolaire sino-américain commence à s'esquisser, sans qu'il soit possible, à ce stade, d'en déterminer le degré de conflictualité ou de convivialité.

Ce que nous savons, c'est que, pour Washington comme pour Pékin, les relations avec l'Europe seront fonction de notre attitude vis-à-vis des sujets fondant les rapports sino-américains: nous en avons fait une première expérience avec la question de la levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine. La crise iranienne accélérera et renforcera cette évolution.

L'autre grande condition d'un succès européen dans la crise iranienne dépend de l'aptitude des Etats-Unis à revoir de fond en comble ses relations avec l'Iran. Peu de choses pèseraient aussi fortement en faveur de la non-prolifération qu'une ouverture américaine vers Téhéran, comparable précisément à celle de Washington envers Pékin, en 1971.

Une renonciation aux discours sur "l'axe du mal" et un quart de siècle de sanctions américaines contre l'Iran rouvrirait à Washington les portes du Moyen-Orient. Mais il est probablement trop tard pour cela, d'autant que, jusqu'à preuve du contraire, George Bush n'est pas Richard Nixon, et Condoleezza Rice n'est pas Henry Kissinger. La possibilité d'une issue satisfaisante à la crise iranienne s'en trouve réduite d'autant ­ et elle renforce, par défaut, le rôle de la Chine.


François Heisbourg est conseiller spécial du directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

par François Heisbourg
Article paru dans l'édition du 02.09.05


Le Monde / Sciences
L'ADN du chimpanzé révèle une part de l'humain

 C harles darwin fut caricaturé en singe pour avoir osé agripper l'homme sur une simple branche de l'arbre de l'évolution des espèces. Dès 1871, le grand savant avait pourtant raison de faire de l'être humain et des grands singes des cousins et la génétique moléculaire n'a fait que conforter sa vision. La publication, dans la revue Nature. jeudi 1er septembre, de la séquence du génome du chimpanzé, et sa comparaison avec celle de l'homme, en offre une nouvelle illustration. En ne levant encore qu'un coin du voile sur la grande question: "Qu'est-ce qui fait de nous des humains ?"

Le chimpanzé commun (Pan troglodytes ) et le bonobo (Pan paniscus ), qui ont divergé il y a environ 2 millions d'années, sont nos parents les plus proches sur le plan évolutif. Au point que certains, iconoclastes, ont proposé de les classer dans le genre Homo (Le Monde du 27 juin 2003). Nous sommes, en effet, issus d'un ancêtre commun qui a vécu, selon les paléontologues, il y a 6 à 8 millions d'années. C'est pourquoi les généticiens ont imaginé, au milieu des années 1990, alors que les projets de séquençage du génome de l'homme et de la souris étaient lancés, de décrypter aussi celui des grands singes.

Un consortium international ­ principalement américain ­ a été mis sur pied pour séquencer celui du chimpanzé. Les 67 chercheurs associés au projet ont choisi d'analyser le patrimoine génétique de Clint, un pensionnaire du Centre national de recherche sur les primates d'Atlanta. Ce descendant d'une sous-espèce originaire d'Afrique de l'Ouest (P. troglodytes verus ) est mort en 2004, d'une crise cardiaque, à 24 ans. Un décès précoce pour un animal en captivité.

Ses cellules sanguines n'en ont pas moins permis de livrer la première séquence d'un primate non humain, après celle d'Homo sapiens en 2001, et la quatrième d'un mammifère; celle de la souris avait été décrite en décembre 2002 et celle du rat en mars 2004.

"Le séquençage du génome du chimpanzé est un accomplissement historique qui conduira à de nombreuses découvertes excitantes ayant des implications pour la santé humaine". se félicite Francis Collins, le directeur de l'Institut de recherche sur le génome humain américain, partenaire du projet. Mais "cela ne représente que la partie émergée de l'iceberg dans l'exploration des racines génétiques de nos différences biologiques". estime LaDeana Hillier (université de Washington), coauteur de l'étude.

Qu'a-t-on découvert ? Sans surprise, il se confirme que le chimpanzé et l'homme ont en partage la très grande majorité de leur patrimoine génétique. Sur les quelque 3 milliards de paires de bases formant la trame de la double hélice d'ADN dont les chromosomes sont constitués, une très faible proportion diffère: si l'on déroulait les deux séquences, elles seraient identiques à presque 99%. Les substitutions ponctuelles que l'on peut observer entre les copies du génome humain et celui du chimpanzé ne représentent que 1,23%. Si l'on prend comme critère de mesure les insertions et les délétions ­ des mécanismes de mutation ­, la similarité s'élève encore à 96%.

Pour l'exprimer autrement, les différences génétiques entre les humains et les chimpanzés sont 60 fois moindres qu'entre l'homme et la souris ­ et dix fois moindres qu'entre la souris et le rat. Mais la différence entre le génome du primate Clint et celui de l'humain Craig Venter ­ le généticien qui a soumis son ADN au séquençage ­ est dix fois plus grande que celle existant entre deux génomes humains.

Cette faible distance génétique entre homme et chimpanzé n'est que relative. Elle peut aussi être analysée en valeur absolue. Le catalogue des différences génétiques dressées par le consortium culmine à 35 millions de changements de nucléotides isolés et à 5 millions d'insertions et de délétions. L'analyse de ces différences génétiques n'aura donc rien de trivial.

Ce travail a commencé. Nature en présente les premiers résultats. Les chercheurs ont constaté que les humains, comme les chimpanzés, ont accumulé au cours de l'évolution un nombre de mutations potentiellement délétères plus élevé que les rats et les souris. Ce qui constitue, en principe, un handicap mais peut aussi se transformer en avantage en cas de changement rapide de l'environnement.

Certaines classes de gènes semblent avoir évolué plus rapidement chez les humains que chez les chimpanzés ­ il s'agit notamment des facteurs de transcription qui régulent l'activité de cascades de gènes. Par ailleurs, une cinquantaine de gènes présents chez l'homme manquent purement et simplement chez le chimpanzé. Certains sont impliqués dans la réponse immunitaire et les phénomènes inflammatoires. A l'inverse, l'homme a perdu un gène protégeant les autres mammifères de la maladie d'Alzheimer.

La comparaison des deux génomes, espèrent les chercheurs, pourrait donc avoir des implications médicales importantes, à condition d'identifier les mutations significatives, parmi des millions, dont la plupart sont neutres.

Dans un article publié par Science. les généticiens Edwin McConkey et Ajit Varki, pionniers de l'étude du génome du chimpanzé, rappellent abruptement que la comparaison de ces génomes "n'a encore offert aucun aperçu majeur des éléments génétiques qui sous-tendent la bipédie, un gros cerveau, des capacités linguistiques, des pensées abstraites élaborées, ou tout ce qui rend l'homme unique". Cela peut sembler décevant, poursuivent-ils, "mais ce n'est que le dernier exemple de ce que la recherche en génomique a déjà établi: l'interprétation des séquences d'ADN requiert des informations fonctionnelles sur cet organisme qui ne peuvent pas être déduites de la séquence elle-même".

En résumé, il faut étudier où, quand et à quel degré les gènes sont exprimés au cours du développement de l'animal et en quoi l'environnement influe sur cette activité génétique. Il faudra aussi élargir le spectre des génomes à d'autres grands singes, pour affiner l'histoire évolutive des primates. Le séquençage du génome de Clint, pas plus que celui de l'homme, ne peut être considéré comme un aboutissement. S'ils ne constituent qu'un point de départ, ils n'en restent pas moins essentiels.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 02.09.05


Le Monde / Sciences
Les grands singes souffrent, qu'ils soient libres ou captifs

 D éforestation, épidémie par le virus Ebola, braconnage. Alors que l'on célèbre le séquençage du génome du chimpanzé, les grands singes ­ orang-outan, gorille, bonobo et chimpanzé commun ­ n'ont jamais été aussi menacés dans leurs milieux naturels. "On pourra conserver leur patrimoine génétique, mais tout ce qui concerne le comportement et l'écologie va disparaître". redoute Pascal Picq (Collège de France).

Or la comparaison du génome de l'homme et de celui du chimpanzé marque, à son sens, les limites du réductionnisme génétique. "L'homme ne se réduit pas à ces quelques millions de nucléotides de différence avec le chimpanzé. Il faut aussi tenir compte d'effets combinatoires des gènes entre eux, mais aussi de la façon dont l'épigénétique ­ l'environnement ­ influence l'expression des gènes." Chez l'homme, mais aussi chez les grands singes et d'autres primates plus éloignés. "Par ces comparaisons génétiques, on espère dire ce qui fait l'homme, rappelle-t-il. Mais on oublie que le chimpanzé est aussi le fruit de l'évolution. Pour savoir ce qui fait le chimpanzé, il faudra analyser les génomes d'autres primates."

Pour le chercheur, il importe aussi d'instiller des sciences humaines dans la théorie de l'évolution. Mais si les grands singes disparaissent de leurs habitats d'origine, les travaux de terrain récents, montrant, par exemple, l'existence de pratiques "culturelles" différentes à l'intérieur d'une même espèce, ne pourront être poursuivis.

Les chiffres sont alarmants: les orangs-outans étaient au nombre de 50 000 à 100 000 il y a vingt ans. Ils ne sont que 4 000 à 7 000 aujourd'hui. Les effectifs des bonobos, 100 000 dans les années 1980, ne dépasseraient pas 10 000 à 50 000 individus. Le dénombrement des chimpanzés, répartis dans 21 pays d'Afrique, est difficile mais ils seraient 100 000, soit quatre fois moins nombreux qu'il y a dix ans. Depuis vingt ans, les populations de gorilles des plaines ont été divisées par deux avec seulement 17 000 individus recensés. Seuls les gorilles des montagnes connaissent un répit, avec un doublement des effectifs ces dernières années. Mais ils ne sont que 700...

RÉFLEXION ÉTHIQUE

En captivité ­ ils sont 3 000 aux Etats-Unis ­, les grands singes ne sont pas saufs pour autant, car ils peuvent servir de cobayes. Sans eux, le vaccin de l'hépatite B n'aurait pu être mis au point. Mais la publication du génome du chimpanzé et les futures recherches médicales ­ parfois invasives ­ qui pourraient en découler devraient susciter une réflexion éthique, estiment Pascal Gagneux, James Moore et Ajit Varki (université de Californie, San Diego) dans Nature.

Ils suggèrent ainsi d'appliquer aux grands singes des règles éthiques s'inspirant de celles qui régissent les travaux sur l'homme. Mais aussi de s'interdire la production de singes transgéniques et de rechercher des modèles animaux de substitution.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 02.09.05


Le Monde / Sciences
Plusieurs découvertes de fossiles remettent en cause les conditions de l'émergence de l'homme

 E n paléoanthropologie, la mise au jour des fossiles les plus modestes peut, parfois, tenter d'égratigner les théories les plus vénérables. Ainsi de ces quelques dents de chimpanzé, vieilles d'environ 550 000 ans, dont Sally McBrearty (université du Connecticut) et Nina Jablonski (Académie des sciences de Californie) relatent la découverte dans l'édition du 1er septembre de la revue Nature.

Les raisons d'une telle ambition ? Selon les auteures de la découverte, le fait que ces fossiles ­ les premiers du genre ­ du plus proche cousin de l'homme aient été découverts au Kenya, dans la vallée du Rift est-africain, met à mal la thèse dite de l'East Side Story. Développée au début des années 1980 par le paléoanthropologue Yves Coppens, cette théorie demeure ­ bien qu'elle ait été profondément remise en cause en 2002 avec la découverte, au Tchad, de Toumaï (Sahelanthropus tchadensis ) ­ la description la plus complète de la séparation entre hommes et grands singes.

Que dit-elle ? Qu'il y a environ 8 millions d'années, l'effondrement de la faille du Rift a laissé une longue balafre sur le continent africain. A l'ouest de cette "coupure écologique", la forêt humide est demeurée. A l'est, les terres se sont progressivement asséchées, et la forêt a laissé place à la savane.

Les hommes et les grands singes auraient ainsi divergé sur l'arbre de l'évolution. Les primates restés à l'ouest auraient conservé un mode de vie arboricole. Les autres, pour s'adapter à la savane, auraient acquis la bipédie et se seraient peu à peu hominisés.

Or les fossiles de chimpanzé exhumés par Mmes Jablonski et McBrearty ont été découverts à l'est de cette frontière, dans un gisement qui a déjà livré des fragments d'Homo erectus vieux de 500 000 à 540 000 ans. Les auteures en concluent qu'hommes et chimpanzés ont partagé le même habitat au cours du Pléistocène moyen (­ 781 000 à ­ 126 000 ans) et que le Rift n'a pas été une coupure écologique suffisamment importante pour séparer les deux espèces.

"Cela était prévisible". estime pourtant Jean-Jacques Jaeger, paléontologue (université Montpellier-II). "Au cours des fluctuations climatiques du Pléistocène moyen, les alternances européennes glaciaires-interglaciaires se sont traduites, en Afrique subsaharienne, par des alternances de périodes humides et plus sèches. précise M. Jaeger. Au moment d'une période plus humide en Afrique tropicale, il est normal que l'ère de répartition des chimpanzés se soit étendue."

La cohabitation mise en évidence entre les deux espèces pourrait ainsi n'être que tardive et spécifique au Pléistocène moyen. Elle ne signifierait donc pas, comme le concluent les auteures, que les chimpanzés et les hommes ont pu partager le même habitat depuis leur divergence ­ située généralement, selon les interprétations, il y a 6 à 8 millions d'années.

Cependant, une autre découverte, publiée dans l'édition d'avril de la revue Anthropological Science. suggère que les hommes et les chimpanzés pourraient avoir très longtemps cohabité.

En effet, d'autres dents fossiles, retrouvées à quelques kilomètres à peine du gisement fouillé par Sally McBrearty et Nina Jablonski, révèlent la présence, à cet endroit, de grands singes ­ "chimpanziformes" et "gorilliformes" ­ voilà respectivement 12,5 et 6 millions d'années.

"Les deux dents datées de 6 millions d'années ont été trouvées dans les mêmes couches qu'Orrorin - découvert en 2000 et considéré comme l'un des plus vieux ancêtres de l'homme -, explique la paléoanthropologue Brigitte Senut (Muséum national d'histoire naturelle), coauteure de la découverte avec Martin Pickford (Collège de France). Cela nous a fait dire que, déjà à cette époque, la dichotomie entre les grands singes et l'homme était bien établie." Et que, par conséquent, la séparation des deux espèces a pu intervenir beaucoup plus tôt que prévu dans l'histoire de l'évolution. Peut-être même avant la formation du Rift, il y a 8 millions d'années...

Pour Pascal Picq (Collège de France), la découverte de ces fossiles ne montre pas que la séparation des deux lignées soit intervenue plus tôt. "D'abord, les termes undefinedundefinedchimpanziformes'' et undefinedundefinedgorilliformes'' définissent des caractères archaïques qui pourraient être rattachés à d'autres lignées que celles qui ont conduit aux chimpanzés actuels", dit M. Picq. "En effet, on considère souvent qu'il n'existe que deux rameaux alors qu'il y en avait, à l'époque, vraisemblablement beaucoup plus. explique-t-il. Enfin, il faut avoir à l'esprit que les paléoanthropologues ont tendance à reculer systématiquement l'émergence de la lignée humaine pour pouvoir y placer leurs nouveaux fossiles..."

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 02.09.05


Le Monde / Europe
Le Parlement européen veut imposer à l'industrie pharmaceutique le développement de médicaments mieux adaptés aux enfants
BRUXELLES de notre bureau européen

 L ors de sa session de rentrée, le Parlement européen va se prononcer sur un texte que les parents d'enfants malades et les pédiatres appellent ardemment de leurs voeux, car il imposerait le développement de médicaments adaptés aux enfants. Actuellement, seuls sont testés sur cette population les médicaments les plus courants, donc les plus rentables pour l'industrie pharmaceutique, tels que les antalgiques, les antibiotiques et les vaccins. Mais la moitié de ceux qui sont administrés aux enfants n'ont fait l'objet d'aucune évaluation spécifique.

Rafaële Rivais
Article paru dans l'édition du 02.09.05


Le Monde / International
L'administration Bush aurait ignoré les prédictions des experts

 D es Cassandre scientifiques avaient mis en garde contre les effets apocalyptiques qu'un cyclone pourrait avoir sur La Nouvelle-Orléans, mais leurs avertissements ont été ignorés et les fonds nécessaires dépensés pour la guerre en Irak, selon des experts.

L'agence gouvernementale chargée de la prévention et de la gestion des catastrophes, la FEMA (Federal Emergency Management Agency), avait prévenu il y a quatre ans qu'un cyclone ou une inondation à La Nouvelle-Orléans faisait partie des trois catastrophes majeures qui menaçaient l'Amérique, avec une attaque terroriste sur New York.

Mais au lieu d'augmenter les financements pour consolider une ville de 1,4 million d'habitants bâtie au-dessous du niveau de la mer, les autorités ont réduit les crédits destinés à renforcer et réparer les digues qui permettaient d'isoler la ville des eaux du Mississippi et de celles du lac Pontchartrain tout proche, estime-t-elle.

"Ce désastre n'attendait que le moment", estime John Rennie, rédacteur en chef de Scientific American, la bible américaine de la science et de la technologie. "Depuis des années, il y a eu une multitude d'avertissements sur la vulnérabilité de la ville si des travaux critiques de reconstruction, qui ont pris du retard, n'étaient pas entrepris", a déclaré M. Rennie.

Scientific American avait prévenu dès 2001 que l'état de dégradation des digues de la ville et des systèmes de pompage, le développement des zones immobilières et l'insuffisance d'itinéraires d'évacuation faisaient peser sur La Nouvelle-Orléans un risque sérieux de catastrophe débouchant sur le blocage de plus de 250 000 personnes et la mort de milliers d'entre elles.

RÉDUCTION DE 80% DU BUDGET

Mais les budgets fédéraux destinés aux opération de génie civil de l'armée pour renforcer les digues ont diminué, alors que l'Amérique partait en guerre en Irak et lançait sa guerre au terrorisme, a déclaré M. Rennie. "Les autorités n'ont pas inscrit ce genre de désastre dans les priorités, ils ont repoussé les dépenses pour mettre l'argent sur autre chose – notamment au cours des deux dernières années, où le pays a mené une guerre et a dû s'occuper de sa sécurité intérieure", a ajouté M. Rennie.

En 2005, l'administration Bush a réduit drastiquement de 80% le budget prévu de 27,1 millions de dollars demandé par le Génie civil de l'armée pour améliorer les digues, qui est tombé dans un premier temps à 3,9 millions avant d'être légèrement relevé par le Congrès à 5,7 millions (contre 10 millions de dollars en 2001).

Le budget prévu de 100 millions de dollars demandé par l'organisme de contrôle des crues de Louisiane a été réduit à 34 millions de dollars, contre 69 millions en 2001. Mercredi, le porte-parole de la Maison Blanche, Scott McClellan, avait pourtant nié tout sous-financement par l'administration, affirmant qu'il n'avait reçu aucune plainte du Génie civil de l'armée. "Le contrôle des crues est une priorité de cette administration depuis le premier jour", a-t-il déclaré. "Nous avons ignoré le problème jusqu'à la catastrophe", souligne cependant Mark Fischetti, éditorialiste au Scientific American Magazine, dans une tribune publiée par le New York Times vendredi.

M. BUSH SE REND À PROXIMITÉ DES LIEUX

Un journal de La Nouvelle-Orléans, Times-Picayne, avait également averti – dans une série d'articles qui lui ont valu le prix Pulitzer en 2002 – contre l'impréparation et l'inadéquation des digues censées protéger la ville.Curieusement, c'est sur la FEMA, qui avait pourtant donné l'alerte, que se retourne l'administration du président George W. Bush.

M. Bush, qui s'est finalement rendu vendredi a proximité des lieux pour la première fois, cinq jours après le passage du cyclone, a reconnu la faiblesse de la réponse initiale à la tragédie: "les résultats sont inacceptables", a-t-il indiqué. Pour le chef des opérations d'urgence à La Nouvelle-Orléans, Terry Ebbert, "c'est une honte nationale". "Nous sommes capables d'envoyer une aide massive aux victimes des tsunamis, mais pas de secourir La Nouvelle-Orléans", a-t-il souligné. La FEMA était tout particulièrement montrée du doigt.

Les médias américains soulignaient vendredi que les vivres et les secours avaient été apportés aux survivants du tsunami à Banda Atjeh, en Indonésie, deux jours après la catastrophe, alors que des milliers de réfugiés de Louisiane, du Mississippi et d'Alabama manquaient encore du minimum vital cinq jours après le cyclone.

Le New York Times a attribué en partie la crise à la mobilisation de la Garde nationale pour l'Irak. Un tiers des membres de la Garde nationale de la Louisiane combat actuellement en Irak et n'a pu participer aux secours.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 02.09.05 | 20h56


Le Monde / Opinions
Chronique
La gauche autour du PS. Ou l'inverse ?, par Patrick Jarreau

 L e Parti socialiste connaît-il une vraie crise, qui pourrait aboutir à une scission ? La division de la gauche face au libéralisme menace-t-elle l'unité du parti, resté soudé, depuis trente ans, à l'exception de la dissidence chevénementiste en 1993 ? Pour l'instant, les socialistes semblent plutôt lancés dans un de ces débats de congrès animés comme ils en ont connu d'autres dans leur histoire. Invectives, menaces, manœuvres et coups bas abondent, mais l'objectif est bien le contrôle de la machine et la conquête de la candidature à l'élection présidentielle de 2007. Pas la rupture du parti et la définition de nouvelles alliances.

Certes, depuis 2002, le rôle du PS comme parti de rassemblement et de gouvernement est contesté par une autre gauche, extrême ou "altermondialiste". La politique de compromis du gouvernement de Lionel Jospin a été rejetée par cette gauche, qui prétend disposer de solutions plus radicales et plus efficaces aux problèmes posés par l'économie de marché. Le référendum européen du 29 mai a réveillé et aggravé la fracture. Pour autant, la question posée aux socialistes n'a pas changé. Il s'agit toujours de savoir comment réunir toutes les voix de gauche au second tour des élections, présidentielle d'abord, législatives ensuite. Quelle est la meilleure stratégie pour y parvenir ? Quel est le candidat le mieux placé ?

En Allemagne, la progression, dans les sondages, du Parti de gauche, le Linkspartei, associant l'ancien Parti communiste et une fraction de la gauche socialiste autour d'Oskar Lafontaine, fait envisager l'hypothèse d'une "grande coalition", alliance de la CDU et du SPD, dans le cas où il n'y aurait pas de majorité univoque au Bundestag.

En France, personne n'imagine un accord du PS avec la droite, ni même avec les centristes de l'UDF. Les propos de Michel Rocard et de Bernard Kouchner, évoquant une scission si les partisans du non au référendum européen devenaient majoritaires au congrès, relèvent de la menace. Faire craindre aux militants une rupture interdisant tout espoir de victoire de la gauche à l'élection présidentielle, c'est postuler que le souci de l'unité prime toujours sur les autres.

Il existe sans doute, à l'extrême gauche et dans la mouvance antimondialiste organisée par Attac, une catégorie de militants et d'électeurs prêts à s'engager dans une longue marche à l'écart du pouvoir qui corrompt. Le PCF a pratiqué autrefois cette cogestion avec la droite ­ à elle l'Etat, à lui des bastions municipaux et syndicaux ­, qui garantissait un immobilisme presque parfait à tous les conservatismes. Les militants socialistes ne sont pas prêts à se contenter d'un tel partage. Ils ont envie de battre la droite, pas de lui abandonner le pouvoir ou de partager les rôles avec elle. Pour radicaux qu'ils se veuillent, Laurent Fabius, Henri Emmanuelli, Jean-Luc Mélenchon ou Arnaud Montebourg ne rêvent pas de vieillir dans l'opposition. Leur ambition n'est pas de préparer un "grand soir" révolutionnaire ou de remplir les bibliothèques de leurs réflexions théoriques et des recueils de leurs discours.

Les socialistes peuvent être en désaccord sur beaucoup de choses, mais ils pensent tous que la place de candidat de leur parti en 2007 est inestimable. C'est toujours au PS qu'il reviendra de désigner le représentant de la gauche dans cette bataille. Personne n'imagine sérieusement qu'il puisse être supplanté dans cette fonction par un autre parti ou par une coalition de formations se réclamant de la "gauche de la gauche". Le pari qu'un Fabius, devancé dans le vote des militants socialistes, pourrait se présenter alors en candidat libre, avec le soutien du PCF et de José Bové, semble baroque. Si le PS éclatait, pourquoi les communistes et les trotskistes renonceraient-ils à présenter leurs propres champions et choisiraient-ils plutôt un ancien premier ministre et ministre des finances socialiste ? Comme celui de la scission, et en sens inverse, ce scénario relève de la pression ou de l'intimidation en direction des adhérents socialistes plutôt que d'une vraie stratégie de rechange.

D'ici au 18 novembre, jour de l'ouverture de son congrès, au Mans, les débats du Parti socialiste vont donc mettre aux prises ses courants et, plus encore, ses candidats déclarés ou implicites à la candidature présidentielle. Les uns et les autres tentent déjà de dépasser la pure et simple opposition entre partisans du oui et du non du 29 mai. Le congrès ne sera pas la revanche de la majorité actuelle contre ceux qui ont fait campagne pour le non malgré le vote contraire des militants, en décembre 2004. Il ne sera pas non plus la 2e victoire des promoteurs du non après le succès que leur a apporté l'addition, le 29 mai, des électeurs de l'extrême gauche, de l'extrême droite et des leurs. Le réalisme impose aux uns et aux autres de chercher des appuis dans le camp adverse et de ménager l'avenir. En outre, du côté du non, Fabius n'a pas encore réussi à passer une alliance avec d'autres courants.

Le référendum européen a ébranlé la gauche, mais il n'a pas désagrégé son principal parti. Le fait nouveau, cependant, c'est que les forces extérieures au PS sont maintenant en mesure de peser sur ses débats. Au temps de la"gauche plurielle" de Lionel Jospin, les socialistes organisaient les autres formations autour d'eux. Il est possible que, demain, les courants socialistes s'organisent en fonction de la capacité d'attraction de la gauche radicale. C'est le vrai enjeu de leur congrès.

Patrick Jarreau
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
En réponse aux détracteurs d'ITER, par Gérard Belmont et Stéphane Pasquiers

 S elon le discours officiel, ITER ouvre la voie de l'énergie propre du futur. Mais de nombreuses prises de position contestent ce discours, soupçonné d'être plus soumis à des lobbies que scientifiquement fondé. Les critiques, qui s'appuient souvent sur des interrogations scientifiques véritables, proviennent principalement des milieux écologistes qui contestent les choix de société sous-jacents, et de chercheurs qui s'inquiètent des conséquences pour les crédits des autres domaines de recherche.

La physique des plasmas est au cœur d'ITER. Membres de la division plasmas de la Société française de physique, nos recherches portent sur les différents types de plasmas ­ astrophysiques, de laboratoire, industriels ­ et notre avis est indépendant des organismes officiels qui développent le projet.

Le principe d'ITER est celui de la "fusion magnétique". Lorsque des noyaux légers (deutérium/ tritium) se percutent violemment, ils fusionnent en créant des noyaux plus lourds et en libérant une grande quantité d'énergie. Ces réactions n'impliquent ni CO2 (pas de combustion) ni éléments radioactifs de longue période (pas de fission).

Pour qu'elles se produisent, il faut des conditions de températures extrêmes. Celles-ci sont remplies au cœur des étoiles comme le soleil, car la forte pesanteur y "confine" la matière chaude, en s'opposant à son expansion naturelle. Dans ITER, qui doit mener à récupérer l'énergie de fusion, un champ magnétique fort jouera ce rôle. Ceci est possible parce que les particules en jeu sont chargées électriquement (elles constituent un "plasma"), ce qui les rend sensibles au champ magnétique.

Mais le confinement magnétique est un équilibre fragile. Sans précaution particulière, des instabilités et des phénomènes turbulents viennent le briser. Ces mécanismes sont aujourd'hui bien compris. Beaucoup d'entre eux se rencontrent d'ailleurs aussi dans les phénomènes naturels tels que les aurores boréales ou les éruptions solaires.

Les premières machines étaient de taille relativement petites et le chauffage du plasma y était injecté de l'extérieur. Avant de construire des réacteurs opérationnels de grande taille et où le chauffage est principalement créé par la réaction de fusion elle-même, ITER doit compléter ces résultats et confirmer que le plasma se comporte comme prévu dans ces conditions. Sans préjuger du résultat, il faut dire que rien, ni dans la théorie ni dans les simulations numériques, ne laisse présager qu'on se dirige vers une impasse.

ITER sera surtout une machine de développement technologique. Ceci concernera les bobines supraconductrices créant le champ magnétique, la maintenance robotisée et les différents matériaux. Le matériau de la "première paroi" devra supporter un flux dechaleur extrêmement grand. L'acier de la paroi extérieure devra être à "basse activation" pour que les neutrons rapides qui s'échappent du coeur n'induisent, en la frappant, qu'une radioactivité de courte période (pour ne pas créer de problème de déchets). Enfin des matériaux "tritigènes" (pour engendrer, à l'avenir, le tritium à l'intérieur du réacteur) seront testés.

Tous ces programmes sont déjà lancés et aucune impasse ne se profile non plus sur ce plan technologique. Et l'aspect interdisciplinaire assurera, quoi qu'il arrive, des progrès et des retombées positives pour un champ très vaste d'applications. Pourtant, des questions restent fréquemment posées sur ITER.

La première: "Peut-on être soucieux d'écologie et favorable au projet ?" La réponse est oui. Les préoccupations écologiques poussent à soutenir le projet. La production d'énergie "propre", sans effet de serre, est évidemment l'argument majeur. Par ailleurs, toutes les sources d'énergie fossile, à commencer par le pétrole, seront épuisées à court terme. Le renchérissement de l'énergie qui s'ensuivra rendra concurrentielles les alternatives non rentables aujourd'hui, les énergies renouvelables comme l'énergie de fusion.

"Ne court-on pas les mêmes risques qu'avec les autres installations nucléaires ?" Non: fusion et fission sont très différentes. Les risques liés à la fission (centrales nucléaires classiques) sont l'explosion, les déchets radioactifs, l'utilisation détournée à des fins militaires ou terroristes. La fusion, elle, n'est sujette à aucune réaction en chaîne explosive. Tout incident mène naturellement à l'arrêt du réacteur. De plus, aucun des produits et des matières premières de la réaction n'est radioactif (sauf le tritium, mais sur un temps court) et l'activation des parois est un effet secondaire qu'on peut limiter sans modifier la réaction de fusion.

Enfin, le confinement magnétique n'intéresse aucun programme militaire (dans une bombe H, la compression est créée beaucoup plus simplement, par explosion). Le risque de détournement du tritium sera à surveiller, mais il est faible (utilisation militaire difficile). Du rejet initial de la bombe "nucléaire", il ne faut pas aller jusqu'à rejeter tout ce qui contient le mot tabou. Devrait-on rejeter l'imagerie médicale sous prétexte qu'il s'agit de médecine nucléaire ?

"La fusion magnétique dans de grands réacteurs est-elle la seule voie envisageable ?" , entend-on encore. Peut être pas; mais c'est la plus avancée. La fusion peut être atteinte par un autre type de confinement, dit "inertiel". La recherche avance, mais la production d'électricité par cette voie n'est pas encore planifiable.

D'autres idées feront l'objet de recherches dans le futur (la "fusion froide ?"), mais leur état actuel de développement est plus proche de la science-fiction que d'un programme énergétique. Pour la fusion magnétique, le choix d'une "grande" machine est imposé par la physique. Les lois d'échelle déduites des machines précédentes fixent la taille nécessaire pour limiter les pertes d'un réacteur et produire l'électricité de façon rentable.

Enfin, "ITER est-il un monstre qui va dévorer les crédits de recherche ?" Le penser serait une erreur. L'enjeu de notre avenir énergétique dépasse largement le seul aspect de la recherche. Il serait absurde de le faire reposer sur la petite partie du budget qui lui est attribuée. La somme consacrée par la France à ITER ­ environ 30 millions d'euros par an ­, comparable à celle d'autres grands instruments scientifiques, ne paraît pas démesurée comparée aux autres réalités de la vie économique. ITER est un exemple motivant de grand projet scientifique. Il devrait plutôt jouer un rôle de locomotive pour l'ensemble de la recherche.

Dans ce débat, l'accumulation des réserves a jusqu'ici mis en lumière davantage le scepticisme que l'enthousiasme. Il serait regrettable de laisser se développer des doutes injustes sur la valeur scientifique du projet. Comme pour tout projet impliquant recherche et développement, la réussite n'est pas totalement garantie, mais cette réserve s'applique à toutes les filières envisageables pour la production d'énergie.

Or ITER présente les meilleures chances de succès. L'époque de l'énergie bon marché touche à sa fin. Le devoir de notre génération est non seulement de se préparer à la sobriété énergétique mais aussi de rechercher les moyens de production d'énergie du futur sans négliger aucune option.


Gérard Belmont est directeur de recherche au CNRS, chercheur au Centre d'étude des environnements terrestres et planétaires.

Stéphane Pasquiers est président de la division plasmas de la Société française de physique.

par Gérard Belmont et Stéphane Pasquiers
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / France
Le style du premier ministre séduit les habitués de Matignon

 E n 100 jours, Dominique de Villepin s'est fait de nouveaux amis. Parmi ses ministres, au sein des cabinets gouvernementaux, plusieurs se disent surpris et conquis par le style du chef du gouvernement. On le disait froid, distant et formel, il déambule en T-shirt le samedi matin dans les couloirs de Matignon, passant la tête dans le bureau d'une secrétaire ou d'un collaborateur, s'arrêtant pour boire un café.

Les conseillers d'autres ministres qui se rendent à Matignon pour des réunions de travail disent leur surprise: "Il ne met pas de distance avec les gens, on a vraiment l'impression d'être son collaborateur", explique le conseiller d'un autre ministre. "J'attendais à Matignon dans un couloir, le premier ministre m'a aperçu et je me suis retrouvé à discuter avec lui dans son bureau pendant une demi-heure à parler de sujets de politique économique à bâtons rompus", n'en revient toujours pas un membre du cabinet de Thierry Breton, le ministre de l'économie. En outre, "quand on est avec lui en réunion, il n'est jamais dérangé par un téléphone, il ne donne pas l'impression de gérer les urgences les unes après les autres", affirme un visiteur régulier.

"L'ambiance a vraiment changé à Matignon", juge un conseiller qui, lui, a connu l'équipe précédente. "Avec Jean-Pierre Raffarin, on a fait de grandes choses, mais j'ai été très heureusement surpris que Villepin ait choisi l'accélération du mouvement plutôt que la glaciation", ajoute-t-il.

Plusieurs ministres ou directeurs de cabinet mettent aussi en avant la rapidité de la prise de décision. "Nos propositions ne se baladent plus de conseiller en conseiller, avant d'arriver, dénaturées, sur le bureau du premier ministre", se félicite un ministre. "Dans le fonctionnement avec l'Elysée aussi ça a l'air d'être beaucoup plus fluide: on traite moins avec nos "correspondants'' à l'Elysée. On n'a plus l'impression d'une double commande au sein de l'exécutif", affirme un autre. Combien de temps cette lune de miel durera-t-elle ?

Christophe jakubyszyn
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / Carnet
Courrier
Des lettres de MM. Bébéar et Fourtou

 A  la suite de notre article intitulé "Rhodia: les deux principaux plaignants ont été espionnés par des sociétés privées" (Le Monde du 1er septembre), nous avons reçu de Claude Bébéar, président du conseil de surveillance d'Axa, la mise au point suivante:

"J'ai découvert avec stupeur le contenu de l'article concernant Rhodia dans Le Monde daté du 1er septembre 2005. Il y est fait mention d'allégations inexactes et sans aucun fondement me concernant.

Je n'ai jamais été impliqué dans le Groupe Rhodia pas plus que dans les débats auxquels il a donné lieu. Je n'ai jamais entendu parler de MM. Joël Rey, Yves Michel Marti, Frédéric Bauer, ni des sociétés Egideria, Astarte, SSF dont il est question dans l'article, pas plus que des rapports auxquels il est fait référence et n'ai jamais donné de mandat à qui que ce soit.

Je souhaite que vos lecteurs soient informés que j'entends poursuivre en justice ceux qui sont à l'origine de ces allégations."

A la suite du même article , nous avons reçu de Jean-René Fourtou, président du conseil de surveillance de Vivendi Universal, la mise au point suivante:

"Contrairement aux propos de M. de Lasteyrie rapportés par l'article publié dans l'édition du Monde du 1er septembre, et contrairement à ce que laisse entendre cet article, je n'ai jamais ordonné ni commandé la moindre enquête ou constitution de dossier d'aucune sorte sur MM. Hugues de Lasteyrie et Edouard Stern.

J'affirme en outre, de la façon la plus nette, que je ne connais aucune des sociétés citées que vous présentez comme des sociétés spécialisées dans l'intelligence économique, pas plus que je ne connais une seule des personnes que vous présentez comme y travaillant."

Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / Culture
Enquête
Wikipedia, une encyclopédie libertaire sur le Net

 L ancée aux Etats-Unis en janvier 2001 par l'Américain Jimmy Wales, l'encyclopédie en ligne Wikipedia reçoit aujourd'hui 80 millions de visites chaque jour.

Son nom vient de la combinaison d'encyclopédie et de "wiki", un logiciel qui permet d'éditer une page Web facilement. Wiki vient aussi du hawaïen wiki wiki qui signifie "rapide", "informel". Le créateur de ce site, Jimmy Wales, 39 ans, né dans l'Alabama, a commencé dans la finance avant de créer une société dans le domaine d'Internet.

"Il faut leur apprendre à vérifier"
Maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-IV, Martine Duhamel a mis en place Cerise, un site Internet de méthodologie de recherche d'informations. Elle met en garde ceux qui utilisent Wikipedia sans esprit critique. "Wikipedia est une expérience fascinante, admet-elle. Mais les étudiants qui la consultent prennent l'information pour argent comptant. Il faut leur apprendre à vérifier. Le risque vient de la capacité d'agir sur les pages, de l'anonymat des rédacteurs et du manque de sources citées." En cela, Wikipedia ne fait pas exception sur le Net. Cependant, son statut d'encyclopédie devrait garantir la fiabilité du contenu. "Ils sont dans l'éphémère, poursuit Mme Duhamel. Dès qu'ils ont un bout d'information, ils le mettent en ligne pour qu'il soit complété plus tard." Une page d'avertissement existe sur le site de Wikipedia. On y lit que "personne ne garantit la validité, ni l'exactitude, ni l'exhaustivité, ni la pertinence des informations", et il est recommandé d'exercer son esprit critique. Ce qui reste souvent un voeu pieux.
Cerise: www.ccr.jussieu.fr/urfist/cerise/

Ce projet d'encyclopédie en ligne est atypique, proche de l'utopie libertaire. Car elle est entièrement rédigée par des bénévoles ­ - n'importe qui peut l'enrichir et la faire évoluer. Elle est également publiée par une société à but non lucratif. L'état d'esprit de ce village global de la connaissance a été voulu démocratique, communautaire, coopératif par Jimmy Wales.

TOUTES LES LANGUES

Wikipedia compte à ce jour plus d'un million d'articles. Sa fréquentation la place dans les cinquante premiers sites du monde, selon le classement du site Alexa. Elle est publiée dans 62 langues, les plus importantes étant, dans l'ordre, l'anglais (694 000 articles), l'allemand (280 000) et le français (156 206). On trouve aussi une encyclopédie Wikipedia en breton, en catalan, en basque, en corse, en alsacien, en occitan...

L'ambition est d'offrir une encyclopédie écrite dans chacune des langues parlées sur la planète, de l'hindi au bambara en passant par le swahili. Dans la partie francophone, il se crée au moins 500 entrées par jour. "On est en très forte augmentation sur les derniers mois, tant sur le nombre d'articles que sur leur longueur et leur qualité", souligne Nicolas Weeger, alias Ryo, un des administrateurs des pages en français et par ailleurs président de l'association Wikimédia France.

La qualité irrégulière des articles est la principale critique formulée à l'encontre des rédacteurs bénévoles qui, pour certains, cherchent à améliorer des contributions déjà en ligne et à en publier de nouvelles.

En effet, si certaines pages sont réalisées avec soin (voir par exemple de nombreuses pages scientifiques, au contenu riche et bien vulgarisé), d'autres ne sont qu'ébauchées. On peut aussi se demander pour un grand nombre d'entrées si elles ont leur place dans une encyclopédie (la recette des aubergines farcies végétariennes).

L'absence de contrôle éditorial est une source d'erreurs, voire de plaisanteries. En quelques clics, n'importe quel internaute peut ajouter dans la biographie d'Elvis Presley que le chanteur est toujours vivant (sur la face cachée de la lune ou ailleurs !). Ou dans un autre article que la France est frontalière de la Chine.

Il faut aussi compter avec le vandalisme. Certains internautes s'amusent, par exemple, à effacer des textes. D'autres créent une fiche pour dire "bonjour, c'est moi". Ou se faire de la publicité.

Pour les défenseurs de Wikipedia, la contribution libre ne doit pas être stigmatisée mais appréciée aussi comme une garantie: "Si vous voyez une erreur, ne vous plaignez pas et corrigez-la !" est un slogan.

Les problèmes de droits d'auteur se posent aussi régulièrement. "Quand on découvre un nouvel article d'un rédacteur inconnu, bien écrit et bien mis en forme, on recherche immédiatement sur le Net s'il n'existe pas déjà", explique Nicolas Weeger.

Mercredi 24 août, à 20 h 27, un supposé fan du groupe californien The Offspring a mis en ligne les paroles d'une de leurs chansons. A 20 h 28, Ryo a effacé la page, car une telle reproduction intégrale nécessite une autorisation.

Même souci avec les images: "Nous nous attendons à être poursuivis pour utilisation d'images qui appartiennent a priori au domaine public mais dont quelqu'un pourrait revendiquer la propriété", confie Florence Devouard, vice-présidente de la fondation Wikimédia, qui chapeaute l'encyclopédie et d'autres projets (dictionnaire, livres pédagogiques, banque d'images libres de droits...). Mme Devouard ajoute: "Jusqu'à présent les conflits ont été réglés à l'amiable, mais le copyright navigue dans un tel brouillard qu'on sait le procès inévitable."

Wikipedia est certes ouverte à tous, mais les règles de fonctionnement (écrites collectivement) existent, que chacun peut et doit faire respecter. Supprimer une page relève des prérogatives accordées aux seuls "sysop" (de system operator, approximativement traduit par "administrateur"). Ils sont une soixantaine pour la partie francophone. Elus sur candidature spontanée par les utilisateurs enregistrés, ils ne prennent jamais de décision sans discussion, sauf évidence.

Les discussions, ouvertes pour chaque article, sont souvent aussi intéressantes que l'article lui-même. C'est là que sont débattues les questions autour de l'intérêt des sujets et, surtout, de la neutralité encyclopédique du texte.

Chacun apporte son point de vue, en général de manière plus argumentée que sur la plupart des forums Internet. Sans toujours aboutir à un résultat rapide: la neutralité d'une liste des condamnations en justice de responsables du Front national a été discutée récemment pendant plus d'un mois.

Wikipedia se démarque enfin des autres encyclopédies (électronique ou papier) en donnant une grande place à la bande dessinée, aux séries télévisées et aux jeux vidéo, comme reflet des goûts et de l'esprit des jeunes ­ - ils sont majoritaires à fréquenter Wikipedia. Sur le site francophone, on trouve, à côté des pages sur l'optique impulsionnelle ou l'histoire de l'Inde, de nombreux textes sur Harry Potter, 178 articles sur les mangas ou une récente entrée sur le phénomène Hello Kitty.

IMPLIQUER SA COMMUNAUTÉ

Le dynamisme de Wikipedia tient à l'implication de la communauté de ses contributeurs, qui ne cesse de grandir. Sans les Wikipédiens, le site ne survivrait pas, notamment financièrement.

Le budget de la fondation Wikimédia est révisé chaque trimestre pour répondre aux besoins croissants en terme de serveurs (ordinateurs abritant les pages et gérant les connexions). Les dépenses en personnel restent limitées puisqu'une seule personne (bientôt deux) est employée à plein temps.

Les recettes proviennent des dons des particuliers ou du sponsoring (Yahoo! a récemment offert des serveurs). Aucune publicité n'a sa place sur le site. Un appel aux dons a été lancé vendredi 19 août, avec un objectif de 200 000 dollars (160 000 euros). 152 000 dollars (122 000 euros) ont déjà été réunis.


Encyclopédie en français: http://wikipedia.fr

Fondation: http://wikimediafoundation.org/wiki/Accueil

Benjamin Roure et Claudine Mulard (à Los Angeles)
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / Culture
Entretien
Trois questions à Jimmy Wales

 P ourquoi avez-vous lancé l'encyclopédie Wikipedia ?

L'idée est de proposer une encyclopédie gratuite à tous les habitants de la planète, dans leur propre langue, rédigée et corrigée par des volontaires de tous les pays.

Au début, j'ai assuré le financement avec mes fonds propres. Maintenant, nous organisons des collectes de soutien sur le Net et nous recevons des subventions de fondations. Notre budget est de 1 million de dollars par an (800 000 euros). Il sert à rémunérer notre employé unique, à payer des serveurs et des connexions informatiques. Nous n'avons jamais fait de campagne de publicité, mais nous grandissons vite.

Qu'est-ce que le système wiki ?

Ce qui compte, ce n'est pas le logiciel, mais la communauté. N'importe qui peut accéder à notre site Web et commencer à travailler, à intervenir. Ces developers sont inscrits au fichier et entrent dans la discussion avec les membres.

Nos rédacteurs volontaires sont des étudiants diplômés, des professeurs de disciplines diverses et des gens très formés. Et, alors que la société moderne enferme dans une spécialité, nous avons des mathématiciens qui peuvent écrire sur la seconde guerre mondiale.

Notre communauté assure l'autocontrôle des erreurs et procède à des vérifications systématiques. Moi je vérifie aussi, mais je ne peux pas assurer tout seul.

Nous ne sommes pas trop vulnérables aux interventions mal intentionnées et n'avons pas encore rencontré de gros problèmes. Le spam est facile à repousser, et les publicités apparaissant sur l'écran sans avoir été sollicités ne nous gênent pas, car notre système l'élimine.

Comment votre encyclopédie résout-elle les divergences idéologiques, par exemple sur les origines de l'aviation, que la première version anglaise attribuait aux frères Wright ?

Cet exemple est excellent, car après que ce fait fut relevé par un utilisateur, nous avons publié un article qui explique la question des origines de l'aviation et l'impossibilité de donner une réponse simple et de dire qui a piloté le premier un avion. C'est cette rencontre de cultures que veut être Wikipédia. Nous faisons progresser le savoir de la Toile.

Propos recueillis par Claudine Mulard
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / Culture
Un défi pour les dictionnaires Larousse ou Robert

 P our les dictionnaires Robert ou Larousse, Wikipedia n'est pas un concurrent de taille. "C'est un sujet intéressant, comme un laboratoire d'usage, une espèce de grand tableau où tout le monde peut écrire, explique Laurent Catach, responsable des éditions multimédias et de la documentation des dictionnaires Le Robert. Mais Wikipedia est l'inverse d'une demande éditoriale. Celle-ci consiste à sélectionner; or il n'y a pas, ici, de notion de sélection. Le jour où la moitié des articles de ce site seront signés par des professeurs d'université ou des Prix Nobel, il aura gagné ses lettres de noblesse."

"C'est un défi, certainement, note Olivier Lajouanie, directeur du marketing et de la communication de Larousse. Ce que fait un site comme Wikipedia, c'est de la mise à jour instantanée. Là où nous ne nous sentons pas menacés, c'est que des outils comme ce site ont des faibles-ses importantes, avec, par exemple, une qualité d'information très variable. Cela ne remet pas en cause l'édition d'encyclopédies venues de grandes maisons cohérentes et indépendantes."

"SUPER-MOTEUR DE RECHERCHE"

Depuis le milieu des années 1980 et l'apparition du CD-ROM puis d'Internet, les deux maisons travaillent sur le développement électronique. Le Petit Robert développe un site payant à l'attention des professionnels et le secteur de l'éducation nationale. Larousse propose lui aussi un site payant.

"Le fait d'utiliser Internet pour permettre aux gens de goûter Le Robert est une idée intéressante", note Laurent Catach. Un dictionnaire en ligne ? "Pour les pros, on a presque franchi le pas. Pour le grand public, ce n'est pas encore le cas. Le CD-ROM a encore quelques années devant lui."

Un site gratuit ? "Ce n'est pas quelque chose sur lequel nous travaillons, indique Olivier Lajouanie. Ce à quoi nous croyons, c'est au papier avec Internet." Ainsi, Le Grand Larousse illustré en trois volumes qui sera publié fin octobre.

Pour la première fois, cette somme sera commercialisée avec un CD-ROM, un complément qui permettra d'accéder à des bases statistiques renouvelées tous les ans sur Internet. Les trois tomes pourront être livrés dans une édition avec un stylo multimédia offrant un "super-moteur de recherche" sur tout le Web, précise M. Lajouanie.

Dans les maisons, le papier reste une valeur sûre. Publié le 6 juillet, Le Petit Larousse 2006 a été tiré à 800 000 millions d'exemplaires. Les Petit Robert I et II (respectivement 200 000 et 120 000 exemplaires) qui arrivent en librairies ont un nouvel habillage et sont désormais millésimés: 2006, donc. Le Robert annonce surtout la publication du Dictionnaire culturel en langue française en quatre volumes le 15 octobre. Encyclopædia Universalis n'est pas en reste, qui publie la version 11 du CD-ROM. Fin octobre, la maison proposera le deuxième volume de la collection "Notionnaire", Doctrine et discipline.

Bénédicte Mathieu
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / Société
Lancement du débat public sur les déchets nucléaires

 P résenter les enjeux scientifiques, techniques, sociaux et économiques de la gestion des déchets nucléaires sans les déconnecter des questions de politique énergétique. Et recueillir tous les arguments, souvent contradictoires. Tel est l'objectif de Georges Mercadal, qui préside la commission particulière du débat public (CPDP) "sur les options générales en matière de gestion des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vielongue" (debatpublic-dechets-radioactifs.org).

Cette autorité administrative indépendante a annoncé, jeudi 1er septembre, qu'elle entamerait le 12, à Bar-le-Duc (Meuse), une série d'auditions et de réunions d'information consacrées à la gestion des déchets radioactifs. La procédure est inédite en France, qui dispose depuis 2002 d'une Commission nationale du débat public (CNDP), chargée d'animer la démocratie de proximité. Le gouvernement, qui prépare pour le deuxième trimestre 2006 une nouvelle loi sur la gestion des déchets radioactifs comme le prévoyait la loi dite Bataille de 1991, a saisi la CNDP à ce propos.

La loi Bataille avait fixé un délai de quinze ans au cours desquels devaient être explorés trois axes de recherche sur les déchets les plus toxiques et les plus durables: la séparation-transmutation, pilotée par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), visant à réduire le volume et la nocivité des déchets; leur stockage en couches géologiques profondes, avec la création par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) de laboratoires souterrains; leur entreposage, pour plusieurs siècles, en surface ou sous la surface, confié également au CEA.

"Ce débat se situe à un moment stratégique , se félicite M. Mercadal: juste après que les experts ont rendu leurs conclusions sur l'avancement des travaux de recherche, juste avant les débats parlementaires, et à l'orée de dix ans de "prédéveloppement" des solutions retenues."

Le choix de Bar-le-Duc, pour ouvrir ce débat public, est tout sauf fortuit. C'est tout près de là, à Bure (Meuse), qu'est actuellement construit par l'Andra le laboratoire d'étude du stockage en profondeur des déchets radioactifs. L'implantation suscite l'opposition d'une partie de la population, qui redoute que le laboratoire ne se transforme ensuite en site de stockage. Tandis que d'autres y voient une chance de développement économique.

Au terme de quinze réunions publiques, durant quatre mois, la CPDP remettra au gouvernement, fin janvier 2006, un compte rendu des débats. Ceux-ci s'annoncent difficiles. Le réseau Sortir du nucléaire, s'il a contribué au dossier d'information diffusé par la CPDP, a déjà indiqué qu'il réservait sa participation. A son sens, la décision entérinée cet été par le Parlement de construire un nouveau réacteur, l'EPR, rend l'exercice caduc, tout comme l'annonce par le gouvernement de la reconduction pour dix ans des trois axes de recherche sur les déchets.

Enfin, selon Sortir du nucléaire, lors des débats, "la part du lion est réservée aux entreprises du nucléaire, aux agences de l'Etat, et même à des associations pronucléaires" . Le réseau appelle donc à une manifestation nationale, le 24 septembre àBar-le-Duc, avec pour slogan: "Le débat est dans la rue !"

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / Société
Des familles étrangères privées de prestations obtiennent gain de cause devant le tribunal

 L e tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) de Strasbourg a donné gain de cause, mercredi 31 août, à trois familles étrangères en situation régulière, auxquelles la Caisse d'allocations familiales (CAF) du Bas-Rhin avait refusé de verser des prestations pour certains de leurs enfants. Le juge a notamment estimé que la décision de la CAF avait contrevenu au principe de non-discrimination énoncé par l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ce jugement constitue une nouvelle victoire pour les associations de soutien aux populations immigrées, qui bataillent, depuis des années, contre une disposition ­ à leurs yeux inique ­ du code de la Sécurité sociale.

La loi du 29 décembre 1986 a introduit dans la réglementation une exigence de régularité du séjour pour les ménages étrangers qui souhaitent bénéficier de prestations familiales. Ces derniers sont, en effet, tenus de fournir un certain nombre de pièces, énumérées dans un décret du 29 avril 1987. Pour les enfants étrangers, les justificatifs à présenter sont très précis: un extrait d'acte de naissance ­ pour ceux qui sont nés en France ­ ou alors le certificat médical délivré par l'Office des migrations internationales (OMI) s'ils se sont installés sur le sol français dans le cadre d'une procédure de regroupement familial.

Or celle-ci tend à être moins utilisée, notamment parce que le législateur a durci les règles pour en bénéficier. Résultat: même s'ils sont en situation régulière, nombre d'enfants n'ont pas droit aux prestations familiales, car ils ne sont pas titulaires du certificat délivré par l'OMI. L'application du décret de 1987 crée des situations parfois étonnantes: certaines familles étrangères touchent les prestations pour leurs enfants qui sont nés en France mais ne les perçoivent pas pour ceux qui ont vu le jour à l'étranger...

De nombreuses familles, parfois soutenues par des associations telles que le Groupe d'information et de soutien aux immigrés (Gisti), ont engagé des recours devant les tribunaux pour obtenir le versement des aides. Dans un arrêt rendu le 16 avril 2004 en assemblée plénière, la Cour de cassation a indiqué que "les étrangers résidant régulièrement en France avec leurs enfants mineurs bénéficiaient de plein droit des prestations familiales" . "Elle a, en d'autres termes, considéré que le certificat médical de l'OMI ne constitue plus une condition d'ouverture des droits et que la régularité du séjour des parents suffit" , commente Me Benoît Candon, un avocat marseillais qui a défendu des ménages dans leur requête.

"RESPECTER LES TEXTES"

Des familles se sont, dès lors, prévalues de cette jurisprudence auprès des CAF, en espérant que celles-ci s'y conformeraient. Attente déçue. "Les caisses n'ont pas de pouvoir réglementaire, elles sont tenues de respecter les textes" , explique Frédéric Marinacce, de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).

De plus, ajoute-t-il, l'arrêt de la Cour de cassation est l'objet d'interprétations divergentes. L'administration centrale fait notamment valoir que la haute juridiction entendait statuer sur la date d'ouverture des droits et non sur la nécessité de produire telle ou telle pièce attestant la régularité du séjour des enfants. "Nous demandons une clarification juridique", déclare M. Marinacce.

Celle-ci aurait pu intervenir, à la faveur d'un projet de décret soumis au conseil d'administration de la CNAF, le 1er mars. Ce texte prévoit d'ouvrir les droits aux enfants qui détiennent un document de circulation pour étranger mineur (DCEM). Il permettrait aux mineurs, qui sont entrés en France par une autre voie que le regroupement familial, de bénéficier des prestations. Mais ce projet de décret n'a pas été publié au Journal officiel , malgré le vote favorable des administrateurs de la CNAF.

En attendant, les traitements des demandes varient sensiblement, d'un département à un autre. Dans les Bouches-du-Rhône, les familles continuent d'essuyer des refus de la part de la CAF mais si elles saisissent la commission de recours amiable (CRA), elles obtiennent gain de cause lorsqu'elles présentent un DCEM (en vertu d'un autre arrêt de la Cour de cassation, de décembre 2003).

Même chose en Seine-Saint-Denis: entre janvier et juin, 217 familles de ce département ont saisi la CRA, après s'être vues opposer un rejet de leur demande. "167 d'entre elles possédaient un DCEM, rapporte Alain Auger, directeur de la CAF. Elles ont toutes obtenu une réponse favorable de la commission de recours."

Dans le Rhône, 131 requêtes, déposées entre janvier et juin, ont connu une issue positive ­ y compris, dans quelques cas, pour des mineurs qui n'étaient pas en possession d'un DCEM ­, selon Monique Aizac, responsable du service contentieux-contrôle de la CAF de Lyon. "La commission donne raison à l'allocataire, dès lors qu'il réside bien en France, que l'enfant est scolarisé et que la régularité du séjour des parents est prouvée" , poursuit-elle.

A Paris, la CRA a gelé l'examen des dossiers de contestation, en attendant que "le ministère apporte des clarifications juridiques" , dit André Allès, de la CAF de Paris.

Enfin, dans le Bas-Rhin, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (Drass) a suspendu ou invalidé des décisions favorables de la CRA, au prétexte que le seul document recevable est le certificat médical de l'OMI.

Bertrand Bissuel
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / Société
Un nouveau catéchisme contre "le vice de la luxure"

 À  la librairie La Procure, place Saint-Sulpice à Paris, des piles d'un nouveau Catéchisme de l'Eglise catholique abrégé (coédition Bayard-Cerf-Fleurus-Mame) envahissent les rayons. Les vendeurs assurent qu'il se vend comme des petits pains. On ouvre le volume et l'on se trouve brusquement ramené dans le passé, comme lorsque l'on feuillette les pages d'un vieux missel d'où s'échappent des images pieuses.

L'ouvrage, paru en France jeudi 1er septembre, se présente comme un catéchisme sous forme de près de 600 questions et réponses, comme on n'en faisait plus depuis le concile Vatican II (1962-1965). Le document est présenté par le pape Benoît XVI, dans une préface, comme "un texte de référence sûr et authentique". Le Catéchisme de l'Eglise catholique abrégé s'est déjà vendu à 450 000 exemplaires, en deux mois, en Italie. La traduction française, réalisée par Mgr Jean Honoré, archevêque émérite de Tours, bénéficie d'un premier tirage de 100 000 exemplaires. L'association de chrétiens homosexuels David et Jonathan le juge "inadmissible". Il a été vivement recommandé par le pape aux participants des Journées mondiales de la jeunesse.

"UNIQUE ÉGLISE DU CHRIST"

Cette nouvelle version du catéchisme n'apporte aucune innovation ni aucun raidissement. Elle résume la doctrine catholique dans ce qu'elle a de plus classique ­ et de plus intransigeant.

Le nouvel opuscule romain se préoccupe particulièrement des questions de morale privée. La contraception est proscrite, l'insémination artificielle est "immorale", le divorce est "une offense à la dignité du mariage". Quant à la "pureté du coeur", elle requiert "une purification du climat social, par un combat soutenu contre la permissivité des moeurs" (question 530). Les autorités civiles sont invitées à prendre "des lois appropriées" contre les "offenses à la chasteté" (question 494).

Les actes homosexuels sont placés au même niveau de gravité que le viol (question 492). "Sont des péchés gravement contraires à la chasteté, chacun selon la nature de son objet: l'adultère, la masturbation, la fornication, la pornographie, la prostitution, le viol, les actes homosexuels. Ces péchés sont l'expression du vice de la luxure."

Question 397, "Comment le péché prolifère-t-il en nous ?": "Le péché crée un entraînement au péché et, par sa répétition, il engendre le vice." Mais qu'est-ce que le vice ? La question 398 apporte la réponse. "Les vices sont des habitudes perverses qui obscurcissent la conscience et inclinent au mal."

Certains passages pourraient exaspérer les protestants et les autres Eglises chrétiennes. Question 162, "Où subsiste l'unique Eglise du Christ ?": "Comme société constituée et organisée dans le monde, l'unique Eglise du Christ subsiste dans l'Eglise catholique." La question 182 traite du pape. "Il est le vicaire du Christ, la Tête du collège des évêques et le pasteur de toute l'Eglise, sur laquelle il a, par institution divine, un pouvoir plénier, suprême, immédiat et universel."

La messe dominicale est obligatoire. La question 312 définit les indulgences, qui sont "la rémission de la peine temporelle due pour les péchés".

Parfois, le document se perd dans les méandres d'un juridisme abscons. Question 528, "Qu'interdit le neuvième commandement ?": "Le neuvième commandement interdit de cultiver des pensées et des désirs concernant des actes défendus par le sixième commandement." Il faut donc se reporter à la question 493 pour savoir ce que dit le sixième commandement. Il bannit l'adultère...

Il est très peu question, en revanche, des injustices sociales, des "structures de péchés", selon une expression employée par Jean Paul II en 1988 dans l'encyclique Sollicitudo rei socialis. La question 400 signale leur existence, sans les définir.

Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / Entreprises
La reprise des investissements relance l'embauche dans l'informatique

 A près trois années noires, de 2000 à 2003, les informaticiens sont de nouveau recherchés. Les statistiques de l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) établissent qu'en 2004, avec près de 39 000 offres d'emploi publiées, la fonction informatique affichait la plus forte reprise, en hausse de 59% par rapport à 2003.

Au premier semestre, l'informatique est restée la locomotive avec une nouvelle hausse de 47% des propositions d'embauche (et encore + 52% en juillet, sur douze mois).

Ces chiffres sont cependant à relativiser. Le Mouvement pour une union nationale des consultants en informatique (Munci) rappelle que l'on part d'un niveau bas puisque le nombre d'informaticiens au chômage avait triplé entre début 2001 et fin 2003. Ce syndicat souligne également quelques effets de "trompe-l'oeil". Les sociétés de services informatiques (SSII) et les éditeurs de logiciels, avec près de 7 offres sur 10, sont à l'origine de cette forte croissance, alors que l'emploi d'informaticiens en interne dans les entreprises stagne, voire baisse.

Or ces firmes anticipent fréquemment leurs besoins mais ne donnent pas toujours suite à leurs offres: en 2004, les 39 000 offres ne se sont ainsi traduites que par 25 000 recrutements. Surtout, les SSII sont traditionnellement confrontées à une rotation de leur personnel très supérieure à la moyenne des entreprises (jusqu'à 10% par an): sur 25 000 recrutements, le volume de créations nettes d'emplois d'informaticiens en 2004 s'est ainsi limité à environ 5 000.

Il n'empêche, la reprise de l'embauche est bien là, comme le montre l'annonce, mercredi 31 août, par Steria, d'un recrutement de 1 300 personnes en France d'ici à la fin 2005. En début d'année, Steria n'envisageait "que" 1 000 embauches.

Selon le Syntec, organisation patronale des SSII, celles-ci ne profitent pas seulement de l'externalisation de la fonction informatique par les entreprises mais également d'une reprise des investissements dans les technologies de l'information. Le Syntec prévoit, après une hausse du chiffre d'affaires de la profession de 4% en 2004, une croissance supérieure à 6% en 2005. Avec à la clé 8 000 à 9 000 créations d'emplois cette année.

Gaëlle Macke
Article paru dans l'édition du 03.09.05


Le Monde / France
Article interactif
Majorité et opposition souhaitent un prompt rétablissement

I - Vibrant hommage de Dominique de Villepin à Jacques Chirac

 À  27 ans, j'ai fait une rencontre, Jacques Chirac, et je lui ai voué ma fidélité", a déclaré le premier ministre devant le président de l'UMP Nicolas Sarkozy, une quinzaine de ministres et plusieurs centaines de jeunes militants qui scandaient "Chirac, Chirac!".

"Au hasard de son chemin, au hasard des rencontres, chacun découvre ses fidélités, fidélités de hasard ou fidélités essentielles du coeur, de l'esprit", a dit M. de Villepin qui intervenait au deuxième jour de l'université d'été que M. Sarkozy clôturera dimanche.

"J'ai été conquis par l'humanité de Jacques Chirac, par sa détermination et son sang-froid au service de la France, par sa capacité dans les pires épreuves à tenir la barre de notre pays", a-t-il poursuivi. Rappelant l'objectif commun du gouvernement et de l'UMP "d'assurer au bout du chemin la victoire de la France", M. de Villepin a appelé chacun à rester "fidèle au cap fixé par le président de la République".

"Tout au long de ces dernières années, j'ai été au côté de Jacques Chirac et je peux vous dire combien il est attaché à la réussite de la France, à la défense de nos positions en Europe et dans le monde, à la préparation de l'avenir", a souligné le premier ministre. "Tout au long de ces années, j'ai beaucoup appris à ses côtés, de la vérité d'un homme et de son courage, de ses choix, contre les habitudes, contre les fatalités, contre la résignation", a-t-il dit.

"J'étais avec lui au métro Saint-Michel au moment où le terrorisme a si horriblement frappé notre pays. J'étais avec lui au moment où il a repris l'initiative en Bosnie en donnant l'ordre de reprendre le pont de Vrbanja quand tout le monde avait cédé". "J'ai été à ses côtés au moment de la crise irakienne, car c'est la voix de la France qui a défendu la voie de la raison, de la paix et de la justice", a-t-il ajouté.


II - Sarkozy souhaite que Chirac reprenne vite ses responsabilités

 N icolas Sarkozy, président de l'UMP, a souhaité que le président Jacques Chirac, hospitalisé depuis vendredi soir, reprenne "ses responsabilités dans les tout prochains jours, comme les médecins nous l'ont confirmé", devant les jeunes militants de son parti samedi à La Baule. "Certains d'entre vous le savent peut-être, le président de la République a été victime d'un très léger accident vasculaire, qui occasionne temporairement des troubles passagers de la vision", a déclaré M. Sarkozy en annonçant la nouvelle aux jeunes militants de son parti, réunis à La Baule jusqu'à dimanche pour leur université d'été.

"Le premier ministre l'a eu longuement ce matin au téléphone, le premier ministre ira s'entretenir avec le président de la République au Val-de-Grâce cet après-midi, et je voudrais lui demander (...) d'être notre interprète à tous pour souhaiter au président de la République un prompt rétablissement", a ajouté le président de l'UMP.

Les jeunes ont scandé "Chirac, Chirac", avant de laisser M. Sarkozy terminer sa courte intervention: "nous souhaitons que (Jacques Chirac) retrouve sa vitalité légendaire le plus rapidement possible", a-t-il déclaré. "A l'UMP, nous espérons qu'il reprendra ses responsabilités dans les tout prochains jours, comme les médecins nous l'ont confirmé", a-t-il conclu.

Selon l'entourage de M. Sarkozy, ce dernier a appris la nouvelle "dans la matinée", après son petit déjeuner avec Dominique de Villepin.

On avait auparavant indiqué que le président de l'UMP n'avait appris que samedi vers 13 heures cette hospitalisation, en arrivant à la séance plénière où Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, s'apprêtait à prononcer un discours.

Acclamé pendant de longues minutes à son arrivée, M. Sarkozy s'est assis, puis s'est relevé pour sortir brièvement parler au téléphone, a constaté l'AFP sur place. Il n'a fait aucune déclaration à la presse à son retour dans la salle.


III - Hollande demande "la transparence" et "le respect de la douleur"

 L e premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, a demandé samedi "la transparence" quant à l'état de santé du chef de l'Etat Jacques Chirac qui vient d'être hospitalisé et a réclamé "la discrétion et le respect de la douleur devant l'épreuve".

"Je veux croire que c'est une légère indisposition et qu'elle ne durera pas", a déclaré M. Hollande à Wingles où il clôturait les travaux de rentrée de la fédération PS du Pas-de-Calais. "Je souhaite de tout mon coeur que cet accident soit bénin", a renchéri M.

Jack Lang qui adresse "personnellement ses voeux chaleureux et sincères de rétablissement rapide" au président de la République.

Pour sa part, M. Hollande a ajouté qu'il fallait "faire en sorte que les affaires du pays se poursuivent" et il a demandé "aux autorités de donner les informations" sur l'état de santé de M. Chirac "dans la transparence".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 03.09.05 | 15h08


Le Monde / France
Ni Villepin, ni Sarkozy n'étaient au courant de l'hospitalisation de Jacques Chirac
La Baule, de nos envoyés spéciaux

 D ominique de Villepin et Nicolas Sarkozy face-à-face, partageant un petit déjeuner à une table de l'Eden-Beach à La Baule (Loire Atlantique): une image conçue pour les télévisions et les photographes pour illustrer la complicité entre le premier ministre et le président de l'UMP. Il est 8 h 45, samedi 3 septembre, et les numéro un et deux du gouvernement ne savent rien de l'hospitalisation, dans la nuit, du président de la République. Celui-ci, victime d'un accident cardio-vasculaire et de troubles de la vision, se trouve alors à l'hôpital du Val-de-Grâce.

Un peu plus tôt, M. de Villepin s'est même livré à un long footing sur la plage et s'est baigné devant les photographes. C'est seulement de retour à son hôtel, aux alentours de dix heures qu'il recevra un appel du président de la République en personne l'informant de son état de santé et de son hospitalisation pour plusieurs jours. Le premier ministre range son polo jaune et enfile un costume bleu marine plus adapté aux circonstances.

LA RUMEUR COURT: CHIRAC EST HOSPITALISÉ

12 h 42: c'est précisément à cette heure que la journaliste de l'AFP accréditée à Matignon reçoit un appel sur son portable l'informant d'une déclaration imminente à l'hôtel Ermitage où celui-ci réside pour la durée de l'université d'été des jeunes de l'UMP.

Au même moment à Paris, plusieurs responsables de rédaction apprenent que le déjeuner prévu avec le chef de l'Etat est annulé. Une collaboratrice de Matignon invite instamment les journalistes télé et radio présents à la suivre à l'hôtel Ermitage. Dès lors, la rumeur court: Chirac est hospitalisé.

12 h 55: M. Sarkozy arrive, dans le brouhaha et sous les applaudissements, à l'entrée du stade François André, où se tiennent les débats des " jeunes populaires ". Son officier de sécurité lui tend un téléphone portable. Le ministre de l'intérieur ne parvient pas à entendre les propos de son interlocuteur, il rend le téléphone et s'engouffre dans la salle de la séance pleinière et se fait ovationner. Laurent Solly, son chef de cabinet, et Franck Louvrier, son responsable de la communication, refont une tentative en lui tendant à nouveau un portable et l'extirpe de la foule. " Pas de presse, pas de presse " disent-ils.

Un peu à l'écart, sur la pelouse du stade, M. Sarkozy apprend de M. de Villepin la nouvelle de l'hospitalisation de M. Chirac. Il est 13 h 06. Leur conversation dure quelques minutes. Elle est suivie d'un conciliable avec ses principaux collaborateurs. Le président de l'UMP retourne s'asseoir au premier rang de la séance pleinière, le visage. Il ne songe même pas à applaudir Patrick Devedjian, son conseiller politique et ex-ministre délégué à l'industrie du gouvernement Raffarin, qui termine son allocution.

Retour à l'hôtel Ermitage. M. de Villepin s'adresse immédiatement aux médias: " je me suis longuement entretenu ce matin avec le chef de l'Etat " déclare-t-il, sobre et solennel. " Comme vous le savez il a eu hier soir un petit accident vasculaire ayant entrainé un léger trouble de la vue ". Il se veut rassurant en évoquant une conversation au cours de laquelle ils ont évoqué " les dossiers en cours ".

"COMMENT VA LE PRÉSIDENT ?" PAS DE RÉPONSE<

Le premier ministre se rend ensuite immédiatement au stade François André. A l'intérieur, les discours se succèdent comme si de rien n'était, alors que l'information sur le Président circule sur les téléphones portables des participants. Aucun responsable de l'UMP ou ministres n'a pris soin de prévenir les militants de l'état de santé du président. Et pour cause: ils n'en savent rien.

Nicolas Sarkozy, visiblement mécontent de ne pas avoir été mis plus tôt dans la confidence, accueille sèchement le premier ministre à l'extérieur: " Dominique, on va dans mon bureau ". Les deux hommes y resteront dix à quinze minutes. Ils en ressortiront graves et muets. Un journaliste demande " comment va le Président ? ". Pas de réponse.

Ensemble, ils traversent la grande tente dressée pour le déjeuner du millier de " jeunes populaires ". Jusqu'à une estrade où M. Sarkozy prend la parole. " Le président a été victime d'un très léger accident cardio-vasculaire ". S'adressant à M. de Villepin, il dit: " je voudrais vous demander d'être notre interprète à tous pour souhaiter au président de la République un prompt rétablissement et pour lui dire que tous, ici, nous souhaitons qu'il retrouve sa vitaclté légendaire le plus vite possible ".

A cettte heure, Nicolas Sarkozy sait d'ores et déjà que l'université d'été, qui devait lui servir à affirmer, une fois de plus, son ambition présidentielle, est gâchée. " C'est plié, vous pouvez rentrer chez vous " dit un ministre aux journalistes.

Christophe Jakubyszyn et Philippe Ridet
LE MONDE | 03.09.05 | 18h46


Le Monde / France
M. de Villepin s'est montré rassurant après avoir vu le président au Val-de-Grâce

 L e président français Jacques Chirac a été hospitalisé vendredi soir pour une semaine dans un hôpital militaire parisien, souffrant d'un léger trouble de la vision après un "petit accident vasculaire". Dominique de Villepin, a rendu visite au président à l'hôpital, vers 18 h 45. Il est arrivé en voiture sous l'oeil d'une cinquantaine de journalistes et à sa sortie, il a déclaré que le président était "en bonne forme et qu'il avait hâte de sortir". C'est sa première hospitalisation depuis qu'il est devenu président en 1995.

Le "petit accident" dont il a été victime a entraîné un "léger trouble de la vision qui devrait disparaître en quelques jours", a indiqué à l'AFP l'hôpital du Val-de-Grâce, précisant que M. Chirac devra rester hospitalisé "environ une semaine".

Une information rapidement confirmée par le premier ministre Dominique de Villepin et par la présidence. Les activités officielles du chef de l'Etat prévues la semaine prochaine devaient être reportées. M. Chirac, 72 ans, était notamment censé se rendre mardi en Allemagne, pour une rencontre franco-allemande près de Berlin, et recevoir vendredi le prince Albert II de Monaco.

Aucun détail précis n'a été fourni sur le mal dont souffre M. Chirac, qui a toutefois eu un point de travail samedi à l'hôpital avec le secrétaire général de l'Elysée.Le chef du parti socialiste François Hollande a réclamé "la transparence". "Je veux croire que c'est une légère indisposition et qu'elle ne durera pas", a-t-il dit.

Le président a "incontestablement" été victime d'une "alerte au niveau cérébral, donc une petite artère qui irrigue la rétine", et dans tel cas, une hospitalisation d'urgence est "capitale" pour éviter "un accident plus grave", selon un cardiologue, le Pr Alain Ducardonnet. "Soit c'est une atteinte très localisée avec une possibilité de régression, soit c'est en effet le début d'un accident relativement plus grave", a-t-il dit: "l'important est de faire un état des lieux des artères cérébrales".

Cela ressemble à une "mini-attaque", a renchéri un cardiologue britannique, Piers Clifford. "Un minuscule caillot ou un embole (corps étranger) se forme dans le coeur ou dans l'artère carotide et vient se placer ensuite dans l'artère rétinienne, causant des troubles de la vision", a-t-il expliqué. De son côté, le Pr Bernard Debré, médecin français qui avait notamment soigné l'ancien président François Mitterrand, a relevé que ce genre d'accidents vasculaires étaient "dans 90% des cas, quand ils sont pris à temps - et il a été pris à temps - sans lendemain". Des responsables de différents partis politiques, à droite comme à gauche, ont souhaité au chef de l'Etat un prompt rétablissement.

Mercredi 7 septembre, le premier ministre, Dominique de Villepin présidera le conseil des ministres, en l'absence du président.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 03.09.05 | 20h03


Le Monde / Opinions
Chronique
La stratégie de Dominique de Villepin: toucher à tout sans toucher à rien

 Q uand un feu se déclare, les ministres rivalisent de vitesse pour aller sur place pleurer les victimes. Quand un accident tue, le gouvernement est là. Quand un fait divers surgit, il se rue. Quand un avion tombe, le président de la République fait le voyage, sa compassion en bandoulière.

Nous sommes dans l'ère de la politique instantanée. Le ministre, le premier ministre, le président doivent démontrer, quotidiennement, qu'ils font quelque chose, là, vite, devant tous les malheurs et les pseudo-malheurs qui s'abattent sur les Français, n'en fussent-ils aucunement responsables. Au risque de conforter l'essayiste Nicolas Baverez lorsqu'il écrit que le gouvernement français s'est transformé en la gigantesque cellule de soutien psychologique d'une nation qu'il croit traumatisée...

NOSTALGIE INTERVENTIONNISTE

" L'Etat ne peut pas tout faire" , avait benoîtement, mais lucidement, reconnu Lionel Jospin à propos de suppressions d'emplois chez Michelin en 1999. Mal lui en a pris d'énoncer cette vérité ! Le premier ministre socialiste ne s'en remettra pas et il le paiera à la présidentielle de 2002.

La classe politique française aurait pu, depuis, réfléchir au sérieux de la question posée, aux réelles marges de manoeuvre d'un Etat dans la mondialisation et aux façons d'améliorer son efficacité. Bref, redéfinir l'Etat moderne. Non, elle a préféré les délices de la nostalgie interventionniste, voire, à gauche, on l'a vu lors de l'université du PS à La Rochelle, la surenchère démagogique.

En toutes circonstances, l'Etat se doit d'agir de suite: voilà la ligne. Les plus gros handicaps de la France sont la lourdeur de l'Etat, l'empilement des lois et l'inconstance des mesures administratives, tant pis ! L'Etat, l'Etat, L'Etat...

On ne peut que replacer dans ce cadre la conférence de presse du premier ministre cette semaine au cours de laquelle il a voulu lancer "la deuxième étape de son action" . J'annonce, donc je suis. Dominique de Villepin a cru devoir être "sur tous les fronts" et il a égrené pas moins de trente mesures tous azimuts sur la croissance, l'impôt, les prix du fioul, la flambée des loyers, l'insalubrité, les biocarburants, les projets d'infrastructures.

RÉQUISITION

Dans ces mesures, l'Etat est partout. On redécouvre des mots d'après-guerre: le premier ministre " réquisitionne " des terrains afin de créer 5 000 logements d'urgence, il crée des "tickets" de transport. Il offre une douzaine de nouvelles primes et augmente le crédit d'impôt, alors même qu'il annonce une réforme fiscale pour simplifier les barèmes et supprimer les niches !

On eût aimé que M. de Villepin soulignât que, s'il manque 30 000 logements en Ile-de-France, c'est que la politique publique menée jusqu'ici a été défaillante et qu'il faudrait la réviser au fond. L'incendie de l'immeuble du boulevard Vincent-Auriol à Paris, motif de toute cette mobilisation, s'explique, selon Le Figaro, par l'incurie de la justice et de l'administration qui ont interdit à son propriétaire de le rénover.

Nenni: "La mobilisation d'urgence" de l'Etat remplace le froid examen des fautes de l'Etat. Ou de ses zigzags. La politique de l'emploi de M. de Villepin repose sur le retour des emplois dits " aidés ", c'est-à-dire publics, sous une forme ou une autre. Son prédécesseur les avait supprimés au profit des "vrais" emplois, disait-il, ceux du privé. Lui les recrée en masse.

TENIR DIX-HUIT MOIS

L'heure est à la politique des coups, elle n'est plus aux réformes de l'Etat. Trop tard. Les engager conduirait à en subir le négatif (les grèves des fonctionnaires) sans avoir le temps d'engranger le positif (l'amélioration des comptes publics). Comme Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin diffère les réformes.

Son objectif obsessionnel est de tenir dix-huit mois d'ici à l'élection présidentielle avec un critère simple: engager une baisse du taux de chômage et, pour ce faire, soutenir, par tous les moyens, la croissance. Le premier ministre est visiblement à l'aise dans cette urgence de surface qui laisse libre cours à son naturel d'improvisateur étatiste et autoritaire. Le couple Villepin-Breton ne manque pas de détermination en comparaison avec la paire Raffarin-Mer, et il ne s'embarrasse d'aucun scrupule.

LES BEAUX JOURS DE 1981

Des moyens ? La privatisation des autoroutes gage les recettes des péages sur 27 ans pour relancer 5 milliards d'euros de grands travaux d'infrastructure fin 2006. C'est prendre l'argent de nos enfants, mais c'est bon pour l'élection de 2007.

Un chômage en baisse ? La revalorisation de la prime pour l'emploi, ajoutée à la création d'emplois publics, porte les dépenses de soutien de l'emploi à un record, alors que les économistes en dénoncent l'inefficacité croissante.

Le pouvoir d'achat ? Le gouvernement, classé à droite, s'immisce comme aux beaux jours de 1981 dans la politique salariale des entreprises privées en les incitant à verser 1 000 euros de bonus défiscalisés à leurs salariés en fin d'année. Cela frôle l'appel à la grève...

Le meilleur des tours de passe-passe est cette réforme fiscale annoncée, elle aussi, pour... 2007. Voilà une remise à plat qui ne fera "aucun perdant" et qui ne coûtera que 3,5 milliards d'euros à l'Etat, payés fin 2007 et en 2008, après l'élection donc.

Elle ne diminuera pas les impôts payés sur les revenus de 2006 (seul le surcroît de revenus de cette année-là est concerné éventuellement), mais on le fait croire pour soutenir le moral des ménages. Et, au passage, pour couper l'herbe sous le pied de Nicolas Sarkozy qui voulait annoncer, lui, le 7 septembre, une " vraie" baisse des impôts.

Activisme politique, fausse relance, étatisme social: le premier ministre se plaît dans cette bataille pour gagner du temps. Toucher à tout sans toucher à rien. Toute la question est de savoir si la France, plongée dans la compétition mondiale accélérée, peut attendre encore dix-huit mois avant que ne s'engagent les vraies réformes.

Eric le Boucher
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / France
Hospitalisé au Val-de-Grâce, Jacques Chirac suit ses dossiers

 D imanche matin, M. Chirac a reçu pour la deuxième fois au Val-de-Grâce le secrétaire général de l'Elysée Frédéric Salat-Baroux pour suivre les dossiers en cours. "Il a fait ce matin le point sur les dossiers en cours et notamment l'incendie de l'Hay-les-Roses. Il a demandé à être tenu informé sur ce point-là", a indiqué son entourage. Quatorze personnes ont été tuées dans l'incendie d'une tour de 18 étages à l'Ha-les-Roses (Val-de-Marne), dans la nuit de samedi à dimanche et quatre personnes étaient entendues comme témoins.

Dimanche matin, aucune agitation particulière n'était visible aux abords du Val-de-Grâce, où seule une présence policière légèrement renforcée, des cars des chaînes de télévision et des barrières supplémentaires témoignaient de la présence du chef de l'Etat dans cet hôpital militaire.

JUSTIFIER LE DÉLAI SUR L'ANNONCE DE L'HOSPITALISATION

L'Elysée a tenu à justifier dimanche le délai d'une bonne dizaine d'heures sur l'annonce de l'hospitalisation, indiquant que les médecins militaires du Val-de-Grâce avaient préféré s'assurer du "caractère non évolutif" de son état de santé avant de le rendre public. M. Chirac a été admis vendredi soir dans cet hôpital militaire parisien, après avoir ressenti en début de soirée des difficultés de vision et des maux de tête.

Le président, qui venait de recevoir à l'Elysée les ambassadeurs accrédités en Andorre, dont il est par statut co-prince, a alerté le médecin de la présidence qui a décidé de l'emmener au Val-de-Grâce, selon le récit fait par son entourage.

Arrivé en convoi normal et non en ambulance, le chef de l'Etat a subi une première batterie d'examens avant que les médecins ne décident de le garder hospitalisé de façon à lui faire subir des tests plus poussés samedi matin.

Selon l'entourage du président, ce n'est qu'au vu des résultats de ces nouveaux tests, en fin de matinée samedi, que M. Chirac a alerté le premier ministre Dominique de Villepin, qui se trouvait à l'université d'été de l'UMP à La Baule (Loire-Atlantique) et venait de participer à un petit-déjeuner avec le président de l'UMP et ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy.

Quant à l'annonce publique de cette hospitalisation, sans précédent en dix ans de présence de Jacques Chirac à l'Elysée, "les médecins du Val-de-Grâce ont communiqué quand ils ont considéré avoir le recul suffisant pour s'assurer du caractère non évolutif et sans complication de l'accident vasculaire", a indiqué dimanche l'entourage du président.

DEMANDE DE "TRANSPARENCE"

De son côté, le président de l'UDF François Bayrou a déclaré dimanche qu'il "aimerait que la transparence soit plus naturelle" en France, concernant la santé du chef de l'Etat. "La France est un univers dans lequel les secrets d'Etat sont jalousement gardés. On a l'habitude de ce genre de choses", a-t-il dit, reconnaissant cependant qu'"avec le président Mitterrand, c'était encore bien plus accentué". La veille, c'est le premier secrétaire du PS François Hollande qui avait réclamé lui aussi "la transparence".

A son arrivée à l'Elysée en 1995, M. Chirac, contrairement à son prédécesseur François Mitterrand qui avait promis de publier des bulletins de santé réguliers, s'était engagé à "donner toute information significative sur son état de santé", a rappelé son entourage.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 04.09.05 | 13h11


Le Monde / France
UDF et PS réclament plus de transparence sur la santé du président

 G eorges Pompidou et François Mitterrand hier, Jacques Chirac aujourd'hui. L'hospitalisation depuis vendredi soir, pour "un petit accident vasculaire" du chef de l'Etat a relancé un débat récurrent en France sur la transparence concernant la santé du président. Tour à tour, deux responsables de parti, François Hollande pour le PS et François Bayrou pour l'UDF, l'ont appelé de leurs voeux.

Dès samedi M. Hollande avait demandé "aux autorités de donner les informations" sur l'état de santé de M. Chirac, aujourd'hui âgé de 72 ans, "dans la transparence". Il a été relayé dimanche par M. Bayrou qui a déploré que ces questions soient toujours considérées en France comme des "secrets d'Etat jalousement gardés". "Naturellement, ce que j'aimerais, c'est que la transparence soit plus naturelle", a-t-il ajouté, déplorant que ce ne soit "pas le cas".

Il est vrai, comme l'a d'ailleurs rappelé le président de l'UDF, que la France a sur cette question un lourd passif, malgré toutes les proclamations de bonnes intentions des présidents successifs depuis 30 ans.

MENSONGES PAR OMISSIONS

Le 2 avril 1974 au soir, les Français apprennent brutalement la mort de leur président de la République, Georges Pompidou. Si celui-ci porte les stigmates visibles de la maladie depuis plusieurs mois, rien n'a été dit officiellement sur l'affection dont il souffre: la "maladie de Waldenstrom", forme de cancer du sang.

Son successeur Valéry Giscard d'Estaing promet alors qu'il publiera deux bulletins de santé par an. Il ne le fera jamais.

François Mitterrand reprend la promesse en 1981, mais atteint par le cancer dans les mois qui suivent son élection, ses "bulletins de santé" cacheront très longtemps la vérité, jusqu'à son opération de la prostate en septembre 1992.

Jacques Chirac, à son arrivée à l'Elysée en 1995, s'était contenté de promettre de "donner toute information significative sur son état de santé", a rappelé son entourage dimanche.

Si cette hospitalisation pose pour la première fois publiquement le problème de sa santé, hormis des rumeurs en 2003 sur des possibles difficultés auditives, la façon dont a été géré l'événement n'en suscite pas moins quelques interrogations, qu'il s'agisse du délai entre son admission à l'hôpital et son annonce ou de l'absence de toute communication officielle de l'Elysée.

LE PREMIER MINISTRE PAS INFORMÉ DE L'HOSPITALISATION

Il a fallu en effet attendre plus de dix heures avant que l'hospitalisation du chef de l'Etat soit rendue publique, peu avant 13H00 samedi, par un communiqué de l'hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce.

Le premier ministre Dominique de Villepin lui-même n'a été informé que samedi en fin de matinée, alors qu'il se trouvait à l'université d'été de l'UMP à La Baule (Loire-Atlantique) et venait de participer à un petit-déjeuner avec le président de l'UMP et ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy.

L'Elysée a justifié dimanche ce délai en expliquant que les médecins du Val-de-Grâce avaient tenu à s'assurer du caractère "non évolutif" de son accident de santé avant de le rendre public.

Ils "ont communiqué quand ils ont considéré avoir le recul suffisant pour s'assurer du caractère non évolutif et sans complication de l'accident vasculaire" ayant entraîné "un léger trouble de la vision", a précisé l'entourage du président.

Dimanche, c'est un nouveau communiqué très bref du Val-de-Grâce, diffusé par le Service de Santé des Armées, qui a qualifié de "très satisfaisants" l'"état général" et le "bilan" du président, précisant que "la surveillance médicale se poursuivra, comme prévu, pendant encore quelques jours".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 04.09.05 | 17h24


Le Monde / France
La polémique sur la transparence concernant la santé du président est relancé

 G eorges Pompidou et François Mitterrand hier, Jacques Chirac aujourd'hui. L'hospitalisation depuis vendredi soir, pour "un petit accident vasculaire" du chef de l'Etat a relancé un débat récurrent en France sur la transparence concernant la santé du président. Tour à tour, deux responsables de parti, François Hollande pour le PS et François Bayrou pour l'UDF, l'ont appelé de leurs voeux.

Dès samedi M. Hollande avait demandé "aux autorités de donner les informations" sur l'état de santé de M. Chirac, aujourd'hui âgé de 72 ans, "dans la transparence". Il a été relayé dimanche par M. Bayrou qui a déploré que ces questions soient toujours considérées en France comme des "secrets d'Etat jalousement gardés". "Naturellement, ce que j'aimerais, c'est que la transparence soit plus naturelle", a-t-il ajouté, déplorant que ce ne soit "pas le cas".

Il est vrai, comme l'a d'ailleurs rappelé le président de l'UDF, que la France a sur cette question un lourd passif, malgré toutes les proclamations de bonnes intentions des présidents successifs depuis 30 ans.

MENSONGES PAS OMISSIONS

Le 2 avril 1974 au soir, les Français apprennent brutalement la mort de leur président de la République, Georges Pompidou. Si celui-ci porte les stigmates visibles de la maladie depuis plusieurs mois, rien n'a été dit officiellement sur l'affection dont il souffre: la "maladie de Waldenstrom", forme de cancer du sang.

Son successeur Valéry Giscard d'Estaing promet alors qu'il publiera deux bulletins de santé par an. Il ne le fera jamais.

François Mitterrand reprend la promesse en 1981, mais atteint par le cancer dans les mois qui suivent son élection, ses "bulletins de santé" cacheront très longtemps la vérité, jusqu'à son opération de la prostate en septembre 1992.

Jacques Chirac, à son arrivée à l'Elysée en 1995, s'était contenté de promettre de "donner toute information significative sur son état de santé", a rappelé son entourage dimanche.

Si cette hospitalisation pose pour la première fois publiquement le problème de sa santé, hormis des rumeurs en 2003 sur des possibles difficultés auditives, la façon dont a été géré l'événement n'en suscite pas moins quelques interrogations, qu'il s'agisse du délai entre son admission à l'hôpital et son annonce ou de l'absence de toute communication officielle de l'Elysée.

LE PREMIER MINISTRE PAS INFORMÉ DE L'HOSPITALISATION

Il a fallu en effet attendre plus de dix heures avant que l'hospitalisation du chef de l'Etat soit rendue publique, peu avant 13H00 samedi, par un communiqué de l'hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce.

Le premier ministre Dominique de Villepin lui-même n'a été informé que samedi en fin de matinée, alors qu'il se trouvait à l'université d'été de l'UMP à La Baule (Loire-Atlantique) et venait de participer à un petit-déjeuner avec le président de l'UMP et ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy.

L'Elysée a justifié dimanche ce délai en expliquant que les médecins du Val-de-Grâce avaient tenu à s'assurer du caractère "non évolutif" de son accident de santé avant de le rendre public.

Ils "ont communiqué quand ils ont considéré avoir le recul suffisant pour s'assurer du caractère non évolutif et sans complication de l'accident vasculaire" ayant entraîné "un léger trouble de la vision", a précisé l'entourage du président.

Dimanche, c'est un nouveau communiqué très bref du Val-de-Grâce, diffusé par le Service de Santé des Armées, qui a qualifié de "très satisfaisants" l'"état général" et le "bilan" du président, précisant que "la surveillance médicale se poursuivra, comme prévu, pendant encore quelques jours".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 04.09.05 | 17h24


Le Monde / France
La polémique sur l'information de l'état de santé du président est relancé

 G eorges Pompidou et François Mitterrand hier, Jacques Chirac aujourd'hui. L'hospitalisation depuis vendredi soir, pour "un petit accident vasculaire" du chef de l'Etat a relancé un débat récurrent en France sur la transparence concernant la santé du président. Tour à tour, deux responsables de parti, François Hollande pour le PS et François Bayrou pour l'UDF, l'ont appelé de leurs voeux.

Dès samedi M. Hollande avait demandé "aux autorités de donner les informations" sur l'état de santé de M. Chirac, aujourd'hui âgé de 72 ans, "dans la transparence". Il a été relayé dimanche par M. Bayrou qui a déploré que ces questions soient toujours considérées en France comme des "secrets d'Etat jalousement gardés". "Naturellement, ce que j'aimerais, c'est que la transparence soit plus naturelle", a-t-il ajouté, déplorant que ce ne soit "pas le cas".

Il est vrai, comme l'a d'ailleurs rappelé le président de l'UDF, que la France a sur cette question un lourd passif, malgré toutes les proclamations de bonnes intentions des présidents successifs depuis 30 ans.

MENSONGES PAS OMISSIONS

Le 2 avril 1974 au soir, les Français apprennent brutalement la mort de leur président de la République, Georges Pompidou. Si celui-ci porte les stigmates visibles de la maladie depuis plusieurs mois, rien n'a été dit officiellement sur l'affection dont il souffre: la "maladie de Waldenstrom", forme de cancer du sang.

Son successeur Valéry Giscard d'Estaing promet alors qu'il publiera deux bulletins de santé par an. Il ne le fera jamais.

François Mitterrand reprend la promesse en 1981, mais atteint par le cancer dans les mois qui suivent son élection, ses "bulletins de santé" cacheront très longtemps la vérité, jusqu'à son opération de la prostate en septembre 1992.

Jacques Chirac, à son arrivée à l'Elysée en 1995, s'était contenté de promettre de "donner toute information significative sur son état de santé", a rappelé son entourage dimanche.

Si cette hospitalisation pose pour la première fois publiquement le problème de sa santé, hormis des rumeurs en 2003 sur des possibles difficultés auditives, la façon dont a été géré l'événement n'en suscite pas moins quelques interrogations, qu'il s'agisse du délai entre son admission à l'hôpital et son annonce ou de l'absence de toute communication officielle de l'Elysée.

LE PREMIER MINISTRE PAS INFORMÉ DE L'HOSPITALISATION

Il a fallu en effet attendre plus de dix heures avant que l'hospitalisation du chef de l'Etat soit rendue publique, peu avant 13H00 samedi, par un communiqué de l'hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce.

Le premier ministre Dominique de Villepin lui-même n'a été informé que samedi en fin de matinée, alors qu'il se trouvait à l'université d'été de l'UMP à La Baule (Loire-Atlantique) et venait de participer à un petit-déjeuner avec le président de l'UMP et ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy.

L'Elysée a justifié dimanche ce délai en expliquant que les médecins du Val-de-Grâce avaient tenu à s'assurer du caractère "non évolutif" de son accident de santé avant de le rendre public.

Ils "ont communiqué quand ils ont considéré avoir le recul suffisant pour s'assurer du caractère non évolutif et sans complication de l'accident vasculaire" ayant entraîné "un léger trouble de la vision", a précisé l'entourage du président.

Dimanche, c'est un nouveau communiqué très bref du Val-de-Grâce, diffusé par le Service de Santé des Armées, qui a qualifié de "très satisfaisants" l'"état général" et le "bilan" du président, précisant que "la surveillance médicale se poursuivra, comme prévu, pendant encore quelques jours".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 04.09.05 | 17h24


Le Monde / France
Le président a été hospitalisé après un "petit accident vasculaire cérébral"

 L e président Jacques Chirac, 72 ans, a été hospitalisé en urgence vendredi 2 septembre dans la soirée à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, souffrant d'un "léger trouble de la vision" à la suite "d'un accident vasculaire", a annoncé l'AFP citant l'hôpital samedi 3 septembre à 12 h 59. Après son passage à l'université d'été de l'UMP à La Baule, le premier ministre,
Dominique de Villepin, a rendu visite au président à l'hôpital, vers 18 h 45. Il est arrivé en voiture sous l'oeil d'une
cinquantaine de journalistes. A sa sortie, le premier ministre a déclaré que le président était "en bonne forme et qu'il avait hâte de sortir".

Selon des collaborateurs du président, le chef de l'Etat avait ressenti des troubles de la vision, dans l'après-midi de vendredi. De tels troubles traduisent l'existence d'un accident vasculaire cérébral. M. Chirac n'a toutefois été hospitalisé au Val de Grâce que tard dans la soirée. Ce n'est que samedi à la mi-journée que le premier ministre Dominique de Villepin, qui était à La Baule pour les universités d'été de l'UMP, puis l'Elysée ont confirmé l'information.

Le premier ministre avait passé la soirée de vendredi et la matinée de samedi à La Baule sans paraître informé de la nouvelle. Toutefois, en fin de matinée, après avoir revêtu un costume sombre, il a déclaré devant la presse: "Je me suis longuement entretenu au téléphone avec le président de la République, ce matin. Comme vous le savez, il a eu hier soir un petit malaise avec des troubles de la vision qui devraient se résorber dans les prochains jours. J'ai étudié avec lui les grands dossiers en cours, en particuliers l'aide que la France pourrait apporter aux Etats-Unis après la catastrophe survenue en Louisiane. Je lui rendrai visite cet après-midi."

M. de Villepin a seulement avancé d'une demi-heure le discours qu'il devait prononcer devant les jeunes de l'UMP à La Baule, avant de repartir vers Paris en fin d'après-midi.

De son côté, l'Elysée a, quelques minutes plus tard, "confirmé" dans un communiqué les informations du Val-de-Grâce. Il explique que "le président s'est entretenu à plusieurs reprises ce matin avec le secrétaire général de l'Elysée, Frédéric Salat-Barroux, et lui a demandé d'étudier le report de ses activités la semaine prochaine".

C'est la première fois que le président est officiellement hospitalisé. Jusque-là, cependant, le président Chirac s'est toujours refusé à publier son bulletin de santé.

Depuis la mort de Georges Pompidou lorsqu'il était encore président, puis le cancer de François Mitterrand, longtemps caché aux Français, la question s'est posée de savoir si le chef de l'Etat était ou non dans l'obligation de fournir des indications sur sa santé.

François Mitterrand, après son élection le 10 mai 1981, avait décidé de publier régulièrement son bulletin de santé. Mais il a vite demandé à son médecin de tronquer les informations qui y figuraient afin de cacher son cancer. Elu en 1995, M. Chirac a toujours fait référence à ce mensonge de son prédécesseur pour justifier de ne pas informer les citoyens de son état de santé.

Service France
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / France
Une crise conjugale qui fait vendre

 L e numéro de Paris Match du 25 août, habituellement diffusé le mercredi dans les rédactions, n'est arrivé que le jeudi, son jour de livraison dans les kiosques. Ce numéro était sous embargo. L'hebdomadaire, édité par Hachette Filipacchi Médias (groupe Lagardère), ne voulait pas dévoiler sa "Une" avant. On y voit une photo de Cecilia Sarkozy ­ l'épouse de Nicolas ­ en compagnie de son ami.

Le numéro s'est très bien vendu. Selon une source interne, il aurait flirté avec les 900 000 exemplaires, 100 000 de plus qu'un numéro "moyen". Selon les chiffres OJD, sur la période fin 2004-mi 2005, la diffusion France payée a atteint 722 410 exemplaires. HFM se borne à dire que "les ventes marchent bien depuis le début de l'année" .

Interrogé, vendredi 2 septembre, Alain Genestar, le directeur général de la rédaction, a rappelé que "la rumeur de cette union existait, on a informé" . Les "photos volées" d'hommes politiques (ou de leurs proches), réalisées sans qu'ils le sachent ou aient donné leur accord, sont rarement publiées dans le magazine. "Mais pourquoi faudrait-il que -ceux-ci- aient un statut particulier ? Les lecteurs ont besoin de savoir que leur journal est libre", insiste M. Genestar.

Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / France
"Face à une épreuve aussi intime, il n'y a pas de plan média qui tienne"

 I ls ont fait Sciences-Po pour la plupart, et même l'Ecole nationale d'administration (ENA) pour quelques-uns. Dans les cabinets ministériels, ils ont appris la complexité des rouages de l'Etat. Ils connaissent par coeur la carte électorale. Les petites bisbilles de canton n'ont pas le moindre secret pour eux: un coup de téléphone, une menace voilée suffit à les apaiser.

Mais que faire quand votre patron traverse une crise conjugale et que celle-ci s'étale à la "une" de la presse people ? Désormais, les déchirures du couple Nicolas Sarkozy ­ Cécilia occupent une partie de leur temps et de leurs conversations. Ils commentent les déboires de leur patron, "cette épreuve", disent-ils, sans pouvoir en fixer le terme. Le président de l'UMP, qui a noué des liens d'amitié avec la plupart d'entre eux, ne cache rien de son évolution personnelle et conjugale. "On l'écoute, raconte l'un d'eux, mais on ne le conseille pas. Lui seul sait ce qu'il doit faire."

Chacun se charge à sa manière d'assurer une sorte de "cellule de soutien psychologique". L'un d'eux l'a accompagné en vacances au Pyla (Gironde) pour y organiser "de jolies fêtes avec les copains". Un autre, venu parler politique place Beauvau, se rappelle avoir passé son temps à "écouter Nicolas parler de lui, au soleil, sur la terrasse".

Mais il y a plus dur. Fins connaisseurs des médias, habiles manipulateurs à l'occasion, les voilà réduits à guetter les révélations de la presse sans pouvoir imaginer de contre-attaque. "Face à une épreuve aussi intime, il n'y a pas de plan média qui tienne, explique l'un de ses conseillers politiques. Tout évolue au jour le jour." "Ce n'est pas un dossier. Nous n'avons pas d'avis à donner", ajoute un autre.

VOLONTÉ DE NUIRE AU PRÉSIDENT DE L'UMP

Jeudi 25 août, lorsqu'ils se sont retrouvés autour de Nicolas Sarkozy pour une réunion de rentrée, ils n'ont pu que constater leur impuissance. Dans les kiosques à journaux, la photo de Cécilia Sarkozy et de Richard Attias, un important publicitaire, s'étalait à la "une" de Paris Match.

Les conseillers n'ont rien vu venir, pas plus que Nicolas Sarkozy, qui se flattait pourtant de ses relations d'amitié avec Arnaud Lagardère, le propriétaire du magazine. L'hebdomadaire a bouclé plus tardivement que de coutume, pour assurer le black-out total sur sa parution. "On devait évoquer l'université d'été de l'UMP et la rentrée politique, se souvient un participant à cette réunion. On a parlé essentiellement de ces photos."

Depuis, celles-ci ont été examinées à la loupe. Centimètre carré par centimètre carré. L'entourage de Nicolas Sarkozy en retire aujourd'hui la conviction qu'elles ont été publiées pour lui nuire. Selon plusieurs conseillers, ces clichés qui datent du mois de juillet auraient été sciemment publiés fin août pour gêner la rentrée politique du président de l'UMP.

Certains détails auraient été retouchés pour donner plus de véracité au reportage. Arnaud Lagardère a eu beau téléphoner au ministre de l'intérieur pour l'assurer qu'il n'était "pas au courant" du contenu du journal, il n'a pas convaincu. "Nous découvrirons bientôt ceux qui sont derrière tout ça", assure-t-on autour de Nicolas Sarkozy.

Une fois de plus les vieux réflexes reprennent le dessus. L'"épreuve sentimentale" que traverse le futur candidat à la présidentielle ne serait qu'un avatar de la lutte ancestrale avec les chiraquiens. Peu convaincante, l'explication a au moins le mérite de rassurer les conseillers. Là, ils sont en terrain connu.

Ph. Ri.
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / France
Sarkozy impulse une stratégie présidentielle fondée sur un discours de rupture

 "R ien ni personne ne m'empêchera d'aller jusqu'au bout" ont été les derniers mots du discours du président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, dimanche, lors de la clôture de l'université d'été du parti de la majorité, à La Baule. Un discours marqué par une volonté d'enclencher une stratégie de rupture avec les 30 dernières années et d'impulser une stratégie présidentielle, alors que le premier ministre monte dans les sondages et que l'hospitalisation du président Jacques Chirac hypothèque l'idée d'un troisième mandat à la plus haute marche de l'Etat.

Mais c'est surtout ses longs passages sur l'image d'une France nouvelle que le ministre de l'intérieur a souhaité laisser à son assistance. Nouvelle musique pour le patron du parti majoritaire qui pour la première fois invoque la France et finit son discours par un vibrant "Vive la France", un peu comme si personne, et notamment le premier ministre, n'avait le monopole d'une vision rafraîchissante de l'hexagone. "La France ne peut pas compter sur le seul prestige de sa glorieuse histoire pour demeurer parmi les grandes nations du monde", a-t-il affirmé. "Je souhaite que l'UMP incarne le changement le plus profond et le plus rapide", a déclaré M. Sarkozy. "Nous devons tirer les conséquences des trois crises majeures" de ces dernières années "en proposant une stratégie de rupture avec les 30 dernières années", a-t-il ajouté. Il avait auparavant évoqué la présence du président du Front National Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle de 2002, les élections régionales du printemps 2004 où les Français ont "sanctionné" la droite, et le référendum européen du 29 mai 2005. "Si nous faisons de la politique comme les autres, nous serons balayés à notre tour", a affirmé le ministre de l'Intérieur. 

Une France nouvelle fondée sur un modèle nouveau autour de trois idées, créativité, liberté et unité, telle est l'ambition de Nicolas Sarkozy jusqu'aux échéances électorales majeures de 2007.

CRÉATIVITÉ, LIBERTÉ, UNITÉ

"Il nous faut inventer un nouveau modèle français, dont l'ambition première sera de rendre la réussite accessible pour chaque Français", a-t-il souligné. "Les Français attendent de nous que nous préparions non pas une alternance classique (...) mais la rupture avec les habitudes, les conformismes et les insuffisances de la vie politique traditionnelle. L'UMP doit incarner le changement le plus profond et le plus rapide", a déclaré le président de l'UMP.

Il a également affirmé que l'UMP fera des propositions "plus ambitieuses" que le gouvernement en matière économique et fiscale."Je proposerai dans quelques jours que l'UMP soit plus ambitieuse que le gouvernement dans ses choix économiques et fiscaux, en proposant par exemple que nul contribuable en France ne puisse se voir prélever plus de 50% de ce qu'il a gagné par son travail", a déclaré M. Sarkozy.

L'UMP doit tenir mercredi à Paris une convention économique, où M. Sarkozy doit faire ses propres propositions, quelques jours après le plan de "croissance sociale" annoncé jeudi dernier par le premier ministre Dominique de Villepin. Nicolas Sarkozy a appelé dimanche l'UMP à "incarner le changement le plus profond et le plus rapide", à proposer "une stratégie de rupture avec les trente dernières années" et à btir "un nouveau modèle français".

Il a souligné que son ambition était de porter l'UMP "au niveau de 30%" dans les élections."Je ne peux me satisfaire que les grands partis démocratiques et républicains stagnent autour de 20% des suffrages. Notre objectif doit être de porter l'UMP au niveau de 30%", a-t-il lancé. "Je ne veux plus que se reproduisent les conditions qui ont permis à Jean-Marie Le Pen d'être présent au deuxième tour de la présidentielle. Je ne veux pas davantage que, de tous les pays européens, la France compte l'extrême-gauche la plus forte d'Europe", a-t-il proclamé.

L'UMP doit devenir "une formation politique de masse dans laquelle les Français de tous âges, de toutes origines, de toutes conditions" se rassemblent, a-t-il poursuivi. "Que les chefs d'entreprise, les professions libérales, les commerçants croient en nous c'est bien, mais c'est insuffisant", a-t-il affirmé. Mais il a tenu à souligner ne pas vouloir mener "une aventure individuelle" à la tête de l'UMP mais viser "la victoire de l'UMP aux législatives et aux présidentielles de 2007".

"Mon rôle est simple, vous conduire à la victoire. Mon travail doit tout entier être tourné vers cet objectif, celui de notre succès collectif. Que personne n'en doute. Je sais d'expérience que nous gagnerons ensemble ou que nous perdrons ensemble", a déclaré le président de l'UMP.

PAS PEUR DE LA CONCURRENCE

Le président de l'UMP Nicolas Sarkozy a affirmé que l'UMP n'était pas "derrière" le gouvernement mais "devant" et a remercié Dominique de Villepin d'avoir "retenu nombre de propositions" du parti. "L'UMP n'est pas derrière le gouvernement, elle est devant le gouvernement pour fixer une perspective, pour gagner la bataille de la communication, pour porter des thèmes novateurs, pour convaincre notre électorat", a-t-il. "L'UMP est libre vis-à-vis du gouvernement que nous soutenons", a martelé le ministre de l'intérieur.

En outre, quelques mots ont été adressés au président hospitalisé au Val-de-Grâce. L'UMP, a-t-il dit, avait "besoin" de Jacques Chirac, et il lui a souhaité "une bonne santé". "Il faut dédramatiser les débats politiques (...) On peut être en désaccord sur tel ou tel point" avec le président de la République "et lui souhaiter du fond du coeur une bonne santé et lui dire: on a besoin de vous", a affirmé M. Sarkozy, en faisant explicitement référence à l'adhésion de la Turquie à l'UE.

Enfin, il a affirmé que l'UMP n'avait "rien à craindre de la concurrence" éventuelle entre plusieurs candidats à l'investiture du parti pour la présidentielle, question qui sera tranchée lors d'un congrès en janvier 2007. "Je souhaite vous dire que nous n'avons rien à craindre de la concurrence. Il n'y a que la concurrence qui permet d'étalonner les valeurs. Elle est incontournable pour celui qui veut prétendre à l'honneur de vous représenter dans la compétition ultime qu'est la compétition présidentielle", a déclaré le président de l'UMP.

"Il n'y a pas de candidat auto-désigné ou obligé. Je veux parler de moi. Il y aura une concurrence saine, loyale, de qualité. Et au final, c'est vous les adhérents de l'UMP qui aurez la responsabilité de choisir le meilleur, c'est-à-dire celui qui saura le mieux nous rassembler et nous faire gagner", a-t-il précisé. "Nous organiserons en janvier 2007 un congrès ouvert à tous o chacun pourra exprimer sa préférence quant au choix de notre candidat à l'élection présidentielle. Cela sera un événement de la vie politique nationale et cela donnera une légitimité et une force sans précédent à celui ou à celle que vous aurez choisi", a souligné Nicolas Sarkozy, qui ne fait pas mystère de son ambition de succéder à Jacques Chirac en 2007.

Avec AFP, Reuters
LEMONDE.FR | 04.09.05 | 12h32


Le Monde / France
L'intégralité du discours de Nicolas Sarkozy à La Baule

 M es chers amis,

Voici donc que s'achèvent mes premières universités d'été en tant que président de l'UMP. L'an passé, à la même époque, je n'étais que candidat. J'avais des projets. Aujourd'hui je suis votre président, je dois en assumer les responsabilités, justifier d'une action, fixer des perspectives. C'est une tâche exaltante. Depuis 9 mois j'y ai consacré le meilleur de moi-même.

C'est ce que je vais continuer à faire pour les 19 mois qui viennent, et qui nous conduiront aux échéances présidentielles et législatives de 2007. Mon ambition est claire: c'est que nous gagnions. Mon rôle est simple, vous conduire à la victoire. Mon travail doit tout entier être tourné vers cet objectif, celui de notre succès collectif.

Que personne n'en doute, je sais d'expérience que nous gagnerons ensemble ou que nous perdrons ensemble. Je veux mettre mon énergie au service de notre famille, de toute notre famille. Il ne s'agit pas pour moi d'une aventure individuelle mais bien d'une responsabilité que j'assume au nom de tous et pour tous.

Pour cela je voudrais vous proposer une première orientation, celle qui consiste délibérément à choisir "de faire de la politique". En effet je ne m'inscris pas dans cette mode qui fait dire à tant d'observateurs prétendument informés que la politique ne sert à rien, que les politiques ne peuvent plus rien, que la gauche et la droite c'est pareil - comprenez qu'elles seraient devenues également impuissantes - que les difficultés de la France et du monde sont si grandes qu'il n'y aurait rien à faire. Eh bien je conteste frontalement ce fatalisme et cette forme de démission. Dans mon esprit la politique c'est justement l'art de trouver et de créer des marges de manœuvre là où tous les techniciens restent interdits et incapables d'imaginer la voie étroite qui permettra de surmonter les difficultés.

Il ne faut pas s'excuser de faire de la politique, il faut bien au contraire revendiquer ce choix qui est celui de la démocratie et de l'efficacité. La politique c'est noble. La politique c'est utile. La politique c'est exigeant et difficile. Ce n'est pas de trop de débats politiques que souffre notre pays, c'est au contraire qu'il n'y en ait plus assez et même parfois plus du tout.

La politique, cela consiste d'abord à dire la vérité, à être lucide, à donner une cohérence aux aspirations souvent contradictoires de nos compatriotes. Parler au nom du peuple, comprendre ses attentes, interpréter ses besoins, réaliser ses aspirations: c'est bien ce qu'il y a de plus difficile à réussir. Mais c'est justement le premier devoir des responsables politiques que nous sommes. Et les Français contrairement à ce qu'on peut souvent entendre, restent passionnés par cette façon de faire de la politique.

Qu'ont voulu dire les Français en portant Le Pen au 2ème tour de la présidentielle en 2002 ? Qu'ont-ils voulu exprimer le 29 mai en répondant massivement non au référendum sur l'Europe ? Quel était le sens profond de leur message lorsqu'ils nous ont sanctionnés dans 20 régions sur 22 au printemps 2004 ? Ces questions ne sont pas anecdotiques. J'ai le sentiment qu'on n'y a pas répondu, ou alors imparfaitement, en tout cas insuffisamment. Les problèmes restent posés, et, il faudra bien s'y atteler. Cela sera même l'enjeu de la présidentielle de 2007.

Vous le savez, je suis intimement convaincu que les Français attendent de nous que nous préparions non une alternance classique à laquelle ils ne croient plus, mais la rupture avec les habitudes, les conformismes et les insuffisances de la vie politique traditionnelle. L'UMP doit incarner le changement le plus profond et le plus rapide. Nous devons tirer les conséquences de ces trois crises majeures en proposant une stratégie de rupture avec les trente dernières années.

A mes yeux la grande question que se posent les Français, commune à toutes ces crises que nous avons connues, c'est celle de savoir si l'avenir peut être source d'espérance alors qu'il est perçu dans tant de familles comme une menace. C'est bien là que se trouve le changement le plus considérable depuis des décennies. Les générations qui nous ont précédés voyaient l'avenir comme une formidable opportunité de progrès. Qui se risquerait à dire aujourd'hui qu'il en va ainsi dans les familles de France ?

Il nous faut inventer un nouveau modèle français, dont l'ambition première sera de rendre la réussite accessible pour chaque Français, d'où qu'il vienne, pour peu qu'il s'en donne les moyens et qu'il la mérite. Attention ! Il ne s'agit pas de promettre tels les démagogues la réussite à tout le monde. Il s'agit de la garantir à tous ceux qui, par leur travail, leurs efforts, leurs mérites, l'auront gagnée en récompense. La réussite et la promotion sociale ne sont pas un dû que chacun peut réclamer en faisant la queue à un guichet. C'est mieux: c'est un droit, un droit que l'on mérite à la sueur de son front.

Elle est là, la clef du nouveau modèle français que j'appelle de mes vœux. Un modèle où le nivellement, l'égalitarisme, le saupoudrage n'auront plus leur place, un modèle où le travail sera la base de tout, en étant récompensé, encouragé, favorisé. Un modèle où l'on n'éprouvera plus aucun complexe à rémunérer davantage celui qui travaille le plus et en même temps à aider davantage celui qui cumule le plus de handicaps. Un modèle où la promotion sociale sera redevenue un objectif accessible à tous. Un modèle enfin où chaque famille de France se dira que ses enfants peuvent regarder l'avenir avec confiance et s'y faire une place. Au final il ne s'agit rien de moins que de rendre l'espérance aux Français et à la France.

Oui, à la France ! Voici un mot que l'on ne prononce pas assez souvent: la France. La France ce n'est pas qu'une histoire, un passé, un souvenir, ou même une nostalgie. La France c'est une nation qui a souvent montré le chemin au monde mais qui donne le sentiment parfois de se reposer sur des lauriers glanés il y a bien des années. La France ne peut pas compter sur le seul prestige de sa glorieuse histoire pour demeurer parmi les grandes nations du monde. La France ne doit pas considérer que les efforts, pour mériter son statut, ne sont que pour les autres pays, et qu'elle peut s'en abstraire.

La France ne peut plus affirmer avoir le meilleur modèle social alors que nous comptons encore tant de chômeurs, tant de pauvres, tant d'exclus. La France doit redevenir accueillante pour tous ceux qui veulent réussir, innover, proposer, inventer, créer. La France doit se doter d'une nouvelle ambition européenne car l'Europe a besoin d'un nouveau leadership pour construire un espace qui protège et non qui inquiète, pour bâtir un ensemble où les chefs d'Etat et de gouvernement, c'est à dire les responsables politiques reprendront le pouvoir pour répondre aux défis de la mondialisation, de la désindustrialisation, des délocalisations.

La France doit rester cette nation aux composantes multiples où chacun pourra se voir reconnaître les mêmes devoirs et les mêmes droits, mais pas les uns sans les autres.

La France dont je parle, elle a un visage, celui de la tolérance. Elle a une âme: celle de la liberté qu'elle a chevillée au corps. Elle a une ambition: celle de montrer au monde un chemin original. C'est cette France pour laquelle nous avons tous un jour vibré, espéré et parfois pleuré.

Oui les Français doivent retrouver le chemin de l'espérance et de la confiance dans l'avenir. Oui, je l'affirme, les Français doivent à nouveau pouvoir être fiers de la France.

Tout au long de ces 19 prochains mois je souhaite qu'ensemble nous construisions la formation politique la plus moderne, la plus démocratique, et, la plus nombreuse de France. C'est un enjeu considérable. Il s'agit ni plus ni moins que de réconcilier les Français avec la politique.

Je ne veux plus que se reproduisent les conditions qui ont permis à Jean-Marie Le Pen d'être présent au 2ème tour de la présidentielle.

Je ne veux pas davantage que de tous les pays Européens, la France compte l'extrême gauche la plus forte d'Europe. Le débat démocratique français vaut mieux que le tête à tête stérile entre Arlette Laguillier et Le Pen, et je dirais la même chose s'il s'agissait de Bové ou de Besancenot.

Je ne peux me satisfaire que les grands partis démocratiques et républicains stagnent autour de 20% des suffrages. Notre objectif doit être de porter l'UMP au niveau de 30%.

Nous devons devenir une formation politique de masse dans laquelle les Français de tout âge, de toutes origines, de toutes conditions pourront se rassembler, débattre, proposer, compter, décider. Nous ne devons à aucun prix nous laisser enfermer dans la représentation d'une catégorie socioprofessionnelle. Que les chefs d'entreprise, les professions libérales, les commerçants croient en nous c'est bien mais c'est insuffisant.

Je vous demande de vous ouvrir à la France du travail dans toute sa diversité. Je vous demande de faire une place aux salariés, aux classes moyennes, aux fonctionnaires, aux Français d'origines plus récentes, aux jeunes – qu'ils soient étudiants ou qu'ils soient engagés dans la vie active – sans lesquels rien ne sera possible, aux artistes que nous avons trop négligé dans le passé, aux femmes à qui il nous faut donner un rôle sans précédent. En bref je vous demande de faire de l'UMP le parti de tous les Français.

Pour relever le défi il y a 3 mots dont je vous propose qu'ils servent de cadre à toutes nos actions, qu'ils soient la référence systématique de toutes nos démarches, qu'ils rythment tous nos rendez-vous. Je veux que nous soyons les plus créatifs, les plus libres, les plus unis.

La créativité d'abord. Il s'agit sans doute du déficit le plus criant de la vie politique française. Que de formules creuses, que d'idées convenues, que de consensus hypocrites dont le seul but est d'éviter la résolution de problèmes qui pourtant ne peuvent plus attendre ! Je le dis parce que je le pense au plus profond de moi-même. Je n'ai pas la vision d'une France qui serait soudainement devenue immobile, rétive à tout changement, frileuse face à toutes les réformes.

Les Français ne sont pas des conservateurs. La France n'est pas réactionnaire. Nos compatriotes ont parfaitement compris qu'on ne résoudra pas les problèmes de demain avec les recettes d'avant hier. Ils n'ont pas peur du changement. Bien au contraire, ils l'espèrent, l'attendent, l'exigent. Quand les vieux chemins ne mènent plus nulle part, alors il faut en emprunter de nouveaux. Il convient d'imaginer de nouvelles voies. D'être innovants, créatifs, imaginatifs. De ne pas avoir peur de changer nos habitudes.

Je veux que l'UMP tourne le dos à toutes formes de conservatisme, que nous fassions de l'immobilisme notre premier adversaire, que nous relevions le flambeau du changement pour nous l'approprier.

Ainsi pour les Français les choix seront clairs. D'un côté il y aura ces nouveaux conservateurs que sont devenus les socialistes, qui veulent que rien ne bouge, qui ne sont porteurs d'aucun changement, qui isoleront la France dans un repliement caricatural et hautain. C'est la France de la glaciation. De l'autre l'UMP qui doit regarder tout ce qui réussit dans le vaste monde, et ne pas hésiter à s'en inspirer. Il ne s'agit pas de copier un modèle quel qu'il soit. Il ne s'agit nullement de tourner le dos à nos valeurs et à nos traditions. Il s'agit de refuser une vision exclusivement hexagonale de l'évolution de notre pays.

Pourquoi interdire aux Français d'essayer ce qui marche ailleurs. Le nouveau modèle français que j'appelle de mes vœux ne peut faire abstraction de ce qui se passe dans le vaste monde, sauf à se couper des réalités et de toute chance d'être efficace.

Ainsi quand je dis que le modèle social français n'est plus le meilleur ce n'est pas pour provoquer, encore moins pour blesser, c'est simplement que je ne peux accepter que mon pays reste avec deux fois plus de chômeurs que les autres grandes nations démocratiques et que tant de nos compatriotes en souffrent. A l'endroit des Français nous avons un devoir, un devoir d'efficacité.

J'observe que partout dans le monde la contrepartie de la solidarité nationale c'est l'obligation d'exercer une activité en échange d'un minimum social et celle d'accepter un emploi au bout d'un certain nombre de refus.

La France qui se lève tôt le matin ne peut accepter que le produit de ses impôts ne soit pas utilisé avec une efficacité maximale. Ne pas imposer une activité minimale et ne pas limiter le nombre de refus de propositions d'emploi, ce n'est pas un acquis social, c'est une erreur doublée d'une lâcheté. Il faut y mettre un terme et le plus tôt sera le mieux. Ne pas le faire c'est prendre le risque de révolter les classes moyennes, de désespérer ceux qui travaillent, de tourner le dos aux valeurs républicaines les plus sacrées qui veulent qu'il n'y ait pas de droit sans la contrepartie d'un devoir. On parle beaucoup des droits de chacun. Je vous propose que nous rappelions les devoirs de tous.

Plutôt que de considérer notre droit du travail comme une vache sacrée intouchable, on serait bien inspiré de se demander pourquoi les salariés français ne se sont jamais sentis dans un tel état de précarité et les entrepreneurs à l'inverse jamais autant soumis à un carcan aussi rigide et archaïque. C'est le système magique où tout le monde est perdant.

N'attendons pas des organisations syndicales qu'elles proposent les changements que nous souhaitons. Elles ne le feront pas. Ce n'est pas leur rôle. C'est à nous qu'il revient d'être innovants, d'entraîner, d'expliquer. Défendons une nouvelle méthode de gouvernement qui accepte l'expérimentation et organise l'évaluation. Sur les sujets qui suscitent l'hésitation, au lieu de réformes prétendument définitives et totales choisissons de faire des expériences, dont nous présenterons les résultats évalués en toute transparence à l'opinion publique. En finir avec la division artificielle entre CDI et CDD pour innover avec le contrat unique me semble être une urgente priorité. Ainsi nous pourrons changer la France, progressivement, en nous donnant tous les moyens de réussir.

La question du pouvoir d'achat est centrale pour l'économie française. Nous devons trouver les moyens d'augmenter celui des Français pour soutenir la consommation. Pour cela je ne connais qu'un seul moyen compatible avec nos déficits, celui qui consiste à permettre aux Français de travailler plus pour gagner davantage.

L'exemple des 5 millions de fonctionnaires est particulièrement caricatural. Il y a beaucoup de petits salaires dans la fonction publique. Pourquoi empêcher les fonctionnaires qui le souhaitent de s'affranchir des 35 heures en cumulant des heures supplémentaires qui augmenteraient d'autant leur pouvoir d'achat ? Il n'y a aucune raison de refuser à la fonction publique ce que l'on a autorisé au secteur privé.

Dans le même esprit, la France ne peut faire l'économie d'un important mouvement de réduction de ses dépenses publiques qui passe par le non-remplacement de tous les départs à la retraite des fonctionnaires. J'ai la conviction que nous devons proposer aux fonctionnaires de France un système gagnant- gagnant en leur rendant, sous la forme d'augmentation des rémunérations, la moitié des économies réalisées par le biais des réductions d'effectifs.

Il faut savoir investir pour baisser au final la dépense publique. C'est d'ailleurs seulement ainsi, en réduisant les dépenses que nous pourrons financer une réforme fiscale crédible.

Nous devons permettre à tous les Français de réaliser ce rêve naturel d'être propriétaire de leur logement. Qui n'a jamais pensé, surtout parmi les jeunes, à accéder à la propriété? Or, force est de reconnaître que ce rêve n'est accessible qu'aux plus fortunés ou à ceux qui sont cautionnés par quelqu'un qui est fortuné. Je souhaite que l'on bouleverse ce système qui fait trop de place aux relations et qui pousse les banques à prêter surtout à ceux qui en ont le moins besoin. Seule la mise en place du crédit hypothécaire permettra de donner la chance de la propriété à tous en garantissant l'emprunt par le bien immobilier que l'on acquiert.

Je veux que l'on innove dans le dialogue social. Nos syndicats en France sont trop petits, trop émiettés. Ils ne sont pas assez représentatifs du monde des salariés. Je souhaiterais qu'ils le soient davantage. Je le dis comme je le pense. Je ne comprends pas le maintien de la règle archaïque qui donne le monopole de la présentation des candidats au premier tour des élections aux 5 grandes centrales syndicales issues de la guerre. Si on veut revivifier la démocratie sociale alors il faut rendre à chacun le droit imprescriptible de se présenter librement à une élection.

Je veux que l'UMP innove dans la recherche d'une plus grande justice ou d'une meilleure équité. Je ne vous cache pas mon exaspération devant ces discours interminables qui évoquent invariablement les mots justice sociale, progrès social, politique sociale. Ces mots, à force d'être scandés, sont devenus vides de sens aux yeux des Français qui voient que dans la réalité notre système d'intégration est en panne, notre ascenseur social est grippé, notre modèle éducatif chancelant, et que les inégalités, loin de régresser, progressent.

Comment renverser la vapeur ? Je ne vois qu'un moyen: avoir le courage de faire des choix. Voyons ce qui se passe aujourd'hui à Paris. Les socialistes dénoncent l'insécurité dans les squats et en même temps revendiquent le droit qu'ils soient occupés… Nous, nous sommes conséquents. Nous refusons que des hommes, des femmes, des enfants risquent leur vie dans ces squats et nous avons le courage de les évacuer pour que leurs occupants puissent vivre dans des logements décents et sûrs.

Il faut arrêter de promettre à tout le monde car la France n'en a ni les moyens financiers, ni la latitude politique. Le résultat de cette absence de courage c'est que, donnant à tout le monde, on saupoudre des moyens par définition limités. A l'arrivée tout le monde est perdant. Je propose une autre logique, celle de la discrimination positive à la française qui est loin de se réduire à la question des Français issus de l'immigration.. Le principe est simple: ceux qui cumulent le plus de handicaps, tous ceux qui cumulent le plus de handicaps, on les aide massivement, pour leur donner le maximum de chances de s'en sortir.

La république ce n'est pas donner à chacun la même chose. C'est pour l'Etat donner à chacun selon ses handicaps et selon ses mérites. C'est par l'équité que l'on arrive à l'égalité. L'UMP doit devenir la formation qui incarne la volonté de réduire les injustices dans notre pays. De les réduire dans les faits, concrètement, pas dans les discours ou les slogans. Et s'il m'arrive de plaider pour une discrimination positive à la française, ce n'est pas par fascination pour le système américain, c'est moins encore pour promouvoir un communautarisme que je combats, c'est seulement parce que je suis convaincu que l'on ne peut pas continuer à commenter les inégalités, qu'il faut les réduire si on ne veut pas créer les conditions d'un drame pour notre pays dans les 20 ou 30 années qui viennent. Ce que nous voulons c'est une réelle égalité des chances pour tous les Français.

La liberté ensuite. La liberté ce ne doit pas seulement être le mot magique pour lequel tant d'hommes à travers le monde ont payé le prix le plus cher. La liberté, à l'UMP, ce ne doit pas être un slogan, ce doit devenir une réalité. Au plus profond de moi-même je crois que rien d'utile ne peut se construire sans un débat préalable et approfondi. L'UMP doit être le lieu des grands débats de la société française.

Pendant que les socialistes s'invectivent, règlent leurs comptes, se livrent à des exclusions et des anathèmes, je vous demande de vous passionner et de vous engager dans le débat d'idées. Chaque mois nous organisons une convention. Je souhaite que les fédérations se saisissent des sujets traités en apportant leur contribution à la réflexion initiale. C'est ensemble que nous dessinerons la France que nous voulons. Il ne doit y avoir aucun sujet tabou. A l'UMP on doit pouvoir parler de tout. Le droit à l'expression et à la parole doit être reconnu à chaque militant, à chaque cadre, à chaque élu. Je dénie à quiconque la possibilité de cadenasser un débat, de le réduire ou pire de l'interdire.

S'il y a si peu d'adhérents dans les formations politiques, c'est que trop souvent les Français ont le sentiment que dans les partis politiques la parole est confisquée. A l'UMP la parole est libre.

Elle est libre d'abord vis à vis de la direction du mouvement et notamment de son président. Je n'ai pas à vous imposer mon point de vue, et à l'inverse je ne renoncerai pas à mes convictions même si elles sont minoritaires. Il ne s'agit pas de construire un club de partisans tout entier dévoué à ma cause ou pire un clan ou une secte. Il s'agit de bâtir une formation diverse où chacun pourra trouver sa place. En tant que président du mouvement je dois convaincre de la pertinence de la ligne stratégique que je propose, mais vous devez être libre de l'amender, de la contester ou de la soutenir. En clair on n'est pas obligé de penser systématiquement comme moi, uniquement parce que j'ai été élu président de l'UMP.

L'UMP est libre vis à vis du gouvernement que nous soutenons. Je suis reconnaissant à Dominique de Villepin d'avoir retenu nombre de nos propositions et en même temps d'avoir compris et accepté que notre formation politique puisse aller plus loin et dire davantage que ce que fait et dit le gouvernement.

L'UMP n'est pas derrière le gouvernement, elle est devant le gouvernement pour fixer une perspective, pour gagner la bataille de la communication, pour porter des thèmes novateurs, pour convaincre notre électorat. C'est ainsi que, gouvernement et parti majoritaire, nous couvrirons le spectre le plus large. L'UMP doit être le porte voix de nos électeurs. L'UMP doit être l'expression des souhaits politiques des Français, y compris lorsque ces derniers manifestent des impatiences. L'UMP ce n'est pas une caserne ou régnerait une discipline de fer. C'est un lieu de liberté où l'on peut débattre de tout sans être accusé de manquer à la solidarité ou même à la loyauté.

C'est dans cet esprit que faisant campagne pour le oui au référendum j'ai cependant tout fait pour que les partisans du non, bien que minoritaires chez nous, soient respectés et bénéficient de moyens d'expression. A l'arrivée cela nous a permis de préserver notre unité sans la moindre difficulté. Là aussi, comparez avec les socialistes et vous verrez que notre choix fut le bon.

C'est dans cet esprit que je vous ai proposé de prendre sur la Turquie et sur l'Europe une position qui n'était pas celle du président de la république mais qui correspondait à nos convictions et à celles de nos électeurs. Nous l'avons fait sans drame et sans que cela nous empêche par ailleurs de soutenir l'action de Jacques Chirac, et de tout faire pour que son mandat soit un succès.

C'est dans cet esprit que je proposerai dans quelques jours que l'UMP soit plus ambitieuse que le gouvernement dans ses choix économiques et fiscaux en proposant par exemple que nul contribuable en France ne puisse se voir prélever plus de 50% de ce qu'il a gagné par son travail. Si c'est une règle de valeur constitutionnelle en Allemagne, pourquoi n'en serait il pas de même en France ?

C'est dans cet esprit que je souhaite que l'UMP affirme son engagement de mettre en place un service minimum dans les services publics les jours de grève. Il est des moments où il convient d'arrêter de tourner autour du problème pour l'affronter et le résoudre. Nous devons être du côté des usagers pas du côté de ceux qui prennent en otage nos services publics.

C'est dans cet esprit que je soutiens ceux qui dénoncent les effets pervers de l'actuel ISF. Je crois les Français beaucoup plus lucides qu'on ne l'imagine. Que les plus riches payent davantage d'impôts: c'est normal et c'est juste. De ce point de vue l'ISF est un bon impôt. Mais que ce même impôt pénalise l'emploi, entraîne la délocalisation d'entreprises, empêche les capitaux dont l'économie a besoin de prospérer en France, cela nous ne pouvons l'admettre. Il ne faut pas avoir peur d'expliquer à l'opinion publique la réalité des enjeux. Cela s'appelle être courageux, et le courage cela paye toujours!

C'est dans cet esprit que je souhaite que dès l'automne, afin de lancer le mouvement, une expérimentation soit engagée dans nos universités pour leur donner l'autonomie dont elles ont besoin. Nos universités sont les seules en Europe à ne pouvoir accéder à des financements innovants. Elles sont les seules à ne pouvoir adapter librement leurs enseignements. Elles sont les seules à ne pas pouvoir prendre les initiatives auxquelles elles aspirent. Au résultat, nos universités régressent. Cette situation ne peut durer.

C'est dans cet esprit que je souhaite que nous proposions une refonte de la PAC. Je crois au pouvoir vert. Je crois en l'avenir de l'agriculture française. Mais je n'accepte pas l'évolution de ces dernières années qui conduit à la fonctionnarisation de nos paysans. Jamais ils n'ont voulu cette culture de l'assistanat. Les agriculteurs sont des producteurs. Ils doivent vivre du prix de leurs productions. Ces prix doivent être décents. C'est possible si l'Europe veut renouer avec la préférence communautaire.

C'est dans cet esprit que le moment venu nous réfléchirons à nos institutions et à notre pratique du pouvoir. Elle doit être plus simple, plus démocratique, plus efficace. Il y a beaucoup à faire pour moderniser notre République. Je vous l'ai dit, il n'y aura pas de sujets tabous. Je vous le prouverai.

L'unité enfin. On l'invoque toujours, et, en général quand on en parle c'est que c'est déjà trop tard et que la division a provoqué des ravages.

L'unité d'un parti politique ne se décrète pas. Je dirais même qu'elle ne s'impose pas. L'unité ce n'est que la conséquence d'un état d'esprit, d'une volonté de vivre ensemble, de la certitude qu'auront tous les membres de notre famille qu'ils seront considérés dans leur personne comme dans leurs convictions, avec loyauté.

L'UMP sera unie parce que ses grands choix stratégiques seront déterminés par des votes démocratiques auxquels seront associés tous les militants.

Je ne veux plus d'une période qu'a connu notre famille, où les arbitrages étaient rendus entre trop bons amis sans tenir compte de l'opinion de l'ensemble des adhérents. Je le dis calmement, sereinement, tranquillement mais fermement: cette époque appartient à un passé révolu. Il n'y a pas de conseillers occultes, il n'y a pas de cénacle privilégié, il n'y aura ni combines ni arrangements.

Je veux que nos grands choix stratégiques, comme nos choix de personnes soient tranchées par des votes libres, démocratiques, transparents.

Je souhaite que soient appelés à participer à ces votes, le plus souvent possible, la totalité de nos adhérents. Ainsi, chacun comprendra qu'être adhérent de l'UMP c'est être respecté, c'est avoir le droit de donner son opinion, c'est participer en y étant associé, à toutes nos grandes décisions. C'est comme cela que nous deviendrons un parti de masse.

Je l'ai montré à Paris en organisant des primaires qui ont apaisé les tensions récurrentes depuis des années. Je le montrerai pour les présidentielles de 2007. Il n'y a pas de candidat auto-désigné ou obligé. Il y aura une concurrence saine, loyale, de qualité. Et au final, c'est vous les adhérents de l'UMP qui aurez la responsabilité de choisir le meilleur, c'est-à-dire celui qui saura le mieux nous rassembler et nous faire gagner.

Je souhaite vous dire que nous n'avons rien à craindre de la concurrence. Elle seule permet d'étalonner les valeurs. Elle est incontournable pour celui qui veut prétendre à l'honneur de vous représenter dans la compétition ultime qu'est l'élection présidentielle. Une famille politique doit se réjouir de compter de nombreux talents en son sein. Songez à toutes celles qui n'en ont aucun.

J'ajoute que nos adhérents ont acquis des pouvoirs que personne ne pourra remettre en cause. Nous sommes en 2005, et on ne dirige pas en 2005 une formation politique comme on pouvait le faire il y a 30 ans. En tout cas, j'ai été élu par la volonté de nos militants. Je n'ai pas l'intention de trahir leur confiance en les privant d'un pouvoir qu'ils m'ont au contraire demandé de conforter.

Nous organiserons en janvier 2007 un congrès ouvert à tous où chacun pourra exprimer sa préférence quant au choix de notre candidat à l'élection présidentielle. Cela sera un événement de la vie politique nationale, et, cela donnera une légitimité et une force sans précédent à notre candidat.

Et c'est parce que notre mouvement sera authentiquement démocratique que la solidité de notre union ne sera remise en cause par personne. Notre unité sera d'autant plus solide qu'elle sera le résultat d'une attitude de respect, de loyauté, et de responsabilité.

En tant que Président de l'UMP, je suis le garant de son unité. Il va de soi qu'il me faut montrer l'exemple et m'astreindre au respect scrupuleux des règles que je viens de décrire.

Je voudrais terminer mes propos par quelques remarques plus personnelles.

Il y a bien des années, j'ai fait le choix de consacrer ma vie à la politique. Jamais je n'ai eu à regretter ce choix. La politique m'a beaucoup donné: des émotions collectives, des amis solides, des inimitiés certaines aussi, des rencontres multiples, des sujets de passion et surtout une expérience humaine inégalée. Jeunes de l'UMP qui aujourd'hui souhaitez vous engager pour assurer la relève, votre choix est le bon. A votre tour, vous ne serez pas déçus.

Aujourd'hui, sans doute comme jamais, je suis conscient de mes responsabilités, je mesure chaque jour le poids qu'elles font peser sur mes épaules. C'est sans doute pour cela que j'assume mes fonctions avec davantage de gravité qu'auparavant.

J'ai pu en outre mesurer la dureté de certaines attaques, et l'impudeur de certaines attitudes. Mais j'en fais le serment devant vous: rien - vraiment rien – personne - vraiment personne - ne m'empêchera d'aller jusqu'au bout de la mission que vous m'avez fixée, d'essayer de mériter la confiance que me témoignent chaque jour tant de Français, et de tenter d'être à la hauteur des rendez-vous de 2007.

Mes chers amis, je vous demande votre confiance, votre amitié, votre enthousiasme, votre engagement.

En retour, je vous donnerai le meilleur de moi-même.

Vive la France Vive la République.

LEMONDE.FR | 04.09.05 | 13h03


Le Monde / Sciences
Mimer un signal nerveux pour pousser les sauterelles au suicide par noyade

 L e parasite ne recule devant aucune perfidie pour asservir son hôte à ses desseins: faire grimper une fourmi au sommet des herbes. Pourquoi ? Pour se faire brouter par un mouton et parvenir ainsi au foie de l'animal. Autre stratégie: pousser un crustacé à nager à la surface, où il sera dévoré par un canard, sa cible finale. Déformer les antennes d'un escargot pour qu'il serve d'appât à une mésange. Et même pousser au suicide une sauterelle, afin de poursuivre son cycle dans les ruisseaux.

Cette dernière tactique, employée par des vers, les nématomorphes, vient d'être analysée au niveau moléculaire par une équipe dirigée par Frédéric Thomas, du laboratoire Génétique et évolution des maladies infectieuses de Montpellier, associant des chercheurs du CNRS, de l'IRD et de l'INRA. Le parasite, lorsqu'il passe du stade larvaire au stade adulte, oblige l'orthoptère (grillon ou sauterelle) dans lequel il a élu domicile, à se jeter à l'eau. Il s'extirpe alors de son hôte, qui, s'il n'est pas dévoré par les grenouilles et les poissons, ou noyé, pourra reprendre son existence sautillante.

Ce comportement a déjà été décrit (un film le retrace: http://www.canal.ird.fr). L'intérêt des nouveaux travaux, publiés dans les Proceedings of The Royal Society B , est d'avoir analysé la production de protéines dans le couple hôte-parasite avant, pendant et après le "suicide". "Nous avons étudié le dialogue et les conflits moléculaires lors de ces trois étapes" , explique Frédéric Thomas.

La méthode ? Se placer le soir au bord d'une piscine à ciel ouvert, en bordure de forêt, retirer les suicidés de l'eau chlorée pour les plonger... dans l'azote liquide. En figeant l'activité biologique, on obtient différents clichés du protéome ­ l'ensemble des protéines synthétisées à un instant et dans un organe donné. Ces instantanés montrent que le ver produit des molécules très proches des protéines synthétisées dans le système nerveux de l'insecte. Ces substances neuro-actives mimétiques sont notamment impliquées dans l'activité des neurotransmetteurs, le rythme circadien et le sens de l'orientation des orthoptères. Sans qu'on sache encore précisément lesquelles commandent le comportement de l'insecte.

BOULIMIE INDUITE

"La confirmation ultime consistera à induire un comportement suicidaire chez des individus sains, par micro-injection de ces macromolécules" , précise Frédéric Thomas.

Le chercheur ne pense pas que l'infestation des criquets pèlerins par les nématomorphes puisse constituer un moyen de lutte biologique. En effet, rappelle-t-il, "les parasites stimulent l'appétit de leur hôte pour favoriser leur propre croissance" .

Mais les mécanismes de cette boulimie induite intéressent le chercheur, car ils sont à l'oeuvre chez des vecteurs ­ mouches tsé-tsé et moustiques ­ dont les parasites sont autrement redoutables que les nématomorphes.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / Sciences
Des chercheurs parviennent à régénérer les muscles de souris myopathes

 U ne équipe de l'Institut Pasteur de Paris est parvenue à isoler chez la souris des cellules souches musculaires adultes ayant la capacité de réparation des tissus. Vingt mille de ces cellules greffées sur des souris atteintes d'une forme de myopathie ont permis d'obtenir chez cet animal une régénération des fibres musculaires.

Ce résultat a été publié, jeudi 1er septembre, sur le site de la revue américaine Science par un groupe de biologistes dirigés par Didier Montarras (Unité de génétique moléculaire du développement, Institut Pasteur-CNRS). Outre qu'il témoigne du développement considérable des travaux expérimentaux dans le domaine de la myologie (Le Monde du 1er juin), ce travail est une nouvelle étape dans l'identification, l'isolement et l'usage des cellules souches adultes, mais aussi dans leur utilisation pour la thérapie cellulaire des maladies musculaires.

A la différence de nombre de leurs confrères étrangers, qui, quand la législation le leur permet, travaillent sur des cellules souches embryonnaires, les biologistes de l'Institut Pasteur ont choisi de mener leurs travaux sur les cellules souches. Ces dernières sont en effet au centre d'une vive controverse depuis leur découverte par un groupe de chercheurs américains de l'Institut de cellules souches de l'université du Minnesota, dirigé par le docteur Catherine Verfaillie.

En effet, les résultats de ces chercheurs, établissant que ces cellules avaient des propriétés équivalentes aux cellules d'origine embryonnaires, n'avaient jamais pu être véritablement reproduits. En raison notamment du très petit nombre de ces cellules dans les organismes adultes et du manque de marqueurs spécifiques, deux éléments qui, jusqu'à présent, ont considérablement limité l'efficacité des tentatives.

"CELLULES PURIFIÉES"

"Sur la base des travaux de l'équipe du docteur Verfaillie, nous nous sommes intéressés au système musculaire en tant que réservoir de cellules souches adultes , explique M. Montarras. Nous avons travaillé sur des lignées de souris chez lesquelles nous pourrions "marquer" ces cellules, notamment avec une protéine fluorescente. Nous sommes ainsi parvenus à mettre au point une stratégie permettant d'isoler des cellules souches musculaires d'animaux adultes."

Identifiées, triées et isolées, ces cellules ont ensuite été greffées dans des muscles de souris créées pour servir de modèle expérimental et porteuses d'une maladie analogue à une forme fréquente de myopathie humaine. Les chercheurs français ont alors observé que les cellules souches induisaient une régénération des fibres lésées et redonnaient de nouvelles cellules productrices de cellules musculaires normales.

"L'analyse a montré que la greffe de vingt mille cellules ainsi purifiées entraînait une régénération musculaire équivalente ou supérieure à celle obtenue précédemment avec un million de cellules musculaires précurseurs provenant de cultures cellulaires, précisent les chercheurs. Ces cellules étant encore proches de leur état natif au moment de la greffe, cela leur confère une capacité supérieure de colonisation du muscle greffé."

Cette approche va être étendue à d'autres modèles expérimentaux: animaux, porcs, brebis et chiens. Les chercheurs vont aussi tenter d'isoler ­ à partir d'une simple biopsie ­ des cellules souches musculaires adultes chez l'homme pour, le cas échéant, les utiliser dans le cadre d'essais cliniques. Une approche parallèle pourrait également être envisagée pour prospecter et développer de nouvelles voies thérapeutiques contre les séquelles de l'infarctus du myocarde.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / Sciences
Spirit a atteint le sommet de la colline martienne qu'il escaladait depuis un an

 P eu après l'arrivée de Spirit au fond du cratère martien de Gusev, le 4 janvier 2004, les premières prises de vue du robot avaient révélé des collines dans le lointain. Les experts de la NASA, qui pilotent l'explorateur mécanique à distance, les avaient baptisées Columbia Hills, donnant à chaque butte le nom d'un des sept membres de l'équipage de la navette spatiale désintégrée en février 2003. Malgré cette référence tragique, ils auraient éclaté de rire si on leur avait annoncé qu'un jour le petit engin, promis à une durée de vie de trois mois, photographierait son lieu d'atterrissage du haut de ces monticules.

Depuis le 21 août, du haut des 82 mètres du sommet de Husband Hill (Rick Husband était le commandant de Columbia), Spirit peut pourtant s'offrir le luxe de contempler les traces d'un parcours martien que personne n'aurait espéré aussi long: près de 5 kilomètres au total. Certes, sa grimpette lui a demandé plus d'une année d'efforts, là où quelques minutes auraient été nécessaires à un randonneur hors de forme. Mais l'escalade n'est pas chose aisée pour un robot à six roues, commandé à 250 millions de kilomètres de distance, et auquel on impose de surcroît de multiples haltes pour examiner des roches.

Au sommet depuis dix jours, Spirit a pu profiter de la vue dégagée pour s'adonner au loisir, moins éprouvant, de la photographie. Plusieurs journées de prises de vue lui ont permis de réaliser un panoramique à 360º, dont l'animation, rendue publique par la NASA, jeudi 1er septembre, devrait s'imposer comme l'un des chefs-d'oeuvre de l'expédition. Les rebords de l'immense cuvette du cratère Gusev y apparaissent notamment avec une netteté jamais atteinte.

Au premier plan, Spirit peut aussi distinguer le prochain objectif de sa mission à rallonge: une grande plaque rocheuse, baptisée "home plate", dont la forme tabulaire et la couleur, bien plus claire que les sables qui l'entourent, ne cesse d'intriguer les géologues de la mission. S'agit-il d'une couche géologique dégagée par l'érosion ? Lorsqu'il aura fini d'arpenter les sommets, l'engin apprendra les charmes de la descente, avec cette étrange formation en point de mire.

Du haut de son promontoire, Spirit a également pu filmer de nombreux tourbillons de poussières, ces "dust devils" qui expliquent en partie sa longévité. Ce sont en effet ces rafales tournoyantes qui ont assuré gratuitement l'entretien du robot depuis des mois en débarrassant les panneaux solaires des scories qui menaçaient de le priver de son énergie.

EN BON ÉTAT

Après 592 sols de fonctionnement (les sols sont les journées martiennes, longues en moyenne de 24 heures et 40 minutes), Spirit apparaît donc en bon état, même si certains de ses instruments donnent quelques signes de fatigue. L'outil qui lui servait à forer les roches est ainsi tellement usé qu'il ne peut plus désormais être utilisé que pour nettoyer les surfaces à analyser.

Cette dégradation témoigne de l'acharnement avec lequel Spirit a fouillé les flancs de Husband Hill durant sa montée. Comme si le robot avait compensé par une suractivité géologique la frustration de ses premiers mois passés sur Mars. Car l'explorateur n'a pas connu d'emblée la même fortune que son jumeau, Opportunity, arrivé quelques jours après lui, de l'autre côté de la Planète rouge. Celui-ci avait eu la chance de se poser directement au fond d'un petit cratère d'impact réussissant "un trou en un coup de plus de 300 millions de kilomètres", selon la métaphore golfique qu'utilise Steve Squyres, le responsable scientifique de la mission, dans le livre qu'il vient de publier aux Etats-Unis. Pendant qu'Opportunity trouvait presque immédiatement des roches potentiellement dégradées par de l'eau liquide, les six roues de Spirit ne soulevaient tristement qu'une poussière de basalte, produite par l'activité volcanique de la planète.

Pour l'engin, les pentes des Columbia Hills sont donc apparues comme une chance de rattraper le temps perdu en plaine. Dès les premiers mètres, le robot y a trouvé, à son tour, de multiples traces d'une activité aquatique passée. Au fil de la montée, des couches différentes de minéraux attaqués par l'eau ont été mises en évidence par ses outils d'analyse. Et c'est Opportunity qui a fini par rencontrer la monotonie des dunes de sable, échappant de peu à l'enlisement, puis, récemment, aux dégâts d'une panne informatique. Tant et si bien qu'aujourd'hui, au sommet de son éminence, Spirit peut pavoiser: sa lente ascension de Husband Hill constitue les meilleurs témoignages directs de l'histoire géologique de Mars.

Jérôme Fenoglio
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / Opinions
chronique du médiateur
Sous les parasols, par ROBERT SOLÉ

 P lus mesurées, évitant de forcer le trait ou de "survendre" le journal, les manchettes du Monde nous valent beaucoup moins de protestations depuis quelque temps. Les lecteurs restent cependant très attentifs au titre principal de la première page, dont le moindre écart est aussitôt dénoncé par une pluie de courriels.

"La France s'associe au deuil martiniquais" titrait Le Monde du 25 août à propos de la catastrophe aérienne survenue quelques jours plus tôt. Philippe Pivert, maire adjoint de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), se sent blessé: lui-même "martiniquais et non moins français" , il rappelle que la Martinique est un département, au même titre que la Nièvre ou le Pas-de-Calais. "La France est en deuil: elle ne peut s'associer à son propre deuil."

Protestation similaire de Bruno Baixe, de Saint-Cyr-sur-Mer (Var): "Si tous les passagers décédés étaient originaires de Bourgogne, auriez-vous écrit que la France s'associe au deuil bourguignon ?" Et Vincent de Briant (université Paris-XII - Val-de-Marne): "A ma connaissance, la France ne s'est pas "associée" à la victoire des athlètes antillais aux derniers championnats du monde. Elle a fêté sa victoire et ses médailles. Aujourd'hui, elle pleure ses morts, sans distinction de race, d'origine ou de religion."

Patrick Jarreau, directeur adjoint de la rédaction, défend la manchette du 25 août. Le Monde , explique-t-il, a voulu souligner que tous les habitants de l'île se sentaient concernés par cette catastrophe, qui était bien un drame martiniquais; et que la France, comme entité nationale, représentée par le président de la République, s'associait à ce deuil.

Je pense en effet que Le Monde n'entendait nullement distinguer la Martinique de la France. Et encore moins ­ contrairement à ce qu'ont cru certains lecteurs ­ défendre à cette occasion la cause des indépendantistes. L'éditorial publié le même jour était d'ailleurs sans ambiguïté. On y défendait "les liens entre la métropole et ses lointains territoires des Caraïbes", en souhaitant "une attention plus forte portée aux problèmes de nos compatriotes antillais".

Mais ce qui compte dans un titre, ce n'est pas l'intention de ses auteurs: c'est la manière dont les lecteurs le perçoivent. Il doit être compris sur-le-champ, sans prêter à confusion.

Aucun autre sujet n'a donné lieu ces dernières semaines à une flambée de courrier. J'ai relevé, en revanche, divers compliments pour des séries d'été, mais aussi une foule de remarques de détail. Comme si l'on avait plus de temps sous les parasols pour éplucher le journal.

Les vacances rendraient-elles les lecteurs particulièrement attentifs à la géographie ? Nombre d'erreurs, petites ou grandes, les ont précipités sur leur clavier d'ordinateur. Le tunnel du Saint-Gothard ne se trouve pas entre l'Allemagne et l'Italie (Le Monde du 26 août), mais en Suisse, indique Barbara Bouyer. La photo publiée dans "Le Monde des livres" du même jour représentait le phare de Nividic, et non celui du Creac'h, signale Pierre-Yves Pétillon. Quant à la Fête de la rose de Frangy-en-Bresse, "elle ne peut être un rassemblement franc-comtois (Le Monde du 23 août), car cette localité est en Saône-et-Loire et ce département n'est pas en Franche-Comté", remarque Jean-Louis Martin...

Même une critique de film peut donner lieu à des contestations inattendues. Dans son article sur Peindre ou faire l'amour (Le Monde du 24 août), Jacques Mandelbaum notait innocemment: "On y voit, échappée de la ville, une femme de la petite bourgeoisie de province (Madeleine-Sabine Azéma) marcher sur un sentier de montagne un chevalet sous le bras, s'arrêter devant le panorama grandiose des vallonnements du Vercors et s'apprêter à peindre ce paysage."

Que n'avait-il écrit là ! Un lecteur de La Blache (Isère), Lucien Buisson, proteste: "Madeleine ne marche pas sur un sentier de montagne, mais entre des rangées de noyers, avant de s'arrêter dans une prairie. En fait de montagne, il s'agit des terrasses et collines de la rive droite de l'Isère, à mi-chemin entre Grenoble et Valence à environ 300 mètres d'altitude. Le massif du Vercors est situé sur la rive gauche."

L'erreur du Monde était tout de même mineure puisque, "de l'endroit où elle s'installe pour peindre, Madeleine a effectivement, par-dessus les noyers, une vue panoramique du Vercors, de la cluse de Voreppe aux montagnes du Royans" , ajoute M. Buisson, avant de nous donner quelques précisions sur les noix locales...

Immanquablement, chaque été, je suis saisi par des lecteurs qui jugent le journal trop maigre pour le même prix. Trop maigre ? Ce n'est nullement l'avis de Philippe Grenier de Monner (Paris), qui m'a adressé il y a quelques jours une lettre... prospective. "La fin du mois d'août approche, écrivait-il, c'est le moment d'exprimer ses craintes. La crainte de voir le journal reprendre du poids, alors qu'il a atteint en août sa taille idéale: léger, digeste, pouvant être lu presque entièrement..."

EN réalité, même s'il compte moins de pages en été, Le Monde ne vole pas ses lecteurs: la forte baisse de la publicité laisse plus de place aux articles. L'un dans l'autre, la quantité de textes quotidienne doit être à peu près la même.

Eté comme hiver, l'impression de légèreté tient autant à l'aspect du journal qu'à la nature et à la qualité de ses articles. La taille de ceux-ci ne signifie rien en elle-même: on peut être bref et substantiel, long et creux, court et ennuyeux... Légèreté n'est pas forcément frivolité.

A propos de légèreté, un bon exemple est donné par la check-list envoyée chaque matin aux abonnés du site Internet du Monde . Indépendamment de son nom (la langue française manque sans doute de mots...), c'est un excellent résumé de l'actualité. On y trouve aussi un mini-billet quotidien, qui réussit à défendre une idée en moins de deux phrases; des articles de la presse étrangère obtenus d'un simple clic; un carnet du voyageur; des suggestions astucieuses...

Mais était-il nécessaire, jeudi 1er septembre, dans la rubrique "Bric-à-brac", de nous orienter sur un nouveau site qui permet de "brader son conjoint" par un système de vente aux enchères ? Les photos y sont légèrement floutées pour qu'on ne puisse pas reconnaître la marchandise, dont chaque "vendeuse" nous vante les attraits. Le témoignage de "Susan, de Los Angeles" , confirme l'utilité de ces transactions: "Bravo ! J'ai déjà changé deux fois d'homme grâce à vous. Je suis enchantée à chaque fois. Je prends beaucoup de plaisir et gagne aussi beaucoup d'argent lors de la revente."

La frontière entre le papier et l'écran est de plus en plus ténue. Les lecteurs-internautes ne font guère la distinction entre le journal imprimé et le journal en ligne. Je reçois d'ailleurs un nombre croissant de courriels à propos du Monde.fr. Le succès de ce site tient à son inventivité, mais aussi au titre sur lequel il s'appuie. A chaque moment, sur l'écran, c'est l'image du Monde qui est en jeu.

par ROBERT SOLÉ
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / Société
Alain Bauer quitte le Grand Orient de France

 L' ancien grand maître du Grand Orient de France (2000-2003), le criminologue Alain Bauer, a annoncé sa démission à l'occasion de l'assemblée générale de la principale obédience maçonnique ­ le "convent" ­, qui se tient à huis clos et s'est ouverte, jeudi 1er septembre, à Paris. Dans une lettre rendue publique, vendredi 2 septembre, il en appelle à la "révolte des loges" contre des obédiences qui s'épuisent dans "des querelles de personnes, des clans et des structures dépassées qui les emprisonnent".

Samedi 3 septembre doit être désigné le successeur de Gérard Papalardo, actuel grand maître par intérim depuis la démission, le 1er avril, de Bernard Brandmeyer, élu lors du dernier convent. M. Papalardo souhaitait se présenter aux suffrages du conseil de l'ordre (le conseil d'administration composé de 35 membres élus par le convent). Mais d'autres candidats se sont présentés: Daniel Morfouace, Jean-Michel Quillardet et l'actuel "grand secrétaire", Hugues Leforestier. Certains envisageaient, pour dénouer la crise, de faire élire le grand maître au "suffrage universel" par les 1 200 délégués du convent.

Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Bush en accusation

 I l aura fallu quatre jours après le passage du cyclone Katrina pour que George W. Bush prenne conscience de l'ampleur de la catastrophe qui frappe le sud des Etats-Unis. Visitant enfin la région, vendredi 2 septembre, le président a eu une phrase qui en dit long sur son impuissance: "C'est pire que ce qu'on pouvait imaginer."

Les Américains et avec eux le monde entier découvrent sur leurs écrans de télévision des villes dévastées, des réfugiés hagards et souvent livrés à eux-mêmes, des bandes pillant les magasins, des gangs armés se disputant les dépouilles, des cadavres jonchant encore les rues, des plates-formes pétrolières encastrées sous des ponts...

Le nombre des victimes est impossible à évaluer mais se chiffrera sans doute par milliers. Un sénateur de la région parle même de 10 000 morts.

Les images venues de Louisiane rappellent le tsunami qui a frappé l'Asie du Sud-Est en décembre 2004. On avait peine à imaginer que le même spectacle de destruction et de désolation, la même tragédie humaine, pouvait advenir dans un pays développé, a fortiori dans le plus puissant du monde.

Or justement, à cette occasion, l'Amérique découvre ou redécouvre qu'elle abrite le tiers-monde en son sein. Comme toujours, cette catastrophe naturelle a aussi des causes humaines et politiques.

Dans ce Sud américain où les divisions et les tensions raciales restent encore très vives, les Noirs et les plus pauvres ­ bien souvent les mêmes personnes ­ sont les premières victimes de l'ouragan et des inondations qui ont suivi. Ce sont eux qui vivaient dans les zones les plus exposées et qui n'ont pas pu fuir à temps, faute de moyens.

Ce sont eux qui, aujourd'hui, sont confrontés à la détresse la plus profonde, qui ont le plus besoin de secours immédiats et qui, les premiers, subiront les conséquences de ce que le New York Times appelle justement "l'effondrement total de toute société organisée".

Car c'est une autre leçon de cette tragédie américaine: "l'hyperpuissance", comme disait un ancien ministre français des affaires étrangères, malgré son potentiel économique et militaire qu'elle est parfois prompte à déployer à l'extérieur, est incapable de faire face à une catastrophe intérieure de cette dimension.

Les structures de l'Etat sont inadaptées, les services de secours insuffisants, le maintien de l'ordre mal organisé... Des études officielles avaient, en vain, attiré l'attention sur la fragilité des digues qui protégeaient La Nouvelle-Orléans.

Alors que George W. Bush battait déjà depuis quelques semaines des records d'impopularité pour un président en début de second mandat, le débat commence à monter aux Etats-Unis: est-il bien raisonnable de dépenser des centaines de millions de dollars pour guerroyer en Irak quand l'Amérique est incapable de protéger ses propres citoyens ?

De la réponse à cette question dépendra la politique américaine dans les prochains mois. Katrina pourrait marquer dans l'histoire une rupture comparable au 11 septembre 2001.

Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / International
Katrina relance le débat sur le lien entre réchauffement et activité cyclonique

 L e réchauffement climatique favorise-t-il l'émergence des cyclones tropicaux qui, de juin à novembre, frappent chaque année les côtes du golfe du Mexique ? De tels événements seront-ils à l'avenir plus fréquents ? Promettent-ils d'être plus intenses ? Le cyclone Katrina ­ qui a provoqué dans le sud des Etats-Unis des dégâts matériels et des pertes humaines considérables ­ a relancé le débat dans la communauté scientifique. L'activité cyclonique de la saison en cours, très virulente, ne devrait pas contribuer, dans les prochaines semaines, à tempérer l'ardeur de ces discussions parfois houleuses.

Les prévisionnistes de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) estiment qu'il y aura cette année de 9 à 11 cyclones ­ la moyenne annuelle se situant à 6 ­ dans l'Atlantique nord. Katrina est le quatrième. La NOAA en attend donc encore 5 à 7 avant la fin novembre.

"Il est toujours très difficile de faire le lien entre un élément ­ même très important ­ et le changement climatique" , rappelle Frédéric Nathan, prévisionniste à Météo France. D'autant que Katrina, malgré les dévastations qu'il a provoquées, n'a en définitive rien d'exceptionnel. En termes d'énergie libérée, il demeure inférieur à Camille, l'ouragan le plus violent du siècle, qui s'est abattu sur la région en 1969. Pour remonter plus loin encore, avant même la révolution industrielle, M. Nathan rapporte qu'"en 1780, un ouragan avait fait plus de 20 000 morts en Martinique" .

Pour autant, si Katrina ne diffère pas des autres ouragans de niveau 5 (le plus élevé de l'échelle de Saffir-Simpson), les climatologues remarquent que, depuis 1995, l'activité cyclonique est particulièrement forte dans cette zone de l'Atlantique. A l'exception toutefois des années 1997 et 2002, marquées par un fort phénomène El Niño.

SEUIL DE TEMPÉRATURE

Mais, là encore, d'autres paramètres que le seul réchauffement peuvent être invoqués pour expliquer cette suractivité. Ainsi, comme le souligne Serge Planton, responsable du groupe de recherche climatique de Météo France, "des années 1940 à la fin des années 1960, l'activité cyclonique a également été très forte dans la zone de l'Atlantique nord" . Au contraire, entre 1970 et 1995, "on a assisté à une période de relative accalmie" , précise M. Nathan.

Il est donc possible que la suractivité actuelle soit liée à des cycles sans relation avec l'augmentation de la température moyenne terrestre. "Historiquement, l'idée que le réchauffement soit de nature à favoriser l'activité cyclonique a pourtant semblé naturelle , explique le climatologue Jean Jouzel, directeur de l'Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL). En effet, les cyclones ne peuvent se former que lorsque la température de surface de l'océan excède un seuil d'environ 27 ºC. Le réchauffement du climat entraînant celui des océans, le lien était vite fait !" Pourtant, rappelle M. Jouzel, "les climatologues se sont vite aperçus que d'autres paramètres entraient en ligne de compte ­ comme la distribution verticale des courants atmosphériques ou l'humidité de l'air ­ et qu'il était du coup impossible de lier directement augmentation de température et activité cyclonique".

Dans un article à paraître en décembre 2005 dans la revue de l'American Meteorogical Society , plusieurs scientifiques américains ­ dont Max Mayfield, directeur du Tropical Prediction Center ­ reviennent sur les études qui ont récemment fait florès pour tenter d'expliquer l'exceptionnelle intensité dans l'Atlantique de l'année 2004.

Aucun élément, concluent les auteurs, ne démontre le moindre lien entre réchauffement et cyclogénèse. De surcroît, si la saison 2004 a été chargée en Atlantique nord, elle semble avoir été en deçà de la norme dans le Pacifique... Quant à l'avenir, une modélisation de l'université Stanford cité par M. Mayfield et ses collègues prévoit qu'à l'horizon 2080, en tenant compte de l'effet de serre, les vents générés par les ouragans n'auront augmenté que de 5%.

PRUDENCE

Pas de quoi s'affoler, penseront certains. Voire. D'autres scientifiques, comme Kevin Trenberth, climatologue au National Center for Atmospheric Research (Colorado) restent persuadés que certains signes indiquent que des changements profonds (zones d'émergence élargies, nouvelles trajectoires, violence inhabituelle, etc.) sont à mettre au compte du réchauffement. Ainsi, Catarina, un autre cyclone de l'Atlantique, a franchi l'équateur et est descendu, en mars 2004, jusqu'aux côtes brésiliennes. Là où, jamais auparavant, on n'avait vu de tels phénomènes.

Mais il faut, là encore, rester prudent. "Le phénomène est certes stupéfiant, mais la surveillance satellite n'est mise en place que depuis les années 1960 , tempère M. Planton. Et un tel phénomène s'est peut-être déjà produit dans l'hémisphère Sud, sans atteindre les côtes, passant ainsi inaperçu."

Pour l'heure, la question demeure entière d'un hypothétique lien entre suractivité cyclonique et réchauffement. Elle sera largement évoquée dans le prochain rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC). "Mais, prophétise M. Jouzel, si le réchauffement favorise effectivement la cyclogenèse, nous le saurons bientôt. La nature nous le dira."

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / International
Vivement attaqué par les médias, M. Bush visite les régions sinistrées sans rencontrer les survivants

 I l était allé à Ground zero. Il s'est risqué à Bagdad. Mais il a préféré ne pas s'aventurer dans la Nouvelle-Orléans à pied. Cinq jours après le passage du cyclone Katrina, qui pourrait avoir fait plus de 10 000 morts selon le sénateur républicain de Louisiane David Vitter, le président américain, George Bush, a effectué sa première visite, vendredi 2 septembre, dans les zones sinistrées sans rencontrer les survivants, alors que la situation est qualifiée par plusieurs commentateur de "honte nationale" . M. Bush a observé la digue de la 17e rue, la seule que les ingénieurs de l'armée ont commencé à réparer, et au prix d'un effort colossal: les sacs de sable doivent être acheminés par hélicoptère. Il a félicité les garde-côtes qui continuent leur travail de fourmi et vont récupérer un à un les survivants juchés sur les toits (5 500 sauvetages en quatre jours). Et il a dit quelques mots sur le tarmac de l'aéroport Louis-Amstrong. Mais il ne s'est pas risqué au Centre des Conférences, devant lequel s'étalent toujours des corps que personne n'a ramassés, dont celui d'une vieille femme dans une chaise roulante. M. Bush n'est même pas passé par le hall de l'aéroport, à quelques dizaines de mètres, transformé en centre de triage pour les personnes âgées et les blessés. Plusieurs décès ont été enregistrés dans la nuit, selon des journalistes.

Un ministre allemand attaque M. Bush sur Kyoto
Le ministre allemand de l'environnement (Verts), Jürgen Trittin, a plus ou moins directement imputé aux autorités américaines la responsabilité de la catastrophe naturelle en Louisiane. Dans diverses déclarations à la presse, il a reproché, vendredi 2 septembre, au président américain d'avoir mené une politique irresponsable, dénonçant "l'intenable logique de -George- Bush, selon laquelle la protection du climat nuit à l'économie" et son refus de respecter le protocole de Kyoto sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre. M. Bush, a-t-il estimé, "ferme les yeux face aux dégâts économiques et humains que son pays et l'économie mondiale ont infligés par l'intermédiaire d'une catastrophe naturelle comme Katrina" . L'opposition conservatrice allemande a dénoncé le "cynisme" de ces propos, tenus en période électorale. L'experte en environnement de la CDU/CSU a accusé M. Trittin de vouloir gagner des voix "sur le dos des gens qui souffrent" en Louisiane. Les Allemands éliront leurs députés le 18 septembre. ­ (Corresp.)

"L'ANTI-11 SEPTEMBRE"

Le président, pour tout dire, a si peu fait événement que les journaux du soir n'ont consacré que quelques minutes à sa visite, pour se concentrer sur la nouvelle de la journée: les incendies, que les pompiers ne peuvent pas éteindre parce qu'ils n'ont pas d'eau, même s'ils ont des fusils. Et l'arrivée des premiers convois. "L'aide enfin !" La seule déclaration présidentielle jugée digne d'intérêt a été celle qu'il a prononcée avant de s'embarquer. Pour la première fois, M. Bush a admis une insuffisance. La réponse du gouvernement n'a pas été adéquate, a-t-il dit. "Les résultats ne sont pas acceptables" . Plus tard, il a nuancé: "Je suis satisfait de la réponse. Mais pas de tous les résultats" .

Arrivés avant même le cyclone, les médias ont été scandalisés par ce à quoi ils ont assisté depuis lundi et le retard de l'administration. Si les événements du 11 septembre 2001 avaient donné lieu à un rassemblement patriotique, ce ne sera pas le cas cette fois, suppose Howard Fineman, de Newsweek . Le président ne sera plus épargné. "Il est le chef du gouvernement; non plus celui des armées" . Pour Tom Oliphant, du Boston Globe , M. Bush est devenu "l'emblème de la faillite du gouvernement" . Et ce n'est pas fini: "il faudra encore absorber le bilan des morts" . David Brooks, pourtant partisan du président, porte un diagnostic sévère. "En terme de confiance du public dans les institutions, c'est l'anti-11 septembre , a-t-il estimé sur la chaîne publique PBS. Une violation de ce qui fait le tissu social: à savoir la défense des pauvres et des faibles en priorité. Et c'est une humiliation nationale." Echec des services de renseignement, scandales économiques, erreurs de la presse, torture en Irak: "nos institutions nous trahissent complètement" , a-t-il dit.

Comme pour le 11 septembre, et l'épisode de l'école de Floride où M. Bush racontait une histoire enfantine bien qu'il ait été prévenu de l'attaque contre le Wordl Trade Center, une image est retenue contre le président. Elle le montre une guitare à la main, comme s'il allait jouer, alors que les digues de la Nouvelle-Orléans ont déjà cédé le matin du 30 août. La guitare lui est offerte par un chanteur de country, après le discours prononcé à San Diego à l'occasion d'une commémoration de la fin de la guerre en 1945. Time Magazine invite, de son côté, à la prudence. Les erreurs des débuts en 2001 n'ont pas empêché M. Bush de se rattraper. "La carrière de Bush est jonchée de gens qui le sous-estiment" , estime le magazine.

C. Ls
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / International
Le mythe américain ébranlé dans l'archipel caraïbe
SAINT-DOMINGUE de notre correspondant

 R ediffusées par les télévisions locales, les images de chaos, de mort et de destruction à La Nouvelle-Orléans ont ravivé de douloureux souvenirs dans l'archipel caraïbe, en première ligne sur la route des cyclones venus de l'Atlantique. Mais les scènes de pillages et de guérilla urbaine, les cadavres abandonnés et les cohortes de sinistrés désemparés ont aussi ébranlé le mythe de la supériorité du modèle nord-américain.

"Ça me rappelle les Gonaïves, où des gangs armés attaquaient les secours", dit Manuel Pié, le concierge haïtien d'un immeuble du centre de Saint-Domingue. Déclenché par l'ouragan Jeanne, un déluge de boue avait submergé cette ville haïtienne en septembre 2004, faisant près de 3 000 morts. Grâce aux postes de radio à piles, les survivants avaient pu être informés rapidement des points de distribution d'aide, tandis qu'aujourd'hui les systèmes de communication sophistiqués américains ont été balayés par Katrina.

"L'organisation des secours en Louisiane est pire qu'à Jimani", tranche Altagracia Salazar, une journaliste dominicaine. Cette petite ville à la frontière dominicano-haïtienne avait été endeuillée par des pluies diluviennes en mai 2004. Les autorités avaient été sévèrement critiquées pour la lenteur de leur réaction face à la catastrophe qui avait fait près d'un millier de morts.

"Les dévastations de l'ouragan Katrina aux Etats-Unis ont révélé les faiblesses de l'infrastructure physique et plus encore celles du tissu social", commente le Jamaica Gleaner. Selon le quotidien jamaïcain, "les scènes de criminalité rampante et de pillages expriment un profond malaise social sous-jacent". "Les plus riches, c'est-à-dire les plus blancs, ont pu fuir. Katrina a mis en évidence les profondes inégalités dans le pays le plus riche du monde", renchérit le sociologue dominicain Wilfredo Lozano.

A Cuba, un pays réputé pour l'efficacité de ses plans d'évacuation des populations menacées, l'Assemblée nationale a exprimé sa "profonde solidarité avec le peuple des Etats-Unis et les victimes de cette catastrophe", notant qu'il s'agissait pour la plupart "d'Afro-Américains, de travailleurs latinos et de Nord-Américains pauvres".

IMPACT ÉCONOMIQUE DANS LA RÉGION

Par ailleurs, la flambée des cours des carburants provoquée par Katrina va porter un nouveau coup aux fragiles économies de la région. En République dominicaine, où les coupures d'électricité sont quotidiennes et anarchiques, le gouvernement vient d'annoncer un plan de circulation alternée.

"Cette catastrophe renforce la position de Chavez -le président vénézuélien- qui a signé des accords pétroliers plus ou moins favorables selon le degré d'affinité politique entre son gouvernement et l'île bénéficiaire", souligne l'économiste Bernardo Vega, ancien ambassadeur dominicain à Washington. "Katrina va aussi provoquer une pénurie de blé et d'aliments pour volailles dans le bassin caraïbe", anticipe-t-il. "Ces produits nous arrivent pour l'essentiel par le Mississippi et le port de La Nouvelle-Orléans."

Jean-Michel Caroit
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / International
L'héritage musical de la ville, berceau du jazz, a été englouti

 L a légende du rock, Fats Domino, et sa famille ont été retrouvés sains et saufs, vendredi 2 septembre, à Baton Rouge (Louisiane). Le musicien, âgé de 77 ans, avait été évacué, lundi, de sa maison située dans le 9th Ward, l'un des quartiers les plus inondés de la Nouvelle-Orléans. Irma Thomas, la reine de la soul, a également été repérée, saine et sauve.

Le rappeur Kanye West critique M. Bush

Au cours du premier téléthon de soutien en faveur des victimes de l'ouragan Katrina, A Concert for Hurricane Relief, le rappeur Kanye West a critiqué le président George Bush en direct, en plein prime time. "George Bush ne se préoccupe pas des Noirs" , a-t-il lancé, ajoutant que l'Amérique se débrouille "pour aider les pauvres, les Noirs, les plus démunis, le plus lentement possible" . Et le musicien noir, connu pour son franc-parler, a poursuivi: "Je déteste la façon dont les médias parlent de nous. S'il s'agit d'une famille noire, ils disent que c'est du pillage. Si c'est une famille blanche, ils cherchent à se nourrir." Le network NBC, qui diffusait ce concert de charité pour le compte de la Croix-Rouge, a précisé que le rappeur s'était écarté du script prévu et que ses opinions ne représentaient pas celles de la chaîne.

Mais dans sa fuite, Fats Domino n'a probablement rien pu sauver de ses instruments de musique, de ses disques, de ses souvenirs, de ses archives. Tout comme une autre vedette musicale de la ville, Allen Toussaint, parolier, compositeur, arrangeur, producteur, qui a perdu dans l'inondation tous ses outils de création. Le trompettiste Maurice Brown indique avoir eu juste le temps d'aller chercher "ma trompette, mon flugelhorn, mon ordinateur et des vêtements pour quatre ou cinq jours."

Les clubs de musique et les studios d'enregistrement historiques des quartiers est de la ville, sont sous les eaux. Snug Harbor, le plus fameux des clubs de jazz, sur Frenchmen Street, a les pieds au sec mais a subi des dégâts. D'autres clubs du "Vieux Carré" ou " French Quarter ", auraient été pillés. Partout, les risques d'incendie demeurent. On craint aussi que les archives musicales de la ville, déposées à l'université de Loyola, ne soient endommagées. En tournée, de passage à Detroit, le chanteur Dr John a récupéré les batteurs de son groupe. En revanche, il est toujours sans nouvelles de sa section cuivres, et tous ses musiciens sont désormais sans-abri. Il réitère cependant sa foi en la musique "qui permettra à la Nouvelle-Orléans de se reconstruire".

Car la richesse culturelle de la Nouvelle-Orléans est faite de tous ses musiciens, des Noirs pour la plupart, interprètes et instrumentistes, qui se produisaient dans les orchestres et les formations, paroliers, compositeurs, ingénieurs du son, producteurs de musique... Où sont-ils ? Qu'ont-ils pu sauver ? Il faudra attendre le retrait des eaux pour établir un bilan des pertes en vies humaines comme en talents artistiques. La Nouvelle-Orléans est devenue un mythe pour avoir donné à l'Amérique noire sa musique classique et au monde l'un des plus profonds bouleversements artistiques du XXe siècle: le jazz. Surnommée "Crescent City", elle est aussi le symbole du brassage des populations américaines, européennes et africaines. Fondée par les Français en 1718, dans une région peuplée d'Indiens, passée aux mains des Espagnols, revenue à la France, vendue aux Etats-Unis, haut lieu de la traite négrière, la Nouvelle-Orléans accueille aussi bien les acteurs de la révolution antiesclavagiste menée par Toussaint Louverture en Haïti que les maîtres français et leurs esclaves chassés par l'indépendance de l'île en 1804. Depuis sa fondation, la ville brasse et recycle des éléments culturels venus de trois continents.

Aussi Quint Davis, patron du New Orleans Jazz & Heritage Festival, le "Jazz Fest", devenu depuis sa création, en 1970, l'un des plus grands festivals de musique de la planète, cherche-t-il depuis plusieurs années le secret de la rythmique de la Nouvelle-Orléans. Est-elle née au Bénin, où sont nés nombre d'esclaves africains, comme le grand-père de Toussaint Louverture ? Vient-elle des contacts entre nègres "marrons" (fugitifs) et tribus indiennes ? Lors du Carnaval, fête païenne pour les Occidentaux et mystique chez les descendants d'Africains, les "Marrons" descendaient en ville exhiber leurs plumes, leurs peintures corporelles apprises chez les "indigènes" réfugiés dans le delta du Mississippi. Une chose est certaine: c'est de ce mélange qu'est né une nouvelle forme musicale.

Le pianiste Jelly Roll Morton (1885-1941), métis fier de ses origines françaises, qui assura le passage du ragtime vers le jazz encore dans les limbes, se souvient de sa ville dans les toutes premières années du XXe siècle: "De chaque maison, la musique se déversait dans la rue. Les femmes se tenaient sur le pas de la porte et chantaient ou psalmodiaient des blues de toutes sortes, certains très tristes, d'autres très gais". Plus tard, la Nouvelle-Orléans a donné Louis Armstrong et Mahalia Jackson. Aujourd'hui la famille Marsalis, Willie DeVille, les Neville Brothers ou Daniel Lanois ont pris le relais. Ce sont eux qui se sont mobilisés les premiers pour faire face au cauchemar du cyclone.

Vendredi soir 2 septembre, sur le network NBC, les natifs de la ville, Aaron Neville, Wynton Marsalis, Tim McGraw, Harry Connick Jr. ont participé au "Concert for Hurricane Relief", aux côtés de vedettes de Hollywood comme Hilary Swank, Richard Gere, Glenn Close. Aaron Neville a particulièrement ému avec son interprétation de la chanson de Randy Newman, Louisiana 1927 , aux paroles prémonitoires: "Louisiana, they're tryin' to wash us away" (Louisiane, ils veulent nous noyer ).

Véronique Mortaigne et Claudine Mulard (à Los Angeles)
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / International
Un patrimoine dévasté, à l'exception du Carré français

 L a Nouvelle-Orléans, ainsi nommée en l'honneur du régent de France, fut fondée en 1718 par Jean-Baptiste Le Moyne. L'emplacement choisi, une zone marécageuse sur la rive gauche du Mississippi, au sud du lac Pontchartrain, était propice au mouillage des bateaux, mais aussi aux inondations. Dès 1722 deux ingénieurs du Roi, Adrien Pauger et Jean Leblond commencent l'édification d'un fort et des travaux d'assèchement et de protection de la petite colonie: construction de levées, de digues et d'un canal de drainage.

En 1763, quand la Louisiane est cédée à l'Espagne, la population avoisine les 3 200 âmes. Un peu plus d'un siècle plus tard, la ville rivalise avec New York comme port le plus grand des Etats-Unis. C'est en tout cas le plus important centre touristique et de plaisirs du pays, surnommé Fun City , puis Big Easy (la Grande Facile).

Tout se focalise déjà autour du Carré français, la ville originelle, de Canal Street, et de la Digue Sud, terminus de 150 rues où se retrouve une foule bigarrée, une file de marchands, de marins, de trafiquants, de policiers, de voyageurs aux yeux creusés par leurs nuits agitées. Créoles, Cajuns (Acadiens déportés du Québec), anciens esclaves et hispanophones, parachèvent un univers culturel à l'architecture fascinante, rythmé par la musique, les rites vaudous... et des inondations de plus en plus dévastatrices au fur et à mesure que grandit la ville.

MENACE PERMANENTE

Un siècle passe encore: la musique est devenue jazz, l'architecture a servi de cadre à quelques chefs d'oeuvre comme Un tramway nommé désir , de Tennessee Williams. La métropole de Louisiane, qui se trouve désormais protégée en théorie du lac Pontchartrain et du Mississippi par 460 km de digues mal entretenues, se trouve prise entre deux tentations, l'une consistant à développer le tourisme en profitant des ressources patrimoniales, l'autre consistant à protéger un patrimoine dont la dignité perdue retrouvait sa valeur sous le regard des touristes.

Un tourisme facile: toujours très concentré autour du Carré français, il s'est développé au point de rendre la ville insupportable à ceux qui exècrent Disneyland. Retapé une première fois dans les années 1920-1930, le Carré fut ainsi en partie étendu après la guerre, en partie maquillé. Puis des hôtels "louisianais" de plusieurs étages sont venus côtoyer les maisons traditionnelles à deux niveaux, reconnaissables à leurs colonnades et à leurs balcons de fonte d'inspiration hispanique.

En même temps un véritable souci patrimonial s'est manifesté à partir de 1974 avec la création du Preservation Resource Center (PRC). Ce centre de préservation des ressources patrimoniales a permis de révéler la véritable étendue de la ville ancienne, où se serrait, derrière les digues, une multitude de maisons de styles et d'origines très diverses: cottages créoles, longues maisons d'esclave, ou maisons de bois plus proches des maisons traditionnelles américaines avec leurs façades en "shingles" (bardeaux de bois sciés en biseau, vite montés, vite cloués). D'une très grande variété, généreuses de couleur et de décoration, fort éloignées en tout cas de toute forme d'austérité protestante, ces maisons étaient en partie abandonnées.

Grâce au PRC, plusieurs quartiers ont été restaurés et les populations aisées des banlieues conviées à les réinvestir à partir de 1988 (opération "Comeback"), malgré la menace permanente des cyclones ou des inondations. Il est vrai que, dans l'ordre des catastrophes urbaines annoncées, La Nouvelle-Orléans n'était pas placée en tête. Les dégâts restent à estimer. Beaucoup s'accordent pour considérer la ville perdue, à l'exception des beaux fragments du Carré qui semblent avoir été épargnés.

Frédéric Edelmann
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / International
L'industrie pétrolière des Etats-Unis mettra longtemps à se remettre des dégâts causés par le cyclone

 "L e passage de l'ouragan Katrina dans la zone pétrolière du golfe du Mexique a frappé les différents maillons de la chaîne des hydrocarbures ­ production-exploration, raffinage, transport et distribution ­ qui sont étroitement connectés": pour Axel Bush, analyste auprès de la revue spécialisée londonienne Energy Intelligence , le retour de l'industrie des hydrocarbures à la normale sera une opération de longue haleine. A en croire le ministère américain de l'intérieur, 88% de la production normale de la région était toujours arrêtée vendredi 2 septembre.

Le moyen le plus courant pour extraire le pétrole dans le golfe du Mexique est la plate-forme, monstre de métal d'une grande complexité construite pour résister aux conditions climatiques les plus extrêmes. Les 328 mécanos récoltent dans les entrailles du golfe une matière qui est un mélange d'eau, de pétrole et de gaz. Le pétrole et une partie du gaz sont renvoyés vers le terminal du Loop, principal port pétrolier au large des côtes de Louisiane, par un réseau d'oléoducs tapis au fond de la mer. Selon les experts, les parties les plus vulnérables d'une plate-forme sont le derrick qui soutient la tige immense plongeant dans les profondeurs de la mer, l'usine de traitement séparant les différentes substances et les oléoducs. Selon une première estimation, une vingtaine de plate-formes pétrolières auraient coulé ou auraient été gravement endommagées. S'il est trop tôt pour estimer l'ampleur des dégâts causés aux autres structures situées dans l'oeil du cyclone, le numéro un mondial de l'assurance ­ réassurance, le Lloyd's, a déjà prévenu les compagnies pétrolières opérant sur place que les primes augmenteront de manière substantielle.

ENVOLÉE DES TARIFS ATTENDUE

La reprise de l'extraction off shore dans le golfe se heurte d'abord à la pénurie actuelle d'infrastructures pétrolières de secours, conséquence de la flambée des cours de l'or noir. Les prix des pièces détachées s'envolent. Ainsi, dans le sud profond, le prix de location d'une plate-forme s'élève déjà à 500 000 dollars la journée, le double de l'an dernier. Par ailleurs, les hélicoptères, les barges ou les cargos ravitailleurs nécessaires pour procéder aux réparations manquent. "Cette tragédie vient au pire moment alors que le marché des équipements parapétroliers souffre de tensions terribles en raison de la flambée de la demande d'hydrocarbures" , affirme un sous-traitant de services off shore. Katrina n'a pas fait que des malheureux... Autre problème, l'impact médiatique des dévastations devrait accentuer les difficultés de recrutement d'ouvriers du pétrole malgré les gros salaires versés. Après le drame, jeunes géologues comme foreurs pourraient se détourner encore davantage d'une profession qui suppose une grande résistance et de lourds sacrifices.

Deuxième volet, le raffinage. L'activité d'au moins sept raffineries de la zone, qui constituent 12,5% de la capacité de production américaine, est toujours à l'arrêt. Celles-ci produisent pour moitié des produits "blancs" (essence), l'autre partie étant composée de "noirs" (fioul, bitume) et de gaz légers (butane, propane). En théorie, ces raffineries, malgré leur vétusté, sont capables de résister à des vents soufflant entre 200 et 300 km/h, ce qui était le cas de l'ouragan. La remise en route prendra plusieurs semaines, voire des mois. Il faudra attendre le rétablissement de l'électricité et le pompage de l'eau avant de mesurer l'importance réelle des dégâts. Le parc de raffineries aux Etats-Unis tourne actuellement à 97% de ses capacités, réduisant la marge de manoeuvre des majors pétroliers pour compenser la perte de production. De plus, les difficultés d'approvisionnement en brut provenant des champs off shore ont forcé des raffineries en amont, dans le Middle West, pourtant en parfait état de marche, à limiter leur production.

Troisième obstacle, le transport des produits pétroliers des raffineries aux centres de distribution, de gros (entrepôts) et de détail (pompes). La reprise progressive du fonctionnement des deux oléoducs importants desservant en essence le sud du pays, Plantation et Colonial, devrait rétablir l'approvisionnement. En dépit de l'autorisation donnée aux bateaux étrangers de convoyer l'essence et le diesel, une envolée des tarifs d'affrètement de pétroliers moyens spécialisés dans le transport de produits raffinés est à attendre.

Marc Roche
Article paru dans l'édition du 04.09.05


Le Monde / International
Katrina: le gouvernement Bush tente de faire taire les critiques

 L e gouvernement du président américain George W. Bush a lancé une campagne de communication tous azimuts dimanche  4 septembre pour contrer les critiques de plus en plus virulentes contre sa gestion des conséquences du cyclone Katrina.

La secrétaire d'Etat Condoleezza Rice et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld étaient attendus sur le terrain, sur les côtes du Golfe du Mexique, pour répondre aux nombreuses questions suscitées par les scènes de chaos ayant suivi le passage du cyclone.

De son côté, le secrétaire pour la Sécurité nationale Michael Chertoff, dont le département est en première ligne, devait répondre aux questions de plusieurs émissions télévisées dominicales.

Sous le feu des critiques pour leur manque d'anticipation et la lenteur des secours, les responsables américains tentent de convaincre le public qu'ils ne pouvaient prédire un tel désastre.

Katrina a frappé durement lundi la Louisiane, puis le Mississippi et dans une moindre mesure l'Alabama, trois Etats du sud. Les pluies diluviennes qui ont suivi, ont entraîné une montée des eaux et la rupture mardi d'une digue qui a inondé 80% de La Nouvelle-Orléans. Selon un sénateur républicain, David Vitter, le cyclone et les inondations ont peut-être fait en Louisiane "plus de 10.000 morts".

"C'est comme si une bombe atomique avait été larguée sur La Nouvelle-Orléans", a dit M. Chertoff.

TROP LONGUE ATTENTE

Mais les responsables locaux ne pardonnent pas à M. Bush d'avoir attendu mercredi pour écourter ses vacances, deux jours après le passage de Katrina, et d'avoir tardé à dépêcher l'armée et des secours.

Un sondage du Washington Post et de la chaîne ABC publié dimanche montre une nation divisée quant à la gestion de cette crise, avec 47% d'insatisfaits et 46% d'opinions favorables.

Plus d'une personne interrogée sur deux (51%) a estimé que la réaction des autorités fédérales a été insuffisante ou mauvaise, tandis que 48% l'ont jugée excellente ou bonne. Les deux-tiers ont estimé que Washington aurait pu être mieux préparé.

Katrina tombe mal pour le président, dont la popularité était déjà au plus bas dans les sondages et qui doit répondre à une opposition croissante à sa politique en Irak. Le président a admis, fait rare, que la réponse initiale n'était "pas acceptable".

UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR L'ACTION DE L'ADMINISTRATION

Mercredi, une première audition est prévue au Sénat dans le cadre d'une commission d'enquête sur l'action de l'administration avant et après Katrina.

Des questions brûlantes se posent: pourquoi les autorités fédérales semblent avoir été si peu préparées face un ouragan dont la puissance était connue 48 heures à l'avance ? Pourquoi l'administration a-t-elle échoué lors de ce premier grand test sécuritaire depuis les attentats du 11 septembre 2001 ? Bush a a tenté d'intensifier la réponse de l'administration ces derniers jours. Vendredi, le Sénat a approuvé une enveloppe de 10,5 milliards de dollars d'aide, et le lendemain le président a annoncé l'envoi de 7.000 soldats dans les zones affectées, ce qui portera le nombre de militaires déployés dans la région à 50.000.

Alors que la plupart des sinistrés sont pauvres et noirs, Bush a appelé à la rescousse la seule noire de son gouvernement, Condoleezza Rice, pour faire taire les critiques l'accusant de discrimination.

La secrétaire d'Etat a récusé toute accusation de racisme dans l'action du gouvernement, et devait se rendre dimanche dans son Etat d'origine, l'Alabama, pour constater les dégâts.

Donald Rumsfeld de son côté devait faire une tournée d'évaluation en Louisiane et au Mississippi avec le général Richard Myers, chef d'état-major interarmées.

Bush retournera sur le terrain lundi, après avoir survolé la région mercredi et visité des zones sinistrées vendredi.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 04.09.05 | 16h25


Le Monde / International
La mort du président de la Cour suprême des Etats-Unis complique la tâche de Bush

 I l est mort ce soir à son domicile d'Arlington en Virginie (est), entouré par ses trois enfants", a annoncé un communiqué de la Cour en évoquant la disparition du président de la Cour suprême des Etats-Unis, William Rehnquist. Son décès est intervenu en plein drame national avec la catastrophe du cyclone Katrina qui a ravagé une partie du Sud américain et submergé La Nouvelle-Orléans livrée pendant des jours au chaos.

BUSH DOIT DÉSIGNER LE NOUVEAU PRÉSIDENT DE LA COUR SUPRÊME

Le président George W. Bush a été informé de la mort de M. Rehnquist un peu avant 5 heures, dimanche, (heure française) et s'est déclaré "profondément attristé", a déclaré un porte-parole de la Maison Blanche, Jeanie Mamo. M. Bush qui a prêté serment deux fois devant M. Rehnquist pour inaugurer ses deux mandats successifs à la Maison Blanche en janvier 2001 et janvier 2005 fera une déclaration dans la journée de dimanche, a ajouté le porte-parole. Il appartiendra désormais au président George W. Bush de désigner un nouveau président, une décision que devra confirmer le Sénat américain. En juillet, le président Bush avait déjà procédé à la nomination d'un nouveau juge à la Cour suprême, John Roberts, un juge fédéral proche de son parti républicain, pour succéder à Sandra Day O'Connor, démissionnaire.

Le processus de confirmation de M. Roberts, 50 ans, doit commencer mardi prochain et il paraissait quasiment assuré d'obtenir le feu vert du Sénat. La bataille ouverte par la mort de M. Rehnquist pourrait être plus féroce. Mais tout dépendra en fin de compte du choix de M. Bush, qui avait surpris le monde politique en nommant M. Roberts, un homme inattaquable sur ses qualités de juriste et plutôt lisse sur ses prises de position publiques, notamment sur le droit à l'avortement qui divise encore la société américaine. Mais quoi qu'il en soit, la mort du président de la Cour suprême risque de provoquer une crise institutionnelle profonde aux Etats-Unis.

CONTRE L'AVORTEMENT

M. Rehnquist, un adversaire de l'avortement, doit son ascension à deux présidents républicains conservateurs. Il avait été nommé à la Cour suprême par le président Richard Nixon en 1972 et désigné à la tête de cette institution en 1986 par le président Ronald Reagan.

Né le 1er octobre 1924, ce fils d'un prospère grossiste de papier d'origine suédoise a grandi dans une banlieue de Milwaukee (Wisconsin, nord) à l'époque du "New Deal" du président Franklin Roosevelt. Il avait servi de 1943 à 1946 comme observateur météo en Afrique du Nord, avant de poursuivre de brillantes études à Stanford et Harvard, de sciences politiques, puis de droit, sortant major de sa promotion. Opposé aux droits des homosexuels, à la "discrimination positive" à l'égard des minorités ou aux limitations pour se procurer une arme, M. Rehnquist était un fervent partisan de la peine de mort et de la religion à l'école.

Longtemps, il a été le juge le plus conservateur de la Cour, n'hésitant pas à rédiger des opinions divergentes sur des décisions tranchées à 8 contre 1, s'attirant le surnom de "Justicier solitaire". En 2000, la Cour qu'il présidait avait en dernier ressort décidé de l'élection présidentielle où chacun des deux candidats refusait de s'avouer vaincu en raison d'un litige sur des comptages de voix. Le tribunal suprême avait rendu un avis, arrêtant le recomptage de bulletins, qui avait ouvert les portes de la Maison Blanche à M. Bush. Le cancer de la thyroïde dont souffrait M. Rehnquist avait été diagnostiqué en octobre de l'année dernière et malgré un traitement lourd, M. Rehnquist avait continué à assumer ses fonctions, la silhouette de plus en plus frêle et courbée. Il avait été admis à l'hôpital d'Arlington à la mi-juillet à la suite d'une fièvre. Très apprécié par ses collègues pour son sens de l'humour et son style décontracté, Rehnquist était célèbre en coulisses pour ses paris sportifs ou ses échanges de devinettes avec ses greffiers.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 04.09.05 | 09h52


Le Monde / International
Pour faire taire les critiques, George Bush se rend sur les lieux du désastre du cyclone

 S ous le feu des critiques pour la lenteur de sa réaction après le passage de l'ouragan Katrina, le président américain, George W. Bush, est attendu, lundi 5 septembre, pour la deuxième fois en moins d'une semaine dans les zones dévastées, à Baton Rouge, en Louisiane, et à Poplarville, dans le Mississippi.

Six jours après le passage de Katrina sur le golfe du Mexique et l'inondation de La Nouvelle-Orléans, personne ne connaît encore le nombre de victimes, mais des responsables gouvernementaux ont estimé qu'il pourrait se chiffrer en milliers. L'Etat de la Louisiane a avancé dimanche un premier bilan, très provisoire, de 59 morts, portant le total à des victimes à 218, en y ajoutant les152 morts au Mississippi et les 7 de Floride. "Quand on évacuera l'eau de La Nouvelle-Orléans, on va découvrir des gens qui sont morts en se terrant dans les maisons, qui ont été emportés par les inondations, des gens dont on retrouvera les restes dans la rue", a déclaré le secrétaire à la sécurité intérieure, Michael Chertoff. "Cela va être l'une des pires scènes qu'on puisse imaginer".

L'administration Bush a essayé de sauver la face dimanche en dépêchant des responsables dans les zones de la catastrophe. Ils se sont engagés à faire tout leur possible pour nettoyer La Nouvelle-Orléans et venir en aide aux réfugiés.

Alors que les autorités reprennent lentement le contrôle de la ville, des policiers ont tué quatre pilliards qui avaient ouvert le feu sur eux. Un cinquième se trouvait dans un état critique. Signe d'un retour à la normale - même si on en est encore loin - la compagnie Entergy a commencé à restaurer l'électricité dans certains quartiers de la ville.

Afin de contrer les critiques de plus en plus virulentes contre la gestion du gouvernement des conséquences du cyclone, la secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, et le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, étaient attendus sur le terrain, sur les côtes du Golfe du Mexique, pour répondre aux nombreuses questions suscitées par les scènes de chaos ayant suivi le passage de l'ouragan.

"PLUS DE 10 000 MORTS"

Sous le feu des critiques pour leur manque d'anticipation et la lenteur des secours, les responsables américains tentent de convaincre le public qu'ils ne pouvaient prédire un tel désastre.

Katrina a frappé durement lundi la Louisiane, puis le Mississippi et dans une moindre mesure l'Alabama, trois Etats du sud. Les pluies diluviennes qui ont suivi, ont entraîné une montée des eaux et la rupture mardi d'une digue qui a inondé 80% de La Nouvelle-Orléans. Selon un sénateur républicain, David Vitter, le cyclone et les inondations ont peut-être fait en Louisiane "plus de 10 000 morts".

Mais les responsables locaux ne pardonnent pas à M. Bush d'avoir attendu mercredi pour écourter ses vacances, deux jours après le passage de Katrina, et d'avoir tardé à dépêcher l'armée et des secours.

Un sondage du Washington Post et de la chaîne ABC publié dimanche montre une nation divisée quant à la gestion de cette crise, avec 47% d'insatisfaits et 46% d'opinions favorables. Plus d'une personne interrogée sur deux (51%) a estimé que la réaction des autorités fédérales a été insuffisante ou mauvaise, tandis que 48% l'ont jugée excellente ou bonne. Les deux-tiers ont estimé que Washington aurait pu être mieux préparé.

Katrina tombe mal pour le président Bush, dont la popularité était déjà au plus bas dans les sondages et qui doit répondre à une opposition croissante à sa politique en Irak. Le président a admis, fait rare, que la réponse initiale n'était "pas acceptable".

UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR L'ACTION DE L'ADMINISTRATION

Mercredi, une première audition est prévue au Sénat dans le cadre d'une commission d'enquête sur l'action de l'administration avant et après Katrina.

Des questions brûlantes se posent: pourquoi les autorités fédérales semblent avoir été si peu préparées face un ouragan dont la puissance était connue 48 heures à l'avance ? Pourquoi l'administration a-t-elle échoué lors de ce premier grand test sécuritaire depuis les attentats du 11 septembre 2001 ? M. Bush a tenté d'intensifier la réponse de l'administration ces derniers jours. Vendredi, le Sénat a approuvé une enveloppe de 10,5 milliards de dollars d'aide, et le lendemain le président a annoncé l'envoi de 7 000 soldats dans les zones affectées, ce qui portera le nombre de militaires déployés dans la région à 50 000.

Alors que la plupart des sinistrés sont pauvres et noirs, M. Bush a appelé à la rescousse la seule noire de son gouvernement, Condoleezza Rice, pour faire taire les critiques l'accusant de discrimination. La secrétaire d'Etat a récusé toute accusation de racisme dans l'action du gouvernement, et devait se rendre dimanche dans son Etat d'origine, l'Alabama, pour constater les dégâts.

Donald Rumsfeld de son côté devait faire une tournée d'évaluation en Louisiane et au Mississippi avec le général Richard Myers, chef d'état-major interarmées.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 04.09.05 | 16h25


Le Monde / Sciences
La circoncision pourrait réduire le risque d'infection par le VIH
Rio de Janeiro de notre envoyé spécial

 C' est l'événement scientifique de la troisième conférence sur les mécanismes de l'infection par le virus du sida (VIH) et son traitement. Pour la première fois, un essai clinique franco-sud-africain, présenté mardi 26 juillet, démontre que la circoncision de l'homme adulte permettrait une protection importante mais partielle (à 65%) contre l'infection par le virus du sida. Baptisée "ANRS 1265", l'étude promue par l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites (ANRS) a comparé le taux d'infection par le VIH chez des hommes jusque là séronégatifs, répartis de manière aléatoire dans deux groupes, l'un où la circoncision était pratiquée à cette occasion et l'autre d'hommes non circoncis. Tout en manifestant un grand intérêt pour ces travaux l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Onusida attendent les résultats d'essais similaires avant d'envisager de recommander la circoncision comme moyen de réduire le risque d'infection par le VIH.

La notion d'une association entre la circoncision et une moindre susceptibilité de devenir séropositif n'est pas inédite. Depuis 1986, plus de trente études dites "d'observation", conduites en Afrique subsaharienne et, pour l'une d'entre elles, en Inde, en avaient fait état mais sans pouvoir établir une relation de cause à effet. C'est à cette démonstration que s'est attaquée Bertran Auvert, professeur de santé publique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, à la tête d'une équipe associant des chercheurs de l'AP-HP et de son université regroupés au sein de l'Unité 687 Inserm en France, des chercheurs de l'Institut national des maladies transmissibles (NICD) et la société privée Progressus en Afrique du Sud. L'étude a été menée en Afrique du Sud, à Orange Farm, près de Johannesburg, où la prévalence du virus du sida est importante. Une enquête locale préalable avait montré qu'alors que 20% environ des hommes sud-africains sont circoncis, 70% des hommes âgés de 15 à 49 ans se déclaraient prêts à l'être si ce geste conférait une protection même partielle contre le VIH. Les investigateurs ont ensuite inclus 3035 hommes séronégatifs, âgés de 18 à 24 ans, tous volontaires pour être circoncis dans des conditions médicalisées. Après la répartition aléatoire, les hommes du groupe"intervention" ont eu immédiatement une circoncis, tandis qu'elle était différée de 21 mois pour ceux du groupe "contrôle" . Des visites de contrôle avaient lieu 3, 12 et 21 mois après l'entée dans l'étude. A chacune d'elles, comme au début de l'étude, les participants avaient des examens cliniques et biologiques, remplissaient un questionnaire sur leur comportement sexuel et recevaient les soins nécessaires, mais aussi des conseils de prévention sur les infections sexuellement transmissibles.

Dès la visite du troisième mois, une différence significative du nombre de contamination par le VIH est apparue entre les deux groupes et a été retrouvée par la suite. Après 21 mois de suivi, un total de 69 cas d'infection par la VIH a été mis en évidence, 18 s'étaient produites dans le groupe circoncis et 51 dans le groupe non circoncis, soit une protection de 65% chez les circoncis. "Dans notre essai, explique le professeur Bertran Auvert, la circoncision a permis d'éviter de 6 à 7 infections sur 10 injections potentielles". L'ampleur de la différence a amené un comité de surveillance indépendant à faire interrompre l'étude et à pratiquer sans délai la circoncision chez les hommes du groupe "contrôle" qui le souhaitaient. "Avant le démarrage de l'essai, nous n'étions pas du tout certains de détecter un effet protecteur. Les hommes circoncis auraient pu se penser à l'abri de l'infection et multiplier les prises de risque", commente Bertran Auvert.

Comment expliquer la réduction de la transmission du VIH liée à la circoncision ? Pour l'instant, les différentes hypothèses impliquent notamment un épaississement ("kératinisation") de la peau du gland chez l'homme circoncis, qui la rendrait moins perméable au VIH, et le fait que le prépuce, supprimé par la circoncision, soit riche en cellules dites "de Langerhans", qui possèdent de nombreux récepteurs pour le VIH. Mais, rien n'est encore établi.

"Il n'est pas possible de dire à partir de nos résultats que la circoncision est une méthode qu'il faut appliquer d'ores et déjà à tous les hommes en Afrique", reconnaît Bertran Auvert. Le professeur Jean-François Delfraissy, directeur général de l'ANRS, souligne le "caractère robuste sur le plan scientifique de l'essai, mais souligne qu'il ne doit pas conduire à relâcher la promotion du préservatif".

Pour leur part, l'OMS et l'Onusida conservent une grande prudence, en particulier du fait des faux espoirs que l'étude franco-sud-africaine, qualifiée de "percée dans la recherche sur la prévention" par l'ANRS, pourrait soulever, et estiment nécessaire d'attendre les résultats des autres essais menés sur le même sujet en Afrique, avec des financements américains, avant d'émettre quelque recommandation que ce soit. Une étude va bientôt démarrer au Kénya, le recrutement des volontaires étant presque achevé, et une autre en Ouganda, pour laquelle l'inclusion des participants débute et qui aura l'avantage d'évaluer également les bénéfices que pourraient en tirer les femmes partenaires régulières des volontaires. Les résultats de ces essais ne seront pas connus avant deux ans. Pour Catherine Hankins, d'Onusida, "de même que pour la recherche sur les vaccins et sur des microbicides, il y a besoin de confirmer ces résultats prometteurs avant de recommander d'ajouter la circoncision aux autres interventions éprouvées pour empêcher la transmission du VIH, comme le préservatif. Il faut aussi tenter d'appréhender le risque de favoriser des comportements à risque". Quant à Charles Gilks, de l'OMS, qui s'interroge "sur la manière dont les populations concernées réagiront à ces nouvelles", il estime que son organisation "doit dès à présent faire des recommandations sur les conditions sanitaires dans lesquelles les circoncisions doivent avoir lieu et travailler avec les praticiens de médecines traditionnelles locales, qui ne sont pas convenablement formés à l'hygiène." L'essai soulève, on le voit, beaucoup de questions sur la traduction possible dans la vie réelle de données expérimentales, comme cela sera le cas lorsque les premiers vaccins préventifs ne conférant qu'une protection partielle contre le VIH seront disponibles d'ici peut-être une dizaine d'années.

Paul Benkimoun
LEMONDE.FR | 05.09.05 | 13h57


Le Monde / Chats
Quel programme pour la droite ?
L'intégralité du débat avec Raphaëlle Bacqué, chef du service France au "Monde", lundi 5 septembre.

John: Le chômage peut-il être le moteur de changement ou de "rupture" avec la politique conduite depuis que M. Chirac est au pouvoir ?
Raphaëlle Bacqué:
Le chômage est la plaie de la France et le fait qu'il reste depuis tant d'années aussi haut a largement contribué au discrédit des hommes politiques en général. Villepin en a fait sa priorité. Aura-t-il des résultats significatifs en vingt mois, rien n'est moins sûr. Pour l'instant, le fait qu'il soit repassé en dessous de la barre des 10% ne montre qu'une baisse marginale. Sarkozy a fait de la relance plus globale de l'économie son programme. Pour marquer la rupture, en 2007, il faudra probablement aborder les difficultés de la France bien au-delà du chômage: le problème de son modèle économique et social, certes, mais aussi les difficultés de son système éducatif, de recherche, de son modèle d'intégration des immigrés...

Alfred: Les Français ne voient pas très bien où est la rupture de Chirac à Sarkozy à part un libéralisme encore plus agressif. Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ?
Raphaëlle Bacqué:
Pour l'instant, la rupture promise l'est seulement en discours et, effectivement sur deux ou trois points symboliques: la fiscalité, la discrimination positive. Pour autant, Sarkozy, s'il était élu à la présidence de la République, aurait, bon an mal an, la même majorité que celle de Chirac aujourd'hui. Mais Sarkozy fait le pari qu'il ne peut être élu qu'en proposant un changement, après douze années d'un pouvoir dont le bilan est mitigé, et qui fini par lasser

Monsters: Sur le fond, Villepin c'est l'actualisation de la social-démocratie française de droite, Sarkozy en est une version plus dure, mais finalement la rupture proposée est plus sur la forme que sur le fond. Y a-t-il un espace authentiquement libéral dans la lignée Reagan/Thatcher, et donc un candidat capable de proposer des réformes qui dynamiteraient le modèle social français ?
Raphaëlle Bacqué:
Pour l'heure, aucun candidat ne se réclame d'un libéralisme à la Thatcher et tous les scrutins ont montré que les Français ne sont pas prêts à voter pour un tel candidat. Cela dit, la France ne peut ignorer ce qui se passe chez ses voisins. Blair a relativement bien réussi sur le plan économique et il est certain que chacun regardera ce qu'une Angela Merkel, si elle devient chancelier d'Allemagne, lancera et réussira ou non pour l'économie de son pays. Si Merkel était élue et mettait en place le programme économique qu'elle promet, c'est-à-dire un programme très libéral, si celui-ci donne des résultats rapides, le débat sur notre système, sur le rôle de l'Etat, de la fiscalité, des syndicats et des entreprises prendra en France un tour plus aigu.

Ben: Pensez-vous que la rivalité entre Sarkozy et Villepin puisse être positive au gouvernement ou un frein ?
Charly: Le duel Sarkozy/ Villepin ne va-t-il pas agacer les Français qui ne s'y retrouvent pas dans ces conflits d'intérêts personnels, car ils sentent bien que les vrais sujets ne sont pas traités.
Raphaëlle Bacqué:
Globalement, on peut considérer que cette rivalité pousse chacun à proposer, à tester, à inventer de nouvelles idées. Sans doute Villepin n'aurait-il pas fait ses propositions fiscales s'il n'avait pas voulu contrer d'abord et avant toute chose Sarkozy, qui doit faire les siennes cette semaine. Mais cela "use", d'une certaine façon, les deux hommes. Les Français s'agacent à l'évidence de leurs échanges, même si cela nourrit d'une certaine façon le spectacle du pouvoir. Sarkozy a sans doute plus à y perdre que Villepin, qui est désormais son challenger. Il courait en tête, le voilà concurrencé, déstabilisé, agressif du coup. Désormais, la bataille se fera aussi sur la capacité de chacun à revenir à la fois sur le fond, aux yeux des Français, et à prendre l'ascendant sur l'autre.

NICOLAS SARKOZY "PREND BEAUCOUP DE RISQUES"

Vivien: Nicolas Sarkozy n'est-il pas en train de se brûler les ailes en étant si direct concernant la présidentielle ?
Raphaëlle Bacqué:
Il est certain qu'il prend beaucoup de risques. Ainsi, était-il utile de redire qu'il est candidat – chose que chacun a comprise depuis longtemps –, alors même que Jacques Chirac est hospitalisé ? Les Français peuvent comprendre l'ambition si elle ne fait qu'accompagner l'expression d'un discours et d'un programme qui paraît pertinent sur le pays. Si elle le remplace, elle devient indécente...

Cerdan: Les déclarations de Nicolas Sarkozy qui fustigeait l'immigration qui cause le surpeuplement et le drame de l'incendie du boulevard Auriol..., le programme de la droite n'est-il pas tant de récupérer les 20% du Front national plutôt que de créer une meilleure collaboration avec le centre droit ?
Raphaëlle Bacqué:
Il est clair que Nicolas Sarkozy a objectivement (en dehors de toute considération morale) un espace politique à prendre de ce côté-là: Jean-Marie Le Pen est en fin de règne et tout montre qu'une grande partie de son électorat tient d'abord par le charisme de ce chef. Le Pen affaibli ou disparu, une part des 20% du FN est en déshérence. Aujourd'hui, toutes les enquêtes d'opinion montrent qu'après Le Pen, l'homme politique qui séduit le plus les électeurs du FN est Nicolas Sarkozy. Pour autant, il peut glaner des voix à droite, mais il ne peut se permettre de perdre le centre droit. Jusqu'ici, en effet, la présidentielle en France se fait, du fait des traditions et des clivages politiques, presque toujours au centre. C'est ce qu'a compris Dominique de Villepin qui challenge Sarkozy sur ce côté-là en proposant ce qu'il appelle "la croissance sociale" qu'il veut opposer au programme libéral du président de l'UMP.

François: Mais "l'héritage Chirac" est-il vraiment celui dont un candidat pour 2007 doit se revendiquer ? N'y aura-t-il pas, là aussi, besoin d'un "droit d'inventaire" ?
Raphaëlle Bacqué:
Bien sûr. Le bilan de Jacques Chirac reste très médiocre, et si Villepin peut revendiquer un héritage affectif, l'héritage politique, lui, est mince et plutôt négatif. C'est bien toute la difficulté pour Villepin. Samedi, cependant, il a revendiqué largement l'héritage Chirac dans un discours remanié après l'annonce de l'hospitalisation du président. Jusqu'ici, en effet, le premier ministre avait pris soin de ne jamais citer le chef de l'Etat, à la fois pour prouver son autonomie et pour éviter justement qu'on lui renvoie les insuffisances des dix premières années de pouvoir chiraquien. Si Villepin veut gagner, il devra d'une façon ou d'une autre prouver qu'il est un homme neuf ou en tout cas proposant un programme et un mode de pensée nouveaux. Oui.

"2007 SERA VRAIMENT L'OCCASION DE CHANGER DE GÉNÉRATION"

Charly: L'ennui de santé du président ne met-il pas un point d'arrêt définitif à sa candidature potentielle en 2007 ?
Raphaëlle Bacqué:
Oui, absolument. Jusqu'ici, il pouvait laisser planer le doute (encore que personne n'y croyait vraiment et pas même ses amis). Aujourd'hui, il devient clair aux yeux de tous qu'il a vraiment son age (72 ans). Qu'il en aura 74 en 2007 et qu'à cet âge, sa santé est forcément plus aléatoire. Bref, 2007 sera vraiment l'occasion de changer de génération. Au moins à droite.

Ibmer: En concentrant ses efforts sur une "croissance sociale", Villepin ne risque-t-il pas de semer la confusion dans l'esprit des Français vis-à-vis du parti socialiste qui semble avoir davantage de crédibilité face à ces idées ?
Raphaëlle Bacqué:
Le Parti socialiste, pour l'instant, est largement empêtré dans ses problèmes internes et n'est pas encore suffisamment fort pour revendiquer quoi que ce soit. Ce que tente Villepin, c'est surtout de refaire "le coup de la fracture sociale" chère à Chirac. Bref, il tente plus de repousser Sarkozy vers sa droite que de prendre la place du PS. Lorsque le PS aura choisi son candidat et son programme, on verra alors si Villepin peut conserver cet espace "plus social".

Apartnous: Vous dites que le bilan de Jacques Chirac reste très médiocre ... Pourriez-vous préciser par rapport à qui et sur quoi ?
Raphaëlle Bacqué:
Il reste très médiocre... par rapport à tout ce qui avait été promis, d'abord en 1995 puis en 2002. Très médiocre ensuite par rapport à nos voisins européens. Chômage persistant à des taux énormes, chercheurs en crise ou qui partent à l'étranger, fiscalité dissuasive, compliquée, souvent injuste, difficultés au sein de l'éducation nationale, crise du logement... Bref, pour l'instant, le bilan le plus positif de Chirac reste d'avoir refusé l'engagement dans la guerre en Irak.

LE "PREMIER FLIC DE FRANCE" FACE À "L'HÉRITIER DU GAULLISME"

Baobab: Si Chirac ne se représente pas, va-t-il enfin oser une politique avec Villepin pour couper un peu d'herbes sous les pieds à Sarkozy ?
Raphaëlle Bacqué:
Cela peut en effet être un espoir. Toute la difficulté reste le temps: vingt mois nous séparent de la présidentielle. C'est très peu pour engager de vraies réformes. D'autant plus que Villepin n'a pas une cote de popularité extraordinaire, que la droite parlementaire va justement commencer à se diviser entre "sarkozystes" et "villepinistes" et que rien ne dit que nous n'aurons pas encore dans les mois qui viennent des mouvements sociaux.

Cohelet: La "croissance sociale" n'est-elle pas pour Villepin une façon de gagner du temps ( voir art. Eric Le Boucher) en faisant un peu de tout pour occuper le terrain et laisser voir une "hyperactivité" ? Est-ce une bonne stratégie pour les 2 ans à venir ?
Raphaëlle Bacqué:
Eric Le Boucher, évidemment, a vu juste. Est-ce une bonne stratégie? C'est une stratégie de prudence politique. Il veut à la fois paraître bouger et, en même temps, prend aussi peu que possible le risque de déclencher un mouvement social. Toute la difficulté est qu'en 2007, probablement, chacun votera aussi pour le candidat qui lui fera le moins peur. Cela peut donc marcher. Mais il garde beaucoup de handicaps: une relativement faible popularité, une situation économique mauvaise et il n'a pas le parti (l'UMP) à sa main, ce qui veut dire qu'il ne tient pas le nerf de la guerre, contrairement à Sarkozy.

Dahmani: Le discours de Villepin est plus consensuel, gaullien, et il garde une image qui flatte les Français alors que les propos au Kärcher de Sarkozy l'éloignent de la doctrine gaulliste. Sarkozy reste un bon flic comme Pasqua, et il n'a toujours pas pris l'habit d'un présidentiable. Qu'en pensez-vous ?
Raphaëlle Bacqué:
C'est bien vu. Un bon candidat tient à la fois au caractère, aux idées, aux circonstances. Sarkozy, en reprenant ses habits de ministre de l'intérieur, redevient effectivement le premier flic de France avec ses coups de menton et ses interventions musclées. Sa "peopleisation " et son agressivité nuisent à l'évidence à son image de candidat potentiel. Alors que Villepin mène très habilement sa communication. Pour autant, attention, les Français sont-ils si attachés au "gaullisme" que Villepin est censé incarné ? L'action musclée de Sarkozy le rend-elle impopulaire ? Il n'a pas perdu un point de popularité avec l'épisode du Kärcher...

Inlovewith-Raphaelle: L'électorat de droite supportera-t-il (dans tous les sens du terme) un candidat potentiellement "célibataire" et/ou divorcé ? Le départ de Cécilia, en dehors des excès people, n'est-il pas un événement de premier plan qui va peser dans la campagne de 2007 ?!
Raphaëlle Bacqué:
En communication, on dirait que cela se "gère". Il peut d'abord retrouver une femme, ou montrer qu'un divorcé, cela ressemble après tout à des millions de Français. En fait, le problèmes est plutôt lié justement aux excès du people. Cela lui fait perdre beaucoup de crédit, de sérieux. Il apparaît tout de même dans le rôle du mari trompé, on voit qu'il est déstabilisé, il est justement plus agressif et cela jette du coup un doute sur sa capacité à décider sereinement. Capacité indispensable pour un chef de l'Etat.

Baobab: Sarkozy craint-il Bayrou ?
Ndelame: Et l'UDF ? est-elle capable de s'émanciper de l'UMP, Bayrou peut-il proposer une alternative crédible à Sarkozy ?
Raphaëlle Bacqué:
Jusqu'ici, Bayrou a beaucoup tapé sur Chirac et, confère tout ce que nous avons dit jusqu'ici, il perd maintenant son meilleur ennemi. Sur le plan électoral, on voit bien que son électorat reste un électorat de droite et que, dans les partielles, il y a assez peu de déperdition: les électeurs d'un candidat UDF au premier tour, se reportent généralement sur l'UMP. Je ne crois pas qu'il ait les forces suffisantes et le positionnement adéquat pour être une alternative à Sarkozy. Mais il peut considérablement gêner le candidat de la droite à la présidentielle, s'il continue de taper comme il le fait sur tout ce qu'a fait le gouvernement.
Voici. La bataille est maintenant engagée. Elle va nous fournir bien des sujets de curiosité et d'exaspération. Donc à bientôt pour un autre chat. Raphaëlle Bacqué.

Chat modéré par Constance Baudry et Fanny Le Gloanic.
LEMONDE.FR | 05.09.05 | 20h25


Le Monde / Opinions
Point de vue
Pourquoi j'ai démissionné du Grand Orient, par Alain Bauer

 C ette année, le Grand Orient de France fête un anniversaire. Il commémore un morceau de son histoire qui l'a marqué profondément. Non pas la centenaire loi de séparation des Eglises et de l'Etat, son grand oeuvre laïque, mais le dixième automne de son funeste convent de 1995.

Cette année-là, pour la première fois dans son histoire hors périodes de conflits ou de persécutions, l'assemblée générale n'arrivait pas à se mettre d'accord et renvoyait tout le conseil de l'ordre se ressourcer à la base. Il aura fallu le lent travail de reconstruction mené par Jacques Lafouge, Philippe Guglielmi et pour une part moi-même, pour redonner sa stabilité à la plus ancienne et la plus importante obédience maçonnique française.

Pendant que ces combats de clans et d'appareils dévastent le paysage maçonnique national, les loges continuent imperturbablement d'accueillir avec chaleur, de travailler avec efficacité, de dialoguer avec la société. Mais, depuis la fin 2003, le circuit de communication, le haut-parleur de la franc-maçonnerie semble brouillé. Après les célébrations communes à toute la franc-maçonnerie française, cet appel d'air formidable qui avait rendu le travail des loges visible, une fois amorcé le travail de mise en place d'une législation favorisant la liberté de la recherche dans le domaine bioéthique ou le droit de mourir dans la dignité, le système qui asphyxie les ateliers a repris le dessus.

Au-delà des querelles d'hommes, des tailles et de couleurs de cordons, du délire qui parfois atteint quelques rescapés d'expériences politiques ou sociales malheureuses, des milliers d'hommes et de femmes, de frères et de soeurs engagés, honnêtes et sincères, sont souvent pris en otage par la recherche d'un illusoire pouvoir. Celui-ci oublie que la franc-maçonnerie accueille croyants et non-croyants, qu'elle doit permettre une recherche personnelle, spirituelle et symbolique et un engagement social et citoyen dans un cocktail aux proportions adaptées à chacun, qu'elle n'est pas enfermée dans un cube coincé au fond de catacombes.

La franc-maçonnerie a été de tous les combats pour les libertés individuelles et politiques. Liberté de la presse, d'opinion, de réunion, d'association, suffrage universel, abolition de l'esclavage, droits des femmes à choisir, laïcité. Le Grand Orient a été l'Eglise et le parti de la République et a construit la boîte à outil de la citoyenneté. Franc-maçonnerie rime avec démocratie. Mais la crise de la franc-maçonnerie anglo-saxonne, qui disparaît rapidement en termes d'effectifs, semble se conjuguer, dans les rares pays dynamiques (France, Belgique, Islande) avec une crise du contenu qui ne peut être ignorée si l'on ne veut assister au même phénomène d'obsolescence dans les années à venir.

La France est riche de la pluralité de ses parcours, de la diversité de ses obédiences, de la richesse de son patrimoine, de la force de sa maçonnerie féminine et mixte. Mais la bonne santé en termes d'effectifs, dont l'accélération a été sensible au tournant du millénaire, ne peut masquer le désordre dans l'expression collective, le manque de présence dans les grands débats de société.

Certes, à titre individuel, de nombreux francs-maçons agissent pour faire progresser la société. Mais il est de moins en moins possible d'intervenir ensemble. Comment peut-on être aussi heureux dans sa loge et aussi malheureux dans son obédience ? Durant vingt-cinq ans, j'ai essayé, avec l'aide de nombreux frères et soeurs, de faire évoluer le Grand Orient et la franc-maçonnerie. Quelques succès isolés ne peuvent suffire à ignorer l'inertie, la paralysie, les réticences au changement, à l'acceptation de la réalité.

J'en ai tiré toutes les conséquences lors du convent tenu depuis jeudi à Paris, en démissionnant du Grand Orient de France. Je souhaite que cette décision soit un signal pour que les loges affirment désormais leur droit de propriété sur leurs obédiences, en les libérant enfin des querelles de personnes, des clans et des structures dépassées qui les emprisonnent.

Alors que l'acacia, symbole du renouveau dans la mythologie maçonnique, semble bien fané, il n'est qu'une seule possibilité pour le faire refleurir: donner aux loges la possibilité d'engager la rénovation nécessaire. On peut parfois mélanger les couleurs du crépuscule avec les splendeurs de l'aurore. Il est largement temps de faire revenir le matin et de sonner midi, le temps du travail.


Alain Bauer est ancien grand maître du Grand Orient de France.

par Alain Bauer
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / Carnet
Nécrologie
William Rehnquist, un président de la Cour suprême des Etats-Unis très conservateur

 L e président de la Cour suprême des Etats-Unis, William Rehnquist, est mort dans la nuit du samedi 3 au dimanche 4 septembre, à Arlington (Virginie), à l'âge de 80 ans, d'un cancer de la thyroïde.

Il doit son ascension à deux présidents conservateurs qu'il ne décevra pas: Richard Nixon l'a nommé à la Cour en 1972 et Ronald Reagan l'a choisi pour être le seizième président de la Cour suprême en 1986. En trente-trois ans de carrière dans l'une des principales institutions américaines, il s'est imposé comme l'artisan d'une contre-révolution conservatrice dans le domaine judiciaire, restreignant les droits des suspects et des prisonniers, renforçant la peine de mort, limitant le pouvoir fédéral et celui du Congrès au bénéfice des Etats. Il n'a pu toutefois renverser la jurisprudence autorisant l'avortement.

L'ampleur du pouvoir politique de la Cour suprême est apparue au grand jour en décembre 2000, quand elle a décidé, par cinq voix contre quatre, d'arrêter le décompte des voix en Floride pour départager le démocrate Al Gore et le républicain George W. Bush, qui est ainsi devenu président des Etats-Unis, dans l'un des scrutins les plus serrés de l'histoire. Loin des feux médiatiques, William Rehnquist a usé de toute son influence et de toute sa persuasion lors de cet épisode très controversé.

Contesté pour ses choix politiques, il était respecté pour ses qualités de juriste et pour son autorité à la tête de la Cour. Il est considéré comme l'un des présidents de la Cour suprême les plus influents du XXe siècle, avec Earl Warren (1953-1969), connu du grand public pour avoir présidé la commission sur l'assassinat de John F. Kennedy.

Earl Warren était d'ailleurs l'une des cibles préférées, dans les années 1950, du jeune avocat républicain William Rehnquist. En 1957, il avait attaqué la "philosophie gauchiste" de la Cour suprême. Une grande partie de son travail a consisté, comme le souhaitait Richard Nixon, à se débarrasser de l'héritage de Warren et d'une Cour jugée trop proche des démocrates. Il accomplira sa tâche avec patience. Après avoir été l'unique ultraconservateur de la Cour, il a eu la satisfaction de voir les membres républicains devenir majoritaires.

William Rehnquist est né le 1er octobre 1924, à Milwaukee, dans le Wisconsin, dans une famille d'origine suédoise et conservatrice. Pendant la seconde guerre mondiale, il a été affecté au service météorologique de l'armée de l'air en Afrique du Nord. Après guerre, il fait des études de politique et de droit à Harvard ­ qu'il trouve trop à gauche ­ et à Stanford. Il est major de sa promotion, qui compte également Sandra Day O'Connor, qui le retrouvera à la Cour suprême, et qui a annoncé sa démission en juillet.

ÉCARTELER LES ROSENBERG

Il commence sa carrière comme assistant du juge Robert Jackson à la Cour suprême. Dans une note, il affiche son soutien aux lois de ségrégation raciale à l'école, en précisant qu'il se rend compte que "c'est une position impopulaire et antihumanitaire, pour laquelle - il sera - fustigé par - ses - collègues gauchistes". Il se prononce aussi contre la suppression de la discrimination raciale dans les endroits publics. Mais, lors de ses auditions pour sa nomination à la Cour suprême, il niera être hostile aux droits civiques. A propos des époux Rosenberg, exécutés pour espionnage au profit des Soviétiques, il suggère que "l'écartèlement" vaudrait mieux que la chaise électrique.

En 1964, il travaille avec le candidat républicain ultraconservateur Barry Goldwater, qui est battu par Lyndon Johnson. En 1969, il intègre les équipes gouvernementales de Nixon comme conseiller du ministre de la justice, Richard Kleindienst, où il est remarqué pour ses compétences juridiques et ses idées conservatrices. Deux qualités qui vont lui permettre à la surprise générale d'être nommé à la Cour suprême. Il est apparu comme une solution de secours. En 1971, comme en 2005, deux places étaient vacantes à la Cour suprême. Nixon avait jusque-là peu prêté attention à ce juriste dont il connaissait à peine le nom, l'appelant "Renchburg" devant ses collaborateurs, en le traitant de "clown", car il portait une chemise rose.

En 1995, il décide d'ajouter quatre galons dorés à sa robe pour se distinguer de ses pairs. Ce qui aurait pu passer pour de la présomption est finalement accepté quand il avoue qu'il a pris l'idée du costume dans une des opérettes préférées de Gilbert et Sullivan. Ce solide joueur de poker aimait prendre des paris avec ses collègues et plaisantait souvent. Auteur de trois ouvrages sur le droit et l'histoire américaine, il a également écrit un roman policier, jamais publié, sur le ministère de la justice.

C'est aussi lui qui a présidé, en 1999, à la procédure d'impeachment à l'encontre du président Clinton, dans le cadre de l'affaire Monica Lewinsky. S'il n'avait pas de grandes affinités avec le président démocrate, il n'a pas participé à l'hallali mené par certains parlementaires républicains. Dans un livre précédent, il avait exprimé ses réserves à l'égard de cette procédure d'impeachment. Bill Clinton a été acquitté.

Alain Salles
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / International
La mort du juge Rehnquist relance la bataille de la Cour suprême
NEW YORK de notre correspondante

 C e devait être l'événement de la rentrée politique à Washington: le début du processus de confirmation du juge John Roberts, nommé en juillet à la Cour suprême pour remplacer Sandra Day O'Connor, démissionnaire. Les auditions devaient commencer mardi 6 septembre au Sénat. Depuis six semaines, la presse et les partis avaient passé en revue les moindres écrits du juge. On avait examiné des milliers de pages des archives de l'ancien président Ronald Reagan, à la recherche d'indices pour savoir ce que pensait le jeune John Roberts ­ qui travaillait alors au ministère de la justice, ­ de l'avortement, de la protection des salariés, de la "clause de commerce" inscrite dans la Constitution...

Mais deux événements sont venus bousculer le calendrier: le cyclone Katrina, avec une possible remise en cause de l'ordre du jour législatif (le président pourrait même renoncer à présenter son projet de suppression de l'impôt sur les successions); et la mort, alors qu'on ne s'y attendait plus, du président de la Cour, William Rehnquist, 80 ans, dont trente-trois passés à la Cour.

Le juge était atteint d'un cancer à la thyroïde. Des rumeurs, diffusées plutôt dans les milieux conservateurs, l'avaient donné démissionnaire en juin. Il avait dû publier un communiqué de démenti pour se débarrasser des photographes qui traquaient ses départs quotidiens pour la Cour, fidèle à la tâche malgré cancer et trachéotomie.

Au début de l'été, le départ anticipé de M. Rehnquist aurait fait les affaires du président américain. M. Bush était à la recherche d'un successeur pour Mme O'Connor. Il hésitait entre un juriste modéré, à l'image de la première femme ayant jamais siégé à la Cour, ou un conservateur plus radical à l'image d'Antonin Scalia, qui est à la Cour suprême ce que les néoconservateurs sont au département d'Etat. Avoir deux juges à désigner en même temps lui aurait permis de satisfaire la droite chrétienne dure, qui compte sur la nouvelle Cour suprême pour remettre en cause le droit à l'avortement, et les centristes qui ne souhaitent pas voir se rallumer la guerre culturelle.

Intervenant en plein questionnement sur le fonctionnement du gouvernement et sur le fédéralisme, la mort du "Chief Justice" a plongé la classe politico-médiatique dans la réflexion. Les auditions de confirmation du juge Roberts devraient être reportées, sur la suggestion des démocrates. Ils veulent pouvoir rendre hommage au juge Rehnquist, prendre la mesure du changement de "climat politique" introduit par le cyclone Katrina et réfléchir à leur stratégie. Jusqu'ici, ils n'avaient pas annoncé une opposition de principe à la confirmation de M. Roberts, bien qu'une partie de leur "base" y soit hostile, notamment chez les femmes.

Le président, qui a déjà de nombreux dossiers urgents à traiter, avec la situation dans le Golfe du Mexique, l'Irak et le prix du pétrole, doit maintenant choisir un successeur à M. Rehnquist, une décision lourde de conséquences puisque les magistrats sont nommés à vie. Après avoir rendu hommage à l'"homme de caractère et d'engagement" qu'était M. Rehnquist, il a indiqué qu'il procéderait rapidement à un choix. Il peut élever le juge Roberts au rang de président de la Cour, ce serait son option privilégiée, selon le New York Times; choisir un juge faisant déjà partie de la Cour ­ les conservateurs rêvent d'Antonin Scalia ­ ou choisir une nouvelle personnalité. Il peut aussi rappeler Mme O'Connor, cette fois pour présider la Cour.

Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / International
ANTOINE GARAPON, secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice (IHEJ)
"La Cour pousse à aborder les questions en termes moraux et non pas politiques"

 V ous avez publié, en 2003, aux éditions Odile Jacob, avec Ioannis Papadopoulos, Juger en Amérique et en France. Comment peut-on définir la Cour suprême des Etats-Unis ?

La Cour suprême est une institution difficile à comprendre car elle n'a pas d'équivalent à l'étranger. C'est à la fois le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. Et ses attributions vont même bien au-delà. Un juriste américain a dit un jour, sous forme de boutade: "Aux Etats-Unis il n'y a qu'une seule loi, c'est la Constitution. Tout le reste n'est que règlements." C'est dire son importance. Les juges remplissent collectivement un rôle éminemment politique, mais sur un mode juridique.

Pour en rester aux deux exemples les plus célèbres que sont l'avortement ou la peine de mort, alors qu'en France, ces questions ont été tranchées par le législateur (respectivement par la loi Veil de 1975 et la loi Badinter de 1981), aux Etats-Unis, elles relèvent de la Cour suprême et doivent être formulées en termes juridiques. Ce n'est pas nécessairement une bonne chose, tant cela pousse à aborder des questions aussi graves en termes moraux et non pas politiques. En France ces débats sont clos, pas aux Etats-Unis !

C'est justement l'un des reproches que font les conservateurs à la Cour: vouloir "légiférer depuis les bancs de la magistrature". Pourquoi ce fonctionnement ?

Par pleutrerie du pouvoir politique. Jamais un président n'a osé se lancer dans une bataille politique sur ces sujets. Aujourd'hui la droite reproche aux juges d'être "activistes": le président Roosevelt leur adressait le même reproche à propos du New Deal; c'est dans la nature du système. Cela occasionne des confrontations violentes entre le Congrès et la Cour suprême, entre le législateur et la justice. Et c'est toujours la Cour qui revient en arrière.

Prenez le New Deal et la confrontation avec Roosevelt. La Cour a battu en retraite en conférant une présomption de constitutionnalité à tous les actes du Congrès. La Cour suprême concentre aussi sur les épaules de ses neuf membres plusieurs tensions très fortes. La tension Nord-Sud, par exemple, comme on l'a vu avec l'arrêt "Dred Scott" de 1857 -la Cour a refusé le recours d'un esclave affranchi au motif qu'il n'était pas citoyen des Etats-Unis parce que noir et esclave- . L'esclavage est une question politique qui a été laissée aux Etats. Aujourd'hui, les conservateurs chrétiens voudraient qu'il en soit de même pour l'avortement: que la question soit renvoyée aux Etats.

Dans votre livre, vous évoquez aussi une fonction symbolique...

Cette dernière est très forte: la Cour a en charge d'écrire le grand récit de la nation américaine en offrant aux citoyens ­ y compris aux plus modestes ­ de contribuer à ce grand récit par leur pugnacité judiciaire. Non seulement les étudiants en droit mais beaucoup de citoyens connaissent les décisions les plus célèbres ("Brown versus Board of Education of Topeka", de 1954, qui mit fin à la doctrine "séparés mais égaux" par exemple). Une telle identité constitutionnelle est difficile à saisir pour un esprit français qui privilégie le rapport politique dans un pays qui a usé une quinzaine de Constitutions en deux siècles. En France, cette fonction symbolique est dévolue à l'idée de République. Et c'est le Parlement qui en a la charge: on l'a vu encore récemment à propos de la laïcité dans la loi sur le voile. Aux Etats-Unis, c'est la Cour suprême qui aurait statué.

D'où l'importance de la personnalité des juges...

Lisez le dernier arrêt "Roper versus Simmons", du 1er mars, interdisant l'application de la peine de mort aux mineurs, pour voir de quelle manière le juge conservateur Scalia parle, dans son opinion dissidente, de l'Amérique...

Les juges écrivent eux-mêmes, d'ailleurs on reconnaît chacun à son style. En France, la personnalité des juges n'a aucune importance. C'est pourquoi, aux yeux de leurs collègues américains, ce ne sont pas vraiment des juges mais des experts juridiques qui appliquent techniquement la loi mais ne tranchent pas en conscience et en raison après avoir entendu tous les arguments soulevés par les citoyens.

Quelle importance faut-il attribuer à la nomination du juge Roberts ?

C'est la première décision modérée que prend -George- Bush depuis cinq ans. Il signe l'armistice. John Roberts n'est pas un "originaliste", c'est-à-dire qu'il ne partage pas la vision "exégétique" du travail du juge qui soutient que la Constitution contient déjà toutes les réponses aux questions qui lui sont posées.

Cette conception s'oppose à une interprétation prenant en compte l'évolution de la société, voire l'opinion internationale. Les juges de "common law" (le droit anglo-saxon) aiment à dire qu'ils n'inventent pas le droit mais qu'ils le découvrent dans la société (on est loin du volontarisme législatif à la française).

Dans le cas du juge Roberts, on est plutôt dans ce qu'on pourrait appeler une "configuration Ratzinger". Il a défendu un certain nombre de positions lorsqu'il appartenait à l'administration, mais on ne sait pas encore comment il tranchera quand il sera Benoît XVI, c'est-à-dire s'il est confirmé. Les juristes anglo-saxons parlent d'une théorie de la "transfiguration" qui se vérifie souvent pour des juges nommés à vie.

Propos recueillis par Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / Europe
Carla Del Ponte accuse les pays de l'ex-Yougoslavie de préparer les esprits au prochain conflit
LA HAYE correspondance

 P ressée par un calendrier serré, la procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), Carla Del Ponte, a de nouveau appelé l'Union européenne (UE) à maintenir la pression sur la Croatie et la Serbie-Monténégro tant que les trois fugitifs, les chefs politique et militaire serbes de Bosnie-Herzégovine Radovan Karadzic et Ratko Mladic et le général croate Ante Gotovina ne seront pas dans le box de La Haye.

L'ouverture des négociations d'adhésion de la Croatie à l'UE avaient été reportées le 16 mars 2005, suite à un avis négatif de la procureure du TPIY, qui devrait remettre un nouveau rapport mi-septembre. Par ailleurs, l'UE devra décider, le 5 octobre 2005, si elle commence ou non les discussions sur le processus de stabilisation et d'association avec la Serbie-Monténégro.

Les 1er et 2 septembre 2005, les ministres des affaires étrangères de l'UE ont rappelé l'obligation de coopérer avec la juridiction internationale. Mais huit chefs de gouvernement (Autriche, Italie, Grèce, Lituanie, Luxembourg, Malte, Slovaquie) ont adressé un courrier à la présidence britannique de l'UE, demandant l'ouverture immédiate des négociations avec la Croatie, estimant que cette ouverture contribuerait à la stabilité régionale.

LE DILEMME DE L'UE

C'est la thèse défendue par Zagreb. Fin août, la ministre des affaires étrangères de Croatie, Kolinda Grabar-Kitanovic, a affirmé devant le Parlement européen que l'ouverture des négociations encouragerait les pays de la région à accélérer les réformes. Elle apromis que le "plan d'action" initié par Zagreb en mars et destiné à localiser et transférer le général Ante Gotovina au tribunal de La Haye ne serait pas pour autant remis en cause.

Alors que la Croatie tente de court-circuiter la Suissesse, Carla Del Ponte estime "difficile d'imaginer que la Croatie, la Serbie-Monténégro (...) et la Bosnie-Herzégovine rejoignent l'Union européenne" en sachant que chaque nation prépare "idéologiquement le prochain conflit" . Dans un discours prononcé le 1er septembre, elle reconnaissait cependant le dilemme auquel est confrontée l'Union européenne: "Intégrer les Balkans de l'Ouest, avant même qu'un processus de réconciliation véritable soit établi et prendre le risque d'importer les conflits, ou attendre qu'une paix solide soit établie, mais cela pourrait prendre des décennies, et personne ne peut prédire ce qu'il arriverait dans le même temps."

"FORCER LES RÉFORMES"

Le report de l'ouverture des négociations en mars 2005 avait ancré l'opinion publique croate dans le camp des "eurosceptiques". Mais, pour Mme Del Ponte, l'intégration à l'UE ne se fera pas sans risques si les parties aux conflits de l'ex-Yougoslavie continuent de défendre une version officielle de l'histoire et de manipuler la mémoire collective en offrant aux générations futures mythes, légendes et héros. "La tendance naturelle de ceux qui sont au pouvoir ­ gouvernants, religieux et responsables de l'armée en particulier ­ est de créer et de construire des mythes" , éléments précurseurs de futurs conflits, accuse-t-elle.

Pour la procureure, l'UE doit maintenir ses positions parce qu'elle a "le pouvoir de forcer les réformes" . Selon elle, l'ouverture de discussions sur le pacte de stabilisation avec la Serbie-Monténégro le 5 octobre 2005 "mettrait gravement en péril la perspective d'une arrestation" de Ratko Mladic et "pourrait en réalité devenir un passeport pour l'impunité" . Au cours des derniers 18 mois, la coopération du TPIY avec la Croatie et la Serbie-Monténégro s'est, sous la pression de l'UE et des Etats-Unis, considérablement améliorée avec la livraison de nombreux inculpés à La Haye. Un relâchement des pressions ternirait l'espoir de voir un jour s'ouvrir le procès des trois chefs de guerre.

Stéphanie Maupas
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Secret-santé

 E n matière de santé du chef de l'Etat, il y a bel et bien une exception française, celle du secret. Aux Etats-Unis, où les médias n'ont aucun scrupule à enquêter sur la vie privée des hommes publics, la transparence totale est la règle sur la santé du président. Aucun détail n'avait été escamoté aux Américains lorsque Ronald Reagan avait subi, à plusieurs reprises, des interventions chirurgicales.

En France, on pratique un culte du secret qui a peu à envier à celui naguère observé par le Kremlin vis-à-vis des dirigeants de l'ex-Union soviétique. Ainsi, vendredi 2 septembre, peu après 20 heures, Jacques Chirac, qui aura 73 ans le 29 novembre, a été conduit à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, "pour un petit accident vasculaire ayant entraîné un léger trouble de la vision".

Venu, très discrètement, pour un simple contrôle, le président de la République doit se résoudre à passer la nuit sur place pour subir des examens complémentaires. Intervenus le lendemain, ceux-ci conduiront les médecins à décider de placer le chef de l'Etat sous surveillance médicale pendant une semaine. A ce stade, vendredi soir, seules quatre personnes ­ le secrétaire général de l'Elysée, Frédéric Salat-Baroux, la chef du secrétariat particulier, Marthe Steffann, ainsi que Bernadette et Claude Chirac ­ sont dans le secret. Ni le premier ministre, ni le ministre de l'intérieur, ni le ministre de la défense, selon les propres dires de l'Elysée, ne sont informés.

Ainsi, dans notre République, où le président, également chef des armées, est doté par la Constitution de pouvoirs très importants, ce dernier peut être victime d'un accident de santé, qu'il soit léger ou grave, et être hospitalisé sans que les différents pouvoirs de l'Etat ne soient mis dans la confidence. Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy devront attendre plus de douze heures pour qu'on daigne les avertir du "petit accident".

Ce culte du secret n'est pas nouveau. Georges Pompidou n'était victime que de "grippes à répétition" avant de décéder subitement, le 2 avril 1974. Son successeur, Valéry Giscard d'Estaing, avait promis la transparence sur sa santé avant d'oublier sa promesse. Pis encore, François Mitterrand décidait de publier des bulletins de santé semestriels mais, dès la fin de 1981, après la découverte de son cancer de la prostate, ceux-ci travestissaient la vérité au point que la santé du président était devenue un mensonge d'Etat.

Ce secret-santé au sommet de l'Etat sème le trouble et nourrit des inquiétudes peut-être disproportionnées. Les communiqués du Val-de-Grâce ne comportent aucun détail médical. On ne sait rien de l'origine, de la portée et des conséquences du "petit accident vasculaire" du chef de l'Etat qui pourrait entrer dans la catégorie de ce que les médecins appellent les "accidents ischémiques transitoires", plus fréquents autour de 70 ans. Mais, pour l'Elysée, l'important est visiblement de banaliser un incident qui vient inopportunément souligner l'âge du capitaine et éloigne la perspective d'un troisième mandat.

Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
L'Elysée reste vague sur l'hospitalisation de Jacques Chirac

 L' Élysée reste vague sur la santé du président. Depuis samedi 3 septembre, le palais confie officiellement à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, où Jacques Chirac est hospitalisé depuis vendredi soir et pour une semaine, le soin de communiquer les informations médicales. Mais sur le fond, médecins et collaborateurs du chef de l'Etat demeurent flous.

Les activités de la semaine sont "reportées"

L'agenda de Jacques Chirac pour la semaine du 5 au 9 septembre, publié par l'AFP vendredi 2 septembre à 19 h 22, prévoyait une rencontre franco-allemande mardi 6, une visite au centre de formation d'apprentis de Veolia Environnement, dans le Val-d'Oise, sur l'emploi des jeunes, mercredi 7. Le chef du gouvernement, Dominique de Villepin, présidera le conseil des ministres de mercredi. Quatre rendez-vous étaient annoncés pour vendredi, parmi lesquels un entretien avec le prince Albert de Monaco et la remise du rapport annuel du CSA. Ces activités " ne sont pas annulées, elles sont reportées" , a précisé l'Elysée, en raison de l'hospitalisation du président pour une semaine. En principe, le voyage de M. Chirac à New York, du 13 au 15 septembre, pour le sommet de l'ONU, est maintenu, sauf avis médical contraire, mais nombre de ses proches le jugent en privé, "déraisonnable."

Toutefois, la médecin-chef Anne Robert, chef du bureau de la communication et de l'information du service de santé des armées, a déclaré, lundi en fin d'après-midi, que le chef de l'Etat souffrait "d'un hématome de petite taille, expliquant le caractère isolé et limité du trouble de la vision". Constatant "une évolution très favorable" de l'état de santé de Jacques Chirac, Mme Robert a annoncé qu'il "devrait sortir dans quelques jours", sans préciser de date.

L'Elysée s'attache surtout à montrer que le président n'est pas diminué. Ce week-end, il a reçu à trois reprises des collaborateurs et lundi matin, le secrétaire général de l'Elysée Frédéric Salat-Baroux devait lui faire signer l'ordre du jour du conseil des ministres de mercredi qui sera exceptionnellement présidé par le premier ministre Dominique de Villepin.

Le secret du "petit accident vasculaire" dont Jacques Chirac a été victime vendredi 2 septembre, en début de soirée, occasionnant un "léger trouble de la vision", a été bien gardé, jusqu'au samedi, à 13 heures. Qualifié de "petit" et "léger", par les médecins du Val-de-Grâce, ce souci de santé nécessite néanmoins une semaine d'hospitalisation, après une nuit d'observation, de vendredi à samedi.

L'Elysée paraît aussi avoir mis du temps à prévenir le reste de l'appareil d'Etat: premier ministre, gouvernement et président du Sénat qui, en cas d'empêchement du président doit assurer l'intérim n'ont appris la nouvelle que samedi matin.

Vendredi soir, c'est pourtant l'inquiétude qui domine à l'Elysée, parmi le tout petit nombre de personnes informées. Jusqu'à 18 h 30, le président, coprince d'Andorre, a reçu les dirigeants de cette principauté: "il était parfaitement comme d'habitude. Il a fait son discours. Aucun signe ne permettait de prévoir quoi que ce soit", témoigne l'un de ses collaborateurs.

Un hôpital de pointe pour les personnalités

Situé boulevard de Port-Royal, dans le 5e arrondissement de Paris, l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce a la vocation d'accueillir les ministres et le chef de l'Etat (François Mitterrand, Raymond Barre, Jean-Pierre Chevènement, entre autres, y ont été hospitalisés). Avec 350 lits, c'est un hôpital de haute technologie doté de services de médecine nucléaire, de chirurgie viscérale et vasculaire, et de réanimation lourde. Une chambre particulière à "double entrée" pour permettre des allées et venues discrètes est en permanence réservée pour "une haute personnalité."

Remonté dans son bureau pour travailler encore une heure ou deux, M. Chirac, éprouvant une forte migraine et des troubles de vision à un oeil, appelle alors Jack Dorol, le chef du service médical de l'Elysée, présent chaque jour au Palais. Ce médecin, qui suit le président depuis l'été 2001, juge que de tels symptômes méritent un examen plus approfondi au Val-de-Grâce.

Selon l'Elysée, les deux hommes sont partis peu après 20h, avec le chauffeur, dans la voiture du chef de l'Etat, précédant l'habituelle "voiture suiveuse" du Groupe de sécurité de la présidence de la république (GPSR). Mais, dans une évidente volonté de discrétion, aucun motard n'accompagne ce détachement de la gendarmerie. A ce moment, seuls M. Salat-Baroux, Marthe Steffann, la chef du secrétariat particulier, et "naturellement" Bernadette et Claude Chirac, la femme et la fille du président, étaient au courant, a indiqué au Monde, le service de presse de l'Elysée. Les autres collaborateurs apprendront la nouvelle en venant travailler le samedi matin, ou par téléphone.

Personne n'est prévenu, car le président "pense faire un contrôle et revenir", justifie l'Elysée. En apprenant qu'il doit rester pour la nuit en observation, M. Chirac demande à son médecin de prévenir le secrétaire général de l'Elysée, qui doit lui-même avertir le chef d'Etat-major, le général Jean-Louis Georgelin. Le président fait savoir qu'il appellera lui-même le premier ministre, samedi matin, après avoir subi, très tôt, des examens complémentaires. C'est le message que, selon l'Elysée, M. Dorol est chargé de transmettre.

Le secrétariat particulier décommande, vendredi à 21 h 30, un rendez-vous du président, samedi à midi, avec plusieurs éditorialistes de la presse parisienne. Mais pas l'entretien dominical qu'il aime souvent avoir, comme c'est justement le cas ce dimanche, avec son ami Pierre Mazeaud, le président du Conseil constitutionnel. Espère-t-il encore, ce président fier de sa légendaire vitalité, revenir samedi soir ?

Pourquoi, surtout, M. Chirac ne prévient-il pas son premier ministre, alors qu'il est hospitalisé une nuit, ce qui n'est pas un mince événement pour un président de la République ? Cela reste surprenant, étant donné la proximité des deux hommes et le sens de l'Etat qu'ils affichent volontiers. Il l'appelle, selon la version de l'Elysée, à 9 h 30, samedi. Sur RTL, dimanche soir, le premier ministre dira qu'il a reçu l'appel présidentiel "vers 10 heures" samedi.

C'est aussi l'heure à laquelle Nicolas Sarkozy, assurera, dimanche soir sur TF1, avoir été prévenu. Au journal télévisé, le ministre de l'intérieur laisse entendre qu'il l'a été par un coup de fil de M. Salat-Baroux. Ce dernier avait d'ailleurs averti d'autres ministres, samedi dans la matinée. A la Baule, pourtant, à l'université d'été des jeunes de l'UMP, M. Sarkozy paraît apprendre la nouvelle de la bouche du premier ministre, vers 13 heures.

Les autres membres du gouvernement aussi. Mais le sujet est tabou. Lorsque la ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie, est interrogée par les journalistes, samedi soir à La Baule, elle coupe sèchement court à la conversation: "Il y a des communiqués cleans et clairs. Si on doit parler de ça, on se sépare. C'est la règle du jeu", dit-elle, pour ne pas être embarrassée.

L'Elysée se défend pourtant d'avoir trop longtemps gardé le secret, jugeant injuste ce débat sur la transparence. "Nous avions toujours dit que nous communiquerions dès que quelque chose de significatif surviendrait. Cet engagement a été tenu", plaide le service de presse du palais. "Il fallait d'abord que des examens complémentaires soient pratiqués, pour voir si la situation était évolutive ou non. Nous voulions que les informations soient les plus précises et les plus rapide possible", expliquent les collaborateurs du président, raison pour laquelle il a été décidé que le Val-de-Grâce communiquerait en premier, l'Elysée se contentant de confirmer l'information.

Ces troubles médicaux tombent au plus mal pour le chef de l'Etat, après les échecs accumulés jusqu'au mois de juillet, tandis que s'exacerbe la guerre de succession. Lui qui voulait se montrer cette année "très, très, très actif ", notamment sur le front de l'emploi, se voit obligé de marquer provisoirement le pas. Cet accident vasculaire remet aussi l'accent sur l'âge du président, 72 ans, que l'Elysée s'est ingénié à faire oublier et écarte l'hypothèse d'un troisième mandat.

Après l'épisode sur la surdité de M. Chirac, en novembre 2004, cet événement relance le débat sur la transparence à propos de la santé du président. L'Elysée a été pris en tenaille entre le désir de se démarquer du précédent Mitterrand, un secret de plusieurs années sur la maladie, et la volonté de sauvegarder, dès que les informations médicales le permettaient, l'image d'un président toujours aux manettes.

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
Dominique Paillé, député UMP des Deux-Sèvres
"Il faut mettre en place un collège de médecins désigné par les partis"

 Q uelle analyse faites-vous de la situation créée par l'absence d'informations précises sur la santé du président de la République ?

Cette situation vient brutalement rappeler que nous sommes en France confrontés à une crise de confiance vis-à-vis de nos institutions et de la classe politique. Les questions relatives à la santé du président de la République reposent le problème de la transparence de nos institutions, problème que nous nous étions engagés à régler au moment du départ puis du décès de François Mitterrand. Il est par conséquent plus que jamais urgent d'agir pour mettre en place un processus permettant de respecter le secret médical tout en obtenant que l'on ne cache rien d'important à nos concitoyens dès lors que le destin de la nation est en jeu.

Comment parvenir à concilier ces deux exigences ?

Des propositions ont, par le passé, déjà été faites. Le dispositif devant être mis en place devra être clair et fonctionner de manière régulière ainsi que dans les situations d'urgence comme celle que nous connaissons aujourd'hui. Le plus sage, selon moi, serait de confier aux partis politiques, censés animer la démocratie et garantir le pluralisme, le soin de désigner des médecins qui constitueraient un collège chargé de cette question. Chaque parti à l'Assemblée nationale et au Sénat désignerait un spécialiste et ce à chaque début de législature.

Quelle serait la fonction de ces médecins ?

Ce collège aurait une double mission. La première serait de se tenir informé régulièrement de l'état de santé du président de la République via les médecins traitants de ce dernier. La seconde serait, en cas de crise, de rédiger et de publier des bulletins médicaux à la fois précis et éclairants à partir desquels l'opinion pourrait se faire une véritable idée de la pathologie dont souffre le chef de l'Etat. Ce système offrirait l'avantage de garantir l'objectivité tout en assurant une rotation des membres de ce collège médical.

J'ajoute que ce système ne nécessiterait pas le recours à la loi, dès lors qu'il y aurait, sur ce thème, un gentlemen's agreement et un engagement sur l'honneur lors de la campagne présidentielle. Si tel n'était pas le cas, il nous faudrait légiférer. Mais il ne faudrait pas non plus donner à tout cela une solennité excessive.

Vous ne retenez donc pas l'adoption d'une procédure d'"impeachment" à l'anglo- saxonne ?

Non, cela ne me semble pas utile. Pour autant, je suis favorable à ce que l'on sorte d'un régime bâtard et que l'on obtienne un régime de séparation stricte des pouvoirs qui supprime le poste de premier ministre et que l'on instaure un poste de vice-président. Et de la même manière qu'aux Etats-Unis, quand le président n'est plus en situation de remplir ses fonctions, le vice-président prend sa place.

Disposez-vous personnellement d'informations plus précises sur l'état de santé du président de la République ?

Nullement. On a d'emblée annoncé une hospitalisation d'une semaine. Mais on peut aussi imaginer qu'il sortira de l'hôpital avant la fin de la semaine.

Si tel était le cas, ce serait une nouvelle forme de démonstration que des données médicales peuvent être instrumentalisées à des fins politiciennes.

Propos recueillis par Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
Les communiqués du Val-de-Grâce ne permettent pas de mesurer l'ampleur et les conséquences de l'accident

 S' ils permettent de formuler quelques hypothèses sur l'origine du mal dont a été victime Jacques Chirac, les termes du communiqué officiel, rendu public samedi 3 septembre, ne permettent pas d'en préciser l'origine, l'ampleur et les conséquences. Publié le lendemain, le deuxième bulletin médical n'apporte pas plus de précision.

Des informations rassurantes mais floues

"Le président de la République a été hospitalisé hier soir à l'hôpital du Val-de-Grâce pour un petit accident vasculaire ayant entraîné un léger trouble de la vision qui devrait disparaître en quelques jours": telle est la teneur du premier communiqué publié samedi 3 septembre au matin par l'hôpital du Val-de-Grâce. Le deuxième communiqué publié dimanche après-midi n'est pas plus précis. Il affirme que "l'état général" et le "bilan" de santé du président Chirac "sont très satisfaisants. La surveillance médicale se poursuivra, comme prévu, pendant encore quelques jours".

Pour sa part, Dominique de Villepin s'est voulu très rassurant, expliquant, dimanche, au "Grand Jury RTL-Le Figaro -LCI" que le chef de l'Etat ne souffrait que d'un "petit trouble de la vision sur un oeil" et qu'il venait de le voir ­ en fait samedi ­ "debout, marchant dans sa chambre". "Un pépin de santé, on peut l'avoir à 35 ans, a poursuivi le premier ministre. On peut avoir un double pontage à 50 ans et vous pouvez avoir un léger problème de vision à 72 ans."

"Petit accident vasculaire" et "léger trouble de la vision" sont des éléments qui veulent être a priori rassurants mais qui conduisent immanquablement les spécialistes de neurologie et de médecine cardio-vasculaire sur la piste cérébrale et sur celle de "l'accident ischémique transitoire" (AIT), cette entité pathologique qui se caractérise par l'apparition soudaine de symptômes de durée brève pouvant être aisément rapportés à une atteinte focale du système nerveux central ou à une atteinte oculaire.

"Le diagnostic d'AIT est difficile car il s'agit d'un phénomène fugace (d'une durée inférieure à une heure dans 60% des cas), qui souvent n'inquiète pas le malade, écrivent les docteurs Emmanuel Touzé et Jean-Louis Mas (hôpital Sainte-Anne, Paris) dans la quatrième et dernière édition du Traité de médecine des professeurs Godeau, Herson et Piette (Editions Flammarion).

"Les AIT constituent le signe avant-coureur le plus évident d'un infarctus cérébral: le risque d'infarctus, qui dépend de la cause de l'AIT et des facteurs de risques associés, est globalement estimé à environ 12% la première année et à environ 6% par an les années suivantes."

Pour ces spécialistes, le premier symptôme évocateur d'AIT est la "cécité monoculaire transitoire" , ce qui semble avoir été ici le cas. On peut, dans cette situation, situer l'origine de l'accident au niveau des artères carotides. Cet accident est le plus souvent décrit, par celui qui en est victime, comme l'amputation brusque, totale (ou parfois partielle) du champ visuel d'un oeil. Les malades parlent alors "d'une ombre" ou "d'un rideau" obstruant de haut en bas le champ visuel d'un seul oeil. Le diagnostic de cécité monoculaire ne peut toutefois être porté que si le patient a, au moment de l'accident, pensé à fermer successivement un oeil puis l'autre. On peut aussi, à ce stade, observer aphasie et troubles de la motricité et de la sensibilité.

"Le diagnostic d'AIT d'origine carotidienne pourrait être le bon mais la vérité est que, sur la base du premier bulletin médical, nous ne savons rien de l'origine et de la portée de l'accident dont a été victime le président de la République, observe le professeur Pierre Lasjaunias, spécialiste de neuroradiologie (hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre). En toute hypothèse, cette situation n'a rien d'exceptionnel ou de surprenant puisque l'épidémiologie nous apprend que la fréquence de tous les accidents vasculaires cérébraux augmente avec l'âge et singulièrement autour de 70 ans."

" Pour autant, poursuit-il, l'apparition, à cet âge, d'un signe oculaire impose de faire un bilan approfondi du système vasculaire, puisque l'on sait que ce signe peut être la conséquence d'un trouble du rythme cardiaque, d'une lésion athéromateuse carotidienne ou d'un phénomène spastique de nature migraineuse. Tout cela est d'une grande banalité dès lors que la personne est médicalement surveillée."

L'annonce d'une hospitalisation a priori programmée pour une durée d'une semaine laisse supposer qu'un traitement anticoagulant (ou vasodilatateur a été mis en place; traitement qui impose une surveillance étroite et pourrait réduire ses activités et ses déplacements. La compétence et le savoir-faire reconnus des équipes médicales militaires de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce (où François Mitterrand avait été brièvement admis en 1981 pour un premier bilan de son cancer de la prostate) font que les examens diagnostiques (doppler carotidien et IRM) ont pu être pratiqués en moins de deux jours.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
La sécurité du président ne dépend pas du ministère de l'intérieur

 L e président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, a eu du mal à masquer son irritation, dimanche soir sur TF1, lorsqu'il a été interrogé sur l'heure à laquelle il avait appris l'hospitalisation de Jacques Chirac. C'est samedi, "aux alentours de 10 heures" , que le ministre de l'intérieur dit en avoir été informé par le premier ministre, Dominique de Villepin. "Nous ne sommes pas médecins, on a été avertis, voilà, c'est ainsi" , a tranché M. Sarkozy.

Comment est-il possible que le ministère de l'intérieur découvre, pratiquement en même temps que l'opinion publique, l'hospitalisation du chef de l'Etat ? La décision a été prise, semble-t-il, en comité très restreint. Ainsi, un conseiller du président assure qu'il a lui-même appris la nouvelle le samedi, en fin de matinée.

DISCRÉTION

Cette discrétion a été permise par la singularité de la protection du président. Celle-ci est assurée par le Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Sa mission est d'entourer le chef de l'Etat, en public et en privé, en France et à l'étranger. A son arrivée à l'Elysée en 1995, M. Chirac a fait modifier la composition de ce service, qui ne regroupait jusqu'alors que des gendarmes. La parité est aujourd'hui respectée avec les policiers. Ils sont une soixantaine à se consacrer à sa sécurité.

Dirigé actuellement par un colonel de gendarmerie, le GSPR travaille étroitement avec le Service de protection des hautes personnalités (SPHP), chargé des voyages officiels. Etant directement rattaché à l'Elysée, le GSPR n'a donc pas de comptes à rendre à la direction générale de la police nationale (DGPN), poumon principal du ministère de l'intérieur.

Selon certains responsables policiers, l'Elysée a sans doute jugé que le problème de santé du président était mineur et pouvait se résoudre en quelques heures et en toute discrétion. L'hôpital militaire du Val-de-Grâce offre de ce point de vue toutes les garanties.

"S'il le souhaite, le président peut même, dans des cas exceptionnels, se déplacer dans la capitale sans protection particulière" , souligne un haut responsable policier.

Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
De Pompidou à Mitterrand, entre mensonges et silence

 L' annonce de l'hospitalisation de Jacques Chirac a relancé le débat sur la transparence au sujet de l'état de santé du président. Alors que celle-ci est une règle absolue aux Etats-Unis, ­ où les Américains ont pu suivre dans le détail les interventions chirurgicales subies par Ronald Reagan lorsqu'il était à la Maison Blanche ­, elle n'a fait l'objet en France que de proclamations de bonnes intentions non suivies d'effet.

Les Français n'ont appris la nature du mal ­ la maladie de Waldenstrom, une sorte de cancer du sang ­ dont souffrait Georges Pompidou qu'après sa mort, le 2 avril 1974. Pendant des semaines, ils ont observé l'extrême fatigue de leur président, au visage bouffi par la cortisone, sans qu'on évoque autre chose que des "grippes à répétition", puis des "crises d'hémorroïdes".

Devant l'émotion suscitée par de tels mensonges, le candidat Valéry Giscard d'Estaing prend l'engagement, au printemps 1974, de publier deux bulletins de santé par an. Une promesse aussitôt "oubliée" après son élection.

François Mitterrand la reprend à son compte en 1981. Il publie des bulletins de santé réguliers dès sa prise de fonction, à raison d'un tous les six mois. Il s'agit, explique alors l'Elysée, de rendre publiques "les informations que les Français sont en droit d'attendre de celui qu'ils ont choisi pour assurer la plus haute charge de l'Etat". "Le problème essentiel, dans la fonction que j'occupe, est que les ennuis de santé ne doivent pas être tels qu'ils puissent nuire à l'exercice de la fonction. C'est ça la morale qu'un responsable politique doit respecter" , ajoutait François Mitterrand, à la fin de 1981.

DE MINCES PROGRÈS

Ses "bulletins de santé" sont signés de son médecin personnel, Claude Gubler. Le progrès est mince, puisqu'il consiste à passer du silence au mensonge d'Etat.

Alors qu'il était atteint d'un cancer de la prostate depuis le début de son premier septennat, M. Mitterrand attend le mois de septembre 1992 ­ il est alors opéré à l'hôpital Cochin ­ pour en informer l'opinion. Après cette date, rien n'est modifié dans le rythme et le contenu laconique des bulletins officiels. L'Elysée maintient l'apparence d'une évolution normale et satisfaisante de la maladie du président. A charge pour les médias, de nouveau, de scruter sur le visage de ce dernier le moindre indice de l'aggravation de son état.

M. Mitterrand subit une deuxième opération de la prostate en juillet 1994. Son état de santé s'est profondément dégradé. Deux mois plus tard, le président y consacre une longue partie d'un entretien télévisé. Les Français ne découvrent l'ampleur de ses mensonges qu'après sa mort, le 8 janvier 1996.

La publication du livre du docteur Gubler, Le Grand Secret (Plon), fait l'effet d'une bombe: le praticien révèle qu'il a falsifié les bulletins de santé du président dès le début du premier septennat. Le livre est retiré de la vente à la demande de Danièle Mitterrand. Il ne reparaîtra que neuf ans plus tard.

Elu président, M. Chirac a, lui, promis de "donner toute information significative sur son état de santé". Fin des mensonges. Le silence reprend ses droits.

Jean-Baptiste de Montvalon
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
Le premier ministre souligne sa filiation avec le président de la République

 É loge funèbre ou déclaration de flamme ? Le vibrant hommage rendu par Dominique de Villepin au chef de l'Etat, samedi 3 septembre, trois heures après la nouvelle de son hospitalisation, n'a pas manqué de surprendre.

Si sa proximité avec Jacques Chirac est connue depuis longtemps, le premier ministre prenait soin, depuis sa nomination à Matignon, le 30 mai, de ne pratiquement jamais faire référence au président de la République. La priorité, pendant ces cent premiers jours, était d'exister politiquement. Sans doute parce que la faible légitimité politique propre du chef du gouvernement constituait son premier handicap.

Déjà, lors de sa conférence de presse de rentrée, le 1er septembre, Dominique de Villepin avait commencé à faire référence au chef de l'Etat, qu'il avait cité trois fois. Samedi 3 septembre, s'appuyant sur l'émotion entraînée par l'accident vasculaire de M. Chirac, M. de Villepin a cette fois clairement revendiqué l'héritage du président de la République.

A plusieurs reprises au cours de son discours devant les Jeunes populaires, le premier ministre a parlé de l'influence que le chef de l'Etat a exercée sur lui. Contrairement aux habitudes, le texte de son intervention n'a pas été distribué à la presse, ce qui laisse supposer que le premier ministre l'a modifié ou qu'il a largement improvisé. Sans doute pour le truffer d'allusions à Jacques Chirac. De fait, M. de Villepin ne regardait pas ses notes au moment d'évoquer le chef de l'Etat.

A 26 ans donc, comme il l'a dit samedi, M. de Villepin a "fait une rencontre: Jacques Chirac, et je lui ai voué ma fidélité" . C'était, selon lui, le troisième événement fondateur de sa vie, après la visite, à 10 ans, du village d'Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), où les nazis ont perpétré un massacre en 1944, et la découverte, à 20 ans, de sa fibre pour le service public.

FIDÉLITÉS ESSENTIELLES

"Au hasard de son chemin, au hasard des rencontres, chacun découvre ses fidélités, fidélités de hasard ou fidélités essentielles du coeur, de l'esprit", a expliqué le premier ministre qui, lorsqu'il croise M. Chirac, "est conquis par sa détermination, son humanité, son sang-froid au service de la France" et par sa "capacité à tenir la barre dans les pires épreuves" . Traduisez: le président est solide comme un roc.

Fin de la séquence nostalgie. M. de Villepin reprend ensuite le premier rôle et emploie la première personne du singulier pour se tourner vers son auditoire: "Aujourd'hui, j'ai besoin de vous pour regarder la vérité des choses en face."

Le temps est alors venu pour M. de Villepin de récuser le thème du déclin français et de son "décrochage" . Prenant acte des différences de sensibilité au sein de l'UMP, il corrige: "Nous sommes com-plé-men-taires", articule-t-il. Avant d'invoquer, à nouveau, l'ombre du commandeur: "Chacun est fidèle au cap fixé par le président de la République."

De nouveau, à l'évocation de Jacques Chirac, le premier ministre s'autorise une digression nostalgique. "Tout au long de ces années, j'ai beaucoup appris à ses côtés (...) de son courage, de ses choix, contre les habitudes, contre les fatalités, contre la résignation", affirme le premier ministre, qui se remémore ses moments de lutte commune avec le chef de l'Etat: "J'étais avec lui au métro Saint-Michel au moment où le terrorisme a si horriblement frappé notre pays. J'étais avec lui au moment où il a repris l'initiative en Bosnie en donnant l'ordre de reprendre le pont de Vrbanja quand tout le monde avait cédé." "J'étais à ses côtés au moment de la crise irakienne, car c'est la voix de la France qui a défendu la voie de la raison, de la paix et de la justice", dit encore le premier ministre. Il reprend ensuite le cours de son discours sur les atouts de la France et de son modèle social.

Plus tard dans la soirée, on apprendra que, plutôt que de différer ou d'annuler le conseil des ministres, M. Chirac a demandé à son premier ministre de le présider, mercredi 7 septembre. Le président ne pouvait sans doute pas ignorer que cet honneur rarissime tombe à pic pour célébrer les "100 jours" de M. de Villepin à Matignon et accréditer l'idée d'une autre relève possible que celle de M. Sarkozy.

Le lendemain, sur TF1, le premier ministre a tenté une nouvelle fois de convaincre de son absence d'ambition présidentielle. "Je l'ai dit jeudi soir, je le redis aujourd'hui (...). J'ai dit ce que j'ai dit et je le maintiens", a-t-il insisté.

Mais pressé de dire si cela signifiait qu'il renonçait par avance à une candidature à la présidentielle de 2007, il a botté en touche: "Je n'ai pas l'intention de vous répondre et surtout je n'ai pas l'intention tous les jours de répondre à une nouvelle question sur ce sujet."

Christophe Jakubyszyn
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
M. Hollande et le PS prudents sur la santé de M. Chirac

 L es socialistes, probablement gênés par le précédent de la maladie de François Mitterrand, ont choisi la prudence au sujet de l'état de santé de Jacques Chirac. L'annonce, samedi 3 septembre, de son hospitalisation, est survenue alors que François Hollande participait à la rentrée des militants socialistes du Pas-de-Calais, à Wingles, près de Lens. "Je n'ai aucune information, mais les Français doivent en avoir" , a-t-il aussitôt réagi.

Tout en adressant ses voeux de "bon rétablissement" au président de la République ­ "en démocratie, c'est bien le moins" , a-t-il dit ­, le premier secrétaire du PS a insisté sur "l'obligation de transparence" en matière de santé "des responsables politiques" . Mais aussi sur la "retenue"  nécessaire. Sur RTL, lundi 5 septembre, M. Hollande a par ailleurs écarté la possibilité d'un mandat raccourci pour M. Chirac, soulignant que "l'incident va bientôt être clos" .

Laurent Fabius a lui aussi considéré, lundi sur Europe 1, que l'attitude qui s'impose est "transparence, transparence, transparence" . Il s'est refusé à évoquer une possible accélération du calendrier électoral, estimant qu'"il ne faut pas supputer sur tel accident" .

Dimanche, dans un communiqué, Henri Emmanuelli n'a évoqué la santé de M. Chirac que pour juger "inconvenante", "la réaffirmation répétitive, obsessionnelle et narcissique" de l'"ambition présidentielle" de Nicolas Sarkozy "au moment où le chef de l'Etat est hospitalisé".

COMPÉTITION INTERNE

L'hospitalisation du président risque fort, pourtant, de relancer, au PS aussi, la compétition interne, déjà intense, entre les candidats à la présidentielle de 2007. Tous, à commencer par François Hollande, sont persuadés que la gauche va gagner cette élection.

Très déterminés à poser leur candidature, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn souhaitaient que la désignation du candidat socialiste intervienne sitôt après le congrès du Mans du 18 novembre, c'est-à-dire dans la première moitié de 2006. François Hollande plaide pour une désignation plus tardive, peut-être début 2007.

A Wingles, il a, pour mieux réaffirmer sa position, fixé le programme du "premier trimestre 2006: projet du PS, contrat de gouvernement avec les autres partis de gauche, puis désignation des candidats aux élections législatives", avant celle du candidat à la présidentielle. Fin août, lors de l'université d'été du PS à La Rochelle, M. Strauss-Kahn estimait que le "PS aura à choisir entre deux lignes représentées par deux hommes", lui-même et Laurent Fabius.

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
La rivalité Sarkozy-Villepin s'affiche désormais sans fard
LA BAULE (Loire-Atlantique) de notre envoyé spécial

 L' hospitalisation du président n'a rien empêché. Les deux prétendants à sa succession, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, sont désormais déterminés. L'université d'été de l'UMP qui s'est achevée, dimanche 4 septembre à La Baule (Loire-Atlantique), a révélé les ambitions pour 2007 et dévoilé les stratégies.

D'un côté, Nicolas Sarkozy se présente en candidat de "la rupture avec la politique des trente dernières années", y compris celle de Jacques Chirac. De l'autre, Dominique de Villepin réaffirme "sa fidélité" au chef de l'Etat, déterminé à préserver son autorité et à apparaître comme une éventuelle alternative à la candidature de son rival.

Au cours de ces deux journées à La Baule, chacun a tenté de prendre l'avantage. Et dimanche soir, de retour à Paris, ils continuaient encore leur bataille. Lors du "Grand jury RTL-Le Figaro- LCI", le chef du gouvernement a lâché à l'intention de son ministre de l'intérieur: "Je ne fais pas de discours, j'agis." Sur TF1, un peu plus tard, M. Sarkozy a assuré les Français de son "énergie indomptable" . "La concurrence, a-t-il dit , je l'ai dans les veines."

La nouvelle de l'hospitalisation du chef de l'Etat a agi comme un révélateur et un accélérateur. Avant que la rumeur n'en parvienne jusqu'à La Baule, samedi, Dominique de Villepin n'était encore pour Nicolas Sarkozy qu'un leurre, le masque des ambitions cachées de Jacques Chirac, son meilleur ennemi.

Sitôt la nouvelle confirmée, le ministre de l'intérieur a dû se rendre à l'évidence: la fiction entretenue par le camp sarkozyste d'une candidature du chef de l'Etat à un troisième mandat ne tient plus. "Le match" dont Nicolas Sarkozy rêvait tout haut n'aura pas lieu.

La construction politique élaborée, le calendrier soigneusement préparé pour permettre la désignation de M. Sarkozy par les militants de l'UMP en janvier 2007 vacillent. Il se croyait maître du temps politique, le voilà ballotté par l'imprévisible. Pire: "le premier flic de France" qui avait accepté de retourner place Beauvau pour "contrôler" ce qui se tramait contre lui, ignore ce qui se passe à l'Elysée, à cent mètres de son ministère ! Les caméras se tournent alors vers Dominique de Villepin. Lui, a eu le président au téléphone, lui se rendra à son chevet, lui a été informé, tardivement certes, mais avant le numéro deux du gouvernement.

Le premier ministre, M. Sarkozy passe sa journée à l'attendre. Attendre qu'il ait terminé footing et baignade pour pouvoir poser avec lui devant les photographes. Attendre qu'il en ait fini avec son allocution à la presse pour s'expliquer avec lui sur les raisons qui ont conduit le premier ministre à l'informer si tardivement. Attendre enfin la fin de l'hommage appuyé de M. de Villepin au chef de l'Etat, provoquant chez les militants des "Chirac ! Chirac !" dont il croyait les meetings de l'UMP débarrassés.

Suivi comme son ombre par son ami le chanteur Didier Barbelivien, assisté par une escouade de conseillers veillant sur son moral, il ne retrouvera le sourire qu'à l'heure de l'apéritif pour claironner qu'un sondage CSA pour Le Parisien le donne nettement en tête des prétendants de droite à la succession de Jacques Chirac. Michèle Alliot-Marie, à qui il apprend la "bonne nouvelle" , grince: "L'important, ce seront les sondages début 2007. On verra alors l'ordre d'arrivée." Question à un conseiller de M. Sarkozy: "Peut-on invoquer la rupture avec le président lorsque celui-ci est malade ?" Réponse: "Ça ne change rien puisqu'on nous dit que ce n'est pas grave..."

Dimanche, le président de l'UMP a retrouvé sa détermination et un ton de présidentiable. Il développe pour la première fois sa vision de la France, fixe le calendrier, affirme sa détermination. "Rien, vraiment rien, personne, vraiment personne, ne m'empêchera d'aller jusqu'au bout et tenter d'être à la hauteur des rendez-vous de 2007" , dit-il dans une allusion à ses problèmes personnels.

A "la modernisation du modèle social" , défendue par M. de Villepin, il oppose "le nouveau modèle social" . Il défend notamment le plafonnement de la fiscalité à 50% des revenus, le service minimum, et la réduction du nombre de fonctionnaires en échange d'une rémunération plus importante. Et affirme qu'il proposera, mercredi, lors de la prochaine convention du parti que "l'UMP soit plus ambitieuse que le gouvernement dans ses choix économiques et fiscaux" .

Mais, ce jour-là, la concurrence médiatique avec Dominique de Villepin, qui présidera un conseil des ministres exceptionnel à Matignon, sera une nouvelle fois très rude. Dans le hall de l'hôtel L'Hermitage à La Baule, un ministre confiait dimanche matin: "Cette situation profite en priorité au premier ministre. Quand les gens se poseront réellement la question de savoir qui peut représenter cette institution qu'est l'Etat, ils se tourneront vers Villepin. C'est pas mal d'essayer les habits de président avant."

Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
Manuel Aeschlimann, député (UMP) des Hauts-de-Seine
"Le coup décisif reste à l'avantage du président de l'UMP"

 V ous êtes conseiller auprès de Nicolas Sarkozy pour l'opinion publique. L'hospitalisation du chef de l'Etat a-t-elle des conséquences pour la stratégie du président de l'UMP ?

Tout dépendra de la gravité de l'état de santé de Jacques Chirac. Mais, fondamentalement, cela ne modifie rien. Je n'ai jamais pensé qu'il pourrait se représenter en 2007 pour un troisième mandat. Si l'alerte est bénigne, elle n'aura pas d'impact sur l'opinion, ou alors seulement de manière ponctuelle. Elle amplifiera, et c'est naturel en la circonstance, le capital de sympathie à son endroit.

M. Sarkozy a choisi d'incarner la "rupture" avec le chef de l'Etat. Est-ce un bon positionnement dans les circonstances actuelles ?

Oui, bien sûr. L'opinion des Français concernant le bilan de Jacques Chirac est déjà faite. De toute façon, Nicolas Sarkozy, qui n'avait pas pour ambition d'agresser sciemment le président de la République quand il était valide, n'a pas l'intention de le faire davantage dès lors qu'il le sait malade. Ce serait inconvenant. La rupture dont nous parlons ne se nourrit pas uniquement du procès du chiraquisme. Elle vise des ambitions plus nobles.

M. de Villepin présidera, mercredi 7 septembre, le conseil des ministres. Il entrera ainsi, pour un temps, dans les habits du successeur...

Ce ne sera pas neutre médiatiquement et symboliquement. Le premier ministre a montré qu'il avait du tempérament et de l'ambition. Il sait affronter les problèmes du pays. Dans cette conjoncture où il assoit sa popularité croissante, tout ce qui ajoute a sa stature lui est favorable, mais pas décisif.

Pourquoi ?

Le fait important s'est joué lorsque Nicolas Sarkozy a pris la présidence de l'UMP. Quoi qu'il se passe après, et sauf erreur magistrale de sa part, ce qui n'arrivera pas, ce fait demeure et reste la clé du duel politique qui se présente. Nous sommes comme dans une partie d'échecs. On a joué l'ouverture. Nicolas Sarkozy a pris une grande avance de développement. Nous sommes aujourd'hui au milieu de la partie. Villepin consolide habilement son jeu.

Mais rien n'y fera. Le coup décisif reste à l'avantage du président de l'UMP. Il dirige le parti qui investira le candidat. Le soutien d'un parti puissant est indispensable à qui veut devenir président de la République. Les partis demeurent une référence évidente dans le vote des Français et l'expression de leur opinion. De plus, l'UMP choisira son candidat. C'est décisif.

Nicolas Sarkozy doit-il chercher à affaiblir son rival ?

Surtout pas. Tout ce qui sera réalisé de bien par le gouvernement profitera au candidat investi par l'UMP. Les petites phrases, les critiques, les coups bas affaiblissent leurs auteurs. Le premier ministre et le président de l'UMP sont condamnés à bien faire leur travail. En ce sens, Dominique de Villepin travaille pour Nicolas Sarkozy.

Propos recueillis par Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
Bruno Le Maire, chantre de Matignon

 U n certain 14 juillet, au milieu des badauds, le jeune Bruno Le Maire fut choqué d'entendre des sifflets sur le passage du président de la République de l'époque, François Mitterrand. Non pas qu'il eût nourri à son égard une quelconque tendresse. Mais la révérence républicaine était inscrite dans le patrimoine intellectuel de l'étudiant épris de France.

♦ 1969 Naissance à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).

♦ 1998 Termine l'Ecole nationale d'administration (ENA) et entre au ministère des affaires étrangères.

♦ 2004 Conseiller politique au ministère de l'intérieur.

♦ 2005 Conseiller politique à Matignon.

Aujourd'hui, à 35 ans, il est à son gouvernail ­ ou à son chevet. Plus proche ou, plutôt, unique conseiller politique du premier ministre, Dominique de Villepin, Bruno Le Maire a mis ses pas dans ceux de l'ancien secrétaire général de l'Elysée. Son rôle n'a pas changé depuis leur passage de quatorze mois au ministère de l'intérieur: "assurer la cohérence de l'action". "Je suis quasiment une sorte de commissaire politique, sourit-il. Je vérifie qu'on a toujours un temps d'avance sur le plan des idées."

Le directeur du cabinet, Pierre Mongin, l'autre homme-clé du dispositif très resserré de M. de Villepin, a la charge des dossiers de fond et des arbitrages techniques. "En réalité, s'amuse un haut responsable policier, Le Maire est le vrai directeur de cabinet, voire plus que ça. Villepin sait plaire, lui réfléchit." Pendant les mois qui ont précédé le référendum sur le traité constitutionnel, Bruno Le Maire a piloté les préparatifs pour une éventuelle arrivée à Matignon. Il a organisé des rendez-vous informels entre M. de Villepin et des représentants divers de la société civile: professeur en zone d'éducation prioritaire (ZEP), directeur de prison, chefs d'entreprise, etc. "Ce fut artisanal mais instructif. Nous n'avions aucune certitude sur la nomination à Matignon jusqu'au jour où elle a été officialisée, mais il eût été irresponsable de ne pas se préparer" , résume-t-il.

Maintenant qu'ils y sont, dans cet hôtel si particulier, la tâche se révèle lourde: vingt mois pour remettre la France "d'équerre" ­ expression qu'il affectionne. Bruno Le Maire ne voit plus sa femme qu'en peintures, celles qui ornent les murs de son vaste bureau, au premier étage de Matignon. Elle peint des fleurs ressemblant à des nuages au bout de longues tiges délicates. Sur les étagères, le conseiller a disposé des dizaines de livres de poésie en format poche, les mêmes que ceux des étudiants de la Sorbonne auxquels, dans une autre vie, il aurait pu dispenser des cours sur son principal centre d'intérêt, la littérature.

Car ce produit chimiquement pur de l'administration française ­ Normale sup, Sciences-Po Paris, ENA ­ a longtemps hésité entre politique et littérature. Fils d'un cadre supérieur dans une société pétrolière et d'une directrice d'école ­ d'où "une image de grand bourgeois" , estime un de ses proches ­, le jeune homme est reçu premier, en 1992, à l'agrégation de lettres modernes. Il se passionne pour Proust, lui consacre une maîtrise et un DEA, puis commence une thèse sur l'importance de la sculpture dans son oeuvre. "La littérature est le fond du problème, assure-t-il. Par elle, on accède davantage à la vérité que par la politique, qui est avant tout une affaire de rapports de forces et de pouvoir."

Cette passion est une composante importante de sa proximité avec Dominique de Villepin, dont l'appétit de poésie est toujours mis en avant, comme s'il rendait politiquement vertébré. Ce n'est pas leur seul point commun. La France apparaît chez Bruno Le Maire comme une abstraction géniale, un psaume que ses bardes devraient chanter à tue-tête. A l'instar du premier ministre, il croit dans la mission historique de son pays, qui l'obligerait dans les instants graves à sortir du rang des nations, la vérité perchée sur son épaule. "La seule place qui convienne à la France est la première, dit-il du ton posé dont il ne se départit jamais. On peut croire que c'est un sentiment enfantin. Mais c'est comme en art: il faut garder en soi une certaine naïveté, un enthousiasme, une capacité à servir son rêve."

Le premier ministre et son conseiller se trouvent en parfaite adéquation intellectuelle. " Ils se correspondent bien, explique Nicolas Calcoen, proche de Bruno Le Maire depuis leur rencontre à l'ENA, conseiller de Jean-François Copé. Ils partagent une vision volontariste et lyrique de la chose publique." David Martinon, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, fut également de la promotion Valmy à l'ENA. Sa proximité avec Bruno Le Maire sert parfois de courroie de transmission entre le ministre de l'intérieur et M. de Villepin. "Bruno est quelqu'un de rassurant, de pondéré, dit M. Martinon. Ce n'est pas un intuitif, mais une machine froide. Calmement, il analyse."

Bruno Le Maire a fait la connaissance de M. de Villepin au Quai d'Orsay. Deux ans après avoir intégré la direction des affaires stratégiques, il a rejoint le cabinet du ministre. Sa grande affaire fut l'étude des rapports américains sur les armes de destruction massives, feutre en main, traquant les incohérences. L'attirance du jeune diplomate pour M. de Villepin fut immédiate. "Il a un vrai génie politique, comme à leur manière Chirac et Sarkozy, explique-t-il. Ce génie, c'est l'instinct. Savoir quoi dire, comment, où et à quel moment."

En 2004, Bruno Le Maire a décidé de témoigner de ses sentiments par écrit, dans un livre intitulé Le Ministre (Grasset). Un récit étrange, un rien enflé, mêlant anecdotes familiales, considérations géopolitiques et descriptions des pays visités au temps de la résistance diplomatique française contre l'administration américaine, à l'aube de la guerre en Irak. Au fil des pages, son auteur passe d'un jogging dans le Gers à une session du Conseil de sécurité, de son changement de voiture à des digressions sur la mémoire française. Aujourd'hui, il continue à écrire "sur la France" , il en ressent le besoin, c'est comme "une gymnastique" .

De son passage au Quai d'Orsay, il lui reste un manque: la fréquentation "des grandes figures du monde, ces gens qui vous donnent de l'enthousiasme pour six mois, comme Henry Kissinger" . Et le conseiller de citer sa première rencontre avec Kofi Annan, en marge de laquelle le secrétaire général de l'ONU lui avait confié quel était le premier problème de la planète: l'eau. "C'était comme la première phrase d'un grand roman."

Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du 06.09.05


Le Monde / France
Les proches de Jacques Chirac démentent toute vacance du pouvoir

 J acques Chirac était toujours hospitalisé, mardi, au Val-de-Grâce, et son état de santé connaît une "évolution très favorable", selon le point des médecins, lundi. Par ailleurs, ses proches soulignaient que son "petit accident cérébral" n'avait pas provoqué une vacance du pouvoir.

Si tout un chacun constate que le chef de l'Etat reçoit un nombre limité de collaborateurs, ceux-ci prennent soin d'arborer à leur arrivée d'épais dossiers, signe de travail intense. M. Chirac a préparé, lundi, le conseil des ministres avec le secrétaire général de l'Elysée, Frédéric Salat-Baroux, un conseil qui se tiendra exceptionnellement, mercredi, à Matignon, sous la présidence du premier ministre, Dominique de Villepin. Il a également exprimé, mardi, son "immense tristesse" au président indonésien, Susilo Bambang Yudhoyono, après la catastrophe aérienne de Sumatra qui a fait 150 morts. De sa main, il a fait état à la fin de la lettre de sa "solidarité dans l'épreuve".

Le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, très proche du chef de l'Etat, a ainsi réaffirmé, mardi, sur RTL, que celui-ci allait bien et que "pour l'instant il n'y a pas eu, à aucun moment, vacance du pouvoir". La "continuité de l'Etat" est assurée puisque le président de la République "reçoit le premier ministre, lui donne des instructions, a signé des décrets, a continué à assumer sa mission", a-t-il dit.

"APPÉTITS PARFOIS INDÉCENTS"

Lundi en fin d'après-midi, le médecin-chef Anne Robert, chef du bureau de la communication et de l'information du service de santé des armées, a indiqué que le président de la République "devrait sortir dans quelques jours, c'est-à-dire au terme d'une période d'hospitalisation d'une semaine environ".

Si l'annonce, samedi, de l'hospitalisation du chef de l'Etat a ranimé le débat sur la "transparence" des informations relatives à la santé du président, une question récurrente depuis les maladies de Georges Pompidou et de François Mitterrand, elle a aussi contribué à relancer l'agitation autour des candidatures pour la présidentielle de 2007, notamment celle de M. Chirac lui-même.

Bernard Kouchner, ancien ministre de la santé socialiste, s'est déclaré "choqué par l'étalage des appétits" suscités par cette hospitalisation. "Le bruit autour de cette hospitalisation, dont pourtant nous rendent compte très calmement des médecins compétents, suscite quelques appétits qui me semblent parfois indécents", a déclaré, sur Europe 1, ce médecin de profession. "On n'en est pas à parler du troisième mandat. Pour l'instant, du calme et du respect pour un malade", a-t-il ajouté.

Quant à Patrick Devedjian, conseiller politique de l'UMP et proche de Nicolas Sarkozy, il a estimé que le président de la République "a l'intention de se représenter" en 2007."Si Jacques Chirac a les moyens politiques de se présenter, cela m'étonnerait qu'il renonce, ce n'est pas le genre d'homme à cela", a-t-il dit.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 06.09.05 | 12h08


Le Monde / Sciences
Un millier d'hectares de maïs transgénique seraient cultivés en France

 S elon Le Figaro, 2005 marque un "réel tournant": alors que les cultures OGM, réputés dangereuses, étaient rares en France en 2004, elles s'y développent à grande vitesse depuis un an. Ainsi, le quotidien estime que les cultures de maïs transgéniques sont passées de 17,5 hectares à plus de mille, le tout dans un secret total.

Déjà, les services de la protection des végétaux ont enregistré des déclarations de mises en culture de maïs OGM sur près de 500 hectares, principalement dans le Sud-Ouest, recense le journal. Mais les agriculteurs n'étant pas tenus de déclarer les cultures d'OGM autorisées en Europe, Le Figaro évalue au double la surface cultivée.

RIEN D'ILLÉGAL

Les agriculteurs du Sud-Ouest s'approvisionnent en Espagne, ajoute le journal, soulignant que cette pratique n'a rien d'illégal car les variétés autorisées dans un pays de l'Union européenne se trouvent automatiquement inscrites au catalogue européen au bout de quelques mois, et sont ainsi autorisées à la culture dans les autres pays européens. C'est aussi en Espagne que 40% de ce maïs serait vendu, destiné à la nourriture animale. 20% des cultures auraient lieu dans le cadre de programmes d'accompagnement des cultures biologiques, tandis que 60% serviraient à produire des semences.

Selon Le Figaro, cet état de fait "embarrasse" le ministère de l'agriculture,  qui "n'a toujours pas retranscrit la directive européenne de 2001 réglementant les cultures OGM", et ignore les rappels à l'ordre de Bruxelles par crainte d'une  négociation "potentiellement explosive".  Le quotidien précise que, lors d'une réunion au ministère la semaine dernière, les représentants des services de la protection des végétaux ont reçu l'ordre de ne pas communiquer sur cette nouvelle donne OGM.

Le Monde.fr
LEMONDE.FR | 06.09.05 | 09h47


Le Monde / France
Au Val-de-Grâce, Jacques Chirac suit les affaires de l'Etat

 J acques Chirac est toujours hospitalisé, mardi 6 septembre, au Val-de-Grâce pour un "petit accident vasculaire cérébral". Son état de santé connait une "évolution très favorable", selon les médecins. Le chef de l'Etat a annulé une rencontre franco-allemande prévue ce mardi avec M. Schröder en Allemagne, et a eu en contre-partie un entretien téléphonique de 45 minutes avec ce dernier sur la préparation de l'assemblée générale des Nations unies et les questions européennes.

L'Elysée poursuit la préparation du déplacement du chef de l'Etat prévu la semaine prochaine à New York pour le sommet du Millénaire et l'assemblée générale des Nations unies. Pourtant des incertitudes demeurent sur l'évolution de l'état de santé du président, et les médecins du Val-de-Grâce ne se sont pas encore publiquement prononcés sur sa capacité à assumer son programme de travail normal dès sa sortie de l'hôpital. Anne Robert, chef du bureau de la communication et de l'information des services de santé des armées, s'en explique: l'évolution de l'état de santé de Jacques Chirac "se passe comme prévu" et "cela ne justifie donc pas de communiqué spécifique aujourd'hui".

PAS DE VACANCE AU POUVOIR

Le président de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré a affirmé, mardi sur RTL, que le président allait bien et que "pour l'instant, il n'y [avait] pas eu, à aucun moment, vacance du pouvoir". La "continuité de l'Etat" est assurée puisque le président de la République "reçoit le premier ministre, lui donne des instructions, a signé des décrets, a continué à assumer sa mission", a-t-il dit.

Dominique de Villepin se rendra d'ailleurs mercredi matin auprès de Jacques Chirac, a d'ailleurs indiqué mardi l'entourage du président.  Les deux hommes - qui se sont entretenus mardi au téléphone - prépareront ensemble le Conseil des ministres, qui se tiendra exceptionellement à Matignon sous la direction du premier ministre.

"L'INTENTION DE SE REPRÉSENTER"

M. Chirac surveille aussi la scène internationale. Il a reçu durant environ deux heures mardi en mi-journée son conseiller diplomatique Maurice Gourdault-Montagne, et a fait part de son "immense tristesse" et de sa solidarité au président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono après la catastrophe aérienne de Sumatra qui a fait 150 morts. Il a également reçu le secrétaire général de l'Elysée Frédéric Salat-Baroux en mi-journée.

L'annonce samedi de l'hospitalisation du président a contribué à relancer les spéculations autour de l'éventuelle candidature de Jacques Chirac pour la présidentielle de 2007. La tonalité générale des analystes est que l'incident de santé du chef de l'Etat hypothèque davantage l'éventualité d'une nouvelle candidature. Cependant, Patrick Devedjian, conseiller politique de l'UMP et proche de Nicolas Sarkozy, a jugé mardi que Jacques Chirac "a l'intention de se représenter" en 2007, ajoutant que le président de la République ne lui semblait pas "décidé à prendre sa retraite".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 06.09.05 | 19h52


Le Monde / Sciences
La contamination du maïs par les OGM en question

 L a région d'Oaxaca, au Mexique, considérée comme le berceau de la culture du maïs, est-elle toujours un sanctuaire protégé de la contamination par les variétés transgéniques ? C'est ce que laisse entendre une étude publiée, en août, dans les comptes rendus de l'Académie des sciences américaine (PNAS ).

1 000 ha en France

Selon Le Figaro du mardi 6 septembre, plus d'un millier d'hectares de maïs transgénique à vocation commerciale seraient cultivés dans le sud-ouest de la France. Depuis la levée, en 2004, du moratoire européen sur les OGM, les agriculteurs français ont la possibilité de semer, sans déclaration, les variétés inscrites au catalogue européen. Jean-Charles Bocquet, de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), n'est pas surpris de ces révélations: "Ces cultures sont légales. Cela va peut-être accélérer la transposition par la France d'une directive européenne de 2001 sur la coexistence des filières."

Allison Snow (Université de l'Ohio) et une équipe mexicaine sont retournées en 2003 et 2004 dans cette zone dont est originaire la téosinte, l'ancêtre du maïs, et qui abrite une multitude de lignées locales de cette céréale. Il s'agissait de vérifier des résultats controversés, parus en 2001 dans Nature , sous la plume d'Ignacio Chapela et David Quist (Université de Californie, Berkeley) et qui montraient de hauts niveaux de contamination de ce sanctuaire végétal par des gènes issus de variétés transgéniques.

La nouvelle fit alors grand bruit. D'autant que, quelques mois plus tard, Nature notait, dans un éditorial, que "les preuves disponibles ne sont pas suffisantes pour justifier la publication de l'article original" . Plusieurs spécialistes avaient, en effet, publiquement remis en cause les résultats de Chapela et Quist. Et, notamment, leurs observations selon lesquelles les transgènes s'étaient intégrés dans l'ensemble du génome des lignées locales.

UNE SURPRISE

Plusieurs études conduites selon un protocole similaire par les autorités mexicaines mirent, elles aussi, en évidence des contaminations. En avril 2002, à l'occasion d'une conférence internationale sur la biodiversité à La Haye, Exequiel Ezcurra, président de l'Institut national d'écologie, dépendant du ministère mexicain de l'environnement, déclarait ainsi au journal La Reforma que, "en moyenne, 8% des plantes montrent des signes de contamination génétique. Et, dans certains champs, nous avons trouvé plus de 10% de contaminations".

Ces données suscitèrent les mêmes réserves de la part des relecteurs des revues internationales. Même si la méthodologie employée par Chapela et son collègue semblait propice aux faux positifs, de nombreux chercheurs ont considéré qu'une contamination par des OGM d'importation nord-américaine était plus que probable. Et ce, en dépit du moratoire sur les cultures OGM décidé par le Mexique en 1998 ­ et toujours en vigueur.

Les résultats obtenus par l'équipe d'Allison Snow constituent donc une surprise, y compris pour les intéressés ­ Exequiel Ezcurra fait partie des signataires de l'article des PNAS . Les données semblent pourtant solides: elles sont tirées de l'analyse de plus de 153 000 grains de maïs provenant de 870 épis prélevés dans 125 champs en 2003 et 2004. La détection d'éventuels transgènes a été confiée à deux laboratoires américains spécialisés dans la détection des OGM.

Deux constructions génétiques ont été recherchées. L'une, CaMV 35S, présente dans tous les maïs transgéniques à l'exception d'une variété de Monsanto tolérante à son herbicide vedette, le Roundup, l'autre est le marqueur NOS, caractéristique de cette lignée. Aucune de ces cibles n'a pu être détectée. "Le flux des transgènes dans la région étudiée apparaît négligeable en 2003 et 2004", concluent les chercheurs . Et ce "en dépit du fait que le Mexique importe du maïs transgénique pour la nourriture humaine et animale, et malgré la probabilité qu'une partie de ces grains pourraient être plantés dans les champs des fermiers".

Comment expliquer une telle différence avec les résultats de Chapela et Quist sur la récolte 2000 ? Ancien chercheur à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), Julien Berthaud n'y voit pas forcément de contradiction. "Mon interprétation est qu'il n'y avait pas autant de transgènes en 2000 que ce qui avait été annoncé. Chapela et Quist sont probablement allés les chercher là où ils pouvaient vraiment les trouver, c'est-à-dire dans un champ où avaient été semées quelques graines du maïs de Diconsa." Les grains distribués par cette agence alimentaire mexicaine pouvaient être jusqu'à 37% transgéniques et un cinquième des agriculteurs de la région, interrogés par des chercheurs de l'Université de Californie (Santa Barbara), ont reconnu en avoir semé illégalement mais involontairement.

Depuis, des campagnes d'information auprès des paysans d'Oaxaca ont été conduites. Peut-être expliquent-elles, pour partie, l'absence de transgènes constatée par Allison Snow. Son équipe avance une autre hypothèse: les hybrides de maïs transgénique et de lignées "créoles" n'auraient pas été assez vigoureux pour survivre aux rudes conditions de la région. Ce qui ne signifie pas qu'ils ne puissent prospérer ailleurs, préviennent-ils, mettant en garde contre une extrapolation de leurs résultats.

"L'article ne permet pas de conclure que le problème est résolu , prévient Julien Berthaud. Si vraiment on voulait trouver des transgènes, il faudrait chercher à la frontière avec les Etats-Unis."

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 07.09.05


Le Monde / Sciences
Mariage transgénique du colza et de la moutarde

 L e colza est un hybride naturel de la navette, Brassica rapa, et du chou, Brassica oleracea. A ce titre, on le suspecte depuis longtemps d'être susceptible de se croiser avec nombre de ses cousins, crucifères ou brassicacées. Les craintes se sont renforcées avec la mise au point de variétés transgéniques conçues pour tolérer des insecticides: si ce caractère devait "sauter" vers des mauvaises herbes, il deviendrait plus difficile de s'en débarrasser.

Une étude britannique vient de montrer qu'il ne s'agissait pas là d'une simple hypothèse, mais d'une réalité qui, pour être ténue, n'en est pas moins inquiétante. Cette étude a été conduite au cours d'une vaste enquête, la Farm Scale Evaluation (FSE), menée pendant trois ans lors d'essais en champ. Une équipe du Centre pour l'écologie et l'hydrologie (CEH) du Dorset a procédé, au cours de la période 2000-2002, à de petites applications d'un herbicide, le Liberty, sur des mauvaises herbes poussant sur des parcelles où du colza résistant à cette molécule était cultivé.

Les chercheurs ont aussi récolté les graines tirées de ces mauvaises herbes qu'ils ont replantées en serres pour tester la résistance des plantules. Au total, 95 459 plantules ont été testées et les deux seules qui ont montré des signes de résistance, soit un taux de 0,021%, étaient des navettes.

En 2003, après la fin des essais en champ, les chercheurs sont retournés sur le terrain pour appliquer du Liberty sur les mauvaises herbes. Ils ont alors constaté que, sur deux sites, des moutardes des champs (Sinapis arvensis ) avaient subsisté. A leur surprise, l'un des plants n'a pas souffert de l'application de Liberty. L'analyse génétique a montré qu'il possédait le gène de résistance. Un transfert ponctuel s'était donc opéré. En revanche, l'année suivante, aucune moutarde transgénique ne subsistait sur le même site.

Faut-il s'inquiéter de ce croisement unique ou se rassurer de sa très faible occurrence ? "Cela corrobore bien ce que l'on sait de la biologie du colza" , indique Anne-Marie Chèvre (INRA, Rennes), qui a mis en évidence des croisements du colza transgénique avec la ravenelle (Raphanus raphanistrum ). Ses travaux ont montré que les hybrides obtenus, à des taux très faibles, perdaient leur résistance au fil des générations, à mesure que leur fertilité s'améliorait.

RÉSISTANCE AUX HERBICIDES

D'autres cas de croisements avec la navette (Brassica rapa ) ont été observés en champ au Canada, en 2003. Cette acquisition d'une résistance au glyfosate (l'autre nom du Roundup) fait, depuis, l'objet d'une surveillance étroite.

Mais jusqu'alors aucune moutarde hybride n'avait été observée, hormis à la suite de pollinisation manuelle, "et avec une fréquence extrêmement faible" , rappelle la chercheuse. Selon elle, "la probabilité d'obtenir un hybride fertile est quasi nulle" . A ce goulot d'étranglement s'ajoute celui de la recombinaison des chromosomes qui peut permettre, ou non, au gène de résistance de s'exprimer. Enfin, la plante ne tirera un avantage sélectif de cette mutation que si l'herbicide est appliqué.

Pour Antoine Messéan, vice-président de la Commission du génie biomoléculaire (CGB), chargée d'évaluer les essais en champ de plantes transgéniques, "le taux de croisement est très faible et il n'y a donc pas de risque d'invasion biologique" . Dans un avis rendu le 13 février 2004 sur la culture de colza résistant à un herbicide, la CGB pointait cependant des risques de flux de gènes vers des adventices. Elle plaidait pour des essais à grande échelle et un encadrement serré des pratiques agricoles.

Car l'étude anglaise pointe aussi l'inconvénient majeur du colza: les repousses, déjà extrêmement fréquentes, risquent de devenir plus difficiles à contrôler lorsqu'elles seront résistantes aux herbicides. Sur chaque mètre carré cultivé, de 1 000 à 6 000 graines tombent sur le sol. Elles peuvent demeurer en terre de cinq à dix ans avant de germer et perturber la rotation des cultures...

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 07.09.05


Le Monde / International
Jean-Philippe Cotis, économiste en chef de l'OCDE
Le choc pétrolier et Katrina ne casseront pas la croissance mondiale

 L a hausse du pétrole, encore accentuée par l'ouragan Katrina, risque-t-elle de casser la croissance économique mondiale ?
Sans doute pas. Le choc pétrolier actuel a une grande différence par rapport aux précédents: il s'agit cette fois d'un choc de demande et non plus d'un choc d'offre. Dans les crises passées, un cartel restreignait la production de brut, organisait une pénurie, ce qui entraînait une stagflation. Aujourd'hui, c'est la croissance mondiale qui pousse à la hausse les cours du pétrole. L'offre d'or noir, la production, peinent à suivre la demande et ce déséquilibre crée des pressions sur les prix. Ceux-ci vont peu à peu jouer comme corde de rappel et exercer un frein sur la demande, mais pas renverser la tendance. Il est difficile, dans cet univers-là, de concevoir que la hausse de prix du pétrole puisse entraîner un accident conjoncturel mondial. C'est notamment vrai en Chine où la croissance est tellement vigoureuse que la flambée des prix du baril ne peut guère l'infléchir qu'à la marge.

Prévisions de l'OCDE avant le cyclone

L'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a publié, mardi 6 septembre, ses prévisions de croissance, qui ne prennent pas en compte l'éventuel impact du cyclone Katrina sur l'économie mondiale. Les chiffres de croissance annoncés pour 2005 sont de 3,6% pour les Etats-Unis, 1,8% pour le Japon et 1,3% pour la zone euro, 1% pour l'Allemagne, 1,6% pour la France, 0,2% pour l'Italie et 1,9% pour le Royaume-Uni.

Le choc pétrolier actuel diffère aussi des précédents par son profil qui prend la forme de marches d'escalier. L'avantage de tels plateaux est que chaque choc est d'ampleur modérée, ce qui facilite son absorption et la conduite des politiques monétaires, même si, au bout du compte, les prix du baril sont désormais comparables à ceux qui prévalaient à la fin des années 1970. Un autre facteur amortisseur intervient: l'intensité énergétique des pays de l'OCDE -Organisation de coopération et de développement économiques- est aujourd'hui beaucoup plus faible qu'il y a trente ans.

Mais aujourd'hui, aux coûts mécaniques du prélèvement sur le pouvoir d'achat que les hausses du prix du pétrole opèrent, s'ajoutent des coûts d'incertitude. S'il ne fait guère de doute que la demande de pétrole va augmenter fortement à l'avenir, l'inconnue vient du côté de l'offre. Jusqu'à présent, en effet, et pour des raisons diverses, géopolitiques ou encore réticences de certains pays à accueillir des investissements étrangers pour améliorer les capacités de production, la réaction a été très lente. L'ajustement de l'offre n'est pas du tout à la hauteur de la hausse de la demande.

Se surajoute à cela un problème qui relève des pays consommateurs: c'est le syndrome du "pas de raffinerie dans mon jardin" . Aucune raffinerie n'a été construite, par exemple, aux Etats-Unis depuis 1976, avec pour résultat de créer des goulets d'étranglement. A quoi bon accroître l'offre de pétrole brut si on ne peut pas le raffiner ? Aux Etats-Unis, les stocks de raffiné sont à leur plus bas niveau depuis cinq ans alors que les stocks de brut sont confortables.

Les prix du pétrole peuvent donc encore monter...
Avec une réactivité très faible du côté de l'offre de raffinage et une réactivité modeste du côté de la production de brut, il est très difficile de se faire une idée de ce que sera le prix du pétrole dans les deux prochaines années. La spéculation des marchés accélère les tendances de fond mais elle ne peut pas expliquer ce qu'on observe aujourd'hui. On ne peut pas exclure que le prix du pétrole continue à monter.
A court terme, le cyclone Katrina a fait provisoirement disparaître la petite marge de capacité excédentaire qu'il y avait sur le marché mondial du pétrole. Ce petit choc d'offre peut conduire à une grande volatilité des prix et il justifie le recours aux réserves stratégiques décidé par l'administration américaine tant que les capacités de production dans le golfe du Mexique n'auront pas été restaurées.
Au total, il est encore difficile de mesurer l'impact économique global de cette catastrophe. Les conjoncturistes américains anticipent une perte de PIB comprise entre 0,25 et 0,5 point au cours du second semestre. Les prix à la pompe ont beaucoup monté, ce qui devrait rajouter 1 point à l'indice des prix en septembre-octobre. Par la suite, les dépenses de reconstruction devraient stimuler l'activité. Mais toutes ces prévisions sont fragiles et révisables. Katrina est un rude coup pour l'économie américaine mais qui lui arrive à un moment où sa croissance était très forte.

L'Europe vous inquiète davantage ?
Katrina et la récente flambée du pétrole frappent les Européens alors que ceux-ci étaient en phase de convalescence avec une croissance plutôt en dessous de la norme.
Les Européens ne bénéficient pas beaucoup de la croissance en Asie dans la mesure où ils y exportent peu ­ si l'on excepte les Allemands ­, mais ils sont en revanche pénalisés par le pétrole cher qui est la conséquence du boom économique en Asie. La zone euro était en phase de reprise technique avant les derniers événements. Notre prévision de croissance en rythme annualisé était de 1,5% au troisième trimestre et de 2% au quatrième. On peut désormais penser que ces rythmes constituent un maximum.
Les économies qui sont bien lancées sont celles qui résistent le mieux aux chocs. Le choc est plus fort aux Etats-Unis mais leur économie est plus résiliente. Le choc est plus faible en Europe mais celle-ci sort d'une série de reprises avortées. Le relais par la demande intérieure finale n'a pas encore eu lieu malgré quelques signes de reprise de l'investissement encourageants en Allemagne. En revanche, au Royaume-Uni et en France, la demande des ménages qui était beaucoup plus allante a fini par flancher. Pour bien faire, il faudrait que l'Europe ne soit plus soumise aux aléas extérieurs pendant un certain temps afin que le train puisse reprendre de la vitesse. Le voeu, c'est qu'il y ait suffisamment de vitesse acquise pour passer le cap. Il ne faut pas l'exclure. On ne peut pas broyer du noir mais le passé récent incite à la prudence.

Quelles sont les conséquences attendues sur le plan monétaire ?
La bonne réponse, c'est une politique monétaire très accommodante. Ce qui implique au minimum une absence de resserrement dans un avenir proche. L'analyse de l'inflation est compliquée dans la zone euro.
Alors que dans les pays anglo-saxons, l'inflation sous-jacente -hors énergie et alimentation- avait baissé pendant la période de ralentissement avant de réaccélérer avec la reprise, elle ne cesse de décélérer en Europe. Elle était à 2,5% en rythme annualisé début 2002, elle est progressivement descendue à 1,3% (0,6% en France). Il y a deux lectures possibles de cette tendance.
La première, optimiste, souligne que même en cas de choc pétrolier, l'inflation ne s'écarte pas de la définition de la stabilité des prix retenue par la BCE, autour de 2%.
L'autre, pessimiste, est celle d'un affaiblissement de l'économie et d'une baisse des prix qui en s'accentuant, feraient entrer le continent européen dans des zones à tonalité déflationniste. Nous n'en sommes pas là. Mais il faut garder cet élément de risque à l'esprit.

Propos recueillis par Pierre-Antoine Delhommais et Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 07.09.05


Le Monde / Société
Mort de Bilal: sursis requis contre un technicien d'ascenseur
STRASBOURG de notre envoyé spécial

 D ix-huit mois d'emprisonnement avec sursis ont été requis, lundi 5 septembre, devant le tribunal correctionnel de Strasbourg, contre le technicien chargé de la maintenance de l'ascenseur dans lequel Bilal Wahibi, âgé de 4 ans, avait trouvé la mort en 2002, dans une HLM du quartier populaire de La Meinau. Le procureur, Benoît Blanchy, a requis 100 000 euros d'amende contre la société Ascenseur Multi-Services (AMS), poursuivie comme son salarié pour "homicide involontaire" . Le tribunal rendra son jugement le 4 octobre.

Ce dimanche 19 mai 2002, Bilal joue avec ses cousines dans la cage d'escalier lorsque, du cinquième étage et sans avoir besoin d'appuyer sur le bouton d'appel, il ouvre la porte de l'ascenseur, pensant retrouver ses parents, reçus chez des amis au 1er étage. Mais la porte métallique donne sur le vide: le petit garçon plonge dans un gouffre avant de s'écraser contre la cabine, bloquée quinze mètres plus bas, au rez-de-chaussée. Il décède peu après son arrivée aux urgences.

"Ce qui s'est passé n'est pas un accident, c'est tout le contraire" , a considéré le procureur, dénonçant "l'incurie" de la société et "la faute inexcusable" de son agent, Augustin Imani. "Cet ascenseur n'était pas entretenu, a-t-il poursuivi. Ce n'est pas moi qui le dis mais le prévenu, qui déclare aux enquêteurs: "Il y avait tellement de pannes sur les 144 machines dont je devais m'occuper que je n'avais pas le temps de tout vérifier"..."

"FATALISME ODIEUX"

Trois collèges d'experts ont été désignés durant l'instruction, tous sont parvenus aux mêmes conclusions: un pont électrique, détecté entre deux bornes du boîtier de sécurité, a perturbé l'un des circuits de contrôle. L'automatisme a été faussé, autorisant le départ de la cabine quelle que soit la position (ouverte ou fermée) des portes palières.

"Je ne sais pas qui est à l'origine de ce pontage mais il est sûr que cette anomalie n'a pas été détectée comme elle aurait dû l'être" , a observé le procureur. Soulignant la responsabilité de la société AMS, personne morale représentée par le président de son directoire, Damien Higel, l'accusation a énuméré une série de "manquements graves": formation sommaire du personnel, charges de travail trop lourdes, absence de planning, etc.

A l'appui de sa démonstration, le ministère public a livré les conclusions d'un "audit" commandé par l'office HLM de la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS Habitat), qui avait confié en 2001 à AMS l'entretien de ses 671 ascenseurs: "La majorité des défauts constatés proviennent d'un manque de rigueur, de négligences, voire de laxisme. Les prestataires n'investissent que peu de temps et d'argent sur les appareils qui leur sont confiés."

Conseil de la famille de Bilal, Me Gilbert Collard a fustigé "le fatalisme économique odieux" , ces "économies que l'on fait sur le malheur d'autrui" . "On voit que ça bringuebale mais on ne s'inquiète pas. Pourquoi, dans ce pays, de plus en plus de gens meurent, soit dans un incendie, soit dans une cage d'ascenseur ?" L'avocate de l'office HLM, dont Me Collard a "regretté" qu'il n'ait pas été poursuivi, a demandé réparation pour le "préjudice d'image et de réputation" subi, selon elle.

En défense, pour l'agent de maintenance, Me Séverine Rudloff, comme son confrère Jean-Pierre Kahn, conseil de la société, est revenue sur la possibilité d'un "acte de malveillance" , reléguée par les experts au rang de "simple hypothèse" .

Appelé à la barre, Zakaria Wahibi, le père de Bilal, a exprimé ce regret laconique: "On a beaucoup parlé technique mais on a oublié l'essentiel: mon fils."

Nicolas Bastuck
Article paru dans l'édition du 07.09.05


Le Monde / Société
Compte rendu
La justice confirme la relaxe de Dieudonné poursuivi pour diffamation raciale

 L a justice française a confirmé, mercredi 7 septembre en appel, la relaxe prononcée fin mai contre l'humoriste français Dieudonné, poursuivi pour diffamation raciale à la suite d'un sketch présenté en décembre dernier dans "On ne peut pas plaire à tout le monde", l'émission de Marc-Olivier Fogiel sur France 3. Dieudonné, présent à l'énoncé de la décision, s'est dit "évidemment satisfait".

L'humoriste a affirmé, à l'issue de l'audience, qu'il laissait désormais "à d'autres humoristes le soin de traiter [le] sujet  [de la question israélo-palestinienne]"."Je pense que je suis passé à autre chose, il y avait beaucoup de pression et de passion sur ce sujet. J'espère juste maintenant pouvoir continuer à faire mon travail, c'est-à-dire faire rire les gens", a-t-il ajouté.

Le sketch incriminé par la justice mettait en scène un juif orthodoxe en treillis militaire se livrant à une violente diatribe contre les musulmans et appelant le public à rejoindre "l'axe américano-sioniste". Dieudonné était apparu avec une cagoule et coiffé avec des papillotes et un chapeau noir caractéristiques des juifs orthodoxes. Ce sketch avait provoqué des réactions violentes, des annulations de spectacles. Après la diffusion de l'émission, le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait adressé une mise en garde à France 3.

PAS DE DIFFAMATION RACIALE POUR DIEUDONNÉ

Toutefois, le 27 mai 2005, la présidente du tribunal de Paris avait estimé que "le personnage incarné par le prévenu ne représentait pas les personnes de confession juive dans leur ensemble (...), mais une certaine catégorie de personnes uniquement dans l'expression de leurs idées politiques". Or, "dès lors qu'ils ne s'adressent pas à la communauté juive en général et ne visent pas un individu ou un groupe d'individus à raison de leur appartenance à la religion juive", les propos et le geste reprochés à Dieudonné ne peuvent relever de la diffamation raciale, avait jugé le tribunal.

Dieudonné s'était félicité de cette relaxe en mai, satisfait que le tribunal reconnaisse "le droit pour un humoriste de critiquer la politique d'un Etat sans être taxé d'antisémitisme, lorsque cet Etat est Israël". Des associations juives et de lutte contre le racisme avaient fait appel, estimant que le sketch ne visait pas les colons israéliens mais bien les juifs.

En dépit de cette confirmation de relaxe, Dieudonné a eu droit à un discours courroucé de la présidente de la 11e chambre, Laurence Trebucq, qui lui a lancé: "Nous avons malheureusement trop l'habitude de vous voir dans ces prétoires." "Ce n'est pas parce que la justice ne vous sanctionne pas sur une prévention précise que cela veut dire que vous avez raison dans ce que vous dites", a-t-elle ajouté. Dans le passé, l'humoriste a déjà été condamné pour des "propos racistes" et des "injures raciales" visant les juifs.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 07.09.05 | 16h53


Le Monde / Opinions
Point de vue
Irak: le gâchis américain, par Francis Fukuyama

 Q uatre ans après le 11-Septembre, la politique étrangère des Etats-Unis peut être analysée à travers les questions suivantes: dans quelle mesure découle-t-elle de la culture politique américaine ? Et dans quelle mesure est-elle déterminée par les particularités de l'actuel président et de son gouvernement ?

Il est tentant de voir dans la réaction de l'administration Bush au 11-Septembre une continuité avec la tradition de politique étrangère du pays. Historiquement, les Américains se sont orientés vers un unilatéralisme déterminé lorsqu'ils s'y sont vus contraints, et ces moments ont correspondu à une rhétorique idéaliste. Pourtant, les décisions-clés de leur politique étrangère depuis le 11-Septembre n'ont pas été prises à l'aune de cette tradition ni d'aucunes pressions ou contraintes intérieures sous-jacentes.

Immédiatement après les attentats, les Américains auraient laissé le président Bush les mener dans n'importe quelle direction. La nation était prête à accepter des risques et des sacrifices substantiels. L'administration n'a demandé aucun sacrifice aux Américains moyens mais, après la chute rapide du régime taliban, elle a pris le risque de s'engager dans la résolution d'un vieux problème dont les liens avec la menace d'Al-Qaida sont faibles: l'Irak. Ce faisant, elle a gâché la carte blanche que lui avait accordée la population après le 11-Septembre. En même temps, elle s'est aliéné la plupart de ses proches alliés, dont un grand nombre se sont depuis engagés dans une stratégie de pressions diplomatiques contre l'influence américaine, attisant le sentiment anti-américain au Moyen-Orient.

L'administration Bush aurait pu choisir de créer une véritable alliance de démocraties pour combattre les courants non progressistes du Moyen-Orient. Elle aurait pu durcir les sanctions économiques contre l'Irak et y assurer le retour des inspecteurs sans entrer en guerre. Elle aurait pu donner sa chance à un nouveau régime international de lutte contre la prolifération nucléaire. Ces orientations-là auraient signifié une continuité des traditions américaines de politique étrangère. Mais Bush et son administration ont délibérément choisi d'agir autrement.

Les problèmes de politique intérieure n'ont pas pesé sur leurs choix. On a beaucoup parlé de l'émergence de l'Amérique des red states [les "Etats rouges", couleur du Parti républicain], supposée constituer la base politique de la politique unilatérale de Bush, et du nombre croissant de chrétiens conservateurs censés déterminer ses décisions au niveau international. Mais l'étendue et l'importance de ces phénomènes ont été largement exagérées.

Une dynamique différente s'est trouvée négligée. Pour la guerre en Irak, l'administration a bénéficié du soutien des néoconservateurs (qui manquent de base politique mais fournissent une puissance de feu intellectuelle considérable) et de ce que Walter Russel Mead appelle "l'Amérique jacksonienne" , ces nationalistes partisans d'un isolationnisme acharné. Les circonstances ont contribué à renforcer cette improbable alliance.

La recherche infructueuse d'armes de destruction massive en Irak et l'incapacité à prouver l'existence de liens pertinents entre Saddam Hussein et Al-Qaida ont forcé le président, lors de sa seconde investiture, à justifier la guerre en des termes exclusivement néoconservateurs, comme faisant partie d'une politique idéaliste de transformation du Grand Moyen-Orient.

La base jacksonienne de Bush, qui fournit le gros des troupes servant et mourant en Irak, n'a aucune affinité naturelle avec une telle politique, mais n'a pas voulu abandonner le commandant en chef en plein milieu d'une guerre. Néanmoins, cette coalition pour la guerre est fragile et vulnérable face aux imprévus.

Si les jacksoniens venaient à pressentir que la guerre est ingagnable, ils apporteraient alors un soutien très réduit à une politique étrangère d'expansion se focalisant sur la promotion de la démocratie. Les primaires républicaines de 2008 pourraient en subir les conséquences, ce qui aurait pour effet de modifier la future politique étrangère américaine.

Sommes-nous en train d'échouer en Irak ? C'est encore incertain. Les Etats-Unis peuvent maîtriser la situation sur le plan militaire tant qu'ils choisiront d'y rester en grand nombre. Mais la volonté des Américains de maintenir les effectifs nécessaires a ses limites. L'armée de volontaires n'a jamais eu pour objectif de combattre une insurrection prolongée. Elle doit faire face à des problèmes d'effectifs et à des coups au moral. Or, des motifs opérationnels de taille pourraient amener Washington à réduire ses effectifs en Irak dans l'année qui vient.

En l'absence de soutien des sunnites à la Constitution et avec les scissions dans la communauté chiite, l'émergence d'un gouvernement irakien fort et uni semble de plus en plus compromise. Le problème consistera à empêcher les communautés de se tourner vers leurs propres milices plutôt que vers le gouvernement pour leur protection. Si les Etats-Unis se retirent prématurément, l'Irak glissera dans un chaos plus profond encore. Cela déclenchera une chaîne d'événements fâcheux qui entameront un peu plus leur crédibilité dans le monde et les forceront à rester concentrés sur le Moyen-Orient pour des années, au détriment d'autres régions importantes de la planète ­ l'Asie, par exemple.

Nous ne savons pas quelle sera l'issue de la guerre en Irak. Mais nous savons que, quatre ans après le 11-Septembre, la politique étrangère américaine dans sa globalité semble destinée à sortir grandie ou amoindrie d'une guerre reliée marginalement à ce qui est arrivé ce jour-là aux Etats-Unis.

Cette situation n'avait rien d'inévitable et tout porte à le regretter.

© New York Times

Traduit de l'américain par Manuel Benguigui


Francis Fukuyama est professeur d'économie politique internationale à la Johns Hopkins School of Advanced International Studies (Etats-Unis).

par Francis Fukuyama
Article paru dans l'édition du 07.09.05


Le Monde / France
L'agenda de Jacques Chirac reste incertain

 T rois jours après l'accident vasculaire cérébral (AVC) survenu au président de la République, l'hôpital militaire du Val-de-Grâce a rendu public, lundi 5 septembre, un communiqué faisant état d'une "évolution très favorable" de la santé de Jacques Chirac.

Le mot "cérébral" n'a jamais été prononcé par le médecin-chef Anne Robert, qui a lu sa déclaration devant l'hôpital, insistant surtout sur la "petite taille" de l'hématome formé après le "petit accident vasculaire", dont le chef de l'Etat a été victime vendredi 2 septembre. Tout est donc "petit", mais la longueur de l'hospitalisation, une semaine, est confirmée.

Alors que le débat s'est rapidement amplifié sur la transparence à propos de la santé du président, l'Elysée, tout d'abord incertain sur le rythme de parution des bulletins médicaux, a bien compris qu'une troisième communication était indispensable dès lundi. Celle-ci, après les communiqués laconiques et flous de samedi et de dimanche, reste néanmoins très incomplète. Elle vise surtout à minimiser la portée de l'accident hémorragique dont souffre M. Chirac.

Lundi, sur Europe 1, l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing, qui avait très rapidement cessé de publier des bulletins de santé, contrairement à son engagement, a estimé que pour la fonction présidentielle "la règle absolue est la transparence". Le lendemain, sur la même radio, Bernard Kouchner a fait valoir à l'inverse que tout le monde avait "droit au secret médical" et qu'il fallait "laisser le président se reposer".

L'Elysée s'attache à montrer que le chef de l'Etat n'est en rien diminué et qu'il continue à travailler. Après la visite d'une heure et demie du secrétaire général de l'Elysée, Frédéric Salat-Baroux, lundi et celles, quotidiennes de Bernadette et Claude Chirac, le président devait recevoir, mercredi matin, Dominique de Villepin, pour le traditionnel entretien précédant le conseil des ministres. Au menu de celui-ci, qui se tiendra à Matignon, deux communications: l'une, habituelle, pour faire le point sur la situation internationale ­ qui échoit à Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, car le ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, sera en déplacement à Gaza ­ et l'autre sur la rentrée scolaire, faite par le ministre de l'éducation nationale, Gilles de Robien. Aucun projet de loi ne sera présenté.

UN CALENDRIER TRÈS CHARGÉ

Avec M. Salat-Baroux, assurent les proches du président, celui-ci ne s'est pas contenté de préparer le conseil des ministres, mais a procédé à un tour d'horizon des dossiers. M. Chirac, racontent-ils, s'enquiert de ce qu'il y a dans les dépêches d'agence, "regarde la télévision, écoute la radio, écrit, téléphone".

Toutefois, ni Jean-Louis Debré ni Pierre Mazeaud, deux très proches du chef de l'Etat, n'ont eu M. Chirac en ligne. Le président du gouvernement espagnol, José-Luis Zapatero, a cherché, sans succès, à le joindre. L'Elysée assure que le président n'a pris au téléphone aucun de ses homologues.

Bien que les communiqués du Val-de-Grâce se veuillent rassurants, M. Chirac pourrait être contraint de réduire le rythme de son activité. Or il a prévu pour cette année un programme particulièrement chargé. En sus des habituelles obligations, il a décidé de tenir chaque mois un conseil ministériel restreint sur l'emploi et a programmé des déplacements sur le terrain.

Il a surtout annoncé lui-même, lundi 29 août, un calendrier international extrêmement lourd. Il doit se rendre cette année au Kazakhstan, en Ukraine, une nouvelle fois en Chine, en Inde, en Thaïlande, en Indonésie, au Brésil, au Chili, en Afrique, sans compter les fréquents sommets de chefs d'Etat et de gouvernement européens à Bruxelles, ou ses rencontres bilatérales avec ses homologues de l'Union.

La toute première échéance est, celle du sommet de l'ONU, du 13 au 15 septembre, à New York. M. Chirac tient beaucoup à ce rendez-vous, où doit notamment être examiné le projet de financement du développement par une taxe sur les billets d'avion. Rien n'est annulé, mais l'Elysée n'est pas en mesure de confirmer sa venue. A Matignon, où l'on se contente d'admettre que le premier ministre pourrait protocolairement remplacer le président, le sujet est quasi tabou.

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 07.09.05


Le Monde / France
Le chef de l'Etat a été victime d'une hémorragie intracrânienne

 O n en sait désormais un tout petit peu plus sur les causes de l'accident médical du chef de l'Etat. Les termes des deux premiers bulletins de santé, publiés les 3 et 4 septembre, par l'hôpital militaire du Val-de-Grâce laissaient penser que Jacques Chirac avait été victime d'un phénomène ischémique ayant entraîné une altération de la vision d'un seul oeil. Or il est aujourd'hui établi, sur la base de la courte déclaration faite lundi 5 septembre par le docteur Anne Robert, médecin-chef de l'hôpital parisien, que le président de la République a été victime d'un accident vasculaire intracérébral de nature hémorragique.

Le docteur Robert a, en effet, révélé que les troubles de la vision survenus le 2 septembre au soir et à l'origine de l'hospitalisation de M. Chirac étaient dûs à "un hématome de petite taille", sans toutefois en indiquer la localisation. Elle a indiqué que "les signes cliniques -étaient- en régression", sans préciser la nature et l'intensité desdits signes.

L'association des deux informations ­ troubles unilatéraux de la vision et hématome ­ et la présence de céphalées laissent à penser que l'accident hémorragique s'est produit très près de l'un des deux nerfs optiques. L'hypothèse d'un hématome rétinien semble pouvoir être exclue du fait de l'existence de maux de tête. Un hématome formé dans les aires cérébrales occipitales correspondant à la fonction visuelle aurait, quant à lui, entraîné des troubles visuels bilatéraux.

"BULLETINS DE SANTÉ LACONIQUES"

"On a néanmoins du mal à imaginer aujourd'hui qu'un hématome qui provoque un trouble visuel et des céphalées durables soit de petite taille et, plus encore, qu'il ne soit accompagné d'aucune autre manifestation clinique, notamment motrice, explique le docteur Pierre Lasjaunias, spécialiste de neuroradiologie (hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre). Compte tenu de l'absence de véritables informations médicales et du caractère scandaleusement laconique des bulletins de santé, nous en sommes réduits à formuler des hypothèses."

En général, notamment chez les personnes âgées, ce type d'accident vasculaire est la conséquence d'une hypertension artérielle insuffisamment corrigée par un traitement médicamenteux et le respect des principales règles hygiéno-diététiques. Le diagnostic est généralement porté rapidement et la localisation de l'hématome est obtenue grâce aux techniques de neuroradiologie. Un traitement par corticoïdes peut être instauré lorsque le malade est pris en charge de manière précoce, comme cela a été le cas pour le chef de l'Etat.

La résorption des hématomes de petit volume se fait naturellement, l'accident hémorragique pouvant ne pas entraîner de séquelles durables. La sortie de Jacques Chirac est toujours programmée pour la fin de la semaine.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 07.09.05


Le Monde / France
Ségolène Royal, présidente (PS) de Poitou-Charentes
"Le secret, si secret il y a, se retourne toujours contre le pouvoir"

 L a santé de Jacques Chirac fait l'objet d'incertitudes. Celle de François Mitterrand, autrefois, fut tenue secrète. Une transparence totale s'impose-t-elle ?
Bien sûr. L'époque s'y prête. Sous Mitterrand, la situation était différente. Le cancer, par exemple, faisait beaucoup plus peur qu'aujourd'hui. Depuis, les choses ont sensiblement évolué. Certes, nous ne sommes pas dans la société américaine, où l'on publierait des courbes, des bilans, mais les Français sont mieux informés sur les questions médicales et il n'y a pas de risque à leur dire la vérité. Il n'y a rien de honteux à avoir un problème passager. Le secret, si secret il y a, se retourne toujours contre le pouvoir.

Ces questions soulèvent celle de l'âge...
Nous sommes gouvernés par une classe politique relativement âgée. C'est un fait. Soit on l'assume, soit on prend des mesures pour la rajeunir.

Le premier ministre, le ministre de l'intérieur, le président du Sénat n'ont été avertis que le lendemain matin de l'hospitalisation de M. Chirac. Est-ce selon vous le signe d'un dysfonctionnement ?
Tout dépend du diagnostic effectué au départ. Peut-être a-t-on pensé que, puisqu'il s'agissait d'un léger malaise, il n'y avait pas de raison d'informer l'appareil d'Etat, mais qu'il fallait le faire une fois l'hospitalisation décidée... J'ai tendance à penser que ça s'est passé normalement.

Cela vous interdit-il, désormais, de critiquer trop durement le chef de l'Etat ?
Certainement. Le respect pour l'épreuve personnelle oblige à une certaine réserve. C'est une bonne chose. Cela prouve aussi que la politique n'est pas d'une férocité absolue. Tous les chefs d'Etat ont traversé la maladie, et ceux qui se sont aventurés à essayer de transformer cela en fragilités ont été aussitôt sanctionnés par l'opinion.

A droite, comme à gauche, que change cet accident de santé ?
Il n'y a pas de vacances du pouvoir, pas d'intérim. Et je ne veux pas transformer en fait politique un arrêt maladie momentané. Cet accident, en tout cas, touche plus la droite, car certains continuaient à y défendre la candidature Chirac pour 2007.

A droite justement, le duel Villepin-Sarkozy s'intensifie...
C'est un remake de 1995, entre Chirac et Balladur. Un faux conflit, mais un vrai choc de clans. Je suis très frappée par le discours très marqué à droite de Nicolas Sarkozy, à La Baule. Villepin est plus social, mais l'efficacité manque. Le premier est à la tête de l'UMP, il participe aux décisions du gouvernement mais prétend qu'on peut mener une autre politique, plus en rupture. Le second n'a jamais été élu, mais personne n'est interdit de candidature. Cet affrontement en apparence à fleurets mouchetés est en réalité très rude.

La "croissance sociale" est-elle dangereuse pour la gauche ?
Je ne pense pas, car ce qui frappe depuis trois ans et cent jours, c'est la montée des inégalités. On culpabilise les salariés protégés, en contrat à durée indéterminée et les fonctionnaires. On nous fait croire que si la société est bloquée, c'est parce qu'il n'y a pas assez de prises de risques. Mais la demande de risques échoit toujours aux mêmes, aux petits salariés, avec le contrat nouvelles embauches. La deuxième source d'inégalités concerne les services publics, la suppression des trains Corail, la fermeture des bureaux de poste, la diminution des classes dans les lycées professionnels. S'y ajoute la hausse, très anxiogène, du prix des carburants, qui représentent une part considérable du budget des familles.

Le PS n'a pas arrêté de ligne ni choisi son candidat. En souffre-t-il ?
Cela ne se décide jamais vingt-deux mois avant une échéance présidentielle. Savait-on en 1979 qui serait le candidat en 1981 ? Non. Et les sondages étaient alors extrêmement défavorables à François Mitterrand. Si notre congrès se passe bien, il n'y a pas de raison de précipiter le calendrier. Désigner trop tôt notre candidat serait une erreur. Il serait la cible de tous les coups.

Vous semblez vouloir vous effacer derrière votre compagnon, François Hollande. Et pourtant les sondages montrent que vous êtes populaire. Songez-vous à vous présenter ?
L'échéance est encore loin et toute annonce de candidature de ma part serait prématurée. On verra. Je ne veux être ni instrumentalisée ni manipulée. J'entends ce qui est dit. J'observe. En tout cas, ce n'est pas une question de couple.

La candidature d'une femme au PS est-elle taboue ?
Le fait que la question se pose est un progrès. Mais il ne faut pas en faire un gadget. François a donné la ligne: celui ou celle qui sera le ou la mieux placé (e) ira.

Longtemps Laurent Fabius a été impopulaire au PS. Est-ce toujours le cas ?
Il est difficile d'épiloguer sur l'opinion des militants. Je ne crois pas qu'ils aient envie de chambouler les équipes. La proximité des élections accentue le désir de stabilité.

Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué et Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 07.09.05


Le Monde / International
"Pétrole contre nourriture": Kofi Annan assume sa responsabilité

 L e rapport principal sur le scandale du programme "Pétrole contre nourriture" a été remis, mercredi 7 septembre, au Conseil de sécurité de l'ONU, par le président de la commission chargée de l'enquête, l'ex-banquier fédéral Paul Volcker. Ce document exonère de tout manquement à l'éthique le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, mais le rend responsable des déficiences de gestion constatées, en tant qu'administrateur.

"La commission a établi que la gestion du programme était caractérisée par de faibles pratiques administratives et des contrôles et audits inadéquats. Pour cela, en tant qu'administrateur, je dois assumer la responsabilité", a estimé Kofi Annan, en réaction à ce rapport. Mais, a-t-il poursuivi, "au début de l'année, la commission avait conclu que je n'avais pas influencé, ou tenté d'influencer, le processus d'attribution des contrats. Je suis heureux de constater que cette conclusion est réaffirmée".

"Le rapport est critique à mon égard et j'accepte cette critique", a-t-il déclaré devant le Conseil de sécurité.  Le sécrétaire général des Nations unies a cependant exclu de démissionner.

"RESPONSABILITÉS PARTAGÉES"

Les responsabilités pour les erreurs constatées doivent être "largement partagées" notamment entre les Etats membres et le Conseil de sécurité, a déclaré pour sa part Paul Volcker, président de la commission d'enquête. Tel qu'il était conçu, "le programme laissait trop d'initiatives à l'Irak", a-t-il estimé: "C'était comme un pacte avec le diable, et le diable avait les moyens de manipuler le programme à son avantage." Plus virulent, le sénateur républicain américain Norm Coleman a appelé mardi soir à "faire le ménage" à l'ONU et demandé la démission de Kofi Annan, qu'il réclame depuis plus de neuf mois.

Par ailleurs, selon le quotidien Financial Times, Kojo Annan, le fils du secrétaire général de l'ONU, aurait perçu plus de 750 000 dollars (602 000 euros) de firmes pétrolières qui font actuellement l'objet d'investigations dans le cadre du scandale du programme "Pétrole contre nourriture". Selon le journal, ces fonds ont été virés en 2002 et en 2003 sur un compte de Kojo Annan établi sous son deuxième nom – Adeymo – dans la succursale suisse de la banque privée Coutts. "Les paiements, découverts par le Financial Times lors d'une enquête conjointe avec Il Sole 24 Ore, le quotidien économique italien, semblent être liés à des transactions pétrolières sur le marché de l'Afrique occidentale", selon le quotidien britannique. Le journal cite cependant une déclaration de l'avocat de Kojo Annan soulignant que cet argent n'était pas lié au programme "Pétrole contre nourriture". A propos de son fils, Kofi Annan a admis n'avoir pas été "assez diligent ou efficace" dans la recherche de la vérité lorsqu'il avait été révélé que la compagnie suisse Cotecna, qui employait son fils Kojo, avait obtenu un contrat dans le cadre du programme.

Le programme "Pétrole contre nourriture" avait permis à l'Irak de vendre sous contrôle, de 1996 à 2003, des quantités limitées de pétrole et d'acheter en échange des biens pour sa population, alors que le pays était soumis à un embargo international. Mais le gouvernement irakien avait perverti le système, et plusieurs milliards de dollars avaient été détournés.

"L'ONU A BESOIN D'UNE VASTE RÉFORME"

Le scandale, révélé en janvier 2004, a terni l'image des Nations unies. Le rapport souligne également que les responsabilités étaient largement partagées au sein de la famille de l'ONU. Il égratigne particulièrement le Conseil de sécurité, sous la responsabilité duquel le programme était géré, pour n'avoir pas "défini clairement les principaux paramètres, les buts politiques et les responsabilités administratives". Le mois dernier, la commission Volcker avait établi qu'il y avait bien eu corruption dans la gestion par l'ONU du programme. Elle avait accusé son ancien directeur, Benon Sevan, d'avoir touché 147 184 dollars (118 355 euros) de pots-de-vin d'une compagnie pétrolière dirigée par un ami, qu'il avait aidé à obtenir un contrat.

Au-delà de la recherche des responsabilités individuelles et collectives, le rapport réclame une réforme profonde et urgente au sommet des Nations unies, justifiée par les défaillances de la gestion du programme. "La conclusion inéluctable du travail de la commission est que l'ONU a besoin d'une vaste réforme et qu'elle en a besoin d'urgence", prescrit le texte.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 07.09.05 | 19h26


Le Monde / Chats
Cyclone Katrina: les fractures de la société américaine au grand jour
L'intégralité du débat avec Denis Lacorne, directeur de recherche au CERI (Centre d'études et de recherches internationales), mercredi 7 septembre 2005.

djjo666:La mauvaise gestion de cette crise de la part de George Bush a souvent été pointée du doigt. Qu'en pensez-vous ?
Denis Lacorne:
La réponse est compliquée car Bush est bien sûr le principal responsable, avec le gouvernement fédéral, mais il y a aussi le niveau de l'Etat de Louisiane et les municipalités locales, le maire de La Nouvelle-Orléans qui ont aussi des responsabilités en matière d'aide, d'intervention en cas d'urgence, de crise. Dans l'analyse qui va être faite des erreurs par les commissions d'enquête du Congrès, on fera bien sûr remarquer que le président n'est pas le seul responsable, que les responsabilités sont partagées. Au niveau local, à La Nouvelle-Orléans, le maire s'est mis à pleurer, à insulter ses collègues et les gens dont il a besoin à Washington. On a découvert que la moitié des policiers de La Nouvelle-Orléans n'étaient pas là pour intervenir. Il y a donc énormément de dysfonctionnements au niveau local et au niveau de l'Etat fédéral. Avec toute la difficulté des relations toujours tendues lorsque le niveau fédéral est contrôlé par un parti, le Parti républicain, et le niveau local par des adversaires politiques comme le gouverneur de la Louisiane et le maire de La Nouvelle-Orléans.
Mais la responsabilité principale est quand même celle du gouvernement fédéral et du président Bush, à l'évidence. Pourquoi responsabilité de Bush ? Parce que tout d'abord c'est lui qui dispose des organisations les plus capables d'intervenir en cas de coup dur, c'est-à-dire l'armée avec ses moyens d'intervention lourds, à commencer par ses navires, ses navires-hôpitaux, ses hélicoptères, etc., ainsi que du génie militaire, chargé de gérer la sécurité des digues, des réservoirs, et la FEMA (l'agence fédérale de gestion des crises). Et ni l'une ni l'autre n'ont fait leur travail, comme on aurait pu s'y attendre.

"UN PRÉSIDENT DÉCONTENANCÉ"

Felipe_jorge: L'Amérique, dans sa version banalement quotidienne, se présente comme un modèle. Au vu des conséquences inouïes de la catastrophe naturelle qu'elle vient de subir dans le Sud, nous avons la preuve éclatante que ce modèle est inapte à assurer le minimum de sécurité et d'assistance à ses propres citoyens. Peut-on mettre un point final à ce mythe de"l'hyperpuissance" ?
Denis Lacorne:
Tout démontre que l'hyperpuissance est vulnérable à l'intérieur, qu'elle est fragile par manque de préparation à une catastrophe qui était prévue, décrite par tous les experts depuis au moins dix ans. On a un gouvernement qui a failli à sa tâche de façon catastrophique, alors même que Bush, après les attentats du 11 septembre 2001, avait bien précisé que désormais l'Amérique serait plus prête que jamais à affronter toute crise, toute catastrophe. Et en réalité, on a un président décontenancé, qui n'est pas au niveau de l'événement, incapable même de dire les mots, les phrases qu'il faut. Mais, à long terme, l'hyperpuissance est-elle vraiment vulnérable ? Je crois que non, car malgré la taille de la catastrophe, les coûts pour les réparations (plus de 100 milliards de dollars), au niveau des Etats-Unis, sont des coûts faibles qui, d'après les experts, impliqueront une baisse du taux de croissance de 0,5%, mais qui sera compensée dans trois ou quatre ans par une montée égale du taux de croissance grâce aux politiques de reconstruction. Donc, en conclusion, le coût économique de la catastrophe est relativement faible à long terme, parce que l'Amérique est un pays-continent et que la catastrophe qui nous paraît à nous gigantesque, à l'échelle des Etats-Unis, n'est qu'une catastrophe modérée.

Michel: Au vu des scènes de chaos où l'on a vu essentiellement des populations noires en souffrance, la société multiraciale et multiculturelle prônée par les classes dirigeantes n'est-elle pas un échec ?
Denis Lacorne:
Oui et non. Cela rappelle que c'est une société divisée, avec une ségrégation entre les races qui persiste, ségrégation qui reste géographique et économique puisque les classes moyennes blanches sont parties tranquillement en voiture. Quant aux Noirs pauvres, qui n'avaient ni voiture ni moyen de transport, on n'a pas trouvé un seul autobus pour les transporter alors que la catastrophe était déjà annoncée. On a bien une Amérique à deux vitesses où les Blancs bénéficient des annonces et des premiers secours, et où les Noirs les plus pauvres sont les laissés-pour-compte de cette société. Et le choc est d'autant plus grand aux Etats-Unis que les médias ne représentent d'habitude que les classes moyennes, les riches, ceux qui n'ont pas de problèmes avec la vie. Mais n'oublions pas que l'on a affaire aussi au Sud, la région du Mississippi, une région où les pauvres sont beaucoup plus nombreux que dans le reste des Etats-Unis. Et cela donne peut-être l'illusion que tous les Noirs sont dans une situation désespérée, alors qu'à New York, ou en Californie, ou au Texas, il y a une véritable classe moyenne noire qui représente entre un tiers et 40% de la population noire. Il faut donc éviter la généralisation abusive en concluant qu'il n'y a que des miséreux chez les Noirs aux Etats-Unis.

Michel:Les rivalités entre communautés vont-elles se raviver et la haine de l'autre s'amplifier ?
Denis Lacorne:
C'est peu probable parce que maintenant, enfin, même les plus pauvres sont transportés en dehors du cloaque de La Nouvelle-Orléans. Ils sont dans des centres d'accueil dans des villes prospères comme Houston au Texas ou même très loin comme Portland dans l'Oregon. Et là, en principe, il n'y a pas de raison qu'il y ait ségrégation dans les centres d'accueil. Mais la vie va être très difficile pour tous, Blancs et Noirs, il faudra qu'ils vivent en dehors de chez eux pendant six mois ou un an, et il n'est pas sûr qu'ils puissent revenir un jour dans leur ville d'origine, dont on va sans doute raser le tiers ou la moitié des bâtiments. Avec toutes les difficultés que cela implique: s'adapter à un autre endroit, trouver une nouvelle école pour 300 000 enfants. Il y a donc d'énormes problèmes d'organisation qui ne sont pas réglés dans des centres d'accueil où l'on n'a pas l'habitude de voir autant de Noirs. Il est possible qu'il y ait alors des tensions. Mais sans commune mesure avec ce qui s'est passé en 1927, au moment des grandes inondations du Mississippi, où l'on a vu cette chose horrible: des Blancs qu'on transportait sur des bateaux en dehors de villages inondés, alors que les Noirs restaient parqués dans des camps dans des conditions tout à fait insalubres. Et les Blancs chantaient sur le bateau cette chanson horrible et raciste: "Bye Bye Blackbirds" (Au revoir les merles).

Sariputra: Les fractures sociales que Katrina accuse étaient-elles ignorées par les Américains ? La perspective de finir comme les gens de La Nouvelle-Orléans leur fait-elle prendre conscience qu'un minimum de service public est nécessaire ? Cette catastrophe est-elle pour eux un déclencheur de prise de conscience ?
Denis Lacorne:
La mauvaise gestion des agences fédérales, le manque de préparation, la réduction des budgets consacrés à la prévention des crises, à la réparation des digues au bord des rivières, à la mise en place de mesures préventives ou, comme disent les Américains, de "prépositionnement" de citernes d'eau, d'hôpitaux ambulants, etc., sont la conséquence de la politique de déréglementation de Bush, consistant à diminuer les ressources des agences fédérales, à privatiser des domaines qui étaient des domaines du gouvernement fédéral et à donner une importance tout à fait exagérée à la charité religieuse, alors qu'on se rend bien compte que dans une catastrophe de la taille de celle-ci, seul un gouvernement, seules des autorités publiques peuvent faire face. En même temps, malgré les scènes de misère, de gens et de bébés qui meurent dans les rues, il y a quand même des protections sociales qui existent pour les plus pauvres. Si vous n'avez plus du tout de ressources, vous avez quand même l'accès gratuit à la médecine, des prêts au logement, des bons alimentaires qui vous permettent de survivre, dans de mauvaises conditions, mais de survivre malgré tout.

Sylvain: Pourquoi, selon vous, ce revirement de tendance de la part de George Bush dans le fait d'abord de refuser l'aide internationale puis de l'accepter ?
Denis Lacorne:
Parce qu'au début, il a sous-estimé de façon choquante la gravité des dégâts. Et face aux critiques conjointes très virulentes des démocrates, des républicains dans son propre camps, et aussi des médias jusque-là favorables à Bush, il n'était plus possible de faire la sourde oreille et de prétendre qu'on n'avait pas besoin d'aide. Bush est manifestement déstabilisé par cette affaire, qui va rendre très difficile le reste de sa présidence. Car on ne cessera de lui reprocher son incompétence.

Roseaux: Par rapport à la procédure conduite envers Bill Clinton , cette tragédie, peut-elle conduire à une procédure d'impeachment contre George Bush ?
Denis Lacorne:
Dans d'autres circonstances, oui, ce serait parfaitement logique, puisqu'il a failli à sa tâche de dirigeant des Etats-Unis en s'enferrant dans des politiques-fictions et la dénonciation de dangers imaginaires, comme le bouclier antimissile, comme les armes de destruction massive en Irak qui n'existaient pas, comme la crainte d'une attaque terroriste nucléaire avec des armes sales, c'est-à-dire des peurs imaginaires, au lieu d'anticiper les risques dont on connaissait la probabilité. Mais l'impeachment, c'est-à-dire la mise en accusation du président devant la Chambre des représentants, ne peut réussir que s'il y a une majorité des représentants qui votent contre le président. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans ce cas de figure: le Congrès est contrôlé par les républicains. Clinton, lui, faisait face à un Congrès contrôlé par les républicains; il était démocrate, mais au Sénat, où se joue l'enjeu final, il a obtenu une minorité suffisante pour empêcher cette condamnation. Il n'y aura pas impeachment du président Bush, mais il y aura des commissions d'enquête du Congrès qui ne manqueront pas de souligner toutes les bavures et toutes les responsabilités présidentielles. Bush est sur la défensive, et sa stratégie va être de blâmer les autres, à commencer par les autorités locales de Louisiane.

Mansario: Quel impact pourrait avoir cette catastrophe sur le moral des Américains, l'économie américaine et la guerre en Irak ? Comment les Américains arrivent-ils à admettre les dépenses extraordinaires dans les champs de guerre, 46% d'entre eux estimant que Bush fait de son mieux avec Katrina ? Alors qu'il ne fait débloquer que 10 milliards et demi de dollars...
Denis Lacorne:
Le sondage que vous citez, encore relativement favorable à Bush, indique quand même qu'il est sur la pente de l'impopularité, parce que plus on va en savoir sur l'impréparation présidentielle, plus on aura l'occasion de parler aux rescapés, plus sera atteinte la réputation du président et de son équipe. Le coût sera bien plus élevé, entre 100 et 150 milliards de dollars. Gigantesque pour nous, mais absorbable à l'échelle des Etas-Unis. Quant à l'Irak, et en général la lutte contre le terrorisme, toute la politique de Bush mettant l'accent sur la priorité de la lutte contre le terrorisme, sur la nécessité de la guerre en Irak, tout cela paraît dérisoire aujourd'hui face aux priorités internes.

"LES AMÉRICAINS SONT SORTIS DU PATRIOTISME MOU ISSU DU 11-SEPTEMBRE"

Mankem:Cette catastrophe va-t-elle contraindre Bush à revoir sa position sur le protocole de Kyoto ?
Denis Lacorne:
La réponse logique, c'est: oui, ça devrait, puisque le doublement par an des cyclones, plus l'érosion du littoral de la Louisiane et des îles du littoral qui servaient de protection contre les cyclones, tout cela est lié à la fois à l'urbanisation excessive de la côte, mais aussi au réchauffement du climat. Logiquement, donc, on devrait s'attendre à une révision de la politique américaine. Malheureusement, les Américains n'ont pas pris conscience de l'importance de ce phénomène, et les derniers sondages réalisés par le German Marshall Fund montrent que pour les Européens, la lutte contre le réchauffement de la planète est une priorité; mais pour la majorité des Américains, encore aujourd'hui, ce n'est pas du tout le cas. Bush ne sera donc pas poussé par l'opinion publique à changer son comportement vis-à-vis des accords de Kyoto. Je pense que les Américains ne font pas le lien explicitement entre ce qui s'est passé en Louisiane et le réchauffement de la planète. Pour eux, c'est plutôt un problème très concret de ressources insuffisantes pour consolider les digues des rivières ou des canaux, comme les Pays-Bas ont su le faire pour leurs grandes villes qui sont au-dessous du niveau de la mer, comme Rotterdam. Même chose pour Venise. Pour les Américains, la solution, c'est plus de grands travaux fédéraux, le type de grands travaux que Bush ne voulait plus faire. Ce qui veut dire que l'idéologie bushienne: "moins il y a de gouvernement, mieux on se porte", n'a plus aucun sens aujourd'hui. On revient à l'ère du "big government" et à la redécouverte de l'avantage d'un Etat interventionniste comme l'avait conçu Franklin Roosevelt au moment du New Deal.

Dmx: Certains journalistes américains semblent préoccupés par l'image d'une Amérique faible et raciste mise en lumière par Katrina. Cette préoccupation est-elle partisane (la gauche, les démocrates) ou est-elle plus largement partagée par les Américains ?
Denis Lacorne:
Les Américains ne sont pas dupes du fait qu'il y a toujours du racisme, des inégalités profondes. Mais on en parlait moins parce que les médias n'étaient pas focalisés sur les quartiers pauvres, les personnes en difficulté. Mais c'est quelque chose qui revient dans l'actualité tous les trois-quatre ans en cas de crime, d'émeute urbaine... Mais du point de vue extérieur, il est vrai que le mythe d'une Amérique progressiste, forte, sans ségrégation est un mythe. Ce mythe est aujourd'hui détruit, et l'antiaméricanisme ne peut que remonter dans l'opinion publique internationale. Je dirais même à juste titre, car il n'est pas anormal de critiquer de façon très sévère un gouvernement qui n'a pas su faire face et qui n'a rien fait pour aider les plus démunis. Au grand choc de journalistes anglais de la BBC qui, venant sur place, découvraient la présence de soldats et de gardes nationaux hyper-armés, mais il n'y avait pas un seul médecin, pas de tente de la Croix-Rouge, et ces soldats hyper-armés étaient face à des malades, et non pas à des ennemis.

H2o:Quels enseignements en tirer pour l'Europe ?
Denis Lacorne:
Si on compare l'Europe et les Etats-Unis, des pays comme les Pays-Bas ont su se protéger en fortifiant leurs digues. Les digues qui protègent les villes des Pays-Bas sont de deux à trois fois plus élevées et plus solides que les digues des rivières et des canaux de La Nouvelle-Orléans. C'est l'exemple même d'une bonne politique de prévention. Mais on est toujours à la merci, bien sûr, d'une catastrophe de grande ampleur, un grand tremblement de terre par exemple, qui détruirait une grande ville en France, en Espagne ou au Portugal, qui créerait une situation très difficile à laquelle nous ne sommes pas, peut-être, tout à fait préparés. Mais une comparaison utile, ces jours-ci, c'est de voir comment en Suisse, en France, en Allemagne, se comportent nos gouvernements lorsqu'il y a de grandes inondations. Les résultats sont-ils meilleurs ? La prévention est-elle meilleure ? Je pense que oui, mais cela mériterait une comparaison approfondie.

Dmx: Certains avaient prédit que la mondialisation n'allait pas enrichir les pays pauvres, mais créer à l'intérieur des pays riches des zones de type tiers-monde. Pensez-vous que Katrina a montré la justesse de cette prédiction ?
Denis Lacorne:
La pauvreté du sud des Etats-Unis n'est pas la conséquence de la mondialisation. Ou plutôt c'est la conséquence d'une mondialisation que l'on a oubliée, celle du XVIIIe siècle et du début du XIXe, avec le trafic des esclaves, utilisés dans les grandes plantations du sud des Etats-Unis, dont l'activité principale était l'exportation du coton, du tabac, etc. La pauvreté du Sud et des anciens esclaves est la conséquence d'une globalisation très ancienne qui n'a plus aucun rapport avec la globalisation d'aujourd'hui. Mais il faut bien comprendre qu'aux Etats-Unis, les blocs de pauvreté, ce n'est pas seulement Harlem à New York, c'est la plupart des Etats du Sud, et surtout de la région du Mississippi, dont l'économie n'est pas assez diversifiée. Les deux seules activités de la Louisiane, par exemple, sont le tourisme et les activités portuaires. Les ports qui exportent les produits agricoles que l'on fait descendre par péniche sur le Mississippi. C'est une économie qui ne favorise pas les emplois intermédiaires et l'éclosion d'une classe moyenne.
Le vrai changement aux Etats-Unis, c'est qu'enfin tous les Américains, et de nombreux républicains, sont sortis du patriotisme mou issu du 11-Septembre et ont retrouvé – un peu tard – leur esprit critique à l'égard d'un président qui fut favorisé par le sort et qui, aujourd'hui, doit faire face à une infortune qui n'était pas imprévisible mais a révélé la faillite des experts.

Chat modéré par Constance Baudry et Martine Jacot
LEMONDE.FR | 07.09.05 | 17h38


Le Monde / France
M. Sarkozy: "Voir la France telle qu'elle est, pas telle qu'on la rêve"

 Q uel bilan faites-vous des cent jours du gouvernement auquel vous appartenez ?
Un gros travail a été engagé même si je n'ai pas la fascination des anniversaires ni des dates. En tant que président de l'UMP, j'ai fait le choix politique de participer au gouvernement. Je ne le regrette pas. C'est un travail utile et le fait que le président du principal parti de la majorité en fasse partie est un gage d'unité pour cette majorité. C'était le choix nécessaire.

Selon vous, le gouvernement avance-t-il dans le bon sens et à une vitesse suffisante ?
Il fait le maximum dans le cadre des marges de manoeuvre qui sont les siennes. Le débat sur le rythme et l'ampleur des réformes a eu lieu dès avant 2002. Je pensais qu'il fallait un projet pour gagner l'élection présidentielle. Je le pensais hier. J'en suis plus convaincu encore aujourd'hui.
Ensuite se sont produits le choc du 21 avril 2002, le séisme d'avril 2004 quand la majorité a perdu vingt régions sur vingt-deux, et enfin, le vote des Français au référendum et la victoire du non. Les réponses à ces trois crises politiques n'ont pas encore été apportées. Dans ces conditions, la question du rythme et de l'importance des réformes reste l'un des enjeux de la présidentielle de 2007. Je suis convaincu que la France n'est pas réactionnaire et que les Français espèrent un changement profond dans la façon de concevoir la politique.

Vous prônez la rupture avec les politiques menées depuis trente ans. Concrètement, en quoi consiste-t-elle ?
La rupture, c'est un discours de vérité: regarder la France telle qu'elle est, non pas telle qu'on voudrait qu'elle soit, telle qu'on la rêve. Le statut d'un pays n'est pas seulement fonction de son histoire mais des efforts qu'il fait pour mériter ce statut.
La France ne peut s'exonérer des efforts qu'ont faits les autres pays. Notre système d'intégration est en panne, notre économie perd de la compétitivité, notre ascenseur social fonctionne moins bien qu'il y a cinquante ans. Depuis que j'ai lancé moi-même ce débat, plus personne ne considère que la réalité sociale de notre pays soit conforme à son idéal.
Nous ne pouvons nous abstenir de regarder ce qui marche ailleurs: la Finlande est parvenue à remettre les seniors au travail, aux Pays-Bas moins de 5% des jeunes sont au chômage, la Grande-Bretagne est en situation de plein emploi. Il n'y a aucune raison pour que la France n'y parvienne pas. Qui pourrait me reprocher de souhaiter le meilleur pour la France ?

En Allemagne, la candidate de la CDU, Angela Merkel, pourrait devenir chancelier, le 18 septembre prochain. Elle propose des réformes économiques radicales. Etes-vous prêt à aller aussi loin qu'elle ?
Je m'inscris en faux contre le mot de "radical". Il porte en soi la notion d'excès. Or c'est parce que la réforme vient à temps qu'elle ne sera pas radicale. On ne peut vouloir l'Europe, parler de la gémellité entre l'Allemagne et la France et considérer que l'on pourrait être sur un rythme de réforme différent.
La Cour suprême allemande a décidé depuis longtemps que les Allemands ne devaient pas payer plus qu'un certain niveau d'impôt. Comment imaginer que la France puisse s'exonérer d'une règle qui concerne 82 millions d'Allemands ?
C'est la raison pour laquelle je propose qu'aucun Français ne paye en impôt plus de 50% des revenus de son travail et que cet objectif ait une valeur constitutionnelle.

Cela ne suppose-t-il pas de rompre avec un certain niveau de solidarité ?
C'est tout l'inverse. Qui peut affirmer qu'on peut rester avec le système social le plus généreux du monde et les contreparties les plus faibles ? Ne pas imposer un minimum d'activité à quelqu'un qui bénéficie d'un minimum social ce n'est pas un acquis social, c'est une erreur doublée d'une lâcheté. Ne pas imposer qu'après un certain nombre de refus d'un emploi, un chômeur garde tous ses avantages, c'est une erreur doublée d'une même lâcheté. Il faut assurer aux Français qui travaillent et qui financent le système que celui qui en bénéficie fait des efforts pour s'en sortir.

Mais que faire de ceux qui sont les "largués" du système ?
Les aider massivement pour qu'eux aussi puissent réussir. Il faut rendre la réussite accessible à tous ceux qui la méritent. Elle n'est pas un dû qu'on vient chercher à un guichet mais un droit que l'on obtient par son travail. C'est cela le nouveau modèle français que j'appelle de mes voeux et c'est cela qui créera la richesse collective dont nous avons besoin.
Prenons l'exemple de la prime pour l'emploi ? C'est une bonne idée, une bonne mesure. Mais faut-il donner 25 euros à 8 millions de personnes ou davantage à moins de gens ? Le problème est que la France refuse de faire des choix. Je crois qu'il faut être capable de donner plus à celui qui a moins et qui cumule le plus de handicaps. Cela s'appelle la discrimination positive à la française.

On dit pourtant que la France est rétive aux réformes et que le risque de blocage est réel...
C'est faux. C'est parce que l'on a trop souvent fait des réformes à doses homéopathiques qu'on en a tous les inconvénients sans les avantages. La France n'est pas réactionnaire. Nos compatriotes ne craignent pas le changement, ils l'attendent.
L'avenir est devenu une menace alors qu'il était une espérance. Une société qui vit avec cette impression ne peut être une société de croissance. Or, la question économique n'est pas uniquement celle de la distribution des richesses mais aussi celle de leur création.
Ces discours sur la solidarité nationale, sur la politique sociale, sont devenus vides de sens puisque les Français voient au quotidien que les injustices ne cessent de progresser. Et ce n'est pas le Parti socialiste qui va lutter contre cela puisqu'ils sont les nouveaux conservateurs. Ils incarnent la France de la glaciation.

Est-ce un risque d'être identifié comme un "libéral" ?
Je ne suis pas réductible à la seule doctrine libérale, ni même à la seule droite. Si le PS était encore une force de progrès, il aurait défendu la discrimination positive depuis longtemps. S'il avait un minimum de colonne vertébrale, il aurait eu le courage de supprimer la double peine avant que je ne le fasse.
Il y a longtemps qu'un homme de gauche aurait dû se lever pour dire que la France n'est pas que catholique mais multiple. Mes convictions sont simples: pas d'immobilisme, du pragmatisme, pas de vision hexagonale, de l'efficacité pour faire reculer les injustices. Là-dessus, j'irai jusqu'au bout et sans compromis.

Votre position critique sur la politique menée, tout en étant membre du gouvernement, est-elle compréhensible pour les Français ?
Le fait d'être au gouvernement ne doit pas empêcher de débattre. Je soutiens ce gouvernement auquel je participe loyalement. Mais, en tant que président de l'UMP, je parle pour un avenir qui va au-delà des dix-neuf mois qui viennent et qui bornent l'horizon du gouvernement. Par ailleurs, j'ai une appréciation critique sur ce qui se fait depuis trente ans. Que devrais-je faire ? Ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre ?

Mais durant ces trente années que vous décriez, vous avez été ministre à plusieurs reprises ?
Que voulez-vous me faire dire ? Que je suis coresponsable ? Eh bien oui. Je ne m'exonère pas de mes responsabilités mais vous ne pouvez pas me faire le reproche de dire "attention casse-cou".
Je ne veux pas être le plus petit dénominateur commun de l'UMP. J'ai la liberté et le devoir de penser et de préparer les combats de 2007 pour la famille que je préside. Il n'y a là aucune contradiction avec mon rôle de ministre. Avec Dominique de Villepin, on a fait le choix de travailler ensemble. C'est ce que nous faisons dans un climat amical et confiant.

Mais vous êtes concurrents...
Où est le problème ? Je ne peux pas dire la concurrence c'est mauvais pour moi et bon pour les Français. Je ne suis pas à la tête d'un clan ou d'une secte mais d'une famille diverse que j'ai l'ambition de continuer à agrandir.

Vous paraissez pourtant déstabilisé par l'émergence de Villepin en possible candidat ?
Pas le moins du monde. Voilà trente ans que je suis en concurrence. Aujourd'hui, le petit jeu c'est Villepin et moi. Nous ne sommes pas dupes, ni lui ni moi. Je ne suis pas assez naïf pour croire que la presse allait écrire la chronique d'un succès annoncé.
Tous ceux qui pensent à la présidentielle doivent savoir que c'est une longue marche. Ils doivent l'affronter avec sérénité et avec le sens du temps. La presse est dans l'immédiateté: vous avez un journal à faire pour le lendemain. Moi j'ai une perspective à tracer et des choses à dire pour l'avenir de la France et la vie quotidienne des Français.

Le président est hospitalisé mais les Français n'ont pas d'informations précises sur sa santé. Si vous étiez élu à l'Elysée, vous engageriez-vous à plus de transparence ?
C'est un sujet sur lequel je ne peux m'engager, parce que c'est moi, parce c'est lui et parce que c'est maintenant. Je ferai des propositions sur la modernisation de la politique au printemps 2006.

Son problème de santé élimine-t-il l'hypothèse de sa candidature en 2007 ?
Non.

Cela vous oblige-t-il à retenir votre critique à son endroit ?
Là où vous voyez des critiques, je ne vois que des convictions. La vie politique en a bien besoin.

Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué, Eric Le Boucher, et Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 08.09.05


Le Monde / France
L'Elysée dément que le président souffre de troubles de la parole

 L a communication sur la santé de Jacques Chirac, hospitalisé au Val-de-Grâce pour un accident vasculaire cérébral depuis le vendredi 2 septembre au soir, fait l'objet d'un contrôle très étroit de l'Elysée. "Tout se passe comme prévu dans la ligne exacte du communiqué d'hier. Cela ne justifie donc pas un communiqué spécifique aujourd'hui ", a déclaré, mardi 6 septembre, Anne Robert, le médecin responsable de la communication du service de santé des armées, qui mentionnait lundi "une évolution très favorable" de la santé du président.

Le président du Conseil de l'ordre des médecins, Jacques Roland, a pris cependant ses distances avec cette communication officielle, dans La Croix du mercredi 7 septembre: "Pour moi, ces communiqués n'émanent pas des médecins qui soignent le chef de l'Etat. (...) Ces communiqués, présentés comme médicaux, sont en réalité des textes mis au point par le patient, ses proches et ses conseillers", déclare-t-il. M. Roland ajoute que "nous ne sommes plus dans la communication médicale mais le filtrage d'informations d'origine politique".

"RIGUEUR MÉDICALE"

Le ministère de la défense, dont dépendent les médecins militaires du Val-de-Grâce, averti de cette prise de position par une dépêche de l'AFP, mardi soir, a réagi à 22h55: "Les communiqués sur l'état de santé du président de la République ont respecté l'exigence de rigueur médicale." Ils ont été "établis par l'hôpital du Val-de-Grâce", assure le ministère de Michèle Alliot-Marie, "à la demande expresse du patient".

En fait, trois personnes seulement, en dehors de sa proche famille et des médecins, ont vu le président depuis son hospitalisation: le secrétaire général de l'Elysée, Frédéric Salat-Baroux, le conseiller diplomatique, Maurice Gourdault-Montagne, le premier ministre, Dominique de Villepin. Celui-ci, a indiqué l'Elysée, s'est entretenu avec le président mardi soir par téléphone. Ils se sont vus, mercredi matin, avant le conseil des ministres qui se tient à Matignon.

RTL mentionnait, lundi 5 septembre, des informations selon lesquelles "vendredi soir, le président -souffrait- de très légers troubles de la parole" (symptôme qui témoignerait alors d'une certaine gravité de l'accident vasculaire cérébral). Lundi, l'Elysée se refusait encore à infirmer ou à confirmer officiellement cette information, se retranchant derrière les communiqués médicaux.

Mercredi matin, cependant, devant l'extension de la rumeur, l'attachée de presse du président Agathe Sanson, explique: "Ce qu'il y a dans les communiqués est la seule information valable. Il y avait des troubles de la vision. Il n'y a aucun autre trouble."

Le président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, ami du président, n'a toujours pas parlé au chef de l'Etat. Contacté à plusieurs reprises, l'entourage du président de l'Assemblée, Jean-Louis Debré, n'a pas répondu à la question de savoir si ce très proche du président lui avait parlé directement.

Mardi, l'Elysée s'était attaché à faire connaître en détail la teneur d'une conversation de 45 minutes que M. Chirac a eue dans la journée avec le chancelier allemand Gerhard Schröder. Mais ces conversations nécessitent toujours le truchement d'un interprète. Contacté mardi soir, le principal porte-parole du gouvernement allemand, Bela Anda, a renvoyé à ce qu'a rapporté l'Elysée de cet entretien, affirmant qu'"il n'y avait personne à côté du chancelier" au moment de la discussion. Son contenu est "confidentiel" , a-t-il précisé.

La sortie de l'hôpital de Jacques Chirac est toujours programmée pour la fin de la semaine. A l'Elysée, on affirme préparer comme prévu le voyage que doit effectuer le président à New York, du 13 au 15 septembre. Mais on explique qu'en fin de semaine, "ce sont les médecins qui décideront s'il peut prendre l'avion".

Béatrice Gurrey avec Antoine Jacob à Berlin
Article paru dans l'édition du 08.09.05


Le Monde / International
Les leaders noirs récusent le terme de "réfugiés" pour qualifier les sinistrés en quête d'abris
NEW YORK de notre correspondante

 L e président Bush a ostensiblement donné raison, mardi 6 septembre, aux responsables africains-américains qui protestent contre l'utilisation du terme de "réfugiés" pour désigner les habitants qui ont perdu leur maison. "Ce ne sont pas des réfugiés", a dit le président, en recevant des responsables d'associations caritatives, "ce sont des Américains" . Le 3 septembre, M. Bush avait été accusé par le rappeur Kanye West d'avoir tardé à secourir les sinistrés de La Nouvelle-Orléans et de "se moquer des Noirs" , lors d'un concert de solidarité télévisé en direct.

La querelle de sémantique a commencé quand les médias ont utilisé le terme de "réfugiés" à propos des sans-abri qui campaient dans le stade du SuperDome. Le terme n'est pas correct, selon la définition juridique (pour être réfugié, il faut se trouver en dehors de son pays et craindre d'y retourner), mais s'il a choqué les leaders noirs, c'est parce qu'ils le trouvent chargé d'une connotation "péjorative".

Le révérend Jesse Jackson l'a jugé "raciste". Le révérend Al Sharpton l'a lui aussi condamné: "Ce ne sont pas des réfugiés errant quelque part en attendant la charité, mais des citoyens de Louisiane et du Mississippi payant leurs impôts. Ils sont les victimes de la négligence et d'une situation dans laquelle ils n'auraient jamais dû se trouver."

Depuis, les envoyés spéciaux prennent soin de parler de "déplacés" ou d'"évacués" . Les sans-abri sont plusieurs centaines de milliers. Au moins 273 600, selon un bilan provisoire. Ils sont progressivement dispersés de plus en plus loin du golfe du Mexique, dans seize Etats américains.

Mardi, la télévision a montré des survivants arrivant en avion dans tout le pays, de San Diego ­ où le gouverneur de Californie a proposé d'en héberger un millier ­ à Washington, où 290 ont été installés dans l'ancienne armurerie qui abrite la Garde nationale. L'agence des secours d'urgence, la FEMA, essaie de les reloger dans des caravanes, des installations militaires ou des hôtels. Les défis sont monumentaux. Plusieurs dizaines de milliers d'enfants doivent être scolarisés. Des milliers de personnes âgées doivent pouvoir recevoir leur retraite. Au Texas, ils sont 240 000, dont 22 000 sur des lits de camp dans le stade de l'Astrodome à Houston et 16 000 à Dallas. Un projet d'hébergement de 4 000 personnes sur des bateaux de croisière a tourné court, les réfugiés n'avaient pas envie de se retrouver sur l'eau.

Les initiatives individuelles sont nombreuses. L'ancien vice-président Al Gore a payé un charter d'American Airlines pour convoyer, dimanche, tout un groupe dans son Etat du Tennessee. Un homme d'affaires a loué un Boeing 737 pour amener 80 déplacés à San Diego, où leur ont été offertes 4 nuits dans un hôtel de luxe. 150 000 lits ont été offerts par l'intermédiaire d'un site créé par l'association anti-Bush Moveon.org.

Dans ce contexte charitable, Barbara Bush, la mère du président, s'est fait remarquer par un commentaire décalé. Visitant l'Astrodome de Houston, elle a indiqué que l'hospitalité texane était appréciée. "Ce que j'entends, et cela fait presque peur, c'est qu'ils veulent tous rester au Texas", a-t-elle dit. Malgré les conditions de précarité ? "Vous savez, une grande partie des gens qui sont ici étaient des déshérités de toute façon, alors cela leur convient très bien."

Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 08.09.05


Le Monde / International
Le rapport Volcker attaque la gestion de l'ONU

 L' Organisation des Nations unies a besoin d'une profonde et urgente réforme, ainsi que d'importants moyens de contrôle financiers, si elle souhaite éviter que ne se reproduisent les "pratiques de corruption illicites et contraires à l'éthique" qui ont eu lieu dans le cadre du programme "Pétrole contre nourriture" mis en place pour l'Irak, estime la commission chargée d'enquêter sur les failles de ce projet.

Après un an de travail, cette commission indépendante dirigée par l'ancien président de la Réserve fédérale (banque centrale américaine), Paul Volcker, a dévoilé, mardi 6 septembre, quelques-unes des conclusions du rapport qu'elle présentera, mercredi, dans leur intégralité.

Elle affirme notamment que l'ONU n'est pas préparée pour gérer des opérations de l'ampleur de "Pétrole contre nourriture". Un programme qui a fonctionné entre 1996 et 2003 et qui devait permettre à l'ancien président irakien, Saddam Hussein, de vendre du pétrole, malgré l'embargo, pour pouvoir acheter médicaments et nourriture pour la population éprouvée par les sanctions décidées en 1990. "Il manquait un cadre adéquat de contrôle et d'audit (...) Il y a des exemples de corruption au niveau de la direction comme au niveau du personnel sur le terrain" peut-on lire dans la préface du rapport, diffusée sur Internet.

Le document semble exonérer de tout manquement à l'éthique le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, mais il le rend, en revanche, responsable de "déficiences de gestion" . A en croire les conclusions de la commission, un des problèmes majeurs du programme est, en effet, que personne n'en était vraiment aux commandes. Pas plus le Conseil de sécurité, censé le superviser, que le secrétariat de l'ONU, que les agences onusiennes ou que l'Assemblée générale.

Ces carences auraient permis à Saddam Hussein d'exploiter le programme et de profiter de la "corruption généralisée" au sein d'entreprises privées, sur laquelle reviendra la commission dans un rapport en octobre.

Par ailleurs, selon une enquête conjointe des quotidiens britannique et italien, Financial Times et Il Sole 24 ore, rendue publique mercredi, Kojo Annan, le fils du secrétaire général de l'ONU aurait perçu plus de 750 000 dollars de la part de firmes pétrolières, liées au scandale "Pétrole contre nourriture". L'avocat de Kojo Annan a opposé un démenti. ­

(AFP, Reuters.)
Article paru dans l'édition du 08.09.05


Le Monde / Régions
Le gouvernement a caché l'existence des cultures commerciales d'OGM

 L e gouvernement a-t-il délibérément organisé le secret autour des cultures commerciales de maïs transgénique en France, ou s'est-il montré incapable de les contrôler ? La question se pose après la révélation par Le Figaro du 6 septembre que près de 1 000 hectares de maïs transgénique étaient exploités dans le sud-ouest de la France.

Canada: procès pour contamination au colza

Un problème majeur posé par les cultures transgéniques est le risque de contamination des champs voisins cultivés de manière conventionnelle ou en agriculture biologique. Au Canada, où le colza est dans une très grande proportion transgénique, un millier d'agriculteurs biologiques ont déposé une plainte contre Monsanto et Bayer, qui commercialisent les semences de colza transgénique. La plainte a été jugée recevable le 30 août par la cour d'appel de l'Etat du Saskatchewan, dans l'ouest du pays. "Le cas soulève des points de droit nouveaux et potentiellement controversés" , a indiqué le juge Cameron. "La question n'est pas mineure, elle concerne l'indépendance et la survie de tous les paysans du monde" , affirme Dale Baudoin, un des plaignants.

En France, les conditions de coexistence entre cultures OGM et non OGM doivent être réglées par le projet de loi annoncé pour la fin de l'année. La question de la responsabilité des producteurs en cas de contamination devrait être alors une des questions les plus discutées.

Un comité de biovigilance, instauré en 1999 par l'article L 251-1 du code rural, est en effet "chargé de donner un avis sur les protocoles de suivi de l'apparition éventuelle d'événements indésirables" pouvant intervenir lors de la dissémination d'organismes génétiquement modifiés (OGM). Le texte dispose aussi que "la traçabilité des produits doit être assurée soit par suivi du produit, soit par analyse" . Mais le comité n'a pas été informé de l'ampleur des cultures commerciales lors de sa dernière réunion en mai. "Rien n'a été dit sur ce qui était planté cette année" , dit Arnaud Apoteker, qui représente Greenpeace dans cette instance. "Le comité n'est pas censé être informé des cultures commerciales" , indique-t-on au ministère de l'agriculture. "Au contraire, le comité provisoire était censé travailler sur l'impact des OGM commercialisés" , contredit Pierre-Henri Gouyon, chercheur à l'université d'Orsay (Paris-XI) et membre du comité. Le flou règne de toute façon en la matière, puisque le décret prévu pour organiser le fonctionnement définitif du comité n'a jamais été publié.

Le public n'est pas mieux informé que les experts par l'administration. Le site Internet gouvernemental d'information du public (www.ogm.gouv.fr) indique que "moins de 100 ha d'OGM sont cultivés en France".

PAS DE REGISTRE PUBLIC

Plus généralement, le gouvernement n'a pas appliqué les dispositions de la directive européenne 2001-18 régissant les disséminations d'OGM, qui impose qu'un registre public des cultures transgéniques soit tenu, ce qui suppose une déclaration obligatoire des cultures. Il est vrai que la France n'a toujours pas transposé cette directive ­ elle aurait dû le faire en 2002 ­, ce qui lui a valu plusieurs remontrances de la part de la Commission européenne et une condamnation le 15 juillet 2004 par la Cour de justice des communautés européenne.

Le paradoxe est cependant que les cultures commerciales de maïs transgénique pourraient être considérées comme légales. Le maïs planté en 2005 est en effet une variété contenant le transgène MON 810 de la firme Monsanto. Or celui-ci a été autorisé en 1998, avant que l'Europe adopte un moratoire en 1999 (levé en 2004) et la nouvelle directive 2001-18. C'est le même maïs, résistant à un insecte, la pyrale, qui est cultivé en Espagne, sur 60 000 hectares, où il n'est pas destiné à l'alimentation humaine mais à celle du bétail. Cependant, il ne semble pas qu'un dispositif de traçabilité de ce maïs soit prévu en France.

Le secret de ces cultures commerciales a provoqué de vives réactions chez les élus et les associations concernés. Certes, 1 000 ha semblent peser peu relativement aux quelque 3 millions d'ha de maïs cultivés en France. Mais c'est près de vingt fois plus que les 50 ha cultivés à fin d'expérimentation, sur lesquels le débat public s'est focalisé depuis deux ans. Pour Philippe Martin, député (PS) du Gers, "c'est le triple principe de risque, de prolifération et d'opacité qui est appliqué dans le domaine des cultures commerciales d'OGM". "En l'absence de toute réglementation stricte et de tout régime d'indemnisation, l'Etat doit se poser la question de leur neutralisation" , ajoute M. Martin, d'autant plus "choqué" que son projet de référendum d'initiative populaire sur les OGM, qu'il envisage dans son département, est bloqué par le préfet et le tribunal administratif.

Martin Malvy, président (PS) de la région Midi-Pyrénées, se dit "inquiet et en colère": "Nous ne pouvons accepter cette promiscuité transgénique qui peut remettre en cause la politique agricole de la région, reposant sur la traçabilité de produits agricoles de qualité. La contamination par les OGM fait peser une menace sur une large part de notre filière agricole" , déclare- t-il au Monde . Christian Ménard, député (UMP) du Finistère et rapporteur de la mission parlementaire qui a recommandé, en avril, une pause dans les essais d'OGM, indique qu'il n'avait "aucune connaissance de ces cultures". "Il faut la plus grande transparence, sinon on n'arrivera à rien" , précise-t-il.

Quant aux faucheurs volontaires, ils sont surpris de l'ampleur des cultures commerciales en France. "Cette information survient quelques jours avant le début de plusieurs procès. Les procureurs vont attaquer l'illégalité des faucheurs alors que le gouvernement lui-même organise des cultures hors-la-loi" , dit José Bové, leur porte-parole.

Du côté gouvernemental, la réaction a été réduite à un communiqué du ministère de l'agriculture, reconnaissant les cultures sur "492,8 ha" . Il annonce un projet de loi qui sera présenté au Parlement cet hiver. Visant à transposer la directive 2001-18, le projet "rendra obligatoire la déclaration de mise en culture", "permettra d'adopter des mesures de coexistence" avec les cultures non OGM, et donnera au ministre de l'agriculture "le pouvoir d'adopter par voie réglementaire les conditions d'information du public" .

Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 08.09.05


Le Monde / Régions
Agriculteur dans le Gers et président de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM)
Trois questions à Christophe Terrain

 A griculteur dans le Gers et président de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM), avez-vous été surpris par la révélation selon laquelle plus de 1 000 hectares de maïs transgénique seraient cultivés en France ?

Non. Nous sommes un peu les animateurs de ce dossier. A la suite de trois années d'expérimentation sur la coexistence du maïs OGM et non-OGM, entre 2002 et 2004, nous avons formulé un cahier des charges. Des producteurs nous ont sollicités afin d'utiliser ce guide de coexistence des filières.

Il s'agit essentiellement d'exploitations du Sud-Ouest, plutôt en culture irriguée. C'est une demande qui correspond à une phase expérimentale, venant d'agriculteurs qui veulent lutter contre des ravageurs, la pyrale et la sésamie, et utilisent à cet effet des variétés transgéniques produites par Monsanto, mais aussi par Pioneer. Celles-ci sont inscrites au catalogue européen et leur culture est parfaitement légale.

Les semences proviennent d'Espagne. Et c'est en Espagne que les agriculteurs avaient des débouchés pour cette production, uniquement destinée à l'alimentation animale. Il y a là-bas une filière OGM bien établie, avec 60 000 hectares cultivés en 2005.

Pouvez-vous préciser l'ampleur exacte de ces pratiques en France et leur mode d'encadrement ?

Nous n'avons pas les moyens d'en mesurer l'étendue totale. Mais il s'agit généralement de parcelles de 5 hectares, qui couvrent un vingtième de la surface d'une exploitation, et situées au coeur de celles-ci, pour éviter les problématiques liées au voisinage.

Le cahier des charges prévoit l'information de l'environnement immédiat ­ les stockeurs, coopératives et négociants, mais aussi les voisins et le comité de biovigilance du ministère de l'agriculture. C'est ce qui aboutit à l'estimation de 500 ha cultivés. Mais cette procédure déclarative est volontaire.

Le guide préconise aussi un nettoyage du matériel et des installations dédiées. Au niveau des pratiques agricoles, il prévoit des zones tampon limitées de 10 mètres entre parcelles OGM et conventionnelles, afin d'éviter les contaminations.

Est-ce que cette révélation vous arrange ?

Nous sommes agacés que la législation ait toujours un temps de retard. A huit jours de notre congrès national sur le maïs, les producteurs sont préoccupés par d'autres questions que les OGM, comme l'irrigation, les charges liées à la hausse du carburant et des marchés déprimés.

Mais le dossier OGM les intéresse aussi. Et la transposition de la directive 2001-2018 sur la coexistence des filières tardait. Peut-être les choses se feront-elles plus rapidement, mais peut-être aussi de façon plus passionnée.

Propos recueillis par Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 08.09.05


Le Monde / France
L'Elysée prépare la sortie d'hôpital de M. Chirac

 V ous le verrez. Vous le verrez en pied, vous vérifierez qu'il parle ! Il ne se contentera pas d'agiter une main par la fenêtre": jeudi 9 septembre, le service de presse de l'Elysée, confirmant la sortie de Jacques Chirac du Val-de-Grâce pour vendredi ou samedi, a assuré que le président ne sortirait pas à la sauvette de l'hôpital militaire. Il y avait été admis en urgence, dans le plus grand secret, vendredi 2 septembre dans la soirée, après un accident vasculaire cérébral.

Après avoir maintenu le flou autour de la santé du président, et imposé la publication de communiqués médicaux laconiques publiés par le Val-de-Grâce, l'Elysée doit faire face aujourd'hui à bon nombre d'interrogations et de rumeurs.

Jean-François Copé, le porte-parole du gouvernement, interrogé jeudi matin sur Europe 1, a donc tenté de désamorcer l'inquiétude: "Je vous confirme que le président s'est rétabli vite, qu'il va bien, que sa sortie est prévue effectivement d'ici à la fin de la semaine, dans des délais très courts, maintenant."

Interrogé sur le caractère imprécis d'informations médicales diffusées jusque-là avec parcimonie, le ministre a affirmé que le chef de l'Etat a été "très attentif à ce que les communiqués diffusés par les autorités médicales du Val-de-Grâce donnent très précisément l'état des choses" . Mais il a répété que le secret médical doit être applicable à Jacques Chirac "comme à n'importe quel patient". Pour autant, "les Français ont le droit de savoir exactement si le président est en situation d'exercer pleinement ses fonctions. En l'occurrence, cela a été le cas."

Enfin, M. Copé a déploré "qu'un certain nombre de rumeurs aient été au-delà de l'indécence." "Ce qui compte, ce sont les faits, a-t-il ajouté. Le président va tout à fait bien."

"COMME UN LION EN CAGE"

L'Elysée, qui s'est appliqué depuis le week-end dernier, à montrer que le président continuait à travailler, tandis que le Val-de-Grâce faisait état d'une amélioration constante de sa santé, paraît avoir désormais compris que l'absence, physique et en image du président, ne pouvait durer trop longtemps.

Déjà, mercredi, interrogé par Le Monde, le service de presse de l'Elysée a consenti à être un peu plus précis et à démentir au moins les rumeurs qui circulent maintenant dans les milieux politiques. "Ce qu'il y a dans les communiqués est la seule information valable, a affirmé Agathe Sanson, chef du service de presse de l'Elysée. Il y avait des troubles de la vision. Il n'y a aucun autre trouble", répondant ainsi à une rumeur évoquée sur les radios selon lesquelles le président aurait souffert à son arrivée à l'hôpital, vendredi 2 septembre, de possibles troubles de l'élocution.

Interrogés par Le Monde mercredi, sur le point de savoir si la presse pourrait finalement voir le président à sa sortie, les collaborateurs du chef de l'Etat ont d'abord répondu qu'ils ne cherchaient "ni à instrumentaliser, ni à cacher" l'événement.

Pour sa sortie, prévue dans les 48 heures, l'équipe présidentielle assure cependant qu'elle se refusera à "en faire une mise en scène."

Mais elle ne cesse désormais de laisser entendre que le président, pratiquement rétabli maintenant tournerait "comme un lion en cage", pressé de sortir au plus vite de l'hôpital. Téléphoner, écrire, regarder la télévision, écouter la radio, ou recevoir pour des entretiens de travail ses deux plus proches collaborateurs, le secrétaire général de l'Elysée Frédéric Salat-Baroux ou son conseiller diplomatique Maurice Gourdault-Montage, ou le premier ministre Dominique de Villepin, ne lui suffirait bientôt plus. "Il va falloir trouver à l'occuper", glisse ses collaborateurs depuis deux jours.

On ne sait toujours pas cependant si le président pourra se rendre au sommet de l'ONU, à New York du 13 au 15 septembre.

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 09.09.05


Le Monde / Opinions
Editorial
La France à son rang, par Jean-Marie Colombani

 A u lendemain du cruel et cuisant verdict du référendum sur la Constitution européenne, qu'il avait organisé et qu'il a perdu, Jacques Chirac avait annoncé au pays des jours "difficiles".

Les difficultés commencent à poindre, en effet; le malheur est que le chef de l'Etat y contribue plus que de raison. Il aura suffi d'un "pépin de santé" ­ selon l'expression du premier ministre ­ pour que s'installe un mode de direction dynastique, tout entier ordonné en vue de la mise en scène et en place d'un "dauphin".

Le moment le plus spectaculaire en sera le face-à-face à l'ONU entre Dominique de Villepin et George Bush, formidable anticipation du souhait présidentiel de choisir lui-même son successeur.

L'objection vient immédiatement: ce n'est tout de même pas la faute de Jacques Chirac si, malade, il demande au premier ministre de le suppléer. Sauf que cette mise en place progressive du dauphin n'est jamais qu'accélérée par l'épisode médical subi par le chef de l'Etat. S'installe donc progressivement une situation politique confuse qui n'est pas la bienvenue, au moment où précisément il faudrait prendre à bras-le-corps les "difficultés" du pays, amplifiées par le non au référendum. Il n'est jamais bon d'organiser l'incertitude politique au moment où il faudrait convaincre le pays d'un effort inédit.

Passons sur le moment tout aussi dynastique qu'a représenté le bref séjour de Jacques Chirac à l'hôpital: l'"information" donnée au pays aurait dû être médicale, elle ne le fut pas, car les médecins ­ militaires en l'occurrence ­ ne peuvent être délivrés du secret que par l'intéressé; à plus forte raison quand ce dernier est aussi chef des armées.

Mais l'essentiel n'est pas là. Il réside plutôt dans ce constat: l'échec du référendum a bel et bien réduit le statut de la France, atténué l'écho de sa voix, bref, abaissé son rang; et ce durablement. La France, en Europe, n'est plus en mesure d'exercer un leadership que le texte constitutionnel avait aussi pour objectif de restaurer. Une part de la ­ modeste ­ conquête de popularité par le nouveau premier ministre s'explique d'ailleurs par une allure et un statut acquis devant l'Assemblée générale des Nations unies qui masquent, par l'image, la réalité de cet abaissement; quand le président renvoie au contraire à celui-ci.

A cela s'ajoute le fait que la classe politique et, avec elle, le pays tout entier ont perdu le levier pour la réforme qu'ont constitué pendant trente ans les avancées de la construction européenne: désormais, les difficultés comme leurs solutions ne peuvent plus être abordées que de manière directe, sans détours et sans le prétexte de la règle bruxelloise. Et si la France veut un jour à nouveau prétendre à un nouveau leadership en Europe, il lui faudra relégitimer son action à partir de ce qu'elle sera capable de montrer par elle-même: son rayonnement futur dépendra bien davantage de sa capacité à se réformer et à tenir son rang dans la compétition mondiale; l'échappatoire que constituait l'Europe n'existera plus de la même façon: voilà nos dirigeants seuls face à leurs responsabilités.

De ce point de vue, le premier ministre inscrit son action dans le droit-fil de celle du président de la République, qui n'a cessé de dire qu'il veut "défendre" le modèle français.

Propos consensuel s'il en est, malgré les carences criantes dudit "modèle": construit en lien direct avec l'emploi, il pénalise désormais l'emploi et n'est plus dirigé vers ceux qui en ont le plus besoin: doit-on rappeler que les morts de la canicule de l'été 2003 auront été, selon toute probabilité, plus nombreux que les victimes américaines du cyclone Katrina; ou que 30 000 demandes de logement social restent insatisfaites dans la seule région Ile-de-France

Mais les deux plus hauts responsables de l'Etat plaident que la mondialisation privilégie les forts et constitue donc une menace pour la tradition française de solidarité envers les faibles.

Le constat n'est pas faux. La stratégie qu'ils en déduisent l'est largement. Loin de croire qu'il faut "protéger" le modèle et le préserver, il faut au contraire l'adapter, et l'adapter maintenant.

Pourquoi ? D'abord parce que, comme l'a dit Thierry Breton, le modèle n'est plus défendu qu'à crédit. La France a les impôts parmi les plus lourds des pays européens, mais le niveau de la dépense publique est tel que l'Etat doit, en plus, s'endetter année après année. Depuis trente ans, la dette publique a triplé; l'Etat dépense 25% de plus qu'il ne gagne. Qui peut prétendre que l'on va pouvoir continuer impunément ?

Ensuite parce que, faute du "cadrage" politique qui lui est nécessaire, l'Union européenne est entrée dans une compétition du moins-disant, qui peut être meurtrière. Seule l'Irlande parmi les Douze menait une politique active d'impôts faibles pour attirer les capitaux.

Parmi les Vingt-Cinq, cette stratégie, parce qu'elle fut payante pour Dublin, s'est généralisée aux pays entrants puis à l'Autriche et maintenant à l'Allemagne. Que Schröder ou Merkel gagne, il en sera de même: Berlin abaissera l'impôt sur les sociétés. La conséquence doit être maintenant comprise pour la France: il lui faudra s'engager elle aussi dans cette voie, sauf à accepter de décrocher.

Le niveau global des recettes de l'Etat va donc, en attendant un hypothétique retour à la croissance, rester limité. Or, les dépenses vont, elles, être aspirées de plus en plus vers des besoins particuliers liés au vieillissement de la population: retraites et santé.

Que restera-t-il pour les autres dépenses de solidarité (chômage, allocations pour les démunis) et pour celles, essentielles, de la sécurité, de l'éducation, de la recherche, de l'infrastructure. Essentielles car de ces biens publics-là dépend directement la "qualité" du pays, ce pourquoi les capitaux peuvent y venir s'investir créant des labos ou des usines, malgré le niveau maintenu élevé des impôts. La France va devoir faire des choix.

C'est ici qu'il faut admettre que la politique de "préservation" du modèle est arrivée à sa limite. Car, au moment où le modèle craque de l'intérieur, financièrement, l'extérieur lui impose de se renouveler et globalement d'élever son niveau d'exigence: il faut d'urgence des efforts dans l'éducation, la recherche, la haute technologie.

Il y a quinze ans, 1,5 milliard d'êtres humains fabriquaient les biens et les services qui nous entourent: chaises, automobiles, nourritures, banques, téléphone... L'arrivée de la Chine et de l'Inde et des autres géants démographiques comme le Brésil, fait passer ce chiffre à 3 milliards.

Cette révolution mondiale nous impose de revoir ce que nous produisons et comment nous le produisons. Et l'aspiration de cette population nouvelle qui fabrique est de s'insérer au plus vite dans cette mondialisation, à rebours de la tentation protectionniste qui s'installe dans nos pays.

Il est temps de lancer une réflexion sur la place que doit être celle de la France: quels secteurs, quelle spécialisation entre la Chine, l'Inde et les Etats-Unis ? Et en conséquence, quel système éducatif, quelles universités, quels financements, quelles infrastructures, quel niveau d'impôts et, bien entendu, quel niveau de solidarité ? Bref, il est temps de remettre à plat les équations françaises.

Déjà, dans cette compétition, la France perd une partie de son élite en même temps que ses capitaux. Elle perd des talents et un peu de sa richesse, autrement dit des entreprises et des emplois et, au passage la base fiscale sur laquelle peut s'appuyer la solidarité envers les plus faibles.

D'autres pays ont pourtant réussi leur transformation, notamment les pays scandinaves ou la Grande-Bretagne, le Canada, la Corée: chacun à sa manière, aucun ne l'a fait en détruisant les fondements de l'État providence. L'immobilisme corporatiste est pour notre "modèle social" un danger bien plus grave.

Qui fera la pédagogie nécessaire ? Qui nous dira que la mondialisation permet à des milliards d'êtres humains de manger et de vivre enfin décemment ? Qu'elle est une chance si nous savons y participer ? Mais qu'elle impose aussi une mutation historique de notre "modèle", et que le monde moderne ne tuera personne sauf ceux qui restent inertes.

J.-M. C.
Article paru dans l'édition du 13.09.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

MICHEL U. ♦ 13.09.05 | 20h13 ♦ L'Europe comme échappatoire, comme prétexte pour réformer le pays a largement contribué à l'échec des tentatives d'adapter notre pays aux évolutions economiques.Les réformes stucturelles efficaces passeront par le suffrage universel et la crise qui est devant nous les rendra enfin possibles. Le nom au réferendum n'aura donc pas eu que des effets négatifs.L'élection présidentielle ne semble pas encore être la bonne échéance.
Flying+Frog ♦ 13.09.05 | 19h10 ♦ Je ne suis pas un fan de JMC mais je dois dire que pour une fois il tape assez juste. Pour répartir la richesse, il faut la créer, c'est l'évidence dont le gauche de France pense pouvoir faire l'économie. C'est tout simplement pathétique. N'oubliez pas que Blair n'est Blair que grace à Thatcher...et que les socialistes Suédois sont de talentueux capitalistes. Il ne suffit pas de baver en croyant entendre le mot libéral!
fcccmf ♦ 13.09.05 | 17h39 ♦ Voila que Colombani se met à partager les idées de Le Boucher. Quelle révolution au Monde ! Je m'en réjouis. Il faudra bien un jour que certains lecteurs comprennent que le financement des hopitaux, des écoles (et accessoirement de la SNCF) doit bien venir de quelque part.
Dominique H. ♦ 13.09.05 | 17h36 ♦ Il faudrait que JMC nous explique comment avec moins d'impôts on fabrique plus de solidarité, et comment George W. Bush, après avoir coupé une partie des crédits pour les digues de la Nouvelle-Orléans, va faire pour éponger les inondations du Deep South. JMC devrait se demander également si ses analyses épisodiques, proches du Medef, ne sont pas totalement décalées avec la réalité sociale de la France: le "non" au TCE lui est resté sur l'estomac, il était porteur d'un message pourtant clair.
♦ 13.09.05 | 17h32 ♦ imaginez quelqu'un né en 1976...il n'a assisté qu'au non-sens économique et à la démagogie mitterrandienne avant de voter Jacques Chirac à la présidence en croyant à un homme d'action pour ne s'apercevoir que trop tard qu'il était l'une des causes de la défaite de 1981 et de ce qui a suivi... il se dit-avec une grande partie de sa génération-que seul Sarkozy a le courage de mettre un terme à cette décadence...décadence morale quand Chirac lèche les bottes des dictateurs et insulte US/GB/Taïwan
CLAUDINE M. ♦ 13.09.05 | 16h50 ♦ A le lecture de cet éditorial, je me suis demandé si je n'allais pas résilier mon abonnement ... Et puis, je me suis dit que je ne voulais en aucun cas me priver des dessins de Plantu, sereins et lucides ... Dès que je verrai un article signé Jean-Marie Colombani, je passerai à autre chose de plus consistant afin de ne pas perdre mon temps et ne pas entamer le capital sympathie que j'ai encore pour Le Monde...
borloo ♦ 13.09.05 | 16h40 ♦ Eh oui, la France qui rigole, la France qui profite et l'ascenseur social qui décline...Le beau rêve de la constitution social-libérale ou libéral-sociale qui aboutira de toute évidence! Culpabiliser les pauvres de pauvreté, de ne pas avoir les diplômes indispensables pour réussir dans la vie bref de ne pas accepté les réformes pour la grandeur de la France! Des manières de rois, OUI! Sans nul doute la crainte du talent et de la compétition! NON, le jeu politique n'est pas un terrain de football
peutetre ♦ 13.09.05 | 16h29 ♦ Qui va expliquer à l'ouvrier français qu'il ne coûte que vingt fois plus cher qu'un ouvrier chinois ? Comment lui expliquer avec sérénité qu'il doit faire des efforts pour rétablir cette injustice et que ses privilèges n'ont que trop duré ? Qui sait en quoi il doit se recycler ? Que manque-t-il pour lui faire croire que la mondialisation économique est un idéal pour l'humanité ? C'est donc le ventre noué devant son monde en décomposition qu'il votera en masse Le Pen au prochain scrutin.
Stéphane T. ♦ 13.09.05 | 15h24 ♦ Il est surprenant de voir certaines réactions des lecteurs, qui ont souvent l'air de melanger réflexions utopique et pragmatisme politique. Il semble évident que notre crédibilité à l'international est ebranlée: notre modèle social coute trop cher en l'état, car trusté par des corporatismes de gauche qui ne remplissent pas leur role. Avec un taux moyen de syndicalisation de 10% en France, comment ces mammouths profiteurs du système arrivent ils encore à faire entendre leur voix retrograde ?
JEAN CHRISTOPHE C. ♦ 13.09.05 | 14h50 ♦ L'article de M.Colombani ressemble curieusement a ce que l'on peut lire dans Le Figaro...
Marc A. ♦ 13.09.05 | 14h34 ♦ J'ai quasiment lu les 77 réactions, eh ben ya du boulot pour convaincre tous les idéalistes d'un autre temps qu'il faut croire à ces faits avérés(et qu'il ne s'agit en aucun cas de discous libéral, pro sarko, ...). Réagissons de manière positive et optimiste. Mettons-nous à la tâche pour sortir notre pays de sa mauvaise passe actuelle !!! Dans quelques années, nous serons le pays le plus peuplé d'europe, ne ratons pas le train des réformes pour lui redonner sa grandeur.
jean-louis F. ♦ 13.09.05 | 14h10 ♦ Je vous approuve sans réserve et je pense moi aussi depuis longtemps que le corporatisme -- l'immobilisme est sa conséquence directe---est le plus grand handicap pour la France.Mais quel gouvernement,qu'il soit de droite ou de gauche car issu du même terreau politique aura le courage d'affronter les syndicats de la SNCF , EDF et de l'Education Nationale, pour faire enfin les réformes nécessaires?
monrog ♦ 13.09.05 | 13h58 ♦ Voilà un bon et beau texte ! J'ai aimé l'exhortation à la réforme, la dénonciation de la politique de la préservation d'un modèle qui prend l'eau, et d'autres choses encore Je souhaiterais n'être pas seul à applaudir à de tels propos. Hélas, il n'est pas certain qu'ils rencontrent une adhésion suffisante pour entraîner le raz de marée indispensable au sursaut. Notre apathie ne se lit-elle pas dans l'espèce d'indifférence qui entoure la tentative de désignation d'un "dauphin" et dans la polique?
PHILIPPE H. ♦ 13.09.05 | 13h44 ♦ Que faut-il faire pour que les penseurs publics cessent de jouer au sentiment de supériorité depuis la gifle reçue par eux le 29/05 ? Le seul malaise qui en découle est la confirmation de leur narcissique aveuglement, avec la perte de crédibilité qui en découle.
MarsNet ♦ 13.09.05 | 13h17 ♦ Si la gauche avait pour autre projet que de mettre en selle Bové ou Fabius pour 2007, on n'en serait pas à se dire que JMC a raison de shooter dans la fourmillière. On ne restera pas dans la course avec les Chinois en fauchant les OGM, en abandonnant le nucléaire et en rêvant de la Star'Ac. Au boulot !
henrikardo ♦ 13.09.05 | 13h10 ♦ "Il y a quinze ans, 1,5 milliard d'êtres humains ... L'arrivée de la Chine ... fait passer ce chiffre à 3 milliards". Oh, il a oublié 1,065 milliard Mr Colombani ! Selon vos fiches pays: Chine 1300 M, Inde 1086 M, Brésil 179 M... si on rajoute le 1,5 milliard d'il y a 15 ans, ça fait 4 milliards et des grosses poussières; bon, on peut comprendre, il ne veut pas trop nous faire peur avec les chiffres, un peu comme Chirac avec les réalités ... on est en France ...
Hervé ♦ 13.09.05 | 13h09 ♦ Il serait temps que M. Colombani renoue avec un peu plus de finesse d'esprit. Cela fait longtemps que les sciences économiques ont démontré que les gros modèles économiques avec trois ficelles et un polichinelle ne sont crédibles que sur le cours terme. Sans entrer dans le débat d'opinion, les lecteurs du monde méritent que la réflexion politique et économique des éditoriaux soit un peu plus poussée qu'au bistrot de la gare.
Nicolas O. ♦ 13.09.05 | 13h06 ♦ "Jean-Marie Colombani à son rang", celui de cette France qu'il décrie, se faisant le chantre d'une économie libérale mondialisée qui ne tuerait que ceux qui restent inertes? La France ne va pas bien c'est un fait, mais le grand modèle neo-libéral Américain que certains envient içi va encore plus mal. Il suffit de regarder les insuffisances sociales et humaines mises au jour par Katrina... Une inertie face à la detresse des plus démunis toujours inimaginable içi.
ALAIN S. ♦ 13.09.05 | 12h59 ♦ Curieuse conception de l'Europe, qui consiste à la considérer à travers le prisme du "rang" de la France et de son "leadership". Et si l'Europe se portait mieux avec une France dépourvue de "rang" ? Que choisirait M. Colombani ?
68Soul ♦ 13.09.05 | 12h43 ♦ 16è... la France est 16è sur 177 pays... pas de quoi se plaindre... 1)Norvège 2)Islande 3)Australie 4)Luxembourg 5)Canada 6)Suède 7)Suisse 8)Irlande 9)Belgique 10)USA 11)Japon 12)Pays-Bas 13)Finlande 14)Danemark 15)Angleterre... suivent Italie, Allemagne, Espagne... le modèle scandinave est celui qui réussit le mieux, et depuis des décennies... et je signale que ce modèle est basé sur la redistribution des richesses, une économie de services (publics et privés), et l'innovation technologique...
stephane c. ♦ 13.09.05 | 12h22 ♦ article réactionnaire de M.Colombani, d'une mauvaise foi hallucinée: le 29 mai le peuple de France a rejeté le programme qu'il nous propose, qui est celui de M.de Villepin. Le rejet de la précarité est interprété comme un besoin de plus de précarité ! Ultime argument: c'est bien de liquider la protection sociale parce que tout le monde le fait !. Quel niveau ! J'aime bien la "réaction" de Chloé: c'est la plus limpide P S je résilie mon abo LM interactif
torkish ♦ 13.09.05 | 12h12 ♦ JMC sort une fois de plus de ses gongs pour défendre ses idées, dont les abonnés pourrait souvent se passer... Je vois hélas dans cet édito très peu d'analyse. Si l'auteur et les politiques arrêtaient de se focaliser sur le non au référendum pour expliquer le malaise de la France, le débat serait un peu plus constructif. Il y a eu un non massif et il faut désormais composer avec. Si vous pensez toujours vivre dans un pays démocratique.
Jean-Luc T. ♦ 13.09.05 | 11h57 ♦ Article excellent et roboratif comme on aimerait en lire plus souvent. La vérité ne peut que faire progresser les mentalités de beaucoup, enkystées par des siècles de centralisation et d'assistanat étatique. Le "modèle "français, valable en 1945 et suivantes, à l'époque du plein-emploi, est devenu non seulement obsolète mais aussi nuisible. Il casse l'initiative et le dynamisme, bref, l'adaptabilité aux nouveaux défis.
FDMLDP ♦ 13.09.05 | 11h55 ♦ On admire la qualité des arguments et de la rédaction, en regrettant que soit seule prise en compte la responsabilité de la chiraquie, et soient oubliés les partis de gauche et les syndicats, leurs effluves archaique et leurs alliances monstrueuses, que soit également négligé l'héritage obligé de la mitterrandie, véritable point zéro du déclin. Ce qui ne retire rien à l'indigence de Chirac, évidemment.
SERGE C. ♦ 13.09.05 | 11h39 ♦ Cet éditorial appelle 3 questions. 1) les pays cités en exemple sont-ils parfaitement prémunis contre les effets de la mondialisation ? 2) N’est ce pas une victoire à la Pyrrhus que de se réjouir que des milliards d’êtres humains mangent et vivent décemment aujourd’hui si demain, toute la planète trépasse grâce aux pollutions engendrées par le développement sale de ce "monde moderne" ? 3) Ne serait-ce là une raison légitime des réticences des concitoyens ?
jacklittle ♦ 13.09.05 | 11h29 ♦ Le 29 Mai les électeurs ont tranché,laissons derrière nous les causes de ce NON,il est réel et irréfutable.La FRANCE est sur le déclin c'est indéniable.Le délai de 20 mois d'ici à Mai 2007 risque de nous coûter très cher,car il nous faudrait,pour entamer notre redressement,des mesures drastiques et urgentes.En restant dans l'€uro ou en sortant(dévaluation de 40%):HAUSSE DES IMPOTS,TVA,TIPP(sauf pros)BAISSE DES PRESTATIONS SOCIALES,REFORME CONSTITUTIONNELLE(REGIME PRESIDENTIEL AVEC RESPONSABILITE
Penseelibre ♦ 13.09.05 | 11h22 ♦ Lucide et clairvoyant. Comme bien souvent. Pas très optimiste hélas. Et pendant ce temps-là le vicomte de Villiers joue au c...en parlant de la nécéssité de défendre la France contre l'islamisation !!!
Stéphane D. ♦ 13.09.05 | 11h05 ♦ Pour rebondir sur d'autres réactions, bien sur que ceux qui ont voté non ont envoyé la France dans le mur: Ils ont voté pour le statu-quo en croyant voter pour le changement - bercé de l'illusion que si la France donnait un coup de frein, le reste du monde, plein de sollicitude, allait s'arreter aussi. De Villiers se scandalise: "Il y a eu le Non, et rien n'a changé"... Eh oui, c'est ce pour quoi vous avez voté: Le maintien en l'état des textes et des institutions Européennes.
alassane f ♦ 13.09.05 | 10h50 ♦ Cela fait 10 ans que JM Colombani ne cesse de miser sur le mauvais cheval: Balladur, la décentralisation en Corse, le oui au référendum ... Peut-être qu'avant de remettre en question le modèle français, JM Colombani devrait se remettre en question lui-même ?
guelwad ♦ 13.09.05 | 10h38 ♦ L'echec de la France est l'échec d'une caste réunissant nos "élites" en situation politiciens, journalistes .. ce n'est pas l'échec des Français. Regardons du côté des USA pour la politique du "droit dans le mur". Ce sera encore la faute des pauvres ! (Le referendum n'a été, hélas, qu'un outil entre les mains de cette caste)
ima ♦ 13.09.05 | 09h56 ♦ Tout est bon pour ne pas revenir sur le ouisme du printemps, n'est-c-e pas M. Colombani? Vous allez maintenant accuser les nonnistes de toutes les calamités qui s'abattent sur la France: AVC de Chirac, inondations dans le sud? et quoi encore… Y en a marre de la litanie du déclin…
Denis P. ♦ 13.09.05 | 09h53 ♦ Je trouve cet edito de mauvaise foi et disparate sur le fond. Des points ne sont pas etayes ou ne le sont que de maniere "hasardeuse" (quel rapport entre les morts de la canicule et Katrina ? ca prouve quoi ?). Quel le Monde soit un journal engage est une chose mais qu'il pratique l'amalgame, la mauvaise foi, les raccourcis trompeurs (comme la premiere phrase: la droite comme la gauche ont perdu le referendum) tout en se presentant sous le jour de l'objectivite, ca, c'est horripilant.
esteban53 ♦ 13.09.05 | 09h45 ♦ Après avoir fixé une nouvelle ligne au traitement de la politique étrangère (le choc des civilisations n'est plus tabou) vous plaidez maintenant pour une réforme en profondeur du modèle social français en confortant les idées d'Eric le Boucher. Mais il y a trois modèles: libéral (Sarkozy), gaulliste immobile (Chirac ou Villepin)et social-démocrate (en panne mais qui peut repartir). Attendez le congrès du Mans avant de faire votre choix définif.Et mettez la pression!
XF ♦ 13.09.05 | 09h34 ♦ A lire les réactions, beaucoup de lecteurs de "gauche" se sentent trahis par cet éditorial. Pendant des années, j'ai lu le Monde sans être de gauche, et je l'ai apprécié pour sa lecture critique qui m'a beaucoup apporté. Et maintenant que JM Colombani écrit un édito qui bouscule un peu une certaine gauche, voilà que le Monde serait à jeter ? Dans l'esprit de certains c'est clair: seule la Gauche (la vraie) a raison. Soyez ce que vous demandez à votre journal: ouverts et honnêtes.
Yves B. ♦ 13.09.05 | 09h11 ♦ Plutôt que de regarder la surface et de mesurer les places respectives de Villepin, Chirac & Sarko, pourquoi ne pas creuser un peu plus, et parler du gouvernement aux 100 orientations qui supprime les emplois jeunes pour mettre en oeuvre les emplois scolaires, cesse de baisser les impôts pour les baisser en 2007... Cette agitation déboussole et accentue encore et encore la cassure avec la politique Quant à JMC: cessez de pontifier !
Bacalan ♦ 13.09.05 | 08h23 ♦ La mondialisation n'explique pas le manque de logements sociaux. Ce sont bien des choix politiques et/ou financiers franco-français adossés à un manque de courage flagrant de la classe politique.Rester inerte ou périr ? Comme les salariés de HP qu'on a remercié de leurs efforts pour redresser leur entreprise ? Alors, quels efforts ? Et pour qui ?
Mathieu R. ♦ 13.09.05 | 08h17 ♦ L'analyse pourrait être plus nuancée, mais le constat est là, difficile à entendre, mais véridique. La pensée unique n'est pas celle que l'on croit: aujourd'hui, ce sont les vestiges du gauchisme français qu'il faut abattre si nous ne voulons pas rester sur le quai en regardant les pays émergents nous faire la nique.
NonoK ♦ 13.09.05 | 03h05 ♦ Si on omet la dernière phrase de cet édito ('le monde moderne ...'), je ne comprends pas bien ceux qui lui reprochent un tournant "ultra-libéral". Dire qu'avoir un état surendetté n'est pas soutenable, c'est être ultra-libéral ? Dire que le chômage est une plaie, aussi bien pour ceux qui malheureusement le vivent que pour la société qui le produit, c'est être ultra-libéral ? Certaines réactions me découragent et me désespèrent bien plus que le "déclinisme" ambiant des pages du Monde..
Adrien - USA Californie ♦ 13.09.05 | 02h17 ♦ Merci JMC de dire enfin la verite. Vu d'ici - Etats Unis - la France parait bien sur le declin. Manque de dynamisme, d'innovation, de recherche, blocage social, financier...bref rien qui ne pousse a entreprendre. Cela est bien triste a constater mais vous avez le courage de le dire et c'est pour cela qu'on lit Le Monde. Ce n'est pas une question de gauche ou de droite, il faut que la France se reveille!
Puffin ♦ 13.09.05 | 01h44 ♦ C'est Le Monde qui doit s'adapter au génie français et non l'inverse
chloé ♦ 13.09.05 | 00h14 ♦ Que pense M. Colombani des "rigidités" du modèle américain, qui aboutissent à l'abandon de la population noire et pauvre lors de catastrophes ?
MARIE THERESE J. ♦ 13.09.05 | 00h10 ♦ JM Colombani reprend à son compte les vieilles théories spencériennes du darwinisme social, mélange bâtard de scientisme, de libéralisme et de calvinisme traditionnaliste; on peut donc comprendre qu'elles aient du mal à passer dans le pays du Catholicisme et de la Révolution française !
Alassane F ♦ 13.09.05 | 00h06 ♦ La France vit à crédit, peut-être; mais, dans ce cas-là, que dire des USA, dont les déficits explosent, et dont l'appétit de consommation est financé par le reste du monde ?! Etrange situation que celle de ce pays si souvent cité comme un modèle de modernité !
tikaf ♦ 12.09.05 | 23h57 ♦ Ah bien oui, je vais voter Sarkozy !
orbi ♦ 12.09.05 | 23h57 ♦ Chronique "référendo-médico-mondialo-déclino-leadershipo-chino-katharino,caliculo-publico-catastropho-urgento-inerto-morto" de rentrée. Tous les poncifs du moment, sauf un nom qui n'est pas cité;"Irak". Bush y est, mais c'est pour annoncer le moment le plus spectaculaire de la rentrée; le face à face Villepin-Bush à l'ONU. Sinon tout y est même une prophétie sur le "monde moderne". Plus personne ne sait ce que veut dire "moderne", sauf notre éditorialiste. Et l'oeuf,où qu'il est?
ddh ♦ 12.09.05 | 23h32 ♦ Bien qu'ayant des arguments discutables sur certains sujets (réussite du modèle anglais °_°) Jean Mari Colombani a au moins le mérite de poser des questions pertinentes, n'en déplaise aux gauchistes. La réalité du monde aujourd'hui étant ce qu'elle est, soit on s'adapte pour suivre le train soit on reste en arrière. Vouloir faire du social c'est bien, encore faut il en avoir les moyens et de l'argent pour le faire. On ne vit pas d'amour et d'eau fraiche...
Flora + Florentin ♦ 12.09.05 | 23h08 ♦ Le Monde a toujours été et reste un journal engagé. Maintenant, Colombani semble l'engager loin à droite. Cet engagement fait quand même superficiel, maladroit et pressé. Jean Marie me fait rigoler avec la phrase de la fin: "... participer ? Mais qu'elle impose aussi une mutation historique de notre "modèle", et que le monde moderne ne tuera personne sauf ceux qui restent inertes". Merci Jean-Marie Colombani. Grâce à lui, on sait que la mondialisation et le Monde tuent
tikaf ♦ 12.09.05 | 23h01 ♦ Rien ne va plus en France selon cet article... "Il faut faire quelque chose" selon Romuald L... Et si on votait Sarkozy en 2007 ? Hein ?
JBF ♦ 12.09.05 | 22h29 ♦ "Le monde moderne ne tuera personne, sauf ceux qui restent inertes": n'allez vous pas un peu trop loin, JMC ?
KARINE S. ♦ 12.09.05 | 22h21 ♦ Personnellemnt,j'ai toujours été choquée par ce ton doctoral conseiller-du-Prince des éditos du Directeur.Eclairer les consciences,certes.Mais donner des leçons,non.D'une part la France va mal parce que vous avez mal voté cette année. D'autre part la France se meurt parce que vous vivez trop vieux (depuis Pasteur)et le reste du Monde vous double dans toutes les courses.La faute revient à cette classe politique imbécile(qui ne lache pas le pouvoir)et cette élite égoïste(qui plie bagage).Reste JMC
TropCtrop ♦ 12.09.05 | 22h07 ♦ La culpabilisation des Français n'est elle pas sans rappeler la propagande pétainiste sous l'occupation, justifiant la soumission à l'Allemagne nazie et expliquant la défaite par la décadence de la société Française. La lourdeur des impôts français n'est pas si évidente, comparée aux pays scandinaves que l'on montre plutôt en exemple. Tous les propos anti-fiscalité impliquent qu'on se couche devant le "grand capital", seul gardien de la "rationnalité économique" et fuyant aux Usa.
Alcys ♦ 12.09.05 | 21h46 ♦ Comme tous les libéraux, JMc accuse les Français de base d' être responsables de tous les maux de la France: ils sont trop exigeants, ils travaillent trop peu, ils sont trop protègés et en plus ils votent mal.Ces salopards ont réduit le statut de la France, etouffé l'écho de sa voix, bref, abaissé son rang . Ben voyons ! Pour JMc les zélites françaises n'ont pas le peuple qu'elles méritent et bien évidemment si l'état est incapable de se réformer c'est encore la faute des manants.
Sue ♦ 12.09.05 | 21h32 ♦ Il faut détruire Carthage. Caton
aléa ♦ 12.09.05 | 21h22 ♦ Ca, c'est sûr que le vote non de la France, ça a pas été bon pour le coeur de Chirac.
villa+santina ♦ 12.09.05 | 21h21 ♦ Monsieur Colombani, Je lis votre éditorial: "La France à son rang, par Jean-Marie Colombani". J'ai parlé de vos interventions dans "La rumeur du Monde" avec Monsieur Alexandre Adler, il y a environ trois ans. Il ne tarissait pas d'éloges à votre encontre. Lorsque j'étais lycéen on parlait du "Monde" comme un quotidien national de référence. Or il se trouve qu'en lisant votre pensée ci-dessus référencée, j'ai l'étrange impression de regarder le "20h" de n'importe quelle de nos chaînes de TV.
Emmanuel H. ♦ 12.09.05 | 21h06 ♦ Mr Colombani semble poser des questions de fond intéressantes et censées. Dommage que ses réponses le soit moins.1/en effet 3 milliards d'esclaves travaillant dans des conditions pour certains effroyables,qui se donnent la main dans une forme d'internationale ultra capitaliste à de quoi faire rêver...quelque uns.2/Enfin je ne pense pas que le deficit francais dépende de la seule aide sociale...Si on parlait tout simplement de mauvaise gestion pour une fois? Qu'en pensez vous Mr Colombani?
Hervé F ♦ 12.09.05 | 20h32 ♦ Au temsp des lumières nul doute que Mr Colombani eut été un monarchiste convaincu. La France est très riche, son problème n'est donc pas là mais de savoir à quoi sert cette richesse ? Est ce pour faire comme les Etats-Unis ou bien comme l'imaginait les lumières ? A l'heure ou une part croissante des citoyens étasuniens se posent des questions sur leur modèle il faudrait s'en remettre à leur gouvernement ? Vite, muselons nous avant !!!
froz ♦ 12.09.05 | 20h18 ♦ L’accès à un minimum de niveau de vie des pays comme la Chine ou l’Inde ne peut pas être combattu. Pour l’instant, nous arrivons à leur échanger une heure de notre travail (haute technologie, usines) contre 10 à 20 heures de leur travail mais cela ne durera pas et cela quoi que l’on fasse. Il faut s’y préparer. Après l’esclavage, l’exploitation des immigrés et maintenant l’exploitation à distance, nous, pays riches, aurons épuisé toutes les possibités de consommer plus que nous ne produisons
Paul G. ♦ 12.09.05 | 20h14 ♦ Ne soyons pas en retard d'un train.A moyen terme le libéralisme pur et dur fondé sur énergie bon marché,consumérisme forcené des pays hégémoniques est condamné, avec l'individualisme qu'il sous-tend.En France des réformes sont en cours,accompagnées socialement,gaullisme n'est pas néocommunisme mais refus des rigidités de gauche et de droite,progrès mais dans la solidarité.Le danger c'est la paresse du conformisme de droite remplaçant le conformisme de gauche
Enjolras ♦ 12.09.05 | 20h13 ♦ Mitterrandiste en 1981, Balladurien en 1995, Jospiniste en 2002, Le Monde annonce la couleur pour 2007: Sarkozy, bien sûr ! C'est ça, être toujours du côté du manche ! La dernière phrase de JMC fait froid dans le dos. Il faut vraiment, maintenant, rassembler tous ceux qui veulent en découdre avec les thuriféraires du capitalisme postfriedmanien. La pensée unique est insupportable.
he.th. ♦ 12.09.05 | 20h03 ♦ Comme Marie-Thérèse J. suis-je en train de lire le Figaro ? Dois-je continuer à m"abonner au Monde qui autrefois était plutôt neutre ou centre gauche ?
http://spaces.msn.com/members/artisthea ♦ 12.09.05 | 19h52 ♦ C'est terrifiant:où que l'on regarde dans ce pays, les chiffres sont au rouge. Que l'Etat dépense 25% de plus qu'il ne gagne, par exemple, n'est pas une idée à débattre c'est un fait. La liste est longue et l'article de JM Colombani édifiant. Et là, que répondent certains lecteurs: autoflagellation ! Idées libérales ! C'est bien à cette aune que l'on peut juger du travail colossal de pédagogie qui nous attend !
Spain Frenchy ♦ 12.09.05 | 19h48 ♦ Interessant cet edito. Il serait peut être temps que certains comprennent que c'est en faisant fuir les plus riches qu'on pourra aider les plus necesiteux. Reste a trouver le bon modele et le bon dosage.
Massoud M. ♦ 12.09.05 | 19h43 ♦ Les sous-entendus découragent bien plus que l'analyse elle-même. La perplexité vient de la valeur accordée à l'uniformisation, seul salut. Le génie français, comme les autres, mérite qu'on ne lui torde pas le cou sous prétexte de mondialisation. Certes, nous sommes dans un nouveau siècle plus rude mais rien ne justifierait que nous baissions les bras. La Chine, est-ce un danger ou une chance? Nous sommes-nous demandés à quoi sert l'économie? Produire pour le bien-être des populations, partager.
LAURENT U. ♦ 12.09.05 | 19h36 ♦ Bravo pour cette article clair, lucide et courageux. Certaines réactions sont incroyables d'aveuglement: à croire que le modèle français est le meilleur et que tout va bien. Qu'on le veuille ou non, nous ne sommes pas seuls et le reste du monde se moque de nos tergiversations nationales. La France entière ne pèse pas le poids démographique d'une petite région chinoise. Nos angoisses et débats sans fin ne changeront pas la réalité. Il est temps de regarder les choses et le monde en face.
Etienne P. ♦ 12.09.05 | 19h29 ♦ D'accord avec l'analyse. Il est vital de faire des choix. C'est normalement le rôle du politique: proposer des choix, une vision, avec les moyens nécessaires. Qui le fait ? Evitons les oeillères et étudions ce qui se passe à l'étranger, sans a priori idéologique !
clo.clo ♦ 12.09.05 | 19h13 ♦ Je lis le Monde depuis plus de 30 ans, et que de chemin parcouru depuis les erreurs des années 80 qui ont plombé la France et le soutien par exemple des théses socialo-communisme de cette époque tatcherienne. Le revirement de ce journal en est que plus impressionnant !! Bravo enfin, JMC, de voir un peu plus clair mais c'est un peu tard, car le train de l'evolution passe à toute vitesse et le Monde essaye de monter dedans, mais sans la France !! Sauve qui peut, tous à Londres ou à Bruxelles !!
gilles a. ♦ 12.09.05 | 18h54 ♦ Depuis plusieurs siècles, par un mélange d'ouverture économique et de dirigisme, la France est devenue et restée une des grandes puissances économiques de la planète. Et voilà qu'il faudrait obéir aux injonctions radicales de quelques intellectuels, à la fois ultra-libéraux et ultra-minoritaires ! Vraiment, certains ne manquent pas de culot !
stef2001 ♦ 12.09.05 | 18h43 ♦ Beaucoup de gens utilisent le label "ultra-liberal" sans vraiment savoir ce que cela veux dire. Dire que cet article est ultra-liberal c'est c'est comme si je disait que Fabius etait communiste. Cela offusquerait les vrais communistes. Meme Sarkozy est a peine liberal. Il reste un interventioniste etatique comme la plupart de la droite Francaise. En tant qu'ultra-liberal vivant aux Etats-Unis, meme Madellin m'apparait modere... On sait qu'ultra liberal est une insulte mais quand meme...
ganek ♦ 12.09.05 | 18h43 ♦ La France a perdu son rang depuis belle lurette. … En juin 1940..... Et ce n'est pas la bombinette A ou H qui nous rendra l'Algérie, l'Afrique, la Cochinchine et notre bagne Sud-Américain. Quant à l'Europe, elle joue son va tout sous surveillance Américaine. Le journal le Monde Rêve en croyant la dissolution de l'empire russe, la Pologne chrétienne n'a jamais vaincu la Russie: À se remémorer l'histoire de la communauté de défense européenne où la France n'a pas voulu l'intégration de divisions militaires allemandes. Ce que Colombani nous propose ce n'est pas le libéralisme, sa bible, mais un avatar archaïque d'un Gaullisme dépassé par la réalité mondiale. Trop tard les privatisations ont tué l'espoir populaire d'une France pour les Français. La désindustrialisation va faire de la France un parc d 'attractions pour Chinois fortunée.
Boizard F. ♦ 12.09.05 | 18h29 ♦ Et si ce n'était pas là un complot libéral mais la réalité du monde, qui est dure ? Et même si cela était libéral: Reagan et Thatcher ont été élus, réélus et leurs successeurs appartenaient à leur parti. D'autre part, les pays scandinaves ont bien réussi à remettre en cause leurs Etats-providence en améliorant le social. "La casse sociale" comme argument de l'immobilisme est un mensonge: ce sont les déficits qui font la "casse sociale".
Christian M. ♦ 12.09.05 | 18h18 ♦ A lire PJC., on a l'impression que le Monde n'est rigoureux que quand il produit une argumentation que la gauche de la gauche qualifierait de "gauche". Quand je regarde mon fils de 7 ans, je n'ai pas envie de le voir travailler non pas pour ses enfants mais pour payer la dette que ses parents et grands-parents lui auront laissée. Mes grands parents à moi, qui étaient pauvres, auraient honte de nous voir tous vivre à crédit et donner des leçons de générosité avec l'argent des petits enfants.
wellington ♦ 12.09.05 | 17h43 ♦ De l'ultra-libéralisme stigmatisé par l'utilsation d'un préfixe censé être définir une tare. Parle-t-on d'ultra-socialisme? Tenez bon, M. Colombani. Ne cédons pas à ces chimères qui ont tellement fait de mal au XXème siècle. Le Monde est dans son rôle, même s'il ne relaye pas les opinions dominantes de "l'ultra-gauchisme".
champollion ♦ 12.09.05 | 17h19 ♦ La France à son rang ? Probablement car c'est une puissance moyenne mais c'est aussi la 4ème ou 5ème économie mondiale !!! Encore une fois la théorie du déclin ressort sans jamais dire que notre pays attire le plus les investisseurs en Europe. Décidément, Monsieur Colombani persiste et signe, persuadé qu'il a toujours raison. Les élites formatées dans le même moule sont la cause principale du malaise français car elles manquent tout simplement d'ambition. Et Le Monde n'échappe pas à la règle
LibertéEquitéSolidarité ♦ 12.09.05 | 17h16 ♦ Le pays ne souffre pas seulement de sa fracture sociale, il est aussi traversé par d'autres pour ce qui est de l'analyse et des remèdes à apporter. Comment réconcilier les visions de JMC et de de Boissieu (France-Cul ce matin) avec celles de Buffet, Bové, Emmanuelli et autres nonistes hier. Les solutions qu'ils proposent sont en conséquences aussi totalement irréconciliables. Dans un pays à fortes traditions démocratiques, la situation serait gérable. Ici, ce sera l'immobilisme ou le foutoir !
♦ 12.09.05 | 17h03 ♦ Nos problèmes s'aggraveront si une partie de la gauche s'obstine à ne pas admettre que le déclin de notre pays est une responsabilité à partager et non à mettre au seul compte du libéralisme. Nier celà c'est faire un boulevard pour Sarkosy et ses solutions à l'emporte pièce. A tous ceux qui dénigrent cet article je dis: mettez vous vite à construire une gauche européenne avec des projets compris par les européens, transformez le modèle français que vous aimez, bousculez le sinon il crèverera.
PJC. ♦ 12.09.05 | 17h00 ♦ Ça commence à devenir lassant toutes ces chroniques, ces articles, ces éditoriaux du Monde qui diffusent au quotidien par petites touches ou grosses louches( là on est dans la grosse pelletée)de l'idéologie ultra-libérale à base d'auto-flagellation. Sans compter le bric à brac de la (la maladie de Chirac, le non au referendum, le modèle social, les dauphins putatifs du président...) Rendez-nous le Monde que nous avons tant aimé, celui de l'analyse,de la rigueur et de la confrontation des idées.
vivien d. ♦ 12.09.05 | 16h58 ♦ Sarkozy ne fait que reprendre des constats évidents de rationnalisation économique faits par une pléthore de spécialistes depuis des décennies. Ces réformes pour être labellisées libérales participent avant tout de la bonne gestion économique. La France est le seul pays important où le néocommunisme ne soit pas disqualifié en tant qu'idéologie par 95% de la population au moins. C'est cela l'exception française...et que je sache l'Angleterre post-thatchérienne a même créé un "SMIC"...
MARIE THERESE J. ♦ 12.09.05 | 16h33 ♦ Le chômage est donc le critère absolu de l'efficacité d'un système ? Alors vive l'esclavage: transformons les chômeurs en esclaves, à qui seul le gîte et le couvert seront offerts; et là, on atteindra le plein-emploi ! Quelle absurdité !
vivien d. ♦ 12.09.05 | 16h29 ♦ Villepin n'est là que pour tenter de gagner du temps...les réformes de rationnalisation économique prônées attendront...le classement des universités françaises et la réalité qui y correspond continueront à se dégrader pendant que "Néron" donnera des coup d'épée dans l'eau...comme à l'ONU où la réplique de Jack Straw l'avait remis à sa place-le droit a besoin d'une force pour être appliqué... l'idéologie néocommuniste en France est un poison du même type que le créationnisme aux USA...
MARIE THERESE J. ♦ 12.09.05 | 16h27 ♦ Jean-Marie Colombani fait donc siennes les thèses libérales de Nicolas Sarkozy; je ne sais plus trop si c'est Le Monde que j'achète, ou Le Figaro !
Romuald L. ♦ 12.09.05 | 16h26 ♦ Et voilà, encore un article qui tourne à l'auto-flagellation! Et la France est en déclin alors que ses voisins s'adaptent à la mondialisation et patati et patata et je suis le grand visionnaire qui sonne l'alarme... Au lieu de publier des articles dont le message est "rien ne va plus, il faut faire quelque chose", je serai plus satisfait de lire "rien ne va plus, et si on faisait ça, ça ou ça?", ce serait déjà plus encourageant, non?
Guy N. ♦ 12.09.05 | 15h53 ♦ Tout ceci est bien gentil mais dans vos propres colonnes, il y a près de dix jours, une brève indiquait qu'aux USA, la pauvreté avait augmentée d'un million d'âmes en 2004. Par ailleurs, comme l'écrivent d'autres, question adaptation, les politiques menées jusqu'à présent n'ont pas fait dans la dentelle. Résultat: Toujours pas de création d'emplois à revenu acceptable et stable dans la durée.
Aficion ♦ 12.09.05 | 15h45 ♦ C'est un véritable cri d'alarme que JMC lance et terriblement angoissant quand on voit le niveau tant des réactions d'abonnés que des discours politiques ambiants ( de gauche comme de droite) accrochés à une loghorrée creuse sur le "modèle social". Que nous proposent les tenant du NON et du repli national.J'attends ET AVEC IMPATIENCE depuis longtemps des propositions précises.
Deathwind ♦ 12.09.05 | 15h28 ♦ Un constat intéressant, comme beaucoup de constats depuis 30 ans: il faut réformer. Malheureusement ce constat risque de rester lettre morte comme les autres car les hommes politiques, ceux qui sont censés réformer l'Etat, sont en grande majorité, issus des rangs de l'administration publique. La réforme ne pourra avoir lieu que si la surreprésentation des fonctionnaires dans la classe politique cesse. Il faut exiger la démission des fonctionnaires en cas de prise de position élective.
Senyek ♦ 12.09.05 | 14h47 ♦ Bon constat, mais depuis 20 ans, on s'est déjà adapté, sinon on n'aurait pas eu la 4ème place au monde. Le modèle social en France n'existe plus, comme son industrie; il reste des corporatismes. Quant au Royaume-Uni,ce n'est pas en instaurant la précarité ou en contrôlant les chiffres chômage/misère que l'on trouve des solutions. Historiquement, cette mondialisation orchestrée depuis l'ère Reagan-Thatcher a trouvé ses limites. Il s'agit maintenant d'innover et non de s'adapter.
Fabrice M. ♦ 12.09.05 | 14h27 ♦ Un peu lassant de voir relier tous les malheurs de la France au non du referendum. Changez de musique, votre analyse tourne en rond.
Etalr ♦ 12.09.05 | 14h15 ♦ Si la voix d'un pays ne se mesure qu'à son respect aveugle de l'ordre économique mondial, alors on ne risque pas d'entendre les opposants:-)
68Soul ♦ 12.09.05 | 14h13 ♦ "Le monde moderne ne tuera personne sauf ceux qui restent inertes"? Voilà une affirmation pour le moins douteuse... rien qu'en Chine, on compte les travailleurs tués à petit feu dans leur travail par millions... et eux ont la "chance" de participer à cette joyeuse mondialisation... que dire de ceux qui en sont totalement exclus... un peu de décence, s'il vous plait, Mr Colombani: le monde moderne en a plus que besoin...
tycho brahe ♦ 12.09.05 | 14h07 ♦ Ca y est Le Monde rentre clairement dans le jeu politique ? Le problème c'est qu'on a beaucoup de mal à être convaincu par des arguments comme la réussite de la GB ou de la Corée (sic)... le dernier rapport du PNUD qui met en évidence les divergences de développement et la croissance de l'extrême pauvreté le confirme, le "monde moderne" mondialisé tue !
David ♦ 12.09.05 | 14h06 ♦ Tout à fait d'accord, à adresser à tous ceux qui sont allés à la fête de l'humanité et qui croient encore à un monde qui n'existe pas.


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
La révolution Koizumi

 L es élections législatives japonaises du 11 septembre, qui avaient pris le tour d'un référendum sur la politique du premier ministre Junichiro Koizumi, se sont traduites par un plébiscite. Cette victoire écrasante d'un homme et de son parti aura été marquée par une personnalisation excessive du pouvoir.

Longtemps, le Japon, dont l'Occident avait renoncé à comprendre les méandres politiques, a paru bien éloigné de l'Europe dans son absence d'alternance. Aujourd'hui, il semble étrangement proche. Le triomphe de ce que la presse nippone qualifie de "théâtre Koizumi" paraîtra en effet familier à toutes celles de nos démocraties où les personnalités et les formules-chocs l'emportent sur l'évaluation des situations.

M. Koizumi peut certes être crédité d'avoir "électrifié" un électorat somnolent. Et il restera dans l'histoire comme le premier ministre à avoir cherché à moderniser le conservatisme national. Mieux: il a su si bien canaliser les aspirations au changement des électeurs que ceux-ci ont accordé une majorité triomphale au parti au pouvoir... depuis un demi-siècle.

Première démocratie en Asie, le Japon semble ainsi se replier sous le grand arbre d'un conservatisme en "habits neufs" alors que d'autres pays de la région, telle la Corée du Sud, ont choisi l'alternance. Le Japon opère, lui, une "révolution de palais". Les électeurs se sont laissé porter par le chant d'optimisme de M. Koizumi, qui leur promet un "Japon ambitieux", en faisant la sourde oreille au sombre réalisme de l'opposition. Par les espoirs disproportionnés placés dans un homme, le "phénomène Koizumi" ­ plus que le personnage lui-même ­ pourrait devenir préoccupant.

Quelle direction prend aujourd'hui la seconde puissance économique du monde ? Si les orientations passées constituent une indication, elle prend le chemin d'une économie plus résolument néolibérale et une diplomatie ­ sujet évincé de la campagne électorale sauf par l'opposition ­ tentée d'accentuer encore un alignement inconditionnel sur les Etats-Unis au détriment des liens avec ses voisins.

Mais le triomphe de M. Koizumi risque surtout d'étouffer un débat sur les choix de société. La volonté obsessionnelle du premier ministre de réduire un service public au fonctionnement enviable est-elle pertinente ? On peut en douter, même en tenant compte de la dette publique abyssale, qui appelle des mesures draconiennes.

La richesse d'une société n'est pas seulement liée à la rentabilité de ses entreprises. Elle est aussi le fruit de ses équilibres socio-économiques. Tant bien que mal, l'Archipel avait réussi à concilier expansion économique et stabilité sociale. Il n'est pas certain que cette stabilité soit une priorité du credo néolibéral dont se réclame M. Koizumi.

S'il répond aux espoirs placés en lui, M. Koizumi aura fait franchir à son pays un pas décisif. Dans le cas contraire, il aura été un "divertissement" à succès.

Article paru dans l'édition du 14.09.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Boizard F. ♦ 13.09.05 | 16h23 ♦ Editorial vraiment curieux "Mais le triomphe de M. Koizumi risque surtout d'étouffer un débat sur les choix de société." Justement, il me semblait, naïvement, que les Japonais venaient de faire un choix de société très clair,étant donné les circonstances du vote et que ce choix était en faveur des réformes promues par M. Koizumi. Le Monde explique-t-il aux Japonais le "vrai" sens de leur vote comme il nous a expliqué le "vrai" sens du NON au referendum ?
Etalr ♦ 13.09.05 | 13h55 ♦ Tres bonne analyse de la situation, pour tous ceux qui assistent incredules au renversement recent de l'opinion publique japonaise. Mais curieusement cet editorial semble aux antipodes de celui de JMC hier: le Monde reste heureusement pluraliste!


Le Monde / Opinions
Chronique
La réforme de l'ONU, indispensable et impossible, par Daniel Vernet

 P our des raisons médicales, Jacques Chirac n'assistera pas au grand sommet des Nations unies qui s'ouvre, jeudi 15 septembre, à New York. Gerhard Schröder sera également absent, pour des raisons électorales. Ils manqueront ce qui devait être une sorte de couronnement du 60e anniversaire de l'organisation internationale et une étape décisive dans sa réforme, tant de fois réclamée et tant de fois repoussée.

Il est cependant à craindre qu'ils ne rateront pas grand-chose, le grand rendez-vous risquant fort de se solder par une suite de beaux discours sans véritable décision. On ne peut que le regretter, mais force est de constater que les intérêts des 191 Etats membres de l'ONU sont tellement divergents qu'il est difficile de trouver une formule de changement qui satisfasse trois critères principaux: l'universalité, la légitimité et l'efficacité.

Et d'abord, la réforme de l'ONU est-elle indispensable ? Sans doute, si on se rappelle que la structure actuelle de l'organisation date pour l'essentiel de sa création, en 1945. Elle comptait alors cinquante et un Etats membres; elle en a aujourd'hui près de quatre fois plus.

Le Conseil de sécurité, avec ses cinq membres permanents (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie) détenteurs d'un droit de veto, reflétait un rapport des forces qui ne correspond plus au monde actuel. Il n'est donc pas illégitime que des Etats qui étaient les vaincus de la seconde guerre mondiale mais qui ont depuis développé des démocraties respectables ou que des pays émergents veuillent être représentés au sein du Conseil. L'Allemagne et le Japon entrent dans la première catégorie; le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud et d'autres, dans la seconde.

Par ailleurs, les tâches de l'ONU se sont diversifiées au fil des ans. L'organisation est devenue plus active depuis la chute du mur de Berlin et la disparition du bloc communiste. Le "droit d'ingérence" s'est imposé, au moins en théorie, à la suite des génocides du Biafra, du Rwanda et des guerres dans l'ex-Yougoslavie. Les menaces contre la paix et la stabilité internationales ne naissent plus essentiellement, comme au milieu du XXe siècle, de la rivalité entre puissances. Les affrontements religieux, ethniques, internes aux Etats, ont fait plus de victimes, au cours de la dernière décennie, que les conflits interétatiques. Des pandémies, comme le sida, tuent plus en Afrique que les armes.

Face à ces changements de la situation internationale, l'ONU s'est plutôt bien adaptée, même si aucune réforme n'a été officiellement proclamée. Sous son drapeau, dix-huit opérations de maintien de la paix sont en cours à travers le monde, mobilisant près de 70 000 casques bleus. Elle a certes connu des échecs. Elle a été incapable d'empêcher les tueries du Rwanda en 1994 et s'est montrée pusillanime dans les Balkans. Mais la responsabilité ne repose pas ­ ou pas seulement ­ sur l'institution elle-même ou sur ses dirigeants. La faute en revient aux Etats, et en particulier aux cinq "grands" permanents du Conseil de sécurité. C'est bien souvent leur incapacité à se mettre d'accord qui provoque l'incapacité de l'ONU à agir, pas la force d'inertie d'une bureaucratie injustement critiquée.

En 2003, Kofi Annan a demandé à un groupe de seize personnalités de plancher sur la réforme des Nations unies. Celles-ci ont remis à la fin de l'année dernière le fruit de leurs travaux, joliment intitulé "Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, le défi et le changement". Elles ont accompli un travail de fond, avancé des propositions ­ et pas seulement sur la composition du Conseil de sécurité ­, opté pour un élargissement des responsabilités de l'organisation. Ces propositions sont pour la plupart frappées au coin du bon sens. Mais le problème n'est pas dans leur pertinence. Il est dans la fonction que les grands Etats, et en particulier les Etats-Unis, confèrent à l'ONU, lieu par excellence du multilatéralisme.

Au nom de l'efficacité, l'administration Bush ne veut pas d'un élargissement du Conseil de sécurité. Tout juste serait-elle prête à accepter le Japon, mais elle refuse l'Allemagne. Comme les Africains n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur un candidat, la réforme du Conseil de sécurité sera renvoyée à des jours meilleurs. Au nom de la légitimité, l'administration Bush ne veut pas être tributaire d'une institution où siègent des pays non démocratiques. Sans souci de l'universalité, elle souhaiterait privilégier un rassemblement des démocraties, qui avait d'ailleurs commencé pendant la présidence Clinton.

Les Américains ne veulent pas la mort de l'ONU. Ils veulent une organisation qui ne les gêne pas, et sa situation actuelle ne leur convient pas si mal. Ils ont beaucoup critiqué Kofi Annan, mais ils se satisfont d'un secrétaire général d'autant moins gênant qu'il est affaibli. On ne voit pas pourquoi ils ne finiraient pas par accepter la déclaration finale du sommet extraordinaire des prochains jours, après avoir proposé pas moins de sept cent cinquante amendements. L'interprétation et la mise en œuvre du texte dépendront avant tout du Conseil de sécurité, où leur pouvoir restera intact.

Daniel Vernet
Article paru dans l'édition du 14.09.05


Le Monde / Opinions
analyse
Parti socialiste: la guerre des trois, par Michel Noblecourt

 P our l'heure, ils sont trois à s'être ouvertement déclarés "candidats à la candidature" pour porter les couleurs du Parti socialiste à l'élection présidentielle de 2007. Jack Lang, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius ­ qui ont en commun d'avoir été à la fois ministres de François Mitterrand et de Lionel Jospin ­ sont donc dans la course.

Officiellement, si le choix du prétendant socialiste à l'Elysée n'est pas l'enjeu du prochain congrès du PS, qui se tiendra du 18 au 20 novembre au Mans, il est déjà la toile de fond de la féroce bataille pour le contrôle de l'appareil.

Lors de l'université d'été du PS à La Rochelle, qui a permis à François Hollande de reprendre la main, après un feu nourri d'attaques contre lui, les militants socialistes, encore sonnés par leurs divisions sur le référendum européen du 29 mai, ont assisté à un étonnant ballet de présidentiables.

Dans la majorité sortante du PS, Dominique Strauss-Kahn et Jack Lang, qui savent que le premier secrétaire a besoin de leur soutien pour obtenir un quatrième mandat, ont orchestré, sur des registres différents, leur entrée en campagne.

L'ancien ministre de l'économie a fait de l'université d'été la rampe de lancement, très médiatique, de sa candidature pour, "le moment venu", "représenter son parti" à l'élection de 2007. Mais, a-t-il précisé le 27 août, "il faut d'abord gagner le congrès" .

Délibérément plus discret, prenant soin d'aller à rebours de sa propre image, l'ancien ministre de la culture a fait mine de ne pas courtiser les médias, en récusant le "renfort de tambours et de tam-tams", pour confirmer qu'il soumettrait sa "candidature au vote des militants".

Quant à Laurent Fabius, il l'a jouée modeste en confiant aux journalistes, le 27 août, qu'il n'est pas "absolument avéré qu'[il] soit le seul candidat" à l'investiture.

Après avoir affiché leurs intentions, les trois candidats ont mis en avant leur détermination. M. Lang s'est enhardi après la publication d'un sondage IFOP-Profession politique indiquant que, pour 26% des personnes interrogées, il était le "meilleur candidat" du PS, devançant juste M. Strauss-Kahn (25%) et distançant M. Fabius (18%) et M. Hollande (16%). Chez les sympathisants de gauche, le député du Pas-de-Calais monte à 34%, loin devant DSK (20%), M. Fabius (19%) et M. Hollande (18%). Sans se méfier de l'usage à risques du mot en politique, M. Lang a aussitôt averti que sa décision était... "irréversible".

Pour prouver sa ferme détermination, M. Strauss-Kahn a brisé son image d'héritier spirituel de Lionel Jospin, en affirmant, en réponse à une question, que même si l'ancien premier ministre se présentait devant les socialistes, il resterait candidat. "Si j'avais répondu oui, s'est-il défendu, cela accréditait l'idée qu'il puisse revenir." Le propos est d'autant plus étonnant que l'hypothèse d'un "retour" de M. Jospin s'est éloignée sauf, peut-être, en cas d'élection présidentielle anticipée...

Bien que ses chances de l'emporter au Mans ­ et de booster ainsi sa candidature ­ paraissent assez faibles, M. Fabius, convaincu depuis 2002 que c'est "son tour", a fait un sort au soupçon, entretenu par certains de ses opposants, de vouloir se présenter, même en dehors du PS, s'il ne gagnait pas la primaire. Le 30 août, sur France-Inter, l'ancien premier ministre a assuré clairement qu'il n'en était pas question.

PREMIÈRE MANCHE

Tout en sachant qu'ils devront "coller" au projet socialiste, adopté en théorie au premier semestre 2006, les trois candidats déclarés, qui ambitionnent de "rassembler la gauche", esquissent des programmes. Membres de la majorité sortante du PS, ayant défendu le oui à la Constitution européenne, MM. Lang et Strauss-Kahn ont sagement signé la contribution de M. Hollande pour le congrès du Mans. DSK veut faire entendre sa singularité, en évitant d'être déporté sur la droite du PS comme l'incarnation du "social-libéralisme". Le député du Val-d'Oise se réclame d'un "réformisme radical" et prône le "développement solidaire", avec des mesures qui se veulent "solides, argumentées et financées".

M. Lang a choisi d'attaquer, d'abord, sur les institutions dans son livre Changer (Plon, 182 p., 14 euros), où prenant Pierre Mendès France comme "guide" et fustigeant les "rentiers du mensonge électoral", il imagine une "démocratie présidentielle". L'ancien ministre de la culture, agrégé de droit public, propose de supprimer le poste de premier ministre et d'élire, simultanément pour quatre ans, les députés et un chef de l'exécutif qui serait responsable devant l'Assemblée nationale. Le vote d'une motion de censure contre le chef de l'exécutif entraînerait automatiquement la dissolution de l'Assemblée nationale.

De son côté, M. Fabius esquisse un projet dans sa contribution au congrès où il défend, à travers sa thématique des "deux France", un "réformisme de transformation". Le député de Seine-Maritime ambitionne de "remettre en marche le progrès social en agissant mieux et davantage, d'abord pour la France qui souffre et se trouve en mal d'espérance, mais aussi pour l'autre France, mieux pourvue, plus à l'aise, mais qui a aussi besoin d'une perspective, d'un grand projet".

Sans exclure que des velléités de candidatures éclosent parmi d'autres prétendants, populaires au PS ou dans l'opinion, cette guerre des présidentiables se joue donc pour l'instant à trois. La première manche, au Mans, sera décisive. A quelques jours du conseil national du 17 septembre, où seront déposées les motions soumises au vote des militants, les amis de M. Fabius semblent se résigner à une victoire de M. Hollande, qui, loin d'être une fin de partie, n'interdirait nullement une investiture de leur mentor en 2007.

Pour les fabiusiens, si la projection de la direction sortante se vérifie et que M. Hollande a une majorité de 53%, les opposants, unis par leur non à la Constitution européenne, représenteront 47% (dont 20% pour les fabiusiens alliés aux amis de Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l'Essonne, et d'Alain Vidalies, député des Landes). Or, selon les lieutenants de M. Fabius, le camp du oui se divisera entre ses deux candidats alors que celui du non aura l'ancien premier ministre comme seul et unique champion.

MAÎTRE DES HORLOGES

Si ce scénario est confirmé au Mans, le pari des fabiusiens est aléatoire. Les "nonistes" sont loin d'être homogènes. Quand les amis de M. Fabius ont testé la candidature d'Arnaud Montebourg, co animateur du Nouveau Parti socialiste (NPS), au poste de premier secrétaire, ils ont relancé la querelle du leadership à NPS entre le député de Saône-et-Loire et son alter ego, Vincent Peillon, député européen, provoquant une zizanie qui a failli faire éclater le courant. Dans une primaire à deux tours, M. Fabius essuiera des pertes en ligne et aura du mal à avoir la majorité absolue dans un parti dont il n'aura pas pris le contrôle.

Dans le camp du oui, M. Lang, qui a œuvré activement pour le premier secrétaire dans le Pas-de-Calais, et M. Strauss-Kahn, qui a tenté de retirer à M. Hollande tout statut de présidentiable ­ –"être le premier secrétaire du Parti socialiste, c'est une tâche qui se suffit à soi seule" ­ – auront, à leur tour, besoin du soutien du patron des socialistes pour se faire investir. Or, si le député de Corrèze gagne son congrès, il regagnera du terrain dans les sondages.

Affaibli par le référendum du 29 mai, M. Hollande a été obligé de se mettre en retrait de la compétition présidentielle. Mais cette posture lui a aussi permis de ne pas jouer sa réélection comme une pré-investiture présidentielle. S'il garde sa place, il peut se sentir de nouveau pousser des ailes... Et ce sera à lui d'arbitrer le moment de la désignation du candidat: au second semestre 2006, selon sa préférence et celle de M. Lang, ou au printemps 2006, selon le voeu de DSK et de M. Fabius. M. Hollande sera redevenu le maître des horloges.

Michel Noblecourt
Article paru dans l'édition du 14.09.05


Le Monde / Sciences
Des astronomes détectent l'explosion cosmique la plus lointaine jamais observée

 C ette image de l'enfance de l'univers pourrait attendrir, si elle n'en confirmait la brutalité. Plusieurs équipes d'astronomes ont annoncé, lundi 12 septembre, avoir détecté l'explosion cosmique la plus lointaine jamais observée. Ce sursaut de rayons gamma, les manifestations les plus énergétiques auxquelles il soit donné d'assister, a eu lieu à plus de 12,7 milliards d'années-lumière de notre Terre (une année-lumière correspond à la distance que la lumière parcourt en un an, soit environ 10 000 milliards de kilomètres). L'éloignement dans l'espace traduisant aussi l'écart dans le temps, cela signifie que le phénomène s'est produit lorsque notre univers, aujourd'hui âgé d'environ 13,5 milliards d'années, avait vécu moins de 900 millions d'années depuis le Big Bang.

Pour traverser tout l'univers et parvenir jusqu'à nous, la déflagration a puisé ses forces dans son inimaginable débauche d'énergie. L'explosion a dû être si forte qu'"elle doit avoir libéré 300 fois plus d'énergie que toute celle que fournira le Soleil durant ses dix milliards d'années d'existence" , selon les calculs de Guido Chincarini, responsable de l'équipe italienne qui a étudié le monstre au Chili, avec le Very Large Telescope de l'European Southern Observatory (ESO).

Ce rugissement est sans doute la conséquence du dernier spasme d'agonie d'une étoile massive qui s'effondre sur elle-même pour former un trou noir. Celui-ci signale sa venue au monde par l' exubérant cri primal d'un flot bref et intense de rayons gamma.

TÉMOIGNAGE DES ORIGINES

Pour détecter un témoignage aussi direct sur nos origines, il ne pouvait être question de miser seulement sur la force de l'explosion. Les astronomes ont mis au point, depuis plusieurs années, une série de satellites qui peuvent capter la violence des manifestations provenant des confins de l'univers.

C'est le dernier d'entre eux, Swift, lancé par la NASA à la fin de 2004, qui a aperçu le signal, le 4 septembre. Capable de pointer ses instruments de mesure vers la cible dès qu'elle a été repérée, Swift peut capter les "lueurs résiduelles" des sursauts gamma, et alerter les télescopes terrestres.

Le 4 septembre, ceux-ci ont lancé la traque. Cette campagne a débouché sur un fait assez inhabituel pour être signalé: des astronomes ont été ravis de ne rien voir. Pour ceux du télescope automatisé du Mont Palomar (Californie), qui cherchaient à apercevoir le phénomène dans la lumière visible, le fait de n'observer que du noir signifiait que la lueur, trop faible pour être étudiée dans ce champ, devait provenir d'un endroit très reculé de l'univers.

C'est ce qu'ont confirmé plusieur autres télescopes, travaillant, eux, dans le domaine plus sensible de l'infrarouge, qui ont estimé la distance phénoménale. L'explosion du 4 septembre ne détient toutefois pas le record absolu du phénomème cosmique observé le plus loin de la Terre. Un quasar, un trou noir en train de dévorer des étoiles en émettant des rayonnements intenses, a été vu à une distance un peu supérieure. Mais cet objet absorbe la masse de milliards d'étoiles, alors que l'explosion constatée ces jours-ci, ne repose que sur l'énergie fournie par l'effondrement d'une seule. Sa découverte permettra peut-être d'en savoir plus sur les toutes premières apparitions de ces astres.

Jérôme Fenoglio
Article paru dans l'édition du 14.09.05


Le Monde / Sciences
Une expérience fondamentale née de travaux pratiques en physique
L'inattendue lévitation de la goutte d'huile

 C hacun a déjà vu une goutte d'eau glisser sur une plaque électrique, portée par un coussin de vapeur. Mais il est plus étonnant de suivre la course d'une goutte d'huile à la surface d'un bain d'huile, à température ambiante. C'est ce qu'a réalisé un groupe français (CNRS, ENS, Paris-VI et VII), qui publie ses observations dans la revue Nature du jeudi 8 septembre.

Pour cette expérience, née fortuitement de projets d'étude réalisés en licence de physique à Paris-VII, "il suffit de placer un bol sur un haut-parleur" , résume le physicien Yves Couder, qui dirige une thèse conduite sur le sujet.

COUSSIN D'AIR

Au laboratoire de physique théorique de l'ENS, l'appareillage est cependant un peu plus complexe, puisqu'il a fallu quantifier le phénomène en le visualisant grâce à une caméra ultrarapide.

Le principe est simple: lorsqu'on met un liquide en vibration verticalement (ici de l'huile de silicone), une gouttelette du même liquide, déposée à la surface, rebondit sur elle-même grâce à un coussin d'air constamment renouvelé. L'oscillation entretient indéfiniment le phénomène. Mais que l'on modifie légèrement son amplitude, et la goutte, au lieu de rebondir sur place, se mettra en mouvement, allant d'un point à un autre comme une boule de billard.

Plus surprenant: deux gouttes passant à proximité peuvent s'attirer et se mettre en orbite, comme des étoiles binaires. L'arrivée d'une troisième séparera le couple. A moins que l'ensemble ne se stabilise, comme un cristal.

Ces mouvements et attelages à distance sont, en fait, dus aux ondes créées par les gouttes elles-mêmes lors des rebonds. Chaque goutte peut alors trouver son équilibre, soit au creux d'un puits, soit en "surfant" sur la pente d'une vaguelette. Un modèle théorique décrit le phénomène, mais celui-ci, dit Yves Couder, "n'a pas encore livré tous ses secrets" .

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 14.09.05


Le Monde / Chats
La France peut-elle renouer avec la croissance ?
L'intégralité du débat avec Jean-Paul Fitoussi, président de l'OFCE, mercredi 14 septembre 2005.
En partenariat avec l'OFCE.

Jonathan_Hild: Dominique de Villepin a annoncé il y a deux semaines une batterie de mesures visant à relancer selon lui la croissance. Pensez-vous que son plan peut être efficace ?
Jean-Paul Fitoussi:
Question difficile, car je n'ai pas tous les détails de son plan. Pour ce qui concerne la réforme fiscale, comme la réforme du système de cotisations sociales, elle me semble aller dans le bon sens, qui est celui d'une plus grande équité. Par ce biais-là, évidemment, elle contribuera à distribuer – mais pas tout de suite, car elle n'entrera en vigueur qu'en 2007 –, du pouvoir d'achat aux catégories les moins favorisées et aux classes moyennes. Je dénonce depuis à peu près quinze ans ce que j'appelle les deux défauts majeurs du système français de prélèvements obligatoires. Le premier défaut majeur est que l'impôt sur le revenu est trop vite progressif, avec pour effet d'exclure les classes moyennes de la possibilité d'accéder à la catégorie supérieure. De sorte que cela crée un peu une barrière de protection autour des catégories les plus riches de la population. Le deuxième défaut majeur est que le système de contributions sociales est, lui, insuffisamment progressif, avec pour effet de faire payer plein pot aux catégories les moins qualifiées qui accèdent au marché du travail. La suppression de 7 à 4 tranches a pour effet de réduire la progressivité de l'impôt sur le revenu pour les catégories moyennes, alors que l'abondement de la prime pour l'emploi et des divers dispositifs qui contribuent à augmenter le revenu des salariés qui retrouvent un emploi est un moyen de rendre progressif le système de contributions sociales. Donc voilà un dispositif qui favorise simultanément les catégories les plus défavorisées de la population et les classes moyennes. Ce n'est pas mal pour une réforme fiscale et sociale...

"PASSIVITÉ DES POLITIQUES DE CROISSANCE EN EUROPE"

Jose_Mourinho: La croissance, c'est un enjeu franco-français ou plutôt européen, même mondial ?

Jean-Paul Fitoussi: La croissance n'est pas un enjeu mondial, pour la seule raison que le monde a un taux de croissance tout à fait satisfaisant. C'est un enjeu européen, car depuis quinze ans au moins, l'Europe, et particulièrement la zone euro, se trouve dans une situation de croissance molle. C'est-à-dire d'absence de dynamique économique susceptible de créer des emplois et de la richesse. C'est une situation très préoccupante dans la mesure où elle provient au moins en partie – et pour moi en grande partie – de ce qu'il n'y ait pas de responsable de la croissance à l'échelle européenne. Pour dire les choses simplement, il n'y a pas de gouvernement européen. Donc c'est un problème qui apparaît comme grave puisqu'il est la conséquence même du dessin actuel des institutions européennes. La question est: comment faire pour retrouver la croissance ? Les pays européens n'ont plus les moyens d'une politique de croissance, puisqu'ils n'ont plus de monnaie nationale et puisqu'ils n'ont plus d'économie budgétaire. Cela ne poserait pas problème s'il y avait un échelon fédéral doté de ces moyens. Or ce n'est pas le cas: l'absence de souveraineté nationale dans le cadre de la zone euro n'est pas compensée à l'échelle fédérale. Cela a pour conséquence une très grande passivité des politiques de croissance en Europe et lorsqu'on ne cherche pas la croissance, tout simplement on ne la trouve pas.

JB: L'euro (avec la Banque centrale européenne) nuit-il à la croissance ?
Jean-Paul Fitoussi:
L'euro est une monnaie. Une monnaie en soi n'a pas de qualité. La qualité d'une monnaie vient de son utilisation par la politique monétaire pour rechercher la croissance et la stabilité des prix. Or pour l'instant, peut-être parce que la Banque centrale européenne est une institution encore dans l'enfance, elle ne s'est apparemment pas préoccupée de croissance. Comme de surcroît il s'agit d'une institution non politique, elle n'a pas réellement la légitimité pour le faire. L'euro, ça peut être la meilleure chose pour l'économie européenne s'il est utilisé à des fins de progrès économique et social. Mais non s'il est utilisé à des fins orthodoxes de stabilisation des prix.

Becker: La parité euro-dollar peut-elle être un frein à la croissance ?
Jean-Paul Fitoussi:
Bien sûr que oui. Elle peut l'être et elle l'a été. Cela fait précisément partie de la politique monétaire. La politique monétaire et la politique de change ont pour conséquence que la "force" de l'euro a rendu, dans les trois dernières années, un très mauvais service à l'économie européenne dans la mesure où elle a contribué à réduire la compétitivité de l'économie européenne, et donc à empêcher celle-ci de profiter de la croissance mondiale. On voit bien que tout est lié, parce que nous nous situons dans une zone où il n'existe pas de politique interne de croissance, en l'absence de l'échelon fédéral. Si, en plus, on s'arrange pour que cette zone ne bénéficie pas du moteur externe de la croissance et de la très bonne activité économique qui règne dans les autres régions du monde, alors on ne peut qu'être perplexe quant à l'avenir de la croissance dans la zone euro.

Timeas: Quel est l'impact de la hausse du prix du pétrole sur la croissance ? Est-ce un vrai problème et comment le surmonter ?
Jean-Paul Fitoussi:
Question complexe. La hausse du prix du pétrole est un vrai problème pour des économies consommatrices de pétrole et s'analyse comme un prélèvement externe sur les ressources des pays non producteurs de pétrole. Cela réduit le pouvoir d'achat dans ces pays. On évalue à 0,3% de croissance perdue par augmentation de 10 dollars du baril de pétrole. La même augmentation ayant aussi pour conséquence une augmentation des prix d'un 0,5%. C'est donc un vrai problème, mais il faut bien voir la spécificité du "choc pétrolier" (qui s'est étalé sur trois ans) en ce qu'il n'a pas – et cela dans aucun pays du monde –, eu de conséquences inflationnistes.
Le premier choc pétrolier avait eu pour conséquence une augmentation à deux chiffres du taux d'inflation partout dans le monde. Là, la zone euro est caractérisée par un taux d'inflation de 2%. Alors pourquoi n'y a-t-il pas eu de transmission du choc pétrolier aux prix dans les pays européens ? Essentiellement en raison de l'état du marché du travail, qui est déprimé: chômage de masse, qui fait que les augmentations de prix ne sont pas transmises aux salaires. On pourrait se demander pourquoi ce choc pétrolier n'a pas eu de conséquences inflationnistes aux Etats-Unis, alors qu'il y règne le plein emploi. La raison en est une forte augmentation de la productivité due à la relocalisation géographique des activités, externalisations et délocalisations qui ont été possibles aux Etats-Unis parce que les Américains n'y ont pas opposé une forte résistance, parce qu'ils se trouvaient en situation de plein emploi. Concrètement, lorsque des entreprises américaines font fabriquer certains de leurs produits intermédiaires en Inde, cela conduit à une baisse de prix qui fait plus que compenser l'augmentation du prix du pétrole et qui n'est pas préjudiciable aux Etats-Unis, dans la mesure où le pays se trouve en situation de plein emploi.

"LONGUE STAGNATION DES SALAIRES"

Babybarn: On critique régulièrement les charges pesant sur les entreprises. Qu'en est-il exactement et comment se situe la Fance par rapport aux autre pays européens et aux Etats-Unis ?
Jean-Paul Fitoussi:
D'abord, les charges ne sont pas nécessairement payées par les entreprises. Les charges sociales, notamment, ont pour conséquence le fait que les salariés ont une rémunération nette inférieure à celle des salariés des pays dont le système de protection sociale est moins généreux. Ce que je vous dis là, c'est que pour l'essentiel, les charges sociales sont payées par les salariés. Une preuve, s'il en était besoin, est que les profits des entreprises sont très élevés en France et que la part du revenu national qui va aux salaires baisse depuis vingt ans. Quand je dis cela, cela est équivalent à dire que la part qui va aux profits augmente depuis vingt ans. De ce point de vue-là, la France n'est pas du tout en situation défavorable par rapport aux autres pays développés. Il faut ajouter peut-être qu'il est normal que les charges sociales pèsent essentiellement sur les salaires, puisqu'en réalité, elles constituent un salaire différé, c'est-à-dire la retraite, l'assurance-maladie, l'indemnisation du chômage, etc. Le coût du travail en France stagne en France depuis presque deux décennies. Il n'est donc sûrement pas un frein à la compétitivité, et la longue stagnation des salaires serait plutôt un frein à la croissance.
Pour faire mieux comprendre ce point, imaginons qu'il n'y ait pas de système de retraites en France. Il est clair que les salariés demanderaient alors aux entreprises un salaire plus élevé pour pouvoir prendre une assurance privée. Donc c'est une illusion de ne considérer que la partie charges. Il faut considérer la totalité: charges + rémunération nette du travail. Et de ce point de vue-là, la France est dans une situation de modération salariale depuis vingt-cinq ans.

Babybarn: Pensez-vous que les 35 heures aient pesé négativement sur la croissance (gel des salaires, baisse – en pondération – de la productivité horaire) ?
Jean-Paul Fitoussi:
Il n'y a pas eu baisse de la productivité horaire, au contraire, il y a eu augmentation. Mais il y a eu ralentissement de la productivité par personne. Cela a-t-il pesé sur la croissance ? C'est très difficile à dire dans la mesure où la période d'introduction des 35 heures a correspondu à l'une des périodes de croissance les plus fortes de l'économie française, la fin des années 1990. La question est de savoir si les 35 heures affectent les potentialités de croissance à long terme. C'est probable, mais on n'y est pas encore, dans la mesure où ce qui caractérise le marché du travail en France est encore une situation de chômage de masse. En d'autres termes, on ne peut pas dire que la réduction volontaire de la durée du travail par le gouvernement ait compensé la réduction involontaire du travail du fait du chômage.

UN MODÈLE "EN TRANSITION"

Arnito: Pensez-vous que nous (Français) devrions renoncer au modèle d'Etat-providence que nous avons depuis 60 ans, afin que la croissance soit plus forte et le chômage plus faible ?
Jean-Paul Fitoussi:
Lorsqu'on me parle de "modèle", je sors mon revolver ! Pourquoi ? Parce que le modèle dans lequel nous sommes aujourd'hui n'a pas grand-chose à voir avec celui qui caractérisait les années 1970. Le modèle des années 1970, qui avait été dessiné à la fin de la seconde guerre mondiale, était un modèle qui avait été conçu pour le salarié moyen et pour une situation de plein emploi. Aujourd'hui, ce modèle a été révisé de façon assez considérable. Deux illustrations: la première est que le traitement social du chômage devient un élément important du modèle – cela date du milieu des années 1980. Deuxièmement, on a créé le revenu minimum d'insertion. Troisièmement, on a abaissé les contributions des bas revenus aux cotisations sociales et on a créé la prime pour l'emploi. Ce qui fait que d'un modèle conçu pour le salarié moyen, on est passé à un modèle conçu pour alléger les difficultés des salariés les plus fragiles. Nous sommes donc dans un système en transition. C'est pourquoi la notion de modèle ne me semble pas s'appliquer. Cela est normal. S'il est une contrainte sur les systèmes sociaux, c'est qu'il s'adapte aux difficultés courantes de la société qui aujourd'hui ne sont pas du tout les mêmes que celles qui caractérisaient les années 1970. Parce qu'il n'y a pas de modèle, il vaut mieux ne pas s'enfermer dans des discours rhétoriques entre les "pour" et les "contre". Sauf si, par là, on veut dire que l'avenir pour la France est de renoncer à la solidarité entre les habitants du pays.

Timeas: Selon vous existe-t-il un "modèle" britannique afin de concilier politique sociale et croissance économique, et si oui, est-il souhaitable que ce modèle soit appliqué en France ?
Jean-Paul Fitoussi:
Ce qui s'est passé en Grande-Bretagne est que sous l'effet des réformes de Mme Thatcher, le degré de solidarité entre les habitants du pays a été réduit de façon assez considérable. Depuis le changement porté par les travaillistes, la politique économique et sociale en Angleterre consiste, d'une part, à rehausser ce degré de solidarité, notamment en améliorant les services publics – quitte à en renationaliser certains –, et, d'autre part, à avoir une politique de croissance portée par la monnaie et le budget. Précisément la politique de croissance qui manque à la zone euro. Là aussi, on peut dire que le modèle social anglais est en transition. On est passé d'un modèle très solidaire, quasi socialiste, dans les années 1970, à un modèle très peu solidaire, dans les années 1980, et on évolue aujourd'hui vers un modèle moyennement solidaire.

Jean_XII: La croissance est plombée par la dette. La question n'est-elle donc pas plutôt de savoir comment la France peut espérer combler sa dette ?
Jean-Paul Fitoussi:
Cette affirmation est fausse. Ce qui fait l'augmentation de la dette publique, c'est l'absence de croissance. Si la France avait eu dans les quinze dernières années une croissance normale, elle n'aurait pas du tout de problème de dette publique aujourd'hui. D'autre part, la dette publique française se situe dans la moyenne de celles des pays de l'OCDE. Et elle est relativement inférieure à celles des pays de la zone euro. Donc il n'y a pas en ce domaine de spécificité française. Le Japon est en train de renouer avec la croissance, alors que sa dette publique est supérieure à 120% du revenu national. En France, la dette publique n'est que de 65%. Elle est en hausse car elle évolue spontanément avec la croissance.
Lorsque la croissance ralentit, la dette publique augmente. Lorsque la croissance augmente, la dette publique ralentit. Par exemple, la dette publique française a baissé à la fin des années 1990. Ce que je vous dis est tautologique, puisque la dette étant le numérateur et le revenu le dénominateur, lorsque le revenu augmente vite, la dette baisse en proportion. La question est que lorsqu'on est en situation de faible croissance, les recettes publiques baissent. Comme les dépenses publiques, elles, n'ont aucune raison de s'adapter à la conjoncture, elles n'évoluent pas. Si les dépenses publiques restent constantes et les recettes publiques baissent, on a une augmentation du déficit budgétaire, et donc, de la dette publique. Pourquoi dis-je que les dépenses publiques ne doivent pas évoluer selon la conjoncture ? Pour une raison très simple: elles ont un caractère structurel. Par exemple, on ne va pas dire que les années de faible croissance, les écoles seront fermées six mois sur douze, et que les policiers seront aussi en sous-activité, ou qu'on n'entretiendra pas les routes. Tandis que pour ce qui concerne les recettes publiques, comme elles sont payées à partir du revenu des habitants, si le revenu baisse, les recettes baissent automatiquement.
De deux choses l'une: ou bien on se dit que la situation de croissance que la France connaît est normale, et dans ce cas-là, effectivement, il convient de baisser les dépenses publiques pour adapter les dépenses aux recettes; ou bien on se dit que cette croissance faible est pathologique, et dans ce cas-là, on conduit une politique de croissance pour adapter les recettes aux dépenses. Cela n'empêche pas, comme on l'a vu pour le système social, que les dépenses publiques s'adaptent en permanence aux changements de contexte de la société. Il se peut, par exemple, que l'on ait besoin de moins de classes secondaires et de plus de maisons de retraite, ou que, compte tenu de l'informatisation des services publics, on ait besoin de moins de fonctionnaires. Mais c'est une question différente, celle de l'adaptation des dépenses publiques pour qu'elles servent mieux les besoins de la société.

MichelF: Les délocalisations sont-elles une si mauvaise chose pour la France ? Ne peut-on envisager de se spécialiser dans d'autres métiers ?
Jean-Paul Fitoussi:
C'est une question à laquelle j'ai partiellement répondu. Les délocalisations sont perçues comme étant une mauvaise chose aujourd'hui parce qu'il y a un chômage élevé. Si l'économie française était en situation de plein emploi, comme l'économie américaine, la question ne serait pas autant débattue. Il y a deux processus qui conduisent aux délocalisations: le premier est vertueux, le second est vicieux. Le processus vertueux est celui qui conduit à délocaliser les activités de faible valeur ajoutée, c'est-à-dire les activités qui ont surtout besoin de travail peu qualifié. Et d'augmenter les activités à forte valeur ajoutée, c'est-à-dire celles qui sont fondées sur du travail de plus en plus qualifié au fur et à mesure de l'élévation du degré d'éducation et de connaissances du pays. Ce processus vertueux est un processus de division internationale du travail fondé sur le fait que les pays émergents sont plutôt riches en travail peu qualifié, et les pays développés sont plutôt mieux dotés en travail qualifié.
Le second processus qui, lui, crée un cercle vicieux, est le processus de concurrence fiscale et sociale par le bas, où le moteur des délocalisations n'est pas tant les dotations objectives en facteurs de production des pays, mais le fait que des pays également développés ont décidé de se montrer plus attractifs pour attirer les capitaux. Dans ce cas-là, ce qui se produit est qu'à terme tout le monde paie. Parce que les bases fiscales émigrent là où elles ne sont pas taxées et donc, l'ensemble des gouvernements se trouvent confrontés à un problème de paupérisation, c'est-à-dire n'ont plus suffisamment de recettes fiscales pour accomplir leurs missions: éducation, santé, construction d'infrastructures, etc. Voilà pourquoi il faut distinguer entre les moteurs de la délocalisation.

Verita: Les nouvelles technologies sont l'un des moteurs de la croissance économique. La France est-elle en retard en la matière par rapport aux autres pays européens ?
Jean-Paul Fitoussi:
La France n'est pas tant en retard par rapport à la moyenne des pays européens, mais l'Europe est en retard par rapport aux Etats-Unis. Maintenant, il existe en Europe des pays qui sont particulièrement avancés dans ces nouvelles technologies, tels les pays scandinaves qui sont au même niveau que les Etats-Unis. Mais en moyenne, l'Europe a accumulé un retard par rapport aux Etats-Unis. L'une des raisons de ce retard, c'est l'absence d'investissements qui, elle-même, est conséquence de l'atonie de la croissance. Les entreprises ne vont pas investir si leur marché stagne. Or, le moyen privilégié de l'introduction des nouvelles technologies de l'information et de la communication, c'est évidemment l'investissement. Une seconde raison qui explique le retard européen est l'absence d'investissements dans l'éducation et la recherche, et notamment, pour ce qui est de l'éducation, dans l'enseignement supérieur. Voilà pourquoi les projets de pôles de compétitivité pourraient permettre de combler ce retard s'ils conduisaient à accroître l'effort de recherche du pays et à faire en sorte que les entreprises en soient des acteurs majeurs. Car il s'agit de mettre ensemble des laboratoires universitaires, des entreprises et des établissements d'enseignement supérieur.

Babybarn: Quel est le principal frein français à la croissance ?
Jean-Paul Fitoussi:
Il est entendu qu'il convient, encore et toujours, de réformer l'économie pour la mieux adapter à l'évolution du contexte européen et mondial. Mais le vrai frein à la croissance française est que la France est une province d'un ensemble qu'on appelle l'Union européenne, qui n'est pas gouverné. L'Europe étant la seule région du monde à se trouver dans cette situation. On en revient à la première question: il n'y a pas de responsable de la croissance et de la dynamique économique à l'échelle européenne.
Quel frein spécifique peut-on changer ? Il y a un débat majeur entre deux écoles: l'école libérale qui dirait qu'il faut supprimer le code du travail et tous les obstacles à la concurrence (j'exagère à dessein) et qu'il faut privatiser tout ce qui reste de public; et l'école sociale-démocrate qui consiste à dire que la protection sociale n'est pas un obstacle à la croissance, la preuve étant que les pays européens qui ont le mieux réussi – et j'en parlais tout à l'heure –, id est. les pays scandinaves, sont ceux où le système de protection sociale est le plus développé. Donc selon qu'on appartienne à l'une ou l'autre de ces écoles, on conseillera des politiques différentes. Il faut dire que depuis déjà de nombreuses années, c'est la première école, à savoir le libéralisme, qui se fait le plus entendre en Europe et donc en France. Personnellement, il me semble que la clé d'un dynamisme retrouvé est un problème institutionnel. Il faudrait que l'Europe puisse utiliser sa politique monétaire et sa politique budgétaire à des fins de croissance. Ce qu'elle ne fait pas aujourd'hui et que les gouvernements nationaux ne peuvent vraiment faire, puisqu'ils sont contraints, dans leur politique budgétaire, par les règles européennes, celles du pacte de stabilité, alors que la politique monétaire qui est conduite à l'échelle fédérale n'a, selon les traités, qu'un seul objectif: la stabilité des prix.
On pourrait se poser la question de ce qu'il serait advenu de l'économie américaine si le gouvernement fédéral américain n'avait pas accepté, au moment du ralentissement de l'économie américaine, d'avoir un déficit budgétaire supérieur à 5%. Et si la FED (la Banque centrale américaine) n'avait pas baissé ses taux d'intérêt jusqu'à 1% – l'Europe n'est jamais descendue en dessous des 2% –, et si, en conséquence, le dollar ne s'était pas déprécié de plus de 50% par rapport à l'euro.

LEMONDE.FR | 14.09.05 | 17h30


Le Monde / Chats
L'ONU est-elle en panne ?
L'intégralité du débat avec Pascal Boniface, directeur de l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Il a dirigé l'ouvrage collectif "L'année stratégique 2006" (Ed. Dalloz, septembre 2005).

lo: L'ONU n'a pas réussi à se réformer au cours de ce dernier sommet. Quel est le principal responsable de cet échec, selon vous ?
Pascal Boniface:
Quand il y a un échec d'une organisation mondiale, la responsabilité est forcément collective. Dans le cas présent, on sait très bien que les responsabilités sont partagées et que de nombreux pays avaient un ou plusieurs points qui leur déplaisaient, et ils se sont donc arrangés pour ne pas faire aboutir les réformes. Il y avait bien sûr des oppositions pour l'élargissement du Conseil de sécurité qui venaient principalement des Etats-Unis et de la Chine. Quant à la réforme de la Commission des droits de l'homme, c'est plutôt la Russie, la Chine et les pays du Sud qui s'y sont opposés. Mais on ne peut qu'être frappé par le décalage entre le nombre de chefs d'Etat et de gouvernement présents et les résultats réels obtenus.

Josette: Quelle est la responsabilité des Etats-Unis dans l'échec de la réforme onusienne ?
Pascal Boniface:
La première puissance mondiale a forcément une responsabilité plus grande dans la marche des affaires que les autres pays. Dans le cas précis, on savait à l'avance que les Etats-Unis étaient hostiles à l'élargissement du Conseil de sécurité, parce qu'ils sont réticents à une augmentation des pouvoirs et de la légitimité du Conseil. Et par ailleurs, le fait que le nouvel ambassadeur John Bolton, dont l'hostilité à l'ONU était bien connue, ait déposé 750 amendements au projet de réforme de Kofi Annan à quelques jours du sommet montrait bien qu'il y avait une absence de volonté d'aller vers un succès.

Dmx: L'ONU a-t-il les moyens d'éviter les guerres, dans la mesure où les Etats-Unis donnent le (mauvais) exemple ?
Pascal Boniface:
L'ONU n'a pas les moyens d'éviter toutes les guerres. On l'a vu en Irak et on le voit dans d'autres endroits du monde. Et effectivement, le fait que la première puissance mondiale donne le mauvais exemple est problématique. Mais il faut rappeler que lors de la guerre du Kosovo en 1999, les pays qui avaient fait la guerre à la Yougoslavie n'avaient pas non plus attendu le feu vert de l'ONU pour agir. Donc on peut dire que l'ONU n'a pas les moyens politiques, ou juridiques, ou militaires d'empêcher toutes les guerres, mais néanmoins, elle a pu en empêcher certaines, soit en lançant des négociations, soit en faisant de la prévention.

Lamalif: L'ONU va-t-elle devenir un instrument aux mains des Etats-Unis ... ou disparaître?
Pascal Boniface:
Ni l'un ni l'autre. L'ONU ne disparaîtra pas parce qu'elle est indispensable, et que malgré ses insuffisances et ses imperfections, elle a un rôle incontournable, et de nombreux Etats y sont attachés. Elle ne deviendra pas pour autant un instrument américain, parce qu'on a bien vu en 2003 que les Etats-Unis n'arrivaient pas à imposer leur agenda à l'organisation mondiale. Et que si le monde n'est pas multipolaire, parce que les Etats-Unis sont plus puissants que les autres Etats, il n'est pas non plus unipolaire, parce que Washington ne peut pas imposer sa volonté au reste de la communauté internationale.

Fayçal: Doit-on, selon vous, maintenir le principe de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU ?
Pascal Boniface:
Oui, parce qu'il y a des Etats qui ont objectivement des capacités de contribution à la sécurité collective supérieures à d'autres. Et que la qualité de membre permanent devrait être un gage d'efficacité. Mais ce qui devrait être fait, c'est de réformer le Conseil de sécurité et d'augmenter le nombre de membres permanents, afin que le Conseil soit plus représentatif du monde d'aujourd'hui, et non plus du monde de 1945. C'est malheureusement cette réforme prévue par Kofi Annan qui a échoué.

Nacionunidas: L'ONU n'était-il pas voué à l'échec dès le départ, sans par exemple un pays comme le Brésil comme membre permanent du Conseil de sécurité ?
Pascal Boniface:
Non, l'ONU n'était pas vouée à l'échec dès le départ. L'une des causes de l'échec – relatif néanmoins –, c'est que les pays qui l'ont créée, et qui étaient alliés lors de sa création, se sont ensuite divisés du fait de la guerre froide. Pour ce qui est du Brésil, autant il serait justifié qu'il devienne membre permanent aujourd'hui, autant il était justifié qu'il ne le soit pas en 1945, vu son poids mondial à l'époque.

ZOUHIR: A votre avis, n'est-il pas grand temps que l'Allemagne dispose d'un siège de membre permanent ?
Pascal Boniface:
Oui, bien sûr, parce que nous ne sommes plus en 1945, que l'Allemagne est un pays démocratique qui a tiré toutes les leçons du passé, bien plus que le Japon, et que l'Allemagne est maintenant un pays "normal" et dont le poids justifierait un siège de membre permanent.

Veronica: Les restrictions budgétaires dont souffre l'Organisation ne vous paraissent-elles pas mettre en péril son action, son efficacité ?
Pascal Boniface:
L'ONU a toujours eu un budget relativement faible. Le Monde de lundi citait le chiffre de 1,3 milliard de dollars pour son budget courant et 4,5 milliards pour les opérations de maintien de la paix. Donc, même si les Américains parlent de la gabegie existant à l'ONU, on voit que les chiffres sont très limités et que l'accusation de gabegie doit être relativisée. Mais lorsqu'on compare son budget et les services rendus, on voit que l'ONU est finalement très peu chère. Comparons avec les 87 milliards de dollars de la présence militaire américaine en Irak. Pour ce qui est des opérations de maintien de la paix, leur efficacité tiendrait plus dans des décisions politiques plus claires et dans l'existence d'une véritable armée internationale permanente.

Stef: L'augmentation du nombre de membres permanents ne risque-t-il pas, au contraire, de créer des situations de blocage, d'alliances temporaires, d'instabilité... ? Un peu comme une république dotée d'un pouvoir législatif fort mais d'un pouvoir exécutif faible...
Pascal Boniface:
Il y a effectivement un risque de dilution, mais ce n'est pas le plus important. Tout d'abord, les nouveaux membres permanents n'auraient pas le droit de veto, ce qui limiterait les possibilités de blocage. Et surtout, on pourrait penser que malgré l'augmentation du nombre de membres permanents, il y aurait toujours des majorités possibles. Simplement, ces majorités seraient plus légitimes que les majorités actuelles.

Malek: De quel pouvoirs disposent réellement les enquêteurs de l'ONU au Liban ?
Pascal Boniface:
De pouvoirs assez importants, parce qu'ils sont aidés par le gouvernement libanais, et donc agissent en coopération avec ce gouvernement. Ils ne sont pas en milieu hostile. Et on a plutôt le sentiment que l'enquête avance.

Nacionunidas: Comment expliquez-vous le scandale du programme "Pétrole contre nourriture" ? Les fonctionnaires de l'ONU sont-ils si naïfs ?
Pascal Boniface:
Non, mais ils ne sont pas équipés pour surveiller un programme de cette ampleur. Il y a eu des manquements graves qu'il faut sanctionner, mais cela ne doit pas mettre en cause la légitimité de l'ONU. Cela doit être l'occasion de prendre les réformes pour éviter le renouvellement de ces manquements.

L'ONU "EN CRISE DEPUIS SA CRÉATION"

Francoislg: La charte pouvait prévoir une armée à la disposition du Conseil, mais trop d'Etats ne l'ont pas souhaité. Militaire, j'ai pu en de nombreuses opérations extérieures apprécier le travail de l'ONU, j'ai surtout constaté son impuissance en Yougoslavie. La réforme ne sera pas le remède tant que les Etats ne décideront pas s'ils veulent une ONU efficace ou pas ... Donnez-moi votre point de vue.
Pascal Boniface:
Je suis entièrement d'accord avec ce témoignage. Effectivement, c'est l'égoïsme et la crainte des Etats de perdre leurs prérogatives qui ont empêché la création d'une armée permanente, qui aurait pu agir plus rapidement et plus efficacement que les forces actuelles, composées de troupes de qualité et d'équipements très divers. Pour ce qui est de la Yougoslavie, ce n'est pas tellement les troupes qui sont en cause que le mandat qui leur était donné. Et quelle que soit la qualité d'une armée, elle ne vaut pas que par les ordres clairs qui lui sont donnés.

Caro: On aurait pu croire qu'après la fin de la guerre froide, l'ONU aurait pu jouer un rôle important dans un monde devenu multipolaire. Que s'est-il passé ?
Pascal Boniface:
C'est effectivement l'espoir et même la croyance que la très grande majorité des leaders politiques et des observateurs avaient à l'époque. Parce que non seulement après la guerre froide, mais surtout lors de la guerre du Golfe de 1990-1991, l'ONU a, pour la première fois, fonctionné comme l'avaient prévu ses créateurs. Et il faut se souvenir que George Bush père avait, après la guerre du Golfe de 1991, déclaré que nous allions entrer dans un nouvel ordre mondial où l'ONU pourrait enfin avoir la responsabilité effective de la sécurité mondiale. Cet espoir, on peut le dire, s'est évaporé en grande partie – et pas seulement – par l'action du fils de George Bush.

Berber: Ce n'est pas la première crise que traverse l'ONU. Quelle est la spécificité de la crise actuelle ?
Pascal Boniface:
Oui, effectivement, l'ONU est finalement en crise depuis sa création, cela peut prouver à la fois sa faiblesse et sa force. La crise actuelle vient principalement du choc créé entre le constat général de la nécessité d'une réforme de grande ampleur –  sur lequel tout le monde est d'accord – et l'impossibilité, de par les oppositions nationales, de commencer à mettre en œuvre la moindre de ces réformes.

Cris: Bill Clinton lance aujourd'hui son "Initiative mondiale Clinton" destinée à lutter contre la pauvreté et les conflits. L'initiative privée est-elle plus efficace, selon vous, qu'une structure interétatique comme l'ONU ?
Pascal Boniface:
Non, elle ne peut pas être plus efficace, parce qu'au bout du compte, ce sont les Etats qui prennent les décisions. Et surtout pour les questions de sécurité. Mais on voit dans de nombreuses occasions que l'initiative privée peut enclencher un mouvement qui sera ensuite suivi par les Etats. Deux exemples viennent immédiatement à l'esprit: le premier sur la convention des mines antipersonnel adoptée par les Etats il y a quelques années à la suite d'une initiative d'ONG; et hier encore, le principe d'une taxation des billets d'avion a été accepté par un certain nombre d'Etats, dont la France, et cela est la suite du mouvement altermondialiste demandant l'instauration d'une taxe Tobin. Donc les initiatives privées, individuelles ou collectives, ne sont pas suffisantes, mais elles sont nécessaires.

ZOUHIR: Vous semblez croire profondément en l'ONU. Que doit-on faire pour balayer tous les doutes qu'elle suscite ?
Pascal Boniface:
Je ne suis pas un croyant, je suis un pragmatique, et je constate simplement que l'ONU est nécessaire, mais il ne faut pas pour autant nier les difficultés qui sont les siennes. Pour balayer les doutes, il faut la rendre plus efficace, c'est le seul moyen. Pour la rendre plus efficace, il faut que ce soit les Etats qui acceptent les réformes, et donc, au niveau des citoyens, il faut faire pression sur les Etats pour qu'ils mettent en œuvre ces réformes.

Clem: Quelles sont les réformes les plus urgentes ?
Pascal Boniface:
C'est un mouvement d'ensemble. Il faut à la fois augmenter l'efficacité de la gestion, la crédibilité de l'ONU en matière de droits de l'homme, en matière de développement économique et en matière de sécurité collective. Il est difficile d'avancer sur un sujet sans avancer sur les autres. C'est là le problème: tout est bloqué pour le moment. Cela dit, s'il y avait quelque chose de plus urgent parce que cela peut conditionner le reste, c'est bien sûr les problèmes de guerre et de paix, parce qu'il n'y a pas de développement économique dans un pays en guerre, et que les pays en guerre sont les premiers à bafouer les droits de l'homme.

Entretous: Pensez-vous que l'arène de l'ONU est essentiellement une plate-forme de lobbying et une tribune ayant les médias comme caisse de résonance, plus qu'un lieu de réelle décision ?
Pascal Boniface:
Les décisions sont prises également en fonction des opinions publiques. Donc la communication est un instrument de pouvoir, de puissance. Servir de caisse de résonance est un moyen d'agir. Comme on l'a vu dans les années 1960 en faveur de la décolonisation, ou dans les années 1980 en faveur de la fin de l'apartheid.

Chat modéré par Constance Baudry et Bérangère Lepetit
LEMONDE.FR | 14.09.05 | 17h19


Le Monde / Opinions
Point de vue
Docu-fiction, usurpation d'identité, par Jean-Christophe Rosé

 U n genre nouveau fleurit sur nos écrans télévisés: le docu-fiction. Lors de la 16e édition du marché international du documentaire de Marseille, il a beaucoup été question de ce genre hybride où, faute de documents réels, on a recours à des acteurs pour reconstituer des événements jamais filmés.

En tant que réalisateur de documentaires, je n'ai rien contre ces productions. J'en ai même vu de très réussies, comme L'Odyssée de l'espèce . En revanche, leur statut de documentaire me semble substantiellement et historiquement faux.

Les docu-fictions ont pour terrain de prédilection le passé et le futur. Ils s'y intéressent à travers l'histoire ancienne, la science et ses projections. Or, passé et futur sont à l'opposé du mode présent et de son corollaire, la réalité, essence du documentaire. Les frères Lumière en furent les précurseurs, quand ils filmèrent l'entrée d'un train en gare de La Ciotat.

Plus tard, Robert Flaherty, le premier, mit en scène la "réalité" qu'il filmait. Après-guerre, Jean Rouch, tenant du "cinéma-vérité", intégra la subjectivité de celui qui filme pour donner naissance à sa théorie du "cinéma du réel". Un dénominateur commun réunit ces cinéastes: ils s'intéressent d'abord à la réalité, à une situation non élaborée pour l'occasion.

Par la suite, quand les documentaires télévisés s'intéresseront à l'histoire, aux arts ou à la science, ils le feront aussi à travers le réel, en partant des archives, des oeuvres ou des travaux d'historiens, des artistes ou des scientifiques. Aujourd'hui, dans le docu-fiction, le réel devient virtuel, puisqu'il s'efface derrière la reconstitution et les acteurs. Or, depuis que le cinéma existe, ce qui fonde la différence entre fiction et documentaire, ce sont justement les acteurs. A partir du moment où il y a acteur, il y a fiction.

On nous dit: ces films comportent aussi un commentaire pédagogique, scientifique ou historique. Et alors ? Un commentaire ou n'importe quelle voix off ­ procédé qui existe depuis toujours dans de nombreux films de fiction ­ n'ont jamais été le gage d'une démarche documentaire.

Dès lors, avec le docu-fiction, de deux choses l'une: ou, tel Monsieur Jourdain, la télévision fait de la fiction "sans le savoir"; ou bien, par un habile procédé d'escamotage, elle étend le domaine de la fiction, propice à l'audience, à l'espace du documentaire. Ce faisant, elle occupe les cases de diffusion du documentaire et le pousse à financer ces nouvelles fictions qu'elle fait précéder du mot "docu". La sémantique s'y entend à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Comment faire autrement pour parler, notamment, d'histoire ancienne ?, rétorquent les responsables des chaînes. Aux gens d'image, je réponds: vous avez déjà suffisamment de pouvoir pour ne pas revendiquer en plus celui de faire exister ce qui n'existe pas. Si Jules César n'a jamais été filmé, ni vous ni moi n'y pouvons rien. Libres à vous d'utiliser le docu-fiction pour le représenter. Mais, dans ce cas, allez au bout de votre logique: faites partager le coût de ces programmes par vos unités de fiction. Au-delà de ce débat, le docu-fiction pose des problèmes plus graves. On mesure toutes les ambiguïtés d'un genre où un discours qui se voudrait objectif et scientifique s'appuie sur des images fictives, travestissant le réel au profit d'une représentation "comme pour de vrai", alors qu'elle est fausse.

Le docu-fiction et le mélange des genres qu'il induit répondent aussi à une logique économique et idéologique pernicieuse. La suppression de la différence entre réel et imaginaire renforce une massification généralisée, où la diversité des genres s'appauvrit au seul profit des annonceurs, qui rêvent de plus grand dénominateur commun pour nous vendre leurs produits à l'échelle la plus grande possible. Le précipité entre imaginaire et réel qu'opère le docu-fiction n'est pas pour leur déplaire.

Alors que la fiction revendique l'artifice des acteurs et la subjectivité de l'auteur, le docu-fiction ne l'assume pas, au prétexte qu'au-delà des acteurs, des décors et des costumes le commentaire serait gage d'une vérité historique ou scientifique objective. Ainsi ses tenants affirment poursuivre le même enjeu que le documentaire ­ mieux nous faire comprendre notre monde ­, alors qu'ils ne font qu'étendre le mode de la représentation et du spectacle au champ de la connaissance et du savoir.

Ce faisant, le docu-fiction ne fait qu'élargir le domaine d'une représentation généralisée et d'un spectacle où, grâce à l'idée fallacieuse du temps disponible et du loisir, se met en place un monde divisé en deux catégories de citoyens. D'un côté, la masse des humains-spectateurs, qui disposent juste des moyens suffisants, mais de beaucoup de temps, pour assister, par médias interposés, aux représentations des spectacles du monde; de l'autre côté, une minorité d'humains-acteurs, qui agissent dans la vie en se réalisant dans leur travail. Leur mode d'existence constituera le gros des programmes ingurgités par les humains-spectateurs qui vivront leur vie par procuration. Sans oublier quelques chaînes plus pointues, où des humains-spectateurs plus intellos que les autres regarderont comment Brutus a tué Jules César, oublieux de l'essence même de l'histoire, qui consiste d'abord à interroger ce qu'on ne saurait voir.

Le documentaire doit donc conserver ses spécificités: éterniser le présent à travers son cinéma du réel et s'interroger sur le passé ou le futur sans les soumettre à la violence d'une représentation forcément erronée, puisque factice. Laissons à la fiction ce qui fait sa noblesse, imaginaire et subjectivité des auteurs, pour nous donner à voir, par le jeu des acteurs, la vie de façon plus vraie que réelle. A chacun son mode, son monde et sa vérité. C'est le plus sûr gage de notre liberté.


Jean-Christophe Rosé est documentariste.

par Jean-Christophe Rosé
Article paru dans l'édition du 15.09.05


Le Monde / International
Le Rwanda accuse le prêtre belge Guy Theunis de complicité de génocide
BRUXELLES de notre correspondant

 G uy Theunis, un prêtre belge de 60 ans, sera jugé par une cour d'assises rwandaise pour avoir, d'après ses accusateurs, été complice du génocide de 1994, qui avait fait quelque 800 000 morts. Arrêté le 5 septembre à Kigali, le missionnaire a été entendu, dimanche 11 septembre, par un tribunal populaire traditionnel de la capitale rwandaise. Malgré ses dénégations, il a été renvoyé devant le parquet national par cette instance qui ne compte ni avocats ni juges professionnels.

Un porte-parole du parquet a confirmé lundi que le prêtre, membre de la Société des missionnaires d'Afrique – ­ les "Pères blancs"– ­ serait rapidement traduit devant un jury. Guy Theunis risque la peine de mort. Les condamnations à la peine capitale ne sont plus exécutées au Rwanda depuis 1998.

Karel De Gucht, le ministre belge des affaires étrangères, a "pris note" des accusations formulées à Kigali, puis convoqué l'ambassadeur du Rwanda. Le diplomate aurait confirmé le sérieux des accusations portées contre le prêtre. M. De Gucht doit avoir, cette semaine, une entrevue avec son homologue rwandais à New York, en marge du sommet de l'ONU. Le premier ministre belge, Guy Verhofstadt, espère évoquer l'affaire avec le président Paul Kagamé.

Les juges du tribunal populaire ont estimé que le dossier de Guy Theunis relève d'une juridiction classique et que Guy Theunis appartient à la catégorie des "planificateurs, organisateurs, incitateurs, superviseurs et encadreurs" du génocide.

Le prête a vécu de 1970 à 1994 au Rwanda. Il y a notamment participé à une revue chrétienne, Dialogue. Les autorités rwandaises lui reprochent d'avoir fait écho, dans cette publication et dans une revue de presse destinée aux diplomates, aux positions des extrémistes hutus et de la revue Kangura . Il est également accusé d'avoir minimisé l'ampleur du génocide au début de celui-ci, ce qui aurait freiné l'action de la communauté internationale.

OPPOSANTS EXILÉS À BRUXELLES

Les organisations non gouvernementales Avocats sans frontières et Human Rights Watch expriment des doutes quant à ces griefs. Reporters sans frontières, dont le missionnaire fut le correspondant, se dit "scandalisée" et évoque "un règlement de compte politique". Filip Reyntjens, un universitaire spécialisé dans la politique africaine, se dit "certain à 100%" que le missionnaire est innocent.

Diverses sources affirment que l'arrestation de la semaine dernière fait partie d'un "montage" politique. Le pouvoir rwandais entend peut-être obtenir le jugement de génocidaires présumés réfugiés à Bruxelles ­– deux procès d'assises ont déjà eu lieu en Belgique et ont abouti à des condamnations – ou, en tout cas, faire pression sur le gouvernement Verhofstadt, qui tolère la présence en Belgique de nombreux opposants au Front patriotique rwandais (FPR), le parti du résident Kagamé.

Autre hypothèse: le régime de Kigali entend régler ses comptes avec l'Eglise catholique et, au-delà, avec de nombreux exilés qui critiquent les violations des droits de l'homme dans leur pays. Même s'il se démarquait souvent des positions des Pères blancs et critiquait aussi bien l'ancien régime hutu que le nouveau pouvoir tutsi, Guy Theunis entretenait, notamment à Rome, des contacts qui le font passer pour un suspect idéal aux yeux du FPR. Les milieux catholiques et la monarchie belges avaient par ailleurs fait preuve d'une indulgence coupable pour le régime hutu, ce qui ne peut que renforcer l'hostilité de Kigali à l'égard du missionnaire.

Enfin, des spécialistes estiment que le régime de Kigali a voulu montrer qu'il ne tolérait pas les entraves apportées par les autorités belges aux exportations illégales de minerais. Un rapport de l'organisation Global Witness a dénoncé récemment le commerce illicite organisé à partir de Kigali, et la Belgique a mis fin aux activités d'une compagnie aérienne qui permettait l'acheminement de minerais vers l'Europe.

Jean-Pierre Stroobants (avec Stéphanie Maupas à La Haye)
Article paru dans l'édition du 15.09.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Des questions que les psychanalystes ne peuvent plus éluder, par Philippe Pignarre

 C omment discuter de la psychanalyse ? La publication du Livre noir de la psychanalyse pourrait être l'occasion de confrontations intéressantes.

C'est le souhait de la plupart de ceux qui y ont participé; lesquels, par ailleurs, ne sont pas tous des partisans frénétiques des thérapies comportementales.

Il y a urgence à sortir des débats très abstraits quant à savoir si la psychanalyse est ou non une science; ou des autres débats, faussement concrets, qui croient résoudre le problème en préconisant des "essais cliniques contre placebo", dont on sait pourtant qu'il est très difficile de généraliser leur méthodologie en dehors de l'étude des médicaments classiques.

Peut-être, peut-on procéder d'une autre façon, et s'intéresser à la manière dont la psychanalyse réagit face à des épreuves contemporaines qui appartiennent à son champ de compétence.

Prenons la question de l'autisme. Il faut avoir rencontré les associations de parents d'enfants autistes pour se rendre compte de la souffrance que leur a infligée le canon psychanalytique, tel qu'il a été formulé en premier lieu par Bruno Bettelheim. L'idée de la responsabilité maternelle, des "mères froides", a eu un effet dévastateur.

Pire, de nombreux psychanalystes pensaient que ces enfants devaient être éloignés le plus possible de leurs parents, ajoutant de la souffrance à la souffrance.

On ne peut certainement pas se tirer de cette affaire en se contentant de dire qu'il faut "utiliser les deux méthodes" ou des choses de ce genre. Les psychanalystes ne sont-ils pas un peu légers dans leur bilan ?

Prenons l'homosexualité. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), mis au point, par consensus, par les psychiatres américains, ne date pas de 1980. En 1952, une première édition en a été réalisée, sous influence psychanalytique.

Mais, en 1980, les psychanalystes ont perdu le contrôle de l'American Psychiatric Association (APA) au profit d'un courant dit "athéorique" qui voulait abandonner la distinction psychoses/névroses.

Pourquoi ont-ils perdu cette bataille ? A cause de leur position, alors majoritaire, sur la question de l'homosexualité. Les psychanalystes de l'APA se sont battus comme des enragés pour que l'homosexualité continue d'être considérée comme un trouble mental ­ qu'ils prétendaient, de surcroît, pouvoir guérir.

Les modernistes ont alors fait alliance avec les courants homosexuels militants et ont défait les psychanalystes. Certains d'entre eux ont d'ailleurs fait scission avec l'APA sur cette question. Rappelons que les congrès de l'APA ont été les premiers à être attaqués par les activistes gays.

Les psychiatres gays étaient, à l'époque, obligés de se regrouper dans une association clandestine. Il leur était impossible de se manifester publiquement face à des collègues psychanalystes qui les considéraient comme des malades à soigner. Le débat faisait rage pour savoir si on pouvait être homo et psy.

Là encore les psychanalystes de l'APA, dans leur grande majorité, étaient contre ! Quel bilan tire-t-on de cela ? Le poison ne continue-t-il pas à opérer sur des questions plus actuelles, comme le pacs ou le mariage gay ?

La toxicomanie a été une troisième épreuve. J'ai, au moment où le sida commençait ses ravages, participé à la création d'associations d'usagers de drogues non repentis, comme Limiter la casse. Nous préconisions, comme Act Up, de cesser de faire la guerre aux toxicos (sous prétexte de guerre aux drogues) et d'initier une politique de"réduction des risques"; d'arrêter d'interdire la vente des seringues et de se fixer comme seul objectif l'abstinence; enfin, de mettre des produits de substitution à la disposition des usagers.

A qui nous sommes-nous opposés cruellement ? Aux associations de thérapeutes spécialisés en toxicomanie, qui étaient sous le contrôle de psychanalystes. La bataille a été rude, violente même.

Certains utilisaient leurs entrées au ministère de la santé pour retarder la prise de mesures de sauvegarde, alors que le sida faisait des ravages. Des psychanalystes comme Charles Melman, qui nous a soutenus publiquement, ont été des exceptions. Aujourd'hui, tout le monde accepte la politique de réduction des risques. Mais quelle expérience en a-t-il été retiré ?

Pourquoi, chaque fois, l'affrontement avec la réalité des problèmes est-il venu du dehors de la psychanalyse ­ et même contre elle ? Quel a été le coût du retard ?

Nous sommes aujourd'hui nombreux à penser qu'il s'agit là de "pages sombres" de l'histoire récente de la psychanalyse.

Si l'on admet qu'une théorie se juge aux risques qu'elle est capable de prendre, aux épreuves qu'elle peut franchir en renouvelant ses questionnements, on comprendra alors notre perplexité face aux prétentions de la psychanalyse.


Philippe Pignarre est éditeur, contributeur au Livre noir de la psychanalyse.

par Philippe Pignarre
Article paru dans l'édition du 16.09.05


Le Monde / Sciences
Pour la première fois, un de ces corps astraux a été observé hors de toute galaxie visible
Un quasar solitaire bouleverse les théories sur les trous noirs massifs

 V' est à peu près aussi déroutant que de regarder un bon vivant se comporter comme s'il se goinfrait dans un restaurant sans table et sans aliment. Une équipe internationale d'astronomes a repéré, pour la première fois, un trou noir très massif et seul dans son coin d'univers, sans être situé à la place qu'occupent tous ses autres semblables: au centre d'une énorme galaxie qui fournit ses millions d'étoiles à leur insatiable appétit.

Ce déviant semble pourtant se régaler puisqu'il émet une telle luminosité qu'il peut être considéré comme un quasar des plus brillants.

Les quasars sont des trous noirs au plus fort de leur absorption de quantités phénoménales de matière. La torsion de cette substance est telle, dans le disque qui tournoie autour du glouton avant de s'y engouffrer, qu'elle se met à étinceler comme des millions de millions de Soleil. Les astronomes, qui les classent dans les objets les plus flamboyants de l'univers et les utilisent aujourd'hui comme les seules torches capables d'explorer les tréfonds du cosmos, les ont longtemps confondus avec les étoiles. Cela leur a valu leur nom qui vient de l'anglais "quasi-star", presque une étoile.

Le quasar sans maison a été découvert, comme souvent, par hasard. L'équipe d'astronomes, notamment composée de Pierre Magain, Géraldine Letawe (Institut d'astrophysique et de géophysique de l'université de Liège), Frédéric Courbin, Georges Meylan (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, EPFL) et Pascale Jablonka (EPFL et université de Genève), cherchait à établir la variété des propriétés et morphologies des galaxies hôtes de ces quasars.

Ils ont utilisé les deux outils actuellement les plus puissants pour scruter le ciel: le télescope spatial Hubble et le Very Large Telescope de l'European Southern Observatory (ESO), au Chili. Pour cela, ils ont mis au point une méthode capable de soustraire la luminosité propre de la galaxie à celle, aveuglante, du quasar. Les 19 premiers étaient tapis, comme attendu, au centre de leur toile galactique. Et le vingtième errait, à l'écart de toute prévision théorique.

A vrai dire, ce quasar atypique ne se trouve pas tout à fait isolé, comme le relatent les auteurs dans la revue Nature du 15 septembre. Il se situe à la lisière d'un nuage de gaz de la taille d'une petite galaxie, mais qui ne semble pas contenir la moindre étoile. La présence de cette nappe gazeuse ne peut suffire à expliquer l'intense activité digestive du trou noir.

Non loin, se trouve aussi une galaxie au comportement visiblement perturbé, donnant tous les signes d'avoir subi une de ces collisions qui font l'ordinaire de l'évolution du cosmos.

Ce télescopage peut-il expliquer la position du quasar excentrique ? C'est une des hypothèses retenues. Une autre explication suivrait la piste de la matière sombre, très à la mode chez les astronomes. Selon elle, le quasar serait, comme les autres, bien au centre d'une galaxie, mais principalement composée de ce type de matière, invisible aux outils humains.

Jérôme Fenoglio
Article paru dans l'édition du 16.09.05


Le Monde / Sciences
Capturer et emprisonner le CO2, une piste à suivre

 D' ici a 2030, la demande mondiale d'énergie devrait croître de 60%, selon l'Agence internationale de l'énergie. La part des énergies fossiles ­ pétrole, gaz, charbon ­, qui s'établit actuellement à 85%, ne devrait pas sensiblement évoluer. Comment réduire l'impact sur le réchauffement climatique de ces combustibles, qui émettent vers l'atmosphère 80% des gaz à effet de serre d'origine humaine ?

Les experts du climat évaluent cette option

Le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC, ou IPCC en anglais), chargé par l'ONU d'évaluer l'importance du changement climatique, s'est penché sur la question de la capture et du stockage du CO2. Il devrait adopter fin septembre un rapport final à ce sujet. Ce document indique que l'emploi de ces technologies pourrait "réduire de 30% ou plus" le coût de la stabilisation du taux de CO2 dans l'atmosphère. Sur une question controversée, le stockage dans les océans, les experts notent que la communauté scientifique "est encore dans une phase de recherche".

Une option, qui n'est pas prise en compte dans le protocole de Kyoto, consiste à capturer à la source le dioxyde de carbone. Pour le réinjecter dans le sous-sol, où l'on espère le piéger suffisamment longtemps pour enrayer le réchauffement du climat. Cette voie de recherche fait l'objet d'un colloque international, organisé les 15 et 16 septembre à Paris par l'Institut français du pétrole (IFP), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM).

"Il s'agit d'une réponse technologique qui demeure une solution de transition", indique d'emblée Michelle Pappalardo, présidente de l'Ademe, qui cite une étude du Club innovation et prospective montrant qu'en 2050, sur 877 gigatonnes (milliards de tonnes) de CO2 émis, 483 seulement devraient être "récupérables". La capture du CO2 n'est en effet praticable que là où sa production est concentrée, c'est-à-dire dans les centrales électriques thermiques (40% des émissions mondiales de CO2), mais aussi les cimenteries, les raffineries ou les unités sidérurgiques.

Michelle Pappalardo mentionne d'autres inconnues, d'ordre juridique, qui entourent la comptabilité du CO2 piégé: a qui appartiendra-t-il ? Comment sera-t-il comptabilisé dans les "puits" nationaux de CO2 ? Sera-t-il éligible aux mécanismes de droits à polluer ? Sera-t-il considéré comme un déchet ? Une mission vient d'être confiée au conseil général des mines afin d'examiner ces questions.

Les technologues n'ont pas, eux non plus, toutes les réponses en main. Même si, comme le rappelle Olivier Appert, le président de l'IFP, "les procédés envisagés dérivent des technologies pétrolières classiques", le coût du CO2 évité reste élevé: de 50 à 70 euros la tonne, il est encore deux à trois fois plus élevé que le prix auquel il s'échange dans les systèmes de bourse d'échange d'émissions de CO2, dits de "droit à polluer".

La capture, compression du gaz comprise, représente 70% du coût total. Elle est en effet fortement énergivore et, même si elle permet de récupérer 90% du CO2, elle peut occasionner une surconsommation de 10% à 15%.

Sur les installations existantes, les procédés envisagés sont essentiellement tournés vers la séparation dans les fumées de combustion.

Dans les futures installations, des technologies telles que l'oxycombustion (on utilise de l'oxygène pur pour concentrer le CO2 dans les fumées) ou la capture précombustion (on sépare le CO2 pour brûler de l'hydrogène) pourraient être envisagées à la conception.

"Actuellement, ces trois procédés conduisent à des coûts identiques par tonne de carbone évité", indique Pierre Le Thiez (IFP). Le projet européen Castor vise à diminuer ce coût de moitié. Il prévoit le démarrage, en mars 2006, d'une unité pilote de capture postcombustion, capable de traiter une tonne de CO2 à l'heure, dans une centrale à charbon danoise.

10 000 MILLIARDS DE TONNES

Le transport, par pipeline ou par tanker, devrait représenter quelques euros par tonne aux 100 km parcourus. Mais il ne représente pas un défi insurmontable. Le problème du stockage du CO2 n'est pas, en revanche, entièrement résolu. "Il faudra s'assurer de l'étanchéité des sites géologiques pour une durée de 500 à 1 000 ans, rappelle Philippe Vesseron, président du BRGM. C'est une échelle de temps qui n'est pas géologique, mais qui nécessite des travaux de vérification considérables."

Trois types de réservoirs géologiques sont envisagés. Les aquifères profonds (au-delà de 800 mètres), qui contiennent de l'eau salée, offrent les plus grandes capacités de stockage, évaluées à 10 000 milliards de tonnes de CO2. Même si les modes de calcul font l'objet de débat, cela représente l'équivalent de plusieurs siècles d'émissions mondiales. En Norvège, la compagnie Statoil réinjecte dans un aquifère une partie du CO2 contenu dans le gaz naturel de son champ de Sleipner Vest. L'opération est rentable pour l'industriel, qui échappe ainsi à des taxes.

Viennent ensuite les réservoirs pétroliers et gaziers (1 000 milliards de tonnes environ), dont certains bénéficient de l'injection de CO2, qui favorise la récupération du pétrole résiduel. C'est le cas au Canada, à Weyburn, dans la province du Saskatchewan, où le puits est quotidiennement alimenté par 5 000 tonnes de CO2 provenant d'une usine de gazéification du charbon située à 330 km de là, aux Etats-Unis. La société qui exploite ce gisement espère ainsi prolonger son exploitation de vingt-cinq ans.

Troisième forme de réservoir possible, les couches de charbon profond ne représentent que 2% de la production de CO2 d'ici à 2050. Mais, là encore, le gaz carbonique injecté peut présenter un intérêt économique, en permettant la récupération de méthane.

Ces perspectives font dire à certains que la capture et le stockage du CO2 ne sont qu'un moyen de prolonger l'exploitation des énergies fossiles. Mais, dans la maigre panoplie à notre disposition, ils apparaissent de plus en plus comme incontournables.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 16.09.05


Le Monde / Société
Selon l'Insee, les ZEP n'auraient pas d'effets significatif sur les résultats des élèves

 S elon une étude de l'Insee, la politique des zones d'éducation prioritaires (ZEP) menée depuis plus de vingt ans ne donnerait pas de résultats encourageants pour les élèves. Un constat qui va à contre-courant du discours ministériel sur les ZEP. Le ministre de l'éducation nationale, Gilles de Robien, avait affirmé une semaine avant la rentrée: "On ne peut pas dire aujourd'hui que les jeunes ne réussissent pas en ZEP." Soulignant toutefois que "ça peut marcher mieux", le ministre avait annoncé son intention de rouvrir le "dossier ZEP" par une "évaluation en 2005 et une relance en 2006".

Vendredi 16 septembre, l'étude de trois chercheurs publiée dans la revue de l'Insee, Economie et Statistique, semble beaucoup moins encourageante. Elle fait apparaître sans détour que le système des ZEP, considéré par l'étude comme le premier système de "discrimination positive" en France, "n'a eu aucun effet significatif sur la réussite des élèves". Ciblée sur les collèges (400 000 élèves, 15% des collégiens en 1997), elle démontre que "s'il y a eu gains dans certaines zones, ils ont été compensés par des détériorations dans d'autres zones". Parmi les raisons de cet échec, la mauvaise optimisation des moyens alloués aux zones d'éducation prioritaires.

"Les moyens affectés directement aux élèves se réduisent à quelques heures d'enseignement supplémentaires qui n'ont conduit à diminuer le nombre d'élèves par classe qu'assez peu et lentement (moins deux élèves en collège en 1997)", argumentent les chercheurs. En fait, ces moyens sont composés "principalement de primes accordées aux enseignants" (1 000 euros de plus par an, bonus de carrière).  Gilles de Robien voudrait justement remettre ces primes au goût du jour pour stabiliser les équipes éducatives, mais aussi attirer des enseignants chevronnés pour favoriser une "mixité des compétences".

INÉGALITÉS SOCIALES ACCRUES

La jeunesse des professeurs de ZEP est en effet confirmée par l'Insee. Il y voit la conséquence d'une "stigmatisation" d'établissements perçus comme "difficiles" alors qu'ils sont dotés de plus de moyens. Un jeune enseignant coûtant logiquement moins cher, leur arrivée en masse en ZEP permet aussi, selon l'étude, de maintenir les budgets alloués. Leur nombre par élèves a donc connu une "faible hausse", à moyens constants.

En privilégiant "les établissements en extrême difficulté", on aurait pu – "avec le même budget total" – abaisser plus nettement le nombre d'élèves par classe, une pratique reconnue comme la plus efficace face aux publics défavorisés. D'autant que les inégalités sociales se sont accrues au sein des établissements ZEP, alors même que la philosophie présidant à leur création en 1982 était précisément de les réduire. Ainsi, les parents ont eux aussi participé à la "stigmatisation" de ces établissements en les évitant au profit d'écoles moins dotées mais dans un environnement considéré comme meilleur.

Selon l'étude, la solution passerait peut-être par une nouvelle augmentation des moyens, comme le réclament les syndicats enseignants et la gauche, ainsi qu'une revalorisation de l'image des ZEP. Le Parti socialiste a immédiatement réagi à la publication de cette étude. Ségolène Royal, ancienne ministre de l'enseignement scolaire, a estimé dans un communiqué que ce rapport souligne "la nécessité de moyens pour les zones prioritaires". Evoquant la volonté du ministre actuel de rouvrir le dossier des ZEP, elle lui a demandé de "commencer par leur donner les moyens qu'elles méritent".

De son côté, le syndicat lycéen FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne) a assuré qu'il attendait "des actes" et demandait à "être reçu" par Gilles de Robien, dans un communiqué publié vendredi: "Cette étude confirme ce que nous savions depuis un certain temps: les établissement ZEP n'ont pas rempli leurs objectifs, la FIDL avait déjà averti le gouvernement de cette situation inacceptable dès le début des mobilisations lycéennes", a-t-il déclaré dans un communiqué.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 16.09.05 | 20h57


Le Monde / Sciences
Article interactif
Des cellules souches pour soigner le cœur
  • Des cellules souches pour soigner les infarctus
  • Une modification du génome des cellules souches compromet l'usage thérapeutique
  • Au Royaume-Uni, les cellules souches font naître la controverse
I - Des cellules souches pour soigner les infarctus

 U ne équipe de chercheurs français a réussi à réparer partiellement des cœurs de mouton ayant subi un infarctus grâce à des cellules souches embryonnaires de souris, préalablement préparées à devenir des cellules cardiaques, selon une étude à paraître samedi dans la revue médicale britannique Lancet.

Ces travaux, réalisés par l'équipe du biologiste Michel Pucéat, du CNRS de Montpellier, en collaboration avec le cardiologue Philippe Ménasché, de l'Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, renforcent les espoirs de réussir un jour à utiliser les cellules souches embryonnaires humaines pour soigner le cœur, selon les chercheurs.

Indifférenciées, les cellules souches embryonnaires ont la capacité de prendre la forme de cellules des différents organes (épiderme, rétine, cœur et autres muscles, os, cerveau...). En 2002, l'équipe de Pr Pucéat avait déjà réussi à soigner des cœurs de rats grâce à des cellules souches embryonnaires de souris. Avec le mouton, on se rapproche de la taille du cœur humain, explique-t-il.

Dans les travaux publiés dans Lancet, les chercheurs ont de nouveau utilisé des cellules souches embryonnaires de souris, qui ont été traitées pendant 24 heures par un facteur de croissance, afin "d'orienter leur devenir vers une cellule cardiaque". Elles ont ensuite été injectées dans le cœur de neuf moutons qui avaient, quinze jours plus tôt, subi un infarctus provoqué expérimentalement.

"ON NE CONNAÎT PAS LE MÉCANISME DE TOLÉRANCE"

Un mois plus tard, ces cellules souches de souris "s'étaient différenciées totalement dans le cœur de mouton et avaient colonisé environ 20 à 30% de la zone nécrosée"  lors de l'infarctus, a précisé Michel Pucéat, expliquant qu'il aurait fallu injecter cinq fois plus de cellules pour réussir à régénérer la totalité de la zone atteinte.

Aucun phénomène de rejet n'a été constaté, y compris chez les moutons n'ayant pas reçu de traitement immunosuppresseur, mais "on ne connaît pas le mécanisme de tolérance", reconnaît le chercheur. Avoir "préorienté"  les cellules souches, avec un facteur de croissance pour les inciter à devenir des cellules cardiaques, permet d'éviter une prolifération cancéreuse, précise-t-il, en se référant notamment aux expériences qu'il a menées chez le rat.

Michel Pucéat, dont l'équipe a été récemment autorisée à importer des cellules souches embryonnaires humaines, veut poursuivre ses recherches en injectant de telles cellules souches dans le cœur d'un primate."C'est le moyen de tester de façon sûre avant de passer à une application humaine un jour", en utilisant des cellules souches embryonnaires humaines pour régénérer le cœur d'un patient, conclut-il.


II - Une modification du génome des cellules souches compromet l'usage thérapeutique

 D es travaux récents publiés en septembre dans la revue Nature Genetics montrent que des cellules souches embryonnaires humaines cultivées sur une longue période développent des modifications de leur génome qui compromettent leur utilisation à des fins thérapeutiques.

Aravinda Chakravarti de la Johns Hopkins University School of Medicine de Baltimore et ses confrères expliquent que les données récentes laissaient penser que les altérations génétiques d'envergure étaient rares pour les cellules souches embryonnaires en culture cultivées sur de courtes périodes.

Mais leurs recherches ont montré que ces lignées de cellules souches cultivées sur le long terme accumulent de façon significative des modifications génomiques. Les chercheurs indiquent aussi que ces zones peuvent être sensibles puisque certaines ont été impliquées dans des cancers humains. HR>

III - Au Royaume-Uni, les cellules souches font naître la controverse

 L es partisans de la recherche sur les cellules souches embryonnaires ont fait naître de faux espoirs alors que les applications médicales sont encore très lointaines, estime un des principaux promoteurs de la recherche sur la bioéthique en Grande-Bretagne, Robert Winston.

Selon Lord Winston, pendant la campagne menée en 2001 pour assouplir la législation en Grande-Bretagne, une des plus libérales du monde, on a fait croire à des parlementaires que des traitements médicaux étaient "au coin de la rue". Ce lobbying a été exercé par des groupes défendant le point de vue des patients et soutenu par des observations scientifiques de l'époque.

"Nous avons peut-être survendu le sujet un peu trop", estime Lord Winston, spécialiste influent de la fertilité et des questions de bioéthique en Angleterre, cité lundi par le Guardian. "Lorsque la déception va apparaître, ce qui est possible, nous pouvons nous attendre à un effet boomerang de la part des groupes de défense du droit à la vie", a-t-il encore observé.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 16.09.05 | 11h08


Le Monde / France
Compte rendu
François Baroin remet en cause le droit du sol pour les Français d'outre-mer

 L e ministre de l'outre-mer, François Baroin, affirme envisager la remise en question du droit du sol pour l'accession à la nationalité française dans "certaines collectivités d'outre-mer", dans un entretien au Figaro Magazine à paraître samedi 17 septembre. Interrogé sur la possibilité de remettre en question ce principe qui veut que toute personne née sur le territoire français bénéficie de la nationalité française, M. Baroin estime qu'il "faudrait l'envisager pour certaines collectivités d'outre-mer", car dans ces départements "le chantier le plus important, c'est l'immigration".

Soulignant qu'il ne s'agit pas ensuite de "faire un calque" d'une telle mesure en métropole, M. Baroin juge néanmoins que cela permettrait de "sortir des tabous" et que "le droit du sol ne doit plus en être un". "A Mayotte, j'étudie la possibilité de limiter à un délai d'un an après la naissance de l'enfant la période pendant laquelle un Français peut reconnaître un enfant naturel dont la mère est étrangère, explique-t-il. On peut également envisager de modifier ou de suspendre temporairement certaines règles relatives à l'acquisition de la nationalité française à Mayotte. Par exemple, poser la règle de régularité du séjour des parents comme condition pour l'accès ultérieur des enfants à la nationalité française."

RENFORCEMENT DE L'ARSENAL RÉPRESSIF

Pour l'ensemble des territoires d'outre-mer, le ministre préconise des "mesures radicales", dont certaines ont déjà été acceptées en comité interministériel de contrôle de l'immigration le 27 juillet. "Une loi viendra dans les tout prochains mois compléter ce dispositif de mesures de gestion en procédant à l'indispensable adaptation de notre droit à ces situations particulières", ajoute-t-il.

"Il s'agira, notamment à la Guadeloupe, à la Martinique et à Mayotte, de permettre le contrôle d'identité de toute personne et de faire des visites sommaires de certains véhicules dans une zone de quelques kilomètres à partir du littoral", précise-t-il.

En outre, "comme c'est déjà le cas en Guyane, nous allons en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion, supprimer le caractère suspensif des recours formés contre un arrêté de reconduite à la frontière". De même, il sera possible de "saisir ou détruire tous les véhicules (avions, voitures, bateaux) qui auront servi à transporter des clandestins", a déclaré M. Baroin.

"La loi doit s'accompagner de moyens conséquents et d'une implication forte de toutes les administrations d'Etat (...). Je ferai en sorte que ceux qui s'impliquent le plus dans cette politique soient récompensés", ajoute le ministre.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 16.09.05 | 17h50


Le Monde / Europe
Londres veut radicaliser sa législation antiterroriste

 L e premier ministre, Tony Blair, avait prévenu dès le mois d'août: "Les règles du jeu ont changé" en Grande-Bretagne, Londres, havre de nombreux islamistes depuis les années 1990, ne tolérera plus les "prêcheurs de haine". M. Blair avait aussi annoncé que l'Etat n'attendrait pas d'avoir un cadre juridique pour agir. Quelques jours plus tard, le 11 août, dix étrangers étaient arrêtés en vue d'être expulsés, au motif que leur présence était une "menace pour la sécurité nationale". Sept autres ont été interpellés dans les mêmes conditions jeudi.

La loi antiterroriste, qui sera soumise aux députés en octobre, est encore en cours d'élaboration, mais le ministère de l'intérieur britannique en a précisé, jeudi 15 septembre, les contours. La mesureenvisagée la plus controversée porterait à trois mois la durée possible de la garde à vue en matière de terrorisme, contre quatorze jours actuellement.

La future loi prévoit également de réprimer la "glorification" et la "propagation de publications terroristes", d'après une lettre envoyée, jeudi, par le ministre de l'intérieur aux porte-parole de l'opposition pour les questions de sécurité. Selon le même document, la préparation des attentats deviendrait passible de la prison à vie, et l'incitation "indirecte" ou "l'encouragement"  à de tels actes pourraient valoir sept ans de détention. L'entraînement au terrorisme serait par ailleurs puni de dix ans de prison.

"UN INTERNEMENT QUI NE DIT PAS SON NOM"

Amnesty International a sévèrement critiqué le projet jeudi. La garde à vue de trois mois "pourrait mener à des abus tels que la détention de gens sans intention ni perspective réaliste de réunir des charges contre eux. Cela constituerait au fond un internement qui ne dit pas son nom", a écrit l'organisation de défense des droits de l'homme dans un communiqué.

La mesure, demandée par la police, est également rejetée par l'opposition parlementaire. Le libéral-démocrate Mark Oaten l'a jugée "totalement inacceptable", soulignant que la durée maximale n'avait que très récemment été portée à quatorze jours.

Du côté des conservateurs, David Davis, l'un des ténors du parti, s'est dit "particulièrement inquiet du projet d'extension de la détention sans inculpation" et a exigé du gouvernement "une argumentation convaincante". Il a ainsi laissé entendre que les conservateurs, d'ordinaire adeptes d'une ligne dure en matière de sécurité publique, pourraient ne pas voter la loi.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 16.09.05 | 09h35


Le Monde / Europe
En attendant les arbitrages budgétaires européens, Bruxelles fait le ménage dans ses projets de directives
BRUXELLES de notre bureau européen

 Q uatre mois après le rejet de la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas, les dirigeants européens peinent à débloquer la machine européenne. "La disparition de la Constitution a rendu le système orphelin, il n'a plus d'échéance pour progresser, et le doute existentiel se traduit par un manque de dynamisme évident" , affirme un diplomate.

Le conseil européen informel des 27 et 28 octobre pourrait donner un peu de corps à la "période de réflexion" ouverte à la suite de l'échec des référendums français et néerlandais sur le modèle de développement européen, mais certains diplomates bruxellois se demandent déjà "à quoi va servir cette rencontre". Pour beaucoup, la meilleure façon de relancer le projet européen serait d'adopter le budget de l'Union élargie pour la période 2007-2013.

La Commission, et les nouveaux Etats membres, qui comptent sur les fonds régionaux pour développer leurs infrastructures, pressent la présidence britannique d'agir. Après l'échec du conseil européen de juin, personne ne sait si Tony Blair sera en mesure de le faire d'ici à la fin de l'année (c'est l'Autriche qui reprendra la tête de l'Union à partir de janvier 2006). Londres a engagé des consultations bilatérales avec les différentes capitales, mais ne veut pas présenter de propositions concrètes avant novembre. Ce qui donne le temps à l'Allemagne de mettre en place son nouveau gouvernement après ses élections législatives du 18 septembre.

La volonté de M. Blair de réaffecter une partie des sommes consacrées à l'agriculture vers la recherche suscite l'opposition de la plupart des capitales, dont Paris, qui ne souhaitent pas mettre en oeuvre une telle réforme en quelques mois. Pour conclure au plus vite, ces pays veulent renégocier sur la base des propositions présentées par la présidence luxembourgeoise, en juin. Mais elles ont été rejetées par le gouvernement britannique.

Dans ce contexte, la Commission a du mal à sortir de son immobilisme. Quelques commissaires, à l'instar du Français Jacques Barrot, réclament "davantage d'action", alors que les initiatives législatives prises par l'équipe présidée par José Manuel Barroso se comptent sur les doigts de la main depuis un an. Pour l'heure, la principale conclusion tirée par l'exécutif européen de l'échec des référendums consiste à mieux communiquer, via ce que M. Barroso appelle le plan D ­ "débat, dialogue, et démocratie" .

La grande initiative de la rentrée à Bruxelles est de montrer qu'on peut simplifier l'Europe. Le collège doit décider de retirer, le 27 septembre, une soixantaine de projets législatifs, jugés inutiles ou bloqués au Parlement et au conseil. A l'instar de la présidence britannique de l'Union, la plupart des commissaires estiment toujours qu'il faut "moins, mais mieux légiférer". C'est l'avis de l'Irlandais Charlie McCreevy, chargé du marché intérieur, qui plaide pour une "phase de consolidation", et de l'Allemand Günter Verheugen, à l'industrie, dont le souci est de faire en sorte que les lois européennes ne handicapent pas la compétitivité des entreprises.

Les rares grands chantiers, tous engagés sous la Commission Prodi, risquent de pâtir de ce manque d'entrain. La directive services de l'ancien commissaire Bolkestein, dont les chefs d'Etat et de gouvernement ont demandé la "remise à plat" au printemps, continue d'opposer deux conceptions de la construction européenne: privilégier l'ouverture des frontières et la concurrence (c'est l'option britannique, soutenue par les nouveaux Etats membres) ou mettre en oeuvre une harmonisation progressive pour ne pas fragiliser les modèles sociaux (c'est l'option franco-allemande). La première lecture du projet au Parlement européen n'est pas prévue avant fin octobre. Elle promet une belle bataille entre les eurodéputés socialistes, libéraux et conservateurs. Les gouvernements ne se saisiront du texte qu'en 2006.

Philippe Ricard
Article paru dans l'édition du 16.09.05


Le Monde / Europe
Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne
"Il faut une manière nouvelle d'aborder la question agricole"

 L' Europe est doublement en panne après l'échec de la Constitution européenne et le blocage des négociations sur le budget européen pour 2007-2013. Comment en sortir ?
La panne institutionnelle est peut-être moins grave que le doute des Européens sur leur avenir. La première occasion de retrouver les chemins de la confiance est l'adoption, avant la fin de l'année, des perspectives financières qui permettront de relancer l'Europe, non comme un bouclier mais comme un levier dans la mondialisation.
Derrière le budget se joue la solidarité européenne. On parle de la politique agricole, mais il ne faut pas oublier que le problème essentiel c'est celui de la cohésion entre les vingt-cinq Etats membres. Ce qui nous différencie fondamentalement d'une zone de libre-échange, c'est la solidarité entre régions riches et régions pauvres d'Europe, mais aussi entre le présent et le futur à travers les dépenses de recherche et d'investissement.

Comment relancer les discussions budgétaires ?
Pour favoriser un accord entre les Vingt-Cinq on peut introduire une clause de revoyure, par exemple en 2009, qui donnera au dispositif plus de souplesse. Cette clause permettrait de réfléchir sur la manière nouvelle d'aborder, pour l'après-2013, le problème agricole. Mais il faut tenir les engagements pris, c'est une question de crédibilité. Il faut surtout que tout le monde participe aux dépenses de l'élargissement, en particulier la Grande-Bretagne. Il s'agirait aussi, à l'occasion de ce rendez-vous, d'affecter à la recherche et à l'investissement des ressources nouvelles, en fonction de la conjoncture économique.

Vous voulez relancer l'action de la Commission, mais n'est-ce pas précisément cette action qui a été rejetée par les électeurs lors des référendums français et néerlandais ?
Je ne le pense pas. Le non a été l'expression d'une peur, celle de la mondialisation, perçue en France à travers les délocalisations et synonyme aux Pays-Bas d'une immigration non maîtrisée. Nous devons faire en sorte que les Européens puissent affronter la mondialisation sans excès de peur. Les électeurs n'ont pas dit non à l'action de l'Union, mais à son manque d'action.
Dans un premier temps, la Commission se devait de rapprocher les uns et les autres. Cette action de médiation était utile après la période difficile des référendums. Désormais elle doit reprendre son rôle de proposition. Mais il faut aussi que le Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement retrouve le goût des projets. Et que les citoyens redécouvrent le désir d'Europe.

Que répondez-vous à ceux qui disent que les avertissements des électeurs n'ont pas été entendus et qu'à Bruxelles tout continue comme avant ?
La première réponse, c'est la preuve par l'action. Par l'action nous allons démontrer que la citoyenneté européenne apporte deux grands avantages: un espace plus compétitif, un espace plus sécurisé. En matière fiscale, par exemple, une étape importante a été franchie en juillet avec l'accord sur l'épargne qui limite la concurrence fiscale entre Etats. Il faut maintenant arriver à une harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, en y ajoutant une possibilité de crédit d'impôt recherche.
Nous devons aussi prolonger le régime de TVA à taux réduit sur les emplois de services à la personne, et notamment à la famille.

Vous sentez-vous plus proche du chef du gouvernement français, Dominique de Villepin, qui défend le modèle social français, ou de son ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, qui veut le transformer ?
Dans ce domaine, il ne faut pas vouloir opposer deux modèles, l'anglo-saxon contre le continental. Il faut essayer de choisir progressivement ce qui réussit le mieux dans chacun des pays, étant entendu qu'il y a en Europe trois objectifs qui ne doivent jamais être dissociés. Le premier est l'insertion professionnelle du plus grand nombre, que l'on a un peu perdue de vue en France en se limitant trop à la redistribution. Le second, c'est la redistribution: il ne faut pas laisser des écarts trop importants se creuser entre les revenus. Le troisième, c'est la protection contre les risques de l'âge et de la maladie. Je suis convaincu que ce débat peut être très fructueux à condition qu'il n'y ait pas de tabou, qu'on ne s'enferme pas dans l'idéologie, qu'on définisse des approches très concrètes.

Le non à la Constitution a souvent été interprété comme un non à l'élargissement. Après la Turquie et les pays des Balkans, on ferme la porte ?
L'entrée de la Turquie n'est pas acquise. La Commission sera extrêmement attentive, par exemple, à ce qu'on n'ouvre pas le chapitre des transports tant que les navires et les avions chypriotes ne pourront pas entrer dans les ports et aéroports turcs. Pour d'autres pays, comme l'Ukraine, la politique de voisinage permettra d'établir des liens étroits.
Cette stratégie de voisinage veut dire qu'en creux on définit le périmètre de l'Union et qu'implicitement on reconnaît ces Etats comme voisins, et non comme candidats à l'adhésion. L'élargissement ne doit plus être perçu comme une fuite en avant.

Propos recueillis par Thomas Ferenczi et Philippe Ricard
Article paru dans l'édition du 16.09.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Ce que je dirai à Hewlett-Packard, par Michel Destot

 E n décidant de supprimer 1 240 postes en France, Hewlett- Packard a rompu le lien qui unissait cette entreprise à ses salariés, et l'opinion ne comprend pas qu'un groupe dont les bénéfices ont crû de 38% sur le seul exercice 2003-2004, pour dépasser les 3 milliards de dollars, licencie aussi massivement. Le groupe avance des arguments pour nous convaincre de l'inéluctabilité d'une restructuration douloureuse, qu'il vaut mieux réaliser en période de croissance. Il ne convainc pas, pour deux raisons.

La première, c'est que la nature strictement financière et boursière de cette décision apparaît évidente. Alors que le groupe s'est constitué, grâce à ses bénéfices, de solides réserves financières, il s'inquiète d'un cours boursier atone et applique les recettes les plus cyniques de la jungle financière. Il licencie pour satisfaire quelques gérants de portefeuilles, étrangers à toute logique industrielle. Ce mécanisme insupportable, qui veut que la valeur boursière d'une entreprise progresse au prorata de ses réductions d'effectifs, ne trompe plus personne.

La seconde raison de cette condamnation unanime, c'est que la décision de Hewlett-Packard apparaît sans lien avec les territoires qui l'ont accueilli et ont permis sa croissance. L'exemple de Grenoble est édifiant. Installée en 1972, l'entreprise s'est développée sur le terreau d'innovation grenoblois en même temps qu'elle a contribué à son développement.

Avec sa politique sociale et son implication dans la cité, Hewlett- Packard constituait un modèle de participation au développement territorial. Las ! J'ai constaté, ces dernières années, un retrait de la part de ses responsables. Au point que cette entreprise est aujourd'hui la seule de son secteur à avoir refusé de s'associer au pôle de compétitivité "mondial" labélisé par le gouvernement. Cette non-implication dans la dynamique locale, illustrée par la brutalité de l'annonce des licenciements, est une logique de "désincarnation territoriale" mortifère pour notre économie.

Face aux risques de délocalisations, les mesures réglementaires et les cadeaux fiscaux sont inefficaces. De même, il serait vain et inacceptable de chercher à lutter avec les pays émergents sur le terrain du coût du travail et de la précarité. Tous les économistes sérieux le savent, il n'existe qu'un remède efficace: l'innovation.

Malheureusement, ni l'Europe ­ en panne ­ ni l'Etat n'ont été capables de mettre en place une réelle politique d'innovation, comme le fait depuis longtemps l'administration américaine, à grand renfort de fonds publics. Faute d'outils d'aide à l'innovation, notre pays continue de perdre du terrain dans la compétition. Heureusement, des stratégies d'innovation ont été portées par les territoires: Grenoble fait figure de référence.

Avec ses universités, ses 20 000 chercheurs publics et privés et les nombreuses multinationales qui ont installé dans la région leurs centres de recherche les plus avancés, la ville est devenue un pôle mondial dans les micro et nanotechnologies, avec des compétences fortes dans l'énergie et les sciences du vivant.

Les milliers d'emplois générés sont positionnés sur des secteurs à fortes variations ­ les hautes technologies ­ mais ils sont garantis par la valeur ajoutée créée par l'innovation sur le territoire. Car innovation ne doit pas être confondue avec haute technologie: notre stratégie territoriale est de la diffuser dans tous les secteurs industriels, y compris traditionnels. Se positionner sur une mono-industrie serait irresponsable.

A rebours de cette dynamique territoriale, la décision de Hewlett-Packard semble invalider la stratégie de développement des acteurs locaux. En fait, elle en est le contre-exemple. C'est parce que Hewlett-Packard s'est désengagé des territoires, a cédé sur son identité sociale et innovante, qu'elle adopte aujourd'hui un comportement et une stratégie qui suscitent l'incompréhension et la réprobation générale.

Je n'entends pas me résigner. J'entends défendre les salariés de Hewlett-Packard en défendant le "modèle grenoblois" d'innovation, pour convaincre les responsables que leur décision est une erreur en termes de potentiel humain et que se désengager de territoires d'innovation à forte valeur ajoutée et forte productivité est un contresens en termes de stratégie industrielle.

Je me rendrai très prochainement au siège mondial de Hewlett-Packard pour convaincre ses dirigeants de revenir sur les suppressions de postes, mais aussi de s'impliquer dans un développement territorial innovant et créateur de richesses, donc d'emplois.


Michel Destot est député de l'Isère et maire (PS) de Grenoble.

par Michel Destot
Article paru dans l'édition du 17.09.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

cyrano24100 ♦ 16.09.05 | 22h27 ♦ Je trouve que la décision de HP est tout à fait logique: M. Destot a sans doute bien voyagé, et doit savoir que l'innovation on en trouve partout: En Chine aussi, et moins cher! On va commencer petit-à-petit à payer la vrai facture des 35-heures. Les entreprises "innovatrice" sauront toujour innover pour amoindrir leur coûts. C'est ça la réalité industrielle d'HP comme de toute entreprise.
gérard B. ♦ 16.09.05 | 19h42 ♦ L'analyse de M.Destot me plait parce qu'elle souligne l'incohérence d'HP dès lors que l'on se cantonne dans la logique industrielle. Mais cette analyse me parait incomplète: si les français gardent une capacité d'innovation dans le domaine industriel, il faudrait étendre celle-ci aux domaines institutionnels: droit du travail, notoirement archaique, et politiques publiques structurelles, qui se cantonnent au nationalisme économique(inspiré de F. List, début XIXème ?). HP y serait sensible?
clo.clo ♦ 16.09.05 | 18h11 ♦ Bonne chance, Mr Destot en allant plaider la cause de la région, son dynamisme et sa créativité. Mais ne dites pas que vous êtes socialiste, que les 35 heures pénalisent la création en ralentissant la recherche, la productivité( je le vis !! ) par rapport aux autres pays développés . Ne dites pas que vous avez voté en faveur de lois de travail pénalisant les salariés et plombant les entreprises. Car si il n'y a pas de logique industrielle dans la démarche de HP, une autre logique s'y cache !!
Deathwind ♦ 16.09.05 | 17h44 ♦ Encore une fois, on nous fait le coup de l'opposition entre la "gentille" politique industrielle et la "méchante" politique financière/boursière. Cette analyse, qui fleure bon la rhétorique anti-capitaliste, est complètement surannée, opposer les deux n'a pas de sens. Quand aux licenciements en période de profits, ils montrent que les entreprises privés à l'inverse de l'Etat n'attendent pas le dernier moment pour se réformer car elles ne peuvent pas se le permettre à la différence de l'Etat.
animal politique ♦ 16.09.05 | 16h04 ♦ Oh ! le pouvoir de Michel Destot n'est sûrement pas très important mais son discours a le mérite d'être cohérent, posé et réfléchi. Bonne chance quand même mais je n'y crois guère...
peutetre ♦ 16.09.05 | 15h42 ♦ Notre Don Quichote de l'Isère n'a pas encore compris que HP a désomais les mains libres. Sans Etat en face d'elle l'entreprise négocie de grès à grés le travail humain dont elle a besoin. Il n'y a aucune solution contre celà, l'inovation dont on nous rebat les oreilles est aussi un domaine de compétition dans lequel les pays émergents sont en très bonne place. Donc HP en bonne entreprise va acheter le travail la où il est le moins cher. L'état en mauvais mandataire regarde ailleurs ...
duyhai ♦ 16.09.05 | 14h57 ♦ Michel Destot a fait une analyse très exacte de la situation, à savoir que la décision de délocalisation est prise d'en haut par les actionnaires (et donc les fonds d'investissment) en complet décalage avec la réalité économique et sociale sur le terrain. La logique n'est même plus d'ordre économique mais d'ordre boursier et spéculatif. Face à ce phénomène croissant on se demande si les états ont un quelconque pouvoir sur une structure de gouvernance de plus en plus mondialisée


Le Monde / Opinions
analyse
En Allemagne, les adieux de la génération 68, par Daniel Vernet

 L a victoire de la coalition rouge-verte, il y a sept ans en Allemagne, ne marquait pas seulement une alternance gouvernementale. C'était un changement d'époque. En tout cas, la victoire des sociaux-démocrates et des Verts était vécue comme telle. Après seize ans de règne de la démocratie chrétienne, sous la férule d'Helmut Kohl, ce n'était pas vraiment inattendu, et pourtant les observateurs avaient l'air aussi surpris que les vainqueurs. "Ils n'affichaient pas le contentement des carriéristes, mais le sourire étonné des gagnants du Loto", écrivent trois journalistes du Spiegel dans un livre consacré à cette "aventure politique".

Gerhard Schröder, Joschka Fischer et leurs amis avaient rêvé depuis longtemps de prendre la relève. Dès le début des années 1980, dans une arrière-salle d'un bistrot de Bonn ­ alors capitale de la République fédérale ­, ils avaient fait et refait la liste de leur gouvernement sur des dessous de verre à bière.

Ils avaient préparé cette marche vers les plus hauts sommets de l'Etat avec l'ambition de recommencer ce que le social-démocrate Willy Brandt avait réussi au tournant des années 1960-1970: "oser plus de démocratie". Ils voulaient une Allemagne libérale et sociale, écologique et pacifique.

Sept ans après leur arrivée au pouvoir, que reste-t-il de ce projet ? L'Allemagne a changé, mais pas toujours dans le sens souhaité par les protagonistes de la coalition rouge-verte.

Ils voulaient faire de la politique autrement: "Le SPD peut provoquer un changement de gouvernement, mais il n'y a de vrai changement de politique qu'avec les Verts", disait Joschka Fischer, le chef de file de ces derniers.

Et en effet, l'alliance entre un Parti social-démocrate où les syndicalistes constituent toujours la majorité des adhérents et un Parti vert qui était le refuge des contestataires et des pacifistes n'allait pas de soi. Le choc des cultures était inévitable.

Cette nouvelle génération de gouvernants très marqués par l'esprit de 1968, même si tous n'avaient pas été des acteurs du mouvement contestataire, a commencé par mettre en œuvre son programme: sortie progressive du nucléaire, à la suite de débats déjà houleux entre les écologistes purs et durs et le chancelier Schröder, "le camarade des patrons", qui a toujours eu plus de sympathie pour l'industrie, que pour les énergies renouvelables; modernisation du code de la nationalité rompant avec la tradition du droit du sang, bien que le gouvernement dût très vite faire marche arrière sur la question de la double nationalité à cause d'une campagne quasiment xénophobe de la démocratie chrétienne.

C'est ainsi que la coalition a perdu ses premières élections régionales dans le Land de Hesse, qui était un fief de la social-démocratie. Ce n'était que le premier d'une longue série d'échecs et la première confrontation avec la réalité politique. "L'expérience du gouvernement rouge-vert est devenue un cours de rattrapage sur le pragmatisme pour la génération 68", explique le sociologue Heinz Bude. C'est vrai dans le domaine économique et social comme en politique étrangère.

Gerhard Schröder est arrivé à la chancellerie sans avoir les idées très claires. Il a d'abord nommé un leader syndical ministre du travail et un entrepreneur ministre de l'économie. Pendant quelques mois, il a dû supporter à ses côtés comme ministre des finances Oskar Lafontaine, partisan d'une politique keynésienne.

Ensuite le chancelier fut séduit par la "troisième voie" chère à Tony Blair. Il publia avec le premier ministre britannique un texte qui provoqua des remous chez les sociaux-démocrates et resta sans lendemain.

Il aurait dû se souvenir de la définition du "nouveau centre" donnée par Willy Brandt dans les années 1960: "Là où l'on comprend la nécessité de changer pour maintenir, là se trouve le nouveau centre", disait l'ancien chancelier. Or la coalition a attendu le lendemain des élections de 2002, gagnées un peu par hasard, pour lancer les indispensables réformes sociales dans un pays où le "miracle économique" avait laissé la place, le coût de la réunification aidant, à 5 millions de chômeurs.

Le gouvernement a décidé, en quelques mois, une réforme fiscale, une simplification de l'indemnisation du chômage et en même temps un durcissement des conditions d'attribution, une libéralisation relative du marché du travail, une réforme des retraites et de l'assurance-maladie... Tous ces changements ont été mis en oeuvre après d'âpres compromis avec l'opposition chrétienne-démocrate, dont le consentement était nécessaire du fait de sa majorité au Bundesrat, la Chambre des Etats. En même temps, ils ont provoqué la grogne dans les rangs du Parti social-démocrate, qui a perdu, en sept ans, plus de 20% de ses adhérents, et ils vont vraisemblablement coûter son troisième mandat à M. Schröder. Les sacrifices ont été ressentis immédiatement; les résultats bénéfiques de ces réformes nécessaires tardent à se faire sentir.

S'ÉMANCIPER DU PASSÉ

En politique étrangère,c'est à un véritable "lavage de cerveau", pour reprendre une expression des journalistes du Spiegel, que les Verts ­ et l'aile gauche du SDP ­ ont été soumis. Ils avaie¥nt milité pendant des années ­ c'était même leur fonds de commerce, à côté de l'écologie ­ contre l'impérialisme américain et l'alliance germano-américaine, pour la diminution des dépenses militaires et la disparition de la Bundeswehr. Ils se sont retrouvés dans un gouvernement qui a participé à la guerre au Kosovo sous la direction de l'OTAN et envoyé des troupes à l'étranger, notamment en Afghanistan et dans les Balkans, pour la première fois dans l'histoire de l'Allemagne d'après-guerre. Le revirement n'était pas acquis d'avance. Il est dû en majeure partie à la force de persuasion de M. Fischer.

Il en allait pour lui du maintien des Verts dans le gouvernement, de sa légitimité personnelle en tant que ministre des affaires étrangères, mais aussi d'une conviction forgée avant même l'arrivée au pouvoir: le pacifisme, symbolisé en Allemagne par le slogan "Plus jamais Auschwitz, plus jamais la guerre !",trouve ses limites dans la lutte contre les dictatures et dans le droit d'ingérence.

En refusant de soutenir la guerre en Irak, et M. Fischer n'est pas pour rien dans la décision annoncée par M. Schröder pendant la campagne électorale de 2002, la coalition rouge-verte a brisé un tabou en renouant avec ses tropismes originels. Pour la première fois aussi dans l'histoire de l'Allemagne d'après-guerre, Berlin s'opposait ouvertement aux Américains, qui avaient porté la République fédérale sur les fonts baptismaux et avaient été ses tuteurs pendant un demi-siècle.

Au cours des dernières années, l'Allemagne s'est ainsi émancipée de son passé. Elle ne l'a pas refoulé mais elle l'a intégré comme partie de son identité sans qu'il prédétermine toutes ses décisions. La boucle a été bouclée par ces mêmes soixante-huitards qui réclamaient des comptes à leurs pères. Après les élections du dimanche 18 septembre, la coalition rouge-verte fera peut-être figure d'épisode. Elle marquera nonobstant la fin d'une époque.

Daniel Vernet
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / International
Cheikh Jawad Al-Khalessi, imam chiite de la grande mosquée Al-Kazemiya de Bagdad
"Abou Moussab Al-Zarkaoui est mort. Son nom est utilisé par les occupants pour rester en Irak"

 C heikh Jawad Al-Khalessi est imam chiite de la mosquée Al-Kazemiya, à Bagdad, et doyen de l'école religieuse attenante. Il est de passage à Paris après la rencontre interreligieuse de Sant'Egidio, à Lyon.

Le président Talabani appelle à l'aide

Le président irakien, Jalal Talabani, a lancé, jeudi 15 septembre à l'ONU, un appel à la communauté internationale. "Aujourd'hui, l'Irak est confronté à une campagne terroriste des plus brutales, perpétrée par les forces des ténèbres", a-t-il déclaré, avant d'ajouter: "Nous n'hésitons pas à vous dire ouvertement et franchement que nous avons désespérément besoin de votre expérience, de vos investissements et de votre soutien moral pour lutter contre le terrorisme." Reconnaissant que "les contours d'un Etat irakien démocratique, pluraliste et fédéral ne sont pas encore très nets" , il a souligné qu'il faudrait "du temps pour aboutir à la démocratie, au respect mutuel et à une distribution équitable du pouvoir". Vendredi, la violence a continué. Trois policiers, un représentant du gouvernement en province et quatre de ses gardes ont été tués lors de deux attaques séparées au sud de la capitale. La veille, trois attentats-suicides visant des policiers ont fait au moins 23 morts. Par ailleurs, douze irakiens, dont quatre policiers, ont également été tués dans divers incidents. ­ (AFP.)

Abou Moussab Al-Zarkaoui a déclaré la "guerre totale" aux chiites et perpétré le massacre le plus sanglant à Bagdad, mercredi 14 septembre, depuis le début de la guerre en Irak. Que pensez-vous de cette déclaration ?
Je ne pense pas qu'Abou Moussab Al-Zarkaoui existe en tant que tel. C'est seulement une invention des occupants pour diviser le peuple car il a été tué dans le nord de l'Irak au début de la guerre alors qu'il se trouvait avec le groupe d'Ansar Al-Islam, dans le Kurdistan. Sa famille, en Jordanie, a même procédé à une cérémonie après sa mort. Abou Moussab Al-Zarkaoui est donc un jouet utilisé par les Américains, une excuse pour poursuivre l'occupation. C'est un prétexte pour ne pas quitter l'Irak.

Mais pourquoi déclarer la "guerre totale" aux chiites ?
Afin de les rapprocher des forces d'occupation. De cette manière, les chiites vont trouver refuge auprès des Américains plutôt que de rejoindre la résistance. Car les chiites participent à la résistance au sud, comme en témoignent les récents attentats commis, notamment, à Bassora.

Pourtant, il vient d'être annoncé que Nadjaf était passée sous le contrôle des forces irakiennes et que d'autres villes du Sud allaient suivre ?
Ce n'est pas vrai. C'est juste un effet d'annonce pour les médias. En réalité, les forces irakiennes ne contrôlent pas la situation et les troupes d'occupation restent à la périphérie pour intervenir dès qu'il y a des problèmes.

Le projet de Constitution adopté sera soumis à un référendum le 15 octobre. Qu'en pensez-vous ?
C'est un texte adopté à la hâte pour répondre à l'agenda des Américains. Il ne reflète pas les espoirs du peuple irakien, qui est plus préoccupé par sa survie au jour le jour et sa sécurité. Le projet a été concocté dans la "zone verte", à Bagdad, sous la houlette de l'ambassadeur américain. Comme l'a dit un spécialiste britannique de l'Irak: "La Constitution, c'est comme si on s'occupait de ranger les transats sur le pont du Titanic en train de couler" . Or l'Irak est en train de sombrer.

Le référendum sera-t-il un succès, comme l'ont été les élections du 30 janvier ?
Personnellement, j'appelle au boycottage, mais si mes concitoyens décident d'aller voter "non", nous ne nous y opposerons pas. De toute façon, -George- Bush a déja préparé sa déclaration affirmant que cette consultation a été un succès et un progrès sur le chemin de la démocratie. Mais qu'est-ce que cela va changer pour l'Irak ?

Quelle est la position du grand ayatollah Ali Al-Sistani sur ce référendum ?
Il n'a pas encore pris position. Ceux qui sont en faveur du processus vont tenter de l'utiliser pour inciter la population à voter. Il peut dire "oui" ou ne pas parler. Pour le 30 janvier, il avait soutenu les élections, mais le peuple irakien n'en pas tiré les effets escomptés et les promesses n'ont pas été tenues. Depuis, la situation n'a fait qu'empirer. Ceux qui ont été élus sont plus préoccupés par leur place et par leur bien-être que par celui du peuple. La corruption est généralisée. Même le budget de la reconstruction n'a pu commencer à être réalisé.
Ibrahim Al-Jaafari est un mauvais premier ministre comme il est un mauvais docteur. Ce n'est pas comme votre Pétain, qui a été un bon général avant d'être un mauvais politicien...

Alors, à votre avis, quelles sont les solutions pour sauver l'Irak ?
Première chose: un calendrier de retrait des troupes. Deuxièmement: mettre les compétences nationales sous la supervision de l'ONU au service du pays, et non plus des politiciens. Troisièmement: un dialogue national avec l'organisation d'élections sous supervision internationale. Si l'occupation continue, la situation ne va qu'empirer et les irakiens rejoindront de plus en plus la résistance.

Propos recueillis par Michel Bôle-Richard
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / International
Les fils de harkis sont invités à rentrer à Alger mais à s'excuser

 L a question des harkis s'installe dans la campagne pour le référendum sur la réconciliation nationale du 29 septembre en Algérie. Moins d'une semaine après que le président Bouteflika a fait un geste significatif à l'égard de ces supplétifs musulmans de l'armée française, en regrettant publiquement "les haines entretenues à leur égard depuis l'indépendance", l'un de ses ministres vient d'opérer un revirement spectaculaire.

"La majorité du peuple algérien est contre la venue des harkis en Algérie car ce sont des traîtres à leur pays et à leur nation. Quant à leurs enfants, ils seront les bienvenus à condition qu'ils reconnaissent de facto les crimes de leurs parents" , a déclaré, mardi 13 septembre, à Oran, Saïd Barkat, ministre de l'agriculture, qui passe pour être un proche du chef de l'Etat. Sous les ovations nourries du public, Saïd Barkat a ajouté qu'à ses yeux, les harkis étaient "des vendus et de vieux gradés de la honte" .

Le 8 septembre, le président Bouteflika avait pourtant créé la surprise. Lors d'un rassemblement populaire à Oran, il avait déclaré que le traitement du dossier des familles de harkis après l'indépendance était "l'une des plus graves erreurs commises dans le passé" qui avait "porté préjudice au pays" et qu'" une bonne partie de la crise -guerre civile des années 1990- est dûe à cette erreur".

Le lien fait par le pouvoir algérien entre islamistes armés et harkis ne date pas d'hier. Au plus fort des années de terrorisme, les services de la gendarmerie algérienne estimaient à environ 300 le nombre de fils de harkis engagés au maquis aux côtés du Front islamique du salut (FIS). Sur un effectif d'insurgés d'environ 27 000, ce chiffre était bas. Mais, en jouant sur la fibre nationaliste, le pouvoir de l'époque et les "éradicateurs" (hostiles à tout dialogue avec le FIS), tentaient de discréditer les islamistes en les assimilant à des fils de harkis revanchards. Aujourd'hui, le président Bouteflika semble donc reprendre à son compte ce lien entre fils de harkis et rébellion islamiste, sans en faire un usage "éradicateur". A plusieurs reprises depuis le début de sa campagne pour le référendum, il a évoqué les harkis et invité leurs enfants "à regagner l'Algérie" et à "prétendre devenir algériens à part entière."

Le revirement brutal, mardi, de Saïd Barkat a été relevé en Algérie, mais sans soulever d'émotion, encore moins de compassion. Les familles des anciens supplétifs musulmans qui ont échappé aux massacres, au lendemain de l'indépendance, et sont restées sur place, ont toujours eu à traîner l'image de "collaborateurs" . En juin 2000, lors de sa visite en France, le président Bouteflika avait d'ailleurs traité les harkis de "collabos" .

En France, les déclarations successives et contradictoires du pouvoir algérien sur ce dossier suscitent incompréhension et amertume, quand elles sont connues. Ainsi, Azni Boussad, président du Comité de liaison national de liaison des harkis, n'est pas au courant des derniers rebondissements. "Nous voudrions bien voir le président Bouteflika adopter une ligne claire et définitive sur ce sujet" , déclare-t-il.

Fatima Lancou-Besnaci, présidente de l'association Harkis et droits de l'homme, suit, quant à elle, par le menu tout ce qui se dit à Alger. Pour elle, il est choquant que l'on demande aujourd'hui aux enfants de harkis de s'excuser pour les "crimes" de leurs parents. "L'attitude du pouvoir algérien est incohérente. Saïd Barkat met le président de la République en porte-à-faux, ou bien il a agi en service commandé, souligne-t-elle. Ses propos m'ont en tout cas refroidie et même glacée."

Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / Médias Un journaliste chinois a été condamné pour divulgation de "secrets d'Etat" sur Internet
Yahoo ! est soupçonné d'avoir collaboré avec la police chinoise
PÉKIN de notre correspondant

 Y ahoo ! est-il coupable de complicité abusive avec le régime chinois ou n'a-t-il fait qu'obéir aux règles dont il est tributaire en République populaire ? La question se pose après la condamnation à dix ans de prison d'un journaliste chinois, accusé par Pékin d'avoir divulgué des "secrets d'Etat" par le biais de son adresse Yahoo !.

En novembre 2004, Shi Tao, rédacteur au Contemporary Business News , dans le chef-lieu de la province du Hunan, est arrêté après avoir diffusé une "recommandation" gouvernementale confidentielle. En fait, un texte mettant en garde les médias à propos d'une possible agitation de Chinois de la diaspora en visite en Chine, pour l'anniversaire du massacre de la place Tiananmen, le 4 juin.

Shi Tao a été condamné en avril. En le révélant, Reporters sans frontières (RSF) a accusé la filiale hongkongaise d'avoir "transmis à la police des informations compromettant le journaliste" . Il apparaît que Yahoo ! a remis à la police le nom de l'utilisateur du compte, permettant ainsi aux autorités de prendre connaissance des fameux "secrets d'Etat" et de les utiliser à charge durant le procès. Pour RSF, Yahoo !, "déjà collaborateur zélé de la censure" , est devenu un "auxiliaire de la police chinoise" ...

L'un des cofondateurs de Yahoo !, Jerry Yang, interrogé lors de son récent passage en Chine, a réfuté ces accusations. Tout en admettant avoir transmis aux autorités les informations concernant Shi Tao: "Nous ne savions pas pourquoi elles voulaient ces informations, -la police- ne nous dit pas ce qu'elle cherche." Le fait que Yahoo ! ait signé, début août, un accord de prise de participation de 1 milliard de dollars dans le site chinois Alibaba.com renforce cependant l'impression que le serveur a à coeur de montrer sa bonne volonté.

"BLOQUER DES EXPRESSIONS"

Selon Nicolas Becquelin, directeur de recherches de l'organisation Human Rights in China, cité par l'AFP, "si ces sociétés traitant avec des gouvernements autoritaires ne sont pas capables d'adopter elles-mêmes une charte éthique minimum, alors c'est à leur pays d'origine de le faire" . En la matière, a ajouté M. Becquelin, lui-même basé à Hongkong, "le gouvernement chinois a gagné. De fait, il censure Internet" .

L'affaire est d'autant plus sérieuse qu'elle fait écho au comportement pour le moins "accommodant" d'autres serveurs: en juin, le nouveau portail Internet chinois de Microsoft a bloqué les expressions de "démocratie", "liberté" et "droits de l'homme" employés par des utilisateurs. Selon RSF, Google aurait, de son côté, prudemment retiré de son moteur chinois la possibilité de consulter des "médias considérés par Pékin comme "subversifs"".

Le boom de l'Internet en Chine (une centaine de millions d'utilisateurs) ne doit pas faire oublier qu'une soixantaine de "cyberdissidents" sont en prison dans le pays.

Bruno Philip
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / Régions
La culture du maïs irrigué utilise 25% de l'eau consommée

 C ombien d'eau est consommée en France et par qui ? L'indice global d'exploitation des ressources en eau de la France, c'est-à-dire le rapport entre les prélèvements (33 milliards de m3) et les apports des pluies (175 milliards de m3) s'élève à 19%, un chiffre proche de la moyenne européenne. L'Institut français de l'environnement (IFEN) souligne que, "malgré une situation nationale relativement favorable, des risques importants de pénurie d'eau existent de manière locale et saisonnière".

Les ordres de grandeur sont simples: un quart de l'eau consommée est utilisé pour l'eau potable, un quart par l'industrie et l'énergie, et la moitié restante par l'agriculture. Et, sur ces 50%, la moitié va au maïs irrigué.

Ces chiffres doivent être distingués des volumes d'eau prélevés, qui sont plus ou moins largement restitués au milieu naturel. Ainsi, 55% des eaux prélevées chaque année sont utilisés par le secteur de l'énergie afin de refroidir les centrales thermiques et nucléaires. Mais, à la différence du secteur agricole qui consomme tout ce qu'il prélève, l'énergie en restitue la plus grande partie au milieu naturel.

Le dernier recensement agricole a permis au Cemagref, l'Institut de recherche pour l'ingénierie de l'agriculture et de l'environnement, de faire le point sur l'irrigation en France. En 2000, près de 95 000 exploitations agricoles ont eu recours à l'irrigation, soit 14,5% des exploitations. Le nombre d'hectares irrigués s'élevait à 5,7% de la surface agriculture utilisée (SAU) nationale. Cette surface a triplé depuis 1970. L'irrigation, qui s'est relativement stabilisée depuis 1992, est surtout développée dans le Sud-Est et le Sud-Ouest, le Centre et l'Alsace.

Elle constitue une garantie de qualité pour les agriculteurs, un moyen d'optimiser les rendements et de stabiliser leurs revenus. Elle est souvent pratiquée sur des surfaces plus petites que la moyenne et joue donc un rôle important dans l'occupation humaine des territoires concernés. Elle nécessite en outre d'importants investissements.

"PAS D'IRRIGATION, PAS DE FOIE GRAS"

Les producteurs de maïs, qui regrettent la "focalisation" sur leur culture, rappellent souvent que d'autres pratiquent l'irrigation. La première plante irriguée reste néanmoins le maïs, avec quelque 700 000 hectares aujourd'hui (contre 780 000 en 2000). Ce maïs est en grande partie destiné à l'alimentation animale. "Sans irrigation il n'y aurait pas de jambon de Bayonne, pas de poulet des Landes, pas de foie gras" , rappellent les responsables agricoles.

Viennent ensuite les pommes de terre et les légumes frais (dont le maïs doux), avec près de 189 000 hectares, puis les fourrages cultivés et prairies permanentes, et encore derrière les vergers, les petits fruits et les agrumes (136 000 hectares). En moyenne, le maïs irrigué nécessite 1 000 à 3 000 m3 d'eau par an et par hectare. A titre de comparaison, une personne consomme en moyenne 50 000 litres d'eau par an. Selon le ministère de l'écologie, un hectare de maïs équivaut donc à la consommation annuelle de 400 personnes, ou encore d'une dizaine de piscines (de 7 mètres par 15).

Selon les représentants des irrigants, de moins en moins d'eau est gaspillée et 30 à 50% d'économies ont été réalisées en dix ans. "Des progrès seront encore obtenus, grâce au suivi des besoins en eau de la plante par des sondes électroniques" , affirme Jean-Michel Delmas, président de la FDSEA du Lot-et-Garonne. Par ailleurs, la gestion collective des ressources est encouragée par l'Etat et les organismes agricoles.

Pour Michel Sicard, ancien président de l'Association générale des producteurs de maïs et membre du comité national de l'eau, "il faudra savoir soustraire de la surface cultivée quelques hectares de maïs si l'on veut le garder à long terme" . M. Sicard, qui est maire de Chenon (Charente), préconise une gestion commune entre agriculteurs, collectivités, et associations. "La création de ressources nouvelles doit être faite dans l'intérêt général ", affirme-t-il.

Gaëlle Dupont
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / Régions
La sécheresse de 2005 relance le débat sur la gestion de l'eau

 M algré le retour de la pluie, voire des inondations en Languedoc-Roussillon, la situation reste préoccupante dans un gros quart du territoire, selon le ministère de l'écologie, où un comité de suivi de la sécheresse se réunit vendredi 16 septembre. Dans 66 départements, des arrêtés de restriction d'usage de l'eau, d'ampleur variable, sont toujours en vigueur. L'effort d'économie d'eau ne doit pas se relâcher, selon le ministère. Dans les régions les plus sèches, certaines petites collectivités sont toujours menacées de rupture d'alimentation. Une seule grande ville, Niort (Deux-Sèvres), l'est également.

Le comité sécheresse doit permettre d'établir un premier bilan. L'agriculture a subi des dégâts ­ dans des proportions moindres qu'en 2003 ­ qui ne sont pas encore complètement évalués. Dans un premier temps, les agriculteurs de 17 départements bénéficieront de 39,3 millions d'euros au titre des calamités agricoles.

L'alimentation en eau potable n'a été rompue que ponctuellement dans de petites communes. Les travaux d'interconnexion et de diversification de l'approvisionnement menés depuis 1976 ont donc porté leurs fruits. En outre, la sécheresse était prévisible. Dès septembre 2004, le niveau des nappes souterraines était bas, et les pluies de l'hiver, trop faibles, n'ont pas suffi à les remplir.

Les deux tiers des départements ont donc pris par avance des mesures de restriction. Les agriculteurs ont réduit les surfaces irriguées d'environ 7% en moyenne, jusqu'à 20% en Poitou-Charentes.

Les milieux naturels ont en revanche beaucoup souffert. Près de 3 500 kilomètres de cours d'eau ont été mis à sec, ce qui a entraîné la mort de nombreux poissons. Au-delà du bilan factuel, selon le ministère de l'écologie, la répétition des sécheresses et le réchauffement climatique imposent des changements dans la gestion de l'eau. L'irrigation agricole, principale consommatrice d'eau, est au centre du débat. En particulier le maïs, culture très gourmande en eau et utilisée principalement pour l'alimentation du bétail.

RETENUES D'EAU

La polémique estivale entre la ministre de l'écologie, Nelly Olin, et le ministre de l'agriculture, Dominique Bussereau, résume à grands traits les termes du conflit. Tandis que Mme Olin plaidait pour le recul de cette culture, M. Bussereau affirmait, au contraire, que la France "a besoin" de maïs et doit créer les conditions de son maintien. Ce débat national se répercute au niveau local, puisque la gestion de l'eau est décentralisée en France dans les six agences de bassin.

"Je ne retire pas ce que j'ai dit, il faut faire légèrement reculer la culture du maïs , tempère aujourd'hui Mme Olin. Nous pouvons demander cet effort aux agriculteurs." "Mais je n'imposerai rien, je ne suis pas ministre de l'agriculture" , ajoute-t-elle. Selon Mme Olin, le dossier est "ouvert" dans le cadre de l'examen au Parlement de la loi sur l'eau. Adopté en première lecture au Sénat le 14 avril, le texte doit être examiné en janvier 2006 à l'Assemblée.

Selon les défenseurs de la production de maïs, la France, pays tempéré et abondamment arrosé l'hiver, doit constituer de nouvelles réserves. "Nous savons qu'à l'avenir les épisodes extrêmes vont se multiplier, affirme Céline Fournier, chargée de mission environnement à l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM) . Il y aura des sécheresses de plus en plus longues, et, en parallèle, plus d'inondations. Nous devons donc stocker davantage." "Nous savons bien que les grands barrages ne sont pas à la mode, ce n'est pas l'objectif" , ajoute-t-elle. L'AGPM préconise la création de retenues de taille moins importante, gérées collectivement. Ce raisonnement est défendu par de nombreux élus. Jean François-Poncet, sénateur (UMP) de Lot-et-Garonne, réélu président du comité de bassin Adour-Garonne, a appelé de ses voeux, lundi 12 septembre, la réalisation de barrages comme Charlas (Haute-Garonne), projet très contesté localement et en panne depuis plusieurs années.

De son côté, le ministre de l'agriculture, Dominique Bussereau, a satisfait les agriculteurs en déclarant, devant le congrès de l'AGPM, à Bordeaux, mercredi 14 septembre, que "l'irrigation est une nécessité" . "Je souhaite m'engager à vos côtés pour bâtir un programme décennal de stockage de retenues de taille modeste" , a promis M. Bussereau. Pendant l'examen au Sénat du projet de la loi sur l'eau, le sénateur Daniel Soulage (UDF, Lot-et-Garonne) a fait adopter un amendement qui va dans le même sens. Il fait figurer dans les objectifs de "gestion équilibrée" de l'eau "la création de ressources nouvelles" .

Cet amendement a été adopté contre l'avis du ministre de l'écologie de l'époque, Serge Lepeltier. "La création de nouvelles ressources ne peut être envisagée que lorsque le déséquilibre est tel que toutes les solutions sont insuffisantes pour le résorber , avait alors déclaré M. Lepeltier. Cela ne peut être qu'une solution de dernier recours. Prévoir cette création dans la loi risque de présenter ce dernier recours comme une fin en soi."

"FUITE EN AVANT"

Aujourd'hui, l'entourage de Mme Olin met aussi en garde contre le risque de "fuite en avant" . Le ministère se dit favorable à la création de retenues de taille limitée si le milieu naturel le permet. Une retenue artificielle empêche en effet l'eau de pluie de réalimenter les nappes.

"Le calcul doit être écologique, il doit aussi être économique. Quelle est la valorisation de l'eau irriguée ?", interroge la direction de l'eau. Selon ses calculs, 1 mètre cube d'eau consommée pour du maraîchage rapporte 3 ou 4 euros, tandis que pour le maïs ce rendement est de 20 centimes d'euro. Une autre question est en débat: celle du financement des retenues, actuellement assuré en grande partie par les agences de l'eau. Or leur budget est alimenté à 82% par les redevances versées par les particuliers.

Gaëlle Dupont
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / France

 L  En visite dans l'Oise, l'épouse du chef de l'Etat prévient: "Les Chirac attaquent" CHANTILLY, SENLIS de notre envoyée spéciale ric Woerth, arrivé en tête de l'élection législative partielle de la 4e circonscription de l'Oise avec 48,31% des voix, cherchait pour le second tour du dimanche 18 septembre, une perle rare: un soutien " pas trop marqué par le gouvernement, politique quand même".

Nicolas Sarkozy et Michèle Alliot-Marie étaient venus encourager l'ancien secrétaire d'Etat pour le premier tour. " Mais Villepin m'a planté au dernier moment", confie M. Woerth qui fut chassé du gouvernement par le premier ministre, peu désireux de garder un ami proche d'Alain Juppé.

François Bayrou contre l'"optimisme officiel"

Venu soutenir, jeudi 15 septembre à Saint-André-lez-Lille, Olivier Henno, le candidat de son parti au second tour de la législative partielle dans la 4e circonscription du Nord, le président de l'UDF, François Bayrou, a appelé les électeurs à adresser un "avertissement" au gouvernement. Dimanche 18 septembre, M. Henno affrontera l'ancien ministre délégué au logement, l'UMP Marc-Philippe Daubresse.

En votant pour M. Henno, les "citoyens" ont l'occasion "de faire entendre leur voix", de "dire que l'optimisme des discours officiels ne reflète pas la vie de tous les jours" , a fait valoir M. Bayrou, qui n'exclut pas une victoire "surprise" de son candidat.

Bernadette Chirac, elle, a dit oui tout de suite. Jeudi 15 septembre, "Madame la présidente" , ainsi que les habitants de Chantilly et de Senlis l'ont appelée tout l'après-midi, a fait un tabac. L'épouse de Jacques Chirac est venue autant pour le candidat que pour son mari et pour son clan. "Vous savez, les Chirac ne sont pas encore morts", a-t-elle lancé d'emblée.

Dans un magasin de porcelaine, à Chantilly, la première dame fait une pause pour les journalistes. Eric Woerth est "un ami fidèle. Un fidèle chiraquien", dit-elle, répétant à l'envi l'expression. Un impertinent suggère que cette catégorie est en voie de disparition. Mme Chirac rétorque calmement qu'il se trompe. Elle en profite pour donner des nouvelles de son mari qui "va très bien".

Aux pharmaciennes, à la fleuriste, dans toutes les boutiques de vêtements, à la parfumerie ou dans les restaurants, Mme Chirac répète qu'il doit être "un peu discipliné, un peu sage" et qu'elle y veille car c'est "le rôle d'une épouse", mais le président est "très en forme". Elle accueille, visiblement touchée, tous les messages de soutien.

Son morceau de bravoure, totalement improvisé, survient en fin de journée, à la permanence de M. Woerth. Dans un magasin de jouets, une commerçante a offert à la première dame de France un dinosaure en plastique pour son petit-fils, Martin Rey-Chirac, 9 ans. La mâchoire articulée du Tyrannosaurus rex, qu'elle brandit, est grande ouverte, pleine de dents. "Voilà le symbole de cette campagne que je rapporte à Jacques Chirac ce soir. C'est un dinosaure avec la gueule ouverte. C'est un emblème qui veut dire: "Les Chirac attaquent"", lance-t-elle devant les militants, déclenchant l'hilarité générale. Elle-même rit de bon coeur, ce qu'elle fait rarement en public.

Levant son verre de Coca, elle trinque avec M. Woerth: "Au succès de notre candidat préféré." "Au succès de ma présidente préférée", répond l'ancien ministre. Elle lâche, gentiment ironique: "C'est un coup de chance, dites-donc."

Le candidat se confond en remerciements. Les compliments se bousculent dans sa bouche pour vanter "la loyauté, la fidélité, l'humour, la solidité" de Bernadette Chirac. Il est vrai qu'en campagne, celle-ci n'est "pas une novice", comme elle le dit elle-même. C'est elle qui a mené le bal tout l'après-midi, prodiguant avis et conseils. "Vous ne passez pas dire bonjour à l'agence immobilière ? Vous avez tort", a-t-elle glissé à M. Woerth. "Ça marche très bien", a répondu tout bas le candidat. "Justement", a dit Bernadette en poussant elle-même la porte.

La "femme de fidélité", comme elle s'est elle-même baptisée, a aussi l'esprit pratique. Dans une librairie, où elle a acheté le dernier livre de Michel Houellebecq, elle a troqué ses talons contre une paire de poulaines Vuitton à fermeture éclair. Pour ne pas faire de faux pas sur les pavés.

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / Société
Deux adolescents sur trois ont vu des films pornographiques

 E lle est loin, l'époque où les adolescents s'échangeaient des magazines érotiques et les cachaient sous leur matelas. Désormais, les jeunes visionnent des images ou des films pornographiques à la télévision, en vidéo ou sur Internet.

D'après une étude réalisée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), sous la direction de l'épidémiologiste Marie Choquet, 62% des 14-18 ans ­ 80% des garçons et 45% des filles ­ ont regardé des images pornographiques durant les douze derniers mois. Le petit écran demeure la principale source de ces images, loin devant la vidéo et Internet.

C'est à la demande du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) que des questions sur la pornographie ont été introduites dans le volet français de la dernière enquête Espad (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs), menée au printemps 2003 par l'Inserm en partenariat avec l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) auprès d'un échantillon de quelque 10 000 élèves scolarisés de la quatrième à la terminale.

Cette étude ­ dont l'analyse des résultats a fait l'objet d'un rapport ­ permet, pour la première fois, d'appréhender la fréquence du visionnage d'images pornographiques par les adolescents et de cerner les caractéristiques sociales et personnelles des jeunes qui regardent ces images. Surtout, elle tente de cerner le poids de ces images comme facteurs de troubles ou d'adoption de conduites à risque.

A 14 ans, 61% des garçons ont vu au moins un film pornographique à la télévision dans l'année. Ce chiffre augmente avec l'âge, avec des pointes à 15 ans pour les filles et à 16 ans pour les garçons, puis il se stabilise assez vite. Les garçons sont non seulement plus nombreux à regarder du X, mais aussi plus enclins à être des "spectateurs assidus" . Ainsi, 24% d'entre eux, contre seulement 2% des filles, ont vu au moins dix films pornographiques lors des douze derniers mois.

La perception du porno est très différente suivant le sexe. Alors que 56% des filles déclarent que ces images les "dégoûtent" , 54% des garçons les considèrent "amusantes" ou "distrayantes" . Au fil de l'âge, "l'opinion globalement très négative évolue peu chez les filles et devient de plus en plus positive chez les garçons" , soulignent les chercheurs.

Parmi les "facteurs associés" à la pornographie ­ qu'ils soient socio-démographiques, scolaires ou familiaux ­ le niveau d'études des parents apparaît, comme la variable "la plus significativement" associée à cette pratique.

Mais les différences ne sont pas spectaculaires: 30% des garçons dont le père a un faible niveau d'études sont des "assidus" des films X, contre 22% de ceux dont le père a suivi des études supérieures.

La fréquence du visionnage des images pornographiques n'est pas liée au type d'établissement scolaire fréquenté. Que les jeunes soient élèves en zone d'éducation prioritaire (ZEP) ou non, dans un établissement public ou privé, en milieu urbain ou rural, la proportion de ceux qui regardent du porno est la même.

En revanche, l'enquête fait apparaître des liens avec l'appréciation qu'a l'élève de l'école, ainsi qu'avec l'absentéisme et le redoublement. Les jeunes qui rencontrent des problèmes dans leurs études sont également enclins à consommer des images pornographiques.

Par exemple, 30% des garçons qui "n'aiment pas l'école" (contre 20% de ceux qui "l'aiment bien") regardent au moins dix fois par an du porno. Davantage que d'un lien de cause à effet, qui reste "difficile à établir", les chercheurs parlent de "facteurs de risque" qui augmenteraient "la probabilité de visionnage" d'images pornographiques par les adolescents.

Sans doute parce que l'adolescence est le moment propice pour s'affranchir des interdits, l'enquête montre que "le fait que les parents définissent clairement les règles" à l'intérieur ou à l'extérieur de la maison n'a pas de répercussions sur la consommation d'images pornographiques. Même le contrôle parental - notamment sur les sorties - ne joue aucun rôle sur les garçons. Seules les filles semblent influencées par ce contrôle.

Se penchant sur l'association entre la consommation de substances, les conduites à risque et la pornographie, l'enquête met au jour un certain nombre de liens. Ainsi, chez les garçons comme chez les filles, la consommation régulière de tabac ou d'alcool, la déprime, les tentatives de suicide et le fait d'avoir été victime de violences apparaissent comme des "variables associés" au visionnage de films X.

Une question demeure, selon les auteurs du rapport: la pornographie est-elle un facteur de risque spécifique ou se cumule-t-elle à d'autres conduites à risque ? "Le sens du lien observé reste à confirmer , précisent les chercheurs, car la force de ce lien ne définit pas le sens de ce lien. Et le lien peut aussi être "en spirale", à la fois cause et effet."

Pour tenter d'apporter une réponse, l'enquête différencie les types de spectateurs. Parmi les assidus, "la probabilité d'adopter des conduites à risque (fugue, ivresse, consommation régulière de cannabis) est aussi élevée chez les jeunes "sans vulnérabilité sociale ou scolaire apparente" que chez les autres" .

Le fait de regarder régulièrement des films X peut donc être considéré comme le signe d'un éventuel malaise de l'adolescent.

Devant ces premières données, les chercheurs défendent la nécessité d'"approfondir" les résultats de cette étude. Ils appellent notamment de leurs voeux des recherches sur "les lieux et les conditions de visionnage des images pornographiques" .

Car l'enquête ne permet pas de savoir si les jeunes regardent ces films à la maison, seuls, en groupe, sous la contrainte ou non.

Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / Société
Xavier Pommereau, psychiatre
"Ce qui ne va pas, c'est l'absence de limites définies par les adultes"

 V ous êtes chef de l'unité médico-psychologique de l'adolescent au CHU de Bordeaux. Faut-il s'inquiéter de la forte proportion d'adolescents qui regardent des images pornographiques ?
A l'âge où tout se sexualise, il est tentant de parler, de voir, de s'amuser des histoires de sexe. Quand la pornographie se limitait aux magazines érotiques sur lesquels était inscrit "réservé aux adultes" , la notion de transgression était évidente dans la tête des adolescents.
Aujourd'hui, ce qui ne va pas, c'est l'absence de limites définies par les adultes pour marquer les territoires de l'autorisé et de l'interdit. Ce qui compte pour la construction des adolescents, c'est d'avoir conscience du caractère transgressif de leurs conduites. Dans nos services, les adolescents sont en quête éperdue d'espaces d'évolution bornés par les adultes.

Que faut-il faire ?
Il faut donc absolument maintenir les limitations d'accès du porno aux mineurs, continuer à obliger les diffuseurs à marquer des territoires très clairs. Les technologies nouvelles permettent de surfer sans passer de barrières, mais il faut savoir que la construction des ados ne peut pas se faire dans un virtuel flou.
Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer mais il faut aussi un relais des parents. C'est un peu comme pour le cannabis. Certains parents disent: "A quoi cela sert de leur interdire puisqu'ils en trouvent devant leur collège ?" Non. Cela rassure les ados d'avoir des lignes de conduite et des chemins balisés.

Quelles sont les répercussions éventuelles sur la sexualité des jeunes ?
La majorité des ados qui ne sont pas des accros du porno font la différence entre la "viande" du porno ­ qui les amuse, dont ils se repaissent entre eux en mots, en blagues ­ et leur histoire amoureuse personnelle, où ils sont plutôt prudes et sentimentaux. Il faut bien noter que l'âge moyen du premier rapport sexuel est toujours le même (17 ans). Il ne faut pas dire que ceux qui regardent du porno vont devenir d'affreux machos.
Quant aux assidus du porno, on doit les considérer non pas comme des pornographes en puissance, mais faire un lien entre cette "consommation boulimique" et d'autres conduites à risque. Il faut reconnaître ces jeunes non pas comme des obsédés sexuels mais comme des jeunes en difficulté identitaire, en mal-être.

Comment analyser la différence de perception des images pornographiques entre les garçons et les filles ?
D'abord, il faut remarquer que le nombre de filles qui regardent ces images ­ même s'il est très inférieur à celui des garçons ­ est loin d'être ridicule. La curiosité, l'attrait pour les sujets "chauds" les concernent aussi !
Mais les filles s'intéressent davantage aux histoires érotiques. Elles sont plus mûres, plus "affectives" que les garçons, qui, eux, ont besoin d'action, de démonstration de puissance, de violence, comme le rend l'expression "mater du hard".

Propos recueillis par Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / Société
Au collège, une infirmière reçoit pour "libérer la parole"
SAINT-JEAN-DE-LA-RUELLE (Loiret) de notre envoyée spéciale

 D' abord les garçons. Ensuite les filles. Pour répondre aux questions sur la sexualité des élèves de cette classe de 4e, en fin d'année 2004-2005, Anne Bastide, infirmière scolaire au collège André-Malraux, à Saint-Jean-de-la-Ruelle (Loiret), a préféré les séparer. "Nous ne le faisons pas systématiquement, explique-t-elle. Mais, pour certaines classes et à certains âges, cela permet de libérer la parole."

Chez ces jeunes de 14 à 16 ans, issus de familles défavorisées et, pour certaines, d'origine immigrée, on parle peu de sexualité. Pour lever les inhibitions, l'infirmière leur a demandé d'exprimer leurs questions par écrit, sous couvert de l'anonymat, avant de les recevoir.

Garçons et filles affichent des préoccupations très différentes. Les premiers s'inquiètent principalement de la mécanique de l'acte sexuel et ont besoin d'être rassurés sur leur anatomie: "Pourquoi les garçons ont le pénis vers le haut en se réveillant ?", "Est-ce que pour l'amour la taille de la bite est importante ?", "Vaut mieux être dessus ou en dessous ?" , "Un kulininbuse - cunnilingus - ça provoque du bien à une fille ?", "Comment on éjacule le spermatozoïde ?" ...

Les secondes se préoccupent avant tout de la contraception: "On peut avoir un enfant lors de la première relation sexuelle ?", "Faut-il se protéger à chaque fois que l'on couche ?", "Lors d'un viol, on peut tomber enceinte directement ?" . Elles s'interrogent aussi sur leur droit à refuser une relation: "Si un garçon est attiré par une fille mais que la fille dit non, doit-elle se forcer à être attirée par lui ?"

"ELLE CRIE"

Anne Bastide reçoit les garçons. Au départ, les élèves, gênés, ricanent allégrement et cherchent à provoquer. Après dix minutes de défoulement, ils osent poser leurs vraies questions. "On peut avoir du sperme à partir de quel âge ?", "Et si une glande -un testicule- éclate ?", "On peut avoir un testicule plus gros que l'autre ?". Une fois leurs inquiétudes dissipées, ils commencent à s'interroger sur "le fonctionnement" des filles. "Comment on sait qu'elle jouit, une fille ?" , lance un élève. "Elle crie", répond un grand. "T'as trop regardé M6", lui rétorque un camarade. "Pourquoi, quand on fait l'amour pour la première fois, on sperme plus vite ?" , s'interroge un autre.

Imperturbable, Anne Bastide répond, s'employant à rappeler régulièrement la réciprocité de la relation: "L'important, c'est d'être bien ensemble et que les deux soient d'accord." Pour l'infirmière, ces séances sont l'occasion d'apporter des réponses aux questions que se posent ces jeunes mais surtout de recadrer les circonstances de l'acte sexuel, "l'importance du sentiment, du dialogue chez ces élèves en manque de repères éducatifs".

Une semaine plus tard, c'est au tour des filles. Elles se livrent moins facilement que les garçons. Anne Bastide dessine sur le tableau un sexe de femme. Explique l'acte sexuel. Les élèves rigolent, la glace se rompt. Les questions fusent: sur les règles, sur l'accouchement... En général, remarque Anne Bastide, les filles sont "plus mûres et davantage dans le sentiment que les garçons". Mais, compte tenu de la culture de certaines, "les histoires d'amour sont très compliquées à vivre, elles relèvent de l'interdit" .

A travers leurs réflexions, plusieurs jeunes filles d'origine turque ou maghrébine expriment leur souci de rester vierges avant le mariage. Une bonne partie de la séance se focalise sur cette préoccupation. "Quand il y a une relation entre une fille et un garçon, est-ce qu'il y a du sang ?", s'enhardit une jeune fille. "Oui, mais pas toujours", répond l'infirmière. "Dans la religion, on dit que s'il n'y a pas de sang c'est qu'elle l'a déjà fait", rétorque l'élève. "Des garçons disent que si une fille a eu une relation sexuelle, ça se voit à sa façon de marcher", croit savoir une autre. "Des gens disent que quand on met des tampons, ça dévierge" , s'inquiète une autre.

Quelques jeunes filles se révèlent plus libres. "A partir de quel âge on prend la pastille, heu, la pilule ?" "La pilule, on la prend quand on a décidé dans sa tête d'avoir des relations sexuelles", répond Anne Bastide. "Est-ce qu'on peut coucher ensemble à la première rencontre ?" , s'interroge une élève. "Ça dépend si on est bourré", répond une autre. L'infirmière rappelle, comme elle l'avait fait aux garçons, que "la seule règle, c'est que les deux soient d'accord".

Martine Laronche
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / Europe
Londres envisage de porter à 3 mois la garde à vue des suspects de terrorisme
LONDRES de notre correspondant

 L' habeas corpus n'est plus, terrorisme oblige, tout à fait ce qu'il était au Royaume-Uni. "Les règles du jeu ont changé" , avait affirmé Tony Blair après les attentats islamistes du 7 juillet (56 morts et 700 blessés) et les attaques manquées du 21 juillet à Londres. En témoigne l'annonce faite jeudi 15 septembre par le ministre de l'intérieur, Charles Clarke, que le gouvernement envisage de porter à 3 mois ­ contre 15 jours actuellement ­ la durée maximale de la garde à vue en matière de terrorisme. Pendant cette période, les suspects pourront être détenus sans être inculpés.

Cette mesure est réclamée par la police et par les services de sécurité. Ceux-ci font valoir qu'ils ont besoin de temps pour rassembler les preuves, notamment informatiques ou enregistrées par les caméras de surveillance, aptes à leur permettre de compléter un dossier. Le délai de trois mois n'interviendrait, selon M. Clarke, que dans des cas "très rares" . Le maintien en détention devrait être approuvé chaque semaine par un juge. Actuellement, la légitimité de la garde à vue est contrôlée par un magistrat tous les cinq jours.

L'extension de la garde à vue est l'une des mesures contenues dans le projet de loi antiterroriste rendu public jeudi par M. Clarke et qui sera soumis au Parlement en octobre. Le texte prévoit de punir la préparation d'attentats de la prison à vie, l'incitation "indirecte" à de tels actes de sept ans de détention, et de dix ans l'entraînement au terrorisme. Le ministre de l'intérieur veut, en outre, réprimer la "glorification" du terrorisme et la "propagation" de publications terroristes. Ce dernier délit vise certaines librairies islamistes. Il souhaite aussi pouvoir, avant la fin de l'année, autoriser les tribunaux à examiner comme preuves le contenu d'écoutes téléphoniques.

ARRESTATIONS DE 7 ÉTRANGERS

Au-delà de la difficulté persistante à définir le terrorisme, l'extension de la garde à vue soulève des réserves ou des critiques.

Les partis d'opposition ne s'y sont pour l'instant pas ralliés. Les conservateurs, d'ordinaire pointilleux sur la loi et l'ordre, ont laissé entendre qu'ils pourraient ne pas voter la loi. Amnesty International craint des abus tels que cette mesure "constituerait un internement qui ne dirait pas son nom".

La future loi antiterroriste a été dévoilée le jour où les polices de Londres et de Manchester ont placé en détention sept étrangers, dans l'attente de leur expulsion "pour des raisons de sécurité nationale". L'identité des détenus n'a pas été ­ et ne sera pas ­ publiée. Selon des sources anonymes citées par la BBC, tous sont algériens et la plupart d'entre eux appartiendraient à un groupe de suspects acquittés en avril lors d'un procès sur un complot à la ricine.

Un Algérien présumé membre d'Al-Qaida, Kamel Bourgass, avait alors été condamné à 17 ans de prison. En août, la police avait déjà arrêté dix étrangers à des fins d'expulsion, dont Abou Qatada, chef spirituel d'Al-Qaida en Europe.

Dans les deux cas, les procédures d'expulsion risquent d'être longuement retardées par les nombreux recours possibles. Le principal obstacle pour le gouvernement reste son devoir de respecter la Convention européenne sur les droits de l'homme et la Convention des Nations unies sur la torture, qui l'empêchent de renvoyer des suspects dans leur pays d'origine s'ils risquent d'y être maltraités.

Jean-Pierre Langellier
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / Europe
Tollé contre le retrait de 70 projets législatifs à Bruxelles
BRUXELLES de notre bureau européen

 L a polémique enfle à Bruxelles contre la volonté du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, de retirer près de 70 projets législatifs européens jugés inutiles, ou bloqués par le Parlement et le conseil européen. Les discussions entre les commissaires se poursuivent pour préciser la liste des mesures concernées d'ici au 27 septembre. "Pendant des années, la Commission a légiféré sans vérifier l'impact sur les gens et les entreprises", a expliqué Françoise Le Bail, porte-parole de la Commission. Parmi les textes menacés de retrait figurent une législation sur l'étiquetage des produits alimentaires, une autre sur la promotion des ventes et un troisième projet d'harmonisation des interdictions de circuler le dimanche pour les routiers.

Le patronat européen se réjouit, par la voix de l'Unice, de voir la Commission tenir sa promesse de "moins, mais mieux légiférer". La Confédération européenne des syndicats (CES) s'est élevée contre une initiative susceptible "de mettre en péril l'important débat sur le futur de l'Europe sociale". "La CES ne participera pas à ce débat si des frappes préventives sont effectuées contre des règlements-clés de l'Union", a indiqué son secrétaire général, John Monks.

Au Parlement européen, le groupe socialiste a "averti qu'il insistera pour préserver les progrès accomplis dans les politiques sociales et de défense des consommateurs" . Alors que certains commissaires entendent "déréguler" , les socialistes entendent au contraire débattre d'une "meilleure régulation". Ils notent que la Commission agit dans un seul sens. Pour l'eurodéputé socialiste Gilles Savary, "cette étonnante capacité de retrait pur et simple d'un texte en cours de procédure législative démontre, s'il en était encore besoin, que la Commission européenne dispose du pouvoir d'utiliser la même procédure pour d'autres textes comme... le fameux projet de directive Bolkestein" sur les services, que la Commission entend maintenir malgré la controverse qu'il suscite.

Philippe Ricard
Article paru dans l'édition du 17.09.05


Le Monde / International
Le président iranien doit prononcer un discours très attendu à l'ONU
Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, devait s'exprimer samedi 17 septembre à l'ONU pour rassurer Américains et Européens sur le programme nucléaire de l'Iran. | AFP/MAXIM MARMUR
AFP/MAXIM MARMUR
Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, devait s'exprimer samedi 17 septembre à l'ONU pour rassurer Américains et Européens sur le programme nucléaire de l'Iran.

 L a communauté internationale était suspendue à un discours du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, samedi 17 septembre à l'ONU, dans lequel il doit exposer ses vues sur le programme nucléaire de son pays, sur fond de menaces américaines d'en appeler au Conseil de sécurité.

Le président américain, George W. Bush, s'est déclaré vendredi "confiant dans le fait que le monde estimera que l'Iran doit aller devant le Conseil de sécurité s'il ne respecte pas ses engagements". "La date à laquelle se produira une telle saisine relève de la diplomatie", a cependant ajouté M. Bush à l'issue d'un entretien avec le président russe, Vladimir Poutine, à la Maison Blanche.

Washington et Moscou partagent "le même but" et ne souhaitent pas voir l'Iran se doter de l'arme nucléaire, a dit M. Bush, tandis que M. Poutine a assuré: "Nos positions sont très proches." Mais M. Poutine a semblé toujours réticent à saisir le Conseil de sécurité. Il a assuré que les voies diplomatiques étaient "loin d'être épuisées" et a mis en garde contre le risque de prendre des décisions qui "aggravent" les choses.

Les ministres des affaires étrangères britannique, français et allemand, qui ont rencontré M. Ahmadinejad jeudi en marge du sommet de l'ONU à New York, ont indiqué que son discours samedi conditionnerait l'avenir de leurs laborieuses discussions pour tenter de sortir de l'impasse.Les Européens "jugeront sur pièces" la proposition que doit faire M. Ahmadinejad, a déclaré vendredi le ministère français des affaires étrangères. "On évaluera, en fonction de l'équilibre de leur proposition, si on peut poursuivre le dialogue, comme on le souhaite, ou si nous devons entrer dans une étape plus exigeante qui serait la saisine du Conseil de sécurité", a dit le porte-parole adjoint du ministère, Denis Simonneau.

QUELLE PROPOSITION IRANIENNE ?

Le président ultra-conservateur iranien s'exprimera devant l'Assemblée générale de l'ONU, juste avant une réunion de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) lundi à Vienne. La possibilité que l'AIEA renvoie le dossier devant le Conseil de sécurité de l'ONU se heurte toutefois aux objections de pays comme la Chine ou l'Inde, en plus de la Russie.

Selon le quotidien britannique Financial Times, qui cite de hauts responsables iraniens, M. Ahmadinejad va proposer l'établissement de "joint ventures" (entreprises communes) internationales pour son programme nucléaire, afin de tenter d'apaiser les craintes d'un éventuel détournement à des fins militaires.

La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, a elle-même reconnu que "beaucoup de pays estimaient que le moment n'était pas venu de saisir" le Conseil de sécurité.

Elle a toutefois ajouté, dans un entretien à la chaîne de télévision NBC, que "pratiquement tout le monde" était opposé à l'idée de voir l'Iran maîtriser totalement le cycle du combustible nucléaire, une perspective qui lui permettrait, par des détournements, de se doter de l'arme atomique.

Elle a ajouté, dans un entretien au New York Post, que les Etats-Unis n'étaient pas opposés à ce que l'Iran ait un programme civil, seulement à ce qu'il dispose des moyens de parvenir à l'arme atomique.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 17.09.05 | 12h14


Le Monde / Opinions
Chronique
Economie mondiale: M. Tout-va-bien contre M. Au-bord-du-gouffre, par Eric Le Boucher

 V oilà maintenant trois ans que le monde des économistes est radicalement partagé en deux camps, ceux qui pensent que les déséquilibres croissants de la planète vont nous conduire à un énorme krach et ceux qui considèrent, au contraire, que la croissance mondiale se consolide.

Le centre de la dispute est aux Etats-Unis, première puissance mondiale, qui croît à une vitesse enviée de 3 ou 4% l'an mais qui aspire, pour ce faire, une part toujours plus importante des capitaux du monde entier. Cette année, près de 70% de l'épargne mondiale s'investira en dollars américains.

Cet argent qui coule à flots outre-Atlantique a des bienfaits évidents: le consommateur américain se sent riche, il achète à tour de bras des objets, de plus en plus souvent importés. Il s'endette pour son sweet home: les prix des maisons ont gonflé comme jamais dans l'histoire. Les Etats-Unis ont créé 2,2 millions d'emplois l'an passé. Le chômage est au plus bas à 4,9%. Les entreprises investissent et améliorent leur productivité. Leurs profits représentent 7,9% du PIB, un taux que l'on n'avait plus atteint depuis... 1951.

VENTS PORTANTS

La croissance vogue toujours à vents portants et elle n'est pas vraiment ralentie par la hausse du pétrole: les 3,6% attendus devraient être au rendez-vous pour l'ensemble de 2005.

Certes, mais cette machine lancée à plein régime consomme l'argent des autres. Les ménages américains ont réduit leur épargne à 0,9% de leur revenu. Les importations creusent le déficit commercial qui ne date pas d'hier mais qui atteindra plus de 650 milliards cette année, soit 6,5% du PIB. Par ailleurs, le gouvernement fédéral vit lui aussi largement au-dessus de ses moyens: les 412 milliards de dollars de déficit l'an passé vont être dépassés si on prend en compte l'impact de l'ouragan Katrina (le coût de la reconstruction est estimé à 200 milliards). Combien de temps cette croissance en déséquilibre peut-elle tenir ?

Pour les Cassandre, le scénario est écrit d'avance. Puisqu'aucun mouvement de correction n'est apparu ces dernières années et qu'aucun ne pointe le nez, les risques d'un atterrissage brutal ne cessent de se renforcer. Il arrivera un jour, bientôt, où les marchés financiers vont refuser de vivre au bord du gouffre de la dette himalayenne américaine. Ils vont se défier du dollar, ce qui précipitera l'économie américaine dans une spirale: la baisse du dollar fera grimper l'inflation, les taux d'intérêt seront précipités vers le haut ce qui aura pour effet de faire exploser la "bulle immobilière" et d'étouffer la croissance. Krach et récession se répercuteront dans l'ensemble du monde.

Heureusement, ce scénario noir ne s'est toujours pas réalisé. On ausculte tous les hoquets de la monnaie américaine, on scrute l'indice des prix, on surveille la "bulle" des actifs immobiliers, on tremble après Katrina, on redoute de deviner un petit mot d'inquiétude dans la bouche du dieu Alan Greenspan, président de la Banque centrale (Fed), mais non, rien, tout rentre toujours dans le calme. Flambée du pétrole ou ouragan, l'édifice tient et la "croissance déséquilibrée américaine" poursuit sa route. On attend encore un bond du PIB de 3,3% en 2006.

Les Cassandre finiront-elles par avoir raison ou se trompent-elles et pourquoi ? Il y a des explications à l'amortissement passé des chocs. Si la flambée du pétrole ne casse pas la croissance comme elle l'avait fait dans les années 1970, c'est que les économies occidentales sont deux fois moins dépendantes de l'or noir grâce aux économies faites depuis et aux énergies de substitution.

ÈRE NOUVELLE

Si l'effet Katrina reste limité (0,5% de baisse de croissance d'ici à la fin de l'année), c'est à cause des dépenses de reconstruction qui vont avoir un contre-effet de relance. Si le dollar reste étal, c'est par l'anticipation des marchés d'une modification de la politique budgétaire de George Bush (un abandon des promesses de baisse d'impôts pour limiter le déficit). Si la bulle immobilière n'a pas explosé, c'est qu'un début de correction s'opère dans la douceur.

Mais les économistes avancent maintenant une explication beaucoup plus profonde. Nous serions entrés dans une ère nouvelle dotée de trois caractéristiques majeures: la mondialisation, la "fin de l'inflation" et un excès mondial d'épargne. Les trois sont liées entre elles: c'est la mondialisation qui poussant la concurrence entre les entreprises et leur interdisant de hausser les prix et les salaires, permet le recul de l'inflation, partout, vers les 2%.

La disparition du dragon des années 1970 fait renaître les rentiers à l'échelle globale. En tout cas, on constate que, dans beaucoup de pays les revenus sont supérieurs à la consommation. D'où un excès d'épargne, que Lord Keynes déplorait à l'échelle d'un pays dans les années 1930, se retrouverait aujourd'hui au niveau mondial, selon Ben Bernanke, économiste de la FED devenu conseiller économique de Bush.

Les motifs en sont nombreux. Les pays pétroliers gagnent beaucoup plus d'argent qu'ils n'en ont besoin pour investir et ils "recyclent " le trop reçu. Les multinationales gagnent elles aussi beaucoup plus qu'elles n'en dépensent et elles rachètent leurs propres actions ou accumulent des tas d'or. La Chine reçoit de ses exportations plus qu'elle investit. Au Japon et en Allemagne, le vieillissement des populations incite à grossir l'épargne. Tous ces mouvements, d'ordres divers, s'ajoutent.

CORRECTION

Cet excès d'épargne est énorme: 11 000 milliards de dollars, soit la taille de l'économie américaine, selon le FMI. Il est pain bénit pour les gouvernements, qui sont nombreux à vivre largement au-dessus de leur moyens à peu de frais. Cet excès est aussi à l'origine des "bulles", celle de la Bourse en 2000, celle de l'immobilier aujourd'hui. Il permet même dorénavant aux pays en développement de bénéficier de taux d'intérêt en baisse. Il n'y a donc pas que les Etats-Unis qui en profitent, il en reste pour les autres. Pas de perdant: d'où la pérennité du système malgré ses déséquilibres.

Une correction de tendance est indubitablement nécessaire. Mais on comprend un peu mieux pourquoi, depuis trois ans, M. Tout-va-bien bat M. Au-bord-du-gouffre.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 18.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Pétrole et taxes

 C' est un rite bien installé: quand les prix pétroliers grimpent, le ministre des finances donne de la voix. Prenant des accents de colère, il convoque les grandes compagnies à Bercy pour leur faire la leçon. Et les menacer d'éventuelles sanctions. C'est donc cette coutume à laquelle s'est plié, vendredi 16 septembre, Thierry Breton. Haussant le ton et brandissant la menace d'une "taxe exceptionnelle", il a sommé les compagnies de se présenter devant lui.

Et tout cela pour quoi ? Pour un résultat tout ce qu'il y a de plus modeste, on pourrait dire dérisoire: un simple engagement de transparence de Total dans la fixation de ses prix. Encore cet engagement n'a-t-il été pris que par la compagnie française. Rien de plus. Cela n'a pas empêché Thierry Breton d'oublier la taxe un instant évoquée et de chanter victoire. Bref, la réunion s'est achevée sur un échec, mais tous les protagonistes faisaient bonne figure. Et les pétroliers les premiers, qui ne s'attendaient sans doute pas à s'en tirer à si bon compte après les propos énergiques du ministre des finances, mais aussi du chef de l'Etat.

La mise en scène orchestrée par Bercy est donc doublement étonnante. D'abord, les mises en garde des pouvoirs publics à l'encontre des compagnies pétrolières n'auront, concrètement, que très peu de retombées pour les consommateurs. Et, quoi qu'il en soit, ces compagnies restent les grandes gagnantes de l'envolée des cours. Les cinq géants ExxonMobil, BP, Shell, Total et Chevron ne vont-ils pas engranger des bénéfices nets proprement mirifiques, de l'ordre de 100 milliards de dollars en 2005 ?

Et puis le comportement de l'Etat paraît marqué de beaucoup de mauvaise foi. Car, lui, il ne fait jamais son examen de conscience. Alors que la fiscalité (TIPP et TVA) explique pour près des deux tiers les prix à la pompe, la puissance publique a pris la mauvaise habitude de ne pas regarder cette réalité en face. Dans le débat fiscal, il y a même un paradoxe. Comme elle est réputée indolore ­ mais l'actualité pétrolière prouve que c'est faux ­, la fiscalité indirecte n'est jamais durablement en débat. Et la controverse publique se focalise sur la seule fiscalité directe, au premier chef sur l'impôt sur le revenu, objet de réformes à répétition.

Or, à l'évidence, il y a là une part d'aveuglement.

Oublie-t-on que la fameuse TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) génère des recettes équivalentes à près de la moitié de l'impôt sur le revenu ? Et que la TVA porte sur des recettes près de trois fois supérieures ?

Le choc pétrolier a donc ceci d'utile qu'il permet de mettre de l'ordre dans le débat fiscal et de clarifier ce que devraient être ses priorités. Peut-être est-il nécessaire de remettre sans cesse sur le chantier la réforme de la fiscalité directe. Mais ne serait-il pas tout aussi opportun de rouvrir le dossier de la fiscalité indirecte, qui ne fait plus jamais débat, ou alors seulement en période de crise, quand cela peut permettre à un ministre de faire des effets de manche aux "20 heures" des grands journaux télévisés.

Article paru dans l'édition du 18.09.05


Le Monde / International
Point de vue
Téhéran réaffirme devant l'ONU son droit à l'énergie nucléaire

 L e président iranien Mahmoud Ahmedinejad a défié les Etats-Unis et leurs alliés européens samedi 17 septembre, en affirmant à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies que l'Iran avait un droit inaliénable de produire du combustible nucléaire.

Il a réfuté les arguments de ceux qui veulent empêcher l'Iran d'enrichir son uranium de crainte qu'il ne développe un programme nucléaire militaire, en affirmant que "l'usage pacifique de l'énergie nucléaire sans possession du cycle nucléaire n'est qu'une proposition vide" et en parlant de "droit inaliénable à avoir accès au cycle du combustible nucléaire". Il a également menacé de rompre toute discussion en cas d'aggravation des pressions. "Si certains essaient d'imposer leur volonté au peuple iranien en recourant à un langage de force et de menace envers l'Iran, nous reconsidèrerions toute notre approche sur la question nucléaire", a-t-il dit.

Dans le but de rassurer l'Assemblée, M. Ahmadinejad a notamment proposé que des sociétés publiques ou privées étrangères soient inclues dans un "partenariat sérieux" sur l'enrichissement de l'uranium en Iran. La participation de sociétés étrangères "représente la mesure la plus ambitieuse, après les obligations du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), que l'Iran propose pour approfondir encore la confiance", a-t-il affirmé.

Il a aussi proposé d'associer l'Afrique du sud aux négociations, jusqu'à présent menées par une troïka France-Allemagne-Grande-Bretagne, et demandé à l'ONU de former un "comité ad hoc" sur le désarmement nucléaire. Enfin, il a promis que la coopération avec l'AIEA serait "l'axe central de la politique nucléaire" iranienne.

M. AHMADINEJAD A FRANCHIT LA LIGNE ROUGE

Ces propos ont toutefois reçu un accueil glacial côté américain et européen. "Nous avons trouvé que c'était un discours très agressif, qui franchit certaines lignes rouges fixées par les Européens, en particulier pour ce qui concerne l'enrichissement de l'uranium", a déclaré un haut responsable du département d'Etat américain, sous couvert de l'anonymat.

La France a aussi estimé ce discours ne suffisait pas pour écarter la menace d'un recours devant le Conseil de sécurité de l'ONU. "Ce que j'ai entendu aujourd'hui me fait dire que l'option du rapport de l'Agence internationale pour l'énergie atomique au Conseil de sécurité des Nations unies demeure à l'ordre du jour", a déclaré le chef de la diplomatie française Philippe Douste-Blazy. "Je suis très préoccupé par le fait qu'il (M. Ahmadinejad) ait réaffirmé sa volonté de développer la technologie du cycle (nucléaire) sans tenir compte des inquiétudes de la communauté internationale", a-t-il ajouté.

Un responsable du Foreign Office britannique présent à New York a pour sa part jugé que ce discours "n'arrangeait rien" et que M. Ahmadinejad n'avait "rien apporté qui permette de dire que l'Iran va respecter ses engagements".

FERMETÉ DE WASHINGTON

Avant l'allocution d'Ahmadinejad, Condoleezza Rice a pour sa part encouragé la communauté internationale à la plus grande fermeté face à l'Iran. "L'Iran devrait revenir à la table des négociations avec (l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni) et renoncer pour toujours à ses capacités d'armement nucléaire", a déclaré la secrétaire d'Etat américaine dans l'enceinte de l'ONU. "Lorsque tous les efforts diplomatiques ont été épuisés, le Conseil de sécurité doit être saisi."

L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) se réunit lundi à Vienne pour étudier la possibilité d'une saisine du Conseil de sécurité de l'ONU après la reprise le mois dernier par Téhéran d'activités nucléaires sensibles. Des pays comme la Russie, la Chine et l'Inde ont, entre autres, fait savoir récemment qu'ils étaient réticents à faire remonter le dossier au Conseil de sécurité.

Une réunion est prévue dimanche entre à New York entre hauts responsables diplomatiques du groupe UE-3 et américains pour discuter de ce dossier, a indiqué le département d'Etat.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 18.09.05 | 08h39


Le Monde / Sciences
De la difficulté d'anticiper les orages

 P eut-on mieux prévoir et prévenir les inondations ? En France, quatre millions de personnes vivent en zone inondable. Vulnérable, le Gard a été une nouvelle fois touché en raison de violents orages, les 6 et 8 septembre.

Météo France, mise en cause pour ses estimations sur la journée du 8 septembre, où ses cartes de vigilance étaient au niveau orange, et non rouge, se défend d'avoir sous-estimé l'épisode orageux. Ce jour-là, le cumul des précipitations n'a pas atteint les 300 millimètres, seuil du passage au niveau rouge. Mais les sols déjà gorgés d'eau par les pluies tombées l'avant-veille ont favorisé les inondations.

Ce distinguo entre précipitations et crues n'est pas forcément très "lisible" pour les victimes des inondations. A compter de juillet 2006, celles-ci feront l'objet de cartes de vigilance spécifiques. La ministre de l'écologie, Nelly Olin, en visite à la météopole de Toulouse, jeudi 15 septembre, est venue constater la montée en puissance du Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi). Dépendant de son ministère, il sera chargé, en coopération avec Météo France, de la production de ces cartes (Le Monde du 31 août).

Destinées aux pouvoirs publics, aux élus et aux services d'intervention, elles seront diffusées deux fois par jour. Un code couleur (vert, jaune, orange, rouge) indiquera le risque d'inondation pour chaque cours d'eau. Leur établissement s'appuiera sur une multitude de paramètres: cumul et prévision des pluies, mais aussi état des sols ­ sont-ils ou non perméables ? ­, relief, niveau des cours d'eau.

Le dernier épisode orageux du Gard montre que cette intégration des données est encore perfectible. "La prévision de la pluie a été assez bonne. La prévision de la conséquence de la pluie a été moins bonne le deuxième jour", est convenu le directeur de l'eau du ministère de l'écologie, Pascal Berteaud, qui invoque "les difficultés d'évaluation des ruissellements urbains" .

La coopération entre le ministère de l'écologie et Météo France (dépendant du ministère de l'équipement), contractualisée pour la période 2005-2008, prévoit plusieurs voies d'amélioration. L'un des aspects concerne le renforcement du nombre des radars météorologiques ­ 22 à la fin 2006 ­ capables de détecter les gouttes d'eau dans les nuages. Ce réseau devrait permettre de mieux déceler les phénomènes dangereux. Mais "la difficulté est de trouver une loi pour transformer le signal de réflexivité des gouttelettes en quantité de précipitations", indique cependant Emmanuel Legrand, de la direction de la prévision de Météo France.

MAILLES TROP LÂCHES

Météo France met par ailleurs au point, avec l'université Paul-Sabatier de Toulouse et un réseau d'équipes européennes, un nouveau modèle numérique de prévision du temps à courte échéance et à échelle très fine. Baptisé Arome, cet outil vise tout particulièrement la prévision des orages. Les crues rapides sont occasionnées par ces phénomènes localisés, que les modèles numériques actuels ne peuvent pas appréhender. Leurs "mailles", d'une résolution de 10 km de côté sur la France, sont en effet trop lâches.

"Arome, avec une résolution de 2 à 3 km, permet enfin de simuler la croissance des nuages d'orage", indique Eric Brun, directeur scientifique de Météo France. Pour ce faire, il faut être capable d'estimer les déplacements d'air verticaux au sein de ces formations très actives, mais aussi de calculer les échanges thermiques, qui commandent la formation des gouttes. L'ensemble de ces phénomènes ayant un lien direct avec la surface du sol: une zone urbanisée, un lac ou une forêt n'auront pas le même impact sur la genèse des nuages.

Arome devra donc prendre en compte tous ces paramètres, au prix de calculs "300 fois plus coûteux qu'aujourd'hui", évalue Eric Brun. Pour le faire "tourner" en vraie grandeur, Météo France devra se doter en 2006-2007 d'un nouveau calculateur, capable d'effecteur 5 à 10 téraflops (milliers de milliards d'opérations par seconde). Le calculateur actuel ne pourrait livrer sa prévision qu'après que l'orage a eu lieu...

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 18.09.05


Le Monde / Sciences
Le réchauffement suspect de favoriser les phénomènes cycloniques les plus violents

 S elon une étude américaine publiée vendredi 16 septembre dans la revue Science, les cyclones tropicaux ont eu tendance, ces trente-cinq dernières années, à devenir de plus en plus violents. Les auteurs de ces travaux, dirigés par Peter Webster, professeur au Georgia Institute of Technology d'Atlanta (Etats-Unis), font un lien entre ces changements et l'augmentation de la température de surface des océans, due au changement climatique en cours.

Les résultats de M. Webster et de ses collègues tiennent compte de tous les bassins océaniques (Atlantique, Pacifique, océan Indien). Ils indiquent, sans équivoque, que la proportion de cyclones de catégorie 4 ou 5 (les deux niveaux les plus élevés de l'échelle de Saffir-Simpson) a eu tendance à augmenter continûment depuis 1970. Toutes régions du globe confondues, le taux moyen de ces ouragans ­ comparables en puissance à Katrina ­ est ainsi passé de 18% environ entre 1970 et 1974 à plus de 30% entre 2000 et 2004.

Dans le Pacifique-Ouest, par exemple, la proportion moyenne d'ouragans de catégorie 4 ou 5 a été de 25% entre 1975 et 1989.

Cependant, les observations de M. Webster et de ses coauteurs indiquent que, parallèlement, le nombre d'ouragans des catégories 1, 2 et 3 a chuté au cours de la même période. En conséquence, le nombre total de cyclones n'a globalement pas varié. La vitesse maximale des vents générés par les phénomènes cycloniques n'a pas, elle non plus, subi de changements sensibles depuis 1970. De même, la durée moyenne des cyclones n'a pas sensiblement évolué.

La publication de ces travaux intervient alors que la communauté scientifique n'est pas parvenue à un consensus sur la responsabilité du réchauffement climatique dans l'augmentation de l'activité cyclonique remarquée depuis le début des années 1990. Pour certains climatologues, l'actuelle suractivité peut être mise au compte de cycles sans rapport clair avec le réchauffement. Ils rappellent, par exemple, que les saisons cycloniques des années 1920-1930 et 1950-1960 ont été particulièrement actives. De plus, argumentent certains, les zones à risques sont de plus en plus peuplées et les dégâts matériels occasionnés ­ à magnitude cyclonique égale ­ s'en trouvent accentués. L'attention médiatique portée à ces catastrophes naturelles parachèverait de donner l'impression fallacieuse que les ouragans sont aujourd'hui plus dévastateurs que par le passé.

Pour leurs contradicteurs, l'augmentation de la puissance des cyclones est un fait et le changement climatique est le principal suspect pour expliquer cette évolution. Les travaux de M. Webster et ses collègues viennent accréditer un peu plus ces idées.

Les débats n'en promettent pas moins d'être vifs. En début d'année, un climatologue américain réputé, Chris Landsea, a démissionné avec fracas du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC), accusant un autre membre non moins réputé de cette institution, Kevin Trenberth, d'avoir évoqué devant la presse un lien entre changement climatique et suractivité cyclonique. Alors même que la question n'est, formellement, pas scientifiquement tranchée.

Dans une tribune publiée en juin par Science , M. Trenberth, patron du département d'analyse climatique du National Center for Atmospheric Research (NCAR), a précisé sa position. "On peut s'attendre à ce que [les] changements [environnementaux] affectent l'intensité des ouragans et les précipitations qu'ils engendrent, mais les effets sur leur fréquence demeurent peu clairs, écrivait-il en conclusion de son article. La question-clé n'est pas de savoir s'il y a plus ou moins de cyclones mais, plutôt, de savoir comment ils sont en train de changer."

La publication de M. Webster et de ses collègues donne raison à M. Trenberth.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 18.09.05


Le Monde / Sciences
Une équipe française a réussi à régénérer le tissu cardiaque d'un mouton par greffe de cellules souches
Photo de cellule souche. | AFP
AFP
Photo de cellule souche.

 U ne étape expérimentale nouvelle vient d'être franchie dans l'utilisation des cellules souches embryonnaires dans la réparation de tissus aussi essentiels que le muscle cardiaque lésé après un infarctus du myocarde. Chez l'animal, il est possible de régénérer des cellules du coeur, endommagées par un infarctus, grâce à une greffe de cellules souches embryonnaires préalablement orientées vers une différenciation en lignée cardiaque.

Un privilège immunologique

Il existe des spécificités individuelles et d'espèces qui expliquent qu'en cas de greffe un traitement immunosuppresseur soit indispensable pour éviter le rejet du greffon par l'hôte. Les travaux de l'équipe de Michel Pucéat et Philippe Menasché donnent à penser que les cellules souches embryonnaires posséderaient le "privilège immunologique" de ne pas être rejetées lors d'une greffe entre espèces animales aussi différentes que la souris et le mouton. Et ce même en l'absence de traitement immunosuppresseur. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces propriétés que n'ont pas les cellules souches adultes. Ces cellules pourraient ne pas être reconnues comme étrangères par l'hôte car elles n'exprimeraient pas ou peu à leur surface les antigènes du "complexe majeur d'histocompatibilité" , autrement dit ceux des gènes dont la fonction est la reconnaissance du soi et du non-soi. Elles pourraient peut-être induire chez l'hôte un état de tolérance à leur égard. En tout cas, il existe des interactions locales qui permettent à des cellules préorientées d'achever leur différenciation une fois greffées.

C'est ce que rapporte l'article de l'équipe française réunie autour du docteur Michel Pucéat (Centre de recherche de biochimie moléculaire, CNRS FRE2593, Montpellier) et du professeur Philippe Menasché (pôle cardio-vasculaire, Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris), publié dans la revue britannique The Lancet, datée du 17 septembre. Bien qu'encore non éprouvée chez l'homme, cette technique ouvre la perspective d'une réponse thérapeutique aux graves séquelles de l'infarctus, à commencer par l'insuffisance cardiaque.

Celle-ci traduit l'incapacité du coeur à assurer son rôle de pompe et de moteur de la circulation sanguine. Elle est le plus souvent la conséquence d'accidents ischémiques, où des zones de la paroi musculaire cardiaque ne sont plus irriguées par les artères coronaires, ce qui entraîne la nécrose de cellules cardiaques, les cardiomyocytes, comme cela se passe lors d'un infarctus. La force de contraction du muscle cardiaque va être d'autant plus diminuée que la zone concernée est importante.

Cette dégradation a pour conséquence une baisse de l'irrigation des organes en sang oxygéné et un mauvais retour du sang veineux vers le coeur. Le travail supplémentaire demandé au muscle cardiaque indemne atteint tôt ou tard un stade où il ne peut plus faire face aux besoins.

Quand on sait que la maladie coronarienne est responsable de la moitié des 165 000 décès dus chaque année en France aux maladies cardio-vasculaires, on mesure l'ampleur du problème chez les personnes n'ayant pas succombé à un infarctus et qui en gardent des séquelles. S'il n'existe pas de données précises sur la prévalence de l'insuffisance cardiaque, diverses études donnent une fourchette allant de 3% à 10% de la population âgée de plus de 65 ans.

Les cellules du myocarde possèdent peu de capacités régénératives. D'où l'idée d'oeuvrer à une restauration du tissu musculaire cardiaque lésé par la greffe de cellules souches. L'équipe de Michel Pucéat et Philippe Menasché avait déjà apporté en 2002 la preuve de l'efficacité de ce procédé, en greffant des cellules souches embryonnaires de souris chez des rats ayant eu un infarctus provoqué expérimentalement. Elle s'est ensuite attelée à l'étape suivante: démontrer sur un animal plus gros, le mouton en l'occurrence, que la technique était viable.

Pour cela, les auteurs ont mené chez 18 moutons l'expérience suivante: ils ont provoqué chez chacun d'eux un infarctus du myocarde en bouchant par une embolisation une artère coronaire. Après s'être assurés que le territoire cardiaque concerné ne se contractait plus normalement, les chercheurs ont réparti les moutons en deux groupes. L'un servait de groupe contrôle, tandis que les 9 moutons de l'autre groupe recevaient la greffe de cellules souches, par injection dans la zone affectée par l'infarctus (de 1 à 2 millions de cellules dans chacun des 25 lieux d'injection pour chaque animal).

Les cellules souches embryonnaires utilisées étaient les clones de cellules de souris, cultivées pour les orienter vers un lignage de cellules cardiaques, et portant des gènes permettant de les suivre à la trace.

AMÉLIORATION FONCTIONNELLE

"Nous avons apporté la preuve du principe que les cellules souches embryonnaires correctement préorientées vers un lignage cardiaque achèvent de se différencier complètement en cellules cardiaques une fois qu'elles sont implantées dans le tissu où a eu lieu l'infarctus", résume le professeur Menasché. Ces cellules repeuplent ainsi le territoire cicatriciel.

A l'inverse, d'autres travaux ont montré que les cellules souches multipotentes issues de la moelle osseuse pas plus que les cellules musculaires ne possèdent cette capacité à se différencier en cellules cardiaques.

Le contrôle par échographie chez les 18 moutons a permis de constater que les animaux ayant reçu les cellules souches embryonnaires avaient une amélioration de leur fonction cardiaque, tandis que celle-ci se dégradait chez les animaux du groupe contrôle. La différenciation des cellules greffées se traduit donc par une amélioration fonctionnelle.

Le travail de l'équipe française attire également l'attention sur ce que les auteurs évoquent comme un possible "privilège immunologique" des cellules souches embryonnaires qu'ils ont greffées. En effet, bien qu'appartenant à une autre espèce animale que le mouton, ces cellules n'ont pas suscité de réaction inflammatoire ou de rejet, sans avoir recours à un traitement immunosuppresseur.

"Ce privilège immunologique des cellules souches embryonnaires, constaté lors de greffes chez le rat et à présent chez le mouton, pourrait faire envisager une application requérant des conditions d'immunosuppression moins drastiques qu'on ne le pensait" , commente le professeur Menasché.

De même, les cellules souches embryonnaires sélectionnées par les chercheurs français n'ont pas entraîné la formation de tumeurs, l'un des effets secondaires redoutés avec l'utilisation clinique de cellules souches embryonnaires.

Ce travail ouvre donc une perspective thérapeutique qui devra passer par d'autres étapes animales (le singe) avant de passer à l'expérimentation humaine.

Paul Benkimoun
Article paru dans l'édition du 18.09.05


Le Monde / International
Les policiers israéliens responsables de la mort de treize Arabes ne seront pas poursuivis

Des représentants de la communauté arabe d'Israël ont élevé de vives protestations et menacé dès samedi de faire appel à des instances internationales si une telle décision était prise. "C'est une décision inique que nous ne sommes pas prêts à accepter. Nous ne ne sommes pas disposés à passer l'éponge et à permettre aux policiers coupables de ne pas être inquiétés et s'il le faut nous nous adresserons à des instances internationales", a déclaré dimanche aux journalistes, Shawki Khatib, le président d'un comité représentatif de la minorité arabe israélienne.

"On ne peut faire ainsi fi du sang de nos fils. C'est une affaire ultra sensible et potentiellement explosive", a averti le député arabe israélien Azmi Bishara . "Depuis le début, il était clair que la police des polices couvrirait les auteurs de ces crimes plutôt que de les poursuivre", a-t-il ajouté.

De son côté, une députée de gauche, Zaava Galon, a dénoncé cette décision qui "constitue, selon elle, un mépris de la vie humaine et contredit les recommandations d'une commission précèdente".

LA POLICE "A PRIORI HOSTILE" AUX ARABES

En octobre 2000, douze Arabes israéliens et un Palestinien installés en Israël avaient été tués par des tirs de la police lors de manifestations violentes de solidarité avec les Palestiniens, peu après le début de l'Intifada, à la fin du mois de septembre de la même année.

Dans un rapport rendu public en septembre 2003 après deux ans et demi de travaux, une commission étatique présidée par le juge Théodore Orr avait infligé un blâme sévère à la police, sans réclamer de poursuites judiciaires spécifiques.La commission avait lié les violences d'octobre 2000 à "l'incapacité des différents gouvernements israéliens à traiter de façon équitable la minorité arabe" qui représente 19% environ de la population globale. L'Etat "n'a pas fait assez pour mettre fin à la discrimination (subie par cette population) pour lui donner des droits égaux ni pour imposer en son sein la loi et l'ordre", soulignait la commission.

La police était accusée d'avoir eu une attitude "a priori hostile" envers la minorité arabe et d'avoir caché aux responsables politiques le fait qu'elle avait tiré à balles réelles pour réprimer des émeutes.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 18.09.05 | 14h35


Le Monde / Europe
Les différentes coalitions possibles

 V oici les différents scénarios de coalition gouvernementale en Allemagne, la "grande coalition" entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates étant, mathématiquement, la plus sûre.

Une "grande coalition" ou "noire-rouge", entre l'Union chrétienne-démocrate d'Angela Merkel (CDU, représentée par la couleur noire) et le Parti social-démocrate du chancelier Gerhard Schöder (SPD, couleur rouge).

La CDU et sa soeur bavaroise, l'Union chrétienne-sociale (CSU), disposeraient, ensemble avec le SPD, de la majorité la plus confortable, avec moins de 70% des suffrages.

Déjà expérimenté entre 1965 et 1969, ce type de coalition entre les deux grands partis populaires est pourtant décrié comme porteur de risques d'immobilisme en matière de réformes. CDU et SPD l'avaient tous deux catégoriquement rejetée pendant la campagne.

Gerhard Schröder a encore exclu dimanche soir de négocier une grande coalition sous la direction de la candidate conservatrice, Angela Merkel. Il a revendiqué pour lui-même la direction d'une telle coalition.

Une coalition "feu tricolore" entre le SPD (rouge), les libéraux du FDP (jaune) et les Verts. Jugée purement hypothétique il y a quelques jours, elle est à nouveau d'actualité depuis que le chancelier Gerhard Schröder a dit vouloir entamer des négociations "avec tous les partis" sauf la gauche contestataire. Le FDP, qui s'est déjà allié au SPD dans les années 1970/80, a réalisé le score très honorable de 10% des voix environ.

Jamais expérimentée au niveau fédéral, la coalition de type "feu tricolore" a déjà existé au niveau régional, mais brièvement. Si elle peut tenir sur les questions de société, elle pourrait vite apparaître divisée sur les questions économiques et sociales.

La direction du FDP s'y oppose catégoriquement et le SPD ne peut espérer rallier que des députés dissidents.

La coalition "noire-jaune" (conservatrice-libérale), qui était l'objectif affiché d'Angela Merkel, est renvoyée aux calendes grecques. Les conservateurs et les libéraux sont loin d'arriver à la majorité de sièges nécessaires.

La coalition "rouge-verte" sortante de Gerhard Schröder et du ministre des affaires étrangères, Joschka Fischer, n'a quant à elle aucune chance d'être reconduite.

La coalition "rouge-rouge-verte" (entre sociaux-démocrates, la gauche contestaire du Parti de gauche et les Verts) est exclue. Le SPD et les Verts l'ont catégoriquement rejetée. Le Parti de gauche, avec 8,5% des suffrages, permettrait pourtant au chancelier d'avoir une majorité.

Toutefois, il ne peut être exclu que des députés de ce nouveau groupe parlementaire soutiennent un governement Schröder.

La coalition "jamaïcaine noire-jaune-verte" (en référence aux couleurs du drapeau jamaïcain) entre CDU-CSU, les libéraux du FDP et les Verts. Nouvelle dans le jargon journalistique, c'est la coalition la moins probable, en raison des divergences idéologiques entre chréteins-démocrates et libéraux d'une part, et écologistes de l'autre.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 18.09.05 | 22h18


Le Monde / Chats
Elections allemandes: les leçons du scrutin
L'intégralité du débat avec Daniel Vernet, journaliste au "Monde", lundi 19 septembre 2005

Gael: Comment expliquez-vous le résultat décevant d'Angela Merkel ? Son manque de charisme, les propositions de Kirchof en matière fiscale, le report de voix sur le FDP ?
Daniel Vernet:
Je pense que plusieurs éléments ont joué. Les trois que vous mentionnez se sont cumulés. Angela Merkel a fait sans doute une campagne beaucoup moins bonne que M. Schröder. Ensuite, les propositions fiscales de Kirchhof ont un peu semé le trouble dans l'esprit des Allemands, d'autant plus qu'Angela Merkel a paru hésiter entre les mesures radicales proposées par Kirchhof et le programme plus modéré de son parti. Et enfin, en effet, certains électeurs, pour renforcer l'allié éventuel de la CDU, ont donné leur deuxième voix aux libéraux, ce qui explique à la fois le score élevé du parti libéral et la faiblesse du score chrétien-démocrate.

Gael: Les Allemands ont voté, mais in fine ce sont les partis politiques qui vont choisir la coalition qui va gouverner l'Allemagne et donc l'orientation politique du pays pour les années à venir. Cela ne pose-t-il pas un petit problème démocratique ?
Daniel Vernet:
C'est le système allemand qui est comme ça. C'est un système parlementaire, donc ce sont des élections indirectes, en quelque sorte. Le chancelier n'est pas élu au suffrage universel. On n'est pas dans une République plébiscitaire. En principe, en votant pour des partis, les électeurs se prononcent aussi pour des coalitions, et donc, indirectement, pour le chancelier. Sauf cas exceptionnel, quand il y a une forte dispersion des voix et pas de majorité évidente, comme c'est le cas aujourd'hui.

Panorama: Que pensez-vous des propos de M. Schröder qui a réclamé la chancellerie pour lui hier soir ?
Pariso-berlinois: Personnellement, je ne comprends pas que Schröder s'accroche à la chancellerie. Il a convoqué ces élections, sur un mode plébiscitaire. Il voulait provoquer une réaction de rejet ou d'adhésion claire. Il n'y a pas de réponse claire. Quel est son plan B ?
Daniel Vernet:
Ce sont effectivement des déclarations qui peuvent étonner. Gerhard Schröder emploie un argument un peu spécieux en essayant de dire que la CDU et la CSU sont deux partis différents, et que donc le Parti social-démocrate est arrivé en tête, devant la démocratie-chrétienne. Je crois que Schröder sait bien que l'issue la plus probable, c'est une grande coalition, mais avant d'entamer les négociations, il veut faire monter les enchères.

"C'EST TRÈS DIFFICILE DE FAIRE UN PRONOSTIC"

Nico: La coalition qui devrait se former prochainement peut-elle durer ? Que ce soit CDU + SPD, SPD+FDP+Verts,...
Daniel Vernet:
C'est très difficile de faire un pronostic quand on ne sait pas quel type de coalition va sortir des négociations. Mais il est en effet fort possible que les partis qui vont s'entendre pour former un gouvernement concluent un programme limité, à la fois sur la substance et dans le temps, autrement dit, ils vont sans doute prévoir quelques réformes pour une durée de quelques années, peut-être la moitié de la législature, deux ans, avant de se retourner vers les électeurs pour qu'ils tranchent de nouveau entre le centre-droit et le centre-gauche.

Fabrice: Peut-on considérer que le système allemand, très favorable à la représentation des petits partis, pose problème au vu de la difficulté pour les deux grandes formations populaires que sont le SPD et la CDU/CSU de former un gouvernement de coalition ?
Daniel Vernet:
Le système allemand n'est pas a priori très favorable aux petits partis, parce qu'il prévoit un minimum de 5% des suffrages pour qu'un parti soit représenté au Parlement. Et pendant de longues années, il n'y a eu que trois partis représentés au Bundestag: la démocratie-chrétienne, les sociaux-démocrates et les libéraux. Et les libéraux, en penchant tantôt d'un côté tantôt de l'autre, décidaient finalement de la nature du gouvernement. La situation a changé à partir de 1983, quand les Verts sont entrés au Parlement, et maintenant on a un nouveau parti, le parti de la gauche radicale, qui change en effet le paysage politique. On assiste en Allemagne, comme dans d'autres pays européens, en France par exemple, à un émiettement des forces politiques qui, à terme, pourrait changer la nature des institutions.

Gael: Une coalition "Jamaïque" entre la CDU, le FDP et les Verts est-elle viable alors que sur les questions diplomatiques et environnementales, qui relevaient jusqu'à présent de la compétence de Fischer et Trittin, leurs positions paraissent antagonistes?
Daniel Vernet:
Après les résultats d'hier, tout est possible. Cependant, cette coalition "jamaïcaine" entre les Noirs, les Jaunes et les Verts me paraît peu probable. Elle n'a jamais existé encore en Allemagne, et je crois qu'avant qu'elle soit possible, il faudrait qu'elle ait été expérimentée dans les gouvernements régionaux. Mais il est quand même théoriquement possible de penser qu'un compromis limité pourrait être trouvé entre ces trois partis.

"EXCELLENTE CAMPAGNE ÉLECTORALE DE JOSCHKA FISCHER"

Ardéa: Comment expliquez-vous que les Verts soient parvenus à se maintenir à peu près au même score qu'il y a trois ans ?
Daniel Vernet:
Je crois que c'est dû essentiellement à l'excellente campagne électorale de Joschka Fischer, comme il y a trois ans aussi. Les Verts sont capables d'attirer vers eux un électorat plus contestataire, écologiste, voire pacifiste, mais qui n'a pas voulu voter pour l'extrême gauche parce que ce parti d'extrême gauche comprend des anciens communistes de l'Est, alors que du côté des Verts, il y a eu, après la réunification, quelques dissidents d'Allemagne de l'Est, des défenseurs des droits de l'homme en Allemagne de l'Est, qui ont rejoint le parti des Verts. Donc il y a un antagonisme entre les Verts et la gauche radicale.

Ardéa: De quelle droite européenne le FDP est-il le plus proche ? J'ai du mal à le situer: ressemble-t-il au parti libéral britannique ? Aux "sarkozystes" ? A l'UDF ?
Daniel Vernet:
C'est vrai qu'il est très difficile à situer, et il n'y a pas beaucoup de comparaisons possibles avec des formations d'autres pays européens. Dans une certaine mesure, en effet, il est assez proche du parti libéral britannique, mais historiquement, les libéraux allemands viennent de deux familles politiques différentes: d'une part, les libéraux au sens économique du terme, qui sont pour la libre entreprise, qui représentent les professions libérales, et d'autre part, les libéraux au sens politique du terme, qui sont plus attachés au respect des droits de l'homme, au respect des libertés individuelles. Je dirais que les premiers ont plus de facilité à former des coalitions avec la démocratie-chrétienne, et les seconds, avec les sociaux-démocrates. Actuellement, ce sont les libéraux "économiques" qui semblent dominer dans le parti libéral allemand.

Gael: L'Allemagne a un système de vote à la proportionnelle et les deux principaux partis réalisent 70% des voix. La France est adepte du système majoritaire et Jacques Chirac et Lionel Jospin n'ont réalisé que 35% des voix à eux deux. Comment expliquez-vous cette situation?
Daniel Vernet:
Il faut bien voir que les deux systèmes sont totalement différents et qu'il est difficile de comparer une élection législative en Allemagne et une élection présidentielle en France. Le système allemand a ceci de particulier que la moitié des députés sont élus au scrutin uninominal à un tour, dans les circonscriptions. Là, il suffit d'avoir la majorité relative pour être élu. Et l'autre moitié est élue à la proportionnelle sur des listes établies par les partis politiques. Par exemple, hier, Oskar Lafontaine, le chef du parti de la gauche radicale, était candidat dans une circonscription de la Sarre, il n'a pas été élu, mais il était en même temps numéro un sur la liste de son parti en Rhénanie-Westphalie, et donc il entrera au Bundestag par ce scrutin de liste. L'autre particularité, qui est la conséquence de la première, c'est que chaque électeur allemand a deux voix. Avec la première, il vote pour un candidat dans la circonscription où il habite. Et avec la deuxième, il vote pour la liste d'un parti. Et ce sont les deuxièmes voix qui déterminent la composition du Bundestag. Autrement dit, la force des partis au Parlement est déterminée à la proportionnelle, selon le décompte des deuxièmes voix.

DES ALLEMANDS "ATTACHÉS À LA STABILITÉ DE LEURS INSTITUTIONS"

Saturday night fever: D'après vous, la confusion issue du vote est-elle de nature à pousser les Allemands à réformer leur système électoral en réduisant le rôle de la proportionnelle ?
Daniel Vernet:
Evidemment, c'est une question que l'on peut se poser. Mais je ne crois pas, car les Allemands sont attachés à la stabilité de leurs institutions. Ils ont fait l'expérience dans les années 1920, sous la République de Weimar, des dangers de l'instabilité institutionnelle, qui est une des raisons de l'arrivée au pouvoir des nazis. Donc je crois qu'ils hésiteront longtemps, beaucoup, avant de changer leur système électoral. Nico: Peut-on avoir des majorités minoritaires du type CDU+FDP ou SPD+Verts avec accord tacite du camp adverse, mais blocage sur tous les sujets sensibles ?
Daniel Vernet:
Théoriquement c'est possible. Mais pratiquement, c'est difficilement envisageable, surtout parce que la démocratie-chrétienne dispose d'une large majorité au Bundesrat, la Chambre des Etats. Or plus de 60% des lois doivent avoir l'accord de cette deuxième chambre. Donc pour gouverner, quelque gouvernement que ce soit aura besoin de faire des compromis avec la démocratie-chrétienne.

Saturday night fever: La coalition qui se profile, avec ce qu'elle promet d'immobilisme et d'absence de leadership, n'est-elle pas de triste augure pour ceux qui espéraient voir le couple franco-allemand rétablir son influence dans l'UE ?
Daniel Vernet:
C'est vrai que la difficulté d'obtenir un gouvernement stable en Allemagne ne va pas faciliter la relance de l'Europe, surtout parce que le partenaire français va entrer lui aussi en campagne électorale pour la présidentielle de 2007. Donc il ne faut pas s'attendre à de grandes initiatives européennes du côté franco-allemand.

Fabrice: Pourquoi l'Est a-t-il autant voté pour le parti Linkspartei ? Réflexe identitaire ? Problèmes économiques ? Les deux à la fois ?
Daniel Vernet:
Je crois en effet les deux à la fois. Le chômage à l'Est est le double de ce qu'il est à l'Ouest. Dans certains endroits, il atteint 30 à 35%. Et puis les Allemands de l'Est se sentent souvent un peu méprisés par leurs concitoyens de l'Ouest. Et Edmund Stoiber, le leader bavarois, n'a rien arrangé en laissant entendre que c'était des "frustrés" et qu'il ne fallait pas que ces Allemands de l'Est décident de l'issue des élections.

Michel: Comment les exclus, les chômeurs, les travailleurs pauvres ont-ils voté ?
Daniel Vernet:
Je n'ai pas encore vu d'enquête très précise sur qui a voté quoi. Mais parmi les électeurs du parti de la gauche radicale, il y a 25% de chômeurs. C'est le seul chiffre que j'ai vu jusqu'à maintenant, mais qui est significatif.

Alex: Comment la situation économique en Allemagne va-t-elle souffrir de ce blocage politique ?
Daniel Vernet:
Blocage politique, il faut faire attention. Il est fort possible et même probable que dans trois semaines, un mois, une coalition gouvernementale aura été formée et ce délai peut paraître long, mais c'est le délai normal pour la formation d'un gouvernement en Allemagne, même quand la coalition annoncée avant les élections a obtenu la majorité absolue. Ensuite, il faudra voir quel est le programme de cette coalition, et c'est à ce moment-là que l'on pourra juger si l'économie risque de souffrir ou non de la situation politique.

Eric 1: Ne pensez-vous pas, quel que soit le futur " vainqueur ", qu'il ou elle va manquer de crédibilité et de force politique pour reconquérir une population allemande encline au doute ?
Daniel Vernet:
En effet, ça dépendra je pense de la manière dont la coalition va se former et si cette coalition n'apparaît pas trop artificielle, si elle a à sa tête un leader crédible, Merkel, Schröder ou quelqu'un d'autre. Dans ces conditions, le prochain gouvernement pourrait mener une politique courageuse qui redonne confiance aux Allemands. Mais c'est un pari qu'il est difficile de prendre aujourd'hui.

Chat modéré par Fanny Le Gloanic et Stéphane Mazzorato
LEMONDE.FR | 19.09.05 | 18h08


Le Monde / International
Les différents scénarios à l'issue de la réunion de l'AIEA

 L' exécutif de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a commencé, lundi 19 septembre, une réunion d'une semaine à Vienne qui doit surtout être consacrée au refus de l'Iran de renoncer au combustible nucléaire. La"troïka" européenne et les Etats-Unis devraient presser le bureau directeur de l'Agence d'adopter une résolution exigeant le renvoi du dossier nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité des Nations unies.

Traditionnellement, le bureau directeur de l'AIEA ne vote pas les résolutions mais les adopte par consensus. Mais, d'après des diplomates, l'éventuelle résolution de l'Union européenne appelant à la saisine du Conseil de sécurité devrait être soumise au vote, comme ce fut le cas en février 2003 concernant le nucléaire nord-coréen.

Le conseil des gouverneurs de l'AIEA est composé de trente-cinq pays. L'Inde, le Pakistan, le Venezuela et l'Afrique du Sud sont opposés à une saisine du Conseil de sécurité, tout comme la Chine, la Russie et le Brésil. A l'issue de la réunion de l'AIEA, trois scénarios sont possibles:

Echec de la résolution : les pays occidentaux, emmenés par l'UE et les Etats-Unis, perdent le vote de la résolution. L'Iran échappe par conséquent à la menace de sanctions de la part de l'ONU.

Ultimatum: les Occidentaux acceptent le compromis proposé par le directeur général de l'AIEA, Mohamed ElBaradei. Ce dernier suggère qu'un ultimatum soit lancé à l'Iran pour qu'il suspende ses activités nucléaires sensibles, dont il a annoncé la reprise le mois dernier. Cette solution semble bénéficier d'un large soutien au sein du conseil des gouverneurs et permettrait de repousser une éventuelle confrontation avec Téhéran.

Résolution approuvée: si la résolution américano-européenne est approuvée, le Conseil de sécurité de l'ONU est alors saisi. Or l'Iran avait menacé dans ce cas de reprendre ses activités d'enrichissement sur le site de Natanz et de réduire sa coopération avec l'AIEA.

En cas de saisine du Conseil de sécurité de l'ONU, la Chine et la Russie, qui y bénéficient d'un droit de veto en tant que membres permanents, peuvent s'opposer à toute prise de sanctions. Dans le cas de la Corée du Nord, le Conseil de sécurité n'a pris aucune mesure depuis sa saisine, en février 2003. Si Moscou et Pékin n'usent pas de leur droit de veto, le Conseil de sécurité peut publier une déclaration soutenant le travail de l'AIEA et appelant Téhéran à suspendre ses activités d'enrichissement.

Le Conseil de sécurité pourrait accorder des pouvoirs accrus aux inspecteurs de l'AIEA, comme ce fut le cas en Irak avant le déclenchement de la guerre en 2003. Il exigerait alors des comptes rendus réguliers de la part e M. ElBaradei sur l'évolution des inspections. En théorie, le Conseil peut donner son feu vert à des actions miltaires, hypothèse peu probable selon des diplomates.

Les Etats-Unis et l'UE pourraient également presser l'ONU d'adopter des sanctions diplomatiques et des interdictions de déplacements pour les responsables du régime iranien. Des sanctions économiques, comme celles imposées à la Libye et à la Chine, pourraient aussi être décidées. Il semble cependant peu probable que l'Iran fasse l'objet d'un embargo commercial généralisé.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 19.09.05 | 11h53


Le Monde / Société
Compte rendu
Accusé de viol sur mineur, le prêtre Denis Vadeboncœur reconnaît ses torts

 D enis Vadeboncœur, un prêtre canadien de 65 ans accusé de viols sur mineur de 15 ans, s'est dit "responsable de tout", lundi 19 septembre, à l'ouverture de son procès devant la cour d'assises de l'Eure, à Evreux. Il est passible de vingt ans de réclusion criminelle.

Alors qu'il n'avait jamais reconnu, dans la relation "amoureuse"  avec le jeune Jean-Luc, son accusateur, qu'une responsabilité limitée, parlant même de "détournement de majeur", il a déclaré: "Jean-Luc n'est pas responsable; c'est lui la victime, c'est pas moi."

Denis Vadeboncœur, qui avait été condamné en 1985 au Canada à vingt mois d'emprisonnement pour "grossière indécence, sodomie et agressions sexuelles sur des adolescents", avait été nommé en 1988 curé de la paroisse de Lieurey, au contact de jeunes gens, par l'évêque d'Evreux d'alors, Mgr Jacques Gaillot.

L'ÉVÉCHÉ D'ÉVREUX GRAVEMENT MIS EN CAUSE

L'évêché d'Evreux a été gravement mis en cause, lundi, par un policier du SRPJ de Rouen, qui a enquêté pour tenter de découvrir si Denis Vadeboncœur, qu'il surnomme le "prédateur", avait fait d'autres victimes que Jean-Luc entre 1988 et 2000 dans l'ouest de l'Eure.

Le commandant Jean-Yves Briand a dénoncé la disparition de pièces du dossier de Vadeboncœur à l'évêché, pour laquelle a été mis en cause un ancien secrétaire de Mgr Gaillot. Il a reproché au successeur de Mgr Gaillot, Mgr Jacques David, en fonction quand l'affaire a éclaté, d'avoir alors publié une lettre ouverte à ses paroissiens pour leur demander "compassion et miséricorde" pour le prêtre Vadeboncœur, "sans aucun mot pour la victime".

Il s'en est pris également à Mgr Gaillot, "parfaitement au courant" du passé judiciaire de Vadeboncœur, mais qui, "pensant que 'tout le monde il est beau et gentil', ne voit pas de difficulté à lui confier une paroisse avec des enfants".

Mgr Jacques Gaillot a déclaré qu'il "regrettait" d'avoir nommé Denis Vadeboncoeur alors qu'il avait déjà été condamné au Canada pour des actes de pédophilie et qu'il le savait. Laborieusement, il a expliqué qu'il avait été "sensible à un appel au secours" du prêtre canadien, ajoutant reconnaître aujourd'hui avoir "fait une erreur". Mgr Gaillot a indiqué qu'à l'époque "il était moins sensible à ce problème de la pédophilie qu'aujourd'hui".

Mgr Gaillot n'a pas pu expliquer la disparition de l'évéché du dossier de Vadeboncoeur, assurant toutefois qu'il était encore plein à son départ. Son successeur, Mgr Jacques David, a ensuite déclaré que le dossier était vide à son arrivée à Evreux. Les deux évêques se sont également contredits sur ce que Mgr Gaillot avait dit à Mgr David à propos de Vadeboncoeur en 1996, lors d'une brève rencontre à Paris avant que Mgr David ne s'installe à Evreux.

Mgr Gaillot a prétendu qu'il l'avait informé que Vadeboncoeur avait eu des "problèmes avec les jeunes" alors que Mgr David a dit qu'il avait fait état de problèmes sans autre précision et il ne s'en était pas plus soucié, ayant pris l'évéché d'Evreux dans une grande période de tension.

Mgr David a également déclaré que, "comme les Français moyens il n'avait perçu que tardivement la gravité" du problème de la pédophilie, "il y a 6 ou 7 ans".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 19.09.05 | 18h28


Le Monde / Sciences
Quatre astronautes seront envoyés sur la Lune en 2018
L'astronaute Edwin E. Aldrin, le 20 juillet 1969, sur la surface de la Lune. | AFP/NASA
AFP/NASA
L'astronaute Edwin E. Aldrin, le 20 juillet 1969, sur la surface de la Lune.

 Q uatre astronautes seront envoyés sur la Lune en 2018 à bord d'une capsule lancée par une fusée qui doit être construite pour remplacer la navette spatiale, a annoncé, lundi 19 septembre, l'administrateur de l'Agence spatiale américaine (NASA), Michael Griffin."Nous parlons de retourner sur la Lune en 2018", a-t-il déclaré.

Le séjour des astronautes devrait durer une semaine, leur offrant "quatre fois plus de temps" sur la Lune que les missions Apollo, dont la dernière s'était achevée en 1972, a-t-il précisé. Le véhicule d'exploration avec équipage (CEV), qui pourra voler pour des missions limitées à l'orbite terrestre à partir de 2012, sera largement propulsé par des moteurs dont la technologie provient de la navette spatiale, qui doit être mise à la retraite en 2010. Ce plan laissera les Etats-Unis sans moyen d'accès à l'espace pendant deux ans, a cependant souligné Michael Griffin. A partir de 2012, le CEV devrait pouvoir transporter un maximum de six astronautes sur la station spatiale internationale.

UN VAISSEAU AUTOMATISÉ

Le coût du programme est estimé à "104 milliards de dollars pour le premier retour sur la Lune", a poursuivi le patron de la NASA en précisant malgré tout que ce budget ne représentait que "55% du coût du programme Apollo" en dollars constants. Le programme "permettra d'établir une présence permanente sur la Lune" pour préparer les astronautes à des missions plus lointaines comme l'exploration de Mars, a-t-il expliqué.

Le CEV partira d'un nouveau lanceur constitué d'une fusée d'appoint du type de celles actuellement utilisées par la navette spatiale. Une fois dans l'espace, le véhicule ira s'arrimer à un vaisseau déjà en orbite comprenant l'unité permettant d'alunir. Ce vaisseau automatisé aura été lancé par un lanceur lourd constitué de deux fusées d'appoint et cinq moteurs de navette, l'ensemble de cette technologie étant dérivé du lanceur utilisé actuellement par la NASA pour placer la navette spatiale sur orbite. Ce nouveau lanceur pourra emporter une charge utile allant jusqu'à 125 tonnes. A son retour, la capsule, pouvant emporter quatre astronautes, ralentie par des parachutes, ira se poser dans le désert de l'ouest des Etats-Unis, près de la base aérienne d'Edwards (Californie).

Le plan annoncé par le patron de la NASA découle des objectifs d'exploration spatiale fixés par le président George W. Bush en janvier 2004.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 19.09.05 | 18h50


Le Monde / International
Une saisine du Conseil de sécurité de l'ONU sur le nucléaire iranien "est à l'ordre du jour"

 L e conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) se réunit, lundi 19 septembre, à Vienne. La "troïka" européenne (UE-3) et les Etats-Unis devraient presser le conseil des gouverneurs de l'agence d'adopter une résolution exigeant le renvoi du dossier nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité des Nations unies.

Téhéran doit "établir la confiance" sur ses activités nucléaires, a déclaré le ministre des affaires étrangères français, Philippe Douste-Blazy, en réaffirmant qu'une saisine par l'AIEA du Conseil de sécurité de l'ONU sur ce dossier est "à l'ordre du jour". "Nous demandons à l'Iran d'établir la confiance en offrant des garanties objectives sur la nature exclusivement pacifique de son programme", a-t-il affirmé.

De même, le sous-secrétaire d'Etat chargé des affaires politiques américain, Nicholas Burns, a déploré que le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, "ne se soit pas montré plus enclin au compromis" et n'ait "pas laissé beaucoup de marge pour la diplomatie". "Je pense qu'en fin de compte il y aura une saisine du Conseil de sécurité", a-t-il ajouté sur la BBC, sans se prononcer sur une date."Nous restons tous convaincus que l'Iran doit reprendre immédiatement le processus de négociation" avec les Européens, a également déclaré un responsable du département d'Etat américain, sous le couvert de l'anonymat.

DISCOURS "DÉCEVANT" DU PRÉSIDENT IRANIEN

Dimanche, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, ministres et diplomates ont mené d'intenses tractations sur la suite à donner au dossier nucléaire iranien. Européens et Américains ont appelé l'Iran à assouplir sa position et à revenir à la table des négociations, après le discours offensif de son président, qui a réaffirmé samedi le "droit inaliénable" de son pays à maîtriser le cycle du combustible nucléaire. Le ministre des affaires étrangères britannique, Jack Straw, a lui aussi estimé que le discours de M. Ahmadinejad était "décevant" et "d'aucun secours", tout en insistant sur la nécessité de trouver une solution diplomatique.

Des diplomates occidentaux à New York estimaient que la rigidité des propos du chef de l'Etat ultraconservateur leur donnait des arguments pour convaincre les membres indécis de l'AIEA de faire remonter le dossier au Conseil de sécurité."On ne voit pas comment l'Iran pourrait se rallier des pays indécis après un tel discours", notait un diplomate européen.

Une proposition que des entreprises étrangères soient associées à l'enrichissement d'uranium en Iran, manifestement insuffisante pour calmer les inquiétudes, n'a pas trouvé d'écho côté américain et européen.

RISQUE D"IMPASSE"

De son côté, le président russe, Vladimir Poutine, dont le pays a une importante coopération nucléaire avec l'Iran, a estimé que Téhéran coopérait "suffisamment" avec les organisations internationales sur son programme nucléaire. M. Poutine, dans un entretien à la télévision américaine Fox News enregistré avant l'intervention du président iranien mais diffusé dimanche, a mis en garde contre des sanctions onusiennes contre Téhéran, qui entraîneraient "plus de problèmes qui pourraient conduire à une impasse".

Au siège de l'AIEA à Vienne, des diplomates discernaient encore une marge de négociation. Face à ses divisions internes, l'AIEA pourrait reporter la perspective d'une saisine du Conseil de sécurité, et l'UE-3 donner un dernier délai à l'Iran pour renoncer à la maîtrise du cycle nucléaire, selon ces diplomates dans la capitale autrichienne.

Le conseil des gouverneurs de l'AIEA est composé de 35 pays, dont 14 font partie du Mouvement des non-alignés. Parmi ceux-ci, Singapour et le Pérou se disent favorables à une saisine du Conseil de sécurité. En revanche, l'Inde, le Pakistan, le Venezuela et l'Afrique du Sud y sont opposés, tout comme la Chine, la Russie et le Brésil.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 19.09.05 | 08h37


Le Monde / International
Accord nord-coréen: tournant ou belles paroles ?

 L a promesse de la Corée du Nord d'abandonner son programme militaire nucléaire apparaît comme un signe positif, mais doit être accueillie avec circonspection, tant le pays est coutumier des déclarations sans lendemain. Beaucoup d'analystes doutent en effet de la capacité de la dictature communiste à respecter ses engagements, souvent restés lettre morte par le passé.

En 1994 déjà, Pyongyang avait signé un traité bilatéral avec les Etats-Unis dans lequel il s'engageait à ne pas poursuivre de programme nucléaire. Mais en 2002, Washington révélait que la Corée du Nord avait rompu cet accord et développait en secret un programme à base d'uranium enrichi, ce que le pays dément.

Des responsables sud-coréens font également remarquer que la Corée du Nord a violé un accord bilatéral avec son voisin du Sud, signé en 1991, et dans lequel Pyongyang s'engageait à ne pas développer de programmes nucléaires.

"NI UNE PERCÉE, NI UN ÉCHEC"

Cependant, Jun Bong-geum, de l'Institut sud-coréen pour les affaires étrangères et la sécurité nationale, souligne que l'ampleur de la pression internationale pourrait infléchir la Corée du Nord. "Ils ont dit qu'ils allaient abandonner leurs programmes d'armement... Pouvons-nous leur faire confiance ? Ils ont rompu leur parole dans le passé sur des traités bilatéraux avec les Etats-Unis et la Corée du Sud... Mais, cette fois-ci, il s'agit d'un accord impliquant six participants [les Etats-Unis, la Chine, le Japon, la Russie et les deux Corées]. Cette fois-ci, nous avons d'autres témoins et d'autres donneurs de garanties. Il y a donc plus de choses en jeu", explique-t-il. "D'un côté, je peux imaginer les difficultés qu'il va nous falloir surmonter. Mais si la Corée du Nord a réellement arrêté une position, ce sera plus facile qu'en 1994", ajoute M. Jun.

"Je dirais qu'il ne s'agit ni d'une percée ni d'un échec", déclare de son côté Peter Beck, directeur à Séoul de l'organisation indépendante International Crisis Group. Si progrès il y a, il se fera  "très lentement", avertit M. Beck, soulignant que la cinquième série de négociations n'est pas prévue avant deux mois.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 19.09.05 | 12h16


Le Monde / Société
Article interactif
OGM: le procès de neuf faucheurs s'ouvre alors que le débat public monte
  1. Le procès de neuf faucheurs à Toulouse
  2. Les procès se multiplient
  3. Le débat sur la transparence est vif
Le procès de neuf faucheurs à Toulouse

 L e procès des neuf faucheurs volontaires jugés pendant deux jours à Toulouse pour un arrachage d'OGM en juillet 2004 à Menville (Haute-Garonne), une action revendiquée par 222 autres faucheurs, a débuté mardi 20 septembre.

Les neuf faucheurs sont entrés sourire aux lèvres dans la salle de la Cour d'appel, ovationnés par une cinquantaine de sympathisants anti-OGM qui les y avaient précédés, tandis qu'une cinquantaine d'autres militants demeuraient devant le palais de justice en attendant la fin de l'audience. Les manifestants regroupés devant le palais de justice ont déployé une banderole montrant un petit homme vert disant "pas d'OGM dans nos assiettes, c'est notre choix". Certains portent un petit masque blanc.

Le député Noël Mamère (Verts), le député européen Gérard Onesta (Verts), le syndicaliste paysan José Bové, les élus municipaux toulousains Francois Simon (ex PS) et Pierre Labeyrie (Verts), l'ancien secrétaire national des Verts Gilles Lemaire, le conseiller régional d'Aquitaine Gérard Daverat ainsi que Jean-Baptiste Libouban, fondateur du mouvement des faucheurs volontaires et un agriculteur, Jean-Aimé Gravas, sont les seuls pourvuivis pour le fauchage de Menville.

"DÉSOBÉISSANCE CIVIQUE"

Le 14 avril, la cour d'appel de Toulouse avait suivi la demande du parquet d'écarter 222 faucheurs volontaires d'OGM qui demandaient à être jugés avec les neuf responsables politiques et syndicaux. Cet arrêt annulait une décision du tribunal correctionnel de Toulouse du 8 novembre 2004, qui avait accepté de faire comparaître l'ensemble de ceux qui s'étaient dénoncés au nom de "l'action collective de désobéissance civique".

"Nous sommes tout à fait sereins" a indiqué à son entrée José Bové, soulignant que les anti-OGM "ont bien fait d'agir en 2004 à Menville et ailleurs car le gouvernement donne aujourd'hui la possibilité aux multinationales de mettre en culture des organismes génétiquement modifiés en plein champ". "Nous n'avons plus que cette tribune pour nous exprimer et alerter l'opinion publique sur les dangers des cultures OGM", a déclaré de son côté Noël Mamère en évoquant le procès.

La possibilité, évoquée en juillet par José Bové, de faire citer 222 témoins ou de faire venir chaque prévenu avec dix comparants a été abandonnée, indiquait-on lundi dans l'entourage des prévenus. Moins de dix témoins devraient être cités.


Les procès se multiplient

 C lermont-Ferrand. Le 16 septembre, une peine d'un mois de prison ferme a été requise par le parquet à l'encontre des douze hommes et trois femmes, âgés de 22 à 61 ans, domiciliés dans le Gard, l'Aveyron et en Auvergne notamment, poursuivis pour la "destruction en réunion" d'une parcelle de maïs transgénique à Nonette (Puy-de-Dôme), le 27 août. Le tribunal rendra son jugement le 4 novembre.

Riom. Le 15 septembre, l'avocat général a requis quatre mois de prison ferme contre Christian Roqueirol, agriculteur de l'Aveyron, qui comparaît pour des violences volontaires sur un gendarme, qu'il nie catégoriquement, lors de la destruction de la parcelle, qu'il revendique, mais pour laquelle il n'est pas poursuivi. De la prison avec sursis, assortie de l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général, a été requise contre Gilles Lemaire, ancien secrétaire national des Verts, Jean-Baptiste Libouban, fondateur du mouvement des Faucheurs volontaires, et Francis Roux, agriculteur de l'Aveyron, poursuivis pour destruction en réunion. Contre les deux derniers prévenus, poursuivis eux aussi pour destruction en réunion, il a requis une interdiction de fréquenter les coauteurs de la destruction de Marsat et de se rendre sur des essais d'OGM. Les "faucheurs volontaires" avaient participé à la destruction d'une parcelle de maïs transgénique à Marsat (Puy-de-Dôme) le 14 août 2004. Le procès a été mis en délibéré au 24 novembre.

Orléans. Le procès à Orléans de six des huit "faucheurs volontaires" d'OGM, poursuivis pour avoir participé en juillet à l'arrachage de maïs génétiquement modifié dans le Loiret aura lieu le 27 octobre. Les deux derniers comparaîtront individuellement les mercredi 21 et 28 septembre. Ils sont tous poursuivis pour "dégradation de biens en réunion". Les huit personnes poursuivies faisaient partie d'un groupe d'une cinquantaine de personnes qui avaient détruit deux parcelles de maïs OGM à Neuville-aux-Bois et à Greneville-en-Beauce (Loiret) le 7 juillet.

Le 27 octobre est également prévu à Orléans le procès de 44 "faucheurs volontaires" qui faisaient partie d'un groupe de 150 à 200 personnes qui le 14 août 2004 ont détruit une parcelle de maïs OGM à Greneville-en-Beauce (Loiret).


Le débat sur la transparence est vif

 L e débat sur la transparence des cultures d'organismes génétiquement modifiés est lancé lorsque Le Figaro révèle, le 6 septembre, que plus d'un millier d'hectares de maïs transgénique est cultivé cette année, dans le secret total, principalement par des agriculteurs du Sud-Ouest de la France.

A la suite de ces révélations, le ministre de l'agriculture promet que le vide juridique autour de la culture des OGM en France sera bientôt comblé. Dominique Bussereau annonce ainsi que la France transposera au plus tard début 2006 une directive européenne sur le sujet. La date limite pour l'adoption de cette directive était le 17 octobre 2002. La Commission européenne a rappelé la France à l'ordre à plusieurs reprises, alors que plusieurs pays ont déjà adopté des législations nationales (Allemagne, Italie, Espagne). Il s'agit de "garantir que seuls les OGM autorisés sont mis sur le marché et disséminés dans l'environnement, afin d'éviter les risques pour la santé humaine et l'environnement", expliquait la Commission en juillet.

RETARD DE LA FRANCE

L'Union européenne a adopté en 2003 une législation précise sur l'étiquetage et la traçabilité des OGM dans l'alimentation, permettant au consommateur d'opérer un libre choix. En revanche, la Commission européenne n'a fixé qu'un cadre très général pour la dissémination, laissant aux Etats membres le choix de fixer leurs propres règles à l'échelon national.

Le ministre de l'agriculture français a affirmé que le gouvernement proposerait "à l'automne" un projet de loi portant sur l'usage commercial des OGM. Mais la date reste encore à préciser. Dans un communiqué, le ministère évoque le "début de l'année 2006". Le texte rendra "obligatoire la déclaration de mise en culture", ce qui permettra de connaître les surfaces d'OGM cultivés en France, précise le ministère. Quant aux mesures de coexistence entre cultures OGM et non OGM (distances entre les cultures, régions "non OGM"), elles "seront définies sur la base de données scientifiques et techniques disponibles pour assurer la coexistence des différents modes d'agriculture" en France.

Selon le ministère, 492,8 hectares de culture de maïs génétiquement modifié ont été déclarés "sur une base volontaire" en 2005, contre 1 500 hectares en 1998. La loi devra résoudre une autre question chère aux écologistes: le régime d'indemnisation en cas de contamination accidentelle d'un champ voisin. Pour l'agriculture biologique, qui ne tolère aucune trace d'OGM détectable dans ses aliments, c'est une question de survie, estime la Fédération nationale de l'agriculture biologique. Les producteurs attendent eux aussi cette réglementation.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 13h35


Le Monde / France
La France va saisir Bruxelles du dossier Hewlett-Packard

 C ompte tenu de la portée de ce plan partout en Europe", le président Chirac "a demandé au gouvernement de saisir la Commission européenne", lors de la deuxième réunion du conseil restreint sur l'emploi, créé fin juillet, a indiqué, mardi 20 septembre, l'entourage du chef de l'Etat, sans plus de précisions.

La France est proportionnellement la plus touchée par les quelque 6 000 suppressions d'emplois prévues d'ici 2008, avec la disparition de plus du quart des 4 800 postes que compte le groupe dans l'hexagone."Sur la question de l'annonce de réductions d'effectifs au sein du groupe Hewlett-Packard", M. Chirac "a demandé au gouvernement de poursuivre tous les efforts engagés pour y répondre", selon cette source.

LES SYNDICATS GARDENT L'ESPOIR QUE LES COUPES SOIENT RÉDUITES

Le ministre délégué à l'emploi, Gérard Larcher, qui reçoit mercredi l'intersyndicale, avait déploré vendredi "le caractère brutal et non préparé des annonces" des suppressions de postes, à l'issue de sa rencontre avec le PDG de HP en France, Patrick Starck. De leur côté, les syndicats gardent l'espoir que les coupes dans les effectifs soient réduites. Ils attendent du gouvernement qu'il maintienne la pression sur la direction du groupe, défende les qualités de la France (innovation, invention) et fasse du"lobbying" auprès de la direction HP en Europe, a déclaré Christophe Hagenmuller, élu CFE-CGC au comité d'entreprise européen.

Les emplois en France "n'ont pas été défendus correctement par la direction"  française du groupe, estime le syndicaliste, soulignant "l'absence d'investissements depuis deux ans" dans l'Hexagone. M. Hagenmuller a ajouté que l'intersyndicale allait demander une entrevue avec le nouveau directeur HP Europe, Francesco Serafini, pour faire valoir la compétitivité des sites français. Le comité de groupe prévu vendredi a été reporté, "vraisemblablement de quelques jours", ce qui est "bon signe", a estimé pour sa part le secrétaire CFTC du comité de groupe, Fabrice Breton, au nom de l'intersyndicale.

La mairie de Grenoble, où est implanté un important site d'HP (2 100 salariés), a elle aussi évoqué la possibilité d'une révision à la baisse des coupes d'HP dans ses effectifs en France, après qu'une délégation conduite par le maire PS, Michel Destot, eut été reçue lundi par la direction du groupe informatique à Palo Alto (Californie). Selon la mairie, les deux parties sont convenues de poursuivre les négociations "dans les semaines à venir avec les représentants des salariés et les directions nationales et locales, susceptibles d'infléchir l'ampleur des annonces connues à ce jour". Cependant, "aucun engagement relatif (au) projet de restructuration n'a été pris lors de ce rendez-vous à la maison mère américaine", a affirmé mardi soir la direction de HP dans un communiqué.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 20h38


Le Monde / International
L'UE présente à l'AIEA sa résolution visant à saisir l'ONU du dossier nucléaire iranien

 A u deuxième jour de la réunion du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à Vienne, l'Union européenne a distribuéà ses 35 membres , mardi 20 septembre, un projet de résolution visant à saisir le Conseil de sécurité de l'ONU du dossier nucléaire iranien. Forte du soutien des Etats-Unis, l'Europe espère ainsi faire plier Téhéran devant le risque de sanctions, que seul le Conseil de sécurité est habilité à prononcer.

Selon ce texte, dont Reuters s'est procuré la version intégrale, les Vingt-Cinq demandent au Conseil de "déclarer à l'ensemble des membres de l'Agence et du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale de l'ONU (...) les nombreux manquements et atteintes de l'Iran à ses obligations relatives au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP)". La résolution recommande que le Conseil de sécurité exhorte Téhéran à accorder toute facilité d'accès à ses sites au-delà des obligations légales. Et elle appelle l'Iran à revenir à "une suspension pleine et continue de toutes ses activités relatives à l'enrichissement et au recyclage", activités pouvant servir à la fabrication d'une bombe. Enfin, le texte demande au Conseil de sécurité d'inviter l'Iran à "reprendre le processus de négociation [avec l'UE] qui avait permis de réaliser de bons progrès ces deux dernières années".

L'IRAN "NE CAPITULERA PAS"

Ce document, rédigé au départ par la "troïka" européenne (France, Allemagne et Grande-Bretagne), sera parrainé par l'ensemble des pays membres de l'UE. Il est susceptible d'être amendé, ont précisé des diplomates. Mais son adoption s'annonce délicate: le chef de l'agence de l'Energie atomique russe, Alexandre Roumiantsev, a répété que "la position de la Russie est qu'il n'y a pour l'instant pas de raison de considérer la question du nucléaire iranien comme très inquiétante et de porter le niveau des discussions à une instance plus haute, qui est le Conseil de sécurité de l'ONU"; et un autre membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine, est elle aussi hostile à cette saisine. Il n'empêche, les diplomates occidentaux se déclaraient déterminés à obtenir la saisine du Conseil de sécurité, quelque soit le temps nécessaire.

De son côté, l'Iran, se sachant au centre des discussions, a tenu à afficher sa fermeté. "Le peuple iranien, encore plus fort que par le passé et déterminé à poursuivre ses objectifs, reste debout et ne capitulera pas face aux pressions et menaces", a déclaré le Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, selon la télévision d'Etat. "Le président iranien, devant l'Assemblée générale des Nations unies et devant les yeux du monde, a affirmé avec force et puissance la position de l'Iran et ce que les Iraniens ont dans le cœur et cela montre la volonté forte et inébranlable du peuple iranien", a-t-il ajouté. Le président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad avait déclaré samedi que l'Iran refusait de suspendre ses activités nucléaires ultrasensibles à l'usine de conversion d'uranium d'Ispahan (centre), malgré l'exigence de l'AIEA.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 14h03


Le Monde / Chats
2001-2005: où en est l'Afghanistan ?
L'intégralité du débat avec Françoise Chipaux, envoyée spéciale du "Monde" en Afghanistan, mardi 20 septembre 2005

Steste: Malgré ces élections, peut-on réellement parler de démocratie en Afghanistan?
Françoise Chipaux:
Je ne pense pas qu'on puisse parler de réelle démocratie dans un pays où il n'y a aucun passé démocratique, qui est analphabète à 75%, et qui n'a aucune institution étatique qui fonctionne. Il n'y a pas de justice, il n'y a pas de police, il n'y a pas encore de réelle armée. Dans ces conditions, on peut dire que c'est un premier pas pour les Afghans de pouvoir exprimer leur opinion, mais le mot démocratie est encore un bien grand mot.

Steste: L'Afghanistan est en passe de devenir un narco-Etat. Comment faire obstacle au commerce de la drogue ?
Françoise Chipaux:
Premièrement, l'Afghanistan est déjà un narco-Etat, puisque 60% du PIB sont alimentés par la culture de la drogue. Deuxièmement, pour faire obstacle à cette culture, il faudrait d'abord punir les grands trafiquants, qui sont ceux qui poussent les fermiers à cultiver. Et ensuite, petit à petit, offrir à ceux-ci, des alternatives viables pour vivre sans drogue, pour récupérer les 2,8 milliards de dollars que leur rapporte la drogue. Mais il ne faut pas se faire d'illusion, l'élimination de la drogue en Afghanistan prendra au minimum 15-20 ans.

UNE AUGMENTATION DES PRIX DEPUIS LA CHUTE DES TALIBANS

Josette: Par rapport au niveau de vie de la population, quel est le chemin parcouru depuis la chute des talibans?
Françoise Chipaux:
D'un côté, il y a plus de travail, car dans les villes il y a beaucoup de constructions, mais le problème à l'inverse, est que les prix ont beaucoup augmenté depuis la chute des talibans, que ce soit les loyers ou le prix des produits alimentaires. Pour vous donner un exemple, un kilo de viande sous les talibans valait 50 afghanis, aujourd'hui il en vaut 150. Aujourd'hui, en Afghanistan, on a une petite frange de la population qui s'enrichit considérablement, et la grande majorité qui s'appauvrit.

Josette: Qu'en est-il de la place des femmes?
Françoise Chipaux:
La situation des femmes s'est améliorée dans la mesure où elles n'ont pas de contraintes légales pour sortir de chez elles, pour que les filles aillent à l'école, elles peuvent travailler si elles le veulent. Mais les contraintes culturelles n'ont pas disparu. Le côté positif, c'est que des femmes se sont présentées aux élections, ont dirigé des bureaux de vote. Mais pour beaucoup de femmes, rien n'a réellement changé car le poids de la culture fait qu'une femme reste très largement cantonnée chez elle, elle se mariera avec l'époux qu'aura choisi son père et elle ne pourra sortir de chez elle pour travailler qu'avec l'accord de son mari. En résumé, les contraintes légales ont disparu, mais les contraintes culturelles demeurent.

LA PRIORITÉ: "LA SÉCURITÉ"

Uok: Quelle est la priorité pour la population: la sécurité ? l'augmentation du pouvoir d'achat ? l'éducation ?
Françoise Chipaux:
La priorité, c'est la sécurité, la paix, du travail, des écoles, des routes, des hôpitaux, de l'électricité. Les priorités sont très basiques: avoir une vie normale, en sécurité, dans un pays où la loi est la même pour tout le monde.

Yakax: Etiez-vous présente au cours de l'élection présidentielle de 2004 ? Si oui, quelles comparaisons pouvez-vous faire ? Les Afghans semblent-ils moins intéressés par les enjeux locaux ?
Françoise Chipaux:
Oui, j'étais présente lors de l'élection présidentielle. Le problème, ce n'est pas que les Afghans sont moins intéressés par les problèmes locaux, mais ils avaient d'énormes attentes après l'élection présidentielle. Et en fait, rien n'a changé. Donc d'une part, il y a un désenchantement. D'autre part, le scrutin était très compliqué, car il y avait un très grand nombre de candidats, que les gens ne connaissaient pas. Pour donner un exemple, à Kaboul, il y avait 390 candidats pour l'Assemblée nationale et le bulletin de vote était de 7 page en format tabloïd dans lequel les gens devaient choisir un nom. C'est plutôt ça, le réel problème.

Uok: Quel est le poids de la religion ? Est-elle un frein à l'éducation des populations, à l'émancipation des femmes ?
Françoise Chipaux:
La religion est omniprésente, car les Afghans sont religieux, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient fondamentalistes. Mais ils sont extrêmement religieux, la plupart des Afghans font leur prière cinq fois par jour, et l'immense majorité respecte le ramadan.Mais la religion n'est pas un frein à l'éducation des filles ou à l'évolution des mœurs.

Josette: Comment est-il possible de réduire l'influence des talibans auprès de la population?
Françoise Chipaux:
Pour cela, il faudrait que le gouvernement nomme des gens compétents, honnêtes, que sa présence soit ressentie dans les districts frontaliers où, aujourd'hui, il est quasiment absent, et dans la plupart des régions où les talibans sont actifs, les gens n'ont rien eu des dividendes de la paix. Aujourd'hui, l'opposition n'est pas uniquement talibane, c'est un deuxième front, après l'Irak, de la lutte contre les Américains.Les talibans recrutent d'autant plus facilement que les gens n'ont rien eu du gouvernement. Au contraire, ils doivent subir la présence de l'armée américaine. La présence des forces de la coalition, qui sont essentiellement américaines, fait régner l'insécurité dans la mesure où il y a des combats entre les Américains et les talibans, les Américains fouillent les maisons, arrêtent des gens, bombardent. Ce qui facilite pour les talibans le recrutement des locaux.

Josette: Comment expliquer une participation relativement faible aux élections de dimanche ?
Françoise Chipaux:
Je crois qu'on peut l'expliquer par les deux facteurs précédents: d'une part, le désenchantement, car les gens avaient voté massivement à la présidentielle, mais n'ont vu aucune amélioration, et d'autre part, un scrutin compliqué avec beaucoup de candidats, la plupart des électeurs n'ayant aucune idée de la fonction et du rôle d'un Parlement.

Uok: La force internationale, l'ISAF, a-t-elle un réel effet pour la sécurité des populations ?
Françoise Chipaux:
Oui, quand même, parce que dans le nord de l'Afghanistan, par exemple, elle intervient entre les chefs de guerre, elle intervient pour la formation de la police, et surtout elle est sur le terrain quand il y a des accrochages. Le fait qu'elle patrouille beaucoup et qu'elle se montre rassure les gens.

"LES ONG FONT UN TRAVAIL ESSENTIEL"

Uok: Qu'en est-il de l'action des ONG dans le pays ? Est-il vrai qu'elles ont de moins en moins de financements ?
Françoise Chipaux:
Non, je ne pense pas qu'aujourd'hui les budgets aient réellement diminué, mais au fil des années, ils pourraient diminuer. Les ONG font un travail essentiel. Car l'Etat afghan n'a pas les ressources humaines nécessaires.

Uok: L'Union européenne et les Etats-Unis aident-ils l'Afghanistan à sa juste mesure ?
Françoise Chipaux:
Les besoins sont tellement énormes qu'il est difficile de savoir quelle est la juste mesure. Les Etats-Unis ont, en aides, déjà versé 5 milliards de dollars, sans compter ce qu'ils dépensent pour leurs forces armées. Mais les besoins de l'Afghanistan sont évalués entre 20 et 25 milliards de dollars sur 15 ans.

Fired: Y aura-t-il un jour un jugement international des différents chefs de guerre afghans pour crimes de guerre ou contre l'humanité ?
Françoise Chipaux:
Pour l'instant, on n'en a pas pris le chemin. Le président Karzaï, au contraire, n'a pas du tout écarté les chefs de guerre. Et la crainte de beaucoup est que ces chefs, qui sont pour la plupart candidats au Parlement, s'ils sont élus, vont voter une loi d'amnistie immédiatement.

Fired: Les tensions ethniques entre Pachtounes et Tadjiks, Ouzbeks et autres, ont-elles baissé ?
Françoise Chipaux:
Pour l'instant, il n'y a pas véritablement de tension tangible, mais il est clair qu'une fois de plus, le vote au Parlement, comme l'avait été le vote à l'élection présidentielle, sera ethnique. Dans un pays où il n'y a pas de police pour vous protéger, il est clair que les gens recherchent la protection dans leur tribu, dans leur ethnie d'abord.

Fired: Un parti laïque peut-il émerger en Afghanistan ?
Françoise Chipaux:
Il y a des partis laïques. On a aujourd'hui, officiellement enregistré en Afghanistan, une quinzaine de partis politiques issus de la gauche afghane, notamment les anciens communistes. Pour l'instant, le poids de ces partis est difficile à évaluer, c'est pour cela que les élections parlementaires vont révéler ce qu'ils pèsent, mais ces partis ont encore des réseaux puissants dans l'administration et les forces de sécurité. Les anciens communistes sont rentrés il y a à peine deux ans. Certains ont le soutien de leur tribu. Les communistes ont pour eux d'être des gens honnêtes, non corrompus et pour la plupart instruits.

Uok: Comment voyez-vous l'évolution à court terme et à long terme dans ce pays ?
Françoise Chipaux:
Tout dépend de la conférence qui va avoir lieu en janvier pour repenser ce qui a été créé ces quatre dernières années. Il faut absolument que, d'une part, le gouvernement fasse le ménage chez lui, applique une vraie réforme de l'administration, privilégie les nominations au mérite et non pas au clientélisme. Il faut que la communauté internationale surveille de beaucoup plus près où va l'argent. Et il faut continuer la formation des forces de police, de l'armée, d'un ministère de la justice, mettre en place des institutions crédibles.

LEMONDE.FR | 20.09.05 | 18h30


Le Monde / Europe
L'hypothèse d'une coalition sans Schröder ni Merkel se renforce

 L es partis allemands doivent entamer, mercredi 21 septembre, les négociations en vue de former un nouveau gouvernement. L'hypothèse d'une "grande coalition" entre le SPD de Gerhard Schröder et les Unions chrétiennes CDU/CSU de Angela Merkel, la plus privilégiée par les Allemands, selon un sondage publié mardi, revient au premier plan.

Angela Merkel plébiscitée
La dirigeante du camp conservateur a été reconduite mardi à une écrasante majorité (98,6%) à la tête du groupe parlementaire des Unions chrétiennes (CDU/CSU): elle a reçu ainsi un net soutien en dépit de la contre-performance de son parti aux législatives de dimanche.

A en croire le grand quotidien populaire Bild, Gerhard Schröder serait prêt à céder sa place à un dirigeant conservateur, si Angela Merkel, pressentie pour diriger un nouveau gouvernement, en faisait d'abord de même.Cette hypothèse est évoquée par un dirigeant du SPD non identifié, cité par le journal le plus lu d'Allemagne: "Jamais aucun chancelier ne s'est sacrifié pour permettre la formation d'un gouvernement. Schröder deviendrait alors un très grand homme dans l'histoire du parti".

Une "grande coalition" serait possible seulement si le SPD renonçait à présenter à nouveau M. Schröder comme chancelier, renchérit le quotidien Der Tagesspiegel. Une solution envisageable, peut-être avec l'accord de M. Schröder, si un gouvernement dirigé par une autre personnalité du camp conservateur que Mme Merkel donnait des garanties qu'elle renoncerait au "démantèlement social" redouté par le SPD.

Aux yeux du quotidien berlinois Taz (gauche), "la seule solution, c'est que les deux prétendants à la chancellerie finissent par se retirer. Schröder aura alors au moins empêché Merkel (d'être chancelière) et ainsi triomphé une dernière fois", estime le journal de gauche.

LES AUTRES SCÉNARIOS

Parmi les autres hypothèses, une coalition entre SPD, Verts et libéraux du FDP semble définitivement écartée, le président du troisième parti allemand, Guido Westerwelle, ayant rejeté toute idée de participer à un gouvernement avec le SPD.

Une éventuelle "coalition jamaïcaine" entre conservateurs, libéraux et Verts (en référence aux couleurs du drapeau de la Jamaïque: noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologistes) semble elle aussi avoir peu de chances d'aboutir.L'un des dirigeants conservateurs, le Bavarois Günther Beckstein, a estimé qu'une telle alliance serait "extraordinairement difficile", tandis que la figure charismatique des Verts, le ministre des affaires étrangères, Joschka Fischer, avait déjà écarté cette hypothèse.

Des dirigeants des principaux partis allemands (CDU/CSU et FDP d'un côté, SPD et Verts de l'autre) ont affirmé qu'ils étaient prêts à discuter, sans pour autant voir de solution dans l'immédiat. Le FDP a cependant exclu de discuter directement avec le SPD et les Verts, laissant le soin à la CDU/CSU de le faire.

Les deux camps ont exclu des discussions avec le nouveau Parti de gauche, formé de déçus de la social-démocratie à l'ouest du pays et de néocommunistes de l'ex-RDA, devenu la quatrième force politique du pays, derrière la CDU/CSU, le SPD et les Libéraux du FDP.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 20h17


Le Monde / International
Le président Ahmadinejad défend devant l'ONU le droit au nucléaire et attaque les "puissants"
NEW YORK (Nations unies) de notre correspondante

 S' il restait des doutes sur les intentions de l'Iran, ils ont été dissipés. Comme l'a expliqué le président iranien Mahmoud Ahmadinejad pendant sa visite de cinq jours à New York, Téhéran a fermement l'intention de maîtriser le cycle complet de l'énergie nucléaire, y compris l'enrichissement de l'uranium ­ un "droit inaliénable" de l'Iran, selon lui­, ce que tentent précisément d'éviter les Etats-Unis et l'Europe. "L'énergie nucléaire est un don de Dieu" , a expliqué le président. Selon lui, il n'y a rien à craindre: " Notre religion nous interdit d'avoir des armes nucléaires."

Le compromis sur un "ultimatum" à Téhéran

D'intenses tractations diplomatiques se sont déroulées, dimanche 18 septembre, veille de l'ouverture, à Vienne, de la réunion de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui doit se prononcer sur le renvoi du dossier du nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Les trois pays membres de la troïka européenne (Allemagne, France, Grande-Bretagne), ainsi que les Etats-Unis, sont partisans d'adopter une résolution demandant le recours à l'ONU, mais la Russie, la Chine, le Brésil, l'Inde et de nombreux pays du Mouvement des non-alignés y sont hostiles. Une majorité des 35 membres du conseil des gouverneurs de l'AIEA pourrait se rallier à la solution préconisée par Mohamed ElBaradei, directeur de l'Agence, qui propose qu'un ultimatum soit lancé à l'Iran pour qu'il suspende ses activités nucléaires sensibles, comme la "conversion" de l'uranium (préalable à l'enrichissement). Cette solution de compromis aurait l'avantage de repousser une confrontation entre l'Iran et une large partie de la communauté internationale, ce qui satisferait, dans un premier temps, Européens et Américains.

Pour sa première sortie dans un pays occidental, M. Ahmadinejad, un ancien "gardien de la révolution" devenu maire de Téhéran, a associé les références aux traditions de l'islam avec les attaques tiers-mondistes les plus radicales contre les "puissants" . Il n'a pas paru le moins du monde intimidé, même si certains de ceux qui l'ont rencontré l'ont jugé "réservé" et "tâtant le terrain" . Devant la presse, il a manifesté une certaine maîtrise du dossier nucléaire, tout en recevant constamment des notes de la part du négociateur Ali Larijani, décrit comme l'idéologue du régime.

Premier président laïc en Iran depuis un quart de siècle, M. Ahmadinejad a rencontré une douzaine de chefs d'Etat à New York: du Russe Vadimir Poutine à l'Algérien Abdelaziz Bouteflika, au Géorgien Mikhaïl Saakashvili au Chinois Hu Jintao. Il a aussi tenu un petit-déjeuner à l'Hôtel Intercontinental avec des représentants de la presse américaine, et accordé des entretiens à Time, Newsweek et CNN. Les journalistes ont été étonnés par ses remarques: comment le cyclone Katrina a-t-il reçu son nom ? a-t-il demandé.

Pendant sa conférence de presse à l'ONU, il a rendu hommage aux habitants de New York, immobilisés par les embouteillages causés par la présence de 150 chefs d'Etat. "J'ai vu énormément de gens arrêtés aux feux rouges" , s'est-il étonné. Les limites de la civilité du président sont apparues lorsqu'il a refusé de répondre à la question d'un journaliste israélien, qui voulait savoir ce qu'il en était de la destruction de l'Etat d'Israël, professée officiellement par l'Iran. Il est sèchement passé à la question suivante.

Plus tard, il a donné son avis sur la "feuille de route", qui est censée tracer le chemin de la paix entre Israël et les Palestiniens. "C'est un plan d'hégémonie sur le Moyen-Orient et ses ressources naturelles. Toutes les nations du Moyen-Orient, dont l'Iran, y sont opposées, et elles utiliseront toutes les ressources en leur pouvoir pour faire échouer ce plan" , a-t-il dit.

Depuis des jours, les Européens et les Américains attendaient les nouvelles propositions sur le dossier nucléaire, visant à éviter la saisine du Conseil de sécurité de l'ONU. Dans son discours devant l'Assemblée générale, le président a d'abord dénoncé "l'apartheid nucléaire" , c'est-à-dire le fait que certains pays seulement ont le droit de posséder le combustible nucléaire et de le vendre aux autres. "L'ironie de la situation est que ceux qui ont, en fait, utilisé des armes nucléaires, qui continuent à en produire, à en tester et à en accumuler, qui ont utilisé des bombes à uranium appauvri contre des centaines de milliers d'Irakiens et de Koweïtis, et même contre leurs propres soldats au risque de provoquer des maladies incurables (...), que ceux qui n'ont pas signé le traité d'interdiction complète des essais nucléaires et qui ont armé le régime sioniste en armes de destruction massive (...) s'efforcent d'empêcher les autres pays d'acquérir la technologie pour pouvoir produire de l'énergie nucléaire civile" , a-t-il déclaré dans une attaque contre les Etats-Unis.

Le président iranien a proposé de créer un comité de l'Assemblée générale de l'ONU qui viserait à étudier les moyens d'un désarmement complet. Il a offert d'engager son pays "dans un partenariat sérieux avec le secteur public ou privé d'autres pays pour la mise en oeuvre du programme d'enrichissement -de l'uranium- iranien". Des compagnies telles que l'Urenco, par exemple, un consortium britannique, néerlandais et allemand, seraient invitées à s'associer. "Pourquoi certains veulent garder le combustible et nous le vendre à dix fois sa valeur ? Nous nous engageons à le leur revendre 30% moins cher que le prix qu'ils proposent" , a-t-il dit à CNN.

UNE OFFRE SUD-AFRICAINE

Le président a cité la médiation des trois pays de l'Union européenne (Allemagne, France, Grande-Bretagne) mais noyée dans un paragraphe plein de conditions. Dans son discours écrit, il a évoqué l'offre de l'Afrique du Sud de participer aux négociations, mais il n'en a pas fait état à la tribune, après avoir rencontré le président Thabo Mbeki.

Les propositions iraniennes n'ont pas suscité le moindre enthousiasme parmi les responsables européens et américains, qui se sont concertés à New York pour trouver une réponse commune à présenter à la réunion du conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), lundi 19 septembre, à Vienne. "Cela revient à dire: d'abord vous créez un comité pour désarmer les Etats-Unis et Israël , dit un diplomate européen. Ensuite, vous nous donnez les capitaux et on enrichit l'uranium. C'est très confus."

Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 20.09.05


Le Monde / Europe
L'incertitude en Allemagne aggrave la crise européenne

 L' issue très incertaine des élections législatives anticipées en Allemagne risquent d'ajouter à la confusion dans une Europe ébranlée depuis fin mai par le rejet de la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas. "Sans une Allemagne dynamique, l'Europe ne peut pas se redresser , a indiqué lundi José Manuel Barroso, le président de la Commisson. Je presse les dirigeants allemands de trouver une solution stable aussi vite que possible."

Selon un fonctionnaire français, "si l'Allemagne n'est pas très audible avec une coalition instable du fait du scrutin, cela ne sera pas bon pour l'Europe".

L'incertitude sur le nouveau gouvernement allemand va peser sur le démarrage des négociations d'adhésion avec la Turquie qui doivent commencer le 3 octobre. Le mandat européen pour ces négociations fait l'objet de discussions difficiles en raison du refus d'Ankara de reconnaître explicitement la République de Chypre, désormais membre à part entière de l'Union européenne. Sans remettre en cause ce rendez-vous, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et Angela Merkel ont plaidé pendant la campagne pour un partenariat privilégié avec la Turquie, tandis que le Parti social-démocrate (SPD) est favorable à son adhésion en bonne et due forme.

Il est loin d'être évident non plus que l'Allemagne soit sortie de son impasse politique pour le sommet informel prévu fin octobre par la présidence britannique de l'Union européenne sur la définition du modèle social européen et les réformes à accomplir en Europe face à la mondialisation.

Tony Blair a salué, dimanche soir 18 septembre, le courage des candidats aux élections... en Afghanistan, mais il a pris grand soin de ne pas commenter les résultats du scrutin en Allemagne. Au-delà du devoir élémentaire de prudence face à la confusion de la situation, le premier ministre britannique avait de bonnes raisons de se réfugier provisoirement dans le silence. En son for intérieur, Tony Blair, qui veut profiter de sa présidence pour forcer l'Europe à repenser ses prioprités, souhaitait qu'une relève politique s'opérât sans ambiguïté à Berlin. Il n'a donc pu qu'être déçu par le score moyen d'Angela Merkel et la forte résistance de Gerhard Schröder.

Après le "non" français au référendum sur la Constitution Européenne, le Times avait ironisé sur Chirac, "le canard boîteux" et Schröder, "le canard mort" . Mais Schröder "vit" encore, au probable déplaisir des dirigeants britanniques, qui voyaient dans l'arrivée au pouvoir, sans partage, des démocrates-chrétiens allemands, une belle occasion d'affaiblir l'axe Paris-Berlin. Angela Merkel partage en grande partie les vues de Tony Blair sur la modernisation de l'Europe, sur la nécessité de la mettre plus en phase avec les conséquences de la mondialisation.

Mme Merkel a par ailleurs souvent reproché à M. Schröder d'être devenu trop critique envers les Etats-Unis, à la faveur de la guerre en Irak, et en exploitant le pacifisme de ses compatriotes. Elle entend améliorer les relations entre Berlin et Washington, ce qui plaît à Londres. Comme plaît la volonté des chrétiens-démocrates d'afficher une plus grande solidarité avec les pays d'Europe centrale, en particulier la Pologne, pour tenter de contenir l'influence régionale de Moscou, notamment en Ukraine et en Biélorussie.

L'arrivée à la chancellerie de Mme Merkel ne pourrait donc que réjouir la Grande-Bretagne. En attendant que se réalise l'autre grand espoir de Londres, l'élection à la présidence de la République française de Nicolas Sarkozy. Ce qui scellerait, entre les "trois Grands" d'Europe, une nouvelle alliance impliquant les dirigeants britanniques.

La déception des uns pourrait faire le bonheur des autres. A gauche l'ancien premier ministre danois Poul Nyrup Rasmusse, président du Parti socialiste européen, s'est félicité que L'Europe évite "le pire des politiques néolibérales de Angela Merkel". Mais il a également souligné qu'"un gouvernement instable dans l'Etat le plus important d'Europe n'est une bonne nouvelle pour personne" .

L'accord tant attendu par les pays de l'est de l'Europe sur le budget de l'Union élargie pour la période 2007-2013 va sans doute devoir attendre des temps meilleurs. Après la France, qui a rejeté la Constitution de l'Union et est désormais lancée dans une campagne électorale de deux ans, l'Allemagne, elle aussi affaiblie, ne va pas voir sa marge de maoeuvre grandir pour passer des compromis. Quelque soit le sort des prochaines négociations sur la formation de son gouvernement, elle ne disposera pas d'un leadership clair pour contrebalancer les incertides françaises.

A Paris, Catherine Colonna, la ministre déléguée aux affaires européennes, s'est juste voulu rassurante sur la persistance du couple franco-allemand: la relation entre les deux pays "transcende" les alternances politiques et le couple franco-allemand "restera le moteur de l'Europe" quelle que soit l'issue des élections de dimanche, a-t-elle affirmé dans la soirée. Encore faut il pour cela avoir des idées. Ni la France ni l'Allemagne ne semblent en mesure aujourd'hui de pouvoir proposer des solutions pour répondre à l'absence de vision commune qui paralyse aujourd'hui le projet européen.

Henri de Bresson avec Jean-Pierre Langellier à Londres et Philippe Ricard à Bruxelles
Article paru dans l'édition du 20.09.05


Le Monde / Europe
Trois questions à Daniel Cohn-Bendit

 V ous êtes président du groupe des Verts au Parlement européen. Comment analysez-vous les élections allemandes ?
Pour moi, il y a trois perdants et trois vainqueurs. La grande perdante, c'est d'abord Angela Merkel. Partie avec des sondages qui lui donnaient jusqu'à 47% des voix, elle termine avec 35%. Les deuxièmes perdants sont évidemment les sociaux-démocrates (SPD), malgré leur remontée en fin de campagne. Les troisièmes grands perdants, ce sont les médias, qui n'ont cessé de mettre les électeurs en garde contre une grande coalition. Or c'est précisément le choix qu'ils viennent de faire.
Du côté des vainqueurs, il y a en premier lieu les intégristes du néo-libéralisme, qui ont réussi à attirer une partie de l'électorat démocrate-chrétien (CDU) pour former autour du FDP un pôle néo-libéral autour de 10%. Ce sont ensuite les socialo-communistes, qui ont réalisé à l'Ouest une percée dans les grandes villes et qui l'ont fait, pour l'essentiel, au détriment du SPD. Enfin, troisième vainqueur, Joschka Fischer, qui a sauvé les Verts.

Va-t-on vers une grande coalition ?
La grande coalition n'est possible que si Merkel et Schröder se retirent. Ce ne sera ni elle ni lui, parce qu'ils sont tous deux perdants. Toutefois un gouvernement de coalition, ce ne sera pas la stabilité. La CDU avec trois sièges d'avance, sera prise en otages par le SPD. Chaque fois que le SPD ne sera pas d'accord avec un texte proposé par la CDU, il pourra menacer de mobiliser la majorité rouge-verte, qui n'est pas opératoire pour gouverner mais l'est pour bloquer. Ce sera intenable pour la CDU. Le SPD attendra la première occasion pour quitter la coalition et provoquer des élections anticipées.

Quelle autre solution ?
La deuxième solution est que Merkel et Schröder tentent l'un et l'autre de former un gouvernement minoritaire. Cela voudrait dire qu'ils se présentent devant le Bundestag, que celui-ci élise le chancelier, à bulletins secrets, comme le veut la loi, et qu'ensuite l'élu forme un gouvernement. Je suis favorable à cette formule parce que la société allemande donne sur des sujets différents des majorités différentes. Un gouvernement social-démocrate minoritaire pourra faire passer des textes sociaux avec la "gauche de la gauche".
Sur l'immigration ou d'autres sujets de société, les libéraux sont plutôt d'accord avec les Verts et le SPD, ainsi qu'avec l'extrême gauche. Sur les retraites, ce sera une autre majorité. Cela réhabiliterait le Parlement, qui deviendrait le lieu de négociations importantes.

Propos recueillis par Thomas Ferenczi
Article paru dans l'édition du 20.09.05


Le Monde / Europe
Le Parti de gauche a empêché l'émergence d'une majorité claire
BERLIN de nos envoyés spéciaux

 O skar Lafontaine revient au Parlement sous l'étiquette Parti de gauche (Linkspartei) et prend ainsi sa revanche sur son rival et ancien "camarade" social-démocrate Gerhard Schröder. S'il n'a pas été élu dans sa circonscription de Sarrebruck, dans l'ouest de l'Allemagne, où il se présentait au suffrage direct, il a bénéficié de sa position de tête de liste dans la région de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Grâce à une alliance avec les anciens communistes du Parti du socialisme démocratique (PDS), bien implanté dans l'est du pays, M. Lafontaine arrive au Bundestag entouré d'un bataillon de 54 députés. De quoi empoisonner la vie des partis de la future coalition gouvernementale dont il ne devrait pas faire partie, sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates ayant exclu toute alliance avec lui.

En mai, alors que M. Schröder avait appelé à de nouvelles élections fédérales après la défaite du SPD en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, M. Lafontaine avait rendu sa carte du Parti social-démocrate (SPD) et annoncé qu'il rejoignait un groupuscule de syndicalistes et de militants de gauche contestataires (WASG). Dans la foulée, il concluait une alliance avec le PDS de Gregor Gysi. Le Parti de gauche (Linkspartei) était né, en attendant une fusion souhaitée pour 2006 par les deux dirigeants.

Le divorce entre le chancelier et M. Lafontaine remonte au mois de mars 1999. Il avait alors quitté son poste de ministre des finances et la présidence du SPD pour des raisons personnelles, mais aussi en critiquant le chancelier, jugé trop libéral Les réformes sociales, et notamment la réduction des allocations-chômage, entreprises par le gouvernement de Gerhard Schröder, sont en ligne de mire de M. Lafontaine.

Crédité, au mieux, de 13% des intentions de vote dans les sondages, le Parti de gauche a perdu du terrain en fin de campagne. Son programme électoral, qualifié de "fantaisiste" ou de "ruineux pour le pays" par ses adversaires, a induit le doute chez des électeurs attirés par son discours différent. M. Lafontaine a également provoqué un malaise avec ses dérapages populistes. Lors d'une réunion électorale, il a accusé les travailleurs étrangers de "voler des emplois" aux Allemands "avec leurs bas salaires".

Les photos, parues dans la presse, de la luxueuse maison de vacances qu'il a louée cet été à Majorque (Baléares) ont porté un autre coup à sa crédibilité. Il en a été de même à propos de l'insistance qu'il aurait manifestée pour obtenir d'un journal un voyage gratuit en jet privé entre l'Espagne et l'Allemagne pour participer à un débat.

Ancien ministre-président de Sarre, M. Lafontaine, 62 ans, a réitéré, dimanche, son refus de négocier avec les partis qui ont approuvé la réforme des allocations-chômage et le maintien du contingent militaire allemand en Afghanistan.

Sur ces points, il bénéficie du soutien de sa base électorale. "C'est la première fois depuis les années 1950 qu'il y a un parti à gauche de la gauche en Allemagne. Il ne serait pas crédible de conclure une alliance avec des partis de la coalition sortante, mais on pourra dire non à des projets au Bundestag" , commentait dimanche, Karsten, un aide-soignant de 42 ans arborant un tee-shirt rouge imprimé de poings levés noirs.

Antoine Jacob et Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 20.09.05


Le Monde / Europe
Malgré un score inespéré, les libéraux pourraient rester dans l'opposition
BERLIN de nos envoyés spéciaux

 C' C'est le meilleur score de la décennie pour notre parti, et pourtant nous sommes très déçus" , glisse un diplomate allemand. Venu assister à la soirée électorale du Parti libéral (FDP), dimanche soir 18 septembre, cet hôte tiré à quatre épingles a du mal à se réjouir du score de 9,8% réalisé par sa formation. Alors que tout le monde attendait une situation inverse, c'est l'Union chrétienne-démocrate (CDU) qui a fait défaut à la droite allemande, avec un résultat de 35,2%.

Durant cette campagne électorale très brève, le discours direct du FDP a eu le mérite de la clarté par rapport à celui, plus confus, du grand frère chrétien-démocrate. "Les gens qui voulaient un vrai virage libéral sont venus à nous" , estime Falk Peters, un avocat vêtu d'un costume-cravate, comme la plupart des sympathisants et membres présents ce soir-là. Les projets du FDP sont plus radicaux que ceux de la CDU en matière de remise en cause du système de cogestion des grandes entreprises et de réforme de l'impôt sur le revenu.

Dans les grandes entreprises, les libéraux veulent mettre fin aux conseils de surveillance paritaires en ne réservant plus qu'un tiers des sièges aux représentants du personnel. Leur programme prévoit par ailleurs de réduire l'imposition sur le revenu à trois tranches (15%, 25% et 35%) après un abattement de 7 700 euros par personne, soit 60 milliards d'euros d'impôt sur le revenu en moins. Cette mesure serait financée à hauteur de 35 milliards par la suppression d'avantages fiscaux et de subventions, notamment à l'exploitation du charbon.

Les libéraux veulent également partir en croisade contre la bureaucratie et dissoudre ce "monstre" que serait l'Agence pour l'emploi, pour la remplacer par des structures "efficaces et proches des citoyens" . Enfin, le FDP veut privatiser le système de l'assurance-maladie: les caisses dites "publiques", c'est-à-dire régies par la loi, seraient mises en concurrence avec les assurances privées.

Personne, au FDP, ne prétend toutefois que ce parti ne doit qu'à lui seul son succès de dimanche. De nombreux électeurs chrétiens-démocrates lui ont accordé leur deuxième voix ­ prévue par le système électoral allemand ­ dans l'espoir de le renforcer et, partant, d'éviter une "grande coalition" entre la CDU et le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier sortant, Gerhard Schröder. En conséquence, c'est à la CDU que des voix ont manqué. "Beaucoup d'électeurs de la CDU se sont dit que le score de leur parti était assuré et étaient plutôt inquiets que le FDP ne franchisse pas la barre des 5%" nécessaire pour être représenté au Bundestag, expliquait, navré, Cornelius Koch, conseiller de la CDU dans le Berlin-Brandebourg.

Résultat: les militants libéraux se voient déjà rester dans l'opposition, comme l'a affirmé leur chef, Guido Westerwelle. "Le FDP est allé à la bataille électorale pour sortir la coalition entre SPD et Verts. Nous n'allons pas changer et trahir nos électeurs en nous alliant à l'un ou à l'autre" , a-t-il répété dimanche soir. "Je ne connais personne, au FDP, qui veut d'une telle solution" , a renchéri Wolfgang Gerhardt, le président du groupe parlementaire du parti.

A. J. et A. de T.
Article paru dans l'édition du 20.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Confusion allemande

 L' Allemagne entre dans une ère d'incertitude. Les élections du dimanche 18 septembre n'ayant donné aucune majorité claire, les tractations vont durer des semaines pour aboutir, dans la meilleure des hypothèses, à une coalition gouvernementale aux contours encore incertains. Angela Merkel, pour la démocratie-chrétienne, Gerhard Schröder, pour les sociaux-démocrates, peuvent bien revendiquer la chancellerie, aucun des deux n'est en mesure de dire quelle serait sa majorité au Bundestag. La coalition sortante rouge-verte n'est plus majoritaire; la coalition rêvée par Mme Merkel entre chrétiens-démocrates et libéraux est minoritaire.

En fait, ces élections n'ont fait que des perdants. Gerhard Schröder aura du mal à rester au pouvoir. Ses anciens alliés verts risquent de retourner dans l'opposition. Mme Merkel réalise un des plus mauvais scores de la démocratie-chrétienne et fait moins bien que son rival bavarois, Edmund Stoiber, il y a trois ans. Les libéraux obtiennent un score inespéré proche de 10% des voix mais en prenant des suffrages à la démocratie-chrétienne. Ils vont se retrouver sur les bancs de l'opposition quand leur vraie nature est de faire l'appoint des majorités gouvernementales.

Un seul parti a rempli tous ses objectifs. C'est le parti de la gauche radicale formé par les déçus de la social-démocratie à l'Ouest et les anciens communistes de l'Est. Oskar Lafontaine et son compère Gregor Gysi font un peu mieux que les Verts pour devenir le quatrième groupe parlementaire au Bundestag. Grâce à ce succès, ils contribuent à l'échec du centre-gauche et empêchent la formation d'une coalition de centre-droite. Ils ne cherchent pas à participer au gouvernement, et personne, du reste, ne veut officiellement travailler avec eux. Ils brouillent le jeu et cela leur suffit. Non sans cynisme, ils se déclarent même en faveur d'une "grande coalition" entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates, car ils y voient deux avantages: d'une part, la présence du SPD au gouvernement modérerait, selon eux, les ardeurs réformatrices de la droite; d'autre part, l'histoire montre qu'une "grande coalition" favorise les petites formations qui tirent parti du mécontentement.

Le paysage politique allemand a été stable pendant des décennies. Le jeu à trois ­ démocrates-chrétiens, sociaux-démocrates et libéraux ­ était simple. Il a été brouillé en 1983 quand les Verts sont entrés au Bundestag et s'est compliqué après la réunification. L'apparition d'un parti de gauche protestataire introduit un cinquième élément qui, à l'avenir, rendra la formation de majorités de plus en plus difficile.

L'émiettement du système des partis n'est pas propre à l'Allemagne. Lors de la dernière élection présidentielle en France, il a aussi joué au détriment du candidat de la gauche réformiste. Il y a pourtant une spécificité allemande. La gauche radicale recrute surtout ses électeurs à l'Est. Elle se maintiendra aussi longtemps que la réunification psychologique et sociale ne sera pas achevée.

Article paru dans l'édition du 20.09.05


Le Monde / France
Thierry Breton renonce à passer sous la barre des 3% de déficit public pour 2006

 L e ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton, a rappelé, lundi 19 septembre, que "3% de déficit public, c'est l'objectif du gouvernement cette année" et que "pour l'année prochaine, l'objectif sera d'être dans cette marge et pas au-dessus", lors d'un point presse devant les journalistes de la presse anglo-américaine. C'est la première fois que le gouvernement évoque pour 2006 cet ordre de grandeur. Il tablait officiellement jusqu'ici sur un déficit au sens de Maastricht de 2,7% du PIB en 2006.

La France a récemment notifié à la Commission européenne une prévision de déficits publics de 3% du PIB pour 2005 (comprenant le déficit budgétaire, celui des collectivités locales et ceux des organismes de sécurité sociale). L'Etat français reviendrait ainsi dans les clous du pacte de stabilité européen pour la première fois depuis 2001.

FINANCER LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ

La Commission européenne s'était inquiétée récemment de la capacité de la France à rester en deçà de la barre des 3% en 2006. Le commissaire européen aux affaires économiques avait notamment observé que la France ne bénéficierait pas l'an prochain de la soulte EDF (9 milliards d'euros), qui devrait lui permettre de réduire son déficit d'un peu plus de 0,3 point de PIB en 2005.

Le ministre a par ailleurs expliqué que le budget 2007 permettrait de financer la réforme de la fiscalité grâce à la norme dite de "zéro volume" qui autorise une augmentation des dépenses dans les limites de l'inflation. "Si on prend une prévision d'inflation à 1,8%, cela génère 4,5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires", a-t-il rappelé. "Le premier ministre a indiqué que pour 2006 ces 4,5 milliards d'euros seront uniquement orientés vers l'emploi", et "pour 2007, on aura probablement encore de l'ordre de 4,5 milliards d'excédent, et il y en aura 3,5" consacrés à la baisse des impôts, a expliqué le ministre.

Pour réduire la dette, il y a "trois solutions qui ne sont pas exclusives mais plutôt additionnelles", a-t-il dit avant de les énumérer: premièrement "il faut gérer serré", deuxièmement "on peut éventuellement céder des actifs qui ne sont pas stratégiques", comme les sociétés d'autoroutes, et troisièmement "faire plus de croissance", c'est-à-dire "faire en sorte qu'il y ait plus de monde au travail".

Il s'est dit par ailleurs "très inquiet" des déficits américains. "L'équation n'est pas que française: la gestion de la dette sera un enjeu majeur des gouvernements dans les prochaines années", a-t-il insisté.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 12h01


Le Monde / Carnet
Le "chasseur de nazis" Simon Wiesenthal est mort

 S imon Wiesenthal est mort, mardi 19 septembre, à Vienne, à l'âge de 96 ans, a annoncé le centre qui porte son nom sur son site Internet.

Toute sa vie durant, il a traqué des criminels nazis et permis d'en traduire plus d'un millier en justice, parmi lesquels Adolf Eichmann, responsable zélé de "la solution finale du problème juif". "Ce que j'ai fait, c'est à la fois pour les jeunes et pour ceux qui sont morts, car j'ai survécu et ce privilège implique un devoir", disait ce rescapé des camp d'extermination. Pour ce faire, il a créé après la seconde guerre mondiale un centre d'information sur les criminels nazis, point de départ de la traque des bourreaux.

Simon Wiesenthal est né le 31 décembre 1908 à Buczacz, en Galicie, province de l'Empire austro-hongrois aujourd'hui polonaise, qu'il doit quitter à 7 ans, à l'arrivée des cosaques. Il étudie ensuite l'architecture à Lemberg, ville de Galicie devenue soviétique en 1945, puis à Prague.

L'arrivée des troupes hitlériennes bouleverse sa vie. Arrêté en 1941, il est interné dans cinq camps d'extermination, dont Buchenwald et Mauthausen, d'où il sortira le 5 mai 1945.

DÉBUSQUER LES BOURREAUX SOUS LEUR NOUVEAU MASQUE

Il s'établit alors à Linz (Autriche) et, ironie du sort, à quelques mètres seulement de la famille d'Adolf Eichmann. Il retrouvera sa piste après des années de traque, et les services secrets israéliens l'enlèveront à Buenos Aires en 1960.

En 1947, il fonde à Linz, à l'ouest de Vienne, un centre de documentation chargé de collecter des informations sur la vie des juifs et leurs tortionnaires. En 1961, c'est en partie grâce au travail du centre qu'Adolf Eichmann peut être traduit en justice, comme quelque 1 100 criminels nazis.

Après l'exécution d'Eichmann en Israël, le 31 mai 1962, Simon Wiesenthal transfère à Vienne ce centre qui entend également lutter contre l'antisémitisme et toutes les formes de préjugés et de révisionnisme car, souligne son fondateur, "les assassins de la mémoire préparent les conditions aux meurtres de demain".

Dans Justice n'est pas vengeance, son autobiographie publiée en 1989, le "chasseur de nazis" s'est attaché à montrer comment, inlassablement, il a traqué, débusqué les bourreaux sous leurs nouveaux masques, leurs nouvelles identités, dans le monde entier. Une seule fois, raconte-t-il, il a eu envie de sortir du cadre de la légalité, d'appliquer la loi du talion en découvrant dans les papiers d'un nazi la photo d'un enfant juif pendu par les testicules.

Mais celui qui a voulu"vivre pour les morts" a aussi vécu pour les vivants, en particulier les réfugiés des pays de l'Est. Quelque huit mille personnes ont transité par les centres qu'il a créés pour les accueillir, avant d'émigrer vers les Etats-Unis principalement.

Simon Wiesenthal, lauréat de nombreux prix, avait aussi ses détracteurs. Ceux-ci l'accusèrent ainsi d'avoir entravé la recherche et la traduction en justice de criminels de guerre, notamment l'ex-président autrichien et secrétaire général de l'ONU Kurt Waldheim. Simon Wiesenthal avait rétorqué qu'il s'était donné pour but de chasser des criminels de guerre et que Kurt Waldheim, critiqué pour son passé dans l'armée hitlérienne, n'en était pas un.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 10h37


Le Monde / International
L'exécutif de l'AIEA est profondément divisé sur le dossier du nucléaire iranien
VIENNE correspondance

 L e directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, ignorant que Pyongyang allait quelques heures plus tard poser une nouvelle condition, a ouvert la conférence des trente-cinq gouverneurs consacrée à l'Iran, lundi 19 septembre, par une "bonne nouvelle": l'annonce par la Corée du Nord, suite à un accord de principe conclu avec la Chine, la Corée du Sud, les Etats-Unis, le Japon et la Russie, d'un renoncement à son arsenal nucléaire et d'un retour, sous l'égide de l'AIEA, au traité de non-prolifération nucléaire (TNP). M. ElBaradei a réclamé que les inspections dans la péninsule coréenne reprennent "le plus tôt possible" . Il a rappelé que cette décision était le fruit d'un "processus long et complexe" de plus de deux ans. Mais il a surtout souligné que "la négociation est payante".

M. Douste-Blazy: "Sauvegarder l'unité"

Le ministre français des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a affirmé au Monde , lundi 19 septembre, qu'il fallait "à tout prix maintenir la cohésion de la communauté internationale" sur le dossier iranien. "Un rapport au Conseil de sécurité de l'ONU doit renforcer la main de l'AIEA. Il ne s'agit pas de sanctions, mais de garder l'unité de la communauté internationale. Nous devons montrer à l'Iran que nous -lui- proposons toujours un programme nucléaire, mais à condition qu'il soit civil et pacifique. L'Iran y a droit comme tout pays. Mais, à l'inverse, nous demandons à l'AIEA de nous assurer que ce n'est pas à des fins militaires. Il est donc important pour nous de renforcer l'autorité de l'AIEA par l'intermédiaire du Conseil de sécurité" , a indiqué M. Douste-Blazy. ­ (Corresp.)

Le directeur de l'AIEA souhaiterait voir les gouverneurs adopter une attitude similaire envers l'Iran, qui suscite les inquiétudes de la communauté internationale depuis la reprise, début août, de ses activités de conversion de l'uranium. "Nous nous dirigeons vers une période de confrontation et de prise de risques politiques" , a-t-il regretté.

Les divisions se sont accentuées, lundi, au sein de l'exécutif de l'AIEA. Les pays européens de la "troïka" (Allemagne, France et Grande-Bretagne), ainsi que les Etats-Unis, ont commencé à faire circuler auprès des gouverneurs un texte présentant des éléments de résolution pour le renvoi de l'Iran devant le Conseil de sécurité de l'ONU, qui a le pouvoir d'imposer des sanctions économiques. C'est, selon l'Union européenne et Washington, le seul moyen d'obtenir de la République islamique, qui a dissimulé son programme nucléaire pendant dix-huit ans, le renoncement à ses activités militaires. Un tel vote semble pourtant difficile à obtenir face à l'opposition d'une partie du Conseil. Or Européens et Américains préféreraient parvenir à un consensus, qui est la voie classique de la prise de décision à l'AIEA.

Au sein même de l'Union européenne, des dissensions se font entendre. L'Autriche et l'Italie, par exemple, dont l'Iran est un important partenaire économique, appréhendent de possibles représailles iraniennes sur leurs exportations.

La Russie et la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et disposant, à ce titre, d'un droit de veto, sont opposées à une saisine du Conseil de sécurité, de même que le Brésil, l'Inde et le Pakistan. Le président russe, Vladimir Poutine, a estimé, dimanche, que Téhéran coopérait "suffisamment" avec les organisations internationales et que d'éventuelles sanctions de l'ONU créeraient de nouveaux "problèmes". La plupart des quatorze pays du Mouvement des non-alignés sont hostiles à une saisine du Conseil de sécurité, Singapour et le Pérou étant les seuls à y être favorables.

L'Iran réfute les accusations des Etats-Unis et d'Israël sur ses intentions nucléaires, et affirme que son programme ne vise que la production d'électricité. La République islamique revendique le "droit légitime" de tout Etat à maîtriser le cycle du combustible nucléaire. Le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Hamid Reza Assefi, a mis en garde l'AIEA: "Nous attendons qu'elle -l'Agence- n'agisse pas de manière irréfléchie, unilatérale et extrême. S'ils -les membres de l'AIEA- traitent cette affaire de manière politique et non pas technique, le climat va se radicaliser."

De son côté, M. ElBaradei, qui souhaite que les gouverneurs donnent une nouvelle chance à l'Iran, a exhorté Téhéran à fournir "davantage de transparence et de mesures de confiance" , comme l'accès à certains sites potentiellement suspects. "La balle est en grande partie dans le camp de l'Iran" , a-t-il conclu. ­

(Intérim.)
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / International
Daniel Fried, secrétaire d'Etat adjoint chargé des affaires européennes
"Le message de détermination adressé à Téhéran par la France est celui qui convient"

 E n tant que secrétaire d'Etat adjoint américain, chargé des affaires européennes, quelle est votre réaction aux élections législatives allemandes du 18 septembre ?
Quand le président Bush a rencontré le chancelier Schröder, à Mayence en février, et quand il l'a invité à la Maison Blanche, en juin, le message était clair: nous allons travailler avec le gouvernement allemand quel qu'il soit. Nous n'entendons pas laisser les Etats-Unis devenir un sujet dans la campagne.
Nous n'avons pas de problème avec le "moteur" franco-allemand. Le seul problème que nous avions venait de la définition de l'Europe comme un contrepoids aux Etats-Unis. L'Europe ne devrait pas avoir pour but d'être un contrepoids aux Etats-Unis. Les fondateurs de l'Europe unie la voyaient vivant en paix avec elle-même et travaillant avec les Etats-Unis sur des problèmes communs. C'était l'idée de départ.
Nous voulons une Europe forte, [qui s'affirme] non comme un contrepoids ou un rival, mais comme un partenaire dans le monde. Comment allons-nous régler des problèmes tels que l'Iran, la Corée du Nord, le Liban, Israël et la Palestine, l'Irak, l'Afghanistan, la réforme dans le Grand Moyen-Orient, le renforcement de la démocratie et de la paix à la périphérie de l'Europe (les Balkans) et le long des frontières européennes de la liberté (l'Ukraine, le Caucase du Sud) ? Comment allons-nous faire tout cela si nous ne travaillons pas ensemble, mais que nous sommes en train de nous surveiller l'un l'autre dans une sorte de vaine recherche d'un constant équilibre des pouvoirs ? Est-ce que nous n'avons rien appris des expériences de l'Europe et des Etats-Unis avant 1914 ?

L'Allemagne fait partie de la "troïka" qui négocie avec Téhéran sur le dossier nucléaire iranien. Ne risque-t-elle pas d'être moins disponible ?
Oui, c'est un problème lorsque l'Europe se tourne vers elle-même. Nous espérons que c'est temporaire. Et que cette période de transition ne conduira pas à une période d'introspection, de la même façon que les Européens craignent parfois que les Etats-Unis ne glissent vers une de leurs tendances périodiques à l'isolationnisme. Une Europe en introspection, ce n'est pas bon pour le monde, pas plus que des Etats-Unis isolationnistes. Nous avons la responsabilité de travailler ensemble au bien de l'humanité, pas de nous replier sur nous-mêmes et de faire semblant que notre prospérité et notre démocratie peuvent exister indépendamment et en dehors du monde. Ce n'est pas possible.

Sur l'Iran, on a eu l'impression, cette semaine, que l'administration Bush a ralenti l'allure alors que les Français sont apparus comme les "faucons" sur la saisine du Conseil de sécurité. Est-ce une description juste ?
Ô, que j'aime cela ! C'est magnifique ! Bientôt, nous allons être accusés d'excès de multilatéralisme, et ce sont les Français qui vont nous demander d'être plus durs ! Une chose que j'ai toujours admirée à propos de la France, même au moment de nos pires désaccords sur l'Irak, c'est que la France n'a pas honte de l'usage raisonnable de la force. La France est un pays qui, de toute évidence, croit au multilatéralisme et à l'Europe, mais elle est réaliste sur ce qu'est le monde et sur ce que nous devons parfois faire. Je dis cela parce qu'il y a tellement de commentaires dans la presse française au sujet des Américains qui n'aimeraient pas la France... Voilà quelque chose que j'aime beaucoup en France. Et les commentaires du ministre [Philippe] Douste-Blazy m'ont rappelé le réalisme de la France et sa détermination.
Nous devons travailler de manière très étroite pour adresser un message très fort de détermination cette semaine [à l'Agence internationale de l'énergie atomique, AIEA] . C'est important. Le message que M. Douste-Blazy a fait passer est celui qui convient. Un message qui montre la détermination. Je ne parle pas d'options militaires, soyons clairs. En février, quand le président a évoqué cette question, tout le monde s'est mis à spéculer: "Regardez ce que les Américains s'apprêtent à faire", etc. Je parle de détermination diplomatique et de construction d'un fort consensus international.

Après une semaine d'efforts diplomatiques, on voit que, même avec le soutien de l'Europe, les Etats-Unis n'arrivent pas à beaucoup de résultats ?
Nous devons bâtir notre coalition en direction de l'extérieur. Il y a un an, les Etats-Unis et les trois pays de l'Union européenne n'étaient pas sur la même longueur d'onde sur l'Iran. Maintenant, l'Union européenne est là. Nous devons bâtir notre coalition diplomatique, aussi rapidement que possible mais cela va demander beaucoup de travail. Nous devons nous voir avec la Russie, la Chine, l'Inde, entre autres. Ces pays doivent examiner sérieusement les conséquences d'un Iran doté de l'arme nucléaire pour la paix et la stabilité régionales. Je pense qu'ils y viendront, mais nous devons travailler.

Propos recueillis par Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / France
La France ne compte plus ramener ses déficits publics à moins de 3% du PIB en 2006

 L a commission européenne n'y croyait pas et bon nombre d'économistes non plus. Pour la première fois, lundi 19 septembre, le gouvernement français l'a implicitement reconnu: il ne compte plus vraiment sur une réduction en 2006 des déficits publics à hauteur de 2,7% de la richesse nationale (le PIB) comme il le répétait jusqu'alors.

"3% de déficit public, c'est l'objectif du gouvernement cette année" et "pour l'année prochaine l'objectif sera d'être dans cette marge et pas au-dessus" , a déclaré le ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton.

La France a récemment notifié à la Commission européenne une prévision de déficits publics (qui totalisent ceux de l'Etat, des collectivités locales et des organismes de sécurité sociale) de 3% du PIB en 2005, au lieu des 2,9% sur lesquels elle s'était engagée.

A 3%, l'Etat français reviendrait ainsi dans les obligations du pacte de stabilité européen pour la première fois depuis 2001 ­ après des déficits de 3,6% en 2004, 4,2% en 2003 et 3,2% en 2002.

Le 8 septembre, le commissaire européen aux affaires économiques, Joaquim Almunia, avait indiqué qu'il n'avait "pas été surpris" par le recalage de 2,9% à 3% opéré par Paris pour 2005, "car c'était notre propre prévision" .

Il n'avait également pas masqué son scepticisme par rapport aux objectifs français pour 2006. "Avec des prévisions de croissance qui ne sont pas très optimistes ­ entre 1,5 et 2% ­ la France devra continuer à faire des efforts et même à faire des efforts encore plus soutenus qu'en 2005 pour pouvoir tenir le cap et rester en dessous du plafond des 3%" , avait-il déclaré. M. Almunia avait notamment pointé le fait que, dans la construction du budget de l'année prochaine, Paris "ne pourra pas, comme cette année, bénéficier de la soulte EDF".

En 2005, le budget a été construit en intégrant le versement de 9 milliards d'euros par l'électricien pour compenser l'intégration de ses salariés dans le régime général de retraite. Cela devrait réduire le déficit d'un peu plus de 0,3 point de PIB. Pour 2006, certains économistes prévoient un déficit public atteignant 3,6% ou 3,8% du PIB.

Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Opinions
Analyse
Quand l'écologie mobilisera-t-elle les politiques ?, par Jean-Louis Andreani

 A près les reproches sur leur impuissance à réduire le chômage, les hommes politiques seront-ils un jour accusés d'être passés à côté de l'urgence écologique ? La hausse du pétrole, conjuguée au risque de changement climatique et à la perspective de la fin des énergies fossiles, aurait pu leur fournir l'occasion d'ouvrir un vaste débat. Cela n'a pas été le cas, ou en tout cas de façon très limitée.

Quitte à forcer le trait, le président de la Fondation pour la nature, Nicolas Hulot, avait raison d'observer, dans nos colonnes (Le Monde du 20 juillet), que, malgré les politiques officielles mises en place par les gouvernements successifs, "l'écologie demeure à quelques exceptions près la préoccupation dernière de nos gouvernements, de nos députés" . De son côté, la Commission de Bruxelles multiplie les remontrances, face aux retards ou réticences qui font de Paris l'un des "mauvais élèves" de l'Europe pour l'environnement.

De fait, parmi les principales forces politiques françaises, aucune ne porte vraiment ces préoccupations. Certes, le président de la République, en partie précisément grâce à la force de conviction de Nicolas Hulot, a ouvert la voie. Mais ses détracteurs lui reprochent de ne pas traduire ses intentions dans les actes. M. Chirac, il est vrai, a même eu du mal à convaincre son propre parti, l'UMP, d'accepter l'inscription dans la Constitution d'une Charte de l'environnement.

En dépit du coup de pouce donné par l'Elysée et Matignon aux énergies renouvelables et aux biocarburants, les énergies renouvelables sont en panne en France et auraient besoin d'une impulsion politique plus déterminée. Auparavant, deux ministres, François Loos (industrie) et Dominique Perben (transports), avaient émis l'idée, vite retirée, de ramener la vitesse maximale sur les autoroutes à 115 km/heure pour dépenser moins d'essence. Sans penser à rappeler que cette réduction aurait pu s'inscrire dans la lutte contre les gaz à effet de serre...

De même, les gouvernements Raffarin puis Villepin ont pris deux décisions qui vont à l'opposé du développement des transports en commun. En 2004, l'Etat a supprimé la ligne de crédit qui aidait les grandes agglomérations à se doter de réseaux de transports en commun, le plus souvent des tramways. Les élus, droite et gauche confondues, n'en sont toujours pas revenus.

Plus récemment, la décision de privatiser les sociétés d'autoroutes a coupé ses ressources à la nouvelle Agence de financement des infrastructures de transports de France (Afitf), destinée en principe à développer des modes de transports alternatifs à la route (rail, voie d'eau...). M. de Villepin a donné, le 1er septembre, de nouvelles assurances sur le financement de l'Afitf. Mais le mal est fait, en termes d'affichage de volonté politique.

A gauche, l'environnement n'a jamais fait partie de la culture du PS ou du PCF. Même si ces deux partis, sensibles à l'évolution de l'opinion, prennent ces sujets plus au sérieux depuis quelques années, au point d'en faire l'une des priorités de leurs programmes. Mais le dernier passage de la gauche au pouvoir, de 1997 à 2002, est loin d'avoir apporté une inflexion déterminante dans ce domaine.

"AUTRE MONDIALISATION"

L'amorce de polémique qui a éclaté au sujet de la hausse de l'essence entre les Verts et le PS, pendant l'été, a confirmé le clivage, à gauche, entre le parti écologiste et les autres: les socialistes, tout comme l'UDF, se sont contentés de demander que la TIPP flottante soit rétablie. Seule préoccupation, compréhensible par ailleurs: l'impact de la hausse du carburant sur le pouvoir d'achat des Français. Les Verts auraient voulu au contraire que la gauche profite de l'occasion pour ouvrir vraiment le débat sur l'énergie et les modes de transports.

Au demeurant, les divisions des Verts, et leurs capacités à s'autodétruire, font que leurs arguments ne sont plus très audibles. En outre, une partie d'entre eux restent proches d'une culture d'extrême gauche, qui privilégie les thèmes sociaux.

Plusieurs facteurs expliquent sans doute le retard français dans la prise de conscience écologique. Il s'agit de demander aux citoyens, aux lobbies et aux chefs d'entreprise de remettre en cause leurs propres comportements, d'où des mécontentements qui pourraient se traduire dans les urnes.

Par ailleurs, une tendance culturelle lourde traverse l'Europe, avec des pays du Nord plus sensibilisés à l'environnement qu'au Sud. Enfin, certains analystes jugent que, sous l'influence de l'hyper-médiatisation et des nouvelles technologies, avec leur flux continu d'information surabondante, la collectivité et ses dirigeants, obnubilés par le court terme, perdent l'habitude de raisonner à longue échéance.

Dans ce contexte, des groupes politiques marginaux et des associations demeurent les principaux vecteurs des préoccupations écologiques. Un décalage comparable s'était déjà produit sur le terrain économique et social. Des associations ­ Attac est la plus connue ­, et des groupes très minoritaires sont restés longtemps les principaux défenseurs d'une "autre mondialisation", opposée au néolibéralisme. Face à l'écho croissant de ce discours dans l'opinion, une partie des forces politiques classiques ont repris certains de leurs thèmes, en particulier pendant la campagne du référendum sur la Constitution européenne.

Le même scénario peut-il se reproduire avec les mises en garde sur l'environnement ? Au PS, Laurent Fabius évoque la "social-écologie". Les deux sujets, au demeurant, sont en partie liés. Si les libéraux, notamment les plus radicaux, sont souvent très discrets sur les questions environnementales, voire réfractaires à l'idée d'un combat contre le réchauffement climatique, c'est bien parce qu'ils savent que cette action passera un jour ou l'autre, en particulier en France, par des régulations nouvelles de l'économie.

Jean-Louis Andreani
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

NonoK ♦ 21.09.05 | 06h46 ♦ Deathwind: "...mesurer soigneusement les couts/bénéfices" des mesures "ecologiques". Le "hic" c'est qu'on peut difficilement mesurer les couts long terme de mesures "polluantes". Et que l'environnement est un bien public. Donc il y a de fortes chances qu'on ait toujours plus interet 'economiquement' a construire une usine qu'a garder un espace vert ... j'approuve JL Andreani
henri+vonnement ♦ 21.09.05 | 06h29 ♦ accepter les changements qu'implique l'urgence écologique c'est accepter de changer de culture. On a put entendre sur France inter hier "les allemands consomment trop peu pour relancer la machine"! Le problème c'est que c'est précisement cette "machine" qui broye le monde qu'il faut arrêter. Notre monde est gouverné par l'emballage et le court terme. Le développement durable c'est une entreprise de fond et de long terme. L'urgence écologique implique donc de réviser nos systèmes politique
68Soul ♦ 20.09.05 | 23h19 ♦ Le problème de toute politique innovante est qu'elle se heurtera à des intérêts, et que ceux dont les intérêts sont concernés ne lacheront pas leur os... notre société trouve son équilibre dans un complexe jeu de forces, qui fait que rares sont les mesures qui fassent l'unanimité... et ceci dit, au-delà de toute idéologie, le principe de précaution est une question de bon sens, on l'a encore vu à la Nouvelle-Orléans où l'entretien des digues n'aurait coûté "que" quelques centaines de millions...
JEAN S. ♦ 20.09.05 | 23h14 ♦ Plutôt que d'« environnement », terme évoquant quelque chose de périphérique, d'extérieur, on devrait parler de « milieu ». On prendrait peut-être alors plus conscience des enjeux.
Stoe+Orkeo ♦ 20.09.05 | 23h13 ♦ Les ressources naturelles et l'environnement sont le patrimoine de l'humanite. Ne pas saisir l'importance d'une gestion durable et solidaire de ces biens et se limiter a l'apparente bonne situation des pays riches, revient a couper la branche de l'arbre sur lequel on est assis.Il faudrait commencer par changer notre mode de penser l'economie et notre facon de consommer.
Tat_nka ♦ 20.09.05 | 21h29 ♦ Je ne réagis qu'à la deuxième phrase:"...conjuguée au risque de changement ..." Au "risque"! Inutile de chercher plus loin le manque d'intérêt des politiques confrontés non aux risques, mais aux réalités des difficultés. La "prudence" scientifique (pourquoi?)et la langue de bois des média ne sont pas pour assurer la prise en compte du problème. Dire donc que les politiques sont nuls de ne pas se mobiliser pour l'écologie, c'est dire que le peuple est nul. On a les représentants qu'on mérite.
ponponette ♦ 20.09.05 | 20h46 ♦ Sans dédouaner les politiques de leurs responsabilités, ni de leur impuissance, n'oublions pas aussi notre propre faiblesse et notre incapacité à mesurer et reconnaitre les notres de responsabilités, tant individuelles que collectives. Sommes-nous capables, avons nous la volonté, de faire pression sur des politiques ? au risque de perdre une partie de notre confort ?
Olivier G. ♦ 20.09.05 | 20h25 ♦ réponse à Deathwind: Les tenants du néolibéralisme feraient mieux de se regarder devant la glace: cette doctrine n'est-elle pas une idéologie ? Si ce n'est pas le cas, C'EST QUOI ?!? C'est vrai, les Verts ne pèsent pas lourd au sein de l'opinion politique: seulemment 8 800 adhérents et 3 député(e)s. Mais… pour une fois, les médias ont dû constater une certaine retenue des différents courants dans le cadre des journées d'été des Verts. À quand l'écologie politique ? Olivier G. un Vert
FDMLDP ♦ 20.09.05 | 18h55 ♦ L'écologie et les problèmes d'environnement sont un baromètre de choix pour mesurer la veulerie (le plus souvent) et le courage (exceptionnellement) des politiciens. Nul domaine n'est en effet plus victime de la pratique du lobbying à l'échelle nationale et locale: Transport routier, industrie automobile, pétrole, grandes et petites entreprises de travaux publics, bailleuses de fonds aux élus locaux (dans les Yvelines par exemple)
Deathwind ♦ 20.09.05 | 17h17 ♦ L'environnement doit être une préoccupation mais il faut mesurer soigneusement les couts/bénéfices des différentes mesures. La situation en matière de pollution (eau, air, etc) à tous points de vue s'améliore depuis plus de 50 ans dans les pays développés ce qui montre qu'il ne faut pas dramatiser la situation. Bien sur on peut faire mieux mais attention à la surenchère médiatique des écologistes dont les arguments sont trop souvent idéologiques
cohelet ♦ 20.09.05 | 17h04 ♦ Assurément nos hommes politiques seront accusés de "laisser faire" lorsque les dégats écologiques seront patents pour tous quotidiennes. Le parallèle avec leur inefficacité et inaction ("on a tout fait, sauf ce qui marche")pour l'emploi est des plus éclairants. Comme le chômage à 10%, aurons-nous alors droit à un niveau de pollution irréductible pour la bonne marche de l'économie?
Dominique M. ♦ 20.09.05 | 15h51 ♦ Chaque avertissement scientifique sur le réchauffement de la planète est désamorcé par le fait que les médias se croient obligés de préciser les torts que celà causera aux pays du sud. Si vous arrivez à faire comprendre aux électeurs occidentaux que les têmpètes risquent de ravager leur économie et leur mode de vie ils s'y intéresseront. Sinon c'est l'égoïsme à court terme qui prévaut: comme pour le sang contaminé, le nuage de Tchernobyl, la colonisation, l'esclavage etc...


Le Monde / Opinions
point de vue
Enseignement supérieur et recherche, l'heure des choix, par Nicolas Sarkozy

 A u-delà de la concurrence entre les marchés du travail, des biens, des services et des capitaux, la mondialisation met, chaque jour davantage, en compétition les systèmes d'enseignement supérieur et de recherche.

Retenir et attirer les meilleurs étudiants, les enseignants et les chercheurs les plus prometteurs; préserver ou acquérir la maîtrise des savoirs les plus avancés et leurs applications technologiques; renforcer les capacités
d'innovation, la compétitivité des entreprises et des territoires: c'est un défi de plus pour notre pays. Et l'un des plus importants, car il conditionne fortement nos perspectives d'avenir et notre rang dans le monde.

Sommes-nous armés pour le relever ? Disons-le sans détour, nos performances ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Le poids de la France dans le volume mondial des publications, des citations scientifiques et des brevets recule.

Notre pays ne se positionne plus qu'à la douzième place mondiale pour l'impact global de ses travaux de recherche. Ces dix dernières années, un seul chercheur français s'est vu attribuer un prix Nobel en sciences, contre trois en Suisse, six en Allemagne, huit au Royaume-Uni et soixante-dix aux Etats-Unis.

Quant à nos établissements d'enseignement supérieur, un classement international récent faisait figurer la première université française à la 46e place, loin derrière des universités américaines, britanniques ou japonaises. Certes, ce type de classement est toujours contestable. Mais j'observe que les indicateurs sont rarement à l'avantage de notre pays.

Pour tempérer ce constat préoccupant, il peut être tentant d'avancer les mérites de notre enseignement supérieur, comme la démocratisation des études. Hélas, les comparaisons internationales ne plaident pas, là non plus, en notre faveur.

Sait-on que plus de la moitié des élèves inscrits en début de premier cycle universitaire échouent sans obtenir le moindre diplôme, quand deux tiers des étudiants américains sortent diplômés ? Que, malgré le doublement des effectifs étudiants depuis vingt-cinq ans, les études supérieures dans notre pays concernent 37% d'une classe d'âge, contre 64% aux Etats-Unis et 51% en moyenne dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ?

Dire cela n'est pas contester la réputation d'excellence, méritée, de certaines écoles, de certains laboratoires et de certaines disciplines en France ­ notamment en mathématiques et physique, dans les sciences humaines et sociales. Ce n'est pas nier la qualité et la motivation d'hommes et de femmes qui prennent part, avec passion, à l'effort de recherche et de formation de la nation. C'est resituer le problème dans une perspective d'ensemble, en acceptant, sans tabous, de se soumettre à l'épreuve des faits. Ce n'est pas en esquivant la réalité ou en se rassurant à bon compte que nous remédierons à nos carences.

Comment en est-on arrivé là ? Notre enseignement supérieur et notre recherche souffrent, d'abord, d'un manque de moyens. La France consacre un peu plus de 1% de sa richesse nationale au financement de l'enseignement supérieur, un effort sensiblement moins important qu'aux Etats-Unis (2,7%), en Corée du Sud (2,6%) ou en Suède (1,7%). La dépense par étudiant y est beaucoup moins élevée que dans la moyenne des pays de l'OCDE. Fait moins connu, qui nous singularise encore davantage, elle est également inférieure de 20% à la dépense moyenne par élève du premier et second degré.

Notre effort de recherche, lui, se relâche depuis le milieu des années 1990, pour stagner autour de 2,2% du produit intérieur brut. Il se situe, dorénavant, en net retrait derrière les grandes puissances industrielles ­ Etats-Unis, Japon, Allemagne, mais aussi derrière la Suède, la Suisse ou la Corée du Sud. Je note, par ailleurs, que la Chine vient de passer devant notre pays pour ce qui est de son poids dans les dépenses mondiales de recherche. Ce manque de moyens trouve, pour partie, son origine dans la situation très dégradée de nos finances publiques. Mais il n'explique pas tout.

Notre système d'enseignement supérieur et de recherche pâtit de l'inadaptation de son organisation et de son mode de fonctionnement. Conçu pour une économie fermée en phase de reconstruction puis de rattrapage, il n'a que très peu évolué depuis. Les universités, qui accueillent les trois quarts des étudiants, sont à la périphérie et non au centre du système. Elles sont marginalisées par les grandes écoles dans la formation des élites et par les grands organismes ­ Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Institut national de la recherche agronomique (INRA), Commissariat à l'énergie atomique (CEA)... ­ dans le pilotage des travaux de recherche. Pénalisées par la faiblesse de leurs instances de gouvernance et des règles de gestion centralisées à l'excès, elles ne maîtrisent qu'une petite partie de leurs moyens d'action. Reconnaissons-le, l'autonomie des universités, affirmée depuis la loi Edgar Faure (1968), puis dans la loi Savary (1984), est restée lettre morte.

Le paysage de la recherche publique est, lui, encombré par la multiplication des priorités et l'empilement des organismes. Epuisé par la dispersion des efforts, il est, de plus, affaibli par une série de clivages dépassés, mais qui ont la vie dure: entre recherche publique et privée, recherche fondamentale et appliquée, sciences humaines et sociales et sciences exactes; clivage, enfin, entre enseignement supérieur et recherche.

Le problème est, aussi, que l'efficience du système n'est pas garantie par des procédures d'évaluation suffisamment transparentes et rigoureuses. La prépondérance du financement récurrent des structures sur la logique du financement des projets, la confusion, au sein des mêmes organismes, des fonctions d'agence de moyens et d'opérateurs de recherche, ne constituent pas des facteurs favorables. Cessons de nier l'évidence: notre dispositif n'est plus adapté aux défis que doit relever une société ouverte sur le monde et engagée dans le processus d'intégration européenne. Il faut dégager, sans tarder, de nouvelles perspectives.

J'insisterai particulièrement sur trois axes de réforme essentiels. Premièrement, nous devons enfin faire accéder nos universités à l'autonomie réelle et effective. Cela suppose de moderniser l'architecture de leur gouvernance et de leur accorder beaucoup plus de latitude dans la gestion de leurs ressources humaines, immobilières et budgétaires. Cela implique ensuite de mieux reconnaître leur place dans l'effort de recherche. Même si elles opèrent souvent sous le label des grands organismes, la majorité des unités de recherche sont aujourd'hui accueillies dans des universités. Des conseils d'administration plus resserrés et plus ouverts sur la société, des présidents dotés de pouvoirs forts qui s'appuieraient sur des services aux compétences renforcées dans le management, un cadre de gestion plus moderne et moins tatillon, une plus grande maîtrise des orientations scientifiques: voilà les principaux ingrédients de l'autonomie. N'ayons pas peur de faire confiance à nos universités.

Deuxièmement, nous devons créer les conditions d'une évaluation plus efficace de la qualité des formations et des recherches. Cela exige de rompre avec la logique des structures, des statuts et des financements indéfiniment acquis. Dans une société d'innovation, l'exigence de réactivité doit primer sur la vocation planificatrice de vastes administrations scientifiques. Je plaide pour que nos grands organismes soient recentrés sur leurs missions d'agences de moyens, qui financent, évaluent mais ne gèrent pas ou peu, sans que cela les empêche de conserver leur réseau de laboratoires propres. Leur rôle principal consisterait à accorder des financements sur projets à des équipes de recherche, notamment universitaires. Il leur reviendrait d'appliquer, au besoin en faisant appel à des experts internationaux, des critères très exigeants de qualité scientifique.

Notre pays a besoin d'une recherche fondamentale de très haut niveau: c'est elle qui détermine sur le long terme notre capacité d'innovation technologique et industrielle. Notre ambition de demeurer l'un des pays les plus développés de la planète est incompatible avec des exigences au rabais en matière d'excellence. Chacun doit comprendre également la nécessité de trouver un bon équilibre entre les restrictions d'ordre éthique et l'exigence de progrès. Sinon, il faudra accepter de dépendre des capacités technologiques d'autres pays et de choix éthiques faits ailleurs, et sans nous. Ce n'est pas ce que je souhaite pour notre pays, ni pour l'Europe, qui devra impérativement s'organiser pour mieux coordonner ses efforts de recherche.

Enfin ­ point capital ­, nous devons revaloriser la place faite aux chercheurs et aux enseignants chercheurs dans la société. Je ne peux pas me résoudre à voir les jeunes talents se détourner des métiers de la recherche ou s'expatrier pour réussir. Cela implique de leur proposer des conditions de travail et des rémunérations plus attractives. Faut-il que l'accès à l'emploi permanent rime forcément avec un statut de fonctionnaire, assorti de rémunérations limitées et d'une évolution de carrière tracée à l'avance ? Pourquoi s'interdire par principe le recours à des contrats à durée indéterminée plus rémunérateurs qui offriraient des perspectives professionnelles plus ouvertes ?

Plus généralement, nous devons introduire plus de souplesse, encourager la mobilité dans les parcours, permettre de gagner davantage à ceux, fonctionnaires ou contractuels, qui travaillent plus.

Cela passe notamment par une liberté de choix plus importante, entre le temps consacré à la recherche et celui dévolu à l'enseignement. Et aussi par une meilleure reconnaissance du doctorat dans l'accès aux responsabilités supérieures de l'administration et des entreprises.

Ces trois orientations, indissociables, s'intègrent dans une démarche ambitieuse qui vise à favoriser, autour de grandes écoles et d'universités à l'autonomie renforcée, la constitution de campus de recherche dotés d'une forte visibilité et qui irrigueraient la société et les territoires. Elles vont de pair avec la simplification et le regroupement des structures et des établissements, dont le nombre actuel est trop élevé.

Les impulsions données par le gouvernement vont dans le bon sens: augmentation des moyens, création de l'Agence nationale de la recherche, refonte de l'évaluation. Mais il faut aller plus loin et plus vite. Le temps presse et les enjeux sont considérables.

Il faut dégager d'importantes marges de manoeuvre budgétaires, ce qui requiert un effort très important de maîtrise de la dépense publique. Sachons faire des choix si nous voulons que l'enseignement supérieur et la recherche deviennent réellement une priorité. Et comme les moyens supplémentaires seront, par construction, toujours insuffisants s'ils sont déversés sur un système inefficient, engageons-nous sans attendre dans l'expérimentation de réformes plus audacieuses, en commençant par l'autonomie de quelques universités. La future loi d'orientation et de programmation sur la recherche nous en donne l'occasion. Ne la laissons pas passer.


Nicolas Sarkozy est président de l'UMP et ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

par Nicolas Sarkozy
Article paru dans l'édition du 21.09.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

NonoK ♦ 21.09.05 | 06h35 ♦ Je lis beaucoup de contributions sur l'Universite, ms personne ne parle de l'autre tete de notre systeme bicephal: les grandes ecoles. Quelles soient de commerce (droits de scolarite eleves) ou d'ingenieurs (contrats de recherche avec le prive), il me semble qu'elles proposent des solutions credibles au financement d'etudes couteuses. Pourquoi serait-ce impossible de faire de meme en universite ???
Anaximandre ♦ 21.09.05 | 04h08 ♦ Un point important dans le systeme de financement de la recherche universitaire par les entreprises aux USA: la motivation. Se voir offrir un job au bout de quelques mois d'intense labeur est gratifiant. Mais il reste une grande partie de la gauche francaise qui n'acceptera jamais de travailler "pour les patrons" (etres diaboliques...). Neanmoins, une certaine partie de la recherche (long terme) doit etre financee par l'etat. La veuve de Boston ne veut pas recevoir sa pension dans 20 ans...
Snoop ♦ 21.09.05 | 03h31 ♦ Y a qu'à... Faut qu'on... En quoi les propositions de M. Sarkozy sont-elles des solutions ? En rien. Elles visent à la performance, à être les plus beaux, les plus forts, les plus riches... A aucun moment, M. S ne pose la question d'être les plus heureux, cette richesse qui comprend toutes les autres. Or, dans le monde en réseau d'aujourd'hui, l'important n'est plus la performance mais la pertinence. Ce pays a besoin de solutions pas d'idées. Sarko a tout faux. Il est dangereux.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 21.09.05 | 02h31 ♦ Paradoxalement NS se livre à une provocation le jour où le commissariat au plan rend public un document où seraient exposées méthodes et démarches pour conduire avec succès le changement et la réforme dans les dépendances de l'état. Rapport disponible à cette adresse: http://www.acteurspublics.com/lme/actu/17/evenement.php
LibertéEquitéSolidarité ♦ 21.09.05 | 02h11 ♦ Quelle mouche a piqué NS ? Veut-il s'attacher les votes de ceux qui, majoritaires et peu organisés, sont favorables à une telle réforme en provoquant ceux qui, minoritaires mais très bien organisés, vont pousser les étudiants et les chercheurs dans la rue ? On imagine déjà la LCR, LO, le PC, le Snes-sup, SUD, l'UNEF tendance-machin, commençant à mettre au point les mots d'ordre, les slogans des futures manifs. Ou bien alors savonne-t-il la planche de Dominique ?
L'autre Stephane D. ♦ 20.09.05 | 23h54 ♦ Vos idees restent en fait tres interventionistes et bureaucratiques. Elle ne sont surement pas liberales. Si vous voulez vraiment attaquer le probleme e 1) faites payer l'universite, et cher. 2) Augmentez les bourses au merite. L'axiome est simple: Tout ce qui est gratuit n'a pas de valeur. C'est pour cela que les etudiants se barrent avant de finir. Si ils avaient du investir 20,000 Euro par ans, ils s'y investirait un peu plus.
Un autre Stephane D. ♦ 20.09.05 | 23h45 ♦ Maggie/Stoe+Orkeo: beaucoup de desinformation sur l'universite americaine (dont je suis diplome). Oui les droits d'entree sont eleves, mais si vous le meritez (bonne notes), vous ne les payerez pas (que vous soyez pauvre ou riche) et si vous etes mauvais, vous n'entrerez pas (que vous soyez pauvre ou riche. La seule exception est si vous etes un athlete exceptionel. Les universites s'arracheront votre entree, quelque soit votre origine, social, couleur, ou talents academiques.
Laurent D. ♦ 20.09.05 | 23h17 ♦ A nouveau, N. Sarkozy met l'accent sur un point fondamental. Toutefois le texte mériterait d'être accompagné de propositions illustrant la finalité des réformes proposées. L'imprécision suscite d'inutiles polémiques fondées sur des interprétations contradictoires. Accorder l'autonomie aux universités, soit, mais à condition d'éviter de grandes disparités entre les différentes régions et de pouvoir maintenir la diversité de la recherche. Vouloir mieux financer c'est préciser comment on financera.
gérard B. ♦ 20.09.05 | 22h33 ♦ On imagine l'après 2007. M.Sarkozy se clone en 12. Chacun constitue un gouvernement dont il est l'unique ministre universel. Ainsi, l'équipe gouvernementale est resserée. Excellente chose! Et, last but not least, les 13 se font une concurrence féroce, abaissant les coûts et augmentant les productivités. Pour 58894€ seulement, un gouvernement Sarkozy-N pourrait durer des décennies ... Rêvons un peu: certains (tous?) se délocaliseraient dans quelque lointain pays...
Deathwind ♦ 20.09.05 | 21h48 ♦ Maggie:au royaume des aveugles les sourds sont rois. Plus de 20% des diplomés de l'enseignement supérieur aux EU sont issus des classes pauvres. De toute facon, ouvez les yeux, les diplomés en France sont très majoritairement issus des classes aisées. Mais le fait est qu'au moins aux EU comme les étudiants payent leurs études en grande partie, ca n'est pas la collectivité qui subventionne les études des aisés ce qui est le cas en France.
MLM ♦ 20.09.05 | 21h09 ♦ Excellent! Enfin des idées rafraichissantes! Vivement que vous preniez le pouvoir, monsieur le président de l'UMP. Ah, mais vous y êtes déjà? Suis-je étourdi...On est comme ça les chercheurs, tête en l'air et naïfs. Et puis on vote mal. Continuez, continuez, messieurs de la droite réformiste: encore quelques idées géniales et nous rattrapperons la Corée du Sud.
gérard B. ♦ 20.09.05 | 20h55 ♦ Monsieur Sarkozy, ministre universel, s'occupe de tout. Sans doute, rien de ce qui concerne le peuple ne lui est étranger. Monsieur Sarkozy lit un peu (trop) vite les rapports de l'OCDE. Il a manqué le passage où l'on lit: dépense/élève/an 7467$, dépense/étudiant/an 9276$/an, ce qui fait (plus de) 20% de PLUS et non en MOINS. Le constat est banal, vrai peut-être, mais Monsieur Sarkozy ne s'engage pas sur le financement: or ne pas financer un système, même efficient ne sera pas .... efficace!
Stoe+Orkeo ♦ 20.09.05 | 19h54 ♦ La scolarite US est certes subventionnee, mais le niveau est tres mauvais. Si on est riche et que l'on a un bon reseau de connaissances(puissantes) on peut entrer relativement facilement a l'universite, sinon point de salut.Car si les "pauvres" peuvent acceder aux universites publiques, celles-ci ne disposent pas de la meme reputation que les universites privees, ce qui finalement permet de maintenir le systeme de segregation sociale et raciale qui existe dans ce pays.
Thomas NY ♦ 20.09.05 | 19h08 ♦ Mr Sarkozy, votre pladoyer manque singulierement de substance. Occuper le terrain est une chose, etre credible sur ce terrain en est une autre. Revenez nous avec des actions concretes, plutot que de longues phrases creuses du type "Je plaide pour que nos grands organismes soient recentrés sur leurs missions d'agences de moyens".
champollion ♦ 20.09.05 | 19h00 ♦ Il y a une solution simple non ? Bloquer les cadeaux fiscaux aux riches et au patronat et les réaffecter là où il faut. Sarkozy n'a décidément aucune idée, mais ça on le savait déjà. Pourquoi attendre 2007 ce qu'il pourrait faire en 2005 ? Parce qu'il n'a aucun programme ! Mais ça on le savait aussi !
Sue ♦ 20.09.05 | 18h40 ♦ Le constat quant l'accès à l'enseignementsupérieur aux USA était déjà vrai en 1960 ! Néanmoins on n'entre pas dans une université US sans avoir été sélectionné, voulez -vous instaurer la sélection en France? Vous aurez des miliers de personnes dans la rue et pendant longtemps.La pérestroïka est impossible comme le relève un lecteur, il faut donc une véritable stratégie pour aboutir.Pourquoi pas une stratégie européenne, de partenariat entre universités?
68Soul ♦ 20.09.05 | 18h40 ♦ L'enseignement français est-il à ce point mauvais que de nombreux 'sur-diplomés" partent faire carrière aux USA? Apparement là-bas, ils sont appréciés à leur juste valeur... ironie de l'histoire: c'est grâce au financement public, et donc à l'argent des citoyens, que ces messieurs feront leur carrière privée, alors que s'ils avaient du suivre leurs études aux USA, ils n'en auraient sans doute pas eu les moyens, tant les droits d'inscription sont élevés... la France perd doublement, au final...
Stéphane D. ♦ 20.09.05 | 18h30 ♦ Maggie, l'Université Américaine joue pleinement son rôle d'ascenseur social, contrairement à la Française. Si les _Universités_ Américaines sont chères, les _scolarités_ sont elles subventionnées par des bourses structurées et/ou des emprunts pour les étudiants doués. Et à l'arrivée, l'Université Américaine délivre nettement plus de diplomes aux couches sociales défavorisées que la Française, qui ne fait que reproduire de génération en génération le niveau social des parents.
vivien d. ♦ 20.09.05 | 18h13 ♦ le constat est évident...comme sur tout ce qui est administré par l'Etat cela se résume à utiliser enfin des méthodes de gestion efficaces et modernes... Sarkozy a le mérite de vouloir instaurer un rapport de forces dans l'opinion contre les corporatismes de la "France qui tombe"... Allègre dont sur le fond le constat est le même doit se sentir bien seul dans un PS qui a perdu toute force de projet et de progrès et s'arcboute sur les corporatismes... Sarkozy irrite le Mammouth et c'est bien..
Maggie ♦ 20.09.05 | 18h08 ♦ Si les deux tiers des etudiants americains inscrits en premiere annee sortent diplomes,ca doit etre tout simplement parce que ceux qui peuvent s'inscrire,avec les droits d'inscription eleves que l'on connait, sont uniquement ceux qui auront les moyens de poursuivre leurs etudes! Et non pas parce que le systeme americain est superieur.En revanche,il est vrai que les enseignants en France decouragent les etudiants,en attribuant des notes particulierement basses.
Deathwind ♦ 20.09.05 | 17h34 ♦ Mohsen B: L'exemple américain, cité dans l'article, montre, que contrairement à l'idée recue un modèle libéral est bien plus équitable puisqu'au Etats-Unis , il y a une plus grande proportion de diplomés de l'enseignement supérieur aux Etats-Unis qu'en France. Le système francais est donc moins équitable que le système américain et laisse plus de monde "au bord de la route" comme vous dîtes.
Deathwind ♦ 20.09.05 | 17h24 ♦ Un bon constat mais un peu léger sur les réformes proposés. En ce qui concerne les moyens, il faudrait ouvrir le financement les universités au privé comme aux Etats-Unis. C'est cette multitude de sources de financement qui permet à l'enseignement supérieur américain d'avoir plus de ressources. Il faut donner l'autonomie de gestion aux universités, les sortir du carcan dirigiste de l'Etat et les laisser établir une concurrence saine entre elles qui seule permet d'obtenir des résultats.
Benjamin I. ♦ 20.09.05 | 17h14 ♦ Je suis d'accord avec M.Sarkozy sur le fait que la revalorisation des chercheurs passe par un nouveau mode de gestion de la recherche (par projets et non par structures) et de nouveaux types de contrat de travail, plus flexibles et plus remunerateurs. Cela donnera plus envie aux etudiants de s'orienter vers cette profession.
claude m. ♦ 20.09.05 | 16h24 ♦ Voulant occuper le terrain tous azimuths, le ministre del'interieur montre qu'il ne connait pas ce dossier: ses solutions sont de confier la recherche aux universites, dont il vient de nous dire qu'elles ne sont pas a la hauteur ! et a casser ce qui marche CNRS, INSERM et INRA entre autres, pour en faire des agences de moyens. Pauvre LOP, s'il s'en occupe. A quoi servent nos ministres de l'ES et de la recherche? Et le premier d'entre eux ?
Nicolas L. ♦ 20.09.05 | 16h01 ♦ Deux pages bien creuses...:(
Stéphane D. ♦ 20.09.05 | 15h55 ♦ Cette réforme de l'université, devons nous la faire seuls ou avec l'Europe?
Aillard ♦ 20.09.05 | 15h50 ♦ Bon, première réaction sur ce site, et j'ai l'honneur de réagir à un "article" signé Monsieur Sarkozy. Je dois dire que la pauvreté du fond (au-delà du constat, qui est juste) me pousse à ne rien répondre sinon ceci: Mr Sarkozy, je sais que l'élection ne se gagne en rien sur le terrain des idées, mais ne pouviez-vous pas faire preuve d'un peu moins de mépris en développant plus et en braillant moins? Néanmoins, vous gagnerez, avec ces méthodes hautement chiraquiennes.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 20.09.05 | 15h20 ♦ Cela a au moins le mérite de la franchise et du parler-vrai ! Ce discours n'est pas nouveau mais c'est la première fois qu'un candidat à la magistrature suprême prend le risque de le clamer haut et fort. Il postule que l'Université est réformable ! Gorbatchev pensait la même chose de l'URSS: ses tentatives de réformes l'ont désintégrée. Toute organisation tend à persévérer dans son être ! NS va découvrir la pertinence de cet adage spinozien ! Deux mandats seront-ils suffisants ?
Benjamin A. ♦ 20.09.05 | 15h19 ♦ Comme d'habitude, une ré-evaluation des conditions de traitement des chercheurs va avec une plus grande précarisation et une résurgence des CDD. Ce n'est pas en proposant des contrats précaires aux jeunes chercheurs que l'on attirera les meilleures vers ces carrières dans un pays ou le CDI est de mise partout. Pour le reste, le constat que fait M. Sarkozy est partagé par tout le de monde mais personne n'a réussi à faire bouger les choses et c'est plus compliqué que de mettre des radars partout.
Un lecteur ♦ 20.09.05 | 15h18 ♦ M Sarkozy pense que si les jeunes docteurs français se détournent de leur pays, c'est en raison du statut de fonctionnaire des chercheurs. Rien n'est plus faux selon moi: le problème vient du fait qu'il n'y a tout simplement pas assez de postes pour les docteurs en France. Il est impossible aujourd'hui d'avoir une quelconque perspective de carrière hors de la recherche publique, et comme il n'y a pas de postes, on forme 10 000 docteurs compétents par an pour l'étranger...
C. Courouve ♦ 20.09.05 | 15h03 ♦ La gauche enseignante continue néanmoins à nier, contre toute évidence, la dégradation du niveau scolaire. Il faut d'abord resserrer les boulons dans le secondaire. Les élèves devraient étudier plus et mieux. Pour obtenir ce résultat, il faudrait établir un contrôle des connaissances à l'entrée dans les Université, comme font les pays européens ayant de meilleurs résultats. Aussi consacrer, dans le secondaire, plus de temps à l'enseignement et moins aux contrôles (un par trimestre suffirait).
un scientifique naif ♦ 20.09.05 | 14h51 ♦ Ce constat, assez juste a mon humble avis, a deja ete etabli par differents responsables politiques a gauche comme a droite. On se demande pourquoi Nicolas Sarkosy, ministre de l'interieur a decide de definir autant de poles de competitivite qu'il y a de departements dans le territoire. A moins que la recherche d'une plus grande efficacite et competitivite de notre systeme de recherche s'arrete pour le president de l'UMP la ou commence celle des voix dans nos chers departements.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 20.09.05 | 14h31 ♦ Nous savons tous que Nicolas est un homme pressé mais sa contribution est un peu courte ! Les lecteurs du Monde peuvent compléter cette observation rapide avec les articles publiés depuis maintenant 2 années par la revue Commentaire et portant sur la crise de la recherche en France ! Beaucoup plus long mais exhaustif !
MOHSEN B. ♦ 20.09.05 | 14h29 ♦ Dans la droite ligne de ses idées ultralibérales, Mr Sarkozy veut faire la sélection au service des entreprises, et laisser la majorité au bord de la route , corvéable à merci.C'est un modèle thatchérien qu'il nous prépare si les Français lui donnent la responsabilité suprême.
PHILIPPE H. ♦ 20.09.05 | 14h27 ♦ Toujours les mêmes idées simplistes, les mêmes critères idéologiques inadaptés. Mesurer le système universitaire à l'aune du résultat de la "compétition" avec les systèmes d'autres pays. La France ne gagne plus assez de médailles ... Rien sur la paupérisation organisée par le libéralisme. Il serait temps de réaliser que les incantations tatcheriennes tous azimuts n'ont plus quer peu d'écho.
C. Courouve ♦ 20.09.05 | 14h15 ♦ Pendant ce temps, la gauche enseignante continue de nier la baisse de niveau, contre toute évidence. C'est dans le secondaire d'abord que les élèves devraient étudier mieux et plus. Un des moyens d'obtenir ce résultat serait d'installer un contôle à l'entrée à l'Université, comme cela se pratique dans la plupart des pays occidentaux qui ont de meilleurs résultats que la France. Un autre serait de consacrer plus de temps à l'enseignement et de revenir à des contrôles trimestriels.
Sylvain ♦ 20.09.05 | 13h54 ♦ Y-a-t'il une suite à cette analyse poussée ? Sinon, on appréciera le choix judicieux du terme « poids » pour évaluer la recherche; on vous remettra bien un petit kilogramme d'articles redondants avec votre brevet inutile ? La quantité en recherche ne donne rien de bon, et ne débouchera pas forcément sur plus de Nobels (quelle obsession du Nobel aussi dans la presse, il faudrait mettre un peu mieux en valeur les médailles Fields et autres Turing Awards).


Le Monde / Europe
Les Verts et la tentation d'une "coalition Jamaïque"

 L a Jamaïque est devenue à la mode en Allemagne. Mardi, à la "une" de la Bild Zeitung , le quotidien populaire le plus lu du pays, s'étalaient les visages de trois personnalités politiques nationales affublés de dreadlocks, l'épaisse coiffure des rastas jamaïcains. Angela Merkel, la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), Guido Westerwelle, le chef du Parti libéral (FDP), et Joschka Fischer, tête de liste des Verts aux élections législatives de dimanche, sont au centre des spéculations concernant la formation d'une coalition gouvernementale "noir-jaune-vert", les couleurs de leur parti respectif ­ et de la Jamaïque.

C'est Joschka Fischer qui, lundi, avait raconté à la presse avoir eu une vision, celle de ses hypothétiques partenaires politiques coiffés de mèches filandreuses, avec "un joint à la main" . Une probabilité aussi réaliste que la renonciation par les Verts de leur hostilité à l'énergie nucléaire, réclamée par M. Westerwelle pour imaginer pouvoir participer à une telle coalition. En cette période d'impasse politique, l'éventualité d'un mariage "noir-jaune-vert" n'est plus jugée irréaliste, en dépit de points de vue diamétralement opposés sur certains dossiers.

Privée de majorité absolue, la droite allemande recherche un partenaire pour gouverner. Les ponts sont pour l'instant coupés avec le Parti social-démocrate (SPD) de Gerhard Schröder. Le Parti de gauche, structuré autour des anciens communistes, est jugé infréquentable. Il ne reste donc plus qu'à courtiser les Verts.

Ceux-ci ont beau avoir gouverné l'Allemagne pendant sept ans au côté du SPD, ils pourraient faire l'appoint nécessaire, avec leurs 51 députés. M. Fischer n'a pas complètement exclu une telle probabilité, même s'il préférerait nettement une coalition "rouge-vert-jaune". Or cette alternative est "catégoriquement" exclue par M. Westerwelle. "On doit aller de l'avant" , a confié le chef de file des Verts, comme pour préparer la base de son parti à une éventuelle alliance avec la droite qui pourrait lui permettre de sauver son poste de ministre des affaires étrangères. Inenvisageable jusqu'à présent au niveau national, une telle alliance a été expérimentée au niveau communal. A Francfort, la ville du ministre des affaires étrangères, les Verts ont coopéré un temps avec la CDU et le FDP.

La CDU est perçue comme la plus incompatible avec les principes libertaires des Verts. Les libéraux, eux, ont davantage de points communs. Ils sont même concurrents auprès de jeunes chefs de petites entreprises. Il n'empêche qu'une "coalition Jamaïque" risquerait de provoquer un départ des militants écologistes les plus à gauche. A Berlin, le chef file des fondamentalistes Verts, le député Hans-Christian Ströbele, a rejeté un tel choix pour prôner, à terme, une alliance incluant le SPD et le Parti de gauche, très critiqué par M. Fischer.

Ce dernier a une marge de manoeuvre étroite, alors que la diffusion des thèmes écologiques et l'exercice du pouvoir ont banalisé les Verts. "Les Verts devraient à nouveau proposer une vraie vision de la société dont ils veulent", reproche Ralf Fücks, président de la fondation Heinrich Böll, proche du parti. Un retour dans l'opposition pourrait y contribuer.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
La droite s'est éloignée des chômeurs et du monde du travail
BERLIN de notre envoyé spécial

 C ertains dirigeants de la CDU-CSU s'en sont inquiétés dès le lendemain du scrutin: leur parti s'est éloigné du monde du travail au cours des derniers mois et a ainsi précipité sa chute. La coalition de droite et des libéraux n'a pas obtenu la majorité absolue dimanche, comme le lui promettaient les sondages au début de l'été. Son programme fiscal et social, qui proposait une rupture libérale, pourrait en être largement responsable: les salariés et les chômeurs avaient toutes les raisons d'être effrayés par les projets d'allégement de la protection contre les licenciements, de contribution unique pour l'assurance-maladie quel que soit le salaire, de hausse de la TVA, d'imposition des primes de travail de nuit, de week-end et de jours fériés...

Retrait du fiscaliste d'Angela Merkel

Paul Kirchhof, le fiscaliste allemand pressenti comme ministre des finances d'un gouvernement conservateur, a annoncé, lundi 19 septembre, avoir mis fin à sa brève carrière politique. "Je vais me concentrer sur ma fonction de professeur de droit pénal et de droit fiscal" , a déclaré M. Kirchhof dans un entretien au quotidien Abendzeitung de Munich.

Cet ancien juge à la Cour constitutionnelle préconisait notamment un système d'imposition à taux unique de 25% pour la quasi-totalité des revenus, ce qui avait déclenché une vive polémique pendant la campagne. Le chancelier Gerhard Schröder l'avait accusé de prendre les Allemands pour des "cobayes" et de vouloir "imposer de la même manière le président de banque et la femme qui fait le ménage dans son bureau".

Mme Merkel avait qualifié M. Kirchhof de "visionnaire" . Elle avait réaffirmé à la fin de la campagne avoir besoin de M. Kirchhof comme ministre des finances. Selon un sondage, les Allemands estiment à 68% (contre 15%) que M. Kirchhof a porté tort à la CDU-CSU. ­ (Corresp.)

Les analyses sociologiques du scrutin réalisées par les instituts Infratest-Dimap et Forschungsgruppe Wahlen à partir de leurs sondages de sortie des urnes dessinent d'ailleurs le portrait d'un parti de droite qui reste trop confiné dans ses bastions traditionnels des campagnes et des petites villes, chez les retraités, les agriculteurs ou les professions libérales. Les chômeurs sont la catégorie sociale la plus sous-représentée dans son électorat, devant les jeunes en apprentissage, les employés et les ouvriers.

Cette régression de la droite dans le monde du travail est perceptible dans les paysages industriels en crise de la Ruhr: la Rhénanie-du-Nord-Westphalie a donné à nouveau sa préférence aux sociaux-démocrates alors qu'elle avait opté aux élections régionales mai pour la droite et les libéraux, déclenchant la convocation d'élections nationales anticipées. En crise, la région la plus peuplée d'Allemagne, naguère bastion ouvrier social-démocrate, a donné 40% des voix au SPD dimanche et 7,6% à son allié les Verts, soit plus de trois points d'avance sur le camp des conservateurs et des libéraux et alors que la gauche radicale (Linkspartei) a franchi de justesse les 5%.

Selon Infratest-Dimap, l'électorat du parti conservateur lui fait confiance pour sa politique économique mais lui a fait peu de crédit pour la justice sociale. C'est également le cas pour son allié libéral FDP. S'il est resté dimanche le parti des professions libérales et des travailleurs indépendants, il a aussi, cependant, capté une audience plus forte chez les employés et les jeunes en apprentissage. Réalisant leurs meilleurs scores chez les actifs de 35 à 44 ans, les libéraux semblent avoir séduit la partie la plus active de l'électorat de droite. Plus les électeurs sont jeunes et moins ils ont choisi le parti de Mme Merkel: "La CDU-CSU se taille à nouveau plus de succès chez les électeurs plus âgés que chez les plus jeunes. Elle ne reste le premier parti d'Allemagne que chez les plus de 60 ans. Dans tous les autres groupes d'âge, le SPD se situe devant elle" , constate le Forschungsgruppe Wahlen.

Dans sa campagne, la CDU avait fait du chômage de masse son principal argument face au chancelier sortant, Gerhard Schröder. Mais c'est le Parti de gauche, alliance des néocommunistes du PDS et de contestataires sociaux-démocrates, qui en a le plus profité. Le Parti de gauche a rassemblé un quart des chômeurs environ et est ainsi devenu le deuxième parti des sans-emploi, après le SPD et devant la CDU. Le nouveau parti est particulièrement puissant dans l'est de l'Allemagne (25%), où le taux de chômage est deux fois supérieur à celui de l'ouest.

LE VOTE DES FEMMES

Malgré son recul, le SPD est cependant resté en tête chez les chômeurs, les ouvriers, les employés et des jeunes en apprentissage. Le thème de la justice sociale est aussi de loin le plus avancé, dimanche, par les électeurs du SPD pour expliquer leur vote. Chez les Verts aussi, la justice sociale vient rapidement après la politique de l'environnement parmi les motivations mises en avant. La coalition sortante semble ainsi avoir réussi à convaincre les salariés que ses réformes constituent une alternative plus juste à la rupture proposée par la droite.

La tactique à l'intérieur de la droite a cependant précipité la glissade de la CDU-CSU dans les derniers jours. Plusieurs centaines de milliers de ses électeurs ont voulu en priorité renforcer le petit parti allié FDP, croyant éviter ainsi une "grande coalition" droite-gauche.

De plus, la faible popularité personnelle de Mme Merkel a encouragé le report des voix vers les libéraux. La CSU bavaroise a obtenu moins de 50% des suffrages dans son fief, soit dix points de moins que lors de la réélection de son président, Edmund Stoiber, au scrutin régional de 2003.

Malgré son recul en Bavière, la CDU-CSU est cependant restée, selon les sondeurs, le parti préféré des catholiques alors que les protestants continuaient à se fier d'abord au SPD. Enfin, l'effet Merkel se serait manifesté sous la forme d'un rééquilibrage des votes des femmes vers la droite... contrebalancé par un déplacement de voix masculines vers la gauche.

Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
Sondeurs et éditorialistes se retrouvent sur la sellette
BERLIN de nos envoyés spéciaux

 C omment les instituts de sondages allemands n'ont-ils pas vu venir la très faible performance de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel aux élections législatives de dimanche ? Cette profession était sur la sellette outre-Rhin au lendemain d'un scrutin dont l'issue a surpris tout le pays. Jusqu'à la fin de la semaine dernière, les instituts de sondages ont crédité la CDU d'un score au moins égal ou supérieur à 40% des suffrages. Dimanche soir, les électeurs en décidaient autrement, n'attribuant au principal parti d'opposition que 35,2% de leurs voix. "La débâcle des sondeurs d'opinion", attaquait Die Welt dans son édition de mardi matin. Le quotidien conservateur estime toutefois que "les électeurs de plus en plus versatiles rendent la vie extrêmement difficile aux chercheurs".

C'est aussi l'argumentation développée par trois des principaux instituts, Forsa, Infratest-dimap et Allensbach, pour défendre leur réputation professionnelle. Alors qu'ils devaient donner à la presse étrangère leur analyse des résultats du scrutin, lundi matin à Berlin, les responsables de ces instituts de sondages s'étaient retrouvés sur le banc des accusés. "Un nombre plus important que d'ordinaire ont décidé dans les dernières heures pour qui ils allaient voter", a plaidé Renate Köchler, d'Allensbach. "Si nous avons surestimé le score de la CDU, nous sommes beaucoup plus proches de la réalité pour les autres partis", a noté Manfred Güllner, de Forsa, sans mentionner le score inattendu du Parti libéral (FPD, 9,8%), vers lequel une partie des voix des électeurs chrétiens-démocrates se sont portées.

Cependant, tous les professionnels ne sont pas de cet avis. Gérald Wood, le patron de la filiale allemande du premier groupe mondial d'enquêtes d'opinion Gallup, a vivement critiqué la qualité des instituts de sondages allemands. Au vu des décalages entre les sondages publiés avant les élections et le résultat des urnes, M. Wood estime "possible que tous les aspects de la représentativité n'auraient pas été observés" par ces instituts et voit un "sérieux problème" dans la proximité entre les partis et les instituts, qui devraient être "clairement séparés".

Estimant avoir été défavorisé par les instituts de sondages et les médias, Gerhard Schröder a attaqué, dans son discours de dimanche soir, ces "observateurs professionnels". Il a réitéré ses critiques sur un plateau de télévision. Pendant la campagne, M. Schröder avait dénoncé à plusieurs reprises une "alliance" entre les sondeurs et les éditorialistes pour le donner perdant et demandé que l'on "respecte" le vote des Allemands qu'il avait appelés à "ne pas se laisser manipuler". Le président de l'Association des journalistes allemands, Michael Konken a rejeté "catégoriquement" lundi, "les accusations générales de manipulation par les médias".

Antoine Jacob et Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
Analyse
L'Allemagne a une longueur d'avance sur la France

 S i l'Allemagne et la France ont des débats politiques si ressemblants, c'est qu'elles sont soumises aux mêmes problèmes économiques et sociaux. Toutes deux ont une croissance affaiblie et un chômage de masse persistant: 11% outre-Rhin, 10% de ce côté. Toutes deux ont une population vieillissante ­ même si la France a un taux de natalité bien supérieur ­ et des difficultés d'intégration des immigrés. Toutes deux souffrent de comptes publics et sociaux très déficitaires.

L'adaptation au nouveau capitalisme libéral et à la mondialisation impose les mêmes remises en cause douloureuses dans les deux pays, adeptes du même "modèle rhénan" à forte solidarité ­ quoique sous des formes un peu différentes ­, faisant une grande place à l'Etat en France, donnant une place centrale aux banques en Allemagne. Quelle réforme de l'Etat-providence ? La question est la même des deux côtés du Rhin.

La clé manquante pour les deux pays est celle de la croissance. Pourquoi leur économie ne parvient-elle plus à atteindre les 2% de croissance quand l'économie mondiale connaît une période florissante à plus de 4% et que d'autres en profitent largement comme les pays scandinaves, les pays de langue anglaise et, bien entendu, les pays asiatiques ? France et Allemagne ont un "potentiel" affaibli par le vieillissement, certes, mais cette explication ne suffit pas. En outre, très sujettes aux à-coups conjoncturels de l'économie américaine, elles ne parviennent même plus à atteindre ce "potentiel" et tombent vers un chiffre inférieur à 1,5%, comme cela sera le cas sans doute cette année et en 2006. Quand l'économie américaine tombe, elles suivent; quand elle remonte, elles tardent. Les deux économies sont devenues à la fois structurellement et conjoncturellement faibles.

A la racine du mal structurel, on débat, dans les deux pays, de la mauvaise qualité de l'éducation, en particulier supérieure, qui prépare mal aux métiers utiles. On discute du poids des impôts et des taxes qui renchérit le coût du travail, notamment du travail non qualifié. On évoque l'excès de générosité du système social qui découragerait le travail et la prise de risques.

Les réponses apportées par les gouvernements français et allemand ont un point commun: elles ont tardé. La France a attendu dix ans avant de réviser son système de retraites et Jean-Pierre Raffarin n'a résolu qu'un tiers du problème. L'assurance sociale n'a toujours pas fait l'objet d'un redressement efficace malgré les "plans" successifs, comme vient de le démontrer la Cour des comptes. Le gouvernement Villepin s'est volontairement limité à un seul changement, celui du marché du travail, en créant un contrat nouvelle embauche. Les réformes de l'Etat sont suspendues.

En Allemagne, Gerhard Schröder a attendu 2003 pour lancer un ensemble de réformes (l'Agenda 2010), notamment, lui aussi, du marché du travail avec la création de contrats pour des emplois très peu chers. L'Allemagne a, en revanche, drastiquement limité les dérives des dépenses de santé. La détermination du chancelier a alors surpris et les mesures prises ont été dures, causant justement une si vive contestation à gauche que M. Schröder a été forcé de retourner devant les électeurs. L'Allemagne a donc globalement plus avancé que la France dans la voie des réformes.

PROBLÈMES SPÉCIFIQUES

Si les deux pays font face aux mêmes problèmes d'adaptation, ils diffèrent ensuite sur des problèmes spécifiques. Celui de l'Allemagne est, d'abord, celui de l'ex-RDA, dont le décollage économique se fait toujours attendre. Ce sont des centaines de milliards de marks, prélevés dans la poche des contribuables de l'Ouest, qui sont versés sans résultat ou presque à l'Est, y provoquant un désarroi et une nostalgie à l'origine du vote néocommuniste. Seize ans après la chute du Mur, l'Allemagne reste plombée par la réunification.

L'autre différence tient au rapport privé-public. En France, le secteur privé est sorti avec un avantage de compétitivité de l'entrée dans l'euro. Le mal vient du poids de l'Etat et de son faible rapport qualité/coût. L'Allemagne, au contraire, est entrée dans l'euro ave un mark trop fort et des coûts de main-d'oeuvre les plus élevés du monde. D'où, ensuite, une longue période de réduction et de restructuration qui, aujourd'hui porte ses fruits. L'Allemagne a retrouvé a première place sur le podium des pays exportateurs. Son appareil industriel est brillant. Le problème allemand est qu'à force d'avoir tiré sur les salaires, la consommation est très faible. Les Français, jusqu'ici, n'ont pas fui les magasins. Mais, en revanche, le déficit revenu du commerce extérieur montre que l'appareil industriel est désormais mal positionné et de taille trop faible. Pour schématiser, le problème allemand est la consommation, le problème français est l'investissement.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
Analyse
Toutes les alliances sont arithmétiquement possibles

 L es élections du 18 septembre n'ayant dégagé aucune majorité claire, les candidats à la chancellerie vont devoir composer une coalition multicolore s'ils veulent avoir une chance d'être élus par le Bundestag et de former un gouvernement stable.

En Allemagne, les partis sont couramment désignés par une couleur. L'émiettement du paysage politique propose donc une palette bigarrée. De gauche à droite, le rouge est associé au Parti social-démocrate, ainsi qu'au nouveau parti de la gauche radicale, le vert aux écologistes, le jaune au Parti libéral et le noir à la Démocratie chrétienne, que ce soit la CDU ou sa variante bavaroise, la CSU.

Arithmétiquement, toutes les combinaisons sont aujourd'hui possibles.

La grande coalition. Elle associerait les deux grands partis populaires, CDU-CSU et SPD, avec 447 sièges au Bundestag (la majorité absolue est de 307). Une telle formule a déjà existé entre 1966 et 1969. Elle se heurte à la prétention d'Angela Merkel et de Gerhard Schröder de la diriger. Traditionnellement, c'est le parti arrivé en tête aux élections qui forme le gouvernement. Mais cela n'a pas été toujours le cas. Si l'impasse persistait, il pourrait être fait appel, pour diriger une grande coalition, à un "troisième homme", sans doute issu de la Démocrate chrétienne.

La "coalition jamaïcaine". Les Allemands viennent de découvrir cette combinaison, appelée ainsi parce qu'elle regrouperait le noir, le jaune et le vert, les couleurs du drapeau de la Jamaïque. Cette formule de coopération entre les chrétiens-démocrates, les libéraux et les Verts serait inédite. Elle n'a jamais été expérimentée, y compris dans les gouvernements régionaux. Personne ne l'exclut, car son évocation donne aux différents protagonistes un atout supplémentaire dans la partie de poker qui vient de s'engager.

La coalition "feux tricolores". Rouge, jaune, verte, elle mettrait ensemble les sociaux-démocrates, les libéraux et les Verts. Ils trouveraient facilement un terrain d'entente sur les problèmes de société, mais ils s'opposent sur les réformes économiques. Le président du FDP, qui, avant les élections, s'était clairement prononcé pour une alliance avec la CDU-CSU, a exclu une coalition "feux tricolores". Elle lui apparaît comme une bouée de sauvetage pour le gouvernement rouge-vert.

La coalition rouge-rouge-verte. Cette coopération entre le SPD, la gauche radicale et les Verts disposerait d'une majorité au Bundestag, mais elle a été écartée aussi bien par Gerhard Schröder que par Joschka Fischer. Ils ne veulent pas travailler avec un parti dirigé par un transfuge du SPD (Oskar Lafontaine) et un transfuge de l'ancien Parti communiste d'Allemagne de l'Est (Gregor Gysi). La gauche radicale est du reste laissée à l'écart de tous les pourparlers menés par les autres formations.

Un gouvernement minoritaire. Si aucune entente n'est trouvée entre les partis, la Constitution permet à n'importe quel candidat chancelier d'être élu par le Bundestag (au troisième tour de scrutin avec une majorité relative) et de gouverner avec des majorités changeantes. C'est un cas de figure théorique que n'a jamais connu la République fédérale.

Daniel Vernet
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
M. Schröder veut empêcher Mme Merkel de devenir chancelière
BERLIN de notre correspondant

 G erhard Schröder est décidé à vendre chèrement sa peau. Après avoir littéralement tracté un Parti social-démocrate allemand (SPD) moribond pour faire quasiment jeu égal avec l'opposition conservatrice aux élections législatives du 18 septembre, le chancelier sortant s'agrippe au pouvoir. S'il a peu de chances d'y rester, au moins espère-t-il emporter dans sa chute sa rivale conservatrice, Angela Merkel, très fragilisée par le scrutin. La manoeuvre, décrite par certains comme un dernier baroud d'honneur, complique la formation d'un nouveau gouvernement.

Trente jours pour nouer des alliances

Elus dimanche, les nouveaux députés allemands doivent se réunir dans les trente jours qui suivent le scrutin, selon la Constitution, soit le mardi 18 octobre au plus tard. Dans l'intervalle, le gouvernement sortant, dirigé par Gerhard Schröder (SPD), expédie les affaires courantes. Pendant ce temps, le président de la République fédérale, Horst Köhler, doit s'entretenir avec les dirigeants des principaux partis et choisir celui ou celle qui aura noué les alliances les plus solides pour en faire le chancelier ou la chancelière. Le président présentera cette personnalité au Bundestag pour approbation. Si les députés ne l'élisent pas à la majorité absolue au bout de deux tours, ceux-ci peuvent choisir eux-mêmes un candidat à la majorité relative. Dans ce cas, le président de la République peut soit confirmer ce choix, au risque d'une instabilité parlementaire, soit dissoudre le Bundestag. ­ (Corresp.)

Au lendemain du vote, le chancelier rayonnait comme si le vainqueur, c'était lui. Longuement applaudi, lundi 19 septembre, par des militants réunis au siège du SPD à Berlin, il savourait le score de 34,3% des voix obtenu par son parti au terme d'une campagne très personnalisée. A priori, il n'y a pas de quoi festoyer. C'est le plus mauvais résultat enregistré depuis les élections de la réunification en 1990, à propos de laquelle le candidat social-démocrate Oskar Lafontaine avait été très réticent.

Mais le pire, promis par les sondages, a été évité. Surtout, la dernière ligne droite de la campagne menée à la hussarde par un Schröder survolté a détourné une partie des électeurs de l'opposition, effrayés au dernier moment par son projet jugé trop libéral. Cette performance a permis au chancelier sortant de faire taire, au moins provisoirement, les critiques qui se faisaient entendre en interne contre sa politique et sa décision de provoquer des élections anticipées.

Lundi, M. Schröder et son équipe se sont appliqués à développer une tactique déjà ébauchée la veille au soir. S'il y a un vainqueur du scrutin, disent-ils, c'est bien le SPD. D'une part parce que l'opposition conservatrice, à qui une large victoire a longtemps été promise, a subi "une défaite morale" en ne recueillant que 35,2% des suffrages, son troisième plus mauvais score depuis la guerre. Ensuite, et c'est une nouveauté sortie du chapeau de M. Schröder, parce que, mathématiquement, le SPD est le premier en voix, face à un camp conservateur "composé, en réalité, de deux partis différents" , l'Union chrétienne-démocrate (CDU), qui a obtenu 27,8% des voix au niveau national, et l'Union chrétienne-sociale (CSU) de Bavière, qui en a totalisées 7,4%. Il revient donc au SPD le droit de mener les négociations en vue de former un nouveau gouvernement.

POURPARLERS EXPLORATOIRES

L'argument, étayé par Frank Müntefering, le président du SPD, a choqué l'opposition, visiblement désarçonnée par cette façon de présenter les choses. De fait, la CSU a toujours été considérée comme l'aile bavaroise de la CDU. Les deux formations ne présentent pas de listes électorales concurrentes et leurs résultats au niveau fédéral sont comptabilisés ensemble. Au Bundestag, l'Assemblée nationale allemande, elles siègent au sein d'un même groupe parlementaire. C'est la tradition. De même, la CSU et son leader Franz Josef Strauss participaient au gouvernement de grande coalition formé de 1966 à 1969 entre les chrétiens-démocrates et le SPD, sous la direction de Kurt Kiesinger (CDU).

Aujourd'hui, le SPD ne s'arrête pas à ce genre de détails. Et M. Müntefering a beau jeu de noter que "les dirigeants de la CDU et de la CSU sont toujours invités à deux sur les plateaux de télévision" et bénéficient donc du double de temps de parole. Fort de son rang de "premier parti au Bundestag" , le parti de M. Schröder a invité les dirigeants des Verts, de la CDU-CSU et du Parti libéral (SPD) à tenir, cette semaine, des pourparlers exploratoires sur la possible formation d'une coalition. La CDU-CSU en a, bien sûr, fait de même. Seul le nouveau Parti de gauche (8,7%) est hors du jeu pour l'instant.

Les invectives de la campagne étaient encore trop présentes dans les esprits, lundi, pour que les partis songent sérieusement à composer entre eux. L'heure était plutôt au renforcement des positions respectives et à la formulation de conditions nécessaires pour accepter tel ou tel adversaire dans les pourparlers. Les médias énumèrent toutes les combinaisons possibles, dans un feu d'artifice de couleurs ­ chaque parti ayant la sienne. La combinaison "noir-jaune-vert" (CDU-CSU, FDP et Verts) concentrait particulièrement les attentions lundi. Les libéraux ont indiqué ne pas être opposés à une telle idée, à condition que les Verts changent de politique énergétique. Le chemin menant à un gouvernement reste donc long et étroit.

Mardi matin, la perspective d'une grande coalition "noire-rouge" (CDU-CSU et SPD) était jugée la plus apte par les médias à sortir le pays de l'impasse. Pour cela, il faudrait que M. Schröder et Mme Merkel se retirent, notaient certains journaux. Selon le quotidien de gauche Taz, "Schröder aura alors au moins empêché Merkel d'être chancelière et ainsi triomphé une dernière fois" .

La candidate CDU a paru ébranlée, lundi, devant les médias. De profonds cernes sous les yeux, elle a affirmé vouloir "aller vite" dans la formation d'une coalition. Le temps presse pour cette femme de 51 ans. Si les caciques de la CDU se sont succédé devant les caméras pour l'assurer de leur soutien, le front commence à se craqueler. "Pour le bien du parti" , un candidat CDU a demandé le retrait Mme Merkel.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
Amers, les milieux patronaux allemands se résigneraient à une "grande coalition"
BERLIN de notre envoyé spécial

 L' absence de majorité claire au lendemain des élections législatives a introduit une incertitude jugée préjudiciable par les marchés et les milieux d'affaires, par ailleurs déçus que les réformes libérales annoncées par la droite risquent de ne se matérialiser qu'en partie. L'euro est tombé à 1,2105 dollar lundi matin, son plus bas niveau depuis le 28 juillet, et il cotait 1,2157 mardi matin, soit 0,8 cents de moins qu'avant les élections.

A la Bourse de Francfort, l'indice Dax a chuté de près de 3% à l'ouverture avant de se reprendre et de terminer la séance en baisse de 1,21%, à 4 926,13 points. Les actions des groupes énergétiques, automobiles et chimiques ont reculé, les projets de la droite allemande concernant la prolongation des centrales nucléaires ou une législation moins écologiste pour les industriels semblant remis en question.

La coalition de droite et des libéraux promettait aussi moins de "bureaucratie", une baisse des contributions patronales à l'assurance-chômage et à l'assurance-maladie, des licenciements plus faciles ou une remise en question de la cogestion. "Le résultat du vote est un désastre pour l'économie allemande" , a déclaré le président du groupe pharmaceutique Altana, Nikolaus Schweikart. "Une grande coalition signifie le statu quo" , a-t-il expliqué.

"Du point de vue de l'industrie et des milieux économiques, nous sommes amèrement déçus" , a ajouté Jürgen Thumann, le président de la Fédération allemande de l'industrie (BDI). "L'Allemagne va être plus difficile à gouverner" , a-t-il ajouté, tout en assurant qu'une majorité claire issue d'une grande coalition pourrait être un "progrès" .

Le président de l'Assemblée des chambres de commerce DIHK, Ludwig-Georg Braun, a lui aussi plaidé implicitement pour une grande coalition entre la droite et les sociaux-démocrates en appelant à une "majorité stable" et en louant les résultats du "sommet de l'emploi" entre la CDU et le SPD, qui, en mars, avait accouché d'un projet sans suite de baisse des impôts. Le président des exportateurs Anton Börner a, à l'inverse, plaidé pour un accord de la droite et des libéraux avec les Verts.

Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
Claus Leggewie, professeur de sciences politiques à l'université de Giessen (Hesse)
"On voit se développer une sorte d'espace politique européen"

 E n votant contre les deux grands partis, l'Allemagne a-t-elle eu peur des réformes ?
Les associations patronales et aussi une partie de la presse estiment que le résultat est un "ni oui ni non". Je ne crois pas. Les études d'opinion sérieuses montrent que les Allemands sont prêts à des changements mais que beaucoup d'entre eux ne voient pas vraiment comme des réformes ce que les partis sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates, qui ont souvent agi de concert, leur ont proposé, par exemple dans le domaine de la santé et de la retraite. Ils voient un retour en arrière de l'Etat social sans que le chancelier Schröder ou Angela Merkel leur montrent vraiment dans quelle direction cela va. les Allemands sont tout à fait prêts à faire des sacrifices s'ils comprennent où cela les mène à long terme.

Quelle est la différence avec la France, où les réformes suscitent une grande méfiance ?
Comme toujours, la culture politique française est beaucoup plus étatiste, centraliste. L'Allemagne a plus intégré ce qu'on nomme en France le néolibéralisme, la notion de pluralisme. L'Allemagne est depuis beaucoup plus longtemps une économie de marché, avec une composante sociale. La confiance dans l'Etat et la classe politique est moindre qu'en France.

En Allemagne aussi la nouvelle gauche, avec Oskar Lafontaine et Gregor Gysi, rejette le néolibéralisme ?
Gerhard Schröder n'a pas vraiment cherché à convaincre son parti de le suivre sur la voie des réformes. Il a perdu la confiance d'une majorité de son parti, il a provoqué en son sein de la résignation, aussi un mouvement de rébellion. La figure de Lafontaine, l'ancien président du parti, a servi de soupape. L'alliance avec les néocommunistes de l'Est a été un beau coup tactique. Des déçus de la social-démocratie, des Verts de gauche, mais surtout beaucoup de salariés syndiqués y ont trouvé un moyen de faire entendre leurs protestations.
Les perdants de la modernisation, des réformes, de la globalisation n'étaient pas vraiment représentés en Allemagne. Les partis ne s'y différencient que dans le degré des réformes qu'ils veulent. Ceux qui ne sont pas d'accord, qui se voient comme les victimes de la modernisation, n'étaient jusque-là pas représentés.

Ceux-là font-ils les mêmes critiques qu'en France contre le néolibéralisme ?
Tout à fait. Ils sont dans la rhétorique des militants français modérés du non à la Constitution européenne. Ils ont repris leurs thèmes. Ils ne sont pas seulement contre la réforme du marché du travail de Gerhard Schröder, ils sont aussi contre certaines conséquences de la globalisation, contre l'organisation mondiale du commerce ou le FMI. Ils sont contre une Europe asociale. Il y a là un transfert programmatique clair de la France vers l'Allemagne, notamment à travers le mouvement Attac.

Quel est le rôle des syndicats ?
Ils jouent un jeu double. Ils n'ont pas soutenu le Parti social-démocrate dans la campagne, c'est nouveau. Ils n'ont pas donné de consigne de voter contre le chancelier, mais ont laissé leurs membres soutenir le parti de gauche. L'objectif est d'utiliser le Parti de gauche pour ramener la social-démocratie à gauche.

Les Britanniques ont espéré que l'arrivée de la droite allemande au pouvoir conforterait leur vision libérale de l'Europe. Seront-ils déçus ? L'Allemagne restera-t-elle prudente ?
Oui, je le crois. Mais n'oublions pas que Schröder lui aussi a mis en pratique une politique néolibérale avec ses réformes du marché du travail, des impôts, pour attirer les capitaux en Allemagne. Dans la campagne, il a "rétro pédalé" pour insister sur la dimension sociale, mais il a toujours dit qu'il poursuivrait son agenda 2010, taxé de néolibérale par Oskar Lafontaine. Il n'y aura pas de tournant.
Au niveau européen, il va être intéressant de voir si la ligne britannique ­ libre commerce, libre marché, ouverture des frontières ­ s'impose avec l'aide des pays de l'Est. Ou si on voit se maintenir une sorte d'axe franco-allemand, sur des thématiques comme la directive Bolkestein sur les services ou celle du "plombier polonais". La réponse est ouverte. Ici, la partie n'est pas jouée.

Les dirigeants politiques français ont fortement réagi à l'élection allemande selon leurs couleurs. Est-ce le début d'une conscience politique européenne ?
Je ne crois pas que les Allemands le voient mais c'est une réalité. On voit se développer une sorte d'espace politique européen. Les formations politiques sont plus ouvertes, ce ne sont plus les vieux partis de tradition, ni les mêmes coalitions qu'avant. La scène politique est plus flexible, plus fluide, et en même temps plus homogène. On voit partout une segmentation. En Allemagne aussi on assiste à de forts glissements d'une élection à l'autre. C'est désormais un style européen.
Au Parlement européen, on voit depuis longtemps des majorités changeantes selon les thèmes, ce qui devrait s'imposer dans les parlements nationaux à moyen terme. Je crois qu'il y a une européanisation inconsciente, invisible de l'espace politique en Europe. Les comportements politiques, qu'il s'agisse des camps politiques, des coalitions, des programmes, de la volatilité de l'électorat, ne cessent de se rapprocher.

Propos recueillis par Henri de Bresson
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
M. Sarkozy refuse de voir un avertissement dans la demi-victoire de Mme Merkel
ÉVIAN (Haute-Savoie) de notre envoyé spécial

 L a demi-victoire d'Angela Merkel préfigure-t-elle une future Berezina pour la droite française ? Lundi 19 septembre, lors des journées parlementaires de l'UMP, à Evian, Nicolas Sarkozy s'est efforcé de balayer cette hypothèse. Et de couper court à toutes les tentatives venues notamment... des chiraquiens de projeter les résultats allemands sur les futures élections présidentielle et législatives françaises. "On a tiré les mauvais enseignements de ce scrutin, a déclaré M. Sarkozy à l'issue du dîner des parlementaires. Au final, les Allemands ont dit oui à la réforme." Lui-même se sent-il atteint par ce résultat, somme toute décevant pour le camp libéral qui le soutient ? Réponse de M. Sarkozy: "Je suis un objet politique non identifiable."

Il n'est pas sûr que cette défausse suffise à faire taire les critiques qui, depuis la montée en puissance de Dominique de Villepin, reprochent au ministre de l'intérieur un positionnement trop radical. Sans le dire, M. Sarkozy comptait sur une victoire nette et sans bavures de Mme Merkel ­ qu'il a reçue à Paris durant l'été ­ pour créer un "environnement favorable" au programme de réformes qu'il se propose de mettre en oeuvre s'il accède au pouvoir. Un succès de la droite allemande aurait donné un peu plus de vigueur à sa volonté de transformer le "modèle social français" et d'incarner la "rupture par rapport à la politique menée durant ces trente dernières années" .

De leur côté, les proches du premier ministre français, Dominique de Villepin, qui soutiennent avec lui "la croissance sociale" , souriaient d'aise. "La rupture, c'est anxiogène" , confiait un ministre. Un député proche de M. de Villepin enfonçait le clou: "Les gens la réclament, mais, au fond, ils n'y croient pas. Les Allemands apportent la preuve qu'au moment de choisir, ils ont privilégié ce qu'ils avaient plutôt qu'un saut dans l'inconnu."

"ERREURS DE CAMPAGNE"

L'entourage de Nicolas Sarkozy, tout à sa contre-attaque, avance d'abord les "erreurs de campagne" de Mme Merkel afin de mieux sauver son programme. Député de Paris et spécialiste des questions internationales, Pierre Lellouche ­ qui avait averti à plusieurs reprises du risque de tassement de la popularité de Mme Merkel ­ insiste sur les raisons "germano-allemandes" qui ont conduit à la performance en demi-teinte de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et insiste sur "l'inexpérience et le manque de charisme" de Mme Merkel. Il ajoute: "Nicolas Sarkozy, lui, a l'expérience, le charisme et l'énergie." Cruel, un député renchérit: "L'un, [Gerhard] Schröder, savait parler à la télé, l'autre pas."

"Ce n'est pas un échec sanglant, veut croire Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités locales et bras droit de M. Sarkozy. Des défaites comme ça, on en veut tous les dimanches."

Insistant sur le gain réalisé par le Parti libéral (FDP), M. Hortefeux voit dans la montée en puissance des libéraux allemands la preuve que la réforme n'est pas rejetée. François Fillon, nouveau sénateur de la Sarthe, enrôle même M. Schröder dans le camp des réformistes: "Au fond, dit-il, il est, sur bien des sujets, plus libéral que nous."

Dans l'esprit des soutiens de M. Sarkozy, il n'est pas question de mettre en sourdine ses propositions les plus radicales, comme sa volonté de plafonner l'impôt sur le revenu à 50% ou de conditionner la perception du RMI et de minima sociaux à l'exercice d'une activité. Hervé Novelli, ancien proche d'Alain Madelin, estime que la principale erreur de Mme Merkel est d'avoir proposé une hausse de la TVA sociale, alors que le programme de l'UMP repose sur un "choc fiscal" et une baisse des prélèvements obligatoires. Une conclusion partagée par M. Devedjian, conseiller politique de l'UMP: "La rupture n'est pas en cause, c'est la méthode."

Dès lors, les proches de M. Sarkozy le poussent à se tourner plus encore vers les "modèles qui fonctionnent": Danemark, Grande-Bretagne ou Espagne. Seul, Pierre Méhaignerie, secrétaire général de l'UMP, qui incarne la sensibilité centriste et sociale, considère que les élections allemandes constituent une "alerte" pour le futur candidat à l'élection présidentielle. "Il faut, analyse-t-il, faire fonctionner en même temps le levier économique et le levier social. La rupture ne pourra convaincre que si elle sert l'emploi, les jeunes et l'égalité des chances." Et il ajoute: "Si elle [la rupture] se fait au profit des cadres supérieurs, elle sera mal perçue par le reste de la population."

Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
A Bruxelles, M. Fabius s'inquiète du couple franco-allemand
BRUXELLES de notre envoyée spéciale

 L e voilà, assis dans un amphithéâtre du Parlement européen à Bruxelles, chez les "croisés du oui" plaisante-t-il en aparté, alors que sa venue est présentée comme "la plus polémique" . Pour sa première visite hors des frontières depuis la victoire du non en France le 29 mai, Laurent Fabius était l'invité du Mouvement européen et du quotidien belge Le Soir , organisateurs d'un débat consacré, lundi 19 septembre, au "rêve" européen. En guise d'introduction, la rédactrice en chef du journal évoque des lecteurs qui se sont émus de la présence du socialiste français et ont écrit: "Est-ce que Fabius et le rêve européen, ça rime encore ?"

Mais ce soir, la préoccupation est allemande. Laurent Fabius tire "quelques leçons" des élections législatives du 18 septembre outre-Rhin, qu'il expose ainsi: "Sur la partie droite, lorsqu'on avance un programme ultralibéral, on perd. Sur la partie gauche, quand on ne répond pas aux aspirations populaires, on est sanctionnés." L'ancien premier ministre veut surtout retenir que, "encore une fois, ce sont les électeurs qui votent et non les sondages" . Hors tribune, il salue la "dynamique" du social-démocrate Gerhard Schröder, "un bon orateur, qui a gauchi son discours" , non sans ajouter: "C'est bien de résister quand on perd, mais mieux vaut gagner." Il s'inquiète du couple franco-allemand: "Avec un Chirac en bout de course et un gouvernement allemand qui n'aura pas une assise énorme, cela ne va pas être facile."

Dans la salle du Parlement, placé à ses côtés, l'ancien chef du gouvernement belge Jean-Luc Dehaene, qui avait coprésidé la Convention pour la Constitution européenne, a l'air de bouder. On refait la bataille du oui et du non. Le Polonais Bronislaw Geremek, député européen libéral-démocrate, défend le "plombier polonais" et se dit "sans indulgence pour les politiciens qui exploitent ces angoisses" . "La gauche n'est pas entrée dans cette problématique" , rétorque M. Fabius.

Le dialogue avec la salle, composée d'anonymes, est policé. Pour répondre aux critiques sur l'absence de "plan B", M. Fabius suggère de "s'opposer aux directives dangereuses" et de préparer, "pour 2007" , une nouvelle mouture de la Constitution. Au passage, il indique que "la méthode Monnet, faite de quelques personnes remarquables qui définissent les axes et ont de l'influence, est morte" .

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
La Lune avant Mars

 E n présentant, lundi 19 septembre, un billet de retour vers la Lune pour 2018, la NASA offre un drôle de marché aux Américains. Elle leur propose d'alourdir de 104 milliards de dollars un budget déjà grevé par les dépenses du conflit irakien et les ravages du cyclone Katrina contre la promesse d'une échappée loin des désastres actuels. Du rêve pour oublier le cauchemar. Une nouvelle aventure qui aurait la douceur d'un fabuleux souvenir: Neil Armstrong, premier homme à marcher sur la Lune le 21 juillet 1969.

Cette première conquête trouvait alors sa justification dans la guerre froide, durant laquelle rien ne paraissait trop coûteux pour distancer, même symboliquement, l'ennemi soviétique. Aujourd'hui, en proie à des tourments multiformes, les Américains ­ et au premier chef leurs représentants qui votent les crédits de la NASA ­ vont-ils juger nécessaires ces nouveaux sacrifices ? La question n'est pas seulement posée aux dirigeants de l'agence spatiale américaine. Elle est adressée à George W. Bush, qui a précisément fixé la feuille de route d'un retour sur la Lune suivi d'une expédition humaine vers Mars avant 2030.

Si le président américain veut que la popularité de l'aventure spatiale, jusqu'ici jamais démentie, contribue à atténuer ses déboires actuels, il devra convaincre que la nouvelle mission lunaire n'est pas simplement une fuite en avant permettant à la NASA d'échapper à son grand échec des trente dernières années: la navette spatiale. Trop dangereux, trop coûteux, trop complexe, l'avion de l'espace, qui sera abandonné en 2010, a enfermé les vols habités, avec la station spatiale internationale (ISS), dans le piège de l'orbite basse autour de la Terre. Or celle-ci n'a jamais tenu ses promesses industrielles, et ne fait plus rêver personne.

Les trois jours de voyage vers la Lune suffiraient pour sortir de ce marasme tout en sauvegardant les entreprises et les emplois de ce secteur d'activité ­ car telle est aujourd'hui la principale raison de la conquête spatiale. Pour cela, il faudra aussi démontrer que les nouvelles missions ne se résument pas à un passage des images en noir et blanc des pionniers d'Apollo à la couleur. Or le projet présenté ressemble, par bien des aspects, à un décalque du design rétro des années 1960-1970.

La NASA va donc devoir souligner les différences pour mettre en valeur l'originalité de sa nouvelle mission. Et argumenter contre ceux qui considèrent le détour par la Lune comme une perte de temps sur l'itinéraire qui conduit à Mars. En planifiant la construction d'une base nécessaire à l'établissement d'une présence humaine de longue durée dans l'espace, les Américains cherchent à faire de notre satellite le premier jalon indispensable en vue des explorations futures. Un lieu où l'homme apprendra à maîtriser les multiples dangers de l'espace, avant de se risquer plus loin. Voilà un rêve prudent dont les initiateurs peuvent espérer tirer les bénéfices dans un avenir pas trop lointain.

Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Sciences
Billet retour pour la Lune à 104 milliards de dollars

 L a suite de la conquête spatiale américaine va donc ressembler à un remake, le futur de la NASA à un souvenir. Près de cinquante années après avoir fait leurs adieux à la Lune, en 1972, des astronautes vont rejouer les grandes scènes du programme Apollo sur la surface de notre satellite. Cela se passera en 2018, si les délais du plan, rendu public lundi 19 septembre par la NASA, sont tenus.

La semaine dernière, cette "étude sur l'architecture des systèmes d'exploration", qui a déjà fait l'objet de nombreuses fuites dans la presse (Le Monde du 4 août), a franchi les toutes premières étapes de son périple au long cours. Elle a été présentée à des parlementaires et, surtout, la Maison Blanche lui a donné son accord. C'était bien le moins: le plan est la traduction concrète de la volonté exprimée par George Bush, en janvier 2004, de ramener les hommes sur la Lune puis de les lancer vers Mars, avant 2030.

Cette destination ultime, un voyage de cinq cents jours vers la Planète rouge, est à peine évoquée dans les documents publiés. Son calendrier n'est pas fixé. Michael Griffin, le nouveau patron de l'agence spatiale américaine chargé de mettre en musique les voeux présidentiels, a en effet des soucis bien plus immédiats. Dans un contexte budgétaire tendu, il lui faut s'assurer du financement d'un retour sur la Lune qu'il a lui-même évalué à 104 milliards de dollars. Cette somme revient à dépenser en treize ans, selon le patron de la NASA, "55% du coût, en dollars constants, du programme Apollo" dont la préparation avait duré huit années.

Mais de nombreuses contraintes menacent cette économie relative. La NASA doit accompagner la fin de vie de la dispendieuse navette spatiale, vouée à s'effacer en 2010, tout en continuant à assurer la construction de la station spatiale internationale (ISS). Et ses comptes souffriront certainement des conséquences du passage du cyclone Katrina sur la Louisiane, où se situent plusieurs de ses usines. "Le programme spatial est un investissement de longue durée qui ne peut être remis en cause par nos difficultés de court terme" , a assuré, lundi, M. Griffin. Pour que son projet ne pâtisse pas de ce contexte douloureux, le patron de la NASA a bien précisé qu'il n'impliquait pas de dépassement de l'enveloppe annuelle allouée à son agence. Vendredi, les sénateurs n'en ont pas moins voté un budget spatial 2006 à 16,4 milliards de dollars, doté d'une rallonge de 200 millions par rapport à l'exercice précédent pour couvrir les premières dépenses de ce nouveau programme.

Le souci d'économie a largement influé sur la physionomie de ce plan. Les recettes éprouvées d'Apollo ont été préférées aux visions futuristes risquées. Les investissements faramineux consentis en faveur des navettes seront un peu mieux amortis grâce au démembrement des avions spatiaux, dont les meilleures pièces seront réutilisées. Leurs fusées d'appoint à poudre (solid rocket booster ) serviront à propulser la clef de voûte du projet, le véhicule d'exploration avec équipage (crew exploration vehicle , CEV). Celui-ci transportera quatre personnes sur la surface de la Lune, qui pourront, dans un premier temps, y demeurer sept jours. Le CEV sera aussi conçu pour emmener six personnes vers Mars, ou plus près de nous, vers l'ISS.

UNE BASE PERMANENTE

Pour cette mission, M. Griffin espérait disposer du nouveau véhicule, dès 2011, soit un an après la retraite des navettes. Les contraintes budgétaires l'ont obligé, lundi, à annoncer une entrée en service en 2012, voire à évoquer l'éventualité d'un report en 2014. Dans ce cas, les Etats-Unis devraient se passer, pour la première fois depuis des décennies, de toute porte d'accès aux vols spatiaux habités. Pendant plusieurs années, ils dépendraient ainsi des vaisseaux russes. Pour les mêmes raisons d'étalement de l'effort financier, le premier départ vers la Lune pourrait être repoussé de deux années, jusqu'en 2020.

Entre-temps, la NASA aura construit son lanceur lourd, dérivé de l'ensemble des moyens de propulsion de la navette. En vertu du principe de séparation du lancement du matériel et des hommes, cette fusée emmènera les charges nécessaires à l'exploration lunaire. Puis, en orbite terrestre, le CEV, lancé de son côté, viendra s'arrimer au sommet du mastodonte avant de voguer vers notre satellite. Là, aucun astronaute n'attendra en orbite, comme au temps d'Apollo, pendant que les autres gambaderont dans la poussière. Tous descendront grâce à un "alunisseur". Puis tous rentreront vers la Terre dans le CEV, qui pénétrera dans l'atmosphère, en se balançant au bout d'un parachute. La capsule se posera de préférence sur Terre, près de la base Edwards (Californie), alors que celles d'Apollo touchaient l'océan.

Hors ces quelques détails, les nouvelles expéditions se différencieront surtout de leurs modèles par leurs activités lunaires. Le progrès technique permettra de se poser partout sur la Lune, et non plus seulement sous l'équateur. Les nouveaux moyens de locomotion permettront de se lancer dans des explorations bien plus complètes. Surtout, une base permanente, sans doute vers le pôle Sud, sera établie lorsque les premières missions d'une semaine, à raison de deux par an, auront acheminé suffisamment de matériel. Les astronautes pourront y demeurer six mois, comme dans les bases de l'Antarctique. Ils apprendront à y dompter ces calamités des séjours de longue durée: la poussière, les radiations et les éventuels troubles psychologiques. Ils testeront la possibilité d'extraire du sol oxygène et énergie, pour accéder à l'autonomie. La Lune sera alors devenue le lieu de répétition, voire de départ des futurs vols habités vers Mars et au-delà.

Jérôme Fenoglio
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Sciences
Un véhicule simple et autoéquilibré

 P our envoyer des astronautes sur la Lune, la NASA, bientôt privée de son seul moyen de transport spatial ­ la navette ­, a décidé de relancer ses vols habités en reprenant les recettes des années 1970: une capsule récupérable et un lanceur. Deux éléments faciles à développer "vite et à moindre coût" , selon les industriels, tout en offrant une sécurité accrue comme celle dont bénéficient les Russes avec leur capsule Soyouz et leur vaisseau-cargo Progress.

A l'instar du programme Apollo qui avait permis l'envoi d'un homme sur la Lune, la NASA a donc choisi de développer une capsule habitée, le Crew Exploration Vehicle (CEV), pouvant accueillir un équipage de 4 à 6 personnes. Un véhicule simple qui s'autoéquilibre en rentrant ­ protégé par un bouclier thermique ­ dans les couches denses de l'atmosphère et qui atterrit en douceur grâce à des parachutes et à un système d'airbags.

Les Américains maîtrisent ces techniques comme ils maîtrisent celles relatives à la sécurité de l'équipage au moment du lancement. En cas d'incident, la capsule sera mise hors de portée du pas de tir par une petite tour métallique équipée de puissants moteurs. Les Russes ne font pas autrement aujourd'hui, et les Américains ont longtemps utilisé ce dispositif avant les navettes.

Deux industriels travaillent à ce projet de 5,5 milliards de dollars (4,5 milliards d'euros): Lockheed Martin, qui a annoncé son partenariat avec EADS et qui a renoncé à proposer une sorte de capsule avec moignons d'aile (Lifting Body), et Grumman-Boeing, favorable dès l'origine à une simple capsule.

Pour mettre en orbite cet équipement, la NASA a décidé de développer des lanceurs construits à partir des restes des navettes. Deux voies ont été choisies. D'abord celle d'un lanceur bi-étage classique pour mettre le CEV et des vaisseaux-cargos en orbite. Il ferait appel, pour sa partie basse, aux anciens boosters (Solid Rocket Booster), éventuellement reconfigurés, de la navette et, pour la partie haute, à un étage réallumable propulsé par un moteur, le J2-S, dérivé de celui des fusées géantes Saturn du programme lunaire. Charge utile annoncée: entre 24 et 33 tonnes; coût: 4,5 milliards de dollars.

Puis celle plus lointaine d'un lanceur lourd (Heavy Lift Carrier), camion de l'espace dont les différentes versions pourront emporter entre 85 et 120 tonnes en orbite basse. Là encore, les anciens boosters de la navette, son gros réservoir externe, ses moteurs et les vieux J2-S pourraient être utilisés. Coût: de 5 à 10 milliards de dollars. Mais un voyage vers Mars est à ce prix.

Jean-François Augereau
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Société
A Ivry, des malades d'Alzheimer retrouvent le goût de la vie

 S a voix fuse, autoritaire et inquiète à la fois: "Mais qu'est-ce que je fais, madame, réponds-moi !" "C'est l'heure du déjeuner, tu manges" , lui répond avec douceur Clotilde, psychomotricienne. Dix, vingt, trente fois, Juliette, 92 ans, répétera la même phrase à la jeune femme au cours du repas, et dix, vingt, trente fois, celle-ci lui répondra. Atteinte de la maladie d'Alzheimer, Juliette souffre de "troubles de persévération" , qui la conduisent à répéter sans cesse la même chose.

Avec une quarantaine de personnes âgées souffrant de la maladie d'Alzheimer ou de dépression réactionnelle à leur placement en institution, elle est accueillie, à la journée, au Forum Jean-Vignalou de l'hôpital Charles-Foix d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Ici, une équipe multidisciplinaire de dix professionnels entoure les personnes âgées d'une empathie et d'une attention constantes. "Pour nous, le soin réside dans la relation, le temps et la considération qu'on porte aux patients" , explique Valérie, éducatrice spécialisée.

Situé au coeur d'un établissement qui fut le plus grand hôpital de gériatrie d'Europe, le forum a ouvert en 1988, en marge de l'institution hospitalière. Son fondateur et responsable, le psychologue Sylvain Siboni, a créé ce "lieu de vie" pour combattre "l'image caricaturale des vieillards alignés devant la télé" . "On avait un lieu et une idée, on voulait faire autre chose que du nursing avec les personnes âgées." A une époque où la maladie d'Alzheimer et les démences des personnes âgées étaient encore sous-estimées, Sylvain Siboni et son équipe ont créé des outils pour y répondre: "La maladie d'Alzheimer est une maladie de la communication qui touche le patient autant que le soignant, analyse le psychologue. On a donc mis en place une palette d'activités, corporelles, manuelles, verbales, permettant l'expression personnelle des patients. Parce que, d'habitude, on n'écoute pas ce qu'ils ont à dire, on parle pour eux."

"ILS SE VERTICALISENT"

Le résultat est surprenant: loin des images de corps prostrés ou de visages hébétés associées communément à la maladie, les personnes âgées du forum ne laissent rien voir de leur pathologie et vaquent, paisibles, à leurs activités. "Tous les gens qui viennent ici se verticalisent, ils se remettent debout, même les plus dépendants" , explique M. Siboni.

A chaque admission, pourtant, les débuts sont difficiles: "Il faut transformer la demande de placement de la famille en demande personnelle du patient, et ça peut prendre du temps , raconte le psychologue. Les personnes âgées arrivent dans un état d'ensauvagement terrible. Elles se sentent trahies par leur famille (...) . Pour elles, le fait de vivre en collectivité signifie le renoncement à toute leur vie."

Pour contrer ce "temps vide qui s'annonce, ce néant""il n'y a plus ni statut social ni statut de vie" , selon les mots de Jean-Christophe, éducateur spécialisé, l'équipe met toute son énergie à "réhabiliter le désir" sous toutes ses formes. Les activités sont conçues en privilégiant au maximum la notion de plaisir, comme l'atelier d'esthétique qui doit permettre "aux personnes de se rabibocher avec leur image" . Cet après-midi-là, Gisèle se fait faire les ongles par Patricia, aide-soignante: elle trempe voluptueusement les mains dans l'eau chaude, les sèche, puis opte pour un vernis rose nacré. A ses côtés, Dédé a confié sa barbe à Arnaud, agent hospitalier, qui s'essaie pour la première fois au rasage. Regard sévère fixé sur le miroir, Dédé apprécie la délicatesse des gestes d'Arnaud: "Moi, je fais de tout, je suis un distributeur de bonheur , s'amuse Arnaud. Ce qu'on fait ici n'est pas codé, ça échappe au reste de l'institution hospitalière. "

A quelques mètres de là, Yves, 75 ans, fait une pause. Ancien cadre dirigeant dans une grande société d'électronique, il dit: "Oui, je me sens bien ici." Ses mots viennent difficilement, certains lui ont déjà totalement échappé, mais il parvient progressivement, comme s'il tâtonnait dans sa mémoire, à dire tout le plaisir qu'il a ressenti à sculpter une grosse racine d'arbre. "C'est toujours agréable... pour les uns et les autres... d'avoir son bois, de voir son bois changer, je dirais bien... de couleur , explique-t-il. Du bois noir, gris, pas beau... On arrive à transformer ce bout de bois, qui a l'air malade." Avant de ponctuer: "Ici, c'est tout à fait normal qu'il y ait des gens malades."

Inscrite dans la durée, l'écoute attentive des patients permet aussi de comprendre ce qui apparaît parfois comme incompréhensible. Sylvain Siboni raconte l'histoire d'une femme qui, quand elle est arrivée au forum, "se barbouillait la face de merde et se masturbait avec ses excréments" .

"On lui a d'abord enlevé l'espèce de barboteuse qu'elle portait et qui l'empêchait d'avoir accès à ses parties génitales, se souvient le psychologue. On lui a redonné une allure de femme et on a l'a suivie dans ses déambulations. Elle prenait tout ce qui brille, comme une pie voleuse. Alors, une étudiante en psychologie lui a apporté des bijoux. Et, devant le miroir, cette femme qui était totalement aphasique, s'est mise à chanter , "Si tu t'imagines, fillette, fillette..." C'était extraordinaire. Plus tard, en discutant avec elle, on a compris que, si elle se barbouillait la face de merde, c'était parce qu'elle se sentait comme tel."

Pour le responsable du forum, ces résultats ne peuvent pas s'obtenir sans temps et sans moyens humains: "Dans les services classiques de gériatrie, il y a un soignant pour 16 personnes âgées, ils n'ont pas d'autres réponses que la médication ou la contention."

Le forum se vit donc comme un "paradoxe" au milieu d'un monde hospitalier obsédé par la réduction des coûts et craint d'être, à terme, condamné. "Notre travail n'est certes ni quantifiable ni évaluable; notre seule rentabilité, c'est des regards, des échanges avec les patients , s'indigne Valérie. Mais, quand je vois le décalage avec des malades livrés à eux-mêmes, c'est quelque chose de terrible. Alors, on continue à se bagarrer pour la dignité et le respect de l'autre."

Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Société
"Vous connaissez une maladie avec un nom allemand qui commence par Al... ?"

 I l les relance sans cesse par le regard et le geste, les interpelle comme un bateleur de foire pour les stimuler, maniant l'humour et la provocation douce. Dans l'après-midi déclinant, une douzaine de personnes âgées sont attablées autour de Jean-Christophe, éducateur, qui leur propose un jeu d'évocation à partir de thèmes tirés au hasard.

Au cinquième papier extrait de la corbeille, Gisèle se fige. Le thème "Le sexe" est écrit lisiblement mais, gênée, elle ne veut pas l'énoncer. Jean-Christophe vole à son secours: "Alors, le sexe, qu'est-ce que c'est ?", lance-t-il à la cantonade. "La différence entre l'homme et la femme", répond doctement Georgette. Les autres regardent Jean-Christophe, un peu éberlués. "Alors là, vous avez tous des problèmes de mémoire", s'amuse l'éducateur.

"Je ne sais pas ce que c'est, moi...", lance Madeleine, petit bout de femme juchée sur un grand fauteuil, en rigolant. Mais Jean-Christophe insiste: "Quand on est âgé, y a-t-il encore une place pour la sexualité ?" Regards navrés des dames qui haussent les épaules. "On n'y pense plus, on n'a plus envie, explique Irène. La vieillesse, l'hôpital, ça réduit." Christiane est catégorique: "Moi, c'est fini, je suis trop vieille." Pour Ida, c'est simple, "ça n'a jamais existé": "Je suis une vieille fille. J'ai jamais eu envie." Georgette clôt le débat: "Pour moi, c'est fini. Mon mari est parti et je le respecte !"

Le thème d'après est l'occasion d'un joyeux défouloir. "Dix mots vulgaires", tire Ida, qui prend un air dégoûté. Georges se lance: "Enculé !". "Merde", lui assène Christiane. "A bas les cons !", fuse à l'opposé. "Enfoiré", "putain", "salope", "connard", "crotte alors !"... On ne les arrête plus. "Abruti sans alcool", trouve Jojo pour finir, provoquant l'hilarité générale.

Vient enfin "Dix noms de maladies". Toujours studieuse, Georgette énonce: "Coqueluche, rougeole, diphtérie, scarlatine..." "Blennorragie", s'amuse Georges. "L'amour", lui répond Christiane. "Mais vos maladies à vous ?", glisse Jean-Christophe. "Moi, c'est les jambes", affirme Gisèle. "Et les maladies de la tête ?, précise l'éducateur. Vous connaissez une maladie avec un nom allemand, qui commence par Al... ?" Grand silence dans la salle. Tous se regardent, l'air ahuri.

Mais Jean-Christophe s'entête. Alors, timidement, quelqu'un lance: "L'Almezeir ?" "La maladie d'Alzheimer !", se souvient tout à coup Georges. "Et c'est quoi, les signes ?", poursuit Jean-Christophe. "On perd la tête", explique Christiane. "On ne sait plus pourquoi on est là", précise Georgette. Et Jojo de lancer, en regardant la peluche qu'elle serre contre elle: "C'est comme la mémoire qui s'envole en décomposition."

Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Société
L'Etat commence à prendre la mesure de l'immensité de la tâche

 L a prise en charge de la maladie d'Alzheimer devient progressivement une réalité en France. Cette pathologie neurodégénérative du cerveau, qui se caractérise par une perte progressive et inéluctable des fonctions cognitives, frappe aujourd'hui 855 000 personnes. On estime à 225 000 par an le nombre de nouveaux cas. Encore largement sous-estimée il y a peu, la maladie d'Alzheimer, dont la Journée mondiale a lieu mercredi 21 septembre, fait désormais l'objet d'une attention réelle des pouvoirs publics, qui favorisent la multiplication des structures d'accueil des patients.

Selon l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, qui a rendu début juillet un rapport sur la maladie d'Alzheimer, la prévalence de cette affection est estimée à 13,2% des hommes et à 20,5% des femmes de plus de 75 ans. Un malade sur trois est traité par un médicament, mais ce traitement, s'il retarde la progression de la maladie, ne la guérit pas.

Plus de 60% des patients vivant à domicile, ce sont près de 3 millions de personnes, en comptant les proches, qui sont touchées de près. Les personnes âgées atteintes de démence représentent ainsi 72% des bénéficiaires de l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA) mais aussi entre 80% et 90% des résidents des maisons de retraite. "Le moment d'entrée en institution dépend beaucoup de la résistance de l'aidant" , écrit l'Office parlementaire, soulignant le besoin en structures d'accueil de jour des patients, afin de favoriser les moments de "répit" pour les familles.

Le gouvernement affirme que les objectifs fixés par le plan Alzheimer 2004-2007 sont tenus. "Nous créons cette année 2 125 places d'accueil de jour et 1 125 places d'accueil temporaire, soit notre objectif annuel, dit Philippe Bas, ministre délégué aux personnes âgées. Début 2006, nous serons parvenus à créer 10 000 places supplémentaires en maison de retraite, conformément au plan vieillissement-solidarité. Nous allons doubler cet effort dans les années à venir."

Si l'augmentation du nombre de structures est perceptible sur le terrain, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer l'accueil. "Nous sommes sur une pente ascendante de prise en charge des malades, notamment au niveau du soin, analyse Marie-Jo Guisset, responsable du pôle initiatives locales de la Fondation Médéric-Alzheimer. Mais nous ne sommes pas encore sur une pente ascendante de prise en considération des personnes. Or l'accompagnement relationnel doit se faire dans la subtilité et l'écoute empathique. "

"Le changement de regard sur la maladie est perceptible, le patient est replacé de plus en plus en tant que personne , renchérit Arlette Meyrieux, présidente de France Alzheimer. Mais il persiste toujours des endroits où le patient est déconsidéré, traité comme une chose."

Pour l'association, la prise en charge ne pourra pas être améliorée sans une augmentation du ratio de personnel dans les maisons de retraite, estimé à 5,7 (toutes fonctions confondues) pour 10 résidents et à 2,5 pour les soignants. Sur ce terrain, M. Bas affirme que l'Etat "est en plein effort" , passant des conventions au cas par cas avec les établissements et les collectivités territoriales pour augmenter les effectifs. Par ailleurs, le ministre délégué s'engage, d'ici dix ans, à doubler le nombre de postes de professeur de gériatrie, actuellement de 39.

Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Europe
Malgré son score décevant aux législatives, Angela Merkel est plébiscitée par son parti, avant les négociations pour former des alliances

 L a candidate des conservateurs allemands à la chancellerie, Angela Merkel, a été réélue, mardi 20 septembre, avec 98,6% des voix à la présidence de son groupe parlementaire. Un soutien qui vient la conforter en dépit de sa contre-performance aux élections législatives de dimanche, où elle n'a obtenu que 35,2% des suffrages. La CDU-CSU doit engager des négociations avec les autres partis jeudi, en vue de former une coalition pour former un nouveau gouvernement. Le chancelier sortant, Gerhard Schröder, commence, quant à lui, les négociations dès aujourd'hui.

Joschka Fischer quitte la direction des Verts
"C'est le moment d'aligner une nouvelle équipe", a déclaré, mardi 20 septembre, le ministre des affaires étrangères du gouvernement sortant. Le parti, a-t-il ajouté après avoir consulté les élus Verts, "doit se préparer à entrer dans l'opposition" après les élections législatives de dimanche, qui ont privé la coalition emmenée par le chancelier Gerhard Schröder de sa majorité après sept ans passés au pouvoir.

Angela Merkel, 51 ans, qui dirige la CDU (Union chrétienne-démocrate) depuis septembre 2002, a obtenu le soutien de 219 députés au total, trois seulement s'étant prononcés contre sa réélection. Elle a interprété ce résultat comme "une marque de confiance". Il y a deux ans, la présidente de la CDU n'avait obtenu que 93,72% des voix du groupe, composé des députés de la CDU et de son parti frère bavarois, l'Union chrétienne-sociale (CSU).

LES PARTIS NÉGOCIENT

Les consultations exploratoires entre partis politiques allemands débutent mercredi en vue de nouvelles alliances pour la formation d'un gouvernement. Les dirigeants du Parti social-démocrate (SPD) de M. Schröder et les Verts du ministre des affaires étrangères, Joschka Fischer, donneront le coup d'envoi dans la journée. Au pouvoir depuis l'automne 1998, le SPD et les Verts disposent de 273 députés dans le nouveau Bundestag, contre 286 pour les Unions chrétiennes (CDU-CSU) d'Angela Merkel et le parti libéral FDP.

Jeudi, les dirigeants de la CDU-CSU s'entretiendront avec leurs homologues du FDP, avant de rencontrer la direction du SPD. Le lendemain, les conservateurs discuteront avec les Verts.

Le chancelier Schröder avait affirmé mardi qu'il souhaitait engager des négociations avec les différents partis sans "conditions préalables" sur la composition d'un nouveau gouvernement, tout en continuant d'en revendiquer la tête. Lui-même ne participera pas à ces consultations exploratoires. Et cela alors que l'hypothèse d'une"grande coalition" entre le SPD et la CDU-CSU se renforce au détriment des autres scénarios possibles.

Une coalition entre SPD, Verts et libéraux du FDP semble définitivement écartée, le président du FDP, troisième parti allemand, Guido Westerwelle, ayant catégoriquement rejeté toute participation à un gouvernement avec le SPD.

Une éventuelle "coalition jamaïcaine" entre conservateurs, libéraux et Verts (en référence aux couleurs du drapeau de la Jamaïque: noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologistes) semble elle aussi avoir peu de chances d'aboutir.

Les consultations exploratoires puis les négociations entre partis peuvent durer des semaines, voire des mois, aucun délai n'étant prévu par la Loi fondamentale (Constitution). Le mandat du chancelier Schröder s'achèvera officiellement avec la constitution du nouveau Parlement, qui doit intervenir d'ici au 18 octobre. Mais, ensuite, le chef du gouvernement reste en place pour expédier les affaires courantes jusqu'à ce que les négociations de coalition soit achevées et qu'un chancelier soit élu par le Bundestag.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 21.09.05 | 09h39


Le Monde / International
Malgré Katrina, la Fed relève son taux directeur à 3,75%

 L a Réserve fédérale américaine (Fed) a relevé, mardi 20 septembre, son principal taux directeur de 25 points de base, le portant ainsi de 3,5% à 3,75%, soit son plus haut niveau depuis juin 2001. L'institution a laissé entendre que de nouvelles hausses étaient à prévoir, estimant que l'ouragan Katrina ne représenterait qu'un revers temporaire pour l'économie des Etats-Unis. C'est la onzième fois consécutive que la Réserve fédérale relève ses taux.

Pour la première fois depuis juin 2003, cette décision n'a pas été prise à l'unanimité. L'un de ses gouverneurs, Mark Olson, était partisan du statu quo, mais les neuf autres membres du Comité de politique monétaire (FOMC) ont voté la hausse d'un quart de point. Le taux d'escompte passe, lui, à 4,75%.

Dans le communiqué annonçant sa décision, la Fed déclare que l'ouragan Katrina aura un impact à court terme sur les dépenses, la production et l'emploi des Etats-Unis. Elle estime également que les prix de l'énergie risquent d'être à la fois élevés et volatils. "Bien que ces événements malheureux aient accru l'incertitude relative aux performances économiques à court terme, le comité considère qu'ils n'impliquent pas de menace plus persistante", ajoute-t-elle.

D'AUTRES HAUSSES EN PERSPECTIVE

Le relèvement annoncé mardi porte le taux de la Fed à son plus haut niveau depuis juin 2001, bien que les taux longs fixés par le marché restent historiquement bas. "La hausse des prix de l'énergie et des autres coûts présentent un potentiel d'accentuation des pressions inflationnistes, poursuit la Fed dans son communiqué. Toutefois, le taux central d'inflation a été relativement faible ces derniers mois, et les perspectives d'inflation à long terme restent contenues."

La banque centrale des Etats-Unis estime également qu'avec une politique monétaire appropriée, les risques haussiers et baissiers subis par ses deux objectifs de croissance durable et de stabilité des prix devraient rester "sensiblement égaux".

La décision du FOMC était largement attendue par les économistes, le marché n'estimant plus que les conséquences économiques de Katrina soient susceptibles de provoquer une pause dans le cycle actuel de hausse des taux. La hausse étant conforme à leurs attentes, certains économistes la qualifiaient mardi de "non-événement" . Mais d'autres relevaient une inflexion du discours de la Fed, dont la préoccupation marquée pour les risques inflationnistes pourrait augurer d'une accentuation des hausses de taux.

Le marché obligataire a réagi par une baisse, tandis que le dollar restait stable et que le marché des actions se montrait irrégulier.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 21.09.05 | 08h55


Le Monde / Carnet
La traque d'Adolf Eichmann

 E tait-ce bien leur homme ? Depuis des mois ils avaient vérifié et revérifié, confrontant leur conviction et leurs espoirs aux indices les plus ténus, examinant toutes les contradictions, rassemblant le puzzle, ne laissant aucune porte fermée. Jusqu'il y a encore quelques minutes, ils étaient sûrs qu'ils ne s'étaient pas trompés. Mais maintenant qu'il était entre leurs mains, un peu sonné par les coups reçus lors de sa capture, ligoté sur le plancher de la voiture, aveuglé par des lunettes opaques et la tête recouverte d'une couverture, le doute resurgissait.

Zvi Aharoni, l'un des membres du commando, se retourna vers le siège arrière et cria en allemand: " Si vous restez tranquille, il ne vous arrivera rien. Sinon on vous descend. " Le prisonnier ne parlait pas. " Vous me comprenez ? ", lui lança Aharoni. " Quelle langue parlez-vous ? " Toujours aucune réponse. Aharoni répéta ses questions en espagnol. Sans plus de succès. Et puis, tandis que la voiture roulait toujours, ne s'arrêtant que pour changer rapidement de plaque minéralogique, le prisonnier murmura dans un allemand parfait: " Cela fait longtemps que je me suis résigné à mon sort. "

Arrivé à la planque situé dans un quartier chic de Buenos Aires, il fut déshabillé et examiné par un médecin. On mesura son crâne et sa pointure; on vérifia qu'il portait bien les cicatrices que mentionnait son dossier médical et on examina ses dents. Tout était conforme. Une cicatrice indiquait qu'il avait tenté d'effacer le groupe sanguin que les SS portaient tatoué sous l'aisselle gauche.

Zvi Aharoni lui demanda alors: " Comment vous appelez-vous ? " " Ricardo Klement. " Le nom figurait bien dans le dossier, pseudonyme sous lequel l'homme avait souscrit un abonnement à la compagnie d'électricité. " Et avant ? " " Otto Heninger. " Ce nom-là était inconnu des ravisseurs. " Quelle est votre date de naissance ? " " 19 mars 1906. " La même date que celle de l'homme qu'ils recherchaient. Zvi Aharoni revint à la charge: " Quel était votre nom le jour de votre naissance ? " " Adolf Eichmann. "

C'était donc bien lui. Ce 11 mai 1960, les services secrets israéliens avaient enfin la certitude que celui qu'ils traquaient depuis des années et qu'ils venaient d'enlever était bien l'Obersturmbannführer SS Adolf Eichmann, grand organisateur de la " solution finale " qui avait envoyé à la mort des millions de juifs. Quelques heures plus tard, dans un café du centre de Buenos Aires, Aharoni rendit compte du succès de l'opération à son chef, Isser Harel, le patron du Mossad, qui s'était déplacé en personne en Argentine avec ses hommes. Il fallut encore douze jours pour que, le 23 mai 1960, de la tribune de la Knesset, le premier ministre David Ben Gourion annonce au monde stupéfait qu'Adolf Eichmann était détenu en Israël, où il serait bientôt jugé.

Pour ceux qui, durant des années, pourchassèrent Adolf Eichmann, son identification tourna à l'obsession. Au point qu'à peine débarqué en Israël, et malgré ses aveux, il fut immédiatement confronté à trois anciens dirigeants des communautés juives de Berlin et de Vienne qu'il avait connus avant-guerre, en tant que responsable de la Gestapo chargé des questions juives. L'homme n'était pas un inconnu - durant les grands procès de l'après-guerre, son nom et ses fonctions furent plusieurs fois évoqués -, mais, en dépit de son rang, il n'était pas non plus un homme de premier plan exposé à la curiosité du public. Criminel de bureau plutôt qu'homme de terrain, il n'était pas non plus susceptible d'être reconnu par les rescapés des camps de la mort.

Lorsque, dans l'immédiat après-guerre, les militants qui allaient constituer les premières troupes des futurs services secrets israéliens écumèrent l'Europe pour retrouver les bourreaux et les exécuter discrètement, ils ne savaient même pas à quoi il ressemblait. Ils ne trouvèrent sa photo que plusieurs mois plus tard, chez une ancienne maîtresse nostalgique. Mais l'oiseau ne les avait pas attendus. Coupant tous contacts avec sa femme et ses trois enfants, il avait versé dans la clandestinité dès mai 1945. Un temps soldat anonyme interné dans un camp de prisonniers américain, il s'était évadé et avait gagné l'Allemagne du Nord, où, sous la fausse identité d'Otto Heninger, il avait fait le bûcheron. En 1949, il avait gagné Rome puis, en juillet 1950, l'Argentine, grâce à un passeport et à un statut de réfugié fournis par le Vatican, comme en bénéficia Klaus Barbie. Deux ans plus tard, sa femme, Veronika Liebl, accompagnée de ses trois fils, Klaus, Horst et Dieter, le rejoignaient discrètement. Les deux époux ne s'étaient pas vus depuis sept ans. Bientôt un quatrième fils, Ricardo-Francisco, leur naquit.

En Israël, le dossier Eichmann s'était épaissi de plusieurs pièces - photos, dossier médical, éléments de biographie, témoignages -, mais l'ancien colonel SS demeurait introuvable. Etait-il seulement vivant ? Au fil des ans, des renseignements le disaient réfugié en Amérique latine ou au Proche-Orient. Les vérifications n'avaient rien donné. En 1957, un nouveau " tuyau " le localisa en Argentine. Transmise au Mossad par Fritz Bauer, un magistrat juif allemand rescapé de la Shoah qui craignait que son pays ne veuille pas l'exploiter, l'information indiquait qu'Adolf Eichmann habitait au 4261, rue Chacabuco, à Olivos, un quartier modeste de la banlieue de Buenos Aires. A l'origine du renseignement, le hasard et un homme, Lothar Hermann, Allemand établi avant la guerre en Argentine où il avait fui l'arrivée au pouvoir des nazis. Sa fille, Sylvia, avait été un moment courtisée par un jeune homme du nom de Nicholas Eichmann, dont le père, officier durant la guerre, avait, disait son fils, " rempli son devoir pour la patrie ". De temps à autre Nicholas Eichmann regrettait " qu'on en n'ait pas fini une fois pour toutes avec ces juifs ". Lothar Hermann avait fait le rapprochement avec Adolf Eichmann, dont il ne connaissait rien, lorsque, plus tard, il avait lu ce nom mentionné dans un article sur le procès d'un criminel de guerre, à Francfort. Il avait aussitôt écrit à Fritz Bauer.

Le Mossad envoya deux agents vérifier à quoi ressemblait la maison de la rue Chacabuco. Par peur d'être repérés et de donner l'alerte à un Eichmann qui pourrait à nouveau disparaître, les hommes observèrent de loin. Mais l'hypothèse qu'Eichmann, dont les services avaient pillé toute l'Europe, puisse vivre dans ce quartier misérable était peu vraisemblable. D'autres recherches indiquèrent qu'aucun Eichmann n'habitait la maison dont les deux compteurs électriques portaient le nom de Dagosto et de Klement. On n'y fit pas autrement attention.

Deux ans passèrent encore, jusqu'à ce que Fritz Bauer apporte une nouvelle information: après la guerre, affirmait une nouvelle source, Adolf Eichmann s'était un moment réfugié dans un monastère autrichien tenu par des moines croates. Il y portait le nom de Klement, identité sous laquelle il avait obtenu des papiers lors de son arrivée en Argentine.

Le compteur électrique en faisait foi: il y avait bien un lien entre la rue Chacabuco, Adolf Eichmann et Ricardo Klement. Mais était-ce le bon ? Le 1er mars 1960, pour en avoir le coeur net, le Mossad envoya une équipe étoffée. Ricardo Klement avait quitté la rue Chacabuco depuis trois semaines. Mais le fils de " l'Allemand ", comme disaient les voisins, travaillait toujours dans un garage voisin. Filé durant plusieurs jours, il conduisit le Mossad à une modeste maison de la rue Garibaldi, dans le quartier populaire de San Fernando. Quelques recherches au cadastre indiquèrent que le lot 14 sur lequel s'élevait la maison avait été acheté par une certaine Veronica Catarina Liebl de Fichmann. Erreur fortuite ou camouflage délibéré, le " E " de Eichmann était devenu un " F ". Mais le début du nom suivi, selon la coutume espagnole, du patronyme du mari précédé d'une particule, correspondait bien à l'identité de l'épouse de l'ancien SS.

Restait à établir que l'homme qui habitait avec Veronika Liebl et que les agents du Mossad, le 19 mars 1960, avaient enfin aperçu, en train d'étendre du linge devant la maison, était bien Adolf Eichmann et non un nouveau compagnon nommé Klement. Ce n'est que le 3 avril 1960, plus d'un mois après le lancement de l'opération, qu'un des agents réussit à prendre de près, avec un appareil camouflé dans une mallette, une photo de Ricardo Klement. L'homme portait une moustache et d'épaisses lunettes, mais, d'après les spécialistes, la morphologie générale du visage, la forme et l'implantation des oreilles ainsi que la découpe des mâchoires ne trompaient pas: il s'agissait, " sans doute possible ", d'Adolf Eichmann. La phase d'identification était terminée.

La suite - l'enlèvement - fut menée tambour battant. Dix hommes et une femme furent choisis en fonction de leurs compétences pour s'emparer d'Eichmann et le ramener en Israël. Début mai, ils étaient à pied d'oeuvre en Argentine. Le 11 mai 1960, vers 20 heures, le commando s'emparait de son gibier qu'il cacha, ligoté sur un lit, dans une planque spécialement aménagée. Revêtu d'un uniforme de la compagnie El Al et muni d'un faux passeport israélien, Adolf Eichmann, drogué, fut transporté le 20 mai, dans la soirée, à l'aéroport de Buenos Aires pour embarquer sur le vol spécial qui avait emmené la délégation israélienne aux fêtes du 150e anniversaire de l'indépendance argentine. Le 22 mai 1960, au matin, l'avion atterrissait à Tel-Aviv et Adolf Eichmann était formellement inculpé de crimes de guerre.

Quarante ans plus tard, Israël rendit publics les Mémoires, demeurés jusque-là secrets, qu'Eichmann avait rédigés en prison ( Le Monde du 9 mars). Dans une style appliqué de bureaucrate tatillon, il y décrit ainsi son enlèvement: " Le 11 mai 1960, je quittai ma maison pour me rendre comme chaque matin à mon travail. Je ne revins jamais chez moi car, sur le chemin du retour, un commando israélien m'enleva et m'emmena de force dans une cache. De là, sans que je puisse résister, je fus transporté en Israël dans un quadrimoteur. (...) Bien sûr, ce genre de chose n'est jamais une partie de plaisir, mais je fus traité correctement, ce que je n'aurais jamais imaginé. "

Condamné à mort, Adolf Eichmann fut pendu le 31 mai 1962, à minuit. Dans ses Mémoires, il avait demandé que, s'il venait à mourir, ses cendres soient pour partie enterrées dans la maison de la rue Garibaldi. Quelques heures après son exécution, elles furent dispersées en mer, hors des eaux territoriales d'Israël, afin qu'il ne reste rien du condamné. L'inspecteur de police à qui échut la sinistre mission de constater sa mort, d'assister à sa crémation et de jeter en haute mer ses cendres était un rescapé d'Auschwitz, où il avait été déporté enfant.

Georges Marion
Article paru dans l'édition du 21.05.00


Le Monde / Société
Denis Vadeboncoeur a été condamné à 12 ans de réclusion criminelle

 L a cour d'assises de l'Eure a condamné, mercredi 21 septembre, à 12 ans de réclusion criminelle Denis Vadeboncœur. Le prêtre canadien, curé de la paroisse de Lieurey (Eure) entre 1989 et 1992, a été reconnu coupable de viols sur un mineur âgé de 14 à 17 ans au moment des faits

"C'est une peine très lourde, Denis Vadeboncœur est accablé mais je ne pense pas qu'il fasse appel", a déclaré après le verdict l'avocat du prêtre, Me Xavier Hubert.

L'avocat général Jean Berkani avait requis dans la matinée de douze à quinze ans de réclusion criminelle à l'encontre du prêtre. Il avait estimé que le prêtre était coupable et réclamé "une peine qui lui permette de prendre la mesure du mal qu'il a fait" et de "poursuivre sa démarche thérapeutique".

M. Berkani avait aussi mis en cause l'attitude de l'évêque d'Evreux, Mgr Jacques Gaillot, évêque d'Evreux. "Il avait connaissance intégrale du passé judiciaire de Vadeboncoeur quand il a pris la décision de le nommer curé de Lieurey", a-t-il affirmé. Denis Vadeboncoeur avait en effet déjà été condamné en 1985 au Québec à 20 mois d'emprisonnement pour "grossière indécence, sodomie et agressions sexuelles sur des adolescents".

De son côté, l'avocat du prêtre, Me Xavier Hubert, avait estimé que la peine demandée par l'avocat général ressemblait à "une perpétuité" compte tenu de l'âge de son client qui a reconnu les faits. Il avait demandé aux jurés de se déterminer avec "humanité" en fonction "uniquement" du dossier.  Après la lecture du verdict, Me Hubert a affirmé: "C'est une peine très lourde, Denis Vadeboncoeur est accablé mais je ne pense pas qu'il fasse appel". 

Au cours du procès, le prêtre a reconnu les faits: il s'est dit "responsable de tout". S'adressant à la victime, Jean-Luc V., il a déclaré: "Je voudrais qu'il fasse le deuil de ces années douloureuses à cause de moi et qu'il soit heureux".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 21.09.05 | 16h12


Le Monde / Horizons
Enquête
La guerre de l'ADN

 O n se croirait quelque part dans l'"UniMonde" du roman de Maurice Dantec, Cosmos Incorporated . Ou dans le dernier Houellebecq. La scène qui suit est pourtant bien réelle. Dans une salle à manger parisienne, en ce mois de septembre, un père de famille pose un petit buvard rose, marqué de quatre ronds, sur la table. Il dépose un peu de salive dans le premier cercle, puis invite ses trois enfants à l'imiter dans les autres ronds. L'opération est terminée.

Le buvard est glissé dans une enveloppe. On timbre, on poste, on attend. Cinq à quinze jours plus tard, le facteur viendra avec les résultats. "Oui, tu es mon père. Non, tu n'es pas ma fille." Cela s'appelle un test de paternité. Et c'est désormais accessible à chacun, via Internet notamment ­ "règlement discret par carte bleue".

L'acide désoxyribonucléique est désormais partout. Dans les maisons, dans les prétoires, dans les morgues. Obtenu sur des éléments aussi divers que du sang, des cheveux, des os, du sperme, un vêtement ou un mégot, son origine revient à un Britannique, le professeur Alec Jeffreys. Son principe repose sur le caractère génétique unique de chaque individu ­ son code ­, mais identique, pour une moitié, à chacun des parents biologiques du sujet.

On parle aujourd'hui d'empreintes génétiques comme on parlait naguère des empreintes digitales. Les séries télévisées françaises qui exhibent encore, dans les commissariats ou les bureaux des juges, le test ADN sous forme de codes-barres, comme au temps d'Alec Jeffreys, sont en retard. Les tests se déclinent à présent en chiffres et en graphiques. Sur d'autres points, la fiction télé est en avance. Chez le "commissaire Navarro", l'analyse est exécutée en cinq minutes ­ il faut en réalité six bonnes heures. De Las Vegas à Miami, dans la série américaine Les Experts , l'ADN fait en tout cas partie du décor.

Sur Internet, à "Test de paternité", l'offre est de plus en plus importante. Pour 280 euros ­ 320 pour le "test de fratrie basique" ­, de nombreux laboratoires européens proposent des kits de prélèvements à effectuer à domicile, pour des "probabilités de paternité de 99,999%" ­ 100% s'il s'agit seulement d'exclure et non de prouver un lien de père à fils. Le kit-buvard ou Cotons-tiges de couleurs différentes est envoyé sous pli anonyme. Ceux qui préfèrent recevoir l'enveloppe ailleurs qu'à la maison, pour plus de discrétion, peuvent fournir une autre adresse.

Pour les Français, le pli sera forcément posté de l'étranger. D'Angleterre, d'Espagne, des Pays-Bas, du Canada ou des Etats-Unis. La loi de bioéthique du 29 juillet 1994 réserve en effet la saisie d'empreintes génétiques à des missions de médecine et de recherche ­ le plus gros marché de l'ADN. Et l'interdit, pour le reste, en dehors d'une mission judiciaire. Si un père de famille porte plainte contre sa femme ou sa compagne parce qu'il a de gros doutes sur une paternité avérée ou en devenir, seul un juge d'instruction peut décider le prélèvement génétique. Les labos français ne peuvent effectuer de "tests de confort".

En 1998, la justice avait ordonné l'exhumation d'Yves Montand, inhumé sept ans plus tôt au cimetière du Père-Lachaise. Une jeune femme affirmait que son enfant, Aurore Drossart, était le fruit d'une liaison de tournage avec l'acteur. Sur la foi de témoignages et d'une ressemblance physique frappante, le tribunal de Paris lui avait donné raison en 1994. L'ouverture du cercueil avait choqué. Mais les critiques étaient vite retombées quand les expertises du professeur Christian Doutremepuich, qui dirige un laboratoire privé réputé à Bordeaux, démontèrent la thèse Drossart. Montand était, si l'on peut dire, "innocent".

Le dossier fut clos. "Initialement affolée, l'opinion fut rassurée de voir que les tests pouvaient aussi infirmer des mensonges" , se félicite M. Doutremepuich. L'ADN venait de s'offrir la plus belle des campagnes de publicité. Depuis, les demandes fleurissent. Selon une étude publiée par The Lancet , la prestigieuse publication scientifique britannique, les "fausses paternités" représentent 2,7% de l'ensemble des déclarations de naissance. "En gros, un enfant sur trente n'est pas de son père" , résume le professeur Jean-Paul Moisan, qui a quitté le CHU de Nantes en 1988 ­ avec 22 de ses collaborateurs ­ pour créer l'Institut génétique Nantes-Atlantique (IGNA), un laboratoire privé. "Il existe une énorme demande silencieuse" , confirme Marie-Hélène Cherpin, qui ­ signe des temps ­ vient à son tour de quitter le Laboratoire de police scientifique (LPS) de la préfecture de Paris, où elle régnait depuis 1994, pour rejoindre le laboratoire Mérieux, à Lyon, et y monter un département de génétique. "On effectue entre 1 000 et 1 500 recherches par an, mais la demande potentielle est dix fois supérieure. Elle ne voit pas le jour parce que les gens n'ont pas le courage d'entamer une procédure judiciaire."

"Marché" restreint, mais symbolique. La recherche en paternité, qui permet, en matière judiciaire, de régler des querelles d'héritage, fait écho à l'air du temps. L'heure est "aux problèmes identitaires, aux demandes très fortes de certitudes, que l'on entend notamment dans les familles recomposées" , témoigne le magistrat Denis Salas, auteur de La Volonté de punir, essai sur le populisme pénal (Hachette littératures, 2005) et spécialiste des problèmes de filiation.

Face à ces demandes en souffrance, à cette fuite à l'étranger, les labos français plaident leur cause. "Ça me rappelle les années 1960, quand les femmes qui voulaient avorter avaient recours aux faiseuses d'anges ou aux cliniques suisses ou anglaises", explique le professeur Moisan. "La loi de bioéthique, qui se voulait tellement stricte, a été détournée. Du coup, sans ordonnance, sans médecin de famille, les couples sont laissés face à eux-mêmes." M. Doutremepuich est d'accord: "La recherche ADN permet une pacification. Les gens ne vont pas au test de paternité s'il n'y a pas, auparavant, un problè me de couple."  La familiarité de la société avec l'ADN devient chaque jour plus visible.

Vendredi 19 août, au Venezuela. Les familles des 160 victimes de l'accident du vol Panama-Fort-de-France, trois jours plus tôt, ont empli le hall de la faculté de médecine de Maracaïbo. Les questions fusent. Dont celle-ci qui revient avec insistance: "Qui fera les recherches ADN qui nous permettront d'identifier les corps ?" Il n'y a pas de laboratoire d'expertise génétique dans ce pays d'Amérique latine. C'est donc le laboratoire bordelais de M. Doutremepuich qui a été chargé des tests génétiques. Une solution simple pour une fois.

A chaque crash d'avion, désormais, c'est une véritable bataille commerciale qui s'engage entre les labos du monde entier pour s'emparer du marché. Chacun met en branle ses amitiés et ses alliances, joue des tensions diplomatiques entre le pays de la catastrophe et celui dont sont originaires les victimes. A chaque épisode de ce type, le ministère des affaires étrangères veille à ne pas froisser ses interlocuteurs en proposant les services de labos français.

C'est ainsi qu'après le tsunami qui a balayé le Sud-Est asiatique en décembre 2004 ­ 200 000 morts, dont 95 victimes françaises dénombrées et 83 identifiées à ce jour ­ les cadavres sont d'abord partis vers des laboratoires chinois. Lesquels, de source française, se sont heurtés à des problèmes d'interprétation de spectres. Un protocole d'accord fut finalement signé le 24 mai entre l'un des pays les plus touchés, la Thaïlande, et la Commission internationale pour les personnes déplacées (CIPD): les restes humains ont été convoyés à Sarajevo. "Avec les charniers de la guerre et les problèmes d'identification de cadavres, l'ex-Yougoslavie connaît" , admettent les concurrents français. La CIPD se flatte d'ailleurs de disposer d'une "grande expérience et des techniques" mises au point là-bas. Le logiciel de Sarajevo serait en mesure d'extraire des profils ADN d'échantillons de tissus "même très détériorés" .

"A chaque catastrophe aérienne se produisant dans un pays non européen, on voit trois ou quatre médecins un peu malins mesurer les enjeux, puis créer leur propre laboratoire de génétique" , observe le psychiatre Ronan Orrio, du CHU de Nantes, spécialisé dans le suivi des catastrophes. Souvent, au vu des bas prix proposés, les laboratoires français préfèrent décliner l'offre. Le laboratoire de Sarajevo est financé par neuf pays. Et c'est l'Union européenne qui aide à la mise en place d'un institut médico-légal en Tchétchénie.

Cyclone Katrina, crashs d'avions, attentats meurtriers, comme ceux du World Trade Center, de Madrid ou de Londres: à chaque drame, on veut savoir. Les papiers d'identité sont souvent retrouvés loin des corps déchiquetés, les bijoux ont été dispersés, les cicatrices ou les tatouages sont devenus illisibles. L'examen des prothèses ou des plombages de la mâchoire inférieure par les dentistes légistes ne suffit pas toujours. On veut être certain. Pour des raisons financières, bien sûr, les certificats de décès et d'authentification sont nécessaires pour les assurances et les héritages. Mais aussi pour d'autres raisons, qui tiennent à l'humeur de l'époque.

Imaginait-on des demandes aussi précises, il y a seulement cinq ans, quand un chalutier faisait naufrage en Bretagne ? L'authentification fait partie de ces nouveaux rituels de mort, mi-religieux mi-laïques, qui font aujourd'hui florès. Lors d'un récent naufrage, à Lorient, six corps avaient été solennellement enterrés. Deux familles ont eu un doute. On a exhumé et analysé. Dans les cercueils, deux corps avaient été intervertis. "Aujourd'hui, on veut la preuve suprême" , résume Denis Salas. "La vérité biologique apparaît comme la vérité absolue. Le besoin de trace rejoint cette formidable demande victimaire qui signe notre époque."

La technique des empreintes génétiques a été appliquée pour la première fois dans une enquête criminelle en Angleterre en 1985. En dix ans, la méthode s'est largement répandue, modifiant profondément les pratiques policières et judiciaires. En 2001, "l'affaire Caroline Dickinson" l'a définitivement consacrée en France. Francisco Arce Montes, qui avait violé et assassiné la petite Anglaise à Pleine-Fougères (Ille-et-Vilaine) pendant l'été 1996, était installé en Floride. Reconnu par hasard, il fut finalement confondu par ses empreintes génétiques après que 300 témoins eurent été interrogés et 3 600 tests ADN effectués.

Ce sont les sept assassinats perpétrés par Guy Georges, entre 1991 et 1997, qui ont précipité la création, par le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, d'un fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg). Le tueur en série avait été arrêté une première fois en 1995, mais, faute de fichier centralisé, les policiers n'avaient pas pu effectuer de comparaisons génétiques. Guy Georges s'en tira avec trente mois de prison. A sa sortie, en 1997, les meurtres recommencent. Le tueur dit "de l'Est parisien" ne sera finalement confondu qu'en mars 1998, grâce aux recherches d'Olivier Pascal, du laboratoire de génétique moléculaire de Nantes.

La mise en place du Fnaeg, à Ecully, près de Lyon, par la sous-direction de la police technique et scientifique (PTS), a surchargé les six laboratoires publics de police et de gendarmerie ainsi que les semi-institutionnels, comme celui de l'hôpital Raymond-Poincaré, à Garches. "Les labos d'Etat ne peuvent pas tout faire" , constate Marie-Hélène Cherpin. Ministères de la justice et de l'intérieur multiplient les appels d'offres pour tenter de "rentrer" à toute force dans le fichier central 400 000 profils et 70 000 traces à comparer chaque année. "On n'est pas chez Carrefour !, se plaint le docteur Pascal, les labos privés pratiquent aujourd'hui le dumping, avec des recherches sans garantie de qualité ­ deux analyses à deux temps différents ­, pour 85 euros l'échantillon hors taxes." Pour lire la "boîte noire" de chacun, comme dit Dantec, ce n'est pas cher payé.

Ariane Chemin
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Aujourd'hui
Dans l'intérêt des élèves, le dialogue entre familles et professeurs doit se construire sur la base du partenariat. Pas du conflit.
Parents-enseignants: restaurer la confiance

 E lles se nourrissent souvent d'estime, parfois de détestation, jamais d'indifférence: dans tous les cas, les relations entre parents d'élèves et enseignants se révèlent un exercice de haute voltige. Accompagné, le cas échéant, de solides malentendus.

Le plus étonnant d'entre eux ? Les professeurs, dans leur ensemble, se pensent mal aimés de leurs concitoyens... alors que ceux-ci les adorent. Ainsi que le montre un sondage CSA réalisé pour Le Monde de l'éducation et Télérama sur "l'image des enseignants auprès des Français" (Le Monde de l'éducation , septembre 2005), un tiers d'entre eux recommanderaient ce métier à leur fils ou à leur fille. Les instituteurs sont par ailleurs jugés "compétents dans leur discipline" par 84% des personnes interrogées, les professeurs de collège et de lycée recueillant quant à eux 78% des suffrages.

Or, questionnés sur le "malaise enseignant" par la direction de l'évaluation et de la prospective (DEP), ces mêmes professeurs en attribuent d'abord la cause à "la non-prise en compte des difficultés concrètes du métier" , puis, tout de suite après, à... "la dégradation de l'image des enseignants dans la société" .

"Aux risques du métier que sont l'isolement, l'éloignement progressif des réalités de la vie limitées aux murs de la classe, s'ajoute chez beaucoup d'enseignants le sentiment d'être incompris, et même, pour certains, méprisés par une partie de la collectivité nationale" , reconnaît le professeur de collège Gérard Lesage (Le Collège aujourd'hui, éd. CRDP de l'Académie de Grenoble, 284 p., 16 €.). "C'est un sentiment largement infondé, mais profondément inhibant, toujours latent." La collectivité nationale ? Soit, en premier lieu, leur propre administration... et les parents de leurs élèves, souvent considérés comme "des empêcheurs de tourner en rond" . Lesquels parents, au-delà du regard globalement positif qu'ils portent aux professeurs, ne sont pas exempts, au plan individuel, d'ambivalence à leur égard.

Une chose, en effet, est de considérer l'enseignement comme l'un des plus beaux métiers du monde; une autre est de confier la prunelle de ses yeux, quatre à cinq jours par semaine, à un ou plusieurs inconnus... Une obligation que les mères ­ bien plus que les pères ­ ne vivent pas sans inquiétude. Ni sans une certaine ambiguïté, sachant que leurs enfants, lorsqu'ils sont encore petits, passent l'essentiel de leur temps... avec une rivale.

ÉCORCHÉS VIFS

"En maternelle et au primaire, les enseignants sont en majorité des femmes. Et les élèves, lorsque tout se passe bien, aiment leur maîtresse. Les parents venant à la rencontre des enseignants étant presque toujours les mères, les échanges se déroulent parfois sur un fond de rivalité", confirme Françoise Kellou, directrice d'école primaire, qui déplore de ne voir les pères dans son établissement que "lorsque cela va vraiment mal" . Une difficulté parmi d'autres, dans un contexte où la demande comme l'angoisse vis-à-vis de l'école atteint des sommets.

Si 45% des parents, selon le sondage CSA précédemment cité, estiment que les enseignants ne dialoguent pas assez avec eux, combien sont-ils, par exemple, à se révéler véritablement ouverts à la discussion ? Combien, sur les 71% des Français jugeant que les professeurs "n'ont pas assez d'autorité sur leurs élèves" , applaudiront des deux mains lorsque ladite autorité s'exercera sur leurs chers petits ? Combien, encore, projettent sur leurs enfants leurs propres souvenirs d'école, réactivant ainsi, à leur insu, divers échecs et humiliations marquantes ? Si les relations restent relativement sereines en maternelle, c'est souvent au primaire que tout se crispe. D'autant que les maîtres des lieux ne sont pas toujours disposés à mettre de l'huile dans les rouages.

Dotés pour la plupart d'entre eux d'une grande conscience de leur mission, mais habitués à rendre peu de comptes, ils réagissent en écorchés vifs à la moindre remarque. Ils peuvent avoir tendance, par déformation professionnelle, à infantiliser les parents qui leur font face. Ils prennent pour critiques ce qui n'est parfois que de simples questions... De sorte que les parents ont souvent l'impression d'avancer sur une corde raide, au risque de froisser au premier faux pas les représentants de cette profession singulière.

Faux problème ? Malentendus sans conséquences ? Tout cela ne serait en effet pas si grave s'il n'en allait de l'avenir de nos enfants. Mais les experts ­ à commencer par les enseignants eux-mêmes, du moins les plus jeunes d'entre eux ­ sont aujourd'hui unanimes: sans un réel partenariat entre parents et enseignants, les difficultés ne feront que s'accroître dans les écoles, les collèges et les lycées.

MANQUE DE COHÉRENCE

"Lorsque la communication s'établit mal entre l'école et la famille, il est assez naturel de penser que l'enfant est pris dans ce qu'il est convenu de nommer un "conflit de loyauté"" , souligne Françoise Hatchuel, maîtresse de conférences en sciences de l'éducation à Paris X - Nanterre. "L'enfant a besoin de ressentir qu'entre l'enseignant et ses parents, il existe une confiance réciproque" , renchérit Dominique Guichard, psychologue scolaire à Tours, pour qui "il n'est pas rare que les difficultés d'un enfant émergent d'une discordance entre ses parents et l'école". Un manque de cohérence qui incite souvent l'élève à alimenter lui-même le conflit, et à jouer ainsi, sans le vouloir, son rôle de mauvais écolier.

Sauf raison majeure, parents et enseignants ont donc intérêt à communiquer. Non pas de façon procédurière, comme cela se produit trop souvent entre représentants des parents d'élèves et professeurs lors des conseils d'école (primaire) ou de classe (collège), mais de façon plus individuelle. En y mettant du liant. Et un peu de bonne volonté de part et d'autre.

"Les parents doivent vraiment comprendre que l'enseignant a près de trente familles à rencontrer. Il lui faut s'organiser, et un rendez-vous reporté n'est pas synonyme de désintérêt" , souligne Sylvain Luquet, professeur des écoles, qui rappelle au passage que "l'institutrice n'est pas là pour prendre en charge tous les soucis de la famille". De leur côté, les enseignants " doivent recevoir les parents chaque fois que ceux-ci en font la demande" , estime Georges Gay, directeur d'école, pour qui "il faut solliciter les familles qui se font trop discrètes" , les adultes ayant souvent peur, "pour des raisons qui leur appartiennent" , de "revenir à l'école" .

Des initiatives personnelles et individuelles qui n'empêchent nullement les parents désireux de s'impliquer plus dans la scolarité de leurs enfants d'adhérer à une association de parents d'élèves, seul moyen d'être considérés comme des partenaires à part entière de la communauté éducative.


Réussir en maternelle; Réussir au primaire; Réussir au collège: trois guides clairs et concis, dans lesquels des professionnels de l'éducation répondent aux questions des parents. Ed. Albin Michel, 9,90 € chaque.

Catherine Vincent
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Aujourd'hui
Patrick Rayou, sociologue, spécialiste en sciences de l'éducation à l'IUFM de Créteil
"Les jeunes professeurs ont une attitude plus pragmatique"

 U ne enquête publiée ce mois-ci par Le Monde de l'éducation montre que la société perçoit les enseignants d'une manière nettement plus positive que ceux-ci ne le croient. Pourquoi cette distorsion ?
Il faut se replacer dans le contexte de l'enseignement d'aujourd'hui, dont l'exercice est infiniment plus complexe qu'auparavant. Face à l'hétérogénéité de leurs classes, les professeurs sont désormais tenus d'adapter les contenus des programmes aux élèves qu'ils ont devant eux et de consacrer beaucoup de temps à la gestion de classe. Ces contraintes sont d'autant plus importantes qu'elles sont relativement nouvelles et encore peu prises en compte dans la formation classique des enseignants. Ces derniers étant en général des gens sérieux qui aimeraient faire au mieux ce pour quoi ils ont été recrutés et payés, ils ont donc le sentiment de ne jamais y parvenir. Face à cela, deux réactions sont possibles. Soit intérioriser ce qu'ils considèrent comme un échec et se dévaloriser eux-mêmes, soit l'externaliser: si problème il y a, c'est la faute des autres... C'est ainsi que les enseignants perçoivent plus d'hostilité de la part des parents qu'il n'y en a en réalité. Ils la fabriquent en partie eux-mêmes, du fait de leurs propres difficultés.

Nombre d'enseignants n'en sont pas moins très critiques vis-à-vis des parents d'élèves. Que leur reprochent-ils ?
En général, deux attitudes exactement inverses. D'une part d'avoir démissionné face à l'école (alors que toutes les enquêtes montrent que les parents, au contraire, ne se sont jamais tant souciés de la scolarité de leurs enfants), d'autre part de trop vouloir se mêler de ce qui se passe dans les murs de l'établissement... Un reproche qui n'en finit pas de revenir depuis la loi d'orientation de 1989, qui a officiellement rendu les parents membres de la communauté éducative. Il faut se souvenir de ce qu'était naguère la conception de l'école républicaine. Celle-ci avait pour mission d'arracher les enfants du milieu familial pour en faire des citoyens et les élever à l'universel, et les parents n'avaient rien à faire dans cette école-là. Cet héritage se télescope aujourd'hui avec une vision plus moderne selon laquelle, au contraire, les parents ont leur place et leur rôle dans le système éducatif. C'est de ce décalage que provient, à mes yeux, l'essentiel des difficultés actuelles entre parents et enseignants: cette réforme était sans doute nécessaire, mais il ne suffit pas d'une loi nouvelle pour effacer des décennies de tradition républicaine.

Vous avez récemment mené une enquête, avec votre collègue Agnès van Zanten, sur les nouveaux enseignants. Leurs relations avec les parents d'élèves vous semblent-elles différentes de ce que l'on observe chez les anciens ?
De manière générale, les jeunes enseignants ont une attitude plus pragmatique que leurs aînés et s'identifient moins fortement à leur fonction. Ils parlent moins, par exemple, de vocation que de métier. Ils n'ont pas peur de dire qu'ils sont là, certes, pour aider les élèves, mais qu'ils souhaitent également se réaliser eux-mêmes. Tout cela constitue à mon sens un élément de la donne assez fondamental pour expliquer que ces nouveaux enseignants aient des rapports moins passionnés avec les parents d'élèves. Ils se sentent plus interpellés sur leurs gestes et leur pratique que sur leur personne, et considèrent plus volontiers les parents comme des partenaires. Autre évolution notable: les jeunes enseignants sont mieux préparés que les anciens à entrer dans les préoccupations personnelles de leurs élèves. Ce qui, pour eux, entraîne d'ailleurs une autre difficulté: celle de la bonne distance. Jusqu'où faut-il se rapprocher des élèves et de leurs familles ? Le problème est d'autant plus ardu que les enseignants continuent d'être des praticiens individuels, et que chacun doit se forger ses propres convictions sur la question. Si les conseillers psychologues étaient plus nombreux et mieux intégrés aux équipes pédagogiques, ils pourraient donner un sérieux coup de main sur ce sujet.


Enquête sur les nouveaux enseignants , de Patrick Rayou et Agnès van Zanten, Bayard 2004, 302 p., 20 € 50.

Propos recueillis par Catherine Vincent
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Aujourd'hui
Stressés, fatigués mais en bonne santé

 Q ui n'a pas entendu parler du "malaise enseignant", de ce mal-être qui abîme nos professeurs, les décourage, les démotive, les use ? Une enquête du SNES (Syndicat national des enseignements de second degré), publiée en juillet et menée par questionnaire auprès de 2 200 enseignants (59% de femmes, 41% d'hommes), révèle que près d'un enseignant sur cinq se déclare "fatigué en permanence" , et que 58% d'entre eux se plaignent d'" épuisement physique ou nerveux" . Et de fait: compte tenu de la pression, quotidienne et globale, pesant sur leurs épaules, il y a de quoi penser qu'ils sont, plus que d'autres, exposés à la dépression, aux angoisses et autres troubles psychiques.

Selon une enquête de la MGEN (Mutuelle générale de l'éducation nationale) menée en avril 1999 et en mars 2000 auprès de 6 500 adhérents, 7,8% d'entre eux consommaient des somnifères, 8,9% des anxiolytiques et 5,4% des antidépresseurs. Des chiffres largement supérieurs à la moyenne, estimée par le Credes (Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé), tous psychotropes confondus, à 4,6% de la population en 1998. De même, selon la MGEN, le nombre de bénéficiaires d'allocations journalières a augmenté de 13% en cinq ans. Quant à la durée d'indemnisation moyenne, elle est passée à 143 jours, contre 102 en 1999.

Et pourtant ! Malgré ces données, et même s'ils sont indéniablement stressés, fatigués et anxieux, les enseignants ne vont pas plus mal que l'ensemble des Français. "Il semble même qu'ils ont plutôt moins de problèmes de santé mentale que les autres et que leur situation s'est améliorée sur les quinze dernières années" , juge Viviane Kovess, psychiatre et épidémiologiste. Selon l'enquête de la MGEN, seuls 9,7% de ses sondés, en effet, ont connu les affres de la dépression, alors que l'incidence de cette maladie, calculée en 1996 par le Credes, était de 15% pour l'ensemble de la population.

PÉNIBILITÉ DU MÉTIER

Des enseignants en forme, mais fonctionnant aux psychotropes: paradoxe ? En apparence seulement, tempère Nathalie Brunou, sociologue à l'université Bordeaux-II et auteure d'une thèse sur "Travail éducatif et santé", pour qui "la représentation collective qu'ils ont de leur métier est en contradiction avec le discours qu'ils tiennent sur leur expérience individuelle de l'enseignement" . Dans le premier cas, leur appréciation est très négative: déficit de reconnaissance, difficultés face aux familles "démissionnaires" ou aux élèves "consommateurs", perception de leur métier comme "à risque" ... Dans le second cas, ils évoquent un métier "passionnant" et une pénibilité "limitée ou supportable". Bref, tous décrivent le malaise enseignant... avant de dire que ce n'est pas le leur. "Les enseignants ont de très bons mécanismes de défense" , analyse Viviane Kovess. Plutôt que d'intérioriser leurs difficultés professionnelles, ils en parlent sans retenue. "Ce sont des gens qui s'expriment bien. C'est efficace puisqu'ils n'ont pas spécialement de problèmes !" Selon cette psychiatre, les enseignants, par ailleurs, se soignent plus et mieux que la moyenne de la population française. Ce qui explique sans doute leur plus forte consommation de psychotropes.

Virginie Malingre
Article paru dans l'édition du 21.09.05


Le Monde / Chats
Que faire face à un enfant turbulent ?
L'intégralité du débat avec Edwige Antier, pédiatre, auteure de "Dolto en héritage" (Robert Laffont, 2005), jeudi 22 septembre 2005

Doudou: Les enfants turbulents ont-ils toujours existé ou est-ce une spécificité de nos sociétés actuelles où règne la violence ?
Edwige Antier:
Oui, les enfants turbulents ont toujours existé. Parce que les enfants ont toujours connu la violence, malheureusement. Mais il est vrai que dans notre monde d'aujourd'hui, ils sont harcelés par de multiples stimuli: télévision, téléphone, vie précoce en collectivité, qui aggravent considérablement leur agressivité.

COUCOU: Comment faire la différence entre un enfant turbulent et un enfant hyperactif ?
Edwige Antier:
C'est très important. Parce que le terme d'hyperactif sonne comme une pathologie qui va mériter traitement ou rééducation. On l'emploie trop largement aujourd'hui. L'hyperactif associe trois symptômes: la difficulté à se concentrer, l'impulsivité et l'agitation. Seule l'association des trois peut faire suspecter le diagnostic d'hyperactivité. Un enfant qui est très actif, qui aime monter sur les toboggans, taper dans les ballons, courir dans les couloirs de la maison, mais qui est capable de se concentrer lorsque vous lui racontez une petite histoire avec un livre, n'est pas un enfant hyperactif. C'est un enfant vif, heureusement.

Tybert: Ne pensez-vous pas qu'un enfant turbulent est un enfant normal ?
Edwige Antier:
Oui, ma réponse précédente montre que l'enfant turbulent, mais qui est capable de se concentrer sur un échange avec l'adulte et qui ne bouscule pas systématiquement ses congénères pour toujours passer le premier au toboggan (impulsivité), est normal. Il faut savoir respecter la turbulence de cet enfant mais aussi canaliser son énergie vers des échanges positifs. C'est un enfant avec lequel il faut volontiers se poser pour ouvrir des livres, faire de la pâte à modeler, partager une petite histoire douce à la télévision... Et sa turbulence passera avec la maturité, vers 5 ans.

CANALISER L'ÉNERGIE

Thierry: Ce qu'on appelle turbulence n'est-il pas plutôt de l'énergie non canalisée et mal distribuée plutôt qu'une forme de violence ?
Edwige Antier:
Merci, Thierry, d'employer le mot que je viens justement d'écrire: canaliser. Car un enfant est une extraordinaire boule d'énergie. Et toute l'éducation consiste à canaliser son énergie vers le positif: j'apprends à construire une tour de cubes, à parler, à colorier "sans dépasser", par rapport à l'énergie négative: je me roule par terre, je mords, je tape. Et nous allons voir que c'est tout un art et beaucoup de présence.

Luciole: Pensez-vous que la tendance américaine à donner des calmants aux enfants jugés hyperactifs risque de gagner la France ?
Edwige Antier:
Bonne question. En France, nous utilisons peu les "calmants" style Ritaline, et nous avons mis des barrières: la prescription initiale ne peut être faite que par un pédopsychiatre hospitalier qui seul peut la renouveler tous les ans, après des bilans approfondis. Même avec cette précaution, la prescription augmente mais reste très marginale. Il ne faut pas non plus ignorer certains vrais hyperactifs qui sont dans des états suicidaires tant ils sont rejetés par le groupe. On ne peut donc réfuter totalement l'intérêt du traitement médical.

Tybert: Vous dites que la vie précoce en collectivité aggrave l'agressivité... Quid, alors, des crèches ?
Edwige Antier:
Il est important d'humaniser les crèches, c'est-à-dire que le personnel doit avoir une attention permanente au groupe pour réguler les relations entre les enfants. Et lorsque vous êtes une éducatrice pour huit enfants qui marchent (la norme), il vous faut une attention constante. Faute de laquelle, en effet, les enfants ont des jeux qu'on appelle "parallèles", ils ne savent pas échanger jusqu'à 3 ans, ils se poussent, voire se mordent. C'est dire l'importance de la formation du personnel, du respect qu'on lui doit et de l'ouverture de la crèche aux parents, pour laquelle je travaille avec d'excellents retours.

Sophie: Pensez-vous que les punitions (expliquées et justifiées) puissent aider à "recadrer" un enfant très turbulent ?
Edwige Antier:
Certainement pas. Au contraire, soit elles aggravent la turbulence car elles endurcissent l'enfant, qui prend l'habitude de vous braver, soit elles l'éteignent et le transforment en un enfant trop soumis qui perd de sa curiosité. Jusqu'à l'âge de 7 ans, lorsque vous voulez appliquer la punition, l'enfant ne sait déjà plus pourquoi il a voulu transgresser. Il se culpabilise et entre dans le profil de l'"affreux jojo".

Laurence: Ma fille a 2 ans. Je la retrouve depuis sa naissance dans les qualificatifs d'impulsive et d'agitée. Elle ne reste pas en place avec un livre ou un jeu. Seul un DVD de dessin animé la fait tenir en place plus de cinq minutes. Faut-il utiliser ce support pour progresser, ou bien au contraire le réduire à la portion congrue ?
Edwige Antier:
On a beaucoup diabolisé le petit écran, mais si vous vous asseyez à côté d'elle, que vous la prenez sur vos genoux en partageant le dessin animé, en faisant des commentaires et en captant bien ses émotions, il joue le rôle d'un livre d'images. Donc pourquoi s'en priver et l'en priver ? Par contre, mettre le DVD en boucle et la laisser sucer son doudou le regard vague pendant que vous vaquez à vos occupations, c'est vraiment habituer son cerveau à l'absence d'échange, et dès que vous éteindrez le magnétoscope, elle se remettra à grimper aux rideaux.

Momo: Un enfant naît-il turbulent ou le devient-il ?
Edwige Antier:
C'est toute la question entre l'inné et l'acquis. Avec trente ans de pratique, je peux dire que dans 90% des cas, il le devient, mais ça vient très tôt. Dès le deuxième semestre de la vie, la façon dont vous interagissez avec votre enfant va laisser partir son énergie de manière négative. Et on peut le deviner en voyant vos relations. Le deuxième enfant est beaucoup plus turbulent que le premier parce qu'on est moins en relation de duo avec le deuxième, par exemple. Le caractère inné s'impose parfois à l'analyse, mais c'est tout de même rare.

LA PUNITION: "JAMAIS !"

MC: Quelle solution autre qu'une punition pour recadrer un enfant qui a mordu ou tapé un copain ? Une mise à l'écart temporaire le temps de se calmer, des excuses à la victime ?
Edwige Antier:
La punition, je l'ai dit: jamais ! De toute façon, il recommencera. Les excuses à la victime, c'est surréaliste. Ça humilie et n'a aucun effet car l'enfant ne comprend pas pourquoi il a eu cette pulsion. La mise à l'écart – les Américains disent "time out" –  est une bonne solution si elle n'est pas pratiquée sur le mode de la punition. L'idéal est que le parent et l'enfant fassent pour chacun d'eux "time out". Par exemple: tu vas dans ta chambre, voire dans ton lit, voilà des jouets, et moi je prends le journal, Le Monde peut-être, et je vais m'allonger sur mon lit. Chacun se fait du bien, mais chacun de son côté. Et on se revoit quand maman – qui a été fatiguée par l'agressivité – va mieux.

Calavera: Ne pensez-vous pas que nos sociétés "pathologisent" à outrance des problèmes de comportement qui relèvent – le plus souvent – de réponses éducatives plutôt que médicales ? Les familles ne tendent-elles pas alors à se défausser sur le corps médical ?
Edwige Antier:
Nous, les pédiatres, sommes interpellés, en effet, à 60% pour des problèmes d'éducation. Mais je pense que c'est notre rôle. Ce n'est pas pour autant que nous donnons des médicaments. Nous aidons les parents à comprendre leur enfant. Les enseignants ont aussi, peut-être, facilement recours au psy' dès qu'ils ont une difficulté. Mais il faut reconnaître que gérer une classe de 25 enfants, avec quelques trublions qui ne tiennent pas en place, demande qu'on appelle au secours. Le problème est que – on l'a vu dans les messages précédents – tout se joue dans les premières années, entre les parents et l'enfant, ou le mode de garde et l'enfant. Après, c'est dur à rattraper, même si c'est possible.
Laurence: L'absence totale de punition ne nous conduit-elle pas à la permissivité, et au laxisme, responsable a priori de bien des maux ?
Edwige Antier: Remarquez que mon livre, qui redonne l'ABC que nous a livré Françoise Dolto, a pour sous-titre "Tout comprendre, pas tout permettre". Je ne suis absolument pas pour le laxisme. Mais les punitions exacerbent la violence. Comprendre l'enfant, c'est savoir répondre à ses problèmes pour ne pas susciter l'agressivité. Il faut beaucoup de respect, pas du laxisme.

Mateo: Ne faut-il pas voir dans l'augmentation de ces comportements une corrélation avec une certaine violence parents/enfants, les parents ne sachant plus donner de limites à leur progéniture ?
Edwige Antier:
Vous me faites très peur. Car ce discours invoquant la nécessité de mettre des limites conduit les parents qui ont été en extase devant ce bébé qui est une "personne" à faire, à partir d'un an à 18 mois, un virage à 180° dès lors que l'enfant explore le monde, pour lui taper sur la main dès qu'il est en investigation. C'est le trahir, c'est trahir votre admiration du début et dès lors, il perd confiance dans le guide que vous devez être. La mise de limites doit commencer avec l'"âge de raison", autour de 7 ans, quand il est capable d'un raisonnement abstrait. Avant, c'est un accompagnement. Vous devez accompagner chaque découverte pour lui en donner le sens et transmettre vos valeurs.

"TIME OUT"

Caroline_andrian: Face à une enfant de 2 ans qui frappe ses parents (non agressifs) quand ils le contrarient, quelle attitude faut-il avoir ?
Edwige Antier:
Cette question se pose très fréquemment, car à 2 ans, les enfants frappent ou mordent. Or une maman, c'est sacré. Un papa aussi. Si l'enfant le fait, c'est parce que vous en avez ri, ou vous avez voulu répondre sur le même registre: crier et parfois même mordre en retour. Dans tous les cas, l'enfant retient que c'est un mode de communication. Ce qu'il faut faire, dès qu'il esquisse le geste, c'est immédiatement lui proposer autre chose: un jouet, la boîte à boutons, et détourner son attention. Il retient qu'on n'échange pas ainsi. S'il en est déjà à vous braver, vous vous reportez au "time out" dont nous avons parlé plus tôt.

Josette: Croyez-vous en ce fameux "retour de l'autorité" prôné par certains psychanalystes ? Ne pensez-vous pas que donner la parole à l'enfant au sein de la famille, c'est également instaurer une plus grande "démocratie familiale"  ?
Edwige Antier:
Le problème de la parole est que parfois les parents se dissolvent en négociations interminables, et l'enfant prend l'habitude de tout discuter. Françoise Dolto ne disait pas: il faut tout dire à l'enfant, mais disait: il faut dire les vérités "qui le concernent". C'est-à-dire les choses existentielles – est-ce qu'on l'a désiré ? Est-ce qu'on voulait bien une fille ? –, mais pas les mille et une petites choses de la vie dans lesquelles les parents s'engluent à force de suppliques aujourd'hui. Donc il ne veut pas prendre son bain: je te comprends, mais je suis désolée, c'est comme ça, alors on le fait, et vite !

Marc: Ne trouvez-vous pas scandaleux que le rapport de l'Inserm [rendu public ce jeudi 22 septembre, qui préconise le dépistage  et la prise en charge précoce du "trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent"] fasse le lien entre un enfant turbulent à 36 mois et un délinquant ? N'y a-t-il pas là une dérive dangereuse ?
Edwige Antier:
Je dois reconnaître que j'ai parfois en consultation des enfants de 3 ans dont je vois déjà qu'ils sont dans la rage et dans la perversité. Ce sont des enfants dans une colère extrême, avec lesquels on a tenu des discours incohérents, soit les parents, soit des auxiliaires pour sa garde. Ils n'ont pas connu l'empathie, et leur colère paraît vraiment inscrite dans leurs neurones de façon irréversible si les parents ne consultent pas et si l'on ne fait pas de psychothérapie. J'ai vu ainsi un enfant étrangler ma poupée avec le cordon du rideau pendant que sa mère me racontait en quoi il la décevait.

Stat: Existe-t-il des études montrant le lien entre souffrance à la naissance et troubles sérieux du comportement ?
Edwige Antier:
Je ne pourrais pas les citer de mémoire, mais il en existe. Et le lien est certain. A propos des souffrances organiques, c'est-à-dire des ralentissements du cœur dans la période avant ou pendant l'accouchement, des difficultés obstétricales importantes, une grande prématurité, et des périodes de séparation post-natale. C'est pourquoi on fait entrer les parents aujourd'hui dans les centres de prématurés et de nouveau-nés en souffrance. C'est un domaine où les pédiatres ont été très mobilisés.

Geraldine: Que faire face à un enfant qui hurle quand il est contrarié ? J'essaie de rester très calme et expliquer que crier n'est pas une solution. J'applique déjà la méthode du "time out", mais cela ne semble pas marcher.
Edwige Antier:
Il faut comprendre que jusqu'à 5 ans, la partie corticale du cerveau mûrit assez rapidement, permettant le développement du langage et d'une intelligence de plus en plus rationnelle. Alors vous croyez pouvoir raisonner votre enfant. Mais dans les zones profondes du cerveau, la zone qu'on appelle limbique est le centre de l'humeur, qui permet de réguler nos humeurs. Cette zone est très immature jusqu'à 5 ans. Plus vous expliquez, plus l'enfant est débordé par son émotion. Il ne sait plus pourquoi. Il vaut mieux lui dire: tu es fatigué, c'est pas grave. Et rassurez-vous, ça va passer.

Cri: N'y a-t-il pas aussi un enjeu commercial dans cette approche médicalisée des troubles ? Vous-même, êtes-vous approchée par des laboratoires pharmaceutiques désireux de placer leurs produits ?
Edwige Antier:
La pharmacopée de l'enfant ne rapporte pas d'argent. C'est même un problème car on met très longtemps à faire bénéficier les enfants de certains produits qui leur seraient utiles, faute de les avoir expérimentés selon des protocoles très coûteux. Nous ne sommes pas de bons clients, nous les pédiatres, pour l'industrie pharmaceutique. Nos congrès, contrairement à la médecine adulte, ne sont jamais financés par les laboratoires pharmaceutiques. Ce qui peut être fructueux pour les laboratoires, c'est la consommation des laits ou des couches, c'est tout... Il n'y a pas d'intérêt commercial. Tant mieux, mais en même temps cela freine les innovations en pédiatrie. On a mis très longtemps, par exemple, à utiliser les médicaments anti-douleur pour les enfants faute d'études.

Stat: Comment expliquez-vous que dans une famille de trois ou quatre enfants, un seul pose des problèmes graves ?
Edwige Antier:
Cela nous ramène à l'idée de l'inné et de l'acquis. Si l'hyperactivité et l'agitation étaient innées, on pourrait s'attendre à plusieurs enfants dans une fratrie. Mais comme je vous l'ai dit, c'est plutôt un phénomène qui est acquis rapidement dans la vie de l'enfant, et l'interaction d'une mère avec son enfant est très différente avec chaque enfant, car elle dépend de l'environnement affectif de la mère, du caractère de l'enfant, de ce qu'ils se renvoient l'un l'autre, qui est une alchimie unique. Le père joue un grand rôle car selon qu'il soutient sa compagne ou, au contraire, se met en rivalité avec l'enfant, la situation est encore plus complexe.

Laleliloley: N'est-ce pas particulièrement dangereux de faire appel à des traitements médicamenteux si lourds aussi précocement ? Je m'explique: cela ne risque-t-il pas aussi de porter atteinte au développement psychique de l'enfant et de le rendre dépendant de ce type de recours ?
Edwige Antier:
C'est bien cette crainte qui fait tant limiter le traitement de l'hyperactivité en France. En même temps, il faut bien dire que les études faites à long terme n'ont pas montré de dépendance ni de troubles du comportement à l'adolescence chez les enfants qui avaient été traités. Et les médicaments de la famille de la ritaline ont pour but de réguler les neuromédiateurs qui dysfonctionnent, et pas d'abrutir l'enfant.

"DES COURS D'ÉCOLE DE PLUS EN PLUS VIOLENTES"

Palmophil: A quelle condition et sur quel registre les parents peuvent-ils (doivent-ils ?) intervenir à l'école lorsque l'enfant manifeste des comportements répétés d'agressivité ou en est l'objet ?
Edwige Antier:
Les cours d'école sont de plus en plus violentes. Je l'ai observé depuis quinze ans. Et lorsqu'un enfant est mordu ou bousculé très violemment, si la mère ou le père vont se plaindre, il arrive qu'on leur réponde qu'il faut que l'enfant "apprenne à se défendre". C'est absolument incroyable, comme si dans le cas où quatre enfants lui tomberaient dessus, il faudra bientôt lui donner un canif... Au contraire, il y a des directeurs qui, immédiatement, réunissent les enfants, leur font un cours sur le respect de l'autre et la maîtrise de son agressivité. Cela est extrêmement important. Les enseignants me disent souvent qu'ils ne sont pas assez nombreux pour surveiller les cours de récréation. Mais parfois les parents me disent que les enseignants ne sont pas assez dispersés dans la cour. Je pense qu'il faudrait surtout s'allier avec les associations de parents pour qu'ils s'impliquent dans la surveillance de la cour et de la cantine. Ce n'est pas forcément apprécié des enseignants...
Je pense que la montée des violences correspond à cette montée de l'agressivité que Le Monde relève. Elle commence au berceau. Nous avons parlé des tout-petits au début de notre discussion. Et les parents nous ont parlé de punition ou de négociations interminables. Ils sont eux-mêmes fatigués. L'un des mots les plus utilisés avec les enfants, c'est "vite". Les enfants, très petits, sont ainsi eux-mêmes harcelés et répondent par l'agressivité. Ca commence avant la cour d'école et ça s'aggrave dans la cour d'école.

Karine: Comment expliquer qu'un enfant soit turbulent à la maison et très calme, voire timide, à l'école ?
Edwige Antier:
C'est fréquent. A l'école, impressionné par l'autorité du maître, il maîtrise son énergie. Si, en même temps, il répond bien aux consignes et exécute bien ses petits travaux, c'est magnifique ! A la maison, il est avec des personnes qui l'aiment, et il en profite pour se défouler. Vous-même, si vous rentrez du bureau après une réunion un peu tendue, ne râlez-vous pas auprès de votre conjoint ?

Luc: Pensez-vous que ne pas inscrire ses enfants à la maternelle (quand on peut s'en occuper) est un bon moyen de retarder le contact entre l'enfant et cette violence ?
Edwige Antier:
Si un enfant parle bien déjà à 2 ans, s'il va à l'école seulement le matin, avec une institutrice bienveillante et chaleureuse, s'il rentre déjeuner chez lui et peut jouer ensuite librement, oui, il pourra ainsi apprendre le rapport avec les autres en douceur. S'il a encore un langage peu développé, s'il est dans une classe surchargée, avec une maîtresse fatiguée, s'il reste à la cantine, multiplie les récréations, puis encore dans la classe l'après-midi, puis la récréation, puis la garderie, c'est une bombe à retardement. L'école maternelle, surtout à 2 ans, n'est pas un mode de garde gratuit, c'est un lieu d'éveil. Et ce n'est pas respecter les enseignants que de leur infliger de si longues journées avec des petits auxquels il faut donner leur doudou à chaque récréation, multiplié par 25 et avec seulement la moitié d'une assistante.

Laurence: La présence en famille d'animaux dont l'enfant pourrait être responsable peut-elle aider ?
Edwige Antier:
Oui, les animaux apportent beaucoup aux enfants. Mais là encore, tout dépend de la façon dont vous avez accompagné l'enfant dans sa relation avec l'animal. Il y a très vite des enfants tortionnaires d'animaux qui poursuivent votre petit chien sous le buffet et cultivent ainsi leur agressivité. Apprendre à respecter un animal, à ne pas l'ennuyer, c'est une très bonne école de la vie.

Saulcy: Que pensez-vous du mot "autonomie" que l'on évoque à toutes les sauces à propos de l'éducation des enfants ? Ne pensez-vous pas qu'à vouloir les rendre autonomes trop tôt, on angoisse les enfants ?
Edwige Antier:
Merci beaucoup pour la formulation de votre question. Je reviendrai à Françoise Dolto qui disait qu'une première autonomie commençait vers 5 ans. Aujourd'hui, on veut rendre des enfants autonomes en les laissant à la garderie, hurlant de détresse. Ils voudront ensuite toujours récupérer ce manque et à 25 ans, ils ne seront toujours pas partis de chez vous. Bravo l'autonomie !

COUCOU: Avez-vous un remède miracle ?
Edwige Antier:
Oui ! La disponibilité, la passion pour le développement de votre enfant, les progrès que peut faire un être humain dans ses premières années sont si fascinants qu'en les accompagnant avec extase, vous n'aurez absolument pas un enfant turbulent ou agressif. Et c'est une très courte période dans votre vie.

Chat modéré par Constance Baudry et Eric Nunès
LEMONDE.FR | 22.09.05 | 18h39


Le Monde / Chats
Discriminations à l'embauche, quelles solutions ?
L'intégralité du débat avec Roger Fauroux, auteur du rapport "La Lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l'emploi", jeudi 22 septembre 2005.

Babaaurhum: Ne s'occupe-t-on pas d'avantage de faciliter l'entrée des Français "d'origine immigrée" dans les discothèques que de s'atteler à leur assurer une intégration dans le monde du travail ?
Roger Fauroux:
Les deux sont éminemment souhaitables, c'est l'intégration dans l'ensemble de la vie sociale. Moi, je me suis intéressé, à la demande du gouvernement, à l'intégration dans le monde du travail. Et les discriminations à ce stade sont très importantes. Le problème des discothèques est insignifiant par rapport à celui des discriminations dans le monde du travail. La tâche est infiniment plus compliquée, mais les choses se font.

Chambi: Pourquoi le CV anonyme n'a-t-il pas été retenu par nos chers députés ?
Roger Fauroux:
Parce que l'obligation du CV anonyme est inapplicable. On peut voter n'importe quel texte, mais quand il s'agit de PME, les principaux employeurs et recruteurs, il est impossible techniquement d'imposer le CV anonyme. Celui-ci ne peut être expérimenté que dans les très grandes entreprises. Ce n'est donc pas la solution des problèmes.

Benjamin_H: Pour lutter contre la discrimination ethnique à l'embauche, ne faudrait-il pas, dans un premier temps, quantifier ou tout au moins identifier les critères d'égalité face à l'emploi ?
Roger Fauroux:
Tout à fait. Je suis de votre avis. Je pense que ce qu'il faut absolument obtenir, c'est de connaître l'absence ou la présence des immigrés dans les organisations françaises publiques ou privées. C'est une chose importante, d'abord du point de vue pédagogique. Et puis on pourra mesurer d'une année sur l'autre le recul des discriminations et l'efficacité des mesures.

Pixie: Supprimer l'interdiction de recenser les origines ethniques des citoyens français vous parait-il une des solutions ?
Roger Fauroux:
Oui, je crois qu'il faut absolument faire ce qu'on fait dans d'autres pays: connaître la situation exacte des immigrés dans les activités françaises. L'interdiction d'identifier les personnes est vraiment une espèce de tabou et aussi un alibi pour se cacher l'existence d'un problème. Beaucoup de gens disent: mais il n'y a pas de problème, nous considérons les immigrés comme le reste des Français. Il faut donc leur démontrer que dans leur entreprise il n'y a pas d'immigré, ou que les immigrés n'y sont pas considérés du point de vue hiérarchique, comme les Français de souche.

Mourad: Bonjour. Je m'appelle Mourad, 24 ans, diplômé ingénieur en France et actuellement aux Etats-Unis depuis deux ans, où je suis également diplômé de master (bac +6 aux Etats-Unis). Cependant, étant aujourd'hui décidé à retourner chez moi, en France, quelle ne fut pas ma surprise de voir que mon CV est indésirable. Ecartant d'entrée la piste de la discrimination, j'ai envoyé à ce jour, un total d'environ 250 candidatures en bonne et due forme, dont l'immense majorité n'a même pas fait l'objet d'une réponse ou d'un accusé de réception. Y a-t-il aujourd'hui de la discrimination au niveau de postes qualifiés tels que ceux d'ingénieur ? Que pouvez-vous faire pour régler un problème ayant plus trait à un problème social à très large échelle, tel que celui de la discrimination ?
Roger Fauroux:
Votre cas illustre de manière éclatante ce que je suis en train de dire. La discrimination en France est d'autant plus forte que le niveau de qualification est élevé. J'ai deux conseils à vous adresser: le premier, c'est d'écrire à Louis Schweitzer, président de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité). Il faut que vous le saisissiez de votre cas, très illustratif et très scandaleux. D'autre part, il faut écrire personnellement à Claude Bébéar, président d'AXA, en citant mon nom si vous le voulez, pour lui raconter votre histoire. Car il a pris l'initiative de former un groupement d'entreprises pour la diversité.

"JE NE SUIS PAS POUR LA DISCRIMINATION POSITIVE"

Bertein: Bonjour. Quid de la discrimination positive à l'heure où le principe méritocratique ne fonctionne pas ?
Roger Fauroux:
Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Car le principe méritocratique fonctionne au profit d'une élite qui se reproduit. Donc je ne suis pas pour la discrimination positive – et d'ailleurs les immigrés qui ont réussi sont contre, car cela laisse entendre qu'ils doivent leur promotion sociale à la couleur de leur peau. Mais il faut introduire réellement l'égalité entre les immigrés et les Français de souche, car cette égalité, en fait, n'existe pas.

Pixie: La mise en place d'un système de quotas par origine ethnique semble découler logiquement d'un recensement ethnique. Après l'étude, l'action. Y êtes-vous favorable ?
Roger Fauroux:
Ce système se retourne toujours contre les personnes que l'on prétend aider. Cela s'est vérifié aux Etats-Unis. C'est un système trop facile qui introduit en fait une fausse égalité, car les gens vont dire que les immigrés bénéficient de conditions plus favorables, alors qu'il s'agit de les mettre sur le même pied que les Français de souche. Il faut donc inventer autre chose que le systèmes des quotas.

Jim: Observe-t-on autant de discriminations à l'embauche lorsque l'on a un diplôme "reconnu" ? Un diplômé, d'origine étrangère, de Sciences-Po, de l'Essec ou de HEC rencontre-t-il autant de difficultés pour être embauché qu'un individu postulant pour un poste moins prestigieux socialement ?
Roger Fauroux:
Quand on dit étranger, bien sûr, il s'agit d'étrangers venus du Maghreb ou d'Afrique. Le problème, malheureusement, concerne la couleur de peau. Jim a raison: plus l'individu est qualifié, plus il aura de difficultés à s'intégrer. Sur un chantier de travaux publics, on trouve beaucoup de ressortissants de l'Europe du Sud. On en trouve beaucoup moins dans les grandes écoles. Il faut prendre le problème à la base, à l'école: les enfants de familles immigrées doivent recevoir des bourses, soient conseillés, pour que les meilleurs puissent s'engager dans des études longues. Ensuite, il faut veiller à ce que, à leur entrée dans l'emploi, ils soient mis à égalité avec les jeunes Français de souche.

LA NÉCESSITÉ DU RECENSEMENT ET DE LA PUBLICITÉ

Hamid: "Inventer autre chose", oui, mais que proposez-vous M. Fauroux ?
Roger Fauroux:
J'ai fait un rapport pour M. Borloo dans lequel je fais un certain nombre de propositions. La première, qui me paraît essentielle, est le recensement. Il faut montrer du doigt aux responsables que notre système ne marche pas, ne favorise pas l'intégration. D'autre part, il faut faire de la publicité. Il faut que le gouvernement finance une campagne de publicité, comme une entreprise de recrutement l'avait fait, montrant que les immigrés sont des gens qui doivent et peuvent remplir de très grands services aux entreprises. Que la diversité est un enrichissement, et la discrimination, un gaspillage. Il faut aussi expérimenter le CV anonyme dans les grandes entreprises. Il faut également que dans chaque bassin d'emploi, les chambres de commerce, les unions patronales, les syndicats, les responsables d'entreprises, les fonctionnaires se rassemblent pour mettre en œuvre des mesures anti-discrimination. Cela existe dans un petit nombre de régions de France, et cela marche.
C'est au niveau territorial, décentralisé, que les choses ont le plus de chances de fonctionner. Et de manière générale, il faut perfectionner les procédures d'embauche. Il faut évaluer les compétences, l'expérience, la motivation d'un candidat à l'emploi plutôt que recruter à la tête du client. Il y a une tendance beaucoup trop grande de la part des recruteurs à faire jouer des facteurs subjectifs. Il y a un effort qui est en train de se développer pour que ce soit les "habiletés", c'est-à-dire les compétences réelles, qui soient évaluées, et non le nom ou la couleur de la peau. Le rapport que nous avons remis à M. Borloo est sur Internet et peut donc être consulté facilement.

Faseyo: Comment dépister efficacement les discriminations en vue de les sanctionner ?
Roger Fauroux:
Il faut que la Halde, qui a été instituée pour cela, ait des moyens et les exerce. C'est-à-dire qu'elle doit faire des enquêtes chaque fois qu'elle est saisie d'un cas de discrimination et, si elle le juge nécessaire, faire appel aux juges. Et il faut que les magistrats, qui, jusqu'à maintenan,t n'ont pas manifesté beaucoup de zèle dans la poursuite des délinquants, considèrent que c'est l'une de leurs priorités, au même titre que les autres délinquances.

Elo: La Halde dispose-t-elle de moyens suffisants pour lutter contre les discriminations à l'embauche ?
Roger Fauroux:
La Halde débute. Elle doit avoir un mois d'existence. Et j'espère qu'on va lui donner des moyens. On peut considérer comme un bon signe que le président de la République ait tenu à mettre en place personnellement la Halde et à présenter son président, Louis Schweitzer, ancien président de Renault.

Babybarn: Aux discriminations ethniques se surajoutent tout un ensemble de filtres tout aussi insidieux (apparence physique, sexe, âge, comme l'a montré Jean-François Amadieu). Est-ce un mal typiquement français ?
Roger Fauroux:
Malheureusement non. C'est un phénomène qui existe dans tous les pays et qui s'appelle la peur de l'étranger. Et l'expérience montre qu'aucun pays européen ne mérite vraiment d'être cité en exemple. Je pense d'ailleurs que quoi qu'on puisse dire, les Américains, à leur manière, ont mieux réussi que nous. Il est symptomatique que le deuxième personnage de l'Etat, Condoleezza Rice, soit noire, et que le précédent secrétaire d'Etat, Colin Powell, était un général également issu de la communauté noire. Nous n'avons aucun représentant des communautés d'immigrés qui, en France, ait atteint ce niveau de responsabilité. Et quand on regarde la télévision américaine, ou même anglaise, on voit beaucoup plus de visages"exotiques" qu'à la télévision française. Je crains malheureusement que nous soyons un peu plus mauvais que les autres...

LES DIFFICULTÉS DE L'ÉTAT FACE À CE PHÉNOMÈNE DE SOCIÉTÉ

Pixie: Votre plan propose beaucoup d'études et de communication, mais peu d'action. Et de préférence décentralisée. L'Etat ne peut-il pas prendre lui aussi ses responsabilités ? Non pas seul mais en tant qu'acteur parmi d'autres. En étant aussi un exemple en tant qu'employeur ?
Roger Fauroux:
Ce que nous avons voulu dire, c'est que les discriminations sont un phénomène de société fondé sur des représentations, des tabous, des angoisses, des soupçons, bref, toute une série de phénomènes sociaux, psychologiques, sur lesquels l'Etat n'a pas beaucoup de prise. La preuve, c'est que nous avons un arsenal législatif et réglementaire très étoffé, mais il ne fonctionne pas. Il y a deux secteurs sur lesquels l'Etat a une prise, donc une responsabilité: le premier concerne le recensement, dont nous avons parlé. Je pense que le gouvernement doit négocier avec la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) des procédures qui permettent à la fois de savoir quelle est la situation réelle en France, de manière chiffrée, et d'autre part, bien sûr, de préserver les libertés individuelles.
Et il y aussi un aspect des choses sur lequel l'Etat pourrait agir, ce sont ses propres salariés, les fonctionnaires. Or il suffit de pénétrer dans un ministère ou une préfecture pour se rendre compte que les immigrés, quand il y en a, remplissent les fonctions les plus subalternes et sont peu nombreux dans les étages supérieurs. Donc l'Etat, pour donner l'exemple, doit installer dans des postes de responsabilité à l'intérieur de l'administration des gens issus de l'immigration. Je dois dire qu'il a commencé à le faire en ce qui concerne le gouvernement lui-même, puisque nous avons aujourd'hui deux ministres issus de l'immigration nord-africaine, M. Azouz Begag et M. Mekachera, et c'est un phénomène que malheureusement on n'avait pas vu depuis le général de Gaulle, soit depuis une bonne quarantaine d'années.

Mourad: Quels sont aujourd'hui le rôle et les moyens d'action du ministre délégué à l'égalité des chances (Azouz Begag), quant à ce problème de la discrimination à l'embauche ?
Roger Fauroux:
Il est membre du gouvernement, ministre délégué auprès du premier ministre ou auprès de M. Borloo, il a donc tous les pouvoirs. Il a en particulier le pouvoir de veiller à ce que la Halde assume ses responsabilités.

Guimbarde: Et les médias, où sont-ils ? Ne participent-ils pas à la formation de ces angoisses, ces inquiétudes, voire indirectement au refus de régler ce problème d'embauche ?
Roger Fauroux:
Je crois que c'est une bonne remarque. C'est vrai que les médias jouent un rôle très important dans la formation de l'opinion. Un rôle plus important que celui que peut jouer le gouvernement, dont les moyens sont limités et qui, jusqu'ici, ne s'est pas beaucoup intéressé à ce problème. Certains médias préfèrent mettre l'accent sur les incidents violents qui ont lieu dans les banlieues. Je préside un jury alimenté par des fonds privés et qui décerne chaque année quarante bourses d'enseignement supérieur à des jeunes issus des banlieues, élevés dans des familles très démunies, pour une large part de familles immigrées, et qui ont eu une mention"très bien" ou "bien" au bac. Les médias ne parlent pas beaucoup de ces jeunes immigrés. Les médias pourraient donner l'exemple en recrutant également parmi les journalistes, en particulier ceux qui apparaissent sur les écrans de télévision, des personnes issues de l'immigration. Or tout le monde constate qu'ils sont vraiment rarissimes.

Pkoipa: Les clients des entreprises sont souvent cités par les managers ou autres pour justifier la discrimination à l'embauche. Ne devrait-on pas agir envers ces fameux clients ?
Roger Fauroux:
Je crois que ce sont des alibis. C'est plutôt l'inverse qui serait vrai. Je connais des responsables de grandes surfaces installées dans des banlieues et qui jugent plus astucieux d'avoir des personnes originaires du Maghreb à leurs caisses, précisément parce qu'une bonne proportion de leur clientèle vient du Maghreb. Une entreprise proche des clients a intérêt à avoir un personnel identique à ses clients.

Elo: Quelle population est touchée par ces discriminations ? Comment réagit-elle ?
Roger Fauroux:
Il y a deux manières de réagir: ceux qui avalent les affronts et redoublent d'efforts. Ce sont les jeunes que je citais tout à l'heure et qui obtiennent de bons résultats au bac. Et il y a ceux qui réagissent très violemment à cette exclusion et qui cherchent au contraire à se ré enraciner dans un islam fondamentaliste, en rejetant la société occidentale.

Hamid: Maintenant que vous avez remis votre rapport, quel va être votre rôle sur ce dossier à l'avenir ?
Roger Fauroux:
Personnellement, j'ai remis mon rapport, mais je considère que c'est un combat qu'il faut poursuivre. C'est-à-dire que je suis tout à fait décidé à utiliser le réseau que je peux avoir, la connaissance que j'ai acquise du dossier, pour essayer de faire avancer la solution du problème. Mais j'insiste sur le fait que je ne peux pas le faire seul. Il faut que tout le monde – les immigrés eux-mêmes, les patrons, les ministres et les médias – s'y mette. C'est d'ailleurs ce que nous sommes en train de faire en ce moment même.
Nous sommes à un moment très important. Pendant des années, des dizaines d'années, on a ignoré ce problème, et maintenant il est devenu énorme. Et je crois que pour la première fois, l'opinion se rend compte qu'il faut trouver une solution. Et nous n'avons pas beaucoup de temps. L'Histoire avance vite, les hommes et les femmes sont très impatients, et je me félicite que le gouvernement ait enfin considéré le problème des discriminations comme une priorité nationale.

Chat modéré par Constance Baudry et Fanny Le Gloanic
LEMONDE.FR | 22.09.05 | 17h44


Le Monde / Europe
Portrait
Angela Merkel s'apprête à discuter avec le parti de Gerhard Schröder et les libéraux

 L es conservateurs allemands, qui ont remporté sur le fil les législatives dimanche, mais sans obtenir de majorité absolue, engagent, jeudi 22 septembre, des consultations exploratoires avec les sociaux-démocrates et les libéraux, prélude à des négociations pour tenter de former une coalition gouvernementale.

Manœuvre du SPD pour devenir le plus grand groupe parlementaire
Le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier allemand Gerhard Schröder envisage une modification du règlement du Bundestag qui lui permettrait de devenir le groupe parlementaire le plus important et donnerait plus de poids à sa revendication de la place de chancelier, a indiqué, jeudi 22 septembre, l'un de ses dirigeants. "Il y a de telles tendances (qui se dessinenti", a affirmé le vice-président du groupe parlementaire SPD, Gernot Erler, sur l'antenne de la radio berlinoise RBB-Inforadio. Il confirmait ainsi partiellement des informations du quotidien Suddeutsche Zeitung selon lesquelles les sociaux-démocrates veulent qu'à l'avenir l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel et sa petite sœur bavaroise, l'Union chrétienne-sociale (CSU) d'Edmund Stoiber forment deux groupes parlementaires distincts.

Le chancelier social-démocrate sortant, Gerhard Schröder, va participer, contrairement à ce qui était prévu, aux discussions avec sa rivale chrétienne-démocrate Angela Merkel et Edmund Stoiber, dirigeant de la CSU, alliée bavaroise de la CDU.

UNE COALITION SPD-CDU/CSU EN PERSPECTIVE

Aux côtés du président du Parti social-démocrate (SPD), Franz Müntefering, Gerhard Schröder entend visiblement souligner par sa présence qu'il revendique la direction de la future coalition, faisant un pied de nez à l'ambition d'Angela Merkel de devenir la première chancelière de l'Allemagne. Mais il s'agit surtout de peser les chances d'aboutir à une "grande coalition" entre le SPD et les unions chrétiennes CDU/CSU, scénario privilégié par les Allemands et jugé le plus crédible par la presse et les politologues.

M. Cohn-Bendit table sur une coalition SPD-CDU-CSU sans Schröder ni Merkel
La situation en Allemagne après les élections législatives du dimanche 18 septembre "n'est pas grave"et "tout sera réglé dans trois semaines", probablement via une grande coalition excluant à la fois Angela Merkel et Gerhard Schröder, estime le député européen Daniel Cohn-Bendit, co-président du groupe Verts au Parlement européen au quotidien La Croixà paraître jeudi 22 septembre.
"A la fin, je pense que les grands partis, la CDU-CSU et le SPD, même affaiblis, vont faire une grande coalition avec un nombre identique de ministres. Mais une coalition sans Schröder ni Merkel", a-t-il déclaré. Avec un tel gouvernement, "il n'y aura aucune position pure et dure, mais ça tombe bien car l'électorat n'en veut pas. Le gouvernement sera à l'image de la société allemande", a-t-il dit.

Ni les unions chrétiennes CDU/CSU et leur allié libéral du FDP, ni le SPD et les Verts n'ont obtenu de majorité absolue aux élections, ce qui rend nécessaire la formation de nouvelles alliances.

Le SPD, qui a donné mercredi le coup d'envoi des consultations exploratoires en rencontrant les Verts, a appelé le FDP à se joindre à des discussions en vue de former une éventuelle coalition tripartite.

Jusqu'à présent le Parti libéral, troisième force politique allemande, ne veut négocier qu'avec la CDU/CSU, refusant toute rencontre avec le SPD ou les Verts. C'est ce que fera jeudi son président, Guido Westerwelle, avant de laisser la place aux sociaux-démocrates.

De leur côté, les Verts, qui se rendront vendredi à une invitation d'Angela Merkel, ont laissé entendre que leurs discussions avec la droite conservatrice et libérale avaient peu de chances d'aboutir, le FDP étant "aux antipodes" de leurs positions sur l'écologie, l'énergie et les réformes sociales.

Faisant fi de ce scepticisme, plusieurs dirigeants de la CDU ont plaidé pour une "coalition jamaïcaine" entre conservateurs, libéraux et Verts (en référence aux couleurs du drapeau de la Jamaïque: noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologistes).

Les consultations exploratoires puis les négociations entre partis peuvent durer des semaines voire des mois, aucun délai n'étant prévu par la Loi fondamentale (Constitution).

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 22.09.05 | 10h14


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Zéros de conduite

 E n rendant publique, jeudi 22 septembre, un bilan des connaissances actuelles sur la notion de "trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent", l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ouvre une boîte de Pandore. Aux confins d'un domaine qui déborde du champ médical pour se situer au carrefour de la psychiatrie, du social et de la justice, l'institut recommande le dépistage systématique, dès l'âge de 36 mois, et la prise en charge précoce de ce "trouble", afin notamment de mieux prévenir la délinquance.

Issu des classifications cliniques anglo-saxonnes, le "trouble des conduites" groupe des comportements très divers, qui vont des simples crises de colère et de désobéissance répétées de l'enfant ou de l'adolescent difficile aux viols et coups et blessures pour les cas les plus graves. Par sa nature moralisante ­ qu'est-ce qu'une bonne conduite ? ­ et idéologique ­ la volonté d'"améliorer les compétences sociales de l'enfant" ­, le sujet ne peut qu'enflammer les passions.

Aux Etats-Unis, d'où vient ce vent, une commission installée en 2002 par George W. Bush a préconisé un tel dépistage pour traquer les maladies mentales et les troubles du comportement. Si une vingtaine d'Etats ont commencé de mettre en oeuvre ces examens, des parents ont attaqué des écoles en justice pour n'avoir pas recueilli à ce sujet leur consentement et des associations dénoncent la mesure, destinée, selon elles, à favoriser l'industrie pharmaceutique.

En France, l'Inserm propose donc, avant d'avoir effectué la moindre étude clinique et épidémiologique, que les enfants à problème(s), au tempérament difficile, hyperactif, etc. soient eux-aussi détectés et orientés sur des programmes psychosociaux de "guidance parentale" comme il en existe outre-Atlantique. Il prône, dans le droit-fil d'une étude précédente qui a mis en ébullition les mondes de la psychiatrie et de la psychanalyse, le recours aux thérapies individuelles de type comportementaliste, voire, si nécessaire, aux traitements médicamenteux ayant une action "anti-agressive".

Au moment où paraît en librairie la correspondance de Françoise Dolto (1908-1988), cette célèbre psychanalyste qui a reconnu aux enfants leur part de liberté, cette médicalisation fait question. D'autant plus dans un pays dont la consommation de psychotropes est excessive. A trop s'attacher à la seule disparition de symptômes, le risque est grand de passer à côté d'un questionnement plus large et fondamental, qui traverse aussi la question du traitement de la délinquance: comment la société entend-elle prendre en charge la souffrance psychique, là où elle existe vraiment ?

Est-il besoin de souligner que toute conduite jugée anormale ne débouche pas nécessairement sur la délinquance. Sur le terrain du psychosocial, avant d'appeler au dépistage précoce du "trouble des conduites", il conviendrait probablement de mieux coordonner les approches (comportementaliste, analytique) et si possible d'en promouvoir la complémentarité.

Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Aujourd'hui
Le "trouble des conduites" de l'enfant, concept psychiatrique discuté

 D ans une expertise collective, rendue publique jeudi 22 septembre, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) fait le point sur une catégorie de symptômes psychiatriques jusqu'alors inconnue du grand public en France, le "trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent" .

Issu des classifications cliniques anglo-saxonnes, ce syndrome, qui se caractérise par des comportements violents et répétés chez l'enfant et l'adolescent, toucherait, selon la littérature scientifique internationale, entre 5% et 9% des jeunes de 15 ans. Bien qu'aucune étude épidémiologique n'ait été réalisée en France sur ce sujet, l'Inserm recommande le dépistage et la prise en charge précoce de ce trouble, en familiarisant les familles, les professionnels de la petite enfance et les enseignants à son repérage.

L'expertise sur le trouble des conduites se situe dans le prolongement d'un précédent travail de l'Inserm qui, en additionnant des troubles aussi divers que l'hyperactivité, l'autisme, la dépression ou les troubles anxieux, affirmait, en 2002, qu'un enfant sur huit souffre d'un trouble mental.

Cette fois, l'Inserm a choisi de mettre l'accent sur le trouble des conduites, un syndrome défini "par la répétition et la persistance de conduites au travers desquelles sont bafoués les droits fondamentaux d'autrui et les règles sociales" . Il s'exprimerait ainsi, chez l'enfant et l'adolescent, par "une palette de comportements très divers" qui vont "des crises de colère et de désobéissance répétées de l'enfant difficile aux agressions graves comme le viol, les coups et blessures et le vol du délinquant" .

Cette définition très large découle de la classification arrêtée, en 1968, par la psychiatrie américaine dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), reprise, en 1977, par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la Classification internationale des maladies (CIM-9).

Fidèle à son approche biologique de la psychiatrie, centrée sur les symptômes et les comportements, l'Inserm ne remet pas en cause, dans son expertise, la validité de la notion de trouble des conduites ­ un concept jugé fourre-tout par les psychiatres d'orientation psychanalytique, mais très en vogue aux Etats-Unis.

Les douze experts ­ dont deux Canadiens ­, pédopsychiatres, épidémiologistes, cognitivistes, neurobiologistes, reconnaissent néanmoins que la notion déborde du champ médical en se situant "à l'interface et à l'intersection de la psychiatrie, du domaine social et de la justice" . Le "trouble des conduites doit être considéré comme un facteur de risque de délinquance sur lequel on peut agir (...) mais ne doit pas être confondu avec la délinquance, qui est un concept légal" , affirme l'expertise collective.

"Jusqu'ici, la délinquance n'était abordée que d'un point de vue judiciaire ou social , précise Isabelle Gasquet, épidémiologiste et membre du groupe d'experts. Loin de nous l'idée de nous approprier le bébé, mais nous avons cherché à ajouter l'angle médical pour en enrichir l'approche. Tout est à faire dans ce domaine, où les données sont inexistantes en France."

Pour l'expertise collective, le trouble des conduites, souvent associé au "trouble déficit de l'attention / hyperactivité", "est le produit d'interactions complexes entre des facteurs individuels (facteurs génétiques, tempérament, personnalité) et des facteurs environnementaux (relations familiales, environnement social)" . Les études internationales estiment sa prévalence dans une large fourchette de 5% à 9% des adolescents de 15 ans. En France, il existe une seule étude, menée à Chartres dans 18 écoles primaires et qui rapportait une prévalence globale de 6,5% et de 17% dans les classes adaptées.

D'après la littérature internationale, deux tiers des enfants présentant un trouble des conduites répondraient toujours aux critères diagnostiques à l'adolescence. L'étude affirme ainsi que, "selon l'âge de survenue du trouble, avant ou après la dixième année de l'enfant, sa symptomatologie et son évolution diffèrent, avec un pronostic plus péjoratif et un risque élevé d'évolution vers une personnalité antisociale à l'âge adulte, lorsque l'apparition est précoce" .

Pour les experts, "le dépistage, la prévention et la prise en charge médicale du trouble des conduites restent insuffisants en France en regard de ses conséquences (risque de mort prématurée, troubles associés...) et du coût pour la société (instabilité professionnelle, délinquance, criminalité...)" .

Pour pallier ce "retard", l'expertise collective recommande d'informer le public mais aussi les professionnels de la petite enfance et les enseignants sur les différents symptômes du trouble des conduites. L'idée est de favoriser le "repérage des perturbations du comportement dès la crèche et l'école maternelle" , afin d'enrayer l'évolution de l'enfant vers des comportements délinquants.

Le groupe d'experts préconise ainsi de procéder à un dépistage médical systématique de chaque enfant dès 36 mois, au prétexte que, "à cet âge, on peut faire un premier repérage d'un tempérament difficile, d'une hyperactivité et des premiers symptômes du trouble des conduites" .

Une fois identifiée l'existence d'un trouble chez un enfant, le groupe d'experts recommande le recours à des programmes "psychosociaux" de "guidance parentale" en s'inspirant d'exemples américains et canadiens. Avec les enfants, il est proposé de mener des thérapies individuelles de type comportementaliste, fondées sur des jeux de rôle, pour leur "apprendre des stratégies de résolution des problèmes" . Le groupe d'experts suggère par ailleurs de recourir "en seconde intention" aux traitements psychotropes (antipsychotiques, psychostimulants et thymorégulateurs), qui ont "une action antiagressive" .

L'expertise collective émet par ailleurs des réserves sur le placement des jeunes délinquants en "centres spécialisés" , au motif que ces "regroupements d'adolescents" renforceraient les attitudes délinquantes. Ces structures de prise en charge renforcée, qui existent depuis dix ans en France et dans lesquelles exercent des psychologues, permettent pourtant, selon les spécialistes de la délinquance des mineurs, à certains adolescents de se reconstruire.

Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Aujourd'hui
Pierre Delion, chef de service de pédopsychiatrie au CHU de Lille
"Cette notion moralise le débat là où, au contraire, il faudrait accepter la diversité"

 Q ue pensez-vous de cette notion de trouble des conduites et de l'idée d'un dépistage précoce des enfants préconisé par l'Inserm ?
Je ne suis pas du tout adepte de ce genre de concepts. Le trouble des conduites implique une référence à une bonne conduite et à une mauvaise conduite. Cette notion moralise donc le débat là où, au contraire, il faudrait accepter la diversité de tous les parents et de leurs enfants.
Je préfère utiliser le concept de "souffrance psychique", qui indique, à un moment donné, qu'un enfant va mal. Cet enfant qui souffre dans l'interaction avec ses parents, et non à cause d'elle, tente par ce symptôme d'appeler à l'aide pour rééquilibrer son développement. Or il arrive que la fonction paternelle soit en défaut, pour des raisons très diverses: par exemple, le père (ou la mère) est malade, ou en prison, ou délirant...; l'enfant, du fait de l'angoisse qu'il ressent, va alors réorganiser son comportement en fonction de ces éléments.
Que l'on puisse, dans certains cas, appeler cela des troubles des conduites, je ne suis pas contre, mais ce qui compte le plus c'est de dire à cet enfant que son appel a été entendu. A ce moment-là, l'important n'est pas de faire un dépistage systématique, de type Big Brother, mais de rendre possible, pour les parents, la rencontre avec des professionnels, pour accueillir cette souffrance de l'enfant et éventuellement la traiter.

Comment réagissez-vous à la préconisation de l'Inserm de familiariser le public aux concepts d'hyperactivité ou de troubles des conduites ?
Parler de souffrance psychique en ces termes peut avoir des effets délétères. Les enseignants, par exemple, se sont déjà emparés de ces catégories. Nous voyons très souvent des parents envoyés par des instituteurs qui "diagnostiquent" des troubles de type hyperactivité et déficit de l'attention. Ces notions ont envahi la société dans son ensemble, bien au-delà du milieu médical. Les parents arrivent maintenant en consultation avec une question: "Quel traitement médicamenteux prescrivez-vous pour notre enfant ?" On voit bien, en arrière-plan, se profiler les intérêts économiques des firmes pharmaceutiques.

Les enquêtes épidémiologiques en psychiatrie ne sont-elles pas légitimes ?
Il ne faut pas confondre ce qui est de l'ordre de la raison statistique et ce qui relève du travail psychique, en consultation. Quand on raisonne en épidémiologiste, on préfère compter tous les enfants qui présentent un même trouble. Tout ce qui est du côté de la raison statistique peut faciliter la compréhension de ce que cela veut dire du fonctionnement de notre société, de la place qu'on y accorde aux parents, et, surtout, de comment on peut les aider.
Mais cela ne peut remplacer l'autre plan, celui de la souffrance psychique de cet enfant qui vient me voir en consultation et dont je suis responsable, au sens de Levinas. Il me semble qu'aujourd'hui un mouvement s'organise pour conjuguer dans la clinique les concepts des deux ordres. Il y a là un problème d'épistémologie sur lequel il faut réfléchir et qui peut expliquer l'inutilité et surtout les apories d'un ouvrage comme Le Livre noir de la psychanalyse .

Que pensez-vous du violent débat qui s'est engagé entre les thérapeutes d'orientation comportementaliste et les psychanalystes à propos de la sortie de ce livre ?
La violence et l'obsolescence des arguments avancés contre la psychanalyse me paraissent totalement déplacées. Ce débat s'est organisé comme si on voulait absolument faire l'économie des liens à construire entre les statisticiens-épidémiologistes, les neuroscientifiques et les psychothérapeutes nourris de psychanalyse.
Les parents des enfants que nous soignons nous attendent sur ce terrain. C'est une démarche souhaitable et elle est possible: je fais ainsi des consultations conjointes avec Louis Vallée, le neuropédiatre du CHU de Lille, où l'on reçoit des enfants pour hyperactivité, pour des troubles autistiques, et bien d'autres... Je peux vous assurer que les parents nous sont reconnaissants de voir des médecins qui essaient de raisonner en termes de complémentarité, en tentant de dépasser le manichéisme stérile de l'opposition des orientations.

Propos recueillis par Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Aujourd'hui
Aux Etats-Unis, les laboratoires sont les premiers bénéficiaires de la mise en place de tests de dépistage
WASHINGTON correspondance

 L e gouvernement Bush a lancé en 2002 une grande initiative pour prévenir les risques de maladie mentale, pour permettre, en théorie, à tous les citoyens d'avoir accès à des soins adéquats et de favoriser l'insertion des malades. En 2003, la Commission sur la santé mentale qu'il a mise en place a préconisé de faire des tests de dépistage des maladies mentales dans les Etats pour l'ensemble de la population, et plus particulièrement pour les enfants et les adolescents: 5% à 9% des enfants américains souffriraient de "désordres émotionnels sérieux".

L'initiative a été saluée par des associations de psychiatres et de psychologues... et par l'industrie pharmaceutique. Une vingtaine d'Etats ont commencé de mettre en application ces examens, qui suscitent une forte polémique. Plusieurs parents ont attaqué en justice des écoles pour avoir ordonné ces tests sans leur consentement.

Ce sont surtout les dessous de cette initiative qui suscitent la colère de nombreuses associations, qui dénoncent une mesure destinée à favoriser les laboratoires pharmaceutiques. Un enquêteur de l'inspection générale de Pennsylvanie, Allen Jones, a été licencié pour avoir critiqué ces mesures dans des journaux. Dans une étude (consultable sur www.psychrights.org), il montre les liens entre des membres de la commission et l'industrie pharmaceutique.

Allen Jones revient également sur la genèse de cette décision. Elle trouve son origine au Texas, dans une mesure prise au milieu des années 1990 par le gouverneur de l'époque, George W. Bush. Il s'agissait de donner à tous les Texans les meilleurs soins, et un accès aux médicaments les plus récents... et les plus chers, mais dont l'efficacité n'est pas toujours reconnue. La commission mise en place par M. Bush reconnaît dans son rapport que "les effets à long terme de nombreux psychotropes n'ont pas été assez étudiés" . La consommation de psychotropes a depuis considérablement alourdi les dépenses de santé du Texas.

Dans une étude de 2003 sur les élections locales de 1996 à 2002, l'Institut sur l'argent dans la politique des Etats note que "l'industrie pharmaceutique a donné au moins 13,2 millions de dollars à des candidats politiques (...), au moment où les Etats essaient de diminuer les coûts croissants des dépenses de médicaments" . Pfizer, GlaxoSmithKline et Eli Lilly versent près de la moitié de cette somme: 7,2 millions aux républicains, 5,9 millions aux démocrates.

Alain Salles
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / France
Restructurations: l'Etat supprime son principal outil d'intervention

 L a mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME) vit ses derniers jours. Dominique de Villepin devrait officialiser la décision au plus tard à la mi-octobre, soit à l'occasion d'un conseil des ministres, soit au cours du prochain Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT).

L'inquiétude de la CGT et de la CFDT

"Même si la MIME disposait de peu de moyens , témoigne Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT, c'était un outil intéressant car transversal et anticipateur. Je ne l'ai jamais considérée comme un remède miracle mais elle réfléchissait à la manière de passer des emplois d'aujourd'hui à ceux de demain. Je regrette que le gouvernement ait décidé de confier à la Datar, qui travaille surtout sur les pôles de compétitivité, le soin de lancer une nouvelle structure. C'est terrible de voir la logique administrative l'emporter sans s'interroger sur la vocation des uns et des autres."

De son côté, Gaby Bonnand, secrétaire national de la CFDT, chargé de la protection sociale et des questions économiques, estime que "l'on perd là une pièce maîtresse de l'accompagnement des territoires en détresse" . "La CFDT, poursuit-il, note que l'on transmet au ministère de l'intérieur le soin de veiller aux restructurations ! Que ce gouvernement ne vienne pas nous dire ensuite que l'emploi est l'une de ses préoccupations majeures, je ne le croirai pas... Cette décision ne nous convient pas du tout."

La MIME va être ainsi remplacée par une nouvelle direction créée au sein de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (Datar). Et disparaître au moment même où la Drôme voit s'évanouir son activité dans la chaussure et où Grenoble s'inquiète des importantes suppressions d'emplois annoncées par le groupe informatique Hewlett-Packard. Officiellement créée en octobre 2003, la MIME avait pour vocation d'anticiper et d'accompagner les restructurations, tout comme d'aider au redéploiement industriel des territoires touchés par les fermetures d'entreprises.

"Avec le futur dispositif, nous souhaitons renforcer l'animation des contrats de site sur l'ensemble du territoire , indique-t-on au ministère de l'emploi auquel était rattachée la MIME. Ce qui se passe aujourd'hui dans le département de la Drôme après la liquidation de l'atelier de production de chaussures Stéphane Kélian et le dépôt de bilan de Charles Jourdan nous conforte dans l'idée que c'est la bonne voie. La MIME multipliait les efforts pour gérer au mieux les restructurations, mais ne parvenait pas vraiment à relancer une dynamique économique sur les bassins d'emplois blessés." Renforcée, la Datar, qui ne souhaite faire aucun commentaire, devrait également changer de nom et devenir la "Délégation à la compétitivité des territoires".

L'aventure de la MIME avait pourtant bien commencé puisque c'est Jacques Chirac lui-même qui en annonce, en 2002, la future création lors de son traditionnel entretien du 14 juillet: "Il faut que le gouvernement ait une structure lui permettant d'intervenir massivement pour apporter des solutions lorsqu'il y a des plans sociaux et des fermetures." Il y a urgence: 890 plans sociaux recensés en 2000, 1 053 en 2001 et déjà plus de 1 000 lorsque le président de la République s'exprime à la mi-2002.

En dépit de cette volonté politique, les difficultés apparaissent vite. La principale d'entre elles tient au statut interministériel de la MIME qui doit, pour agir, s'appuyer sur les services de l'Etat (ministères, administrations centrales et territoriales) concernés par les restructurations, et les coordonner. Cette prérogative va heurter certaines administrations peu enclines à partager leurs pouvoirs. Et compliquer la tâche de Jean-Pierre Raffarin alors à Matignon. Ainsi, alors que la MIME est opérationnelle dès octobre 2002 sous la direction de Claude Viet, ancien directeur général de La Poste, il faudra attendre un an pour que le décret annonçant sa création officielle et ses attributions précises paraisse au Journal officiel .

GUERRE DE TRANCHÉES

Le texte ne suffit pas à calmer la guerre de tranchées qui fait rage. Les services du premier ministre envoient, le 28 janvier 2004, une circulaire aux préfets de région et de département, destinée à "préciser le rôle respectif joué dans le dispositif d'anticipation et d'accompagnement des mutations économiques, par la MIME, la Datar et les autres services et organismes concernés" , parmi lesquels le Comité interministériel de restructurations industrielles (CIRI), la direction générale des collectivités locales (DGCL) et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).

Le peu de moyens dont dispose officiellement la MIME (trois chargés de mission et un budget annuel de 100 000 euros), le remplacement au bout de onze mois de Claude Viet par Jean-Pierre Aubert, délégué interministériel aux restructurations de défense (DIRD), alors que les plans sociaux continuent à se multiplier, font douter de l'efficacité de la structure. Impossible d'ailleurs de disposer d'un bilan précis en termes d'emplois préservés, par exemple. La MIME met davantage en avant le succès de son ancrage territorial grâce à la création d'observatoires régionaux des mutations économiques dont le premier a concerné les Pays de la Loire, et les liens importants tissés avec les acteurs de terrain (organisations patronales, syndicats, etc.). Au final, elle s'enorgueillit des relations établies avec plusieurs centaines d'entreprises fragilisées, qui ont permis, dans certains cas, d'accélérer l'arrivée de nouveaux investisseurs ou de lancer plus tôt des programmes de formation pour les salariés menacés.

La suppression annoncée de la MIME ne fait pas d'ailleurs l'unanimité. Même auprès des préfets qui pourraient pourtant se féliciter de voir la Datar, aujourd'hui dans la zone d'influence du ministère de l'intérieur, récupérer la mise.

"J'ai pu voir dans ma région comment la Mime avait réussi à travailler en amont avec un secteur d'activité en difficulté qui compte plus de 30 000 salariés, lançant des actions de reconversion sans attendre la dernière minute, explique l'un d'eux. Je crains de perdre ce soutien." Sans préjuger de l'efficacité de la structure qui remplacera la MIME, une chose est sûre, c'est que sa mise en place va demander du temps. Quelques mois supplémentaires de perdus alors que les restructurations, elles, se poursuivent.

Marie-Béatrice Baudet
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / France
Jean-Pierre Aubert, chef de la MIME
"Sur ce dossier crucial, l'Etat improvise et manque de visibilité"

 C omment réagissez-vous à la suppression de la Mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME) ?
Il ne faut pas que ce soit une régression car chacun des acteurs, dont nous avons essayé de coordonner les interventions pour mieux anticiper les restructurations, peut être tenté de reprendre ses billes. La disparition de la MIME peut laisser sur le carreau beaucoup de nos interlocuteurs qui ne sauront plus à qui s'adresser.
Sur le papier, tout cela apparaît cohérent puisque la Datar -dans laquelle la MIME va être fondue- est une délégation, elle aussi interministérielle, bien qu'elle soit mise actuellement à la disposition du ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. En réalité, l'enjeu n'est pas institutionnel mais sur la façon de procéder. Il faut éviter que cette fusion se traduise par la réduction de la démarche transversale que nous avons initiée, à un seul de ses aspects: le territorial.

Hewlett-Packard: Paris tente de faire pression

En recevant l'intersyndicale de Hewlett-Packard (HP), le ministre délégué à l'emploi a insisté, mercredi 21 septembre, sur la "détermination du gouvernement" à obtenir du géant de l'informatique des "assurances concrètes sur la pérennité de son implantation en France". Sur RMC, le ministre délégué à l'emploi avait annoncé qu'il demanderait, lundi 26 septembre, au patron "Europe" du groupe américain de "revoir le contenu et le périmètre" de son plan de suppressions d'emplois (5 968 postes, dont 1 240 en France). M. Larcher a également invité Bruxelles à "faciliter un examen concerté, au niveau européen" du plan de HP. Après la saisine par Jacques Chirac de la Commission européenne, son président, José Manuel Durao Barroso, avait rappelé, mercredi, qu'"il n'est pas dans la compétence de la Commission d'empêcher une entreprise de licencier" . "C'est la responsabilité des autorités nationales" , avait-il aussitôt précisé.

Bilan peu lisible, manque de moyens... Les critiques ne manquent pas à l'égard de l'action de la MIME...
Un bilan est toujours contestable, surtout dans un laps de temps aussi court. Concernant celui de la MIME, aucun membre de mon équipe n'a à en rougir. Je défie quiconque d'avoir pu réaliser autant de choses en si peu de temps, avec les moyens dont nous disposions. Nous avons installé des observatoires de mutations économiques associant tous les acteurs dans une douzaine de régions, et des dispositifs de veille et d'anticipation intéressants.
Nous sommes intervenus sur des dizaines de dossiers (LG Philips à Dreux, Arc International à Saint-Omer, Mitsubishi à Rennes, etc.) avec plus ou moins de succès, bien évidemment. Mais il suffit de recenser toutes les demandes de conseils et d'aides qui nous arrivent spontanément, soit de secteurs menacés (la fonderie, les équipementiers automobiles, le textile, etc.), soit de collectivités locales, d'organisations syndicales et de préfets qui perçoivent tôt la dégradation économique de leur environnement, pour mesurer combien la volonté d'anticiper qui était à la base de notre démarche, intéressait.

Comment s'explique la décision de supprimer la MIME ?
Je crois que les modes de pensée et d'action de l'Etat sont encore trop hermétiques à l'action transversale. En dépit des discours officiels, la tendance de chaque administration est plutôt de vivre de manière autonome en préservant ses modes de fonctionnement et ses logiques d'intervention. C'est une pathologie qui n'est ni de droite ni de gauche.

Comment l'avez-vous observée ?
Tous les vendredis matin, la MIME avait institué la réunion de l'ensemble de ses interlocuteurs au sein des administrations et des cabinets ministériels, afin de nous alerter mutuellement sur les dossiers de restructurations en cours ou ceux en gestation. J'ai pu mesurer les difficultés posées par le simple échange d'informations ! Un exemple révélateur: un jour, un chef de bureau d'une administration centrale est venu me voir pour m'expliquer qu'il était tout prêt à me passer les notes sur lesquelles il travaillait, mais que son propre service vivrait cela comme une trahison. Sans parler de la concurrence entre les cabinets ministériels !

Quelles sont les conséquences de ces comportements ?
Ils expliquent pourquoi l'Etat manque de visibilité et improvise trop souvent sur la question, pourtant cruciale aujourd'hui, des mutations économiques. Nous en restons à des visions parcellaires qui provoquent le retard à l'allumage sur nombre de dossiers. La MIME avait commencé à faire bouger les choses, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire pour instaurer une véritable culture de l'anticipation et de l'action transversale.
Tout cela est d'autant plus paradoxal que les mutations économiques et les restructurations qu'elles provoquent sont au coeur des préoccupations des Français. Nous sommes face à un mouvement permanent qui s'étend à l'ensemble des secteurs d'activité.
Le fait de s'organiser en amont afin d'avoir un ou plusieurs coups d'avance permet d'être mieux placé pour agir. Sachant que tous les acteurs ­ Etat, entreprises, collectivités territoriales, organisations syndicales ­ sont parties prenantes dans les solutions à offrir et qu'il faut donc réussir à les fédérer. La disparition de la MIME ne doit pas casser cette mécanique.

Propos recueillis par Marie-Béatrice Baudet
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Europe
M. Barroso enterre la Constitution et veut "remettre l'UE au travail"
BRUXELLES de notre bureau européen

 J osé-Manuel Barroso a placé sa rentrée sous le signe du réalisme, afin de tenter de relancer un projet européen paralysé par le double échec de la constitution en France et aux Pays-Bas. "Parfois, les gens vivent dans l'illusion" , a-t-il relevé mercredi 21 septembre à Bruxelles, en rendant compte d'un séminaire tenu la veille avec ses vingt-quatre collègues. Selon lui, la ratification du traité constitutionnel est reportée d'au moins deux à trois ans après son rejet dans deux pays fondateurs. "Il n'y aura pas de Constitution dans les années à venir, c'est évident, regardons cela en face" , a-t-il déclaré: "Si entre temps, la France et les Pays-Bas nous disent "nous avons une solution" je serai un des Européens le plus heureux, mais ce n'est pas le cas pour le moment" , a-t-il dit.

Position entérinée sur Chypre et Ankara

Les Vingt-Cinq ont entériné, mercredi 21 septembre à Bruxelles, une déclaration sur le principe de la reconnaissance de Chypre par Ankara dans la perspective de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Après des semaines de tractations, le document affirme que "la reconnaissance de tous les Etats membres est une composante nécessaire du processus d'accession". L'Union exige l'application sans discrimination du protocole d'extension à ses nouveaux membres, dont Chypre, de l'union douanière qui la lie à la Turquie. Cette dernière avait signé le 29 juillet le protocole, mais en soulignant que ce geste ne valait pas reconnaissance de Chypre. Après ce compromis, la présidence britannique de l'Union espère obtenir sans tarder un accord sur le cadre de négociation avec la Turquie que les Vingt-Cinq doivent adopter à l'unanimité d'ici à l'ouverture des pourparlers, le 3 octobre. Mais l'Autriche continue de demander que soit mentionnée la perspective d'un partenariat privilégié. ­ (Corresp.)

Afin d'"éviter la paralysie" , celui que ces détracteurs accusent d'immobilisme estime qu'il est temps de "remettre l'Europe au travail" sur des chantiers concrets. En dépit de la polémique suscitée par le projet de directive sur les services, il espère l'adoption "rapide" de ce projet, sur la base des amendements en cours de discussion au Parlement. Surtout, la commission entend favoriser un compromis sur le budget européen pour la période 2007/2013. Un accord avait été impossible en juin, du fait en particulier de l'opposition du gouvernement britannique. Mais la Commission, et plusieurs capitales espèrent qu Tony Blair, le président en exercice de l'Union ce semestre, sera en mesure de débloquer les négociations d'ici à la fin de l'année. "Il y a urgence" , a jugé M. Barroso. La Commission entend, a-t-il précisé, "amortir les chocs de la mondialisation" . La Commission semblait se contenter en juin de l'ultime proposition de compromis faite par la présidence luxembourgeoise. Elle a désormais l'intention de relancer l'idée d'un fond d'ajustement doté d'un milliard d'euros par an, pour aider les régions victimes de "chocs imprévus" .

M. Barroso a rappelé que les six principaux Etats contributeurs, dont la France, avait torpillé ce projet par souci d'économie budgétaire. L'ancien premier ministre portugais voit pourtant dans cette initiative la meilleure réponse possible à la demande formulée par le président français Jacques Chirac d'intervenir pour limiter l'impact du plan social chez Hewlett Packard. D'autant plus, a-t-il rappelé, qu'il n'est pas dans les compétences de l'Union de régler ce type de problème social.

Sur la méthode, le président de la Commission européenne tente de placer son action au centre du jeu entre les différentes capitales. "Certains pensent qu'il est possible d'avoir l'Europe politique sans l'intégration économique" , a-t-il dit, dans une allusion à la France: "Ils se trompent" . D'autres, comme le Royaume-Uni qu'il n'a pas non plus nommé, "pensent qu'ils peuvent avoir l'intégration économique sans les outils politiques. Ils se trompent aussi" .

S'il prône l'action, M. Barroso considère que la Commission se doit d'agir avec mesure. Pour lui, la période Delors où l'exécutif européen lançait projet sur projet est révolue. "Les citoyens ont d'autres attentes" , a-t-il jugé mercredi. D'ailleurs, le collège doit présenter mardi 27 septembre la liste des quelque 70 projets de directives qu'il entend retirer pour "légiférer moins, mais mieux" . Le Parlement européen et plusieurs capitales craignent que cette initiative n'illustre surtout le manque d'ambition des institutions européennes, et de la commission. Mais pour M. Barroso, il s'agit de répondre aux électeurs qui perçoivent Bruxelles comme une machine bureaucratique incapable de restreindre son appétit législatif.

Philippe Ricard
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Opinions
point de vue
Iran: rétablir la confiance, par Philippe Douste-Blazy, Joschka Fischer, Javier Solana, Jack Straw

 S' il est un objectif qui réunit les gouvernements de tous bords, c'est bien celui de mettre fin à la dissémination des armes nucléaires. L'action menée au niveau international pour instaurer un système crédible de prévention de la prolifération de ces armes a pour fondement le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Ce traité compte davantage d'Etats signataires que tout autre. Son respect strict est essentiel pour la sécurité internationale et pour l'efficacité de notre système multilatéral.

Il y a deux ans et demi, l'Iran a été obligé de reconnaître devant l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qu'il construisait des installations secrètes d'enrichissement de l'uranium et de production de plutonium, pouvant être utilisées pour produire des matières destinées à des armes nucléaires. Par ailleurs, ce pays s'employait, et continue de s'employer, à mettre au point des missiles balistiques qui seraient en mesure de servir de vecteurs à des ogives de ce type. L'Iran paraissait défier le régime de non-prolifération. Des recherches ultérieures ont montré que, pour reprendre les termes de l'AIEA, "la politique de dissimulation de l'Iran (...) a entraîné de nombreuses violations de ses obligations".

Celles-ci laissent sérieusement craindre que le programme nucléaire iranien puisse ne pas avoir, comme l'affirme ce pays, des buts uniquement pacifiques. En vertu des règles de l'AIEA, le cas de l'Iran aurait dû être soumis au Conseil de sécurité des Nations unies, il y a deux ans. Nous avons voulu plutôt trouver une issue qui donnerait à l'Iran la possibilité de dissiper ces préoccupations et de prouver que les objectifs de son programme nucléaire étaient pleinement pacifiques.

Le conseil des gouverneurs de l'AIEA a accepté de suspendre un rapport sur cette question au Conseil de sécurité afin de donner une chance à l'initiative européenne. Le coeur de notre initiative visait à proposer à l'Iran de rétablir la confiance en suspendant l'ensemble de ses activités liées à l'enrichissement et de ses activités de retraitement pendant que nous discuterions d'arrangements à long terme mutuellement acceptables. Le conseil de l'AIEA a adopté à l'unanimité six résolutions successives qui demandaient à l'Iran de suspendre ces activités.

En novembre 2004, l'Iran a fini par accepter d'aller de l'avant sur cette base. L'accord dit de Paris a défini le cadre de nos négociations. Il offrait non seulement la perspective d'une solution à long terme du problème nucléaire mais encore celle de relations plus fortes entre l'Europe et l'Iran, y compris une coopération en matière politique et de sécurité, ainsi que dans les domaines économique et scientifique.

Les enjeux étaient importants, ils le sont encore aujourd'hui. En cas de succès de ce processus, l'autorité du régime de non-prolifération en sortira renforcée. A l'inverse, si l'Iran persiste dans la même voie, l'Asie centrale et le Moyen-Orient, qui sont parmi les zones les plus fragiles du monde, risquent d'être déstabilisés. D'autres Etats pourraient bien chercher à développer leurs propres capacités. Le TNP en sera gravement affecté, tout comme l'objectif d'établir au Moyen-Orient une zone exempte d'armes de destruction massive, cause à laquelle nous sommes attachés. Cela explique le large soutien dont nous bénéficions. Le mois dernier, l'Iran a décidé de défier la communauté internationale en reprenant la conversion d'uranium dans son usine d'Ispahan, mesure unilatérale qui a interrompu nos pourparlers.

L'Iran affirme ne rien faire d'autre qu'exercer son droit à l'usage pacifique des technologies nucléaires, en conformité avec le TNP. Il cherche à présenter le problème comme un différend qui opposerait le monde développé et les pays en développement.

Ces arguments ne résistent pas à l'examen. Personne ne cherche à empêcher l'Iran de produire de l'électricité grâce à l'énergie nucléaire. Nous ne remettons pas en question les droits qui découlent du TNP pour l'Iran, pas plus que pour tout autre pays. C'est pourquoi nous lui avons proposé, en août, dans le cadre d'un accord à long terme, d'apporter notre soutien à son programme nucléaire civil. Mais, si le TNP reconnaît des droits, il comporte aussi des obligations très claires, et il existe de sérieux motifs de craindre que les ambitions nucléaires de l'Iran puissent ne pas être exclusivement pacifiques.

Durant près de vingt ans, l'Iran a caché des activités liées à l'enrichissement et des activités de retraitement qui, en cas de réussite, lui permettraient de produire des matières fissiles pour une arme nucléaire. C'est seulement depuis 2002, avec la découverte de l'étendue de ses activités non déclarées, qu'il en a reconnu l'existence; encore n'était-ce que sous la pression d'investigations de l'AIEA. L'Iran avait commencé par nier tout enrichissement de matières nucléaires, mais il a été établi qu'il s'y était livré en utilisant deux procédés distincts. Il a également affirmé que son programme d'enrichissement par centrifugation n'avait bénéficié d'aucune aide extérieure, mais il a été établi qu'il avait eu recours au même réseau secret que celui qui avait permis à la Libye et à la Corée du Nord de développer des programmes clandestins d'armement nucléaire.

Aucune logique économique ne justifie l'existence des installations qui se trouvent au centre du différend, les usines d'Ispahan et de Natanz, si celles-ci ont pour unique fonction de produire du combustible destiné à des réacteurs nucléaires, comme l'affirme l'Iran. L'Iran n'a aucune centrale nucléaire susceptible d'utiliser le combustible qu'il dit vouloir produire. Il n'en possède qu'une seule, en cours de construction, dont le combustible sera, par accord, fourni par la Russie pendant dix ans. La Russie a offert de fournir le combustible pendant la durée de vie du réacteur, lequel ne peut fonctionner en toute sûreté qu'avec du combustible russe. L'Iran n'a aucune licence pour fabriquer ce combustible par ses propres moyens et cela ne correspond à aucun argument d'ordre rationnel et économique. Nous avons proposé à l'Iran de coopérer afin qu'il ait des garanties d'approvisionnement en cas de problème avec ses fournisseurs. Trente et un pays dans le monde ont des centrales nucléaires, mais la grande majorité de ceux-ci n'ont pas développé une industrie du cycle du combustible, démontrant ainsi que ces capacités ne sont pas critiques pour développer une industrie nucléaire civile.

Nous avons poursuivi ces négociations de bonne foi. Cependant, de même qu'il a enfreint l'accord de Paris en reprenant les activités qui avaient été suspendues, l'Iran a rejeté, sans même les avoir étudiées sérieusement, les propositions, détaillées, d'accord à long terme que nous avions présentées le mois dernier. Il s'agissait des idées les plus ambitieuses, dans le domaine des relations entre l'Iran et l'Europe, qui aient été émises depuis la révolution iranienne de 1979, idées qui auraient défini les bases de rapports nouveaux reposant sur la coopération.

Au début de la semaine, à New York, dans le cadre des Nations unies, nous avons, publiquement et en privé, réaffirmé notre volonté de travailler avec l'Iran, dans les domaines politique, économique, scientifique et technologique, et notre disposition à explorer les moyens de poursuivre les négociations. Nous avons délibérément choisi d'éviter tout commentaire public susceptible d'accroître les tensions, en dépit de la violation par l'Iran de l'accord de Paris. Mais, dans son discours à l'Assemblée générale le 17 septembre, le président Ahmadinejad n'a montré aucune flexibilité, parlant d'"apartheid nucléaire" et insistant sur l'exercice par l'Iran de ses droits de développer la technologie du cycle du combustible, sans tenir aucun compte des préoccupations de la communauté internationale.

Les projecteurs sont maintenant sur le conseil des gouverneurs de l'AIEA, à Vienne, qui doit répondre. Le dernier rapport de Mohammed ElBaradei conclut que, "après deux ans et demi d'inspections et d'investigations intensives, la pleine transparence de la part de l'Iran est indispensable mais [qu']elle se fait attendre". Si l'Iran persévère dans la voie qu'il suit aujourd'hui, les risques de prolifération sont trop élevés. Nous espérons que tous les membres de la communauté internationale resteront unis. Il nous appartient collectivement de relever le défi.


Philippe Douste-Blazy, ministre français des affaires étrangères.
Joschka Fischer, ministre allemand des affaires étrangères.
Javier Solana, haut représentant pour la politique étrangère de l'Union européenne.
Jack Straw, ministre britannique des affaires étrangères.

par Philippe Douste-Blazy, Joschka Fischer, Javier Solana, Jack Straw
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Médias
Google attaqué en justice pour son projet de bibliothèque numérique

 L e rêve de Google de mettre en ligne un maximum de livres, photos, voire à terme de vidéos, se heurte à la résistance des propriétaires de ces œuvres, qui décident désormais d'en appeler aux tribunaux pour défendre leurs droits.

L'Authors Guild, syndicat défendant plus de 8 000 écrivains américains publiés, a déposé plainte cette semaine à New York contre la firme exploitant le célèbre moteur de recherche, estimant qu'avec son projet de gigantesque bibliothèque virtuelle, celle-ci se rendait coupable de "violation massive des droits d'auteur".

Alors que l'intéressé a lui-même suspendu en août son opération de numérisation de livres ("Google Print"), le temps de s'entendre avec les détenteurs de droits sur quoi sélectionner, la controverse se poursuit. "Ce n'est pas à Google ou à qui que ce soit d'autre que les auteurs, détenteurs légitimes des droits, de décider si oui ou non et de quelle manière leurs travaux vont être copiés", a indiqué Nick Taylor, initiateur de la plainte en tant que président de l'Authors Guild.

"VIOLATION MASSIVE DES DROITS D'AUTEUR"

Recherchant la qualification de plainte en nom collectif, le syndicat a obtenu que s'associent à son action plusieurs écrivains, dont un ancien éditorialiste du New York Times, biographe du président Abraham Lincoln.

Pour lancer sa bibliothèque virtuelle gratuite, Google avait annoncé en décembre 2004 des accords avec les universités Stanford, Harvard, Oxford, du Michigan ainsi qu'avec la bibliothèque de New York pour accéder à leurs fonds documentaires et pouvoir numériser des ouvrages vieux parfois de plusieurs siècles. Selon la plainte de l'Authors Guild, Google n'a pas cherché à avoir le feu vert des auteurs qui sont référencés dans ces fonds ou de leurs ayants droit.

Google a dit "regretter" cette action et assuré qu'en l'absence d'autorisation de l'ayant droit, seul un "court extrait" du livre apparaissait sur l'écran d'ordinateur, "accompagné des informations bibliographiques de base et de plusieurs liens vers des librairies en ligne". Google Print (http://print.google.com) fait partie des sites les plus visités aux Etats-Unis. La semaine dernière, il a grimpé à la trentième place des sites les plus visités alors qu'il n'était qu'à la quatre-vingt-dixième place le mois dernier, selon les mesures d'audience du cabinet Hitwise. "Google Print bénéficie directement aux auteurs et aux éditeurs en augmentant les ventes et en sensibilisant le public sur leurs ouvrages", argumente Google dans un communiqué.

SENSIBILISER LE PUBLIC

L'Electronic Frontier Foundation (EFF), organisation plaidant pour un Internet libre, est venue au secours de Google. Elle a jugé que son projet pouvait être comparé à la mise sur fiches informatiques des ouvrages, pratiquée par de nombreuses bibliothèques pour en faire profiter gratuitement les visiteurs. "Il est facile de voir comment Google Print peut stimuler la demande pour des livres qui, sans cela, prendraient la poussière dans des rayons de bibliothèque", a ajouté Fred von Lohmann, de l'EFF. "C'est difficile de voir comment cela pourrait nuire aux éditeurs ou aux auteurs", a-t-il conclu.

Ce n'est pas la première fois que Google fait face à de telles accusations, dont l'esprit rappelle celles des maisons de disques contre les sites d'échange gratuit de musique. Le mois dernier, l'éditeur d'un magazine de charme américain, Perfect 10, avait soutenu avoir été abusé par la firme californienne, coupable selon lui d'avoir proposé aux internautes des milliers de photos de femmes nues dont il détient les droits. L'Agence France-Presse a également porté plainte contre Google pour violation des droits d'auteur, l'accusant d'avoir offert sans autorisation ses dépêches d'information et photos.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 23.09.05 | 17h25


Le Monde / Chats
OGM, sommes-nous bien informés ?
L'intégralité du débat avec Philippe Martin, député socialiste, vendredi 23 septembre 2005

Emmanuel: Comment expliquez vous la paranoïa ambiante qui règne autour de la culture des OGM ? Au nom du principe de précaution, la rationalité française semble avoir déserté le débat...
Philippe Martin:
Ma réponse, c'est que notre pays a connu depuis trente ans une succession de catastrophes sanitaires et environnementales qui pousse malgré tout à aborder la question des OGM avec au moins de la précaution. Il n'y a donc pas de paranoïa, mais l'expérience de crises où des scientifiques nous disaient que les évolutions étaient sans danger et qu'elles se sont révélées – quelquefois dix ou quinze ans après – provocatrices de sérieuses difficultés.

Gaetan: Ne pensez-vous pas qu'il y a une confusion, volontaire ou pas, entre les dangers en ce qui concerne la santé et les enjeux économico-stratégiques ?
Philippe Martin:
Je crois qu'il faut séparer la recherche, notamment thérapeutique, sur les OGM qui peut déboucher sur des bénéfices indubitables et le lobby transnational de la semence, qui cherche surtout à faire plus de profits et, d'une certaine façon, à aliéner un peu plus les agriculteurs. Les 1 000 hectares de culture de maïs OGM qui ont été révélées il y a peu ne sont destinées ni à la recherche ni à la faim dans le monde, mais à nourrir des cochons espagnols... On est donc là dans une démarche qui est commerciale. Et tout le problème est de séparer les deux choses.

"PAS DE VÉRITABLE RÉGLEMENTATION"

M. Mendes: Quelle est la législation actuelle sur les OGM ?
Philippe Martin:
Curieusement, pour ce qui concerne les essais de recherche, cette législation est relativement encadrée et elle a fait l'objet d'une mission parlementaire visant à préciser, justement, les conditions dans lesquelles ces essais pouvaient être faits en plein champ. Et dans le même temps, pour les cultures commerciales, il n'y a pas de véritable réglementation, puisque la France n'a toujours pas retranscrit en droit français une directive européenne de 2001. C'est d'ailleurs pour cela que les agriculteurs qui ont cultivé les 1 000 hectares dont on parle actuellement ont pu le faire sans enfreindre la loi, mais en bénéficiant du vide juridique qui entoure aujourd'hui les cultures d'OGM.

Ela: La France est en retard pour transposer les directives européennes sur les OGM. Pourquoi ?
Philippe Martin:
D'abord parce que la France est souvent en retard sur la transcription des directives européennes. La France parle beaucoup d'Europe et donne souvent la leçon, mais sur cet aspect de la transcription en droit français des directives européennes, elle est très en retard.

Mireille: Le Figaro a révélé il y a quelques jours que des milliers d'hectares d'OGM étaient cultivés dans le plus grand secret. Comment expliquez-vous que cela puisse arriver dans un pays censé pratiquer la transparence ?
Philippe Martin:
Ça veut dire que ce pays, qui est censé jouer la transparence, ne le fait pas. Je crois qu'au contraire, la mission parlementaire avait préconisé le respect d'un triple principe: celui de la précaution, de la parcimonie et de la transparence. Et en réalité, c'est un autre triple principe qui est appliqué en France: celui du risque, de la prolifération et de l'opacité. Aujourd'hui, les agriculteurs qui veulent cultiver des maïs OGM n'ont aucune obligation de déclaration à faire.

Olive: Vous avez tenté d'organiser un référendum sur la culture d'OGM dans votre département. Une tentative qui a été bloquée par le tribunal administratif. Pourquoi une telle intiative de votre part ?
Philippe Martin:
Parce que je crois que l'absence de débat sur les OGM dans notre pays et l'impossibilité pour les citoyens de s'exprimer sur ce sujet conduisent aux actions de désobéissance civique, et donc de fauchage, qu'on connaît. Et j'ai voulu, à l'échelle d'un département, proposer une démarche à la fois participative et citoyenne. L'Etat fait tout son possible pour l'empêcher, probablement parce qu'il craint que cette initiative fasse tache d'huile partout en France. La consultation citoyenne, ça me paraît indispensable pour tout ce qui a trait à l'environnement et au développement durable. Le référendum, pour moi, c'est d'abord la possibilité d'ouvrir le débat. C'est une première chose. Et puis c'est une façon de réintroduire le citoyen entre le scientifique et le politique.

Joviciaz: La science a toujours nécessité quelques risques. L'incompétence des politiques et leur précaution à ne pas déplaire nous mettent en perpétuel retard !
Philippe Martin:
Oui, probablement, mais j'aurais aimé que le principe de précaution soit appliqué dans le dossier de l'amiante ou des farines animales. Peut-être cela aurait-il empêché certaines catastrophes sanitaires ou environnementales. Une prise de risque, bien sûr, je ne suis pas contre la recherche, loin s'en faut. Mais on ne peut pas introduire dans notre Constitution le principe de précaution et s'en affranchir dans un dossier comme celui des OGM.

Joviciaz: Croyez-vous réellement qu'un citoyen lambda est capable de prendre une bonne décision face au problème des OGM ?
Philippe Martin:
Ma réponse est: croyez-vous qu'un citoyen lambda pouvait répondre par "oui" ou par "non" à la Constitution européenne ?

Michel: Si la société Monsanto était française, ne pensez-vous pas que la classe politique se comporterait d'une manière différente ?
Philippe Martin:
Je ne sais pas. Il y a aussi de grosses coopératives françaises et des groupes semenciers français, comme Limagrain, qui font des OGM. Le problème n'est donc pas un problème de patriotisme économique.

Pascalou: Afin de ne pas provoquer la disparition de nos agriculteurs, comment régler le problème de distorsion de concurrence entre l'Espagne, le Brésil ou les Etats-Unis par rapport à la France, sachant que l'on importe de la viande d'animaux nourris aux OGM sans taxes ni barrière réelle ?
Philippe Martin:
C'est un vrai problème. Plus de 90% de la production d'OGM sont cultivés sur les deux parties du continent américain: Nord et Sud. Et il est clair que les OGM sont, pour les pays concernés, Etats-Unis et Brésil surtout, des enjeux économiques majeurs. Il y a quinze ans de cela, dans les négociations avec les Etats-Unis, la France a perdu la bataille du soja, qui, en grande partie, est importé dans notre pays des Etats-Unis et du Brésil, et qui, donc, désormais, est en grande partie OGM.

Paul_Aymon: Que pensez-vous de la possibilité récente de produire des OGM libres, c'est-à-dire par des procédés "open source", non brevetables, c'est-à-dire échappant au monopole des multinationales sur la production de semences OGM ? Comme les logiciels libres mettent en jeu le monopole de Microsoft.
Philippe Martin:
La question est compliquée. Ce que souligne cette question, c'est l'enjeu majeur que constituent les brevets et les échanges commerciaux qui entourent les brevets. Il est clair que certains grands groupes transnationaux cherchent à breveter des OGM pour pouvoir en tirer bénéfice par la suite.

Moi: Donc, dire que les OGM peuvent être utilisés à des fins humanitaires est complètement utopique ?...
Moi: Pensez-vous réellement que les OGM peuvent permettre d'éradiquer la faim dans le monde, ou vont-ils permettre aux gros exploitant de s'enrichir ?
Philippe Martin:
Je crois que la réponse est contenue dans la question. Il serait faux de dire que la recherche thérapeutique, la recherche publique, ne peut pas aboutir à des progrès qui pourront être utilisés un jour, tant pour des maladies génétiques que pour des problèmes liés à l'alimentaire. Mais je pense que la priorité des groupes qui font des OGM, c'est quand même les profits financiers.

Michel: Le syndrome OGM ne risque-t-il pas de compromettre la recherche dans d'autres domaines, et d'affaiblir les capacités de recherche et développement des organismes publics (comme le CNRS) et des entreprises ?
Philippe Martin:
Ce qui affaiblit les organismes de recherche publics, c'est la faiblesse des budgets que ce gouvernement consacre à la recherche. C'est parce que la recherche publique n'est pas assez puissante qu'une recherche privée se développe, avec d'autres objectifs que l'intérêt général.

M. Mendes: Quel est donc le débouché actuel des OGM ? Est-il possible que nous en consommions sans le savoir (même indirectement) ?
Philippe Martin:
Il est probable que nous en consommions parce que les règles liées à l'étiquetage des produits ne sont pas suffisamment claires pour que le consommateur soit réellement informé. Par exemple, manger de la viande d'un animal qui a été nourri avec des céréales OGM n'apparaîtra pas sur l'étiquetage du boucher ou de la grande surface.

Bbb: Culture normale signifie emploi massif de pesticides et herbicides, ce qui pollue la nappe phréatique, et pose de très sérieux risques pour la santé. Pour la culture d'OGM, aucun risque n'a été prouvé, et pas besoin de pesticides. Qu'en pensez-vous?
Philippe Martin:
Depuis que les hectares d'OGM dans le monde progressent, dans le même temps, on n'a jamais autant consommé de pesticides et d'herbicides sur la planète.

Marc_Bernasconi: Existe-t-il une réglementation spéciale pour les OGM thérapeutiques ?
Philippe Martin:
Non, justement, l'objet de la mission parlementaire qui a eu lieu il y a quelques mois était de voir dans quelles conditions la recherche thérapeutique pouvait continuer de se développer. Il y a un consensus sur la nécessité de faire en sorte que la recherche thérapeutique avec les OGM puisse se poursuivre.

"SURDITÉ DU GOUVERNEMENT"

Steph: Etes-vous pour ou contre l'initiative des faucheurs d'OGM ?
Philippe Martin:
Je ne les approuve pas, mais je peux comprendre que la surdité du gouvernement sur cette question des OGM, l'agacement des élus ruraux qui se voient imposer cette technologie, l'agacement des agriculteurs bio dont les cultures peuvent être contaminées, provoquent ce type de réaction.

Ela: Que pensez-vous des arrêtés anti-OGM de certains maires ?
Philippe Martin:
Je pense que le fait que dans la plupart des cas ils soient annulés par l'Etat aboutit à amoindrir et dévaluer le rôle de ces maires, qui sont pourtant interpellés par leurs administrés sur cette question.

Coolbens.canalblog.com: Le lobbying des agriculteurs est-il puissant au point que les politiques s'inclinent si facilement ?
Philippe Martin:
Je crois que justement, il convient que les hommes politiques puissent résister à tous les lobbies, quels qu'ils soient, pour ne défendre que ce qui leur paraît juste dans l'intérêt général.

Coolbens.canalblog.com: Pourquoi la gauche et la droite ne parviennent-elles pas à discuter raisonnablement de questions d'écologie ?
Philippe Martin:
D'abord parce que la gauche, notamment le Parti socialiste, n'est pas allée assez loin sur cette question, préférant souvent la déléguer aux Verts. Et parce que la droite, notamment libérale, ne peut pas faire de propositions qui défendent véritablement l'écologie.

Sirius2: L'hostilité aux OGM ne s'apparente-t-elle pas à la campagne anti-vaccinations ?
Philippe Martin:
Non, parce que je crois que les campagnes de vaccination ont désormais largement montré leur utilité. Dans le cas des OGM, les bénéfices attendus sont encore sujets à caution, car les scientifiques ne s'accordent pas tous sur la question.

Coolbens.canalblog.com: Pourquoi la France persiste-t-elle sur la voie de l'agriculture de masse ? Chacun sait que l'impact de l'agriculture intensive est très néfaste sur la flore et la faune.
Philippe Martin:
Justement, je crois qu'elle a tort et qu'il conviendrait d'avoir une agriculture qui soit plus tournée vers le développement durable, c'est-à-dire que les solutions mises en œuvre préservent les éléments naturels pour les générations futures. Mais cela ne peut se résoudre que par une réflexion à l'échelle européenne, et pas simplement française.
Je suis heureux d'utiliser toutes les formes de débat, parce que quelle que soit la position qu'on a vis-à-vis des OGM, il faut surtout débloquer ce débat et jouer la démocratie jusqu'au bout.

Chat modéré par Constance Baudry et Stéphane Mazzorato
LEMONDE.FR | 23.09.05 | 17h02


Le Monde / Europe
L'échec de la rencontre entre Verts et conservateurs renforce la perspective d'une coalition SPD/CSU

 P lusieurs dirigeants des Unions chrétiennes CDU-CSU, dont Edmund Stoiber lui-même, s'étaient montrés pessimistes avant l'entrevue avec les Verts. L'échec de la première rencontre, à l'échelle nationale, entre Verts et conservateurs renforce la probabilité d'une grande coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates.

"Rien n'est terminé, mais aucun autre rendez-vous n'a été prévu" pour le moment, a déclaré, à l'issue de la réunion, la candidate conservatrice à la chancellerie, Angela Merkel, précisant que la décision définitive dépendra de la prochaine rencontre prévue avec les sociaux-démocrates mercredi prochain. Son allié bavarois, M. Stoiber, a reconnu que les divergences étaient encore "très très grandes" et ne permettaient pas "pour le moment" d'envisager d'autres entretiens entre les directions des Unions chrétiennes CDU-CSU et les Verts.

DES DIFFÉRENCES "EXTRAORDINAIREMENT GRANDES"

A l'issue de cette première entrevue entre les directions de la CDU-CSU et les Verts, ces derniers, représentés par leurs dirigeants, Reinhard Bütikofer et Claudia Roth, ont déclaré qu'il n'y avait pas de base à partir de laquelle coopérer avec des conservateurs qu'ils considèrent comme des "néolibéraux" hostiles à l'écologie. "Il n'y a pas lieu de recommander à l'exécutif de notre parti de nouvelles discussions exploratoires", a estimé M. Bütikofer, président des Verts.

M. Bütikofer s'est montré très négatif à l'issue de la rencontre: "Les différences sont extraordinairement grandes sur les questions de programme, de personnes et de culture (...). Cela a été clair des deux côtés: il y a toutes les raisons de ressentir un scepticisme considérable" quant aux chances de succès des discussions sur une coalition, a-t-il dit. Quant à la coprésidente des Verts, Claudia Roth, elle a déclaré: "Nous nous préparons à entrer dans l'opposition."

L'HYPOTHÈSE D'UNE COALITION JAMAÏCAINE ÉCARTÉE

Au nombre des hypothèses de coalition possibles après les législatives particulièrement indécises de dimanche dernier, il était question ces derniers jours d'une "coalition jamaïcaine"– allusion aux couleurs du drapeau de ce pays – regroupant les conservateurs de la CDU-CSU (noirs), les libéraux du FDP (jaunes) et les Verts, parti situé à gauche mais qui n'avait pas, a priori, rejeté, l'idée de gouverner avec la droite. Toutefois, selon un sondage Politbarometer, 50% des Allemands sont contre une telle coalition.

S'exprimant devant les journalistes après les discussions avec les Verts, Angela Merkel a estimé que les discussions avaient été cordiales mais qu'il n'y avait pas lieu, du moins pour le moment, de continuer à discuter. La porte n'est cependant pas définitivement fermée à de nouvelles tractations avec les Verts, à une date ultérieure, a-t-elle toutefois noté. Mme Merkel a par ailleurs fait savoir que la CDU allait désormais se concentrer sur les discussions avec le SPD en vue de la formation d'une grande coalition entre les deux "partis populaires".

Angela Merkel et Gerhard Schröder se sont rencontrés, jeudi, pour des discussions exploratoires et sont convenus de se retrouver mercredi prochain pour de nouvelles discussions. Au-delà de leurs divergences politiques, l'un et l'autre estiment avoir un mandat pour occuper la chancellerie. Le jour même où ils se rencontraient, un sondage réalisé par l'institut Emnid montrait que 47% des personnes interrogées voulaient voir Mme Merkel accéder à la chancellerie, tandis que 44% préfèrent que M. Schröder reste à la barre.

Tant qu'aucun accord de gouvernement n'aura été conclu, le chancelier sortant, Gerhard Schröder, expédiera les affaires courantes. Les nouveaux élus doivent se réunir au Bundestag au plus tard le 18 octobre, soit un mois après les législatives, mais ils n'ont pas obligation d'élire un nouveau chancelier tant qu'un accord de coalition n'aura pas été conclu.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 23.09.05 | 18h27


Le Monde / Médias
Christophe Lambert, président de Publicis France et nouvel auteur à succès
Quand la peur et le plan média font vendre

 D epuis fin août, les Français ont découvert un nouveau visage de la publicité: Christophe Lambert, président de Publicis Conseil France, ami et conseiller de Nicolas Sarkozy. Des plateaux de "Tout le monde en parle" (France 2) au "Fou du roi" (France-Inter), en passant par les pages du Point, Christophe Lambert est partout. Motif de cet engouement: la publication de son livre La société de la peur (Plon), vite qualifié de "livre événement de la rentrée". L'ouvrage est nº4 des ventes d'essais au classement de L'Express du 22 septembre. Après un premier tirage de 7 000 exemplaires, l'éditeur a annoncé un nouveau de 26 000.

Plon explique ces bons chiffres par le titre très accrocheur du livre, "facile à lire, dans l'air du temps et qui raconte ce que les gens veulent entendre" . Titre et ouvrage sont aussi le fruit d'un plan média bien orchestré. Dès l'été, Le Point a négocié la publication des bonnes feuilles de l'ouvrage dès sa parution, accompagnée d'une critique de Nicolas Baverez, connu pour défendre la thèse du déclin français. De même, rendez-vous a été pris avec Jean-Pierre Elkabbach (Europe 1). Le mouvement s'est amplifié, avec une campagne d'affiches dans le métro et sur les bus parisiens ces derniers jours.

UNE FIGURE DE LA PUBLICITÉ

Avec sa plume, M. Lambert prend du poids sur la scène médiatique. A 40 ans, après vingt ans d'une carrière qui l'a conduit jusqu'à la présidence de Publicis Conseil France, M. Lambert incarne la nouvelle génération de publicitaires désireuse de jouer un rôle de premier plan. Pourtant, il n'est guère question de publicité dans La société de la peur . L'auteur s'y interroge sur l'état de la France et livre son constat, plutôt sombre. Depuis trente ans, la France est entrée dans une spirale anxiogène: peur de l'avenir, de l'autre, de la maladie, de la mondialisation, etc. D'où la paralysie d'une société française, hostile à toute prise de risque. "La peur s'est installée et rien ne semble devoir la déraciner ", écrit M. Lambert, pour qui toutefois "la France est capable de rebond ", dû à l'avènement d'une "société des morales ", à condition que le leader de demain soit "un chef moral"...

"Le fait que les gens achètent le livre prouve qu'ils sont sortis du syndrome de l'évitement ", explique M. Lambert, satisfait de l'accueil du public. Il fait la comparaison avec une campagne publicitaire réussie. Au service de quelle marque ? "La marque Publicis et la marque Christophe Lambert !", précise-t-il.

Le succès de cet essai fera-t-il des émules ? Plon dit avoir signé un contrat avec Stéphane Fouks, autre "quadra de la pub", coprésident d'Euro RSCG Worldwide, filiale d'Havas. Parution en 2006.

Laurence Girard
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Entreprises
énergie
Les experts pétroliers ont de plus en plus de mal à anticiper l'évolution des cours du baril

 À  la fin du mois de mars, la banque d'affaires américaine Goldman Sachs avait fait sensation en affirmant que le prix du baril de pétrole pourrait prochainement atteindre 105 dollars (86 euros). Quelques semaines plus tard, l'institution financière française Ixis CIB surenchérissait en évoquant la possibilité d'un cours du baril à 360 dollars en 2015.

Prévisions extrêmes et fantaisistes ? Peut-être. Reste qu'aucun expert n'avait envisagé en janvier que le cours de l'or noir puisse grimper jusqu'à 70 dollars. L'évolution des prix du pétrole est-elle imprévisible ?

"Les experts n'ont pas cessé de se tromper depuis deux ans sur les prix du pétrole, jamais sans doute dans de telles proportions" , constate Bruno Cavalier, économiste au Crédit agricole. A priori, l'exercice de prévision semble relativement simple: l'or noir est un produit physique dont le prix d'équilibre est théoriquement fixé par l'offre, la demande et les stocks.

"Le cours du pétrole paraît être une variable moins multidéterminée qu'un taux de change ou qu'une action" , note M. Cavalier. Mais la pratique se révèle beaucoup plus complexe. D'abord parce que du côté de l'offre, les incertitudes sont nombreuses. Incertitudes à court terme, la production d'or noir étant directement influencée par des éléments imprévisibles, comme, par exemple, les cyclones Katrina et Rita.

Incertitudes à long terme, aussi, les estimations des réserves pétrolières variant de 780 milliards à 1 100 milliards de barils ! Elles sont d'autant plus sujettes à caution qu'elles émanent des Etats et des compagnies pétrolières eux-mêmes. Début 2004, Shell avait reconnu avoir surestimé de 20% ses réserves prouvées.

Ces divergences d'anticipation sur les stocks ont une influence directe sur les prix actuels, le pétrole ayant la particularité de ne pas être une ressource "reproductible", comme peuvent l'être par exemple le coton ou le blé, mais "épuisable". "Si depuis 1974, le prix du pétrole avait augmenté au rythme optimal d'une ressource épuisable, le pétrole vaudrait aujourd'hui 122 dollars le baril" , note Patrick Artus, économiste chez Ixis CIB. La flambée actuelle ne serait ainsi qu'une sorte de rattrapage des prix trop bas du passé.

Enfin, le fait que plus de la moitié de la production d'or noir soit contrôlée par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), cartel susceptible à tout moment d'augmenter ou de restreindre la production, perturbe considérablement le fonctionnement du marché et le libre ajustement de l'offre et de la demande.

De façon plus générale, le fait que la plupart des grands pays producteurs soient aussi des pays "géopolitiquement" ultrasensibles, comme l'Irak, l'Arabie saoudite ­ ou encore le Venezuela et le Nigeria ­ a pour effet d'accroître la volatilité des cours du brut.

Mais les incertitudes qui entourent la demande d'or noir sont au moins aussi grandes que celles qui concernent l'offre. "C'est l'incapacité à évaluer correctement la hausse de la demande chinoise de pétrole qui explique pour une bonne part les erreurs de prévision des dernières années" , souligne M. Cavalier. A elle seule, la Chine a représenté, en 2004, près du tiers de l'accroissement de la demande mondiale d'or noir. Les conséquences du boom économique de la Chine sur le prix du baril sont d'autant plus difficiles à cerner que de nombreux économistes soupçonnent Pékin de sous-estimer délibérément sa croissance. Impossible, dans ces conditions, de deviner les besoins réels en pétrole de la Chine.

"ÉNORME BULLE SPÉCULATIVE"

Le flou qui entoure l'offre et la demande de pétrole fait le jeu des spéculateurs. "Le pétrole se comporte de plus en plus comme un actif financier, ce qui rend les prévisions sur son prix plus délicates encore" , déclare M. Cavalier. De la même façon qu'ils interviennent sur les indices boursiers et les emprunts d'Etat, les fonds spéculatifs cherchent à tirer profit, sur les marchés à terme, des évolutions du cours du brut.

Steve Forbes, le milliardaire américain éditeur du magazine financier éponyme, estimait le 30 août que le pétrole était victime d'une "énorme bulle spéculative" qui va éclater d'ici à un an. "La spéculation peut amplifier les tendances de fond, mais pas expliquer ce que l'on observe aujourd'hui" , estime au contraire Jean-Philippe Cotis, économiste en chef de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une organisation qui a décidé... de ne plus établir de prévisions sur les cours du pétrole !

Pierre-Antoine Delhommais
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Régions
Trois questions à Isabelle Grémy

 V ous êtes directrice de l'Observatoire régional de santé (ORS) d'Ile-de-France. Pourquoi avoir réalisé cet Atlas de la santé en Ile-de-France ?
Il y a trois ans, un directeur régional des affaires sanitaires et sociales avait demandé de pouvoir disposer de données sanitaires plus proches des territoires. L'originalité de cet Atlas est de fournir cette approche "territorialisée" et d'avoir été réalisé grâce à la collaboration de tous les partenaires (Insee, IAURIF, caisses d'assurance-maladie, direction régionale des affaires sanitaires et sociales, professionnels de santé, etc.).
Il arrive au bon moment car les décisions dans le domaine sanitaire se prennent de plus en plus au niveau régional ­ notamment la mise en place des programmes régionaux de santé ­ du fait de la décentralisation et de la nouvelle loi de santé publique.

Quelles sont les particularités de l'Ile-de-France ?
Sous l'apparence de bons indicateurs, notamment en terme d'espérance de vie, de morbidité et d'offre de soins, cette région recouvre un paysage social particulièrement contrasté et des territoires très déficitaires. Par exemple, alors que l'on enregistre, dans les Yvelines, 241 décès pour 100 000 habitants parmi les hommes de moins de 65 ans, ce chiffre atteint 324 pour 100 000 en Seine-Saint-Denis. En outre, l'importante concentration de populations en situation de précarité entraîne des pathologies ­ comme le saturnisme ou la tuberculose ­ qui sont liées à cette précarité et que l'on ne retrouve pas, dans les mêmes proportions, dans d'autres régions. Il en est de même pour les problèmes environnementaux ­ pollution, bruit ­ liés à la forte urbanisation de l'Ile-de-France.

A quoi va servir cet atlas ?
A montrer, par exemple, à quel point l'offre de soins en médecine de ville est mal répartie, à quel point il existe un déficit impressionnant d'infirmières libérales ou d'établissements pour les personnes lourdement handicapées. Nous mettons le doigt là où ça fait mal.
En raison du coût des loyers, des problèmes de transport et d'insécurité, les infirmières libérales fuient l'Ile-de-France. Cela crée une vraie difficulté à l'heure où le nombre de personnes âgées ne cesse d'augmenter. Nous espérons que cet atlas deviendra un outil pour aider les collectivités à faire des choix et qu'il contribuera à la création d'une plate-forme coordonnée d'observation sur les questions de santé.

Propos recueillis par Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Régions
Les Franciliens inégaux devant le système de santé

 L' Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France publie, vendredi 23 septembre, le premier Atlas de la santé en Ile-de-France, un gros ouvrage illustré de 150 pages (Iaurif, 15, rue Falguière, Paris-15e, 40 euros), fruit d'un travail collectif entre un organisme dépendant du conseil régional et des experts du ministère de la santé.

Il réunit un ensemble de données, jusque-là dispersées, sur la santé des Franciliens et sur l'offre de soins dans la région de France où les contrastes sociaux sont les plus marqués avec des populations aisées à l'ouest et des territoires plus défavorisés au nord et au nord-est.

La santé n'échappe pas aux clivages souvent mis en évidence pour le logement ou l'emploi. Ainsi, la Seine-Saint-Denis, le seul département de la région à avoir enregistré une baisse du revenu moyen de ses habitants entre 1984 et 2000, est aussi celui où la mortalité néonatale est la plus forte et où le taux de mortalité due au cancer est le plus élevé, chez les hommes comme chez les femmes.

Une durée de vie élevée au sud-ouest de la région. L'espérance de vie ne cesse d'augmenter en France, au rythme d'une année gagnée en moyenne tous les quatre ou cinq ans. Cette progression est particulièrement marquée en Ile-de-France, première région, depuis 2001, pour l'espérance de vie masculine (77,1 ans), troisième pour l'espérance de vie des femmes (83,4 ans), derrière les Pays de la Loire et Rhône-Alpes.

L'explication tient en partie à la surreprésentation, dans la région, des cadres et des catégories sociales supérieures, qui bénéficient d'une espérance de vie supérieure à la moyenne.

Une mortalité infantile plus élevée. Le taux de mortalité infantile est légèrement supérieur en Ile-de-France (4,7 pour mille) qu'au niveau national, alors que l'inverse a longtemps été vrai. L'explication est dans la situation très défavorable de la Seine-Saint-Denis (5,7 pour mille). Aucun autre département de France métropolitaine ne présente un taux de mortalité infantile aussi élevé.

Davantage de cancers mais une mortalité en baisse. Plus de 40 000 Franciliens sont atteints chaque année d'un cancer, ce qui est comparable au niveau national. Au cours des vingt dernières années, la mortalité due au cancer a davantage régressé en Ile-de-France (­ 20%) qu'au plan national (­ 11%) chez les hommes, tandis que les femmes ont connu une baisse comparable à la moyenne nationale (­ 12%).

On sait que les disparités géographiques de la mortalité par cancer sont considérables en France, de 271 décès pour 100 000 dans le Gers à 435 dans le Nord ou le Pas-de-Calais. On retrouve ces disparités en Ile-de-France, avec 286 décès pour 100 000 à Paris et dans les départements de l'ouest, contre 369 pour 100 000 en Seine-Saint-Denis. Paris est, en outre, le département qui présente le taux de mortalité par cancer du poumon le plus élevé de France chez les femmes (+ 60% par rapport à la moyenne nationale).

45% des malades du sida. Avec 26 083 cas de sida répertoriés entre 1978 et 2003, la région reste la première touchée par l'épidémie en France métropolitaine, notamment Paris, où le nombre de cas diagnostiqués depuis huit ans est sept fois plus important que dans les Yvelines.

Contrairement à ce qui est observé dans les autres régions, l'épidémie ne faiblit pas en Ile-de-France. Elle touche de plus en plus des femmes (33%) et des hétérosexuels (58%). Enfin, plus de la moitié des personnes contaminées sont des étrangers, principalement originaires d'Afrique subsaharienne.

80% des cas de saturnisme infantile. Pathologie liée à l'habitat dégradé, le saturnisme infantile (ou intoxication au plomb) fait l'objet d'un dispositif de surveillance en Ile-de-France depuis 1992. En dix ans, 24 526 enfants ont été dépistés et 6 935 cas mis en évidence. La quasi-totalité des actions de dépistage est le fait de Paris et de certaines communes de Seine-Saint-Denis, comme Aubervilliers. Ces deux départements sont fortement exposés du fait des caractéristiques de leur parc de logements. Toutefois, la carte des résidences principales construites avant 1948 montre que certaines communes de l'Essonne et de Seine-et-Marne sont potentiellement concernées par cette pathologie.

Moins de médecins généralistes. En 2001, sur les 23 496 médecins libéraux d'Ile-de-France, 10 247 (43,6%) exerçaient la médecine générale, une densité plus faible que la moyenne nationale. Paris et l'ouest de la région concentrent une offre importante, qui décroît à mesure que l'on s'éloigne du centre, à l'exception des zones fortement urbanisées de grande couronne (Fontainebleau, Provins, Pontoise, Meaux, etc.).

Jusqu'à 67% de spécialistes à Paris. En Ile-de-France, les médecins spécialistes représentent 56% de l'ensemble des praticiens libéraux, contre 47% en France métropolitaine. Cette proportion atteint 67% à Paris, mais plafonne à 45% en Seine-et-Marne. Sevran (Seine-Saint-Denis) compte par exemple onze fois moins de médecins spécialistes que Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Villetaneuse ne compte aucun spécialiste courant (du type gynécologue ou pédiatre) et ne recense que deux dentistes. A l'inverse, les psychiatres, dont un tiers sont installés en Ile-de-France, sont concentrés à Paris (63,7%).

Des infirmières libérales en nombre insuffisant. Le mouvement est inverse pour les infirmières libérales, qui sont moins nombreuses à mesure que l'on s'éloigne du coeur de l'agglomération vers les cantons les moins urbanisés de la grande couronne. Leur nombre n'a cessé de décroître entre 1998 et 2002: ­ 18% dans les Hauts-de-Seine, ­ 14% dans l'Essonne, ­ 13% à Paris. Globalement, la densité d'infirmières libérales est deux fois moindre en Ile-de-France que dans le reste de la France.

Une région qui vieillit et qui prend mal en charge ses personnes âgées. Depuis 1980, l'offre d'hébergement pour les personnes âgées a progressé de plus de 30% en Ile-de-France, mais le taux global d'équipement reste en deçà du niveau moyen national. Paris et la proche couronne figurent parmi les territoires les moins bien équipés. L'offre régionale de places médicalisées est de 145 pour mille personnes âgées de plus de 75 ans (contre 153 pour mille au niveau national). Elle va de 192 à 215 places pour mille dans les départements de grande couronne à 85 places pour mille à Paris.

Christine Garin
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Europe
L'hypothèse d'une "grande coalition" CDU-SPD fait son chemin en Allemagne
BERLIN de notre envoyé spécial

 P our la première fois depuis le scrutin qui a plongé la vie politique allemande dans la confusion, la présidente du Parti chrétien-démocrate allemand, Angela Merkel, et le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder se sont consultés jeudi 22 septembre à Berlin pour discuter de la faisabilité d'une "grande coalition" pour gouverner l'Allemagne. Les deux formations de l'Union chrétienne, la CDU et la CSU bavaroise, qui forment le même groupe parlementaire au Bundestag, étaient arrivées en tête des élections législatives du 18 septembre avec 35,2% des suffrages et 225 sièges, contre 34,3% et 222 sièges au SPD.

A l'issue de ce rendez-vous, Franz Müntefering, le président du SPD, s'est montré conciliant: "la perspective est ouverte pour des pourparlers concrets" , a-t-il dit. Tout en relevant des "divergences", Mme Merkel a qualifié ces consultations de "constructives" . Les deux parties ont convenu de se revoir mercredi prochain 28 septembre. Vendredi, les chrétiens-démocrates devaient sonder à leur tour les Verts (8,1% des voix, 51 députés), auxquels ils proposent avec insistance de rallier une coalition avec leur allié naturel, les libéraux du FDP (9,8%, 61 élus).

En dépit de ces consultations préliminaires, la partie de poker menteur engagée par M. Schröder et Mme Merkel se poursuit. Malgré sa contre-performance électorale, la chef de file de la droite a répété que c'est elle qui a "reçu le mandat de mener les pourparlers" destinés à former un gouvernement "stable" . Au contraire, le président du SPD a réaffirmé que son parti souhaitait gouverner, "sous la direction de M. Schröder" , et selon un programme fortement inspiré du sien.

Signe de tensions persistantes, les dirigeants conservateurs ont dénoncé le projet prêté jeudi matin au SPD de modifier le règlement du Bundestag afin de scinder le groupe conservateur entre ses deux composantes: la CDU et sa soeur bavaroise, la CSU. Cette idée, que les sociaux-démocrates se sont empressés de démentir sous la pression de leurs adversaires, aurait eu l'avantage de faire de leur groupe le plus important du Bundestag. Et de les mettre en position d'être chargé par le président de la République, le chrétien démocrate Horst Köhler, de mener les négociations gouvernementales.

Malgré ces passes d'armes, l'hypothèse d'un gouvernement CDU-SPD continue de faire son chemin. A eux deux, les deux grands partis, bien qu'affaiblis par le scrutin de dimanche, atteindraient facilement la majorité de 307 sièges requise au Bundestag. "En l'état actuel des choses, on se dirige vers une grande coalition" , a estimé le ministre sortant des affaires étrangères, le Vert Joschka Fischer, dans le quotidien Tageszeitung . Tandis que M. Müntefering venait de présenter les principes qu'il entend défendre, M. Schröder s'est montré plus ambigu que jamais sur l'ambition affichée depuis dimanche de se maintenir à la chancellerie: "l'objectif de mon parti est identique au mien" , s'est-il borné à dire aux journalistes.

Les schémas alternatifs de coalition suscitent de fortes réticences parmi les petits partis. Sourds aux appels des dirigeants sociaux-démocrates, les libéraux rejettent tout rapprochement avec la formation de Gerhard Schröder. "Nous avons fait campagne contre le gouvernement sortant, ce n'est pas le moment de faire alliance avec lui" , répète Guido Westerwelle, leur président.

De leur côté, les Verts hésitent. "Les programmes sont difficilement compatibles", ont répété leurs dirigeants, avant même de voir Mme Merkel. La candidate à la chancellerie a elle aussi pointé les "grandes divergences" qui existent entre les conservateurs, et les écologistes. Son allié bavarois Edmund Stoiber, le chef de la CSU, considère qu'une telle alliance serait "extraordinairement difficile" à mettre en place. Quant au troisième petit parti représenté dans le nouveau Buntdestag, le Parti de gauche d'Oskar Lafontaine et de Gregor Gysi (8,7%, et 54 députés), il a été exclu par les autres des négociations.

Philippe Ricard
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Opinions
Chronique
Electeurs en quête de GPS, par Patrick Jarreau

 L e vote allemand est une sorte de banc d'essai du vote français. Pour presque toutes les forces politiques, de ce côté-ci du Rhin, le choix ­ ou plutôt le non-choix ­ des électeurs partagés entre Angela Merkel, Gerhard Schröder, Joschka Fischer, Guido Westerwelle, Oskar Lafontaine, est un test. Mieux qu'un sondage, il apparaît comme une anticipation de ce que pourrait être un vote français. Des sociétés comparables, ayant à affronter les mêmes problèmes, sont placées devant des offres politiques similaires.

Le chancelier sortant a choisi la voie des réformes. Il incarne ce que la gauche de la gauche, dans les deux pays, dénonce comme le "social-libéralisme" ou la résignation à la nécessité d'adapter la société à l'économie de marché. Lionel Jospin disait oui à l'économie de marché, mais non à la société de marché. Gerhard Schröder a plaidé qu'on ne pouvait pas avoir la solidarité sans compétitivité. Ce choix lui a valu de tels déboires, dans les élections locales, qu'il a fini par estimer qu'il ne pourrait pas s'en tirer sans rebattre les cartes. Il a joué son va-tout sur la dissolution, mais il a surpris tout le monde par sa remontée des trois dernières semaines. Avait-il prévu que son adversaire, Angela Merkel, se révélerait une piètre meneuse de campagne ? Pensait-il que le programme de la CDU, une fois que les électeurs en prendraient vraiment connaissance et qu'il serait perçu non pas comme un exercice de style, mais comme annonçant la réalité de demain, ressouderait les électeurs de gauche autour du SPD ? Si ce n'est pas ce qu'il avait prévu, du moins est-ce ce qui s'est passé.

La situation est différente de ce qu'elle fut, en France, après la dissolution de l'Assemblée nationale par Jacques Chirac, en avril 1997, mais quelques points communs existent. D'emblée, à l'annonce de la dissolution, Lionel Jospin avait lancé sa campagne en évoquant la menace d'une "droite dure". Dans l'esprit de Jacques Chirac, d'Alain Juppé et de Dominique de Villepin, la dissolution devait permettre de prendre de court une gauche insuffisamment préparée et de mobiliser les électeurs de droite contre le retour de ceux qui avaient été sévèrement sanctionnés quatre ans auparavant. En fait, la droite a fait plus peur que la gauche.

Avoir empêché Angela Merkel d'atteindre un score correspondant au potentiel de la CDU n'est pas exactement une victoire pour Gerhard Schröder. Il a été devancé, et ses chances de conserver le poste de chancelier sont faibles. Du moins a-t-il évité à son parti et à lui-même d'être réprouvés. La gauche allemande était menacée d'une fracture profonde et durable. Or, c'est plutôt l'inverse qui s'est produit. Certes, Oskar Lafontaine et le Parti de gauche, associant les anciens communistes de l'Est aux dissidents socialistes de l'Ouest, ont réussi une percée. Mais le SPD, le PS allemand, ne s'est pas désagrégé. La menace libérale a convaincu beaucoup d'électeurs de gauche d'aller voter, quand même, pour un parti et un dirigeant avec lesquels ils s'étaient brouillés au cours des derniers mois. Le réformisme de gauche est sorti plutôt renforcé de l'épreuve.

La question qui se pose à Nicolas Sarkozy est de savoir si le réformisme de droite a été, lui, affaibli. Le président de l'UMP a beau prétendre qu'il échappe à ces classements, l'échec d'Angela Merkel a été perçu comme un mauvais signe pour lui. Et un bon pour Dominique de Villepin, qui se présente en réformateur modéré. Les partisans du premier ministre ont vite fait d'opposer son approche respectueuse des habitudes françaises à la "rupture" invoquée par Sarkozy. L'argument a ses limites, puisque la progression du Parti libéral, le FDP, prouve qu'une partie des électeurs ont jugé Angela Merkel trop timorée. Le ministre de l'intérieur peut faire valoir que les électeurs de droite qui, finalement, ne sont pas allés voter pour la CDU ont moins sanctionné la rupture que les hésitations d'"Angie". Peut-être ont-ils témoigné aussi, pour une partie d'entre eux, de leur résistance à l'idée de voir leur pays dirigé par une femme. Cette variable-là est difficile à mesurer, mais on ne peut exclure que, dans ce duel entre un homme et une femme, l'appréciation du leadership de l'un et de l'autre ait été influencée, chez certains électeurs, par des préjugés sur les rôles des deux sexes.

L'expérience allemande va agir, en retour, sur le débat politique français. Chaque pays a son histoire, ses institutions, son mode de gouvernement et des partis qui n'ont ni le même passé ni les mêmes modes de fonctionnement. Néanmoins, dans ce qui est devenu une sorte de désorientation française, le jeu allemand est regardé comme un guide. Le moins qu'on puisse dire est que ce GPS ne fournit pas d'indications très claires aux responsables et aux électeurs égarés entre le non du 29 mai, la dispersion de la gauche, la bataille à droite, Chirac qui se prolonge, Villepin qui s'avance et Sarkozy qui s'agite. Pourtant, à tort ou à raison, le film qui se joue outre-Rhin est perçu ici comme une simulation ou l'un de ces wargames que les experts de politique étrangère ou de stratégie pratiquent, à Washington, pour anticiper sur une situation.

Le jeu est illusoire, sans doute, et méconnaît bien des différences, mais il témoigne qu'en Europe les marchandises, les capitaux et les personnes ne sont pas seuls à circuler librement. Les problèmes politiques et leurs diverses solutions transitent aussi, sinon intégralement entre tous les pays, du moins partiellement ou entre certains d'entre eux. C'est peut-être là le vrai "plan B" après l'échec de la Constitution européenne.

Patrick Jarreau
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Opinions
analyse
Les risques d'une mêlée confuse, par Jean-Claude Casanova

 R arement le paysage politique aura été aussi obscur. On voyait plus clair avant le référendum. François Hollande s'était imposé aux socialistes et devenait leur candidat naturel à la présidentielle. Hors du gouvernement, à la tête de l'UMP, au faîte de la popularité, Nicolas Sarkozy avait gagné à droite. Jacques Chirac ne pouvait que renoncer à une cinquième candidature à l'Elysée puisqu'il risquait, face à ces deux candidats, d'être éliminé au premier tour.

Le référendum lui offrait encore un espoir. S'il avait gagné, il aurait pu conserver Jean-Pierre Raffarin un an de plus à Matignon. Il aurait ensuite promu Dominique de Villepin avec la tâche de préparer sa candidature à un troisième mandat présidentiel. Le référendum, dans son esprit, servait trois objectifs: diviser les socialistes, le valoriser lui-même, lui donner du temps avant la décision ultime. Pour la division du Parti socialiste, le résultat dépasse ses espérances. Pour le reste, il s'est affaibli, et c'est M. de Villepin qui a gagné le temps utile à sa propre candidature.

La guerre que se mènent les socialistes et l'affaiblissement de M. Sarkozy ne suffisent pas à remettre M. Chirac en selle. Sa candidature reste improbable parce qu'il a perdu le référendum et les Jeux olympiques et parce que brusquement sa santé paraît fragile. Il a appelé M. de Villepin à Matignon parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Il espère désormais, par l'intermédiaire du premier ministre, éliminer M. Sarkozy.

Cette situation ne se serait pas produite si, lors de la réforme du quinquennat, on avait limité à deux le nombre des mandats qu'un même président peut exercer. On aurait réduit la liberté de choix des électeurs, mais on aurait aussi limité le goût immodéré du pouvoir chez ses détenteurs. Dans cette hypothèse, M. Chirac n'aurait pas organisé son quinquennat dans la perspective de sa réélection en 2007.

Quitte à accepter qu'on lui fasse de l'ombre, il aurait choisi un premier ministre apte à maîtriser un vaste programme de réformes. L'UMP, plutôt que de se créer comme "le parti du président" passé, présent et à venir, aurait pu agir comme une véritable majorité parlementaire.

Une autre difficulté institutionnelle accroît la confusion. L'élection du président de la République existe maintenant depuis plus de quarante-deux ans, mais nous n'avons toujours pas de mécanisme satisfaisant de sélection des candidats avant le premier tour. La division des forces politiques et la force des ambitions personnelles provoquent un trop-plein dont on a mesuré les effets en 2002, puisque les deux candidats retenus pour le deuxième tour ne représentaient ensemble que 36,7% des voix et 25,4% des inscrits. Ce risque sera encore plus grand en 2007. Pour réduire le nombre des candidats, il faudrait augmenter le nombre des parrainages requis pour la candidature. A l'approche d'une élection, il est délicat de changer la règle du jeu. Il aurait fallu avoir la sagesse et le courage de le faire dès 2002.

La situation au sein des principales forces politiques n'arrange pas les choses. A gauche, beaucoup de socialistes veulent barrer la route à M. Hollande, soit qu'on lui reproche sa prudence, soit qu'on regrette qu'il se soit aventuré dans un référendum interne. D'autres poursuivent le même objectif à l'égard de Laurent Fabius, qui aurait trahi l'Europe et dont le gauchisme serait artificiel. Les socialistes éviteront sans doute d'avoir deux candidats à la présidentielle, mais leurs hésitations et leurs querelles internes les affaibliront et continueront de favoriser la dispersion des suffrages puisqu'il y aura une multitude de petits candidats de gauche (trotskiste, antimondialiste, communiste, écologiste, etc.).

A droite, deux candidats gaullistes se présenteront, sauf si l'un ou l'autre capitule. Or M. Sarkozy annonce que rien ne le fera céder, et M. de Villepin est déjà en campagne. Il a d'ailleurs adopté la stratégie de Jacques Chirac à l'égard d'Edouard Balladur. Le "modèle social français " menacé tient lieu de "fracture sociale" dénoncée. Il accueillait avec ferveur l'entrée de la Turquie en Europe, voilà qu'il devient réticent. Pour ne pas paraître libéral, il décline le programme de M. Sarkozy sur le mode mineur: on peut subventionner les mosquées, mais sans le dire; on doit expulser les étrangers clandestins, mais avec humanité. Il accorde aux électeurs de droite et aux catégories privilégiées des réductions fiscales pour 2007 (notamment par le plafonnement des impôts), en se gardant de proposer une réforme globale qui le ferait apparaître comme "ultralibéral".

En matière d'emploi, il introduit un contrat de travail plus flexible, qui facilite pendant deux ans le licenciement, mais il clame que l'Europe entière admire notre droit du travail. Langage habile et manœuvre classique, qui consistent à pousser M. Sarkozy sur la droite et à chercher dans l'opinion et parmi les élus une légitimité opposée à celle que les adhérents de l'UMP accorderont à leur président en le désignant comme leur candidat. Quoi qu'il en soit, la discorde entre gaullistes profitera aux autres candidats du centre et de droite, et augmentera probablement le nombre des abstentionnistes.

Cette confusion contredit les doctrines établies. L'orthodoxie gaulliste expliquait que la désignation du président de la République au suffrage universel favorisait l'union des Français, elle les divise davantage. La science politique annonçait que l'élection présidentielle, accompagnée du mode de scrutin majoritaire aux législatives, donnerait enfin à la France le système bipartisan auquel elle aspire, à l'imitation des Anglais. Ni le PS ni l'UMP ne sont devenus hégémoniques, et ils se divisent...

Les théoriciens du quinquennat soutenaient que si l'élection présidentielle précédait les législatives, il en résulterait le succès d'une majorité parlementaire favorable au président élu. En restent-ils convaincus aujourd'hui ?

Que des théories soient démenties par les faits n'est pas le plus grave dans l'immédiat. Les révisions constitutionnelles viendront plus tard. Dans la configuration politique actuelle, les grands problèmes qui dominent l'avenir politique de la France risquent d'être masqués. Quels seront les institutions, les frontières et le rôle de l'Europe dans le monde ? Comment retrouver un dynamisme adapté à la nouvelle situation économique de la France ? L'Europe entière est ouverte sur un monde asiatique de plus en plus compétitif. Nous devons supporter les coûts sociaux du vieillissement, d'une immigration non qualifiée et de la concurrence internationale. Comme notre croissance est faible, une politique sociale réformée et la hausse des revenus sont rendues difficiles.

A ces deux questions graves, il faudrait des réponses sérieuses et argumentées. Le risque est que l'entremêlement des divisions, les surenchères démagogiques, le poids des extrêmes, l'éparpillement des candidatures, ne rabaissent la politique à un théâtre où s'agitent des marionnettes inspirées par des conseillers en communication. Dans la course présidentielle américaine, tout compte et tous les coups (légaux) sont permis. Mais la dualité profondément installée et le pouvoir de la branche législative bien établi permettent d'offrir aux électeurs avec le choix d'un président une vue claire de son orientation politique.

Puisque nous avons un système présidentiel, demandons aux candidats d'avancer leurs arguments sans hypocrisie et d'expliquer clairement ce qu'ils proposent. On a vu à quoi a mené la fausse élection du second tour de 2002. Prenons garde que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets.

Jean-Claude Casanova pour "Le Monde"
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Alcys ♦ 23.09.05 | 17h04 ♦ Comme d'habitude le microcosme politicien barbotte dans l'eau sale pendant que l'appareil économique perd de sa substance. JCC décrit sans trop d'indignation le jeu médiocre de nos élites. Pourquoi faire le diagnostic si c'est pour ajouter à la maladie le malaise du medecin? Impuissance et Mollesse: JCC n'est même plus capable d'une quelconque révolte. Jour après jour , le pessimisme des complices résignés du Monde a pour but de nous guider,pas à pas, vers le libéralisme .
Fabrice B. ♦ 23.09.05 | 16h56 ♦ C'est etrange cette manie de voir le poste de premier ministre comme un tremplin vers la présidentiel alors que depuis Pompidou, quel premier ministre a été élu dans la foulée ? Et à part lui & Chirac qui a été premier ministre puis président ?
Roger D. ♦ 23.09.05 | 16h41 ♦ Et pourquoi ne pas revenir à des Grands Electeurs (les députés par exemple) élus à la proportionnelle par le peuple et donc représentatifs de toutes les opinions du pays, lesquels éliraient le président de la République pour deux quinquennats maximum. Ne serait-ce pas plus sain, plus clair, plus démocratique et cela ne diminuerait-il pas les risques de dérive démagogique et monarchique du pouvoir ?
Jean D. ♦ 23.09.05 | 16h37 ♦ Le pouvoir, le pouvoir, toujours le pouvoir. Mais il rend fou mon bon monsieur. Rares sont les politiques qui le recherche pour tout simplement servir leur pays. Pauvre France.
Paul G. ♦ 23.09.05 | 15h58 ♦ En 2002,sans la candidature de Mme Tobira,Jospin aurait été présent au 2nd tour.Pour éviter une nouvelle "mêlée confuse",il faudrait remplacer le parrainage multiple par un vote électronique collecté par le Conseil Constitutionnel:chaque Grand Electeur proposant un seul candidat.Le secret de ce vote serait levé 3 mois avant le scrutin.Seraient retenus comme valables par exemple les candidats recueillant 10% des parrainages ou bien les 5à6 placés en tête par les Grands Electeurs?
Cl. Courouve ♦ 23.09.05 | 15h04 ♦ "Mêlée confuse" Ah, le beau pléonasme ! Si j'ai bien compris, Jean Claude Casanova souhaiterait une mêlée claire et distincte, cartésienne en somme ... Que Chirac ait perdu les J. O. est loin d'être évident (Paris, Delanoe, la France, les qualités de Londres ont joué); l'erreur de 1997, les régionales de 2004, et le fait qu'il ait été mal réélu en 2002, sont plus pertinents pour 2007. Limiter à 2 quinquennats, voilà qui sera sage, quand politique et sagesse marcheront d'un même pas.


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Social-villepinisme

Le chef du gouvernement, qui s'était déjà fait le propagandiste du "patriotisme économique", invente aujourd'hui un "social-villepinisme" qui est le cousin du premier. M. de Villepin veut réunir les conditions d'un rassemblement et d'une mobilisation des forces vives de la nation pour que "nous ayons la volonté de gagner ensemble, chefs d'entreprise, collectivités, Etat et salariés".

La décision du groupe américain Hewlett-Packard, entreprise qui marche bien au point de réaliser des profits élevés, de réduire de 15% ses effectifs en Europe a provoqué une levée de boucliers en France. Le maire de Grenoble, le socialiste Michel Destot, est allé plaider sa cause en Californie. En vain. Jacques Chirac a saisi la Commission européenne. Evidemment en vain puisqu'elle ne peut rien faire. En désespoir de cause, M. de Villepin reprend donc une idée qui a cheminé de LO à la LCR puis au PCF, du PS ­ François Hollande a exprimé, jeudi, la même demande de remboursement des aides publiques ­ à l'UDF et enfin... à Matignon. Le social-villepinisme trouve ses sources d'inspiration à gauche.

L'injonction du premier ministre masque en fait l'impuissance de l'Etat à empêcher une multinationale de supprimer des emplois. En septembre 1999, Lionel Jospin, lui aussi adepte de "l'équilibre" cher à M. de Villepin, avait assuré, après l'annonce brutale par Michelin, entreprise française réalisant des bénéfices, de 7 500 suppressions d'emplois, que l'Etat ne peut pas tout. "Ce n'est pas par l'administration qu'on va réguler l'économie", avait lancé le premier ministre socialiste avant de faire voter une loi de modernisation sociale que la droite a suspendue en revenant au pouvoir en 2002...

En menaçant HP ­ car il y a encore loin de la parole aux actes ­, M. de Villepin affirme sa différence avec Nicolas Sarkozy. Quand le ministre de l'intérieur et président de l'UMP juge obsolète le modèle social français, M. de Villepin s'en fait l'avocat, revendiquant son interventionnisme ­ par opposition au "laisser faire" ­ et se situant même en défenseur de "l'intérêt général". Il n'est pas surprenant que le premier à se démarquer du chef du gouvernement soit l'ancien ministre François Fillon. Pour le nouveau sénateur de la Sarthe, proche de M. Sarkozy, "il faut faire attention de ne pas rendre de plus en plus inhospitalier le territoire français pour les investisseurs étrangers". Le social sera, à l'évidence, un enjeu de la bataille à droite.

Article paru dans l'édition du 24.09.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

emmanuel G. ♦ 23.09.05 | 17h54 ♦ Peut-on décemment reprocher au Premier ministre de vouloir faire la différence avec un ministre de l'intérieur aussi intellectuellement indigent que prolixe? Non, je ne le crois pas! Aussi, il me semble que M. de Villepin, tout critiquable soit-il, a vocation à s'interroger sur ce non-sens HP. Peut-il toutefois réconcilier justice sociale et capitalisme financier? J'en doute, de même que le cortège des tenants du Non au TCE n'y parviendrait pas plus, sauf à renouer avec un dirigisme dangereux.
champollion ♦ 23.09.05 | 17h51 ♦ Voilà une preuve que faire des cadeaux de ce genre ne mène à rien. Ce n'est qu'un dramatique constat de ce libéralisme sans jamais demander de contrepartie ou exercer un moyen de pression efficace à ces aides qui pourraient servir à autre chose...
Stéphane D. ♦ 23.09.05 | 17h05 ♦ Les classes moyennes Chinoises et Indiennes seront effectivement rapidement plus nombreuses et mieux éduquées que les Européennes. Vers 2015 à peu près, c'est à dire demain. L'entreprise et l'innovation développent les peuples rapidement, par opposition aux années d'étatisme et de communisme qui ont précédé. Il n'y a qu'en France qu'on retourne à l'étatisme pour justifier d'éviter de bosser.
Deathwind ♦ 23.09.05 | 16h59 ♦ L'Europe ne s'appauvrit pas, elle continue à s'enrichir. Ensuite le capitalisme profite à tous, à la fois aux Chinois et Indiens qui s'enrichissent et peuvent acheter des produits francais ce qui enrichit les Francais à leur tour. Le commerce profite à tous, ca n'est pas une machine à sens unique.
Deathwind ♦ 23.09.05 | 16h50 ♦ Les paroles de Villepin sont-elles de la gesticulation politique ? Oui sans aucun doute, il essaye de donner des gages de "social" pour contrebalancer d'autres actions plus "libérales". Au-dela de la forme, peut-on légitimement réclamer le retour de ces subventions ? Juridiquement ca semble douteux à moins que des clauses spécifiques aient été prévues. Economiquement l'Etat risque un effet boomerang car les entreprises risquent de ne plus être réceptives à ce genre d'incitations.
olivier S. ♦ 23.09.05 | 16h48 ♦ Personne n'est dupe dans cette histoire. (sauf nous, comme d'hab.) Evidemment les déclarations de De Villepin font chaud au coeur et ne changent rien à rien. C'est une meilleure méthode de communication que de ne rien dire du tout, ce qui ne donne même pas chaud au coeur. Après tout Villepin dans l'absolu a raison, l'idée est d'ailleurs partagée par toute la classe politique. Bonne occasion de l'ouvrir au contraire je dirais:-)
Nawak ♦ 23.09.05 | 16h39 ♦ On sabre les budgets de recherche, de l'enseignement, on privatise les bijoux de famille, on innove plus, on ne créé plus on fusionne, bref quel valeur aurons-nous à offrir dans quelques années, hormis une plateforme touristique pour classes moyennes indienne et chioinse... Il serait peut-être temps de réactiver la machine au lieu de subir tout ce qui se passe autour...
monrog ♦ 23.09.05 | 16h37 ♦ Puisque le Premier ministre en est à puiser dans l'arsenal de la LCR et de LO, on ne peut que lui conseiller d'aller plus loin et d'emprunter à M. Fabius son projet de supprimer la loi Fillon sur les retraites et d'augmenter leur montant.
Awerle ♦ 23.09.05 | 16h17 ♦ Il n'est sans doute pas utile de créer une nouveau mot en -isme,pour désigner une attitude de bon sens largement partagée parl'opinion publique. Incompréhensible qu'une entreprise faisant des milliards de bénéfices mette à la rue la main d'oeuvre hautement qualifiée à laquelle elle doit une part de son succès.Absurde ce totalitarisme financier obsédé par la maximisation des profits.N'y a-t-il pas risque de tuer ainsi l'innovation...etla poule aux oeufs d'or?
Beasty boy ♦ 23.09.05 | 16h15 ♦ Le Monde compare Villepin à Laguiller... Diantre ! Chirac, affaibli physiquement et par le référendum d'une part et admiratif de Fabius, d'autre part, serait-il aux basques de ce bon Besancenot ?!!! Que nenni ! La vérité, c'est qu'après l'édito friedmanien (de Milton Friedman) de JMC il y a quelques jours, Le Monde considère désormais toute politique non explicitement sarkozyste (car au fond, Sarkozy = Villepin) est de gauche. Ah, misère... Il faudra pourtant bien en sortir !
J-F ♦ 23.09.05 | 15h50 ♦ Quand Arlette ou LCR tiennent de tels propos aberrants, ils sont dans leur rôle car on sait qu'ils ne sont bon qu'à ça. Mais que le premier ministre et le président continuent de faire de la politique d'annonce, ça devient ridicule. Combien de raclées électorales doivent-ils se prendre pour se rendre compte que de telles fausses mesures sont inutiles et qu'au final elles sont même dangereuse puisqu'elles affichent ouvertement la nullité de la classe politique repoussant les gens vers les extrême
JMJ ♦ 23.09.05 | 15h48 ♦ Monsieur Chirac sait parfaitement que la commission européenne ne peut rien contre une décision de licenciement, Monsieur Villepin sait ou devrait savoir que le montant total des aides publiques reçues par HP est de l'ordre de 4 ou 5 millions d'euros alors que l'entreprise n'a pas hésité à acheter la paix sociale lors du précédent plan social pour 300 millions de dollars. Pitoyables gesticulations !
68Soul ♦ 23.09.05 | 15h28 ♦ L'Inde et la Chine comptent non seulement de nombreux ouvriers bon marché, mais aussi de plus en plus d'ingénieurs et informaticiens, hautement qualifiés... et bon marché... ce qui rendra la France "inhospitalière", quoiqu'il arrive, aux yeux d'actionnaires qui visent à accroître leurs dividendes au plus vite... mais si l'Europe va s'appauvrir, qui achètera la camelote? Les classes moyennes chinoises et indiennes? Laissez-moi rire... le capitalisme se mange la queue, au mépris des peuples...
LOUIS MARIE P. ♦ 23.09.05 | 14h13 ♦ Les propos de Monsieur de Villepin ne sont pas surprenants: ils se situent dans la droite ligne du bonapartisme, cette forme aussi autoritaire qu'inefficace de faire de la politique, avec laquelle une bonne partie de la droite n'a pas encore su rompre. Plutôt que de se livrer à de purs effets d'annonce, il vaudrait mieux réfléchir à la question de savoir si notre droit est en mesure de répondre efficacement à la situation.
jacklittle ♦ 23.09.05 | 14h13 ♦ Décidément Mr Dominique de VILLEPIN n'a aucune inquiétude à se faire pour son avenir,le monde politique d'abord,les électeurs ensuite,peuvent l'éjecter du devant de la scène politique et médiatique,sa reconversion est déjà trouvée: l'AFFICHAGE. Ses déclarations tous azimuts de l'affichage,ses "mesurettes" tant sociales que fiscales de l'affichage,ses envolées quasi-lyriques sur le patriotisme économique de l'affichage,ses autres envolées sur la FRANCE:colonnes MORRIS,non colonnes VILLEPIN.
Gregory ♦ 23.09.05 | 13h45 ♦ c´est un peu normal que M. de Villepin essaie d´affirmer sa difference avec M.Sarkozy sur le social, le non (quoiqu´on en dise) au referendum emane d´une peur sur le modele social francais et le neoliberalisme qui envahit peu a peu tous les cercles du pouvoir.
gérard B. ♦ 23.09.05 | 13h41 ♦ Vivons nous dans un Etat de droit? Un principe, posé par la DDHC (1789), en est la non rétroactivité.Soit les subventions ont été accordées inconditionnellement et le Premier Ministre, moins que quiconque, ne peut les reprendre, soit il y avait des conditions, et un service administratif compétent traitera le cas, sans que le PM n'ait à intervenir. Dans tous les cas, celui-ci a raté une occasion de se taire. Gageons que les investisseurs étrangers apprécient cette incertitude juridique.


Le Monde / International
Après le triomphe électoral de M. Koizumi, le Japon peine à se trouver une opposition

 L e triomphe du Parti libéral- démocrate (PLD) aux législatives du 11 septembre signifie-t-il que l'électorat a donné carte blanche au premier ministre Junichiro Koizumi ? Une fois passé l'effet de surprise, les commentateurs politiques analysent plus froidement la "déferlante" qui a donné une majorité absolue au PLD et une hégémonie des deux tiers à la coalition qu'il forme avec le parti centriste Komei.

La réforme de la Poste présentée à nouveau

Le Parti libéral-démocrate (PLD) a décidé, jeudi 22 septembre, de présenter à nouveau à la Diète (Parlement), sans modification majeure, la réforme postale emblématique du premier ministre Junichiro Koizumi. La commission ad hoc du parti a simplement changé quelques mots dans le projet de loi de privatisation de la Poste, dont le rejet par le Sénat avait conduit M. Koizumi à provoquer les élections anticipées du 11 septembre.

Il y a peu de doute que la réforme postale sera adoptée cette fois par la Diète, d'autant que M. Koizumi ­ plébiscité par les urnes ­ continue à bénéficier d'une popularité record selon les sondages d'opinion. Sa cote n'a cessé de croître depuis qu'il a décidé de dissoudre la Chambre des représentants le 8 août, entraînant un raz de marée électoral historique pour le parti dominant de la vie politique nippone à la Chambre des représentants (296 députés sur 480). ­ (AFP.)

Cette victoire, estiment-ils, reflète imparfaitement le sentiment du pays. Le système électoral (qui combine scrutin uninominal et représentation proportionnelle) a amplifié en effet la percée du PLD: celui-ci a obtenu 73% des sièges au scrutin majoritaire avec seulement 47% des suffrages. Le Parti démocrate (PD), principale formation d'opposition, a recueilli 36% des suffrages mais n'a que 17% des sièges.

Selon le politologue Norihiro Narita, la victoire du PLD est due aux voix d'une partie de l'électorat sans affiliation partisane qui, aimantée par le populisme de M. Koizumi, s'est rendue aux urnes (le taux de participation a augmenté de 7,7%) et a voté pour lui. "Les chances d'une alternance se sont évanouies mais cela ne signifie pas que le système en place soit solide" , commente-t-il.

Provoqué par le "phénomène Koizumi", le raz de marée libéral démocrate peut être suivi d'un reflux. Si M. Koizumi déçoit, l'électorat flottant peut l'abandonner aussi facilement qu'il l'a plébiscité, note le Tokyo Shimbun . La vieille "machine" de pouvoir clientéliste du PLD a été ébranlée, mais sa nouvelle base est versatile et le parti est plus vulnérable.

Ces élections ont certes marqué des évolutions. Avancée inattendue du PLD dans les zones urbaines (notamment à Tokyo); rajeunissement et relative féminisation du camp conservateur; nouveau rapport entre l'électeur et le candidat, moins perçu comme le défenseur d'intérêts locaux que comme le "porte-parole" du premier ministre.

Cette modernisation de l'échiquier politique comporte cependant des ombres. Grâce à l'imposante majorité détenue avec le parti Komei, le PLD peut régner en "maître" sur le Parlement. Même si la Chambre haute est récalcitrante, tous ses projets de loi seront adoptés en deuxième lecture par la Chambre basse. Réduire la première à être une chambre d'enregistrement "n'est pas sain" , estime le politologue Mitsuru Uchida. Une autre ombre est le laminage de l'opposition interne et externe au parti dominant.

Le premier ministre a étouffé le pluralisme au sein du PLD par l'éviction de ses opposants. Il s'est forgé, en revanche, une base de soutien avec ceux que la presse a baptisés ses "enfants" ­ 83 élus (sur 296) dont il a parrainé la candidature. Dans un premier temps, il est peu probable que quiconque au PLD ait le courage de s'opposer à M. Koizumi.

La victoire du PLD doit beaucoup au Komei, "bras séculier" de la secte bouddhique Soka gakkai (10 millions de foyers), en raison des alliances électorales au niveau local. Au cours des six années de coalition avec le PLD ­ en particulier sous les cabinets Koizumi ­, le Komei a "avalé des couleuvres" en soutenant une politique éloignée des valeurs de la secte mère (officiellement, les deux organisations sont distinctes).

Le pacifisme de la Soka gakkai a été malmené par l'envoi de troupes en Irak, et les visites de M. Koizumi au sanctuaire shinto Yasukuni ­ où sont honorés, parmi les morts pour la patrie, des criminels de guerre ­ ne sont pas pour plaire aux membres d'une organisation bouddhique dont le fondateur fut persécuté par le régime militariste. Embarrassée, la secte fait valoir que le Komei est un parti politique tenu à des compromis, mais qu'elle ne transige pas sur ses valeurs. Le Komei défendra-t-il celles-ci plus activement et prolongera-t-il son opportunisme au risque de lasser des fidèles ? Il a perdu trois sièges le 11 septembre.

L'opposition est, elle, affaiblie. Même avec un nouveau président à leur tête, les démocrates peineront à donner une colonne vertébrale à un parti formé de transfuges du camp conservateur et de sociaux-démocrates, qui s'est vu soustraire le réformisme dont il se voulait le tenant par le "théâtre Koizumi". La gauche traditionnelle, sociale-démocrate et communiste, laminée aux législatives de 2003, a conservé ses faibles forces (16 sièges). Dans la liste proportionnelle, elle représente près de 9% des électeurs.

HÉRITAGE HISTORIQUE

La gauche japonaise a été la victime de la fin de la guerre froide. De la défaite de 1945 à la décennie 1980, elle fut le contrepoids à l'origine du compromis social du Japon de l'expansion, contraignant le PLD à mener une politique de redistribution de la richesse. Alors deuxième force politique (25% des suffrages), le Parti socialiste (PS) connut son dernier grand moment à la fin des années 1980 sous la présidence de la charismatique Takako Doi. Mais l'arrivée au pouvoir en 1994 d'un premier ministre socialiste, Tomiichi Murayama, dans un gouvernement de coalition avec le PLD, lui porta un coup fatal. Afin de rompre avec un discours figé dans l'idéologie, le PS renia son héritage historique (contestation de la légitimité des forces d'autodéfense et de l'alliance américaine).

Déchiré, il se saborda en 1996 pour donner naissance à l'actuel Parti social-démocrate. Ses dissidents ont trouvé refuge au PD. Le Parti communiste qui, dans les années 1970, participa au mouvement eurocommuniste en se démarquant de Moscou et de Pékin, a conservé, lui, sa base militante et ses sympathies dans le monde intellectuel, mais il n'a pas su renouveler son image.

"L'hégémonie du PLD est paradoxalement une chance pour la gauche traditionnelle" , estime néanmoins Yasuo Ogata, directeur du bureau international du PC et membre de la Chambre haute: "Le PD n'est pas parvenu à se distinguer du PLD, et la gauche traditionnelle représente la seule voix d'opposition à l'orientation néolibérale du gouvernement." Minoritaire, la gauche traditionnelle véhicule un message cohérent et modéré mais peine à se faire entendre.

Philippe Pons
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Horizons
Enquête
Tali Fahima, une Israélienne trop curieuse
Tali Fahima, jeune juive israélienne de 29 ans, le 26 janvier, devant la Cour suprême de Jérusalem. | EYAL WARSHAVSKY/BAUBAU
EYAL WARSHAVSKY/BAUBAU
Tali Fahima, jeune juive israélienne de 29 ans, le 26 janvier, devant la Cour suprême de Jérusalem.

 L' image est toujours la même: encadrée par des policiers, une jeune femme pâle, les cheveux noirs sévèrement tirés sur la nuque, ébauche un sourire dans une salle de tribunal. Le regard est assuré, la silhouette fine, presque frêle, juvénile. De son passé de secrétaire dans un cabinet d'avocats, Tali Fahima a gardé le maintien strict et les lunettes à montures noire qui durcissent son visage anguleux. C'est cette image que les Israéliens ont découverte il y a un peu plus d'un an, lorsque cette jeune femme de 29 ans a été décrétée "danger pour l'Etat" .

Incarcérée le 10 août 2004, Tali a passé sept mois dans le plus total isolement, en détention administrative. Cette procédure d'exception, héritée du mandat britannique sur la Palestine avant 1948, permet d'emprisonner des années et sans procès toute personne supposée représenter un danger pour la sécurité nationale. Des milliers de Palestiniens et quelques activistes israéliens d'extrême droite ont connu et connaissent l'arbitraire du procédé. Mais c'est la première fois qu'une femme juive en est victime. Aujourd'hui en détention préventive – ­ depuis cinq mois –, Tali attend maintenant la suite de son procès, ouvert en juillet à Tel-Aviv. Les prochaines audiences ­ – à huis clos, comme les précédentes ­ – sont prévues fin octobre. Quelle qu'en soit l'issue, le cas Fahima n'a pas fini de soulever des interrogations sur l'état d'esprit actuel de la société israélienne.

A première vue, les faits reprochés à la jeune femme sont graves. Elle est accusée d'avoir participé à la préparation d'attentats, d'avoir "prêté assistance à l'ennemi en temps de guerre" et d'avoir illégalement porté une arme. L'intéressée récuse catégoriquement chacune des charges. Elle admet seulement s'être rendue plusieurs fois à Jénine, en Cisjordanie occupée, entre septembre 2003 et août 2004. Son intention, jure-t-elle, était de venir en aide aux enfants du camp de réfugiés local, particulièrement éprouvé durant ces années d'Intifada. Une démarche rare, totalement incompréhensible pour l'immense majorité de la société israélienne. Pour les institutions militaires et sécuritaires, c'est une trahison. Car, inconscience ou naïveté, Tali Fahima n'a pas fait les choses à moitié.

Sachant que son projet "humanitaire" était voué à l'échec sans le feu vert et le soutien des activistes palestiniens – ­ les véritables maîtres du camp ­–, elle s'est adressée au premier d'entre eux, un nommé Zacharia Zubeidi. Chef local des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, un groupuscule armé qui a revendiqué plusieurs attentats-suicides en Israël, le jeune Zubeidi était présenté comme l'un des "terroristes" les plus recherchés par Israël. Juliano Mer Khamis, un cinéaste israélien engagé, connaît le Palestinien de longue date. Dans les années 1990, sa propre mère, Arna Mer Khamis, avait fondé un théâtre pour enfants à Jénine, et Zacharia Zubeidi, alors adolescent, avait participé au projet. Juliano avait tiré de cette expérience un poignant documentaire en 2003.

"Zacharia m'a demandé ce que je pensais de cette dénommée Tali , se souvient le cinéaste. Je lui ai dit qu'elle avait les mêmes intentions que ma mère, mais je lui ai recommandé d'être prudent." Après tout, inconnue des mouvements de gauche et pacifistes israéliens, Tali, l'oiseau solitaire, pouvait très bien être télécommandée par le Shin Beth, le puissant service israélien de la sécurité intérieure.

En quelques visites à Jénine, la jeune femme gagne la confiance des Palestiniens. Elle s'efforce de lever des fonds pour acheter livres et ordinateurs pour les enfants réfugiés. "Elle était pleine de bonnes intentions" , assure Joseph Algazy, un ancien journaliste qui, à l'instar d'une partie de l'extrême gauche israélienne, soutient Tali face aux autorités. "En 2003, une équipe de la télévision israélienne l'a même suivie à Jénine, souligne-t-il. Vous pensez qu'elle aurait médiatisé ses petites affaires si tout cela n'avait pas été "kasher" ?" Dans le reportage en question, Tali, tout sourire, arpente les rues du camp au côté de Zacharia, lourdement armé, comme à son habitude. Image forte, image insoutenable pour une opinion publique meurtrie et révoltée par les attentats. D'autant que la jeune Israélienne ne s'en tient pas là ! Quelque temps après, alors que les lieutenants de l'activiste palestinien sont éliminés les uns après les autres par l'armée, elle se déclare prête à lui servir de "bouclier humain". Romantisme ou provocation ? Ce comportement met définitivement Tali Fahima en marge de la société dont elle est issue.

"Tu as parlé avec des Arabes, ta place est en prison, telle est la sentence d'Israël" , résume Sarah Lakhyani, sa mère. Un an que cette petite dame vive clame l'innocence de sa fille. "Après son arrestation, le Shin Beth l'a présentée de la manière la plus laide qui soit." Ancienne ouvrière textile, au chômage depuis des mois, Sarah s'énerve: "Ils ont laissé entendre qu'elle avait une histoire d'amour avec un Palestinien, et même qu'elle était enceinte de lui. Comme si cela ne suffisait pas, ils ont choisi 'le pire', ce Zacharia Zubeidi. Mais à Jénine, tout le monde le sait, elle passait son temps avec les femmes et les enfants !"

Juliano Mer Khamis, le cinéaste engagé, est tout aussi révolté. "On aura tout entendu sur Tali, elle a été démonisée, accusée d'avoir trahi 'la tribu' [le peuple juif], d'être une pute pour Arabes. A son époque, ma mère aussi a été insultée sur ce mode-là." Pour Joseph Algazy, "le fait que Tali soit une femme, séfarade, d'origine modeste et, par tradition familiale, marquée à droite a certainement aggravé son cas". A mille lieues des groupes gauchistes bien connus des "services", Tali a effectivement engagé un combat solitaire, atypique, propre à affoler les services de renseignement. "Si elle l'a fait, pourquoi des milliers de gens ne décideraient pas, demain, d'aller voir de près la réalité de l'occupation dans les territoires ?", interroge Lin Chalozin-Dovrat, responsable d'une organisation pacifiste qui soutient Tali. "Pour éviter cela, la justice va faire un exemple. L'Etat est toujours prêt à accepter quelques manifestations propalestiniennes pour montrer combien il est démocratique. Mais, en dialoguant avec un 'terroriste', Tali a franchi une ligne rouge." Juliano estime même que la jeune femme "est devenue le cauchemar du régime sioniste" . La mère est d'accord: " Tali n'a jamais eu peur de personne. C'est l'Etat qui a peur d'elle aujourd'hui."

Reste que le "courage" et "l'entêtement" ne suffisent pas à expliquer comment et pourquoi une jeune employée de bureau, issue d'un milieu modeste, élevée dans une ville déshéritée et conservatrice – ­ Kiriat Gat, dans le sud du pays ­–, a pu s'engager dans pareille rupture. Elle a bravé les barrages militaires pour se rendre en territoire palestinien – ­ parfois déguisée en Palestinienne –, elle affronte la justice de son pays et prend à présent le risque d'écoper d'une lourde peine de prison. Sacré parcours !

Peu connue de ses "nouveaux amis" de la gauche pacifiste, rejetée par ses anciennes relations, Tali Fahima reste une sorte d'énigme. "J'ai voté Likoud toute ma vie. J'ai été éduquée dans la haine et la peur des Arabes. Je pensais que l'occupation était juste. Mais, lorsque j'ai découvert que ma liberté était assurée aux dépens de celle des Palestiniens, notamment ceux de Jénine, je n'ai pas pu l'accepter", expliquera-t-elle à la presse avant son arrestation. Sarah elle-même ne paraît pas avoir mesuré l'étendue du cheminement politique et intellectuel de sa fille. "Dans la famille, on votait Likoud par habitude, parce que cela permettait parfois de trouver du travail. Rien de ce qui relevait des Arabes ne nous intéressait. A l'époque où ils travaillaient dans mon usine de confection [avant la seconde Intifada], je connaissais des Palestiniens, très polis, très gentils. Mais, si vous m'aviez demandé ce que je pensais de l'occupation, je n'aurais pas su quoi répondre. Ma seule politique, c'était l'éducation de mes trois filles."

Tali a découvert les discriminations envers "les Arabes" en 2002, dans le cabinet d'avocats de Tel-Aviv où elle a travaillé jusqu'à la médiatisation de son curieux itinéraire. L'idéalisme, une grande curiosité et la certitude d'être dans le bon droit plongent la secrétaire dans l'étrange situation qui est la sienne aujourd'hui. Paradoxalement, sa prise de conscience s'est manifestée au plus fort de l'Intifada. "Elle a voulu comprendre ce qui poussait des jeunes Palestiniens à se faire exploser dans les bus et dans les restaurants israéliens" , avance encore sa mère. Pour aller au-delà des explications partiales délivrées par les télévisions israéliennes, Tali achète alors tous les journaux, navigue sur Internet, y rencontre des internautes arabes, avec qui elle mènera de longues conversations en anglais. Ces communications déclenchent les soupçons du service de sécurité intérieure, qui l'interroge sur ce subit intérêt.

Son envie d'aller voir "de l'autre côté" ne faiblit pas. Elle met le cap sur Jénine. Arrêtée une première fois, elle est relâchée après quelques jours, sans explication. "Le Shin Beth a tenté de la recruter", affirme Sarah. "Elle a refusé, ça les a rendus fous, ajoute Juliano . A aucun moment Tali n'a réalisé qu'elle constituait un danger pour le système. Elle pensait naïvement qu'en temps que juive, elle serait protégée." Erreur.

Sa famille elle-même ne sera pas épargnée. Face à l'hostilité ambiante, Sarah, la mère, a dû quitter son appartement. Six de ses sept frères et soeurs ne lui parlent plus. "Dans cette affaire, j'ai perdu toute ma vie d'avant", résume-t-elle simplement. Sa nouvelle vie est tout entière consacrée à Tali. Zacharia Zubeidi lui téléphone régulièrement pour avoir des nouvelles. En novembre, la petite femme énergique ira en Europe pour faire connaître le "cas Fahima". Elle voyagera avec une mère palestinienne dont le fils est en détention administrative. D'origine algérienne et détentrice de la nationalité française, Sarah envisage de demander un passeport français pour sa fille.

Sur le procès proprement dit, Smadar Ben Natan, l'avocate de Tali, ne cache pas son inquiétude. "Si les juges s'en tenaient aux éléments objectifs, je serais optimiste, le dossier est vide. Mais ils vont prendre en compte des considérations sécuritaires et la pression de l'opinion publique. C'est ce qui me rend pessimiste." La défenseure, qui considère sa cliente comme "une prisonnière politique" , estime qu'Israël "est aujourd'hui un pays qui met ses opposants en prison". Il y a plusieurs mois, le ministre de la justice d'alors, Joseph Lapid, ne s'était pas gêné pour rendre publiquement son verdict avant le procès: "Cette femme mérite pleinement de rester en prison..."

L'élément le plus tangible de l'accusation repose sur un "document militaire secret" que Tali aurait "traduit" pour ses amis palestiniens. Sauf que Zacharia Zubeidi parle hébreu et que les feuillets en question, perdus par des soldats israéliens dans le camp de Jénine, ne donnaient que quelques éléments biographiques sur des Palestiniens recherchés et contenaient des photos aériennes... du camp lui-même.

"Cette affaire restera marquée par la désinformation et le mensonge" , accuse Joseph Algazy. La dernière rumeur ? Une chaîne de télévision israélienne affirme que Tali Fahima recevait 300 shekels par mois de l'Autorité palestinienne pour sa cantine ­ – 55 euros. "Personne ne m'a appelée pour vérifier, assure Smadar Ben Natan. Et quand bien même cela serait avéré, où est le problème ? L'Autorité palestinienne n'est pas une organisation terroriste, que je sache !" Pour les habitants du camp de Jénine, en tout cas, Tali est déjà la plus palestinienne des Israéliennes. Zacharia Zubeidi a demandé qu'en cas d'accord entre Israël et l'Autorité sur la libération de détenus palestiniens, la jeune femme en fasse partie. Aujourd'hui, "le portrait de Tali est placardé sur les murs du camp" , affirme Juliano. Au même titre que ceux des "martyrs" palestiniens.

Stéphanie Le Bars
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Entreprises
Le G7 lance un appel aux groupes pétroliers

 L es pays du G7 ont lancé un appel pressant aux groupes pétroliers et pays producteurs pour qu'ils réinvestissent les bénéfices énormes qu'ils engrangent dans de nouvelles capacités de raffinage et d'extraction afin de calmer la flambée des prix du brut. Cela a été le sujet principal des discussions et des préoccupations des grands argentiers des sept pays les plus riches du monde réunis à Washington vendredi 23 .

Les prix du brut ont doublé depuis le début 2004 et avec eux les craintes pour la croissance mondiale, la confiance des ménages - que la hausse des prix de l'essence prive d'une partie de leur pouvoir d'achat - et les entreprises qui voient leurs coûts augmenter. "Des investissements importants sont nécessaires dans l'exploration, la production, les infrastructures d'énergie et les capacités de raffinerie", a insisté le G7 (Allemagne, Japon, France, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Italie, Canada) dans son communiqué final.

Cette parade permettrait selon le forum de répondre non seulement à l'appétit vorace des automobilistes américains, mais aussi à celui de pays émergents comme la Chine, l'Inde ou encore le Brésil, qui ont un besoin énorme d'énergie pour se développer.

100 MILLIARDS DE DOLLARS DE BÉNÉFICES

Qui doit payer pour développer ces infrastructures ? Ceux qui engrangent les dividendes de la hausse des prix. Que ce soit les pays producteurs ou les groupes pétroliers qui affichent des bénéfices record trimestre après trimestre. Sur les six premiers mois de 2005, les bénéfices du premier groupe pétrolier du monde, l'Américain Exxonmobil ont atteint le chiffre record de 15,5 milliards de dollars. Au total, des analystes estiment que les 5 plus principaux groupes pétroliers mondiaux feront plus de 100 milliards de dollars de bénéfices cette année.

"Le montant des investissements dans les pays membres de l'OPEP (le cartel des pays producteurs, ndlr) est deux à trois fois inférieur à celui de pays comme le Canada ou les Etats-Unis", a affirmé Xavier Musca le directeur français du Trésor, lors d'une conférence de presse. "On voit bien que ces pays accumulent des excédents dont ils pourraient réinvestir une partie dans l'exploitation et la production", a-t-il ajouté.

Il a aussi souligné le problème du raffinage. Aux Etats-Unis aucune raffinerie n'a été construite depuis 1976. Les groupes pétroliers ont souffert pendant des années de marges bénéficiaires très faibles ne permettant pas les très lourds investissements que nécessite un tel outil industriel. Le cyclone Katrina a révélé toute la fragilité de l'infrastructure, qui tourne à pleine capacité ou presque. L'interruption d'une partie de la production démultiplie les conséquences.

Delta Air Lines, la troisième compagnie aérienne des Etats-Unis, ployant sous le poids du prix du kérosène est en faillite et va licencier jusqu'à 9 000 personnes. En France, les camionneurs se sentent étranglés et manifestent bruyamment. Le cartel des pays producteurs comprend bien que ce boom a aussi un revers en incitant les consommateurs à développer des sources d'énergie alternatives.Le G7 a d'ailleurs consacré une partie de son communiqué au sujet.

Le 21 septembre, sentant peut-être le vent du boulet du G7, les pays membres de l'OPEP ont dévoilé à Vienne un projet d'investissement massif dans la construction de nouvelles raffineries, aussi bien chez eux qu'à l'extérieur, en Chine notamment. "Chaque pays membre construit de nouvelles raffineries. Nous faisons beaucoup dans le secteur du raffinage (...), bien plus que notre seul devoir qui concerne la production", avait alors déclaré le président du cartel, le Koweïtien cheikh Ahmad al-Fahd al-Sabah.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 24.09.05 | 10h52


Le Monde / Société
Les secrets de l'élection de Benoît XVI révélés par un cardinal trop bavard

 L es lendemains de conclave à Rome bruissent toujours de rumeurs et de semi-confidences. Pour la première fois, un cardinal-électeur, sous couvert d'anonymat, a violé le serment qu'il avait fait, à la Chapelle sixtine, de respecter le secret sur le déroulement du conclave des 18-19 avril. Il a livré à Limes, une revue italienne de géopolitique, son carnet de bord, qu'elle devrait publier dans son intégralité. Mais déjà la presse italienne s'est emparée des résultats du vote. Une aubaine pour les vaticanistes.

On savait que l'élection du cardinal Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, avait été aisée puisque obtenue au quatrième tour de scrutin. Mais, jusqu'à ces révélations, on ignorait qu'il avait eu un sérieux challenger. Celui-ci ne fut pas, comme il avait été dit, Carlo-Maria Martini, ancien archevêque de Milan, chef de file des progressistes modérés, assez vite hors course en raison de son âge et de sa maladie de Parkinson, mais un cardinal argentin, Jorge-Mario Bergoglio, 68 ans, archevêque de Buenos Aires et jésuite comme Martini.

Bergoglio n'était pas un inconnu. Il faisait partie des papabili latino-américains, mais personne n'imaginait que cet homme ­ engagé dans le combat contre la pauvreté mais hostile à la théologie de la libération ­ avait représenté, sinon une menace, une alternative au choix conservateur du cardinal Ratzinger.

"DIEU, ÉPARGNEZ-MOI CELA !"

Le nombre des cardinaux-électeurs était de 115 et, pour devenir le 264e successeur de Saint-Pierre, le candidat devait atteindre 77 suffrages, soit une majorité des deux tiers. Dès le premier tour de scrutin, lundi 18 avril, Joseph Ratzinger prend le large avec 47 voix. Mais la surprise est que, dans le camp réformateur, Bergoglio (10 voix) dépasse Martini (9).

Au deuxième tour, le mardi matin, les deux premiers se détachent: Ratzinger avec 65 voix et Bergoglio qui bondit à 35. Martini disparaît de la course. Au troisième tour, le cardinal allemand atteint 72 voix, mais la minorité fait bloc sur le nom de Bergoglio, dont les suffrages montent à 40.

Le moment est crucial. Toute l'histoire des conclaves témoigne de renversements de situation au détriment d'un candidat presque élu. "L'inquiétude gagne les cardinaux partisans de Mgr Ratzinger", note alors dans son carnet le cardinal trop bavard.

C'est au quatrième tour, mardi soir, que les jeux se font. Le score de Jorge Mario Bergoglio chute à 26 voix, alors que Joseph Ratzinger est élu avec 84 voix.

Le cardinal qui a brisé le secret du conclave a une interprétation de l'événement plus sujette à caution que ses chiffres. Il écrit: "J'observe [Bergoglio] en train de mettre son bulletin dans l'urne. Son visage est empreint de souffrance, comme s'il suppliait: Dieu, épargnez-moi cela !" Bergoglio se serait montré si effrayé par la perspective de devenir pape que ses soutiens se seraient effondrés.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Un livre, un divan et un débat, par Pierre-Henri Castel

 L e Livre noir de la psychanalyse ? Un déchaînement d'invectives et d'accusations grotesques, enchâssées dans des études érudites anciennes, encore une fois recyclées, que ponctuent, enfin, des invitations au "dialogue" tantôt patelines, tantôt sarcastiques. Puisque tout est fait, là, pour discréditer, a priori comme imbécile ou escroc, le malheureux qui s'y engagerait. Je me réjouis, en revanche, d'observer dans les réactions de nombreux lecteurs qui découvrent ce qui fait, depuis quinze ans, mon ordinaire d'historien de la médecine mentale, de philosophe et de psychanalyste, une perplexité qui vire à la méfiance devant un pareil flot de haine ­ sentiment assumé par plusieurs contributeurs, et qui sert de glu pour faire un "tout" d'alliances de circonstances et de thèses contradictoires.

Que doit être la psychanalyse pour susciter de telles réactions ?, se demandent quelques-uns, un brin critiques. Ne dirait-elle pas, du coup, quelque chose qui gêne ? Un autre facteur s'y conjugue, qui inciterait certains lecteurs (pas tous) à regarder d'un meilleur oeil la psychanalyse à cause des outrances du Livre noir.

Car, contrairement aux affirmations de nos sociologues amateurs, la fréquentation du divan n'est plus, depuis longtemps, l'effet de la fascination culturelle (sauf chez les étudiants en psychologie). Elle résulte du bouche-à-oreille entre gens qui en ont profité, et de longs parcours antérieurs qui incluent désormais aussi les thérapies cognitivo-comportementales, parfois des hospitalisations, souvent des psychotropes, mais qui ne leur ont pas apporté satisfaction. L'idée, juste, qu'une psychanalyse est plus longue, plus coûteuse, mais aussi plus "profonde" (quelque sens que l'on donne à ce terme) que ce que les patients ont déjà essayé n'est donc pas près de se dissoudre sous les crachats de ceux qui ont décidé de se poser en concurrents sur le grand marché émergent de la santé mentale.

Or il est vrai qu'une cure apprend à regarder ses symptômes d'une façon différente, ce qui paraît, aux yeux de nos auteurs, le comble de l'imposture. La rage impuissante qui s'étale dans ce livre m'a donc bien fait rire. Quoi ! On a beau répéter que les gens sont victimes de la suggestion, complices d'une ineptie scientifique, aux effets parfois mortels, et ils s'allongent encore ? On n'a sûrement pas aboyé assez fort...

Quatre remarques. Le Livre noir , qui vante à chaque pas les mérites de la science et de la positivité, se fabrique une psychanalyse imaginaire. Il est cocasse de voir tel auteur se lamenter du prestige scandaleux et de l'empire diabolique des freudiens sur le monde pour, quelques pages plus loin, découvrir, chez tel autre, l'ampleur de son recul partout où on le mesure. J'y vois un règlement de comptes, remâchant les humiliations subies par les non-freudiens des années 1970, qui trouve, trente ans trop tard, son conduit culturel d'évacuation.

Car, affaire d'âge, je n'ai jamais même pu adhérer au mythe de Freud modèle d'honnêteté scientifique désintéressée (Freud, je le préfère de loin en "conquistador", c'est son mot !). Et qui, de ma génération, verrait autre chose dans ses procédés douteux qu'une question personnelle, à lui adressée, sur les effets des relations dans lesquelles il s'engage avec ses patients ? C'est d'autant plus ­ je le dis simplement ­ une raison pour que l'analyste soit analysé.

La contradiction mutuelle de ces attaques rend toute réponse globale impossible (c'est pourquoi seule la haine les rassemble). Il est loufoque de défendre les thérapies cognitivo-comportementales en compagnie de Mikkel Borch-Jacobsen: ses "réfutations" de Freud, transposées aux preuves de l'efficacité des thérapies cognitives et comportementales (TCC), auraient un effet dévastateur. Livre en main, que chacun s'amuse à appliquer sa critique des témoignages des patients de Freud... à ceux du psychiatre Jean Cottraux. Et j'en passe.

Ensuite, les conditions du débat n'existent pas, pour une raison logique. Popper avait caractérisé avec humour l'arme absolue des freudiens contre la critique: si vous êtes en désaccord (avec Freud ou avec l'interprétation d'un analyste), c'est que vous "résistez" , et c'est l'indice d'un "refoulement" .

Ainsi, quoi que vous fassiez, vous restez dans le schéma freudien. Pire: vos résistances le confirment. On a désormais le symétrique inverse de l'idée de Popper. Etant désormais "acquis" que la psychanalyse est une imposture, contester cette prémisse prouve soit votre bêtise, soit votre incapacité symptomatique à renoncer à vos croyances. Tout contre-argument confirme votre mauvaise foi. Et l'idée même d'en débattre suscite commisération souriante ou soupçon de fraude. Le Livre noir empile les exemples de ce sophisme retourné: tout serait suggestion, ou conditionnement (on ne croit à l'oedipe que parce que le psychanalyste vous en parle et que la culture ambiante, c'est sûr, en consolide l'autorité). Hélas, il n'y a aucun critère qui permette de s'assurer qu'on n'est pas suggestionné, ou conditionné, en un sens si général. Par exemple, cher lecteur, ce que tu lis en ce moment n'est pas un argument, c'est une suggestion insidieuse, un essai de te conditionner !

Comment prouver que ce n'est pas le cas ? Si tu es d'accord avec moi, c'est par complaisance ­ tandis que si tu approuves Le Livre noir , tu as recouvré la raison, tu as guéri de la psychanalyse. Je soupçonne d'ailleurs que ce futile jeu de miroirs, auquel se cramponnent, ici, tant d'auteurs, trahit leur fascination blessée pour ce qu'ils n'ont jamais pu dépasser, et qui les ronge. Voyez mon sans-gêne...

Enfin, je m'inquiète de l'escroquerie qui consiste à ne jamais mentionner les réponses et contre-objections apportées, de longue date, à certaines imputations anti-freudiennes. Que veut-on faire croire ? Que nul n'a jamais été capable de les fournir ? C'est absolument faux, et d'autant plus choquant qu'on se drape dans la toge de la rationalité épistémologique ou de la critique des sources. Mais l'idée qu'il pourrait y avoir même un commencement de raison dans la psychanalyse est insupportable: Dieu sait où ce commencement nous entraînerait ! Voilons donc cet embarras d'un silence épais.

La psychanalyse, par conséquent, est bien encore à l'honneur: il est drôle de voir les contributeurs tenter, chacun, de la coincer dans ses catégories et lui reprocher de ne pas avoir la décence de s'y loger. C'est de la science (fausse), ou de la philosophie (sans effet médical objectif), ou de la religion (sans Dieu), ou de la littérature (détestable), mais jamais la psychanalyse n'est... la psychanalyse. Pour quelqu'un qui s'y est intéressé justement pour cette raison, l'ironie est parfaite.

Pierre-Henri Castel est psychanalyste et membre de l'Association lacanienne internationale.
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Opinions
chronique du médiateur
Les mauvaises herbes, par Robert Solé

 S on premier courriel a été envoyé le 24 août, en plein été. "Chers amis du Monde , voici quelques approximations pêchées dans le journal ces derniers jours..." Suivait un relevé de phrases mal écrites, alourdies de mots inutiles ou employés de travers: "assigner" au lieu d'"affecter", "à la lisière" au lieu d'"à la frontière" ... Alain Mayor, lecteur d'Asnières (Hauts-de-Seine), concluait: "J'arrête pour aujourd'hui et retourne à ma vie normale." Ce n'était pas un adieu, mais un au revoir.

Ayant accusé réception de cette petite pêche, j'ai eu droit par la suite à plusieurs casiers remplis de poissons. "Ce sont souvent les mêmes, m'écrivait M. Mayor, parce que chaque lecteur a ses dadas. Ces fautes sont comme des bougies d'anniversaire truquées: vous soufflez, et elles se rallument aussitôt." En d'autres termes, vous avez beau les signaler, les dénoncer, elles reviennent immanquablement sous la plume de certains journalistes.

De guerre lasse, Alain Mayor a fini par rendre son tablier. "Je vais arrêter mon petit travail de traque dans Le Monde (ce qui ne veut pas dire arrêter de le lire !), précisait-il le 18 septembre. Dois-je penser que mes remarques, et celles d'autres psychopathes de mon espèce, ne sont jamais discutées en conférence de rédaction ? Qu'aucun mot n'est affiché dans l'ascenseur ou à la cafétéria du journal pour signaler ces petits travers permanents ?"

Il ne faut pas prendre Alain Mayor pour un obsédé de la langue française, ni pour un oisif qui passerait ses journées à pêcher dans l'encre du Monde . Ce directeur de productions cinématographiques n'a le temps de lire le journal que trois ou quatre fois par semaine. Mais, comme d'autres butent inévitablement sur les anglicismes ou les participes mal accordés, lui, il rencontre toujours les mêmes fautes.

Par exemple, l'emploi de la préposition "sur" à propos d'une ville. Le Monde nous indique que "sur Paris, il y a dix-sept universités" , que des manuscrits ont été "rapatriés sur Pékin" ou qu'un agriculteur produit des pêches et des salades "sur la commune de Toulouges, près de Perpignan" . Pourquoi cet horrible "sur"  ? Faudra-t-il le dénoncer par affichette... "sur " la cafétéria ?

L'un des autres sujets de souffrance de M. Mayor est le verbe "rentrer" , employé inlassablement à la place d'"entrer" . Cette incorrection grammaticale peut affecter le sens d'une phrase. Selon Le Monde du 10 septembre, Ioulia Timochenko, ex-première ministre d'Ukraine, "a annoncé qu'elle rentrait dans l'opposition" . Question de notre lecteur: "Ioulia est-elle "entrée" dans l'opposition, ce qui signifie qu'elle n'y était pas, ou "rentrée", ce qui signifie qu'elle y retourne ?"

Un "r" de trop, une lettre superflue... Le Petit Robert nous donne cette définition de la redondance: "Augmentation du nombre des caractères dans un message sans accroissement corrélatif de la quantité d'informations."

Mais il y a d'autres moyens, plus redoutables, de manger de l'espace dans un journal: les mots inutiles. M. Mayor en a plein ses filets. Découvrant dans Le Monde une somme de "plus de 500 000 euros environ" , il se dit qu'on pousse un peu loin la précision. Apprenant que le coût d'un traitement médical "est, en moyenne, de l'ordre d'une centaine d'euros" , il commente: "Et encore, c'est relativement à peu près approximativement estimé !"

Le Monde du 1er septembre n'était pas obligé de faire dire au gouverneur de la Louisiane: "Avant cela, nous devons d'abord amener suffisamment de nourriture..." De quoi énerver deux fois notre lecteur: "d'abord" était superflu; le journal confondait comme d'habitude "amener" et "apporter" .

Quand M. Mayor apprend que "les attentats du 11 septembre étaient intervenus dans un contexte de crise du marché de l'assurance en crise" (14 septembre), il se dit qu'effectivement ça va mal dans l'assurance ! Quand il lit "des policiers déguisés en faux touristes" , il se demande si des policiers déguisés en (vrais) touristes seraient moins efficaces. Devant des "photos de suspects potentiels" , il s'interroge: "Un suspect étant déjà un coupable potentiel, s'agirait-il de coupables potentiels potentiels ?"

M. Mayor s'étonne de lire dans Le Monde qu'une personne a été "très grièvement blessée" , alors que "grièvement" signifie déjà très gravement. Cela se discute. Un pléonasme n'est pas toujours une faute: il vise parfois à renforcer le sens. Notre vigilant lecteur ne prétend d'ailleurs pas à l'infaillibilité. "Bien évidemment, m'écrivait-il, je ne suis ni Littré ni Grevisse, je peux moi aussi me tromper."

Pourquoi "moi aussi"  ? N'aurait-il pas dû écrire: "Je peux aussi me tromper"  ? Cela également se discute...

La traque aux mots superflus ne devrait pas être l'affaire des lecteurs, mais des journalistes. Que d'adjectifs, d'adverbes ou d'incises inutiles ! Que de formulations compliquées ! A propos d'une émission de télévision, Le Monde daté 24-25 juillet parlait d'"un secret de guerre étouffé pendant depuis presque soixante ans" . Deux ou trois prépositions ou adverbes supplémentaires auraient sans doute rendu l'information plus précise...

Tout cela peut paraître anecdotique. Il y a plus grave: les phrases alambiquées, avec des subordonnées en cascade, qui rendent les articles incompréhensibles. Vous nous faites perdre notre temps ! écrit en substance un lecteur de Draguignan (Var), P. A. Ponomareff. "Les défaillances d'écriture sont de plus en plus fréquentes. Les constructions défectueuses font douter de la signification du texte et obligent à le relire par deux fois pour s'assurer que l'on ne fait pas de contresens."

A la fin de l'année dernière, un lecteur de Bruxelles, Elie Vamos, nous avait reproché un extrait d'article, qu'il ne serait pas charitable de reproduire ici, avec le commentaire suivant: "Je suis peut-être stupide, mais j'ai dû relire cette phrase trois ou quatre fois et à des moments différents pour enfin croire que je l'ai comprise. Vos collaborateurs ne pourraient-ils pas se relire et s'efforcer à une écriture plus limpide (cf. Bossuet) ?"

Il ne s'agit pas d'arriver à des textes exsangues, incolores et sans saveur, qui seraient tous sur le même modèle. Concision et simplicité ne sont pas synonymes de pauvreté. Elles exigent souvent plus de travail que l'enflure et le délayage. Ce travail n'a rien de frustrant, au contraire. Supprimer, dans un article, tout ce qui l'obscurcit ou l'alourdit est un plaisir qui s'apparente au jardinage.

Il ne me reste plus qu'à relire cette chronique, encore une fois, pour l'alléger, la rendre plus directe, plus claire... Avec le même bonheur et la même gourmandise que la collecte d'informations. Sachant que des articles d'actualité, écrits à chaud, dans la fièvre du bouclage, ne peuvent pas toujours bénéficier de tels soins.

Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Opinions
Chronique de l'économie
Une réforme peut être eurocompatible et socialement équitable: démonstration

 Q uand ils ont commencé à y travailler, il y a un an, ils n'y croyaient pas. Vouloir réformer le système fiscal français pour faire face à la compétition européenne montante, sans que personne y perde et sans que l'Etat réduise ses recettes: Christian Saint-Etienne, professeur d'économie à Tours, et Jacques Le Cacheux, directeur des études à l'OFCE, haussaient les épaules. Le rapport qu'ils s'étaient engagés à rédiger pour le compte du Conseil d'analyse économique (CAE) auprès du premier ministre s'annonçait comme la quadrature du cercle. Impossible. Une réforme fiscale oblige forcément à choisir. Il faut bien déshabiller Paul pour habiller Jacques. On ne peut donner à tous, aux pauvres, aux riches et à l'Etat.

Pendant l'été, les auteurs ont demandé au ministère des finances de calculer le taux global, tout compris, des impôts en France; moulinage informatique que les experts de Bercy n'avaient jamais opéré. Ajoutez les recettes de la CSG, les impôts sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, etc., divisez par l'addition des revenus, des bénéfices, etc. et répondez à la question simple: combien prend l'Etat sur l'ensemble de la richesse créée ? "On pensait obtenir 20-25%, explique Christian Saint-Etienne. On a trouvé 12%, hors cotisations sociales ".

TAUX INTRINSÈQUE

C'est une immense bonne surprise. L'Etat, finalement, contrairement au sentiment général, ne taxe qu'à hauteur de 12% ! C'est beaucoup moins que les contribuables le pensent, mais aussi moins que ne l'estimaient, jusqu'ici au jugé, les experts en fiscalité. Et si l'on ajoute la TVA dans cet ensemble d'impôts, le taux, dit "taux intrinsèque", tombe à 10,5%.

Ce résultat ouvre grandes les portes du possible. Car ce 12% "donne des marges de manoeuvre énormes pour faire ce que nous voulions faire, une réforme efficace mais équitable", poursuit Saint-Etienne. Et ce 12%, c'est, en plus, justement, le niveau vers lequel convergent en Europe les taux d'imposition des sociétés et les taux d'imposition de l'épargne. Si nous, Français, sommes déjà à 12%, point n'est besoin de baisser ! Nous pouvons être compétitifs sans nous engager dans une grande baisse générale des impôts et des taxes.

UN GRUYÈRE

C'est tout l'intérêt de ce rapport du CAE de faire la démonstration que les réformes, ici la réforme fiscale, peuvent aboutir à l'exact inverse de ce que les adversaires des réformes serinent: des réformes, y compris eurocompatibles, peuvent être socialement justes. Efficacité fiscale, équité sociale et compétitivité économique vont ensembles.

Par quel miracle ? La réponse est dans les détails. Dans la complexe société moderne, la réponse est toujours dans les détails et jamais dans les slogans politiques. En fait, notre fisc est comme un gruyère où il y a désormais beaucoup plus de trous que de pâte: bien peu de contribuables paient l'impôt sur le revenu (20% des ménages en paient 91%); bien peu d'entreprises paient l'impôt sur les sociétés; bien peu d'investisseurs paient l'impôt sur le capital; et les vrais riches ne paient pas l'ISF. L'ensemble des 400 "niches" de dérogations, de dégrèvements et les autres astuces d'"optimisation fiscale" utilisées par les petits et les gros malins ont exempté de plus en plus de contribuables de l'impôt citoyen. Le fisc n'est pas coupable de trop taxer, mais de taxer toujours les mêmes.

LE COÛT DES BIENS PUBLICS

Or, et c'est là le malheur, cette politique fiscale "hyperconcentrée" désavantage le pays dans la compétition européenne. Car les mégataxés sont "les salariés les plus productifs et potentiellement les plus mobiles ", susceptibles d'émigration fiscale. On se plaint de la fragilité du capital des grands groupes (Danone), mais les revenus du capital investi en actions sont plus taxés que partout ailleurs. Cherchez l'erreur. La France doit desserrer "le noeud coulant " qu'elle s'est mis autour du cou en focalisant les impôts sur les éléments créateurs de richesses.

"Toutes les activités délocalisables ne vont pas partir du jour au lendemain, nuancent les auteurs. Les activités non délocalisables représentent peut-être 60% du PIB et 80% des emplois. Mais, ce qui est en jeu, c'est le taux de croissance potentielle de notre économie. Même en cas de départs mesurés, la croissance serait durablement faible et les reports de charges sur les facteurs non mobiles seraient vite insupportables."

L'autre intérêt du rapport est de fixer à 6% le coût des biens publics économiquement acceptables, autrement dit le surplus de taxes que les investisseurs en France acceptent de payer pour profiter de ses infrastructures de qualité (autoroutes, TGV, hôpitaux, formation...). Pourquoi 6% ? Les évaluations sont ouvertes. Mais cette idée permet de remonter à 18% (12 + 6) le taux effectif d'imposition possible des entreprises et des capitaux.

Sur ces bases, et tous calculs faits, les auteurs proposent une réforme d'ensemble de neuf impôts (revenu, sociétés, ISF, CSG, taxe professionnelle...) qui permet de jouer de toutes les marges de manoeuvres. Plusieurs scénarios sont examinés qui donnent avantage tantôt aux entreprises, tantôt aux ménages (avec des variantes sur les différentes catégories) et tantôt à l'Etat.

ÉBORGNÉ

Le résultat est très ouvert. Il est fort possible de privilégier et les entreprises et les ménages les moins bien lotis. Supprimant les niches, le projet rétablit l'équité horizontale (les mêmes revenus sont taxés de façon identique) et verticale (les riches paient proportionnellement plus).

Le premier ministre a éborgné la réforme en limitant les changements au seul impôt sur le revenu. Il oublie le point de départ des auteurs: répondre à la compétition européenne inévitable. L'intérêt politique du dispositif gouvernemental n'a échappé à personne à l'horizon 2007 ­ encore que ce sont les ménages riches qui en profiteront et non pas les classes moyennes comme il le dit. Mais l'intérêt économique est lui devenu quasi nul. Il faudra y revenir vite. Réformer est possible sans mettre le feu au lac.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Opinions
Analyse
A Berlin, un parfum de IVe République, par Daniel Vernet

 B onn n'est pas Weimar. La formule, appliquée pendant de longues années à la République fédérale, quand la capitale était dans la petite ville des bords du Rhin, est encore valable après la réunification. Berlin n'est pas Weimar.

Les pères fondateurs de la République fédérale s'étaient appliqués en 1949, sous l'oeil vigilant des alliés occidentaux, à construire des institutions stables qui tranchent avec la fragilité de la République de Weimar (1918-1933).

Ils avaient mis en place un système parlementaire bien tempéré, avec un pouvoir exécutif dirigé par le chef du gouvernement et non par un chef de l'Etat élu au suffrage universel ­ le Reichspräsident de Weimar ­, et un pouvoir législatif fort. La loi électorale, mélange de scrutin majoritaire et de proportionnelle, devait éviter l'éparpillement des forces politiques et garantir des majorités stables.

Le système a parfaitement fonctionné pendant un demi-siècle. Certes, pour la première fois, les élections du 18 septembre n'ont pas désigné de vainqueur indiscutable, mais il est hâtif d'en tirer la conclusion que l'Allemagne est menacée par l'instabilité chronique qui fut fatale à la première République allemande.

Berlin n'est pas Weimar. Depuis une semaine, la République de Berlin a plutôt les traits de notre IVe République. Une crise gouvernementale qui promet de durer, un éclatement du paysage politique avec cinq, voire six, partis, alors que la République fédérale avait l'habitude de fonctionner avec trois ou quatre, l'apparition d'un fort pôle d'extrême gauche ­ 8,7% des suffrages, 54 députés ­ dont les voix sont en quelque sorte neutralisées, puisque personne ne veut s'allier ni même discuter avec lui... Une différence notable cependant, aucune formation à la droite de la démocratie chrétienne n'a réussi à s'imposer.

L'extrême droite est présente aux élections municipales et régionales, notamment à l'Est. Elle est même entrée dans certains Parlements des Länder, mais elle reste marginale lors des scrutins nationaux. La fonction "tribunitienne", que les politologues français attribuaient aux partis situés aux deux extrêmes de l'échiquier politique, est exclusivement exercée par le Linkspartei, la gauche radicale, qui, à l'Est, est composée des héritiers de l'ancien parti unique.

La caractéristique principale qui souligne le parallèle entre la situation allemande actuelle et la IVe République tient à la composition du gouvernement. L'Allemagne a toujours connu des coalitions: entre les chrétiens-démocrates et les libéraux, entre les deux grandes formations CDU-CSU et SPD ­ de 1966 à 1969 avec la "grande coalition" ­ entre les sociaux-démocrates et les libéraux et, enfin, ces sept dernières années, entre les sociaux-démocrates et les Verts. Mais dans la quasi-totalité des cas, les électeurs savaient qu'en votant pour tel ou tel parti ils auraient telle ou telle coalition. Ils se prononçaient en connaissance de cause, à l'inverse de ce qui se passait en France jusqu'en 1958, ou en Italie. Là, les coalitions gouvernementales ne dépendaient pas avant tout du choix des citoyens mais des combinaisons entre les états-majors des partis. Les alliances n'étaient pas annoncées avant les élections, mais nouées a posteriori.

L'Allemagne risque aujourd'hui de tomber dans ce travers. Les électeurs n'ayant pas tranché entre les deux coalitions, noire-jaune d'une part, rouge-verte d'autre part, qui s'offraient à leurs suffrages, ce sont les dirigeants des partis politiques qui vont décider à leur place. Les questions de personnes joueront un rôle aussi important dans l'issue des négociations que les programmes.

C'est en effetune autre similitude entre la situation allemande actuelle et la IVe: les Allemands n'auront sans doute pas le chancelier pour lequel, ou laquelle, ils ont voté. Bien sûr, ils n'élisent le chef du gouvernement au suffrage universel direct. Le titre de "candidat chancelier" n'est pas reconnu par la Constitution. Mais, depuis les années 1960, la tendance générale à la personnalisation du pouvoir aidant, la tête de liste de chacune des grandes formations, CDU-CSU ou SPD, réclame les suffrages pour son parti afin de diriger le gouvernement. Le président de la République n'a guère d'autre possibilité que d'entériner ce choix.

Il y a bien eu quelques accidents de parcours, prévus ou non. Aux élections de 1961, Konrad Adenauer avait promis de passer la main à son ministre de l'économie, Ludwig Erhard, au milieu de la législature. En 1965, l'alliance entre les chrétiens-démocrates et les libéraux a été remplacée par la "grande coalition" sans que les électeurs aient été consultés. En 1974, Helmut Schmidt a succédé à Willy Brandt, triomphalement réélu deux ans plus tôt, mais qui avait dû démissionner à cause d'une affaire d'espionnage.

Dans l'ensemble cependant, en votant pour un parti, les électeurs allemands désignaient un chancelier. Cette fois, ce n'est pas le cas. Non seulement la coalition gouvernementale ne sera aucune de celles qui se présentaient aux suffrages, mais il y a quelques probabilités pour que le futur chancelier ne s'appelle ni Angela Merkel ni Gerhard Schröder. Un nom sortira des négociations entre partis, à l'insu des citoyens. Là encore flotte un petit parfum de IVe République. En 1956, les Français qui avaient voté pour le Front républicain voulaient Mendès France et la négociation en Algérie; par le jeu des partis, ils ont eu Guy Mollet, qui s'octroya "les pouvoirs spéciaux" et envoya le contingent.

Il ne faut pas pousser trop loin les comparaisons. L'Allemagne ne se trouve pas dans la situation dramatique et précaire de la IVe finissante. Le Linkspartei mis à part, tous les autres partis peuvent trouver des points d'accord dans leurs programmes respectifs, même si certaines alliances paraissent plus difficiles à réaliser que d'autres.

GOUVERNEMENT MINORITAIRE

C'est pourquoi la "grande coalition", expérimentée pendant deux ans à la fin des années 1960, ne serait pas un mariage contre nature. L'opinion allemande aura en revanche plus de mal à accepter un gouvernement minoritaire qu'elle n'a pratiquement pas connu depuis la création de la RFA. A la première occasion elle sanctionnerait durement les personnalités ou les partis qui auraient empêché la formation d'une majorité gouvernementale.

Des voix se font déjà entendre en faveur d'une révision de la Loi fondamentale de 1949, qui est aussi un élément de stabilité. Elle a fait l'objet de quelques amendements au fil des ans, mais pas d'une réforme fondamentale. Pour éviter l'éparpillement des voix et garantir une majorité, le système électoral pourrait devenir plus fortement majoritaire, aux dépens de la proportionnelle. Le Bundestag pourrait se voir accorder le droit de s'autodissoudre, et le fédéralisme devrait être réformé pour limiter les prérogatives du Bundesrat, la Chambre des Etats, et renforcer les pouvoirs de l'Etat fédéral. La première "grande coalition" avait déjà évoqué une réforme de la loi électorale pour réduire l'importance des petits partis, sans aller jusqu'au bout de ses projets.

Il est peu probable cependant que la prochaine coalition inscrive ces réformes à son programme. S'il doit y avoir des changements, ils mettront longtemps à mûrir. Les Allemands ne voudront pas mettre en cause un système qui a fait ses preuves pendant des décennies et auquel ils sont attachés, à cause d'un accident de parcours.

Daniel Vernet
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Sciences
Canicules et sécheresses menacent de "booster" l'effet de serre

 D e la vague de chaleur qui a accablé l'Europe durant l'été 2003, on a retenu un chiffre: 35 000 morts, dont 15 000 en France. La flambée des températures, surtout à l'ouest du continent, où l'on a enregistré des écarts de plus de 6 º C avec les normales saisonnières, ainsi que le déficit d'eau, particulièrement éprouvant à l'est, où les pluies ont été deux fois plus faibles qu'à l'accoutumée, ont eu aussi un impact sévère sur la végétation européenne. Avec une conséquence imprévue: un relâchement massif de dioxyde de carbone (C02) dans l'atmosphère. Et le risque, si de tels épisodes caniculaires se reproduisent, d'une amplification de l'effet de serre.

C'est ce que révèle, dans la revue Nature du 22 septembre, une étude associant une trentaine de chercheurs français, italiens, allemands, belges, espagnols, finnois, américains et danois, sous la direction de Philippe Ciais, du laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (CEA-CNRS) de Gif-sur-Yvette (Essonne). "Ces résultats, décrit André Granier, de l'unité d'écologie et écophysiologie forestières de l'INRA à Nancy, ont été obtenus en combinant les approches et les données de deux communautés scientifiques."

D'une part, des observateurs de terrain disposant, grâce au programme communautaire CarboEurope, d'un réseau d'une soixantaine de stations au sol. Représentatives des différents types de couverture végétale ­ forêts principalement, mais aussi cultures agricoles et prairies ­, elles mesurent en temps réel, à l'aide de capteurs, les flux de gaz carbonique absorbé ou libéré. D'autre part, des modélisateurs simulant, sur leurs supercalculateurs, les interactions entre climat, végétation et CO2. Il apparaît qu'à l'échelle de l'Europe la production végétale a chuté de 30% en 2003 par rapport à 2002, dans les peuplements forestiers comme sur les surfaces cultivées. Une baisse sans précédent au cours du siècle écoulé. Conséquence de cette anémie, une réduction considérable de la quantité de carbone stockée dans la biomasse.

STRESS HYDRIQUE

Face aux fortes chaleurs et, surtout, au stress hydrique, les plantes adoptent en effet un mécanisme de défense qui leur permet de limiter leur évapotranspiration et d'éviter de dépérir. Elles ferment les stomates de leurs feuilles, ces minuscules pores par lesquels s'effectuent les échanges gazeux avec leur environnement. Résultat: une photosynthèse ralentie, donc une quantité de CO2 absorbée moindre. Et même, dans le cas présent, largement inférieure à celle émise par la respiration des végétaux.

Les auteurs de l'étude estiment qu'en 2003 les écosystèmes européens ont relâché dans l'air quelque 500 millions de tonnes de CO2. Soit l'équivalent de quatre années de séquestration du même gaz par la végétation.

Ces conclusions inattendues vont sans doute obliger les climatologues à revoir leurs modèles. Ceux-ci prédisaient plutôt que le réchauffement climatique aurait pour effet, en Europe et aux latitudes tempérées, d'allonger la saison de végétation active et de stimuler la flore. Les forestiers en avaient observé des signes avant-coureurs: au cours du dernier demi-siècle, le volume de bois sur pied des forêts européennes a augmenté de plus de 40%.

L'article de Nature met en fait en évidence l'impact sur les écosystèmes, non pas d'un réchauffement global, mais d'une canicule et d'une sécheresse exceptionnelles. Il n'en sonne pas moins comme un avertissement, dans la mesure où l'une des répercussions attendues du changement climatique global est, précisément, la multiplication d'épisodes extrêmes.

"Si, comme les climatologues le prévoient, le réchauffement planétaire se traduit notamment par une augmentation de la fréquence et de l'intensité des sécheresses, on peut alors penser que la végétation sera moins efficace qu'elle ne l'est aujourd'hui pour limiter l'effet de serre", commente André Granier.

A l'échelle de la planète, les experts estiment que le manteau végétal permet aujourd'hui de capturer entre 10% et 20% des émissions humaines de CO2, principal gaz impliqué dans l'augmentation de l'effet de serre. Ce bouclier vert risque donc se transformer en menace. De puits de carbone, "les écosystèmes des régions tempérées pourraient se muer en sources de carbone", écrivent les signataires de l'article.

Dans un commentaire accompagnant cette publication, Dennis Baldocchi, de l'université de Californie à Berkeley, se veut rassurant. L'exemple des écosystèmes européens ne serait pas transposable aux autres continents. Ainsi, à température et pluviosité comparables, le ralentissement de la photosynthèse ayant bridé en 2003 la pousse des végétaux en Europe n'affecterait pas les forêts nord-américaines, habituées à des chaleurs estivales plus élevées. Il pense en outre "raisonnable de s'attendre à ce que les forêts s'acclimatent si les températures moyennes continuent à croître graduellement".

Cette nouvelle étude s'ajoute aux récents travaux de chercheurs britanniques qui, dans Nature également, décrivaient comment, sous l'effet du réchauffement, les sols libèrent du carbone par millions de tonnes (Le Monde du 9 septembre). De quoi rendre encore plus problématique le respect des engagements de Kyoto sur la limitation des gaz à effet de serre.

Pierre Le Hir
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Horizons
La Courneuve par temps calme
La Cité des 4000, à La Courneuve | DUFOUR SEBASTIEN/GAMMA
DUFOUR SEBASTIEN/GAMMA
La Cité des 4000, à La Courneuve

 C ette fois-ci, pas de drame à La Courneuve. Pas d'enfant tué d'une balle perdue comme le fut Sidi-Ahmed, 11 ans, en juin. Pas de riverain énervé qui saisit sa carabine et abat de sa fenêtre un individu jugé trop bruyant. Comme Toufic, 10 ans, en 1983. Pas de jeu en armes qui s'achève par la paralysie à vie d'un gamin qui passe par là. Comme Kamel, 13 ans, en 2003.

Depuis la mort de Sidi-Ahmed, le "Kärcher" promis par le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, a pris la forme d'une compagnie de CRS qui rôde, contrôle, interpelle. Les habitants ironisent sur le court terme d'une mesure "poudre aux yeux" , tout en se réjouissant du calme revenu. Il faut toujours un fait divers pour que l'on prête attention à La Courneuve. Pour que l'on s'émeuve brièvement des "barres" dégradées de la Cité des 4 000, fabrique à délinquance qui fait de cette commune du "neuf-trois" (Seine-Saint-Denis) l'une des plus emblématiques de la violence urbaine en France. Le fait divers passé, on oublie.

Mais La Courneuve existe aussi par temps calme. Avec son quotidien tranquille. Sa petite vie cabossée qui saisit d'abord par la chaleur des rapports humains. Ce côté "rue orientale" où l'on ne cesse jamais de se dire bonjour, de se serrer la main, de se demander comment ça va, de s'entraider, de s'offrir un Coca ou un verre d'eau. Et cette manière élégante qu'ont parfois les hommes de porter discrètement la main droite sur le coeur, en guise de salut. Où des jeunes lisent les journaux sur Internet, s'arrêtent aux feux rouges, sont plutôt bons élèves au lycée. Où l'on croise à toute heure d'autres jeunes gens, désoeuvrés, réunis par grappes, et qui vous interpellent pour tester votre "respect". Où l'on risque de recevoir sur la tête un sac d'ordures, négligemment jeté d'une fenêtre. Quand ce n'est pas un projectile délibérément envoyé.

La Courneuve est une ville de douceur et de violence, de ruptures radicales. D'un côté de la rue, il y a ces pavillons en brique et jardins proprets. De l'autre, à 20 mètres, il y a cette barre gigantesque et déglinguée où règnent les détritus, les mauvaises odeurs et les graffitis, style "Nique les juifs" . A d'autres endroits, il y a aussi ces HLM, de taille plus humaine, mieux entretenues. Trois mondes se côtoient, parfois brutalement, dans le même périmètre urbain. A l'intérieur, quatre-vingts nationalités cohabitent, plus ou moins dans le désordre. Avec leurs multiples lieux de prière: trois paroisses catholiques, neuf mosquées ­ plus le siège national de l'UOIF (Union des organisations islamiques de France) ­, une synagogue et un nombre incalculable de chapelles (adventistes, évangélistes, Témoins de Jéhovah, rose-croix, Eglise de la Pentecôte primitive, chiites de Madagascar, sikhs, etc.). Vingt-six cultes au total, le record des villes de France.

La répartition des origines n'est pas recensée, mais selon Gilles Poux, le maire (PC) de la localité, les Rebeus ou Beurs (Français d'origine maghrébine) forment la majorité de la population avec les Céfrans (Français d'origine... française), devant les Renois (Noirs), et les Asiatiques répartis en Noiches (Chinois), en Indiens, Pakistanais, Sri-Lankais et autres.

Dans la vie quotidienne, pourtant, les barrières intercommunautaires n'apparaissent pas. Les écoliers se mélangent tout autant que les bandes qui traînent. Même les bagarres ne mettent pas face à face, "race contre race" , comme on dit là-bas. Renois, Rebeus ou Céfrans (les Asiatiques restent à part), tout le monde est copain... Tant que sont respectés les codes et les limites. Dans la cité plus qu'ailleurs, tout est question de codes.

Ce soir-là, Sabrina est rentrée chez elle, enthousiaste. Un garçon l'a draguée dans la rue, "très gentiment" , en lui disant qu'elle était belle. Ils ont pris un café. En tout bien tout honneur, bien sûr, car Sabrina, d'origine algérienne, est une musulmane très pieuse. "En plus , s'exclame-t-elle, il était superbeau, arabe, et tout !" C'est important qu'il soit arabe ? Sabrina hausse les épaules: "Je ne vois pas pourquoi je sortirais avec un Renoi ou un Céfran, alors qu'il y a plein d'Arabes. De toute façon, sortir avec un Renoi, plutôt mourir, je ne pourrais jamais. Avec un Céfran, bon, il faudrait qu'il soit vraiment très musulman, et encore..."

Son frère l'écoute, sourit. Et lui, la laisserait-il sortir avec un Renoi ? "Elle fait ce qu'elle veut , répond-il, magnanime. Mais alors nos relations seraient brisées, je ne pourrais pas faire autrement que la renier." Même si le Renoi est musulman ? N'est-ce pas haram ("péché") pour un musulman de rejeter un autre musulman ? "Si, c'est haram , reconnaît la mère. Mais je n'aimerais pas que ma fille se marie avec un Renoi ou un Céfran, même musulmans. Ce n'est pas du racisme, c'est affaire de coutume."

A l'origine de la mort du petit Sidi-Ahmed, en juin, il y a une histoire de ce genre. Un drame à la Roméo et Juliette entre familles noires et arabes, sur lequel s'est greffée une rivalité de "territoires de drogue" . Un Comorien, Mahmoud, est soupçonné d'avoir tiré la balle perdue qui a tué le garçon, lors d'une bagarre avec deux Tunisiens. Ces deux-là, frères de Nadia B., ne supportaient pas que leur soeur ait pu vivre une histoire d'amour, même terminée, avec "ce Renoi de Mahmoud" .

Aujourd'hui, Nadia B. va mieux. Un été "au pays" , en Tunisie, l'a aidée à se défaire de l'idée qu'elle pouvait être responsable du drame. "J'ai pris grave du recul par rapport à ça." Elle marche d'un pas svelte dans les rues de La Courneuve, parle du "grand respect" qu'elle a pour ses frères et de son amour intact pour Mahmoud. Ses frères et Mahmoud sont en prison. "Dès le premier instant où j'ai embrassé Mahmoud, où j'ai su que j'allais l'aimer, ce mec-là, je savais que toute ma famille s'y opposerait. On a décidé de s'accrocher, ça a tenu trois ans et puis sa famille, qui m'acceptait parfaitement, a fini par faire pression sur lui pour qu'il arrête: sortir avec une Arabe, quand tu es noir, ça fait trop d'histoires."

ON ne voit pas de couples mixtes s'afficher dans la cité. D'ailleurs on ne s'affiche pas dans cette cité. On ne marche pas bras dessus, bras dessous. Question de codes et de "respect". Les jeunes se rassemblent dehors, au bas des immeubles, mais ne se donnent pas rendez-vous dans les cafés, lesquels sont rares et fréquentés exclusivement par les anciens. Quand les jeunes sortent ensemble, ils vont aux Champs-Elysées, au Châtelet, à l'Opéra, ou dans les banlieues avoisinantes. "Je ne connais pas de couples mixtes dans la cité, à part moi , constate Nadia B. Ils se cachent pour se voir, comme je me cachais avec Mahmoud. Mais c'est pareil dans les quartiers chics, non ? Une petite Française qui ramène un Noir, ça fait désordre."

Les Renois, eux, ne font pas tant d'histoires. "Nous, on n'est pas raciste s, plaisante John, camerounais. On est tolérants. Le problème des Rebeus, c'est qu'on leur pique leurs meufs. Elles nous trouvent beaux, elles nous aiment, on n'y est pour rien. Moi, avant de sortir avec une Rebeu, je fais gaffe à la famille. Si elle est du genre trop traditionnel, je n'ai pas envie de polémiquer avec les frères, je préfère laisser béton. Chez nous, c'est comme chez les aristos: ils se marient entre eux et puis parfois ça dérape, la jeune fille ramène un mec de La Courneuve à la maison, et c'est le bordel !"

La ligne de clivage ne passe pas seulement entre origines, mais aussi entre les générations. Les adultes ne se reconnaissent pas dans les plus jeunes. "De la vraie caillera !" , lâche un trentenaire qui explique très sérieusement son jugement: "Nous, on allait voler à Paris, dans le 8e ou dans le 16e, c'était plus moral. Les jeunes d'aujourd'hui, ils volent même à La Courneuve, c'est n'importe quoi."

Ah, le bon vieux temps des "4 000" ! Khaled, 45 ans, fils d'un ancien chef de réseau FLN dans la ville, raconte le début de ces barres construites dans les années 1960 et vécues comme un paradis pour les rapatriés d'Algérie qui vivaient d'abord en bidonvilles. "Aux "4 000", raconte-t-il, mes voisins étaient rebeus, céfrans, feujs, harkis... Ceux qui avaient été ennemis ne voulaient plus le savoir, personne ne parlait de la guerre. La mosquée et la synagogue étaient côte à côte. C'était le plein-emploi, les portes étaient ouvertes, on allait chercher les oeufs à l'étage au-dessus, chez Mme Teboul ou Mme Molina. A partir de 1975, c'était fini. Le chômage et l'héroïne avaient fait leur trou. Il fallait des parents hyperstricts pour ne pas déraper."

Pendant une quinzaine d'années, les gens ont vécu harmonieusement, se souvient Anthony Russel, conseiller municipal. Et puis "les jeunes arrivés au début des années 1960 se sont retrouvés sans emploi à 35-40 ans. Ils se sont mis à se défoncer au bistrot, les aînés ont pris les gosses en charge. Toute une génération a pété les plombs" .

Moins frappés par le chômage, les "Français", y compris les juifs, ont déserté les "4 000". Seuls sont restés les Beurs, avec le sentiment d'être parqués. Et puis ils ont vu arriver d'autres immigrés, par vagues, au gré des conflits du monde: les Africains au début des années 1980, et puis d'autres Africains (des Comores) une dizaine d'années après, puis les Tamouls du Sri Lanka, les Indiens, les Pakistanais. Quant aux Chinois, on ne les voit pas aux "4 000": ils ont accédé à la propriété dans les zones pavillonnaires de La Courneuve.

Le dernier arrivé dérange, chacun est l'Arabe de l'autre: c'est peut-être le cycle naturel de l'intégration. Pour les Français, "les problèmes" ont commencé avec l'arrivée des Arabes. Une fois "normalisés", avec un mode de vie "français", une fécondité maîtrisée, des enfants scolarisés, ce fut leur tour de mal ressentir la vague d'immigration suivante, celle des Africains, essentiellement maliens. Souvent polygames et non alphabétisés, ceux-ci concentrent dans un même appartement plusieurs femmes et de nombreux enfants laissés dans la rue, à l'africaine, mais sans les structures africaines, donc davantage livrés à la "caillera" . John le Camerounais a décidé de rester philosophe: "Les Rebeus et les Céfrans oublient un peu vite qu'eux aussi faisaient plein d'enfants au début. Les communautés évoluent à leur rythme."

Christine, qui habite le "petit Balzac", juste en face de la grande barre du même nom (la plus dégradée et la plus "chaude" des "4 000"), est elle aussi nostalgique de cette époque bénie. Longtemps au chômage, elle a trouvé un boulot de repasseuse grâce à une association qui emploie les précaires. Cette brune de 46 ans, yeux bleus et visage d'ange, mère de cinq grands enfants, parle chaleureusement de ses amis beurs ou noirs. Elle parle aussi de la dégradation de la cité, "depuis l'arrivée massive d'une population qui ne parlait pas français, la fin de la solidarité dans le quartier" , etc.

Christine parle encore des fameux "codes" qu'elle a appris à connaître, la manière de regarder qu'il faut maîtriser pour ne pas "manquer de respect" , pour se faire respecter. "Si on me dit bonjour, je dis bonjour. Sinon, je ne dis rien." Comme ses fils, elle a dû se bagarrer physiquement pour s'imposer. Sans que la police n'intervienne jamais. Pour protéger sa fille aînée, elle a eu l'idée de la confier au délinquant le plus notoire de la cité. Mais Christine en a marre. "Tout ce que je souhaite, c'est que mes enfants réussissent à quitter La Courneuve , dit-elle en souriant doucement. Moi, c'est trop tard." Il y a longtemps qu'elle ne vote plus. Mais elle devient "de plus en plus extrémiste" . Pas à gauche.

Aux "4 000", quatre barres ont déjà été démolies, d'autres logements sociaux ont été reconstruits, les habitants relogés. Ce devrait être au tour de "Balzac" dans les prochaines années, et les Courneuviens s'en réjouissent. Autre bonne nouvelle: le ministère des affaires étrangères a choisi La Courneuve pour accueillir en 2008 les archives de la diplomatie. Les associations pullulent pour aider les jeunes et les précaires.

La municipalité, administrativement reliée à sept autres communes de Seine-Saint-Denis ("Plaine-commune"), s'attache à développer un urbanisme plus humain que ces barres-dépotoirs. Et à développer pour les jeunes des centres de loisirs, de sports et de culture. Pour les jeunes Courneuviens, la consolation est mince. Le chômage, au moins deux fois supérieur à la moyenne nationale, plombe tout espoir. "Qu'est-ce que tu veux faire d'un centre d'art dramatique, quand tu vis le drame tous les jours ?"

Marion Van Renterghem
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Europe
M. Schröder plaide pour une grande coalition en Allemagne
FRANCFORT de notre correspondant

 L a formation du prochain gouvernement continue de susciter les passions en Allemagne. Dans un entretien à la chaîne de télévision ARD, dimanche 25 septembre, le chancelier Gerhard Schröder a assuré qu'il voulait "tout faire" pour qu'une "grande coalition" entre le Parti social-démocrate (SPD) et les Unions chrétienne-démocrate et chrétienne-sociale (CDU-CSU) aboutisse. "La question de la direction -de la chancellerie- sera réglée; elle doit être réglée, mais raisonnablement, seulement quand il sera clair qu'ils -les deux camps politiques- veulent vraiment s'allier. Et cela ne marche qu'avec la devise: d'abord les questions de fond puis de personnes", a ajouté M. Schröder. Avec 225 députés contre 222 au SPD, la CDU-CSU revendique la chancellerie pour sa présidente Angela Merkel et pose ce principe comme condition à des négociations.

Une nouvelle séance de discussions CDU-CSU - SPD est prévue mercredi 28 septembre. Une décision sur des négociations concrètes n'est pas à attendre avant le lendemain de l'élection partielle de Dresde, dimanche 2 octobre, a indiqué le président du SPD, Franz Müntefering.

Plusieurs barons de la droite allemande, comme le ministre-président du Bade-Wurtemberg, Christian Wulff, et celui de Hesse, Roland Koch, ont demandé à nouveau, ce week-end, à M. Schröder de renoncer à la chancellerie. "Je ne pense absolument pas me laisser mettre sous pression par quelques politiciens de province de la CDU afin de faire on ne sait quelle concession", a répondu le chancelier.

CONTRE-PROPOSITION

A gauche, certains responsables évoquent cependant l'hypothèse d'une grande coalition sans M. Schröder. Interrogé sur ce scénario par le magazine Focus de lundi, le ministre-président de Rhénanie-Palatinat, Kurt Beck (SPD) estime qu'"en démocratie, on ne doit jamais dire "jamais"" . Le président des Verts, Reinhard Bütikofer, a été encore plus clair, déclarant à la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung (FAS) du 25 septembre: "C'est bien à la CDU-CSU de fournir le chancelier ou la chancelière. Je considère comme exclu que Gerhard Schröder puisse faire accepter son aspiration personnelle au pouvoir."

Toutefois, la presse allemande se fait aussi l'écho d'un projet de contre-proposition prêté à M. Schröder: le "kanzler-sharing" ("chancellerie partagée"), appelé aussi coalition "à l'israélienne" en référence à l'accord passé en 1984 entre le travailliste Shimon Pérès et le conservateur Itzhak Shamir pour occuper à tour de rôle, pendant deux ans, le poste de premier ministre. "- Gerhard- Schröder doit rester chancelier les deux premières années", a expliqué le député social-démocrate Johannes Kahrs à Die Welt de samedi 24 septembre. Le journal Bild am Sonntag du 25 évoque un "premier signal" de concession adressé par M. Schröder à Mme Merkel: il lui proposerait ­ dans ce cadre ­ de partir dès le début 2007, avant que l'Allemagne ne prenne la présidence de l'Union européenne. Ces plans sont également évoqués par le Süddeutsche Zeitung de lundi, qui précise que Mme Merkel serait alors vice-chancelière jusqu'en avril 2007. Mais les responsables de droite, à l'image de M. Wulff, jugent pour l'instant ce scénario "ridicule" .

Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 27.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Tortures américaines

 A lors qu'à Washington 100 000 manifestants protestaient, samedi 24 septembre, contre la guerre en Irak, l'organisation américaine de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW), publiait un rapport accablant pour l'armée américaine sur les tortures et sévices infligés aux prisonniers de la "guerre contre le terrorisme".

Ce rapport est important à double titre: il taille en pièces le mythe selon lequel les tortures perpétrées à la prison irakienne d'Abou Ghraib, révélées en avril 2004, auraient été le fait d'une unité isolée, et auraient pris fin avec la révélation du scandale; et il permet d'entendre des témoignages non d'ex-prisonniers, toujours sujets à caution, mais de soldats américains.

Les techniques de torture et de sévices décrites par le capitaine et les deux sergents qui se sont confiés à HRW ne sont pas nouvelles: elles sont utilisées dans les prisons américaines en Afghanistan et en Irak, ainsi qu'au camp de Guantanamo Bay. Des enquêtes d'ONG et de médias occidentaux ont prouvé, depuis les révélations d'avril 2004, qu'elles étaient une pratique systématique. Ces enquêtes ont aussi révélé des cas d'exécution de prisonniers.

L'administration américaine n'a apporté aucune réponse satisfaisante au fait que son armée viole les lois de la guerre. Elle a suggéré ­ avec succès dans l'opinion publique américaine ­ que l'unité de police militaire qui s'était photographiée en train d'humilier des détenus à Abou Ghraib n'obéissait à aucun ordre de l'armée ou des services de renseignement. Alors que la soldate Lynndie England, qui apparaissait sur les photographies, comparaît depuis une semaine devant la justice militaire à Fort Hood, l'Amérique va-t-elle accepter la version officielle selon laquelle il s'agit de dérives de "soldats perdus" ?

Le mouvement pacifiste américain ne s'est pas saisi de ces questions. Son principal souci ­ louable ­, à l'image d'une Cyndy Sheehan traumatisée par la mort de son fils en Irak, est de préserver la vie des soldats américains. Comme souvent dans les guerres, il est difficile d'écouter l'autre, l'étranger, l'"ennemi".

En autorisant son armée à perpétrer ce que le droit international qualifie de "graves violations des lois de la guerre", telles que la "torture" ou le "traitement inhumain" de prisonniers ­ et des "crimes de guerre" dans le cas d'exécutions ­, les Etats-Unis se placent dans l'illégalité et desservent la cause qu'ils prétendent défendre ­ liberté, justice et démocratie ­ face aux "fous d'Allah". A chaque fois qu'un Afghan ou un Irakien est tué abusivement ou torturé, et justement parce que les Etats-Unis sont un pays démocratique, c'est une défaite pour l'Amérique et pour tous ceux qui défendent les valeurs et la morale qu'elle prétend incarner.

Plus pragmatiquement, l'usage de la torture est une chance en moins, pour Washington, de gagner ses guerres, car pour chaque prisonnier martyrisé, pour chaque image d'Abou Ghraib ou de Guantanamo, dix combattants se lèvent contre les Etats-Unis.

Article paru dans l'édition du 27.09.05


Le Monde / Société
MICHEL JOSSERAND, ancien président de Thales Engineering and Consulting (THEC)
"J'estime que Thales doit verser en commissions illégales entre 1% et 2% de son chiffre d'affaires"

 Q uelles pratiques avez-vous découvertes chez Thales ?
Pour bien comprendre, il faut remonter à mai 2001, lorsque j'ai été nommé PDG de Thales Engineering and Consulting (THEC). Il y avait un problème lié au fait que cette filiale versait beaucoup de commissions occultes. Elle fonctionnait de manière autonome et ne prenait pas assez de précautions, notamment à l'export, pour verser des fonds. Donc le groupe m'a demandé de remettre de l'ordre afin que THEC rentre dans le rang et applique ce qu'on appelle chez Thales le "code d'éthique".

Le groupe oppose un "démenti formel"

Le groupe Thales avait opposé "un démenti formel aux accusations de corruption française et internationale proférées à son égard par un ancien responsable de THEC (Thales Engineering & Consulting), filiale de Thales" , dans une déclaration rendue publique vendredi 23 septembre, après que Le Figaro eut publié, le même jour, un article consacré à l'affaire. La direction de la communication de Thales avait "souligné que ces accusations étaient le fait d'un ancien responsable de cette filiale, licencié du groupe pour avoir commis des irrégularités dans le cadre d'un contrat pour la réalisation du tramway de Nice" . "Le groupe a de lui-même porté plainte pour corruption dans cette affaire, avait-elle ajouté. Thales, devant la gravité du préjudice, se réserve la possibilité d'engager toute procédure en justice à l'encontre de toute mise en cause diffamatoire." Contacté lundi par Le Monde , Christophe Robin, porte-parole du groupe, a déclaré que Thales "engagerait toute action pour mise en cause diffamatoire" , dès qu'il prendrait connaissance des propos de M. Josserand.

C'est-à-dire ?
C'est l'hypocrisie poussée à son maximum. Quand on lit ce "code" , on a l'impression que Thales est propre. En fait, cela signifie faire passer toutes les commissions occultes par Thales International, qu'il s'agisse de marchés en France ou à l'étranger. Appliquer le "code d'éthique", c'est s'adapter à la convention de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) qui interdit, depuis 2000, de verser des commissions. Or il y a chez Thales un expert juridique capable de contourner la loi. Il a mis au point tout un mécanisme dans ce but.

De qui s'agit-il ?
D'un ancien magistrat, qui a fait des audits dans de nombreux pays, afin de tester la robustesse du système par rapport à d'éventuelles enquêtes policières ou judiciaires. C'est lui qui a mis au point ce "code" qui formalise le versement des commissions. Cela dit, Thales n'a fait que s'inspirer des pratiques des grandes entreprises américaines.

Quel est l'avantage du système ?
Il permet de n'avoir qu'un seul canal pour organiser les versements occultes. Les filiales n'ont plus le droit de monter leurs propres réseaux. Il n'y a plus que quelques personnes qui trempent dans le système: les responsables de Thales International et, bien sûr, la direction du groupe.

Qui serait au courant du système chez Thales ?
Rien que pour l'affaire du tramway de Nice dans laquelle je suis impliqué, sept membres du comité de direction étaient informés. La moitié du comité de direction est soit à l'origine du système, soit l'applique. Mais tout est suffisamment compartimenté pour que, en cas de problème, ce soit l'étage en dessous, quelqu'un comme moi, qui serve de fusible. Le comité et le président du groupe sont complètement "blancs". Ce montage est très professionnel. C'est ce qui va rendre le travail de la police très délicat. Pour remonter jusqu'au sommet de Thales, ça va être très compliqué.

L'embargo vers l'Irak aurait été contourné

Michel Josserand a évoqué, devant les enquêteurs de la division nationale d'investigations financières, le programme "Pétrole contre nourriture" qui avait desserré l'embargo de l'ONU contre l'Irak, entre 1996 et 2003. " Je sais qu'en Irak , a-t-il indiqué au Monde, Thales a contourné le programme "Pétrole contre nourriture", en livrant des munitions chimiques au gouvernement de Saddam Hussein." L'ancien PDG de Thales Engeneering a dit aux policiers que cette société avait participé à la construction d'une usine officiellement destinée à fabriquer du lait en poudre pour les enfants irakiens. Selon lui, cette usine aurait été vouée à la confection d'armes chimiques pour le compte du régime baasiste. Ces faits se seraient produits avant l'arrivée de M. Josserand chez THEC, en 2001. En avril 2003, l'hebdomadaire britannique Sunday Times avait déjà souligné le rôle des sociétés d'armement Dassault et l'ex-Thomson-CSF, devenue Thales, impliquées dans des ventes de matériel militaire à l'Irak, en violation de l'embargo onusien. Les déclarations de M. Josserand pourraient nourrir l'enquête du juge d'instruction Philippe Courroye, qui cherche à savoir si onze personnalités françaises auraient pu bénéficier des largesses du régime irakien.

Comment s'organise concrètement le système ?
Par l'intermédiaire de sous-traitants basés à l'étranger. En multipliant les intermédiaires, on ne peut remonter jusqu'à Thales.

Ce sont des sociétés-écrans ?
Non, pas du tout. Elles ont une consistance juridique, une véritable activité. Disons qu'elles sont "écrans" dans le sens où elles offrent une protection à Thales, mais elles sont bien réelles. L'idéal est de passer par une société industrielle. Par exemple des entreprises de BTP du Moyen-Orient que Thales va utiliser dans des contrats n'ayant rien à voir avec le BTP. On surfacture de 10% ou 15% tel ou tel bâtiment et le bénéfice dégagé sera reversé par l'entreprise en question aux destinataires des commissions. C'est imparable. Qui saura que Thales a trop payé ? Au pire, on répondra: "Ben oui, on s'est fait avoir, pas de chance..."  En général, on demande aux entreprises choisies de mettre en place à leur tour deux ou trois autres intermédiaires afin de brouiller encore plus les pistes.

C'était le cas à Nice ?
Oui, c'est un bon exemple. THEC est passé par des sociétés marocaines, camerounaises et libanaises afin de "sortir" les fonds destinés aux pots-de-vin.

Le versement de commissions était systématique chez Thales ?
Pas sur tous les marchés. Mais c'est une pratique très répandue. Au total, j'estime que Thales doit verser en commissions illégales entre 1% et 2% de son chiffre d'affaires global -10,3 milliards d'euros en 2004- . Thales International verse les montants les plus importants. Pour les petites sommes, de l'ordre de 50 000 euros, les filiales peuvent payer.

Quels sont les critères de Thales pour verser ou non des pots-de-vin ?
Il y a des endroits où c'est inévitable, comme en Afrique, en Corée, en Grèce, en Italie... En France, cela dépend des intérêts politiques locaux ou nationaux. Mais dans tous les cas, le système est le même. Si l'on peut passer par l'étranger, c'est mieux. En fait, il n'y a guère que dans certains pays européens, en Amérique du Nord, en Australie et en Nouvelle-Zélande où il est possible d'avoir des marchés sans payer.

Des décideurs politiques se font-ils corrompre ?
Ce qui est certain, c'est que sur les très grosses affaires, le politique est toujours impliqué. En tout cas à l'étranger. En France, je soupçonne que sur la masse des commissions versées, il a pu y avoir du financement politique occulte, mais je n'ai pas de preuves.

Le groupe avait-il le choix ?
Pas vraiment. Souvent, il est même victime de racket. En Russie, dans une affaire d'aide au développement, on nous a menacés d'une importante hausse de TVA. Au Cameroun, pour un marché de transports, il y a eu un redressement fiscal parce qu'on ne payait pas assez.

Vous avez dénoncé des malversations commises à l'occasion des Jeux olympiques d'Athènes...
THEC concourait pour le marché de la sécurité des Jeux olympiques. Nous n'avons pas eu le contrat. Mais le canal mis en place nous a permis de gagner en 2003 celui des frégates. Pour ce faire, on a versé des fonds à un membre du gouvernement grec.

Et à Bordeaux ?
Sur le marché du tramway, il y a eu des irrégularités avec des employés de la mairie que j'ai dénoncées aux policiers.

Il y aurait également eu des malversations dans le marché de l'hôpital de Tours ?
Sur les marchés des hôpitaux, il y a systématiquement des ententes illicites. Le politique a souvent intérêt à ce que des entreprises locales gagnent. Alors, lorsque l'on gagne l'appel d'offres, on nous demande de favoriser telle ou telle entreprise. En région parisienne, il y a de telles ententes, notamment dans les Hauts-de-Seine ou l'Essonne.

Vous avez également évoqué, devant les policiers, le cas de l'île de la Réunion...
Oui. On a d'abord perdu le marché de construction d'une raffinerie de sucre, car on n'a pas versé assez de commissions. Le même circuit a été utilisé pour le train-tramway. Une affaire gagnée après mon licenciement. Mes équipes m'ont certifié qu'il y avait eu des financements politiques.

Vous avez aussi évoqué l'affaire "Pétrole contre nourriture"...
Oui, je sais qu'en Irak, Thales a contourné le programme "Pétrole contre nourriture" en livrant des munitions au gouvernement de Saddam Hussein.

Thales aurait par ailleurs profité d'une fraude aux fonds européens...
Pour les financements européens, c'est un simple travail de surfacturation. Toutes les filiales avaient ces pratiques. Un transfert de dépenses d'un projet à un autre, au préjudice de la Commission européenne.

Que savez-vous du colossal marché Miksa de fourniture d'équipements de surveillance, toujours en négociation avec l'Arabie saoudite ?
Pour Miksa, les montages et les intermédiaires dénoncés dans une affaire précédente, dite "Sawari 2", ont été reconduits. Dans le projet Miksa, THEC devait être l'un des fournisseurs. Il y avait une partie construction, réalisée par Thales et Vinci: postes-frontière, adaptations de bases aériennes. Dans un pays comme l'Arabie saoudite, il n'est pas possible de faire du business autrement. Je n'ai pas entendu parler de rétrocommissions, mais je n'étais pas assez proche du dossier. Je sais simplement que Thales était proche des cabinets de la place Beauvau et du ministère de la défense.

Vous êtes vous-même accusé de "corruption" dans l'affaire du tramway de Nice...
L'affaire de Nice n'est qu'anecdotique par rapport aux pratiques du groupe. Thales a choisi de saisir la justice parce que ce dossier me mettait en cause alors que je n'avais aucune preuve écrite contre le groupe. C'est pour cela qu'ils ont pris le risque de me dénoncer. Le but était de me décrédibiliser afin qu'EADS, mon employeur actuel, me renvoie.

Comment a réagi EADS ?
Ils m'ont soutenu. Je suis toujours employé d'EADS alors que, franchement, après mon passage en prison, je pensais perdre mon poste. En revanche, j'ai dû démissionner de la présidence de la filiale Défense-France. EADS m'a demandé de quitter la France en m'expliquant que c'était trop dangereux pour moi.

Vous êtes au coeur de gros enjeux...
J'en suis conscient. Je sais que je peux faire perdre plusieurs centaines de millions d'euros, voire même plus, aux actionnaires de Thales. Pour le groupe, je suis l'homme qui en savait trop.

Pourquoi avoir évoqué certains dossiers et pas d'autres. Avez-vous fait un tri ?
Non, ce sont les policiers qui, en perquisition, sont tombés sur un très grand nombre de documents ­ d'"éléments de preuves" , comme ils disent.

Que contiennent ces documents ?
Ils concernent à peu près une centaine de marchés entachés de malversations. On y trouve la description du marché, le numéro de l'affaire, la personne qui s'est occupée du dossier chez nous, le montant de la commission à payer, le nom de l'intermédiaire. Il y a une liste de chiffres, de montants... Ils éclairent le mécanisme qui a été utilisé pour le versement des commissions occultes. Ainsi, pour prendre un exemple, ils ont trouvé des documents sur un marché en Asie, et dedans, il y a toutes les preuves.

Pourquoi aviez-vous ces documents ?
Au fur et à mesure, ma hiérarchie m'ordonnait de détruire les preuves. je me demandais pourquoi. Je me suis dit que ma meilleure protection, c'était de les garder. Il y a une telle proximité entre Thales et les milieux de la défense nationale... Un jour, chez Thales, on m'a même proposé de placer des documents compromettants pour piéger quelqu'un, moyennant 20 000 francs. J'ai refusé.

Propos recueillis par Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Article paru dans l'édition du 27.09.05


Le Monde / Société
Un ex-dirigeant dénonce un système de corruption chez Thales

 C orruption, ententes illicites, menaces physiques, représailles judiciaires... Telles seraient les pratiques en vigueur chez Thales, le géant français de l'électronique et de la défense ­ 10,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires et plus de 55 000 employés dans le monde.

Ces graves accusations émanent d'un ancien haut dirigeant du groupe, Michel Josserand, et sont jugées "crédibles" par les policiers et les magistrats qui en ont eu connaissance. Les enquêteurs s'attachent maintenant à vérifier la réalité des faits dénoncés. Dans l'entretien qu'il a accordé au Monde, M. Josserand, ancien PDG de Thales Engineering and Consulting (THEC), licencié par Thales en janvier 2004 ­ et passé depuis à "l'ennemi", EADS ­, reprend l'essentiel des déclarations qu'il a faites à la justice et à la police.

L'affaire commence à la fin du mois de mai, à Nice. Michel Josserand est alors incarcéré depuis plus d'un mois et demi. Il est mis en examen pour "corruption" et "abus de biens sociaux" en sa qualité d'ancien PDG de THEC, une filiale du groupe Thales à la tête de laquelle il avait été nommé quatre ans auparavant. Le juge niçois Christian Guéry, saisi d'une plainte déposée par le groupe lui-même, enquête sur le trucage du marché du tramway de Nice, dont THEC a obtenu la maîtrise d'ouvrage en juillet 2002. L'enquête, qui a provoqué la mise en examen d'une dizaine de personnes ­ dont un conseiller municipal ­, est accablante pour les dirigeants de THEC, soupçonnés d'avoir "acheté" le marché.

Lorsqu'il apprend, courant mai, que les policiers ont saisi des documents compromettants qu'il avait mis à l'abri dans un coffre, Michel Josserand décide de parler. Selon lui, l'affaire du tramway de Nice n'est qu'un petit exemple des pratiques en vigueur chez le géant de l'électronique de défense. Le juge Guéry n'étant saisi que des faits relatifs au tramway, c'est le procureur adjoint de Nice, Gilles Accomando, qui va recueillir ses confidences, au cours de quatre auditions marathon.

Les révélations de M. Josserand ont provoqué l'ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet de Paris, qui a confié le dossier à la division nationale des investigations financières (Le Monde du 15 septembre). Ces dernières semaines, M. Josserand a précisé, devant les policiers, au cours de plusieurs auditions, ses accusations. Il a évoqué une centaine de marchés, en France et à l'étranger, qui auraient été obtenus dans l'illégalité. M. Josserand a évoqué, pêle-mêle, les marchés des tramways de Bordeaux et de Saint-Denis de la Réunion, ceux des hôpitaux de Tours et de Papeete, des contrats en Grèce, en Argentine et en Asie. Tous auraient donné lieu au versement de pots de vin.

M. Josserand, qui a aussi dénoncé une fraude aux fonds européens, un contrat suspect passé avec la direction générale de l'armement (DGA) et des malversations dans le cadre de programmes d'aide au développement au Cambodge et au Togo, affirme également que Thales a contourné l'embargo onusien pour livrer du matériel militaire à Saddam Hussein. Le groupe, via sa filiale THEC, aurait permis au régime irakien de s'approvisionner en armes chimiques à la fin des années 1990.

"UNE MANIPULATION"

M. Josserand, qui dit aujourd'hui craindre pour sa vie, affirme aussi avoir eu à connaître des dossiers encore plus sensibles. Il a notamment évoqué, devant la police judiciaire, le marché "Miksa" de surveillance des frontières de l'Arabie saoudite.

Thales s'active depuis près de quinze ans pour décrocher ce faramineux contrat évalué à 7 milliards d'euros. De fortes tensions politiques sont apparues en arrière-plan des négociations menées afin de faire aboutir le projet. L'Elysée était ainsi intervenu brutalement, en décembre 2003, pour écarter le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, et ses conseillers des pourparlers en cours avec son homologue de Riyad. L'entourage de M. Chirac avait soupçonné, derrière le contrat saoudien, l'existence d'un réseau destiné à recueillir d'importantes commissions (Le Monde du 15 avril 2004).

Pour l'avocat de M. Josserand, Me François Lastelle, son client "savait beaucoup trop de choses" . "C'est pour cela que l'on a voulu l'écarter de Thales . On a sorti un dossier contre lui, celui du tramway, pour le faire tomber. Je suis aujourd'hui convaincu qu'il s'agit d'une manipulation, et l'enquête le prouvera" , estime l'avocat.

La plupart des faits dénoncés par M. Josserand auraient été commis en violation d'une loi entrée en vigueur en juillet 2000, qui transpose en droit français deux conventions, l'une européenne, signée à Bruxelles le 26 mai 1997, l'autre signée par les Etats membres de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), à Paris, le 17 décembre de la même année. Ces deux textes visent à sanctionner la corruption de fonctionnaires de l'Union européenne ou d'Etats membres de l'UE, dans le premier cas; celle d'"agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales", dans le second cas.

Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Article paru dans l'édition du 27.09.05


Le Monde / Société
La chute d'un cadre brillant dénoncé par sa hiérarchie

 C entralien, 48 ans, une carrière rectiligne et prometteuse... En avril, Michel Josserand, directeur de la branche télécommunications professionnelles d'EADS, s'apprête à boucler l'acquisition de l'activité PMR (Professional Mobile Radio) de Nokia. Ses patrons lui proposent une nomination à la tête d'EADS-défense France. La promotion est d'importance, d'autant que M. Josserand n'a rejoint le groupe franco-allemand qu'en décembre 2004.

Mais propulser un ex-dirigeant de Thales à un poste de prestige chez EADS, sur fond de rumeurs de rachats et de guerre de tranchées entre les deux sociétés, c'est déclencher les grandes manoeuvres. Michel Josserand en paie-t-il aujourd'hui le prix ? C'est en tout cas sa version de l'affaire.

Il faut remonter au mois d'avril 2001 pour mieux comprendre le mécanisme infernal qui va précipiter sa perte. A cette époque, après avoir, pendant trois ans, géré les ventes internationales de Thales-communications, il prend les rênes de THEC (Thales Engineering and Consulting). "Mon prédécesseur à THEC était empêtré dans l'affaire des frégates de Taïwan, se souvient-il. On lui a demandé de quitter précipitamment le groupe, et j'ai été nommé en toute urgence." THEC pèse 100 millions d'euros de chiffre d'affaires et emploie 600 personnes. Cette société est spécialisée dans cinq domaines: le bâtiment, le transport, l'industrie, l'aide au développement et le conseil.

"On m'a dit qu'il fallait que je redresse les comptes , se rappelle M. Josserand, car la boutique perdait de l'argent." A le croire, on lui donne aussi un second objectif: rationaliser le versement des pots-de-vins versés pour décrocher des contrats. M. Josserand établit une liste d'une centaine d'opérations ayant donné lieu à des malversations. Désormais, il faut faire passer tous ces versements par la maison mère, Thales International, destinée à servir de "maillon protecteur" . Plus question de laisser une autonomie aux filiales. "Quand j'ai terminé mon travail, assure M. Josserand, j'ai envoyé un courrier à ma direction, l'informant que tout était propre et que la société était prête pour un audit, à partir d'octobre 2003. Ensuite, en raison d'un conflit avec mes supérieurs, j'ai perdu mes fonctions en novembre 2003, et été licencié en janvier 2004."

L'enchaînement est brutal. Au sein de la société, personne ne se risque à le défendre. "J'étais chez Thales l'un des rares exemples de personnes parties de la base pour arriver proche du sommet. Je ne faisais partie d'aucun des clans qui dirigent le groupe. Je ne suis ni énarque ni franc-maçon. Je n'étais soutenu par personne..." Dès lors, Thales et Michel Josserand se livrent une lutte à couteaux tirés. L'ex-dirigeant assigne le groupe aux prud'hommes. Puis M. Josserand décide de rejoindre EADS. Thales aurait alors, selon lui, décidé de le "couler".

"J'ai rejoint EADS le 1er décembre 2004 et Thales a déclenché les hostilités début janvier 2005. C'est à ce moment-là qu'ils ont parlé aux commissaires aux comptes de malversations sur le marché niçois. Ensuite, j'ai eu une promotion imprévue, en étant nommé à un poste où j'aurais pu m'occuper du rachat de... Thales ! Quelques semaines plus tard, Thales déposait plainte contre moi à Nice. "

Selon M. Josserand, dès sa nomination à la tête d'EADS-défense France, l'attitude de Thales s'est durcie. "J'ai été menacé de représailles physiques par l'un des membres du comité de direction de Thales. Et puis on m'a fait comprendre qu'il y aurait des suites judiciaires. C'était un chantage à la démission. J'ai hésité pendant deux ou trois jours. J'avais toujours chez moi les documents, j'ai pensé qu'ils bluffaient..." Thales porte plainte contre lui, en mars 2005, déclenchant l'enquête sur le tramway de Nice.

"JE CRAINS POUR MA VIE"

"Ils avaient trouvé la bonne affaire, dans laquelle je n'avais aucune preuve écrite contre eux. Cela permettait de me décrédibiliser auprès de la justice et d'EADS. J'apparais alors comme un coupable, un pourri..." Il est accusé d'avoir versé des commissions lors de la passation du marché d'offres du tramway de la ville de Nice. Il effectue deux mois de détention provisoire. Son nom dans les journaux, accolé au mot "corruption", les voisins qui se détournent...

Poursuivi pour "corruption" et "recel d'abus de biens sociaux" , Michel Josserand assure que "la justice a pu établir que je n'étais pas à l'origine de la corruption, car cela avait été décidé avant mon arrivée chez THEC. Je ne suis pas blanchi pour autant. Mais je ne faisais qu'obéir aux ordres" .

M. Josserand décide de se confier, en mai, à un magistrat niçois. En perquisition, les policiers viennent de saisir des documents sensibles qu'il avait conservés: la liste d'une centaine d'opérations suspectes.

Aujourd'hui, il passe son temps entre l'Allemagne, où il s'occupe de la réorganisation d'EADS à Munich, et Nanterre, où il est interrogé par les policiers de la division nationale des investigations financières (DNIF). Il dit ne pas comprendre. "Thales, pour prendre de tels risques, doit penser que je sais des choses graves. Les pièces que j'ai fournies à la police, c'est la partie émergée de l'iceberg. J'ai dû me trouver au mauvais endroit, au mauvais moment." Et puis, il dit avoir peur. "Certains pensent sans doute, à tort, que je n'ai pas tout dit à la police." On lui a proposé de prendre un garde du corps, il a refusé. "Dans la scène politique française, il y a des enjeux qui se croisent, des conflits d'intérêts, au détour des affaires. Oui, je crains pour ma vie."

Gérard Davt et Fabrice Lhomme
Article paru dans l'édition du 27.09.05


Le Monde / France
Même plafonnées, les niches fiscales continuent à se multiplier

 E n décidant de plafonner les réductions d'impôt dont bénéficient certains contribuables, à 8 000 euros plus 750 euros par personne à charge, dans le cadre de la réforme de l'impôt sur le revenu, le gouvernement pensait trouver un moyen de lutter contre ces niches fiscales. Celles-là même que bon nombre de ses prédécesseurs ont renoncé à supprimer. Il y a dix ans, Alain Juppé, alors premier ministre, avait dû faire machine arrière devant l'hostilité générale.

Pour Thierry Breton, le ministre de l'économie, le plafonnement devait permettre de limiter certains excès auxquels se livrent certains contribuables qui, disposant de moyens et étant bien conseillés, cumulent les exonérations fiscales en tous genres. Quelque 10 000 foyers fiscaux seraient ainsi concernés.

A peine annoncée, cette mesure semble avoir du mal à être mise en application. Et fait déjà l'objet d'entorses dans son application. Ainsi, les investissements réalisés dans les DOM-TOM, qui ouvrent le droit à des réductions d'impôt, ne devraient pas être soumis au plafonnement. D'autres dispositifs pourraient subir le même sort.

Prudemment, Jean François Copé, le ministre délégué au budget, a récemment indiqué que la liste des niches fiscales concernées par le mécanisme de plafonnement "sera connue, publique, elle sera amendable notamment par les parlementaires" . Ces derniers devront résister aux pressions exercées par les professions qui voient d'un mauvais oeil le plafonnement d'avantages dont ils bénéficient plus ou moins directement. Les promoteurs de fonds communs de placements en innovation (FCPI) regrettent ainsi être visés par cette mesure. Et font déjà valoir que les ressources qu'ils collectent permettent de créer des emplois.

En privé, les parlementaires de la majorité jugent que le gouvernement a mal pris le problème. Ils estiment qu'il faut mesurer l'efficacité de chaque dispositif fiscal dérogatoire et le faire disparaître, le cas échéant, s'il n'apporte rien à la collectivité. Pis encore, certains d'entre eux font remarquer qu'au lieu de plafonner les avantages fiscaux, le gouvernement serait bien inspiré de ne pas en créer de nouveaux. Ils se sont "amusés" à dresser la liste des dispositifs dérogatoires qui ont été créés ou étendus lors de la dernière législature.

En 2002, le gouvernement s'est montré raisonnable dans ce domaine puisque, selon le recensement fait par ces parlementaires, seules deux mesures ont été prises: l'élévation du plafond annuel des dépenses éligibles à la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile et la reconduction du crédit d'impôt pour les dépenses de gros équipement dans l'habitation principale. Cependant, dès 2003, il s'est montré beaucoup plus prolifique avec pas moins de six nouveaux dispositifs fiscaux dérogatoires. Ce score a été quasiment atteint en 2004 avec cinq nouvelles mesures.

L'année 2005 aurait pu marquer une inflexion dans l'imagination créatrice du gouvernement dans le domaine de l'exonération fiscale. Las, le premier ministre lui même vient, en moins d'un mois, d'annoncer presque une demi-douzaine de mesures de ce type. Elles concernent, pêle-mêle, la voiture propre, les chaudières à condensation, les matériaux isolants, les prêts des grands parents à leurs petits enfants ou les gardes d'enfant...

Joël Morio
Article paru dans l'édition du 27.09.05


Le Monde / Entreprises
Les employés de Tréofan préfèrent être licenciés que vendus
MANTES-LA-VILLE (Yvelines) de notre correspondant

 D es salariés qui demandent leur licenciement: l'histoire a de quoi surprendre. C'est pourtant le cas à Mantes-la-Ville, où depuis deux semaines les 160 salariés de Tréofan, un fabricant de film d'emballage, sont en grève et occupent leur usine pour obtenir des indemnités de licenciement convenables.

"Depuis des mois, nous entendions des rumeurs sur une reprise possible de l'usine par Sodefilm. Et nous n'en voulons pas" , explique Jean-Paul Nivaggioli, élu CFDT et secrétaire du comité d'entreprise. Installé au Mans, le fabricant d'emballage Sodefilm n'a, à leurs yeux, pas la surface financière nécessaire à une reprise. "On ne voit pas comment une boîte de 25 salariés peut en reprendre une autre de 160 , résume le responsable syndical. Demander à être licencié, cela peut paraître fou pour un délégué syndical, mais c'est la décision de tous. Une reprise par Sodefilm aurait de toute façon signifié une fermeture à terme. Là, nous pouvons espérer des indemnités."

L'histoire leur a appris la prudence. Dernier vestige de l'ancienne Cellophane, fermée en 1984, l'entreprise fabrique du film d'emballage du plus simple au multicouche, plus complexe. Cédé au groupe américain Celanese, après la fusion entre Hoechst et Rhône-Poulenc, puis revendu à un groupe israélien, Dor, Tréofan est finalement tombé dans l'escarcelle de la banque américaine Goldman Sachs.

RAPATRIEMENT EN ALLEMAGNE

Aujourd'hui, Tréofan se présente comme l'un des leaders mondiaux de la fabrication de film d'emballage. Ce groupe revendique une production annuelle de 280 000 tonnes, par onze sites sur quatre continents. L'usine de Mantes-la-Ville produit trois types de films: un polypropylène biextrudé, un classique dont la matière première est un dérivé du pétrole; un multicouche dit film "étiquettes"; et un nouveau produit, le "biophane", fabriqué, lui, à partir d'amidon de maïs, totalement biodégradable et transformable en compost. Dans la nature, il disparaît en quarante-cinq jours, ne laissant que des particules de dioxyde de carbone et de l'eau. Un avantage séduisant dans un marché sensible aux arguments écologiques.

Or l'usine de Mantes-la-Ville est la seule en Europe à fabriquer du multicouche et du biophane, deux qualités que Tréofan voudrait rapatrier en Allemagne, où se trouve son siège. Les raisons en restent mystérieuses. Peter Briggs, le directeur exécutif de Tréofan, qui refuse tout contact avec la presse, évoque simplement dans un communiqué "un processus de restructuration" et confirme "des discussions avec des repreneurs potentiels" .

"Mais les Allemands ne sont pas capables de sortir ces films, ils ont encore besoin de plusieurs mois" , affirme M. Nivaggioli. Or la demande est là. Un atout pour les grévistes, qui ont fait appel à un cabinet d'avocats pour se faire entendre. Des négociations ont commencé entre les juristes des deux parties et devaient se poursuivre lundi. S'ils ont bon espoir d'obtenir des indemnités, les salariés ne se font pas d'illusions. "Si nous obtenons un accord, nous reprendrons le travail, mais on sait qu'on en aura pour six mois au plus."

Patrick Wassef
Article paru dans l'édition du 27.09.05


Le Monde / Médias
Le Parlement européen s'interroge sur les rapports entre blogs et médias
BRUXELLES de notre bureau européen

 L es médias traditionnels sont-ils menacés par les pages personnelles mises en ligne, les blogs, qui se développent sur la Toile à une vitesse vertigineuse ? Le Parlement européen a invité des journalistes à débattre de cette question à l'occasion du lancement de son nouveau site (www.europarl.eu.int).

Guido Baumhauer, rédacteur en chef à la radio allemande Deutsche Welle, a rappelé qu'"il existe 31 millions de blogs sur Internet et qu'il s'en crée 80 000 par jour" . Beaucoup d'auteurs les ont lancés dans le but de compléter ou de contredire les informations de la presse traditionnelle, qu'elle soit écrite, audiovisuelle ou même, désormais, électronique.

L'eurodéputé travailliste Richard Corbett a expliqué qu'il a créé son blog, en 2003, parce qu'il ne voulait plus que ses propos "soient déformés" ou simplement "triés et filtrés" par une presse "eurosceptique". "Quand les gens surfent sur Internet, ils trouvent au moins quelque chose de proeuropéen !" , a-t-il ajouté. Des journalistes présents ont admis qu'ils se sont parfois servis des blogs pour s'informer, "notamment pendant le tsunami, où l'on ne disposait pas d'informations de la part des autorités thaïlandaises" , a indiqué une Finlandaise.

Adrian White, le secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes, a estimé que "les sites Internet des organes de presse traditionnels tels que la BBC ou CNN seront toujours sollicités, parce que les gens veulent avoir une information fiable et crédible" , ce qui n'est pas le cas des blogs, a-t-il précisé, beaucoup mélangeant information et publicité ou n'indiquant pas l'origine de leurs informations.

PAS DE CADRE ÉTHIQUE

Le problème devient délicat car nombre de journalistes sont eux-mêmes devenus des blogueurs: ils éditent des informations qui ne paraissent pas dans leur organe de presse, faute de place. Menacent-ils alors celui-ci ? M. White répond par la négative, à condition que ces informations complémentaires aient le même sérieux que les autres. "Le problème des blogs, c'est qu'ils n'ont pas pour l'instant de cadre éthique" , a-t-il observé. Sa consœur, Karlin Lillington, de l'Irish Times, a constaté que les journalistes sont soumis à des "règles déontologiques strictes, en matière de diffamation, notamment, alors que les blogueurs peuvent se comporter comme au Far West".

Ces journalistes se sont opposés aux propos de Thomas N. Burg, consultant spécialisé dans le développement de logiciels, qui considère les blogs comme de simples "vecteurs de conversation libres de toute contrainte" . Le Parlement européen a réclamé l'instauration d'un droit de réponse sur les médias électroniques, mercredi 7 septembre. Il l'a fait à la demande de l'UDF Marielle de Sarnez, qui déplore que "rien ne soit prévu quand vous êtes victime d'une diffamation ou d'une atteinte à votre vie privée".

Rafaële Rivais
Article paru dans l'édition du 27.09.05


Le Monde / Horizons
Enquête
A bas la "grossophobie" !
Le centre pédiatrique et de rééducation de Bullion (Yvelines) accueille des enfants et adolescents obèses. | SIPA PRESS/FLORENCE DURAND
SIPA PRESS/FLORENCE DURAND
Le centre pédiatrique et de rééducation de Bullion (Yvelines) accueille des enfants et adolescents obèses.

 E ncore quatre petits kilos à perdre et Laurent Ournac aura retrouvé son poids "normal": 117 kg. Pour le héros cathodique de l'été, le plus dur est fait. "Je suis redescendu à 121 kg, alors que j'ai été à 135 pendant le tournage", se félicite-t-il, dans une brasserie chic de Paris. Laurent Ournac est ce comédien de 25 ans qui a incarné le rôle-titre de "Mon incroyable fiancé", une émission de télé-réalité sur TF1. Diffusée en deuxième partie de soirée, cette adaptation d'une émission américaine a atteint des taux d'audience inespérés: 6 millions de téléspectateurs en moyenne.

Mi-jeu, mi-fiction, le "divertissement" reposait sur un scénario a priori saugrenu: Adeline, une jeune femme svelte de 24 ans, devait faire accepter par ses proches son "faux" fiancé en faisant croire qu'elle voulait se marier avec lui. Adeline espérait de TF1 une sorte de prince charmant. Surprise: ce fut Laurent Fortin (alias Laurent Ournac), un être "lourd, odieux, vulgaire, affreux" ­ dixit la publicité de l'émission ­ et par surcroît prolifique en éructations et gaz de toutes sortes. L'ingénue Adeline, qui ignora tout du long que Laurent était comédien, réussira malgré tout à convaincre ses parents d'accepter le mariage avec le prétendant. Elle empochera pour cela 200 000 euros.

Malgré son succès, l'émission n'a pas été du goût de tout le monde, notamment des gros de France et de Navarre. Allegro Fortissimo, qui est la plus importante association d'obèses du pays, avec près de 500 adhérents revendiqués, a écrit au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Elle dénonce un programme qui a fait "l'amalgame entre obésité, vulgarité, grossièreté, saleté. (...) Les producteurs ont évité de choisir un fiancé pour lequel d'autres associations auraient pu porter plainte". Pour racisme, par exemple. Le CSA a décidé d'ouvrir une "instruction".

Laurent Ournac en hausse les épaules de dépit. Oui, l'acteur reconnaît en avoir fait des tonnes pendant l'enregistrement. Oui, il a dû prendre 18 kg en dix semaines pour avoir le rôle, la production le trouvant "trop léger" lors du casting. Mais le gaillard conteste fermement avoir participé à une campagne de "racisme anti-gros" . Lui préfère retenir "la vraie morale qui s'est dégagée à la fin de l'émission", à savoir que les parents d'Adeline ont dû vaincre leurs préjugés pour accepter le mariage de leur fille avec ce véritable Shrek qu'il incarnait. Cela posé, Laurent Ournac en convient: si un comédien noir, plutôt que gros, avait été embauché pour le rôle, "on serait allé au scandale. Alors qu'avec un gros"... Ça passe.

"Mon incroyable fiancé" a aussi montré que, au moment où ils n'ont jamais été aussi nombreux en France, il est désormais possible de railler les obèses. D'après les derniers chiffres de l'Insee, en juin, l'obésité touche désormais 10,1% des hommes, 10,5% des femmes et 12% des moins de 18 ans. Paradoxe, la loi du nombre ne semble pas empêcher la stigmatisation. On a même plutôt l'impression du contraire.

"Cette stigmatisation prend des proportions inouïes", estime le psychiatre Gérard Apfeldorfer, créateur, en 1998, du Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids (GROS). Pour lui, le succès de l'émission n'a pas été une surprise, mais un signe supplémentaire de la recrudescence de ce qu'on appelle la "grossophobie". Phénomène propre aux cultures occidentales, selon lui. "L'obèse est devenu le bouc émissaire de la société de consommation. Comme nous sommes honteux de consommer l'essentiel des ressources de la planète, nous reportons cette honte sur celui qui incarne le mieux ce 'péché', c'est-à-dire l'obèse, le super-consommateur."

Pour avoir une idée des discriminations dont sont victimes les personnes rondes, rien de tel qu'un petit surf sur Internet. Les sites des associations d'obèses regorgent de témoignages anonymes, tous plus douloureux les uns que les autres. La majorité relate des expériences malheureuses avec le corps médical. Comme ces femmes qui se sont entendu dire qu'on ne fait pas d'enfant quand on est "si grosse". Il y a aussi celles qui sortent des consultations avec des régimes non demandés. Et puis, il y a cette dame dont on a refusé le sang lors d'une collecte parce qu'on craignait qu'il soit "empoisonné" au diabète...

Ailleurs, il est question de l'angoisse qui saisit tout obèse dès qu'il doit prendre le métro. De la difficulté à trouver une robe de mariée quand on pèse 100 kg. Des primes d'assurance-vie qui s'envolent. On imagine mal la somme de problèmes rencontrés par les gros dans leur vie de tous les jours. Jusque dans la mort parfois. Comme cet homme de 170 kg qui a dû récemment être "inhumé contre sa volonté" car "aucun crématorium de la région parisienne n'avait de four assez grand pour son cercueil hors normes".

Donner une réalité statistique à la "grossophobie" n'est pas simple. Aux Etats-Unis, de nombreuses enquêtes ont montré que les obèses ont "un taux d'accès à l'enseignement supérieur plus faible", qu'"ils trouvent plus difficilement un emploi" ou que "leur niveau de revenus est significativement plus bas", comme le rappelle l'anthropologue-sociologue Jean-Pierre Poulain dans son ouvrage le plus récent (Sociologies de l'alimentation, PUF, 2002). En France, les travaux sont encore rares.

Début 2005, l'Observatoire des discriminations a intégré un comédien obèse à un test aveugle consistant à présenter de faux demandeurs d'emploi à de vraies offres professionnelles. Six candidats à l'embauche représentant chacun un profil différent ­ un homme blanc, un homme noir, une femme maghrébine, un handicapé, un homme âgé, un obèse ­ ont répondu à 325 offres d'emploi pour des postes de niveau bac + 2. Résultat: l'acteur dont la surcharge était apparente sur la photo de son CV a obtenu "entre deux et trois fois moins de réponses positives en vue d'un entretien que le candidat [blanc] de référence pour un poste de commercial", indique Jean-François Amadieu, le directeur de l'Observatoire. Pour des postes de télévendeurs ­ – donc sans contacts directs avec la clientèle –, l'écart est moindre, mais reste élevé.

Mais ces discriminations au travail sont également palpables en matière de promotion professionnelle. "Tant que vous êtes au bas de l'échelle dans une entreprise, on se fiche pas mal de savoir si vous êtes gros. Mais si vous voulez devenir cadre, ce n'est plus pareil. Vous représentez alors l'image de la boîte. Et là, pas question d'être obèse", déplore Béatrix de Lambertye, qui n'a pas pu obtenir, dans le secteur de l'export où elle était employée, les responsabilités auxquelles ses diplômes d'études supérieures lui permettaient de postuler.

"Les préjugés sont terribles, poursuit cette femme de forte corpulence. Dans l'esprit des gens, les gros sont forcément paresseux, sales, grossiers, stupides. S'ils sont gros, c'est évidemment de leur faute." Or "tout le monde oublie de dire que les régimes sont des échecs dans 95% des cas, souligne Catherine Lemoine, la présidente de Pulpclub, un magazine en ligne consacré aux personnes enrobées. Dans l'inconscient collectif, le gros reste fautif. Il n'est pas comme le Noir qui est né comme ça et qui ne peut pas changer. Le gros, lui, peut modifier son apparence".

A en croire les associations d'obèses, si un véritable "climat anti-gros" s'est installé en France, celui-ci a été alimenté par les différentes campagnes de prévention contre le surpoids. "On a parfois le sentiment que la lutte contre l'obésité tourne à la lutte contre les obèses", s'inquiète Viviane Gacquière, la présidente d'Allegro Fortissimo. Qu'il s'agisse du Programme national nutrition-santé (PNNS) lancé en 2001 par le ministère de la santé, des cris d'alarme des associations de spécialistes (pédiatres, cardiologues) ou encore des programmes nutritifs imaginés par certains géants de l'agroalimentaire, l'obèse est souvent perçu comme le dernier des pestiférés.

Les projections épidémiologiques, c'est vrai, sont plutôt alarmantes. La prévalence de l'obésité chez l'enfant double ainsi tous les quinze ans. A ce rythme, la France aura rejoint vers 2020 le taux d'obésité infantile des Etats-Unis. Partant de là, quel discours tenir ? Comment dire "mangez mieux" sans crier "haro sur les gros"  ? "Le problème est que le grand discours nutritionnel d'aujourd'hui ne fait que paniquer les mangeurs, relève le docteur Apfeldorfer. On leur explique comment manger sur un mode cartésien, sans tenir compte des sensations que procurent les aliments. Une pizza n'est plus une portion d'Italie, mais une couche d'acides gras agrémentée de morceaux de protides. Résultat: les mangeurs sont angoissés en mangeant. Ce qui a pour effet de les faire grossir."

C'est encore à la télévision que la stigmatisation est la plus visible. Certaines publicités n'y vont pas avec le dos de la cuillère, comme celle de Flunch où des super-héros ne sont plus bons à rien parce qu'ils ont pris du poids. Mais c'est aussi à la télévision que le "morphologiquement correct" est battu en brèche avec le plus d'intensité. Plusieurs animateurs de forte corpulence sont ainsi devenus, ces dernières années, des personnages familiers du petit écran: Guy Carlier sur France 3, Laurence Boccolini sur TF1, Marianne James sur M6. Tous ont été recrutés pour leurs qualités professionnelles, aucun n'incarnant le "joufflu de service", qu'il n'est pourtant pas rare de trouver sur certains plateaux.

La dernière venue s'appelle Magalie. Cette lycéenne de 18 ans fait partie de la nouvelle promotion de la "Star Academy" (TF1). Elle aussi a été sélectionnée pour son talent – ­ certains font d'elle la favorite ­ – et non pour ses kilos, que la production de l'émission trouve quand même un peu "superflus". Passons. "Enfin on montre les gros à la télé !, s'enthousiasme Laurent "l'incroyable fiancé". Jusque-là, on ne les voyait que pour animer des émissions de cuisine, comme Maïté ou Jean-Pierre Coffe. C'est le début d'une nouvelle ère."

A la télévision, toujours, peut-être verra-t-on un jour un film sobrement intitulé Gros. Il est pour l'heure à l'état de scénario. Son auteur s'appelle Jean-Jacques Jauffret. Scénariste-réalisateur, cet homme a été, en août, la victime d'un épisode ubuesque. M. Jauffret s'en revenait de vacances en Inde. Apprenant que son vol de retour était complet, quelle ne fut pas sa surprise de voir un employé d'Air France lui mesurer d'autorité l'abdomen avec une bande adhésive ! L'intéressé put finalement regagner Paris, mais il dut s'acquitter d'un deuxième billet sur lequel quelqu'un avait pris soin d'inscrire son tour de taille (172 cm) et son poids estimé à la louche (180 kg). La chose ne manqua pas de sel puisque M. Jauffret ignore lui-même combien il pèse. Sa balance personnelle ne dépasse pas les 160 kg. Quand il a besoin de mesurer ses fluctuations pondérales, il se rend sur le pèse-bagage de la Sernam, à la gare de l'Est.

S'il n'avait pas déjà bouclé son scénario, cette scène de l'aéroport de New Delhi aurait mérité d'y figurer. Qu'importe. D'autres y seront. Comme la fois où il s'est retrouvé bloqué dans le sas d'une banque, le mécanisme d'entrée étant réglé sur 150 kg pour empêcher que deux personnes puissent y entrer en même temps. Son scénario raconte l'histoire "d'un obèse qui vit dans la culpabilité après avoir perdu son boulot pour des raisons de santé et qui, en même temps, tombe amoureux d'une femme normale". Confronté aux regards des autres, le personnage est aux antipodes du gros un peu lourdingue mais tellement "sympa" qui traverse les fictions de grande audience.

"Ce n'est pas parce qu'on est gros qu'on doit être sympathique. Je réclame le droit de ne pas être drôle, mais d'avoir des angoisses, d'être stressé, de pousser des colères..., s'emporte le scénariste. Il y en a marre du 'tout le monde pareil'. Accepter les différences, ce n'est pas essayer de les réduire."

Un message que M. Jauffret n'a pas eu besoin de répéter lors de ses vacances en Inde. Là-bas, les gens ne l'ont ni insulté ni moqué. Au contraire, ils sont souvent venus caresser ce ventre hors norme, symbole de chance et de prospérité.

Frédéric Potet
Article paru dans l'édition du 27.09.05


Le Monde / Société
Bracelet électronique: la question du respect de la Constitution soulève une vive polémique

 L e ministre de la justice, Pascal Clément, a vivement été mis en cause, mardi 27 septembre, pour avoir annoncé lundi soir qu'il voulait introduire dans la loi anti-récidive présentée à la mi-octobre la rétroactivité du port du bracelet électronique pour les délinquants sexuels. "Toute personne qui sera condamnée aujourd'hui ou hier, le jour où elle sortira de prison pourra avoir un bracelet électronique relié au GPS", avait affirmé le ministre à l'issue d'une rencontre à la chancellerie avec trois des anciennes victimes de Patrick Trémeau, violeur récidiviste libéré en mai et mis en examen et incarcéré samedi pour trois autres viols. Cette mesure ne concernerait que les délinquants et criminels sexuels condamnés au minimum à cinq ans de prison.

Cette rétroactivité aurait un caractère exceptionnel, le principe de la non-rétroactivité prévalant en droit français. Elle avait déjà été intégrée dans la première mouture de la loi examinée en décembre 2004 avant d'être rejetée par le Sénat. Depuis, la loi a été complètement remaniée. Elle sera présentée à la mi-octobre avec le bracelet électronique comme mesure phare.

M. Clément, en présentant ce projet malgré un "risque d'inconstitutionnalité", avait expliqué vouloir le prendre, "et tous les parlementaires pourront le courir avec moi". "Il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel et ceux qui le saisiront prendront sans doute la responsabilité politique et humaine d'empêcher la nouvelle loi de s'appliquer au stock de détenus", a ajouté M. Clément, s'attirant ainsi les foudres des instances judiciaires et de l'opposition.

LE RESPECT DE LA CONSTITUTION EST UN "DEVOIR"

Le président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, a souligné mardi, dans une démarche qualifiée d'exceptionnelle par son entourage, que le respect de la Constitution était "non un risque mais un devoir".

L'Union syndicale des magistrats (majoritaire) et le Syndicat de la magistrature (gauche) se sont peu avant déclarés "choqués" mardi par une rétroactivité du port du bracelet électronique. "De tels propos bafouent les principes d'un Etat de droit, respectueux de la Constitution, de la convention européenne des droits de l'homme et du principe fondamental de la non-rétroactivité des lois pénales", critique l'USM qui évoque une "injonction sans précédent d'un membre de l'exécutif aux députés et sénateurs de ne pas saisir le Conseil constitutionnel". L'USM voit là "un exemple catastrophique donné aux délinquants de mépris de la loi" et "une communication purement démagogique visant à masquer la mise en place par Pascal Clément d'un budget notoirement insuffisant et d'un rationnement des frais d'enquêtes".

Le Syndicat de la magistrature appelle pour sa part "le président de la République et les parlementaires à saisir le Conseil constitutionnel afin que les principes fondamentaux soient respectés et rappelés à un ministre indigne de la République". M. Clément "ose reconnaître l'inconstitutionnalité de certaines dispositions de la proposition de la loi sur la récidive et défie les parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel, exerçant ainsi un chantage inadmissible à l'opinion publique", critique le syndicat dans un communiqué.

"La non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère est un principe constitutionnel également affirmée par l'article 7 de la convention européenne des droits de l'homme", rappelle le syndicat. "L'incitation d'un ministre de la justice à la violation délibérée de la Constitution et de la convention européenne est intolérable et présage de lendemains particulièrement inquiétants pour la démocratie", estime le SM.

Pour les travailleurs sociaux des services de probation et d'insertion de la pénitentiaire (SPIP), Michel Flauder, secrétaire général du syndicat majoritaire Snepap-FSU, a jugé durement l'idée d'une rétroactivité de la loi. "Cela s'appelle s'asseoir sur la Constitution", a-t-il estimé.

"IRRESPONSABILITÉ TOTALE"

Le président du groupe PS à l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault, a estimé mardi que le garde des sceaux n'était "pas digne d'exercer ses fonctions", pour avoir proposé la rétroactivité du port du bracelet électronique. "C'est plus que surréaliste, c'est totalement aberrant car le garde des sceaux est chargé de veiller au respect de la loi", a commenté M. Ayrault devant la presse à l'Assemblée.

"Aujourd'hui, [M. Clément] prend la responsabilité de violer la Constitution et il demande au Parlement de couvrir purement et simplement cette initiative. Cela dépasse l'entendement", s'est insurgé le député-maire de Nantes, en prévenant que "les députés socialistes ne céderaient évidemment pas à cette injonction du ministre de la justice". "A mes yeux, a-t-il poursuivi, il n'est pas digne d'exercer ses fonctions. On serait dans une démocratie parlementaire pleine et entière, rien que cela obligerait le ministre de la justice à donner sa démission".

Le député socialiste Jean Glavany a qualifié pour sa part "d'irresponsabilité totale" la proposition de M. Clément. "Qu'un garde des sceaux, un ministre de la République s'adresse au Parlement en disant 'je vais prendre une mesure anti-constitutionnelle, je le sais, mais je vous en prie laissez-moi faire et ne portez pas le débat devant le Conseil constitutionnel', je trouve ça d'une irresponsabilité totale", a déclaré l'ancien ministre, dans les couloirs de l'Assemblée nationale. "Je me demande si ces gens sont dignes d'être ministres de la République", a ajouté M. Glavany.

Le porte-parole du PS, Julien Dray, a quant à lui critiqué que le ministre de la justice ait incité les parlementaires à ne pas saisir le Conseil constitutionnel sur la question. M. Dray a déclaré sur France Inter ne pas pouvoir se "prononcer tout de suite" sur une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel par le PS à propos d'une mesure qui contredit le principe de non-rétroactivité de la loi pénale. "Je considère que le procédé utilisé par M. Clément est détestable, il faut que les parlementaires gardent leur liberté", a commenté le député de l'Essonne.

Pour Julien Dray, "la vraie question qui est posée c'est le suivi médical qui doit être mis en place dans l'institution pénitentiaire et qui n'est pas mis en place (...) parce qu'il n'y a pas les moyens, il n'y a pas les médecins pour faire ce suivi". "Quand il y a ce suivi, les rapports sont formels, il n'y a pas récidive", a-t-il ajouté. Dans le cas de Patrick Trémeau, violeur récidiviste libéré en mai et mis en examen et incarcéré samedi pour trois autres viols, M. Dray a affirmé que "le bracelet électronique ne l'aurait pas empêché de continuer les viols parce qu'il s'agit de pulsions, de choses qui sont plus fortes que la personnalité".

Lemonde.fr, avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 27.09.05 | 19h35


Le Monde / Europe
L'Estonie, aux prises avec son passé nazi, a accueilli le président israélien
STOCKHOLM correspondance

 R ien ne dit que l'Estonie sera désormais en paix avec son passé. Mais la décision d'un tribunal de l'ouest de cet Etat balte marque ce qui pourrait être l'épilogue d'une funeste histoire. Le tribunal de Laane a décidé, le 14 septembre, qu'un monument dédié "aux combattants de la liberté" mais représenté par un soldat en uniforme SS sera rendu à son propriétaire, un vétéran de cette époque, après avoir fait scandale l'an dernier.

Le monument maudit croupissait depuis un an dans un commissariat, après avoir été arraché de force par la police le 2 septembre 2004, une dizaine de jours seulement après sa mise en place, car il "portait tort à l'image de l'Estonie".

Le bas-relief érigé à Lihula montre un soldat en uniforme nazi, et une plaque le dédiait aux Estoniens qui ont combattu en 1940-1945 pour la restauration de l'indépendance. La plupart de ces vétérans sont des membres de la 20e division SS estonienne, qui sont considérés par beaucoup d'Estoniens comme des héros s'étant battus contre les Soviétiques: ces derniers sont, pour eux, un ennemi bien plus honni que les nazis, ce qui met les Estoniens en porte-à-faux à l'égard de la plupart des Européens.

Ce fossé s'est confirmé en mai 2005 lors des célébrations de la fin de la seconde guerre mondiale. Le président estonien tout comme son homologue lituanien avaient refusé de faire le voyage de Moscou: pour eux, la fin la guerre avait signifié le début de l'occupation soviétique.

La décision du tribunal intervient alors que Moshe Katsav vient d'effectuer la première visite d'un président israélien dans les Etats baltes. Le chasseur de nazis Simon Wiesenthal, récemment décédé, avait régulièrement dénoncé les dérapages en Estonie mais aussi en Lettonie, où des vétérans SS défilent tous les ans.

Lors de sa visite en Estonie, le 19 septembre, le président israélien a adopté un discours plus apaisant, évoquant le renouveau de la vie juive et l'absence virtuelle d'antisémitisme en Estonie. La méthode pourrait se révéler payante, tant les Estoniens se sont braqués ces dernières années à force d'être traités collectivement de collaborateurs.

Moshe Katsav a participé à une cérémonie au camp de concentration de Kloog, où près de 2 000 juifs ont été assassinés par les nazis le 19 septembre 1944. M. Katsav a également posé la première pierre de la future synagogue de Tallinn. Le geste est hautement symbolique puisqu'il s'agira du premier bâtiment juif construit dans le pays depuis la seconde guerre mondiale.

A ce jour, les autorités estoniennes n'ont pas abandonné l'idée d'honorer la mémoire des "combattants de la liberté". Mais la façon "appropriée" de le faire n'a pas encore été trouvée.

Olivier Truc
Article paru dans l'édition du 28.09.05


Le Monde / Société
Polémique après la démission forcée de la petite-fille de Maurice Papon
Maurice Papon arrive, le 4 décembre 1998, à l'hôpital de Pessac, près de Bordeaux, pour subir un bilan médical avant la reprise de son procès | AFP . Patrick Bernard
AFP . Patrick Bernard
Maurice Papon arrive, le 4 décembre 1998, à l'hôpital de Pessac, près de Bordeaux, pour subir un bilan médical avant la reprise de son procès

 C' est une femme qui fuit aujourd'hui une exposition qu'elle n'a pas sollicitée. Rattrapée par un nom ­ Papon ­ qui est celui de son grand-père et qu'elle ne porte pas. Il a suffi d'un écho paru dans Le Parisien du 22 septembre. Le quotidien faisait état des liens familiaux entre la conseillère technique, recrutée début septembre au cabinet du ministre délégué aux anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, et l'ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde, Maurice Papon, condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l'humanité. A peine révélée cette information, la jeune femme, non fonctionnaire, était contrainte de remettre sa démission.

"Nous n'avons rien à lui reprocher, et sa présence dans un autre ministère ne pose évidemment aucun problème" , a expliqué à l'AFP le directeur de cabinet du ministre, Gilles de Lacaussade. "Mais nous sommes dans un ministère très particulier, celui de la mémoire, en contact permanent avec des associations de déportés, des familles de victimes. Très rapidement, d'ailleurs, des fédérations de déportés ont protesté" , ajoutait-il, concluant que "cette situation ne pouvait pas durer" .

Le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, en a été outré. Dès vendredi, il a écrit à M. Mekachera pour protester contre ce qu'il considère être une décision injuste. Il adresse par ailleurs une mise en garde, visant tout à la fois les médias et les autorités politiques. "Nous sommes dans un système de responsabilité individuelle , prévient M. Delevoye. Attention à ne pas nous laisser entraîner sur la pente de la responsabilité collective. En aucun cas, les enfants ou petits-enfants ne doivent payer la facture pour les fautes commises par un de leur ascendants."

Le fondateur de l'Association des fils et filles de déportés juifs de France, Serge Klarsfeld, a pour sa part estimé que cette éviction relevait d'"un cas de discrimination pure et simple" .

Le gouvernement semble depuis avoir pris la mesure qu'"une erreur a été commise" . L'explication avec le ministère des anciens combattants a été suffisamment sévère pour que ce dernier se refuse à présent à tout commentaire. Et Matignon a récupéré la gestion de ce dossier afin de tenter de réparer un préjudice professionnel et humain.

M. Delevoye, chez qui la conseillère avait également été chargée des relations avec le Parlement lorsqu'il était au ministère de la fonction publique, n'en voit pas moins un signe inquiétant. Il avait lui-même alors été alerté, "par un syndicaliste" sur ses ascendances familiales, confie-t-il, mais s'était refusé à "donner une prime à ceux qui pourchassent une dame qui traîne ça depuis son enfance" .

"Les médias doivent réfléchir aux conséquences des informations qu'ils exploitent" , avertit-il. Le médiateur se dit inquiet d'"une certaine forme d'instrumentalisation susceptible de donner une prime à la loi de la vengeance" . "Nous ne sommes pas dans un Etat de pénitence" , estime M. Delevoye. Il invite d'autre part les responsables politiques à assumer leurs responsabilités: "Ils doivent être attentifs au fait que leur rejet est l'expression de leur propre faiblesse. Attention à ne pas alimenter cette image de faiblesse."

Patrick Roger
Article paru dans l'édition du 28.09.05


Le Monde / Société
Le débat sur la récidive relancé après deux faits-divers

 L e ministre de la justice a reçu, lundi 26 septembre dans la soirée, trois victimes de Patrick Trémeau, un violeur récidiviste mis en examen et écroué à Paris, samedi 24. Les agressions pour lesquelles il est de nouveau poursuivi, comme les faits commis par un gardien d'immeuble de Soisy-sur-Seine (Essonne), qui a été écroué, jeudi 22 septembre, pour le viol et le meurtre d'une jeune femme, ont ravivé le débat sur la récidive.

Les victimes de Patrick Trémeau, conduites par l'Association pour la protection contre les agressions et les crimes sexuels, ont tenu une conférence de presse, lundi 26, au cours de laquelle elles ont dénoncé l'absence de "volonté politique" de l'Etat pour contrôler les récidivistes. "Les politiques sont responsables de la sortie de Trémeau, c'est comme s'ils lui avaient donné un bon pour recommencer" , a accusé Marie-Ange Boulaire, l'une de ses victimes. "Je veux que les politiques se sentent coupables, plus moi."

Patrick Trémeau, 42 ans, a été condamné deux fois pour viols, en 1987, à sept ans de réclusion, puis en 1998, à seize ans. Il a été libéré après dix ans d'incarcération, compte tenu des grâces présidentielles et des remises de peines prévues par la loi. Il est soupçonné d'avoir commis trois autres viols, dans la capitale, entre juin et septembre. Jean-Luc Cayez, 48 ans, avait lui aussi été condamné deux fois pour viols, à sept ans de réclusion en 1984, puis à vingt ans en 1991. Il avait été libéré en 2002 après avoir purgé la totalité de sa peine, toutes ses demandes de libération conditionnelle ayant été rejetées.

Les deux hommes n'étaient pas des inconnus pour la police et la justice. D'autant qu'ils venaient d'être inscrits dans le nouveau Fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles (Fijais), qui vise à mieux surveiller les condamnés une fois libérés. Depuis sa mise en place le 1er juillet, 20 200 personnes ont été recensées dans ce fichier. Celui-ci a fait l'objet de 500 000 consultations par les services autorisés de la police et de la justice. Pour 87% des délinquants sexuels déjà inscrits au fichier, une adresse a été identifiée. Ce fut le cas pour MM. Trémeau et Cayez. Leur signalement a été diffusé aux forces de l'ordre locales.

PROPOSITION DE LOI

Par ailleurs, l'inscription au Fijais doit être notifiée directement à la personne, pour qu'elle soit informée de ses obligations: elle doit signaler tout changement de domicile et se présenter au commissariat tous les six mois. Entre juillet et septembre, les services de police ont ainsi procédé à 3 000 notifications. Ils n'ont pas convoqué MM. Trémeau et Cayez.

En gestation depuis deux ans, la proposition de loi sur la répression de la récidive doit passer en seconde lecture à l'Assemblée nationale les 12 et 13 octobre. Le débat avait été relancé en septembre 2003 par le cas de Jean-Luc Blanche, un violeur récidiviste qui avait rompu son contrôle judiciaire. Le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, a depuis lors milité pour l'instauration de peines minimales automatiques pour les récidivistes, solution écartée par la chancellerie car contraire aux principes de l'indépendance des juges et de l'individualisation des peines. Le risque, pour un criminel, de récidiver, est inférieur à 5 pour 1 000.

Très largement modifiée à plusieurs reprises, la proposition de loi prévoit notamment l'instauration du bracelet électronique mobile pour les auteurs de crime sexuel, de meurtre, d'assassinat, d'enlèvement et séquestration.

M. Clément a souhaité, lundi 26, que ce bracelet puisse être utilisé de façon rétroactive sur toutes les personnes condamnées avant la promulgation de la nouvelle loi. Cette proposition avait été écartée en première lecture par le Sénat en raison d'un risque sérieux d'inconstitutionnalité. "Les événements récents vont me pousser à le prendre, et tous les parlementaires avec moi" , a indiqué M. Clément.

Nathalie Guibert
Article paru dans l'édition du 28.09.05


Le Monde / Société
EADS envisage de licencier M. Josserand après ses déclarations contre Thales

 L e groupe d'électronique et de défense Thales a annoncé, lundi 26 septembre, avoir décidé de porter plainte pour diffamation contre son ancien employé Michel Josserand et contre Le Monde.

Dans un entretien publié dans Le Monde daté du mardi 27 septembre, l'ancien PDG de la société Thales Engineering and Consulting (THEC), filiale de Thales, a dénoncé un système de corruption. M. Josserand estimait notamment que "Thales -devait- verser en commissions illégales entre 1% et 2% de son chiffre d'affaires global" . Licencié par Thales en janvier 2004, Michel Josserand a été embauché par le principal concurrent du groupe, EADS, en décembre suivant.

Dans un communiqué, Thales précise que le groupe "réitère son démenti formel à des accusations aussi mensongères que calomnieuses" . "De telles allégations portent un préjudice considérable au groupe Thales qui a mis en place les structures, les procédures et les contrôles indispensables au strict respect des règles du commerce international, et notamment, depuis 2000, de la convention OCDE sur la lutte contre la corruption" , ajoute Thales.

Dans un premier communiqué, le groupe avait rappelé que Michel Josserand avait été licencié "pour avoir commis des irrégularités dans le cadre d'un contrat pour la réalisation du tramway de Nice" et que l'entreprise avait "elle-même porté plainte pour corruption dans cette affaire" .

Le groupe européen d'aéronautique et de défense EADS, qui avait lancé en 2004 une tentative de reprise de Thales ­ et n'a pas complètement abandonné ce projet ­, a aussi réagi à l'interview de son salarié. Dans un communiqué publié lundi soir, le groupe a annoncé qu'il envisageait de licencier M. Josserand.

"EADS est extrêmement choquée par les nombreuses allégations fallacieuses de cet article autant que par les accusations portées à l'encontre d'une grande société partenaire de notre groupe" , dit le texte. "EADS considère que de telles déclarations caractérisent un comportement professionnel inacceptable qui ne peut que l'amener à envisager une procédure de licenciement" à l'encontre de M. Josserand, ajoute le communiqué, qui conclut que le groupe "n'exclut pas d'engager d'autres actions en tant que de besoin".

Interrogé lundi soir, l'avocat de M. Josserand, Me François Lastelle, s'est déclaré "très surpris" par la réaction de l'employeur de son client, espérant qu'il s'agisse d'"un malentendu" . "Je n'ai rien vu contre EADS dans les déclarations de M. Josserand , explique Me Lastelle. J'espère que EADS ne va pas le lâcher comme ça, ce serait très surprenant de la part d'un groupe qui tient à son image de probité. Cela donnerait l'impression que Thales et EADS se sont mis d'accord pour des motifs inavouables."

Concernant la plainte en diffamation envisagée par Thales, l'avocat s'est dit "parfaitement serein" . "Nous fondons de gros espoirs sur l'enquête policière diligentée par le parquet de Paris. M. Josserand a livré de nombreux éléments de preuves aux enquêteurs" , a précisé Me Lastelle. Le conseil de M. Josserand a conclu en estimant que, "dans cette histoire, Thales est un peu l'arroseur arrosé. Ils ont voulu se débarrasser d'un gêneur, et ça leur revient dans la figure".

Dans l'entretien qu'il a accordé au Monde, M. Josserand assure que Thales a mis en place, en 2000-2001, un "code d'éthique" destiné à "formaliser le versement de commissions" . Selon lui, le système mis en place afin de déjouer "d'éventuelles enquêtes policières ou judiciaires" est connu des "responsables de Thales international et, bien sûr, -de- la direction du groupe".

D'après M. Josserand, "il y a des endroits" ou le versement de pots-de-vin est "inévitable" pour décrocher des marchés: "en Afrique, en Corée, en Grèce, en Italie" . "En France, cela dépend des intérêts politiques locaux ou nationaux" , assure l'ancien cadre dirigeant de Thales.

Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Article paru dans l'édition du 28.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Déserts médicaux

 E n France, l'égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire ressemble de plus en plus à une fiction. Lors du rite annuel de l'"amphi de garnison", où les 4 311 étudiants de sixième année de médecine ont choisi leur spécialité de troisième cycle et la ville où ils effectueront leur internat, 971 postes d'internes en médecine générale (600 déjà en 2004) n'ont pas été pourvus. C'est le cas pour 600 postes dans les seules régions du Nord ! De véritables déserts médicaux se profilent.

En novembre 2004, l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), créé en juin 2003, avait, dans son premier rapport, tiré la sonnette d'alarme. Pointant la diminution continue du numerus clausus ­ qui est passé de 8 671 en 1977 à 3 500 en 1993 ­ et le vieillissement du corps médical, il s'inquiétait d'un "problème aigu de renouvellement". Les projections sont éloquentes: dans l'hypothèse d'un numerus clausus à 7 000 à partir de 2006 (promesse de Philippe Douste-Blazy), le nombre de médecins en activité passerait de 205 200 en 2002 à 186 000 en 2025.

En tenant compte de l'accroissement attendu de la population, la densité médicale passerait de 335 pour 100 000 habitants en 2002 à 283 en 2025, une baisse d'environ 15%. Les inégalités territoriales, déjà fortes, risquent de s'aggraver: on compte 421 praticiens pour 100 000 habitants en Provence-Alpes-Côte d'Azur, 258 en Picardie. On préfère être radiologue à Cannes que généraliste à Cambrai.

Si rien n'est fait, la perspective démographique médicale est critique. De 2008 à 2015, le solde annuel entre les entrées et les sorties sera négatif. Ainsi, en 2014, il y aurait 8 000 départs de médecins pour 5 500 arrivées. Ce n'est qu'à partir de 2016 que la situation cesserait de se détériorer. Ce déséquilibre de la démographie médicale repose inévitablement la question de la libre installation des médecins. En 2004, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie a levé le tabou en envisageant de "lier la question du conventionnement et celle de l'installation". Un médecin installé dans une zone surmédicalisée ne serait pas conventionné...

Les pouvoirs publics écartent des mesures coercitives qui se heurteraient à l'hostilité des médecins, et privilégient, outre le relèvement du numerus clausus ­ 6 300 en 2005 contre 5 600 en 2004 ­, l'incitation. Mais les marges de manoeuvre sont étroites. La reconnaissance, en 2003, de la médecine générale comme spécialité a été un échec. Ne faut-il pas, comme le suggère Yvon Berland, président de l'ONDPS, dégager les moyens, d'abord budgétaires, pour permettre aux étudiants d'effectuer vraiment des stages de médecine générale en ville et plus encore en zone rurale ? M. Berland préconise surtout de revoir le système des épreuves classantes nationales (ECN) en organisant le concours dans sept interrégions, où on planifierait les besoins des filières en fonction de la démographie médicale. Les pouvoirs publics y semblent favorables. Mais il y a urgence à passer à l'acte.

Article paru dans l'édition du 28.09.05


Le Monde / Chats
Jack Lang: "Nous devons tenir un langage de vérité et de courage"
L'intégralité du débat avec Jack Lang, député du Pas-de-Calais, membre de la direction du Parti socialiste., mercredi 28 septembre 2005

Atahualpa: Bonjour, Monsieur Lang. Les sondages vous placent en bonne position pour la présidentielle. Ma question est: comment rompre avec le discours politique dominant pour impulser des changements massifs et non dosés par à-coups, tels qu'ils semblent être destinés à apaiser des grognes sporadiques ? Je pense particulièrement à la question du logement.
Jack Lang:
La seule solution, c'est de parler clair et concret. La question du logement est gravissime, et je crois qu'il faut avoir l'audace de la traiter de front. En particulier, parmi les réponses concrètes, il y a celle qui touche au coût du foncier, qui décourage la construction de logements sociaux. Sur ce plan, on peut imaginer des mécanismes d'acquisition par la puissance publique. L'autre sujet est celui de la mixité sociale, et là aussi, c'est une question de choix. On ne peut accepter que des villes ou des quartiers soient ghettoïsés. Des ghettos de riches ou des ghettos de pauvres. C'est une question de volonté politique forte.

Robert: La brisure provoquée par Laurent Fabius n'est-elle pas révélatrice d'une dérive "droitière" du PS ?
Jack Lang:
Dérive droitière du PS, laquelle ? Celle de Laurent Fabius ou celle de la direction du PS ? La question n'est pas claire. La dérive droitière, malheureusement, se produit parfois lorsque des responsables socialistes accèdent aux responsabilités gouvernementales. Mieux vaut être révolutionnaire au gouvernement que dans l'opposition.

LA VISION DE GAUCHE: UN "ÊTRE HUMAIN AU CŒUR D'UN PROJET DE SOCIÉTÉ"

Ludwig: Quel est le programme du PS: une gauche opposée au libéralisme ou un centrisme vaguement social?
Jack Lang:
En un mot, il y a deux visions de la société: la vision de droite, qui transforme l'être humain en marchandise et qui garantit et perpétue la dictature du profit, de la rentabilité à court terme et de la spéculation financière; et une vision de gauche, qui, à l'inverse, place l'être humain au cœur d'un projet de société pour faire régresser la marchandisation. Nous avons besoin de services publics forts et puissants, et de politiques publiques audacieuses: éducation, recherche, industrie, etc.

Ludwig: Comment le PS peut-il renouer avec son électorat à la suite du désaveu du 29 mai ?
Jack Lang:
Le désaveu du 29 mai est un désaveu qui visait M. Chirac. Les électeurs ont exprimé une colère contre le pouvoir établi. Ils l'avaient d'ailleurs exprimée un an plus tôt, au moment des élections européennes et régionales. Le PS n'était pas candidat au scrutin du 29 mai, c'était M. Chirac proposant un texte de référendum, et celui-ci a tourné à l'anti-plébiscite, par un rejet massif de M. Chirac. D'ailleurs ceux des dirigeants socialistes qui bénéficient de la confiance populaire sont ceux-là mêmes qui ont mené campagne en faveur du oui. Preuve que pour les électeurs, la question du 29 mai était une protestation forte contre la droite, et non pas contre tel ou tel dirigeant socialiste.

Gille: "Changer le PS", cela veut-il dire rompre avec le système du parti d'Epinay ?
Jack Lang:
Sûrement pas ! Le congrès d'Epinay visait à faire du PS l'axe central de la gauche. Et aujourd'hui, plus que jamais, le PS se doit d'être offensif, créatif, audacieux, et c'est autour de lui que le rassemblement de la gauche s'opérera le jour venu.

Ludwig: Peut-on envisager une scission au sein du PS, à l'instar de ce qui s'est fait outre-Rhin avec le Linkspartei?
Jack Lang:
Sûrement pas. Cette question ne se pose pas. Je crois que l'actuelle majorité du PS l'emportera au prochain congrès, et l'autorité morale du PS en sortira renforcée.

Starsailor: Quelles propositions concrètes pour "placer l'être humain au cœur du système"? Que pensez-vous du smic à 1 500 euros?
Jack Lang:
Ce montant me paraît encore trop modeste. Si vous partez des augmentations du smic décidées sous le gouvernement Jospin, vous obtenez un chiffre de 1 400 euros en 2012. Nous proposons que cette augmentation du smic soit calculée en net. Il faut donner à chacun un logement décent, un véritable emploi et une éducation qui lui permette d'obtenir une qualification élevée. Il faut donc des politiques publiques puissantes en faveur du logement, de la croissance et de la recherche.

Clément: Que pensez-vous de la candidature d'une femme à l'élection présidentielle ?
Jack Lang:
C'est une très bonne chose. Il ne faut pas juger une candidature en fonction du sexe de la personne, mais de sa capacité à rassembler large. La question du sexe n'a pas lieu d'être posée.

Alain: Vous êtes candidat à l'élection présidentielle. Qu'est-ce qui vous différencie des autres candidats du PS?
Jack Lang:
Difficile de parler de soi-même. Il faut s'interroger sur les paramètres qui peuvent constituer une bonne candidature. Le premier est l'expérience de la gestion de l'Etat. J'ai été douze ans ministre de la République. Deuxième paramètre: la confiance populaire. J'ai le sentiment qu'elle ne m'est pas refusée. Troisième paramètre: la puissance et la force de conviction pour faire changer les choses. Cette question est à examiner par comparaison avec d'autres. Laissons le temps de la décantation faire son œuvre.

L'IMPORTANCE DU CONGRÈS DU MANS

Ludwig: Le grand nombre de candidats plus ou moins déclarés au PS ne risque-t-il pas de désorienter les partisans socialistes ?
Jack Lang:
La question des candidatures n'est pas principale aujourd'hui. Il s'agit de mettre en ordre de marche le PS dans un esprit collectif. Personnellement, je travaille de toutes mes forces à la réussite du congrès du Mans, qui aura lieu en novembre prochain. Le choix du candidat sera opéré dans un an. Patience, patience, patience...

Blutch: Alors que la France compte 3 millions de chômeurs, la division du PS est-elle un aveu d'impuissance de l'opposition à formuler des propositions claires contre ce fléau ?
Jack Lang:
Le congrès du Mans donnera la parole aux militants socialistes. Et ils trancheront clairement entre les uns et les autres. Et une fois une majorité acquise, le PS parlera d'une seule voix, en particulier pour lutter contre le cancer du chômage.

Seb: Est ce que le congrès du Mans va marquer, selon vous, le renouveau du PS ?
Jack Lang:
C'est une condition sine qua non du renouveau. C'est une étape. Après la crise qui a malheureusement fait beaucoup de mal au PS, le congrès du Mans donnera au PS une unité, une capacité à rassembler la gauche.

Miles: Ne pensez-vous pas que le manque de renouvellement du personnel politique est l'un des problèmes majeurs en France, et cela si on le compare à nos voisins européens?
Jack Lang:
C'est assez vrai. La France est marquée par une longévité exceptionnelle du personnel politique. Ce n'est pas le seul pays dans ce cas. L'Italie, par exemple, ou le Portugal, sont dans la même situation. Etrangement, les pays du Sud en général sont attachés à une certaine expérience des responsables politiques. Les pays du Nord font plus aisément confiance à des femmes ou des hommes plus jeunes, plus neufs.

Luizou: Que pensez-vous du terrain institutionnel de la Ve république ? Doit-il être bouleversé radicalement ?
Jack Lang:
Pour moi, changer la République est une nécessité absolue. Ce n'est pas un luxe d'esthète du droit. Aujourd'hui, le pays crève d'une asphyxie du système. Une des nombreuses anomalies du système français, c'est la concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, qui, en même temps, est irresponsable politiquement, pénalement et juridiquement. C'est pourquoi je propose qu'il soit à l'avenir responsable devant l'Assemblée nationale, et que notre Assemblée nationale, qui est une Assemblée au rabais, devienne une Assemblée à part entière, comme dans les autres pays d'Europe. Ce changement profond est une nécessité absolue si l'on veut transformer la situation économique et sociale. Par exemple, nous ne pourrons vaincre la malédiction du chômage si nous ne sommes pas en mesure de mobiliser l'ensemble du pays, les travailleurs, les syndicats, les entrepreneurs, les citoyens. Ceux qui souhaitent m'interroger plus précisément peuvent m'écrire sur le site: jacklang.net. Dans mon livre Changer, édité chez Plon, je soumets plusieurs autres idées de transformations.

Gedeon: Peut-on espérer une alliance entre vous et Arnaud Montebourg ?
Jack Lang:
Pour l'heure, le NPS souhaite renverser l'actuelle direction du PS. Ce n'est peut-être pas la meilleure voie pour aboutir à un accord... Mais si, comme je le crois, nous l'emportons largement au congrès du Mans, toutes les bonnes volontés seront les bienvenues. Il y a en particulier un point sur lequel les analyses de Montebourg et de moi-même convergent: la transformation de la République.

Sören: La motion Hollande, que vous soutenez, est-elle axée sur une copie du modèle scandinave, que tous le monde semble vanter?
Jack Lang:
Oui, on peut dire cela. Nous nous inspirons évidemment des expériences politiques qui réussissent. La Suède, par exemple, parvient à la fois à créer des emplois et de la richesse économique tout en assurant un haut niveau de protection sociale et une élévation de l'éducation et de la recherche.

Djiddy: Comment analysez-vous la fuite de l'électorat ouvrier vers le FN ?
Jack Lang:
C'est un phénomène déjà très ancien. Les analyses sont multiples. Certains pensent que l'affaiblissement du PC a conduit certains électeurs protestataires à voter pour un parti de gueulards. Par ailleurs, aux dernières élections, régionales et européennes, les socialistes ont retrouvé la confiance d'une bonne partie de l'électorat populaire. Il faut pour ce faire créer une dynamique, redonner une vraie espérance, et surtout proposer des projets clairs et concrets.

LA "RIGUEUR MORALE ET INTELLECTUELLE" DE LA GAUCHE

Burkimbila: Vue de l'extérieur, la France, ces dix dernières années, semble être un pays qui se crispe, qui hésite. Que faire à gauche pour créer une nouvelle dynamique, une nouvelle espérance ?
Jack Lang:
Je pense que la gauche doit être exemplaire par sa rigueur morale et intellectuelle. Face à un gouvernement qui ne cesse de tromper les Français, nous devons tenir un langage de vérité et de courage. Par ailleurs, je crois qu'il nous faudra proposer un programme qui montrera comment nous pouvons remettre en marche l'économie et assurer concrètement l'égalité des chances. Mais on ne peut pas répondre en deux mots à une telle question... Et c'est un sujet sur lequel nous avons encore à travailler, il faut le dire. Pour moi, la gauche a une double mission: rétablir une prospérité créatrice d'emplois, donner sa chance à chaque citoyen et aussi à chaque partie du territoire national.

Korch: Une coalition avec l'UDF est-elle envisageable ?
Jack Lang:
Inimaginable. Ce serait une confusion qui ajouterait au doute et au scepticisme des Français.

Blutch: Monsieur Lang, vous n'êtes pas concret dans vos réponses. N'est-il pas temps de proposer des solutions concrètes aux questions qui vous sont posées, ici comme chaque jour dans ce pays ?
Jack Lang:
Qu'on me pose des questions concrètes, et non pas des questions générales. Je veux bien répondre à des sujets précis: l'éducation, la recherche, l'industrialisation... Mais les questions qui me sont posées sont beaucoup trop générales.

Alain: L'éducation suscite un grand intérêt dans notre pays. Quelles mesures immédiates vous semblent nécessaires ?
Jack Lang:
D'abord, redonner à l'éducation une priorité dans le budget de l'Etat. Depuis trois ans, l'éducation a été littéralement massacrée. Près de 80 000 postes ont été détruits. Naturellement, ce n'est qu'une première condition d'une politique nouvelle. Pour lutter contre les grandes inégalités sociales et culturelles, il faut imaginer, parallèlement à l'école, un véritable service public d'accompagnement des enfants, des jeunes, et même des parents. Parmi les mesures que je propose: l'obligation scolaire à 3 ans, la création de classes-passerelles pour les enfants entre 2 et 3 ans, le soutien aux associations périscolaires pour favoriser l'initiation aux sports et aux arts. Je préconise aussi pour les élèves des collèges la possibilité d'une prise en charge complète des études dirigées, la création de véritables internats, le doublement des bourses. Ensuite, au lycée, je voudrais que l'on puisse prendre des mesures concrètes pour encourager les élèves à s'orienter vers les grandes voies de formation: lettres, sciences, économie, et à les détourner des voies de garage dans lesquelles ils se réfugient parfois. Enfin, notre enseignement supérieur, aujourd'hui abandonné, aurait besoin d'un coup de booster très sérieux. Et l'une des questions importantes qui se posent pour l'avenir est la pénurie de jeunes hautement qualifiés. D'où la nécessité d'un plan pluriannuel de développement des universités et des grandes écoles.

Jclaude: Et où trouver l'argent pour ces généreux programmes éducatifs ?
Jack Lang:
La question est plus générale, c'est quelles ressources nationales pour quel type de dépenses ? On est là au cœur des choix politiques. Le gouvernement actuel accorde en permanence des cadeaux fiscaux aux plus riches, dépense dans l'arme nucléaire des sommes folles. Dans le même temps, il étouffe la recherche, l'éducation et la culture, c'est-à-dire les dépenses d'avenir. C'est un choix collectif que l'on doit opérer. Il faut améliorer les ressources fiscales, notamment en frappant les hauts revenus et les patrimoines les plus importants, il faut entreprendre des économies dans certains ministères: défense ou finances. Et à l'inverse, il faut changer de braquet en faveur des ministères de l'emploi, de la recherche, de l'éducation et de la culture.

Vincent 75: Votre réaction aux propos scandaleux de M. Baroin qui met les DOM-TOM en situation explosive ?
Jack Lang:
Je suis favorable au droit du sol. Un enfant né en France est français. Je trouve inadmissible que le gouvernement envisage de remettre en cause une grande tradition nationale. Cette tentative de remise en cause du droit du sol s'inscrit dans une politique globale anti-immigrés et anti-étrangers.

L'EUROPE: "ON EST DANS UNE BELLE MOUISE AUJOURD'HUI ! "

Gilles Deuge: Et le paramètre européen ? Comment le relancez-vous ?
Jack Lang:
On est dans une belle mouise aujourd'hui ! On attend toujours le fameux plan B promis par les responsables politiques partisans du"non". Ils avaient fait croire aux Français qu'un "non" français susciterait la mise en mouvement des peuples européens pour réclamer un traité plus social encore. La triste vérité est autre: la droite libérale gagne les élections en Allemagne et en Pologne massivement. Il est donc illusoire de faire croire que l'on pourra renégocier un meilleur traité au cours des prochaines années. Mais en même temps, je suis optimiste, et si nous gagnons les élections l'année prochaine, nous essaierons avec les gouvernements de gauche européens de relancer la flamme européenne.

Mouif: Monsieur Lang, votre position au sujet de l'envolée des prix du pétrole ?
Jack Lang:
C'est un fait, consécutif à la déstabilisation du monde opéré par les Etats-Unis. Et aussi par un certain nombre d'accidents naturels comme les divers tsunamis et ouragans. Donc il n'y a pas un gouvernement mondial qui pourrait aujourd'hui empêcher cette flambée du pétrole. On peut bien sûr tenter de négocier avec les pays producteurs. On doit aussi limiter les conséquences pour l'économie, pour les investisseurs et les consommateurs de cette hausse des prix du pétrole. Nous sommes partisans que les consommateurs puissent bénéficier d'un certain nombre de rabais, notamment lorsque les prix tendent à se stabiliser. Par ailleurs, je souhaiterais que l'on crée une taxe sur les super-profits des compagnies pétrolières à hauteur de 1 milliard d'euros, pour financer dans les régions françaises les plus pauvres des infrastructures ferroviaires ou fluviales. Enfin, je crois qu'il faut plus que jamais s'interroger sur les énergies de substitution.

Ludwig: Que peut faire le PS contre la marée libérale qui gagne l'Europe ?
Jack Lang:
Nous ne pouvons pas nous substituer aux électeurs polonais ou allemands. Nous avons déjà à convaincre nos propres citoyens. Et je suis convaincu que si la gauche l'emporte l'année prochaine, un leadership français peut contribuer à endiguer cette vague libérale. Et nous nous associerons à nos amis espagnols, portugais, nordiques, et sans doute italiens. C'est une dynamique que nous devons créer à partir d'une victoire électorale l'année prochaine.

Chat modéré par Alexis Delcambre et Fanny Le Gloanic
LEMONDE.FR | 28.09.05 | 17h54


Le Monde / Entreprises
Walter Butler, énarque et proche de Dominique de Villepin

 À  une carrière dans un grand groupe ou dans la politique, Walter Butler, 49 ans, a préféré créer son entreprise de capital-risque en 1991. Butler Capital Partners, qu'il préside, gère aujourd'hui plus de 300 millions d'euros.

Américain par son père et brésilien par sa mère, M. Butler a débarqué en France à 8 ans, après le divorce de ses parents. Un choc. "Je quittais une ville ensoleillée -Rio de Janeiro- pour un pays froid, séparé de mon père", se souvient-il. Son parcours semble tracé: Institut d'études politiques de Bordeaux, maîtrise de droit, ENA en 1980. C'est Dominique de Villepin qui le fait réviser. Echanges de bons procédés: M. Butler aidera quelques années plus tard, le frère de M. de Villepin à entrer à l'ENA. Sorti parmi les meilleurs de sa promotion, M. Butler choisit l'inspection des finances.

Après des missions de contrôle de perceptions en France et en Afrique, il devient en 1986 conseiller de François Léotard au ministère de la culture. M. Butler travaille aux côtés de Jean-Marie Messier, qu'il avait croisé à l'ENA, pour privatiser TF1. "C'était passionnant. Mais j'ai compris à ce moment-là que je ne ferais ni politique ni carrière dans un grand groupe. J'y serais mort d'ennui", affirme aujourd'hui M. Butler. Il se fait embaucher par la banque américaine Goldman Sachs, part aux Etats-Unis et découvre le capital-risque.

Retour en France, en 1991. M. Butler fait jouer son carnet d'adresses. L'homme d'affaires François Pinault, proche de son beau-père, conseille à M. Butler d'entrer au capital de l'agence de publicité BDDP en 1994. "En trois ans, nous avons multiplié notre mise -15 millions d'euros pour 20% du capital - par quatre".

Butler Capital Partners n'a pas de secteur de prédilection. En douze ans, la société a investi dans France Champignons, César (déguisements), le groupe Flo ou la SSII Osiatis. "Nous restons en moyenne cinq ans dans le capital et visons trois fois le capital investi", indique M. Butler. Boulimique de travail, ce féru d'art contemporain, a intégré en 2004 le Conseil d'analyse économique.

Nathalie Brafman
Article paru dans l'édition du 28.09.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

GB ♦ 29.09.05 | 18h01 ♦ Je me délecte en lisant ces commentaires. Ce qu'on y voit, en filigrane, c'est que les francais, ou pour le moins les lecteurs du Monde, continuent de vivre dans une douce illusion, confortable, selon laquelle les puissants qui ont de l'argent sont méchants, et les humbles sont gentils. La pauvreté et la vulnérabilité érigées en valeur morale en soi! A l'inverse, le pouvoir ou la richesse, même mérités, sont l'oeuvre du mal. Après 2000 ans d'histoire chrétienne on a pas fait bcp de progrès.
Docteur Dominique Buresi ♦ 28.09.05 | 14h33 ♦ Le MONDE avait bien voulu publier ,il y a deux ans environ , dans le courrier des lecteurs ma correspondance intitulée ''La Corse en perdition ''.Les faits actuels confirment mon triste constat. M.Paul Giaccobbi exprime tout haut ce qu'une majorité silencieuse en Corse ressent,l'avenir semblant sans perspectives .Les responsabilités sont largement partagés et les corses ne peuvent s'en exonerer;le debat politique se résumant trop souvent à des slogans. Corsica n'avvare mai bene disait Paoli .
thom ♦ 28.09.05 | 11h48 ♦ C'est beau cette faculté de capter absolument toute l'énergie sociale qu'il est possible de capter autour de soi pour grimper sans scrupules dans la vie.
Sampieru ♦ 28.09.05 | 11h39 ♦ Pour avoir travaillé avec eux (ancien client), je peux vous dire que BCP a un solide palmarès de redressement d'entreprises qui seraient mortes sants eux. Des milliers d'emplois sauvés. POur un gros bénéfice certes, mais à la hauteur du risque pris lorsqu'il s'agit de reprendre des sociétés systématiquement moribondes. Que personne d'autre ne veut.
Atahualpa ♦ 28.09.05 | 10h43 ♦ Cette relation amicale ajoute un peu plus de suspicion sur l'enjeu qui entoure cette affaire.
citoyenX ♦ 28.09.05 | 02h34 ♦ Les anciens élèves de l'ENA, c'est devenue une vraie mafia, dont le seul moteur est l'intérêt personnel et non plus le service de l'Etat et l'élaboration de solutions de bon sens pour réformer la gestion publique. Sujet tabou !
geisberg ♦ 28.09.05 | 02h20 ♦ Pas mal. je n'ai pas de sympathie particulière pour ceux qui pompent les subventions publiques, engagent des effectifs pléthoriques, fournissent un service foireux, La Société devrait simplement mettre la clef sous la porte et arrêter de dilapider mes impôts. Mais peut-on pour autant éprouver autre chose qu'un grand dégoût face à ce qui apparaît effectivement comme un autre vol organisé, drapé dans les oripeaux de la respectabilité, de la compétence, de l'honneur, etc...?
zevab ♦ 27.09.05 | 23h05 ♦ Par quel hasard curieux ce monsieur Butler est-il le seul volontaire à la reprise de la SNCM? Cette société connaitra-t-elle une fin identique à celle du groupe Flo, racheté par ce monsieur, et dont les boutiques ont récemment été fermées? Lorsqu'il n'y aura plus rien à gérer en France la vie sera plus facile pour ceux qui ont eu mission de prendre soin de ce pays.
JEAN-LUC B. ♦ 27.09.05 | 21h34 ♦ Tout va bien dans le meilleur des mondes, les grands investissent pour récupérer trois fois la mise et tant pis pour les drames sociaux. C'est la capital risque, ...des banlités mais attention à la nuit du 4 août certains privilèges peuvent être repris ou détruits.
PATRICK O. ♦ 27.09.05 | 20h17 ♦ Les copains et les coquins. Rien de nouveau sous le soleil. Les puissants, amis des puissants, aident les puissants.


Le Monde / Carnet
Nécrologie
Jacques Proust, spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle

 J acques Proust, dont les travaux sur Diderot font toujours référence, est mort, lundi 19 septembre, à Montpellier. Il était âgé de 79 ans.

Né le 29 avril 1926 à Saintes (Charente-Maritime), Jacques Proust est élève de l'Ecole normale supérieure en 1947 et obtient l'agrégation de lettres trois ans plus tard. Chargé d'enseignement à la faculté des lettres de Montpellier en 1961, puis professeur en 1963, il fait presque toute sa carrière à Montpellier jusqu'à sa retraite en 1986, laissant le souvenir d'un enseignant rigoureux, à l'écoute des étudiants.

L'enseignement de Jacques Proust était nourri par ses travaux de recherche. Il fut le "maître des études consacrées à Diderot" (Pierre Chaunu). En 1962, ayant soutenu, sous l'égide d'André Pommier, une thèse sur Diderot et l'Encyclopédie (dernière édition en 1995 chez Albin Michel), il édite plusieurs textes du philosophe, Sur la liberté de la presse, Quatre contes, et devient ainsi, en 1964, secrétaire du comité national chargé d'éditer les oeuvres complètes de Diderot.

A la fin des années 1960, Jacques Proust établit le plan général de l'édition et, avec Herbert Dieckmann et Jean Varloot, en prend la direction. En 1976, il publie avec John Lough quatre volumes réunissant les articles de L'Encyclopédie. Sa dernière contribution à l'édition date de 1989. Le Japon, présent dans ses travaux dès 1977, a pris une place de plus en plus importante ces dernières années: il étudiait particulièrement le passage et la réception au Japon des idées, des savoirs et des croyances du XVIIIe siècle.

Non content de mener une recherche active et brillante, Jacques Proust a encouragé celle des autres: il fonde, en 1968, le Centre d'étude du XVIIIe siècle de Montpellier (aujourd'hui IRCL) qui sera rattaché au CNRS et lancera les premières missions de recherche dans les bibliothèques et les archives d'URSS et de Pologne; de 1987 à 1989, il dirige la Maison du Liban à la Cité internationale.

Homme de convictions, hostile à la guerre d'Algérie, il avait adhéré en 1955 au Parti communiste qu'il quittera en 1976. Son engagement politique n'était pas séparable de son profond attachement à la foi protestante.

Dominique Triaire - Vice-président de l'université Paul-Valéry - Montpellier-III
Article paru dans l'édition du 28.09.05

cet article figure ici pour un motif très personnel, et sans nulle valeur documentaire manifeste: Jacques Proust fut un de mes professeurs, en ces temps déjà assez lointains où j'étudiais à l'Université Paul-Valéry, et si la nouvelle de sa mort m'a fait chagrin, le fait que Le Monde, dans sa rubrique nécrologique lui rende, un hommage (mérité), m'a fait plaisir. Outre d'être LE spécialiste de Direrot, c'était un fin connaisseur de la littérature et de la culture du XVIII° siècle et un professeur de grand talent, sachant nous intéresser à son savoir. Et en plus, il était très plaisant (dans le sens de “drôle”, amusant — et parfois ironique).


Le Monde / Opinions
analyse
Réflexions iconoclastes sur le budget et les impôts, par Laurent Mauduit

 N' est-il pas temps de remettre en question la politique de baisse des impôts conduite depuis bientôt vingt ans, en France, par la droite aussi bien que par la gauche ? Alors que le conseil des ministres examine, mercredi 28 septembre, le projet de loi de finances pour 2006, on peut en prendre le pari: nul ne soulèvera cette question iconoclaste, pourtant au coeur des contradictions dans lesquelles se trouvent prises les finances publiques.

Dans le cas de la droite, toutes sensibilités confondues, on devine sans peine pourquoi elle est taboue: les baisses d'impôts constituent la pierre angulaire de sa politique économique. Qui ne connaît le raisonnement ? L'Etat dépense trop; il faut donc réduire son train de vie; ce qui permettra de redonner du pouvoir d'achat aux Français en allégeant leurs prélèvements, et de stimuler ainsi le dynamisme et la compétitivité de l'économie.

Quant à la gauche, elle critique les nouvelles baisses d'impôts annoncées par Dominique de Villepin, mais plus à cause des modalités retenues – ­ qui avantagent les hauts revenus ­ – que pour une question de principe. Car, sur le fond, les socialistes défendent depuis longtemps un cocktail budgétaire similaire – ­ même si le dosage peut être différent – , associant réduction des dépenses de l'Etat et baisse des impôts. Pourtant, à y regarder de plus près, on comprend vite que ce consensus perd de plus en plus de sa pertinence et que le moment est venu sinon de le remettre en question, du moins d'en débattre. Sauf à accepter que la politique budgétaire s'englue dans une impasse.

Première interrogation provocatrice, mais dont il devient difficile de faire l'économie: est-il ainsi exact que l'Etat dépense toujours davantage et qu'il est prioritaire de le mettre à la diète ?

On connaît la réponse, la plus souvent assénée dans les débats publics: évidemment oui, l'Etat fait, si l'on peut dire, du "gras" puisque la dépense publique est passée de 44,7% du produit intérieur brut (PIB), en 1978, à 54,7%, en 2003. N'est-ce donc pas l'indice incontestable d'un Etat devenu obèse, puisqu'il absorbe plus de la moitié des richesses produites.

Et pourtant, non ! Car si les dépenses publiques augmentent effectivement, c'est sous le coup de l'envolée de celles liées à la protection sociale (de 18,9% du PIB à 25,2% au cours de la même période). Si l'on s'en tient aux seules dépenses de l'Etat, il n'y a aucune progression. Atteignant 22,1% du PIB en 1978, les dépenses de l'Etat sont restées quasi étales les vingt-cinq ans suivants, pour se situer à 22,8% en 2003.

On peut donc défendre le modèle social français et faire valoir que le vieillissement démographique et l'amélioration des techniques médicales justifient qu'il coûte de plus en plus cher. Ou alors, on peut s'inquiéter de cette dérive et plaider pour des réformes énergiques. Mais il faut, dans tous les cas, admettre que c'est là un autre débat. Et que les dépenses strictement engagées par l'Etat ne sont pas en cause. On observe d'ailleurs que la plupart des grands pays de l'OCDE ont des taux de dépenses de l'Etat assez voisins de la France, autour de cette barre de 22% du PIB.

Deuxième série de questions, impossibles à éluder: pendant combien de temps sera-t-il encore possible de baisser les impôts ? Y a-t-il une limite à ne pas dépasser ­ – sauf à prendre le risque de mettre en cause certaines des missions de l'Etat ? Personne n'ose aborder le débat de front. Il est pourtant décisif.

Car depuis deux décennies, chaque gouvernement y a été de ses baisses d'impôt. De1986 à aujourd'hui, tous les prélèvements ont été réduits. De la TVA à l'impôt sur le revenu en passant par la fiscalité de l'épargne, les taxes d'habitation et professionnelle ou l'impôt sur les sociétés, les plans d'allégement se sont succédé à marche forcée. Et s'il y a eu un impôt nouveau, l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), rétabli en 1988, pour le reste, la France n'a connu qu'une rafale de baisses.

Dans les débats publics, cette réalité est, certes, tout autant contestée. Le plus souvent, un seul chiffre est évoqué: celui qui atteste de l'envolée des prélèvements obligatoires. Qui ne connaît la tendance, rappelée à l'envi ? De 35,1% du PIB en 1970, ces prélèvements sont progressivement passés à 43,8% en 2003. Preuve irréfutable que l'Etat prélèverait toujours plus, pour dépenser aussi... toujours plus ! Là encore, la démonstration est entachée de mauvaise foi. Sur la période considérée, ce sont les prélèvements sociaux (CSG comprise à partir de 1991) qui ont progressé (de 13,1% du PIB à 21,8%), expliquant la dérive des ponctions obligatoires. Mais si l'on s'en tient au seul périmètre de l'Etat, le constat est inversé: le poids des prélèvements s'est très nettement allégé à cause des mesures de transferts, liés à la décentralisation. Mais aussi à cause, précisément, de la politique continue de baisse des impôts.

A preuve, la part des prélèvements de l'Etat a, ainsi, chuté de 18,4% du PIB en 1970 à 15,6% en 2003. Soit une baisse spectaculaire équivalente à 2,8 points de PIB. Sur la même période, le poids de la TVA a ainsi été allégé d'un montant équivalent à 1,7 point de PIB et l'impôt sur le revenu de 0,3 point (et même de 1,3 point si l'on prend non plus 1970 mais 1981 pour année de référence).

Cette diminution de 2,8 points de PIB des prélèvements d'Etat laisse perplexe. A-t-on relevé que ce chiffre colossal, qui équivaut à plus de 43 milliards d'euros, est voisin du déficit que l'Etat a enregistré cette même année 2003, soit 2,9% du PIB. Il ne s'agit pas d'en conclure que sans les baisses d'impôts décidées au cours des deux dernières décennies, le budget de l'Etat serait aujourd'hui à l'équilibre. Le raisonnement serait absurde: dans une économie mondialisée, la France ne pouvait pas se tenir à l'écart de la vague du "moins d'Etat" et du "moins d'impôt" qui a commencé à déferler dans le courant des années 1980, sauf à perdre, comme on dit maintenant, de son "attractivité".

La similitude des deux chiffres incite, tout de même, à se poser une cascade de questions: la France peut-elle encore longtemps continuer à conduire à crédit une politique de baisse des impôts ? L'interrogation concerne au premier chef Dominique de Villepin qui a choisi d'annoncer une nouvelle réforme de l'impôt sur le revenu pour 2007, sans révéler, dans le même temps, les conditions de son financement. Ce qui laisse à penser que ces cadeaux fiscaux alourdiront encore un peu plus les déficits de l'Etat, et en bout de course, la dette.

Autre interrogation, plus profonde celle-là: après deux décennies de baisse des impôts (parfois sur fond de populisme antifiscal), la gauche et la droite ne devront-elles pas se préparer à un combat autrement plus difficile: recommencer à défendre auprès de l'opinion la fonction citoyenne de l'impôt ?

En tout cas, la politique budgétaire française semble arriver à un tournant de son histoire. Longtemps, Jacques Chirac a pu populariser la fameuse équation de l'économiste américain Arthur Laffer, en usant du slogan: "Trop d'impôt tue l'impôt." Mais aujourd'hui, l'équation est en train de s'inverser; et c'est un nouveau slogan qu'il faudrait inventer: "Trop de baisse d'impôt tue l'impôt" ... et creuse le déficit.

Mais comme cette évidence n'est pas bonne à dire, le ministère des finances use de stratagèmes dont il a le secret, en affichant un budget pour 2006 dont la sincérité est douteuse, adossé à des prévisions de déficits publics très nettement enjolivées...

Laurent Mauduit
Article paru dans l'édition du 28.09.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

ouf enfin ♦ 28.09.05 | 13h15 ♦ ca fait du bien de lire autre chose que la vulgate neoliberale, je suis au danemark avec le taux d´impot le plus fort d´europe, et tous les services publics fonctionnent, le niveau de vie est parmi les plus elevés, il n´y a pas d´inegalités criantes, la cohesion sociale empeche l´insecurité. Des fois l´impot peut etre "profitable", si l´on ne prend pas que l´aspect financier.
Emilie M. ♦ 28.09.05 | 12h34 ♦ Vous militez pour payer des impôts, et bien commençons par supprimer l'abattement fiscal tout à fait injustifié dont bénéficient les journalistes.
FLORENT D. ♦ 28.09.05 | 11h48 ♦ Il faut distinguer entre deux façons de baisser les dépenses des administrations publiques: cette baisse peut se faire par une réduction des actions et des résultats de l'Etat, ou par une amélioration de l'efficacité de l'Etat à résultats égaux. La réforme de l'Etat vise la seconde méthode, laquelle peut permettre de faire des réelles économies. Or cet article n'évoque pas une seule fois la notion d'efficacité de l'action publique, ce qui est vraiment malhonnête.
citoyenX ♦ 28.09.05 | 11h28 ♦ N'importe quoi. Quelle différence faire entre l'impôt sur le revenu et la CSG qui sont deux prélèvements obligatoires, du point de vue du contribuable ? La CSG est bien un impôt, inique de surcroît: beaucoup de ménages chargés de famille payent davantage de CSG que d'impôt sur le revenu et il n'y a pas de modulation en fonction des charges de famille. Il est fallacieux de considérer séparément l'impôt sur le revenu, la CSG et les impôts locaux: ce qui diminue d'un côté augmente de l'autre etc.
JEAN CHRISTOPHE C. ♦ 28.09.05 | 09h45 ♦ On nous explique donc que l'etat est un bon gestionnaire tant qu'il s'agit de ses propres depenses; mais pour le reste des depenses c'est la gabegie! mais alors, qui est donc responsable de la gestion de la depense publique? et de la dette abyssale? n'y a-t-il plus de pilote dans l'avion? Messieurs les analystes, un peu de serieux!imaginez un chef d'entreprise qui expliquerait son mauvais resultat car ses employes depensent trop, mais pas le conseil d'administration!
Vincent P. ♦ 28.09.05 | 08h56 ♦ Intéressant et bonne remise en perspective, mais dire que les dépenses sociales qui augmentent ne sont pas du ressort de l'état, c'est faire un raccourci un peu rapide qui sert la démonstration certes, mais ne fait pas disparaître pour autant la réalité: de + en + de dépenses pour de moins en moins de recettes.
domien ♦ 28.09.05 | 02h51 ♦ Il y a au moins une dépense sur laquelle l'état n'a pas fait d'économie: c'est sur la compléxité et la paperasserie inutiles. Chaque modernisation des outils - informatique, net etc - est anéantie par une approche plus "pointue" destinée sans doute à user le budget et surtout à flatter l'ego d'un énarque qui laisse une trace. Cette inflation d'inutilité est payée par le guichetier et le contribuable qui perdent leur temps ensembles. Du moins aux heures d'ouverture...
Bruno+L ♦ 27.09.05 | 22h39 ♦ pour que LM soit écouté (on le sent timide...), un exemple personnel: revenu conjugal de 2001=57739 euros, 10.14% d'IRPP 2004=57115 euros 9.37% d'IRPP ceci avec un enfant. Pour 624 euros en moins de revenus, notre IRPP a baissé de 454 euros. Il ne nous semble pas que ces taux et ces montants soient prohibitifs, ils sont même faibles compte tenu de la dette publique et des difficultés sociales de beaucoup de nos compatriotes...
Patrice R. ♦ 27.09.05 | 22h35 ♦ Compte tenu de la structure de l'IRPP en France, toute baisse d'impôts signifie inéluctablement une réduction de la consommation (de moindre ampleur, certes). Or la consommation est le dernier rempart avant la récession. Allez donc dire aux commerçants de votre quartier (+/-favorisé) que vous allez supprimer le RMI, les allocations chômage... Les plus intelligents d'entre eux comprendront vite que leur chiffre d'affaires connaîtra une baisse rapide pouvant les conduire à la failite.
Flying-Lolo ♦ 27.09.05 | 22h20 ♦ Voilà effectivement un sujet qui permet à nos politiques de tout bord d'accumuler contre vérités, idées reçues et autre malhonnetetés intellectuelles depuis des lustres et des lustres...La définition du périmètre d'intervention de l'Etat, le niveau de prélèvements requis et les modalités de répartition de ces prélèvements entre les citoyens sont autant de sujets qui méritent débat et rigueur intellectuelle. Hélas ils sont complexes,hélas le citoyen s'y perd, hélas le politique en profite...
bloo ♦ 27.09.05 | 22h09 ♦ Au Japon, les internautes peuvent aller sur le site du gouvernement et "jouer" à construire le budget de l'état. Les conséquences de chaque choix sont commentées. Peut-être qu'une initiative identique en France permettrait aux gens de se faire une meilleure idée de ce qu'on fait de leur argent et surtout de mieux nous faire comprendre les choix qui sont faits par le gouvernement.
i2bx ♦ 27.09.05 | 20h45 ♦ Creer des richesses pour les partager. Pour les créer, liberer ce pays de son modèle social qui s'est enfermé dans le cercle vicieux du prélèvement et du retard de croissance. Oui les baisses d'impots sont nécessaires. Bientôt, en aurons nous, une nouvelle fois, la démonstration, par la pologne. Comme les US et UK nous l'ont déjà démontré il y a 20 ans, les pays d'europe du nord il y a 10 ans.
eduardo j. ♦ 27.09.05 | 17h53 ♦ L impot sur le revenu diminue, mais ils montent sur les taxes, les prelevements sociaux, et tout le reste... en definitive on debourse de plus en plus... ils nous prennent pour des idiots qui ne savent pas compter...
peutetre ♦ 27.09.05 | 17h44 ♦ Autre question iconoclaste: mais qu'est-ce que l'Etat. Avant de réhabilité l'impôt ne faudra-t-il pas redéfinir l'Etat. Comme dans les grandes tiranies naissantes il est devenu de bon ton de regreter l'ordre naturel et de mépriser les organisations humaines dont l'impôt est devenu le symbole flagrant. Haïr l'impot permet d'assouvir sa detestation de l'autre (c'est lui que en profite) et nourit le phantasme d'une société "libre" (libre de ses devoirs en vers l'autre).
asics07 ♦ 27.09.05 | 17h31 ♦ Les prélèvements obligatoires collectifs augmentent au détriment de la dépense libre du citoyen. C'est du collectivisme. Que ces dépenses soient sociales ou d'état c'est pareil. L'état est encore trop gras: il faut qu'il arrête de faire rouler des TGV à prix d'or (déficit abyssal du couple SNCF-RFF): il fait mal ce qu'un privé ferait mieux. Il est dans un secteur concurrentiel où il n'a rien à faire. Du coup, il néglige ses vraies fonctions utiles d'arbitre: misère de l'Inspection du travail.
Pierre C. ♦ 27.09.05 | 17h04 ♦ La CSG et toutes les cotisations sociales obligatoires , les taxes des collectivités locales ( ordures, habitations etc...) ne sont pas des impots. Je veux bien mais ces prélèvements sont obligatoires pour moi la définition de l'impot est: prélèvement obligatoire les impots ne diminuent pas ils augmentent je suis célibataire sans enfants je suis imposable et gagne correctement ma vie je vois bien les prélèvements augmenter la TIPP par exemple
Deathwind ♦ 27.09.05 | 16h44 ♦ D'accord pour dire que les baisses d'impot sont inutiles et populistes et ne servent qu'à accroître le déficit si elles ne sont pas compensées par une baisse des dépenses publiques. Mais sinon LMA joue un peu sur les mots. Les dépenses publiques en France sont très elevées et n'ont cessé d'augmenter. Le fait que leur évolution soit principalement dues à la Sécu ou autres n'enlèvent rien au fait qu'elles entrainent des prélèvements qui étouffent l’initiative, le travail et l’entreprise.
champollion ♦ 27.09.05 | 16h38 ♦ Une analyse originale qui a le mérite de poser des questions. Mais alors il faut se poser la question sur un personnel politique qui ne pense que de la même façon (formé à l'ENA non ?). Et si c'était un moyen de justifier les (gros) cadeaux aux riches que d'en donner un peu aux autres ?
Ouh là ! ♦ 27.09.05 | 16h20 ♦ Enfin, dans Le Monde des voix s'élèvent ... Qui n'ont rien d'iconoclastes en soit, si ce n'est peut-être par rapport à son lectorat... Eh oui le moins d'impôts cela veut dire "chacun sa gueule", la cerise sur le gateau du libéralisme forcéné, du renard dans le poulailler. Ce qui doit permettre au mieux de "privatiser les profits et solidariser les pertes". Quant à l'usage qui en est fait (de nos impôts), il nous revient de demander des comptes et d'être vigilants? c'est aussi la Démocratie.
cohelet ♦ 27.09.05 | 15h41 ♦ Je me doutais bien que la "grossophobie" envers l'Etatn'était pas sérieusement fondée comme le montrent aujourd'hui le poids étale des dépenses de l'Etat sur 25 ans (~22% du PIB)ou encore la litanie des services de l'Etat "les caisses sont vides". La protection sociale a donc pris du poids (+6,7 points de PIB sur 25 ans)et coûte aujourd'hui autant que les strictes dépenses de l'Etat. Et si à l'avenir toute la protection sociale était financée par la CSG avec des taux et des assiettes nouveaux?
jacklittle ♦ 27.09.05 | 15h30 ♦ Soyons réalistes,dans l'analyse de LM il manque une donnée capitale LA DETTE PUBLIQUE,les dernières estimations la chiffre à 1000 milliard €uros,rien que le service de la dette absorbe l'IR.Si nos politique de tous bords avaient du courage,c'est pas de baisses d'impôts dont on parlerait mais de hausses d'impôts.Sans très forte croissance -inespèrée-notre pays va très vite au "dépôt de bilan",et nos politiques devraient mettre en place un PLAN d'AUSTERITE drastique. Président:COURAGE,COURAGE.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 27.09.05 | 14h53 ♦ Nombreux sont les citoyens qui sont prêts à payer plus d'impôts; à condition qu'ils en aient "pour leur argent". Si c'est pour financer une politique de l'emploi inefficace, une ligne marseille-corse caricaturale, une ANPE inefficace, une université percluse de soviétismes, la gestion de la Sécu, une médecine "libérale-étatisée", des chercheurs qui ne cherchent pas, des droits acquis injustifiables, les niches fiscales, les frais de bouche et d'avion de JC, etc. On comprend qu'ils hésitent !
PIERRE G. ♦ 27.09.05 | 14h19 ♦ Conclusions mitigees. Je ne conteste pas les chiffres: j'en serais bien incapable. Je me dis simplement que je suis d'accord pour payer plus d'impots, de preference sur le revenu, ce qui me semble le plus juste. Simplement, j'aimerais bien que ct argent soit mieux gere... Voeu pieu ? Peut etre: je suis jeune et encore reveur.


Le Monde / Sciences
Voyager 1 s'aventure dans l'au-delà du système solairee

 D puis le 16 décembre, Voyager 1 est la première création humaine à naviguer au-delà de l'une des principales frontières du système solaire. L'écho de cette nouvelle considérable a été assourdi par son annonce prématurée, en 2002, alors que la sonde américaine ne faisait qu'effleurer cette limite. Cette anticipation avait déclenché une polémique entre astronomes participant à la mission, divergente sur la situation exacte de l'engin, et avait voilé de perplexité l'intérêt du grand public. Cette fois, plus de doutes. La publication dans la revue Science du 23 septembre d'une série d'articles concordants vaut officialisation définitive de l'événement.

Quatre sondes dans la course aux confins

La dernière aura été la première. Lancée en quatrième position dans la course aux confins du système solaire, le 5 septembre 1977, Voyager 1 aura finalement doublé ses concurrentes, toutes américaines, pour atteindre le choc terminal en tête. Sa soeur, Voyager 2, pourtant lancée quelques jours plus tôt, le 20 août, mais sur une route moins directe, aura été laissée sur place d'emblée, dès le passage près de Jupiter.

Auparavant, deux sondes Pioneer avaient, elles, pris de l'avance, puisqu'elles ont été lancées en 1972 et 1973. Pioneer 11, qui navigue en direction de la constellation de l'Aigle, ne dispose plus d'énergie et donc ne peut plus être pilotée ni donner de nouvelles depuis 1995. Quant à Pioneer 10, partie la toute première, Voyager 1 l'a "doublée" en 1998, et la distance désormais de plus de 1 milliard de kilomètres. Le retard de cette sonde, qui s'est éteinte en 2003, par rapport à son tableau de marche prévu intrigue les astronomes. Ils cherchent à comprendre depuis plusieurs années cette "anomalie Pioneer" (Le Monde du 3 novembre).

Lancée en septembre 1977, Voyager 1 aura navigué plus d'un quart de siècle pour atteindre le "choc terminal" du système solaire, à une distance que ses instruments ont permis de fixer à 14,1 milliards de kilomètres du Soleil, soit, en langage d'expert, à 94 unités astronomiques (une UA correspond à la distance moyenne entre Terre et Soleil, environ 150 millions de kilomètres). A titre de comparaison, Pluton, de loin la plus excentrée des planètes de notre système, ne se trouve qu'à 40 UA de notre étoile. Après avoir rendu visite à Jupiter, Saturne, Neptune et Uranus, en bousculant au passage nos connaissances sur ces géantes gazeuses, la sonde aura traversé les ténèbres en solitaire durant plus de la moitié de son périple.

Le "choc terminal" que Voyager 1 a franchi en décembre marque un changement radical dans le comportement du vent solaire, alimenté en permanence par les particules échappées des couches hautes de l'atmosphère du Soleil. Ce gaz s'élance à des vitesses supersoniques jusqu'aux confins du système, se comportant en ambassadeur de la puissance de notre étoile dans les zones les plus reculées. En protecteur de ses planètes aussi, puisque le cocon de plasma qu'il tisse autour de notre maison commune l'isole de la plupart des agressions provenant du milieu interstellaire. Sa force ne s'incline que devant les restrictions que lui ont imposées certains astres, notamment la Terre, qui a développé ses propres défenses contre ses excès, pour pouvoir accueillir la vie. Elle n'abdique que devant la fermeté du "choc terminal".

Là, le vent solaire freine brutalement pour passer à des vitesses nettement inférieures à celles du son. Comme s'il prenait brusquement conscience, après avoir foncé sans entraves pendant des milliards de kilomètres, du changement de milieu qui s'annonce. De fait, une fois le choc dépassé, le gaz d'origine solaire va continuer, plus progressivement, à adapter sa vitesse pour pouvoir se mélanger avec les courants interstellaires.

Voyager 1 est aujourd'hui le premier explorateur de l'histoire humaine à décrire cette zone de régulation baptisée "héliogaine". Au sortir de ce secteur tampon, il traversera l'héliopause, où les particules solaires achèvent de se fondre dans les vents du grand large galactique, marquant officiellement la fin de l'héliosphère, l'aire d'influence de notre Soleil. Devant le vaisseau ne restera plus qu'une ultime borne: le choc d'étrave provoqué par la vitesse (100 000 km/h) à laquelle notre étoile et son héliosphère traversent le milieu ambiant. Un peu comme un bateau facilite sa progression en séparant les flots grâce au mouvement d'une vague qui court juste devant sa proue.

Voyager 1 doit à une chance inouïe la possibilité de témoigner de ces phénomènes. Car, dans les années 1970, ses concepteurs ignoraient tout de la direction du Soleil à travers son petit coin de Voie lactée. De ricochet en ricochet autour des planètes visitées, le hasard a voulu que la sonde quitte le système solaire par l'avant, vers le "nez" que forme l'héliosphère en rencontrant la résistance du milieu interstellaire. "Si la sonde était sortie par l'arrière , explique Rosine Lallement, du service d'aéronomie du CNRS, elle aurait mis beaucoup plus de temps à rencontrer la limite. Elle se serait sans doute éteinte avant de l'atteindre." Le sort a placé l'engin en éclaireur inédit du mouvement du Soleil, ouvrant, à environ 180 000 km/h, la route que l'ensemble du système parcourt à raison de 4 UA par an.

Cette situation privilégiée compense largement un handicap que ses pilotes à distance ont longtemps dissimulé. Pour la première fois, dans Science , ils reconnaissent explicitement que Voyager 1 souffre depuis plusieurs années de la panne de son instrument principal, un détecteur de plasma qui aurait permis d'obtenir une mesure directe de la vitesse du vent solaire. "Les résultats de cet appareil n'étaient jamais mentionnés , raconte Mme Lallement. Les initiés savaient qu'il était en panne et qu'il allait falloir déduire la position de l'engin de l'analyse comparée des évolutions du champ magnétique et des particules à hautes énergies. C'était possible, mais beaucoup plus compliqué."

De fait, la polémique de 2002 s'est largement nourrie de cette absence de juge suprême qui aurait pu départager les observateurs des particules, qui tiraient des variations qu'ils observaient la conviction que le "choc terminal" avait été franchi, tandis que les scrutateurs du champ magnétique ne constataient aucune évolution. Ce sont sans doute des mouvements précurseurs du choc ultime qui avaient conduit à ces divergences. Depuis décembre, les données des instruments, qui mettent seize heures à nous parvenir d'une contrée si éloignée, concordent toutes. Les signes du grand passage ont été déchiffrés, sans l'aide du précieux détecteur aux défaillances passées sous silence.

Pourquoi ce mensonge par omission ? Parce qu'on peut approcher les monstres du système solaire, braver durant des décennies l'immensité glacée, et néanmoins trembler chaque année devant les arbitrages budgétaires de la NASA. Les promoteurs de la mission craignaient que l'allongement des délais, ajouté à cette panne inopinée, ne finisse par attirer l'attention des contrôleurs des coûts. La bonne nouvelle de l'hiver dernier est ainsi tombée pile, au moment où la NASA, prise à la gorge, envisageait sérieusement d'abandonner l'une des plus belles missions qu'elle ait jamais lancées.

Avec la révélation tardive de la panne, les hommes de Voyager ont même pu réussir un joli coup tactique. Le succès a sans doute assuré le financement de Voyager 1 jusqu'à l'épuisement probable de son énergie, vers 2020. Et ils ont aussi démontré que sa jumelle, Voyager 2, méritait tout autant de soins. Lancée quelques jours avant la numéro 1, celle-ci a pris du retard sur la route, mais elle dispose encore de l'intégralité de ses instruments. Son arrivée vers le choc terminal est prévue vers 2009. Elle pourra alors profiter de son parfait état de marche pour confirmer les trouvailles de son aînée, placée aux avant-postes de phénomènes que l'homme n'avait encore pu observer.

Jérôme Fenoglio
Article paru dans l'édition du 28.09.05


Le Monde / Sciences
Un changement de bulle risqué, dans 2 millions d'années

 L es lignes qui suivent sont réservées aux cœurs bien accrochés et non sujets aux angoisses de l'avenir. Car tout bouge dans notre galaxie, aux limites de la nausée et dans des directions qui ne présagent pas forcément que du bon. Au manège emballé qui fait tourner la Voie lactée autour de son centre à environ 250 000 km/h, s'ajoutent les mouvements locaux. Voyager 1 vient ainsi de se placer en tête du cortège formé par le Soleil et ses planètes qui traversent leur milieu ambiant, protégés par l'héliosphère, à la vitesse relative de 100 000 km/h. Vers où ?

Depuis plusieurs années, l'astronéphographie, science naissante de l'étude des nuages galactiques locaux, tente de cartographier notre itinéraire. Actuellement, le Soleil entraîne son système au sein d'un nuage dont les particules clairsemées n'opposent guère de résistance au mouvement. "A côté des nébuleuses de toutes les couleurs photographiées par le télescope spatial Hubble, notre nuage est mille fois moins dense", explique Rosine Lallement, du service d'aéronomie du CNRS.

DISPARITION DE LA VIE

Dans environ deux mille ans, nous quitterons ce "nuage local", comme l'ont appelé les astronomes, pour passer dans son voisin. Jusque-là pas d'inquiétude. Ce chapelet de nuages inoffensifs est lui-même contenu dans la "bulle locale", un coin de galaxie de 100 parsecs de côté (unité favorite des astronomes pour les grandes distances, un parsec égale 3,2 années-lumière, soit 30 millions de millions de kilomètres). Le Soleil traverse sans encombre les nuages de cette immense bulle de gaz raréfié depuis dix millions d'années.

Mais nous approchons de la sortie, et là les choses pourraient se compliquer. La vitesse et la direction de notre étoile nous destinent à pénétrer, dans environ 2 millions d'années, dans la bulle voisine, nommée Ophiuchus. Or celle-ci apparaît beaucoup plus dense que notre "bulle locale". Que se passera-t-il lorsque l'héliosphère rencontrera ces gaz très concentrés ?

De premiers modèles, encore très parcellaires, estiment qu'elle pourrait s'effondrer sous l'augmentation de la pression. Situé à 14 milliards de kilomètres du Soleil, le choc terminal pourrait se répercuter jusqu'à l'orbite terrestre. Ces hypothèses conduiraient à de nouvelles glaciations et à un scénario de disparition de la vie sur Terre ­ mais à une échéance bien plus rapprochée que celle de la fin du Soleil dans plusieurs milliards d'années.

J. Fe.
Article paru dans l'édition du 28.09.05


Le Monde / Sciences
Forte augmentation des gaz à effet de serre depuis 1990

 L es gaz à effet de serre, dont le dioxyde de carbone (CO2), ont augmenté de 20% entre 1990 et 2004 sur la planète, d'après un nouvel indice publié, mardi 27 septembre, par l'Agence fédérale américaine océanographique et atmosphérique (NOAA), à partir des travaux de son laboratoire de Boulder (Colorado).

Cet indice de mesure des émissions liées au réchauffement atmosphérique (Annual Greenhouse Gas Index, ou AGGI) sera publié chaque année. Il traque dans l'atmosphère l'accumulation de ces gaz provenant de l'activité industrielle, des gaz d'échappement automobile ou de phénomènes naturels, à partir d'un réseau d'observatoires et d'une centaine de sites, de l'Arctique au pôle Sud. De 2003 à 2004, l'indice AGGI a augmenté de 1,12%.

David Hofmann, directeur de la NOAA, a expliqué que "cet indice servira de point de repère pour mesurer le succès ou l'échec des efforts mis en œuvre pour réduire les émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre". Selon les calculs du laboratoire de la NOAA à Boulder (Colorado), le CO2 représente environ 62% des gaz à effet de serre en 2004.

UN JALON POUR KYOTO

La NOAA mesure les émissions de gaz à effet de serre depuis 1979. Elle a choisi 1990 comme base de calcul de son nouvel indice, année qui correspond à celle choisie dans le protocole de Kyoto comme jalon des futures réductions ou augmentation de ces gaz.

L'accroissement annuel le plus important des émissions de gaz à effet de serre a été observé de 1987 à 1988 avec 2,8%, hausse en grande partie liée à l'apparition cette année-là du courant marin chaud El Niño.

La plus faible augmentation de ces gaz a été enregistrée en 1993, avec une hausse de 0,81% par rapport à 1992. Les émissions avaient cru fortement en 1991 avec l'éruption du volcan Pinatubo aux Philippines.

Avec AP
LEMONDE.FR | 28.09.05 | 10h12


Le Monde / Chats
Avons-nous besoin des OGM ?
L'intégralité du débat avec Guy Riba, directeur général délégué de l'INRA, mercredi 28 septembre 2005.

Lolo: Comme consommateur, en quoi les organismes génétiquement modifiés (OGM) m'apportent-ils quelque chose ?
Guy Riba:
Il est clair qu'aujourd'hui, les organismes génétiquement modifiés qui sont sur le marché n'apportent rien au consommateur, ni en matière de prix, ni en matière de sécurité des aliments, ni en matière de qualité nutritive. Pour autant, il se peut que dans le futur, de nouveaux OGM soient conçus et qu'ils aient un intérêt pour le consommateur, soit parce que les produits seront moins chers, soit parce qu'ils seront meilleurs pour la santé.

Bastien: Pourquoi les OGM font-ils si peur ?
Guy Riba:
Je ne sais pas pourquoi les OGM font si peur. Je pense qu'ils sont apparus à un moment où il y avait des problèmes qui étaient induits par des pratiques de recherche et que la polémique sur les OGM s'est trouvée synchrone de ces problèmes-là. Donc aujourd'hui, il faut tenir compte de ce débat et essayer de reprendre les questions les unes après les autres, et de développer la controverse sur chacune de ces questions pour que peu à peu les opinions convergent, soit pour l'interdiction de tel ou tel OGM, soit pour le développement de tel ou tel autre.

Zarma: Les OGM s'appliquent-ils à toutes les cultures ? Maïs, blé, légumes, etc. ?
Guy Riba:
Pour l'instant, les OGM ne s'appliquent pas à toutes les espèces. Les espèces pour lesquelles on a majoritairement des variétés transgéniques sont le maïs, le colza et le coton. Aujourd'hui, dans le marché public, il n'y a pas de légume transgénique, pas de fruit transgénique.
Sur les marchés français et à l'étranger, il n'y a que des papayes, dont la commercialisation est très limitée. Pour autant, la science est capable de faire des espèces transgéniques dans plusieurs espèces de fruits ou de légumes. Et peut-être un jour verra-t-on des espèces de fruits et de légumes. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Zarma: Qu'est-ce qu'il l'explique ? On n'est pas assez avancé dans la recherche ?
Guy Riba:
En effet, on n'est pas assez avancé dans la recherche, on n'est pas capable de maîtriser toutes les questions. Et puis les consommateurs, de façon évidente, sont réservés. Des recherches déjà engagées ont même été arrêtées en attente d'un plus grand engouement des consommateurs pour ces produits-là.

David: Est-il exact que les semences de certains OGM sont stériles et donc non réutilisables ?
Guy Riba:
Pour l'instant, les semences des OGM ne sont pas stériles. Elles peuvent être réutilisées. Mais il faut savoir que pour beaucoup d'espèces, leur réutilisation ne présente pas d'intérêt parce que les variétés cultivées sont hybrides. Cela n'est pas lié à la problématique des OGM, mais au développement génétique des espèces. Depuis plus de cinquante ans, les gens cultivent des maïs hybrides et, chaque années, sont obligés d'acheter une semence. Donc le fait qu'elle soit OGM ne change rien.
Il y a un deuxième aspect: il y a six ou sept ans, un brevet avait été déposé pour rendre les semences stériles. Et l'idée était d'empêcher le flux de pollen. Du coup, on réduisait les incertitudes à l'égard de l'environnement. Mais ce brevet, appelé "Terminator", a été rejeté, parce que justement il obligeait à l'achat régulier de semences. Il a fait l'objet d'une vive polémique et a été abandonné. Ceux qui l'ont promu n'avaient pas prévu ça pour obliger les agriculteurs à acheter des semences, mais pour limiter les flux de pollen.

DES RISQUES INEXISTANTS ?

Romain: Quel est le risque réel pour l'environnement ? La dissémination du "transgène" est-elle vraiment à craindre ?
Guy Riba:
A mon avis, il faut regarder au cas par cas. Si l'on prend le maïs, aujourd'hui, il n'y a à mon sens aucun risque pour l'environnement à cultiver du maïs transgénique. S'agissant de colza ou de betterave, il faut au préalable que l'on évalue les risques, notamment ceux liés à la capacité de ces espèces cultivées à se croiser avec des espèces proches sauvages, non cultivées.
C'est la raison pour laquelle nous, nous plaidons pour que des essais à grande échelle puissent être organisés pendant un temps suffisant pour caractériser et évaluer ces effets, et concevoir des méthodes pour les gérer.

Froid: Connaît-on précisément les conséquences des OGM en ce qui concerne la santé ? Des études ont-elles été menées ?
Guy Riba:
Des études ont été menées. De tout ce qui a été fait aujourd'hui, toutes les études conduites, à court ou moyen terme, n'ont jamais rien montré. Aucun effet néfaste sur la santé n'a été révélé. Par ailleurs, aujourd'hui, il y a 80 millions d'hectares de plants transgéniques cultivés dans le monde, et dans 70% des produits alimentaires transformés, il y a soit des dérivés de maïs, soit des dérivés de soja.
Par conséquent, on peut considérer que des millions de personnes mangent chaque jour des aliments contenant un ingrédient dérivé d'une culture transgénique. Et ce recul acquis aujourd'hui nous permet de considérer que les risques pour la santé induits par les OGM actuels sont inexistants.

Sophie: Le soja est de plus en plus utilisé actuellement en remplacement du lait, y compris dans les laits pour nourrissons. Quels sont les risques éventuels liés à l'utilisation du soja transgénique dans ce contexte ? Y a-t-il des études effectuées à ce sujet ?
Guy Riba:
Quand une plante transgénique est proposée sur le marché, il y a plusieurs types d'évaluation du risque qui sont faits. D'abord, des études à partir de la plante entière, qui est ingérée par des vaches, des rats, des souris, selon des protocoles toxicologiques bien précis, et on regarde au cours du temps comment évoluent le poids des animaux, leur développement, mais aussi s'ils meurent, on regarde leurs pathologies internes éventuelles. Et jusqu'ici, aucun risque n'a jamais été révélé, y compris pour le soja.
Deuxièmement, lorsque ces variétés transgéniques ont une vocation phytosanitaire, on applique sur celles-ci un pesticide; on regarde le métabolisme de ce pesticide dans la plante, et on regarde ses effets toxicologiques. Là encore, on n'a jamais rien observé au niveau pathologique. On peut toujours dire que tout n'a pas été fait, il n'empêche qu'aujourd'hui, je le répète, avec les connaissances acquises, les tests réalisés et le recul que l'on a sur leur consommation, on peut dire que les risques induits par les variétés transgéniques pour la santé humaine sont inexistants.
Rien n'est révélé. Donc, pour moi, les vraies questions induites par le développement des OGM sont de deux natures: d'une part, les risques éventuels pour l'environnement, qui, comme je l'ai dit, doivent être étudiés au cas par cas puis d'une manière globale, et d'autre part, les risques économiques.

Sophie: Estimez-vous avoir le recul nécessaire pour affirmer l'innocuité des OGM sur des organismes plus sensibles, comme ceux des nourrissons ? Je pense à des risques à long terme.
Redas: Ne pensez-vous pas qu'on manque de recul pour évaluer les conséquences sur la santé et la biodiversité ? L'amiante n'est pas dangereux non plus à court et moyen terme, mais tue à long terme...
Guy Riba:
Il faut bien séparer la problématique santé publique de la problématique environnementale. En ce qui concerne la santé publique, toutes les commissions, tous les experts, tous les tests et le recul que j'évoquais tout à l'heure, tout cela converge pour dire que les risques induits par les OGM existants à l'égard de la santé publique sont des risques mineurs.
Personne ne peut dire que les risques n'existent pas. Personne ne peut dire qu'il ne se passera jamais rien. Mais on peut dire que pour l'instant, nous n'avons rien observé.
En revanche, à l'égard de l'environnement, des effets non désirables ont été observés. C'est la raison pour laquelle je considère que les efforts de recherche et les conditions de mise sur le marché doivent privilégier l'examen des risques pour l'environnement. Par exemple, ce peut être la capacité d'invasion de l'écosystème par la plante transgénique, ou la capacité du pollen de la plante transgénique à se retrouver dans des espèces sauvages non cultivées. Dans ce cas, on voit bien que le pollen, en se diffusant, entraînera la diffusion du transgène. A mon avis, c'est cela qu'il faut prioritairement étudier.

Yop: Etant donné l'impact probable, durable et général sur l'environnement, le risque est tout de même conséquent: conservez-vous des souches de l'existant non modifiées ?
Guy Riba:
C'est une très bonne question. Au moins nous, à l'INRA, nous avons considéré que le fait de voir des approches biotechnologiques se développer obligeait l'organisme à avoir une politique renforcée en matière de ressources génétiques sauvages. Donc oui, pour la plupart des espèces cultivées, nous disposons de ressources génétiques qui regroupent des variétés ou des isolats venus du monde entier. On fait ça pour le blé, pour le maïs, pour l'ail, pour l'échalote, pour la luzerne, etc. Et on le fait aussi pour les animaux et pour les micro-organismes.

LES AGRICULTEURS, DÉPENDANTS DES SOCIÉTÉS DE SEMENCE

MoiMiaou: Les OGM peuvent être intéressants au niveau productivité agricole, certes. Mais à quoi cela sert-il si, comme les médicaments non génériques, ils ne sont diffusés sur la planète que sous brevet payant, inaccessibles aux populations peu "friquées" ? On referait le scénario désastreux des molécules anti-sida ? Comment garantir l'autosuffisance alimentaire dans ce nouveau cadre ?
Guy Riba:
C'est une question difficile. Je vous ai dit tout à l'heure que pour beaucoup d'espèces cultivées, on utilise, partout dans le monde, des variétés hybrides. Donc déjà, dans ce cas-là, l'agriculteur est déjà dépendant de la société qui lui vend la variété. Que celle-ci soit transgénique ou pas ne change rien  à la dépendance de l'agriculteur à l'égard de son fournisseur de semences.
Deuxièmement, la plupart des cultures font appel à des traitements phytosanitaires. Les agriculteurs, y compris dans les pays en voie de  développement, sont tenus d'acheter des produits phytosanitaires; ils sont déjà liés avec ces sociétés-là. On voit bien que la problématique de la transgenèse ne résout pas ce problème, elle maintient une dépendance des agriculteurs à l'égard des sociétés, mais il faut être conscient que la plupart des agriculteurs sont déjà liés. Il faut donc regarder d'une autre manière la dépendance de l'agriculteur à l'égard de son travail.
Ce qui me frappe, c'est qu'aujourd'hui, les femmes dans les pays en développement passent une grande partie de leur temps à sarcler les champs avec leurs enfants sur le dos. Et le fait d'avoir des variétés transgéniques leur permettrait de récupérer ce temps passé à sarcler. Donc je suis conscient que les variétés transgéniques maintiennent la dépendance économique des agriculteurs à l'égard de ces grandes sociétés, mais en revanche, elles peuvent libérer du temps de vie de ces agriculteurs.
Enfin, il me semble que l'un des moyens de limiter cette dépendance à l'égard des grandes sociétés est de pousser la recherche publique pour qu'elle-même prépare le matériel génétique qui pourra être exploité par les agriculteurs sans dépendance vis-à-vis des grandes sociétés. Et l'une des erreurs magistrales dans le débat sur les OGM aujourd'hui, c'est qu'il se fait au détriment de la recherche publique, qui est victime des oppositions.

Sam: Ces populations auront-elles assez d'argent pour les acheter ?
Guy Riba:
J'ai déjà répondu. Elles achètent déjà des variétés et des produits phytosanitaires. Je suis tout à fait d'accord pour dire que les OGM ne résolvent pas le problème, mais ils ne l'ont pas créé.

Sophie: Le comportement de certains de ces géants de l'agroalimentaire, tel Monsanto, est quand même lourd de conséquence dans les pays du tiers-monde. Nous ne  pouvons pas attendre que des sociétés privées agissent avec déontologie et dans le respect du bien-être des populations de ces pays. A quels contrôles sont-elles soumises ?
Guy Riba:
Il n'y a pas de contrôle réglementaire. Les produits que vendent ces sociétés sont soumis aux réglementations. Le problème est dû au fait qu'on leur laisse des oligopoles. Il faut que ces sociétés se trouvent dans un jeu de compétition équilibré qui permette justement qu'il y ait des régulations du marché qui se  fassent par la compétition.  C'est exactement le même problème que le marché automobile. Si demain une seule marque de voiture domine le marché, elle pourra vendre ce qu'elle veut au prix qu'elle veut.

LA CULTURE OGM EN ZONE ARIDE: UN MENSONGE

Jérémie: Qu'en est-il de la culture OGM pour prévenir la faim en région aride, notamment en Afrique ?
Guy Riba:
C'est un mensonge, y compris de certaines grandes sociétés, que de faire croire que par les OGM on va demain être capable de cultiver les plantes en zone aride. On en est loin. Parce que les déterminants génétiques de la capacité de pousser en zone aride sont très compliqués.
Mais en revanche, il faut laisser se développer les recherches, car ce qui est inaccessible aujourd'hui sera peut-être accessible dans dix ou vingt ans. Encore une fois, le drame aujourdh'ui, c'est qu'à cause de ce débat, nous n'avons plus les moyens ni la motivation pour travailler sur ce sujet.

Ribambelle: L'INRA a-t-elle déjà fait "don" d'un de ses brevets sur plantes transgéniques à la FAO pour qu'il soit mis à la disposition des agriculteurs des pays en voie de développement à des conditions avantageuses ?
Guy Riba:
Nous n'avons pas de brevet sur du matériel transgénique susceptible d'être exploité. Mais dans le cadre de nos conventions, par exemple au sein du programme "Génoplante", nous avons convenu de donner gratuitement nos droits de licence à des organisations qui diffusent l'innovation à des groupements fermiers dont le revenu est inférieur à 10 000 euros par an.

Zarma: L'INRA est-il en faveur du développement des OGM dans les cultures ? Mène-t-il des campagnes d'informations pour faire adhérer l'opinion publique ?
Guy Riba:
Dans nos interventions, on ne cherche pas à dire s'il faut ou pas développer des OGM. En tant que recherche publique, on cherche à éclairer la décision des autres. On développe les arguments de risques, d'avantages, d'inconvénients qui permettent à ceux dont c'est la charge de prendre la décision. C'est la raison pour laquelle nous considérons que, lorsque c'est nécessaire, nous devons pouvoir conduire les essais, y compris en plein champ, pour obtenir les données qui permettent aux décideurs de décider.

Froid: Transformer le vivant n'est pas sans signification métaphysique... Des philosophes travaillent-ils avec les scientifiques qui mènent ces expériences ?
Guy Riba:
Ce qui est intéressant aujourd'hui dans la problématique des OGM – et c'est une bonne chose, peut-être une première –, c'est que tout le monde, le citoyen et tous les secteurs de recherche, s'implique dans la réflexion. Des philosophes, des sociologues, des spécialistes de la propriété intellectuelle s'associent aux agronomes, aux généticiens, aux économistes, aux physiologistes, aux médecins, pour contribuer à la compréhension des OGM.
Il y a plusieurs moyens pour cela. En ce moment, au sein de l'ANR (nouvelle Agence nationale pour la recherche), il y a un programme de 2 millions d'euros qui vient d'être ouvert et qui permet à l'ensemble des différentes disciplines de recherche que l'on vient d'évoquer de participer.

Romain: On parle beaucoup des plantes, mais la recherche OGM n'est-elle pas aussi un grand espoir lorsqu'il s'agit de transgénèse animale ? En particulier en ce qui concerne le cochon et les espoirs de xénogreffes ?
Guy Riba:
Les xénogreffes n'ont pas à voir avec les OGM. Pour l'instant, s'agissant du clonage, il y a des recherches qui sont conduites, qui ont pour but essentiellement de permettre la production par des animaux de protéines que, jusqu'ici, ils ne produisaient pas.

Bastien: L'avenir des OGM risque-t-il d'être compromis ?
Guy Riba:
Le risque principal, c'est que seul le secteur privé promouvra des OGM, seules les plus grandes entreprises seront compétitives à cet égard. Le fait qu'il y ait moins d'acteurs qui étudient et développent des OGM fait que la diversité génétique à l'origine du matériel commercialisé va se réduire. Par ailleurs, cela va favoriser les monopoles ou les oligopoles, ce qui n'est pas satisfaisant.

Chat modéré par Constance Baudry et Stéphane Mazzorato
LEMONDE.FR | 28.09.05 | 12h23


Mercredi 28 septembre 2005 de 17h à 19h
Chat avec David Kessler, directeur de France Culture
Retranscription du chat
(version épurée [suppression de tous les "un(e)tel(lle) et parti(e)/arrivé()], sauf ceux du début [sinon le dialogue n'a plus de sens]. Pour une version non épurée, aller sur le site de France-Culture…[1])

David_Kessler: Bonjour à toutes et à tous. Je suis très heureux de trouver l'occasion de m'entretenir avec vous, quelques jours après avoir pris mes fonctions de Directeur de France Culture.

Ariane est arrivé(e).
David_Kessler: Bonjour Ariane.
boubou: boujour !
lol est arrivé(e).
Pierre_Coudouy est arrivé(e).
David_Kessler: Bonjour Pierre.
montesse est arrivé(e).
Dupon est arrivé(e).
Eloïse est arrivé(e).
Ci-devant_auditeur est arrivé(e).
marc est arrivé(e).
Pierre_Coudouy: Bonjour, c'est rapide... j'ai été surpris !
David_Kessler: Bonjour Montesse, Dupon, Eloise, ci-devant...
eric: Mr Kessler, j'ai envoyé un long mail ce matin concernant la ligne éditoriale de france culture lors du décès du pape, avez vous pu le lire?
David_Kessler: Non, je ne l'ai pas eu le temps de le lire.
Marc_Guidoni: Bonjour
Tristan_Corre: Bonjour,Craingnez-vous aussi les critiques et pour les museler, perpétrez-vous aussi la politique des ascenseurs en confiant émissions et chroniques aux journalistes de la presse écrite ?
David_Kessler: Je ne crains absolument pas les critiques. Au contraire, je les écoute toujours avec attention et je n'ai l'intention de museler personne.
boubou: bonjour Monsieur Kessler et félicitation pour votre nomination (félicitation aussi à Laure Adler qui a apparemment est très heureuse dans son "nouveau" travail qu'elle fait très bien).
David_Kessler: Merci beaucoup de ces félicitations collectives.
boubou: on a beaucoup parlé de vous dans la presse mais on ne sait pas, nous avec qui vous travaillez. Avez-vous "gardé" Laurence Bloch, l'adjointe de Laure Adler ?
David_Kessler: J'ai gardé Laurence Bloch avec bonheur.
Cyril_Ravison: Bonjour, j'espère qu'on restera à un France Culture sans publicité!!! c'est indispensable...s'il vous plait!!!
David_Kessler: Je suis convaincu qu'un espace radiophonique sans publicité est une chance formidable et à ma connaissance, personne n'a l'intention de revenir l à dessus.
boubou: Avec qui d'autres travaillez-vous, qui vous conseille ?
David_Kessler: L'ensemble des collaborateurs qui travaillaient avec Laure Adler est resté à mes côtés, cela n'exclut pas pour l'avenir que je m'entoure de nouveaux conseillers pour les programmes.
Marc_Guidoni: Bonjour. Envisagez-vous une grande émission type "travaux publics" en direct et en public de manière récurrente dans une grande capitale régionale comme Lyon, ainsi que cela se fait à Paris?
David_Kessler: Il est peut-être un peu difficile d'imaginer une émission délocalisée en permanence en province. En revanche, je crois indispensable que des émissions de France Culture puissent régulièrement aller
David_Kessler: à la rencontre de nos auditeurs en région.
eric: Merci pour les émissions sur le web. Nous pouvons enfin écouter les programmes à n'importe quelle heure.
Tristan_Corre: Retrouverons-nous les Décraqués?
David_Kessler: J'ai indiqué à tous les collaborateurs de France Culture que j'étais par principe, hostile à toutes restaurations.
David_Kessler: J'ai indiqué en même temps, que si des producteurs, anciens de la chaîne, avaient des projets nouveaux à présenter, je les regarderai avec une grande attention.
Ci-devant_auditeur: Je ne m'associe pas aux félicitations et je proteste au contraire contre le sabordage de France Culture.
David_Kessler: Je crois absolument nécessaire le débat sur les contenus de France Culture. Je crois cependant, que l'excès est tout à fait nuisible à ce débat. Selon moi, il n'y a ni sabordage, ni danger pour la
David_Kessler: chaîne, ce qui n'exclut pas une réflexion permanente sur son évolution.
ClaireM3T: Bonjour Monsieur Kessler ! Qu'est-ce qui dans votre trajet professionnel vous amène aujourd''hui à la tete de France Culture et quelles sont vos envies pour cette radio
David_Kessler: Ce qui m'y amène est un intérêt ancien et pour les médias, et pour les questions culturelles et intellectuelles. Je souhaite cette radio, avant tout, curieuse, ouverte et pluraliste.
Marc_Guidoni: Pardon de poursuivre la question précédente mais en quoi la délocalisation sur une base hebdomadaire d'une émission dans la deuxième aggloméraation de France poserait-elle un si gros problème?
David_Kessler: Ma réponse concernait la possibilité d'avoir des émissions quotidiennes en province. Je coirs indispensable que France Culture puisse aller dans plusieurs villes, à la rencontre des auditeurs
David_Kessler: &e toutes régions.
stefan: Quelle est votre émission préférée ?
David_Kessler: Je les aime toutes !
ClaireM3T: Est-il possible que de nouveaux acteurs, autres que les animateurs déjà du sérail vous proposent des nouveaux concepts d'émission ou projets ? par quels moyens préservant la confidentialité ?
David_Kessler: C'est évidemment, non seulement possible, mais souhaitable. D'ailleurs beaucoup de producteurs sont apparus récemment sur l'antenne et il suffit de m'écrire personnellement.
Cyril_Ravison: Pensera t'on un jour à France culture que la messe le Dimanche à 10 H sur une chaine public n'est pas admissible, même si par ailleurs, d'autres émissions sont consacrées à d'autres religions...
David_Kessler: La diffusion de la messe le dimanche matin est une obligation qui résulte du cahier des charges de Radio France, au même titre que les émissions d'autres religions. La même obligation existe aussi pour les télévisions publiques.
boubou: êtes-vous vraiment sincère quand vous dites toutes les aimes ??? lol !
David_Kessler: J'exagère peut-être un peu... mais pas beaucoup !
Auditriste: Que pensez-vous des innombrables multidiffusions, rediffusions ?
David_Kessler: l'étude attentive de la grille à laquelle j'ai procédé me fait penser que le terme "inombrable" est excessif.
Marc_Guidoni: Je compte sur vous pour continuer à nous offrir cet incomparable espace de poil à gratter pour les neurones. Mais pensez bien à construire "France" Culture et pas uniquement "Paris" Culture.:-)
David_Kessler: Je partage tout à fait votre sentiment. Je crois que nous devons, en permanence, faire attention à nous ouvrir à la fois sur les créations et les idées qui parcourent la société française dans sa
David_Kessler: &iversité sociale et géographique. Je suivrai donc votre conseil.
ClaireM3T: message destiné au modérateur, j'ai envoyé un message juste avant 17 h00 peut-on la renvoyer en direct cela concernait les sentiers de la création et les chemins de la connaisance et l'élitisme
Modérateur: reposez votre question
Cyril_Ravison: donc vous aimez aussi la messe...:o))))
David_Kessler: Bien entendu:)
boubou: Les sentiers de la création sont vraiment formidables. Un seul problème... Je n'ai que 2 oreilles et un seul cerveau, je ne puis écouter le vrai FC et le dérivé d'FC en même temps... Comment faire ?
Marc_Guidoni: Merci pour votre franchise et bon courage. Marc
David_Kessler: Je préfère que nous puissions "trop" offrir à nos auditeurs que pas assez grâce à l'écoute différée sur Internet, il doit y avoir des possibilités même si je sais que les journées n'ont que 24 heures.
bouli: une place plus grande pour les reportages dans les émissions est-elle à l'étude?
David_Kessler: Cette question fait effectivement partie des sujets de réflexion pour l'évolution de la grille de France Culture.
Cyril_Ravison: je pense que plus d'émission scientifique à france culture serait un bien (et moins d'économie et de politique) non?
David_Kessler: Je pense que l'économie et la réflexion politique doivent avoir leur place sur France Culture. Je partage votre souci d'avoir des émissions scientifiques de haut niveau et en même temps accessible à
David_Kessler: &es auditeurs non spécialistes.
eric: Concernant la Politique: France Culture était très décalée lors du référendum comme d'autres d'ailleurs. Ce décalage est il discuté pour l'avenir des débats?
David_Kessler: Je crois que France Culture a laissé une large place à la diversité des opinions. Cela dit, il est vrai que le sentiment exprimé par nos auditeurs d'un décalage fait partie des sujets sur lesquels
David_Kessler: les producteurs d'émissions s'interrogent pour l'avenir.
alain: écoutez-vous france- culture et depuis quand ?
David_Kessler: J'écoute régulièrement France Culture depuis longtemps mais je dois l'avouer, mon écoute est aujourd'hui plus monomaniaque qu'hier.
Marc_Guidoni: Je me risque sur une question un peu tarte à la crème, mais vos anciennes amours avec le cinéma au CNC vous donnent-elles envie de donner une meilleure place au 7ème art sur l'antenne?
David_Kessler: Ca n'est pas tarte à la crème. Je suis convaincu que le cinéma tient aujourd'hui une place essentielle dans la culture contemporaine et donc, je réfléchis bien sûr, à la place qu'il doit prendre sur
David_Kessler: France Culture. Des émissions importantes lui sont déjà consacrées.
boubou: Envisagez-vous (j'aimerai bien, vous vous en doutez) de mettre en place une grande émission de littérature populaire ?( Marc Voinchet n'a pas forcément le temps d'entrer en profondeur, étant donné la
boubou: grande actu culturelle et Pascale Casanova est très "pointue"...)
David_Kessler: Comme pour le cinéma. C'est aussi une suggestion intéressante.
En_finir_avec_Tout_arrive: Pourquoi les messages de protestation sont-ils écartés ?
David_Kessler: Ils ne le sont pas tous. Mais je me réjouis qu'il y aient aussi quelques félicitations et des questions constructives.
Cyril_Ravison: Y'a t'il des ententes entre les différentes radio de radiofrance pour se partager certaines "catégorie d'auditeurs" ou certaines thématiques?
David_Kessler: Il n'y a pas, à ma connaissance, de définition a priori des auditeurs qui sont libres d'aller où ils veulent. En revanche, il est clair qu'en ce qui concerne France Culture, sa vocation première est
David_Kessler: &e parler de culture.
Auditriste: Si vous êtes auditeur depuis longtemps, avez-vous remarqué un changement disons depuis 10 ans de cette radio ?
David_Kessler: Je vous vois venir !
ClaireM3T: Ne croyez -vous pas que les chaines MMI sentiers et chemins sont trop élitistes "élitistes" . Il faudrait faire de l'élistisme plus populaire cad faire des mises en scène ou l'auditeur ne se sentent
ClaireM3T: pas exclus, car comme nous l'a montré le réferendum, toute "l'élite" et les intellectuels sont loin des préoccupations de tout un chacun; excusez pour le décousu !
David_Kessler: Il est toujours difficile de trouver un point d'équilibre entre le reproche qui nous est parfois fait d'être trop élitiste et celui, inverse, d'avoir renoncé à toutes exigences.
David_Kessler: Je crois pour ma part, que nous devons à la fois être exigent sur les contenus et compréhensible pour nos auditeurs.
riri: je trouve le midi treize heures trente très lourd.Une demi heure d'infos musclées après le bavardage de Marc Voichet c'est aride .Par ailleurs france Culture est toujours très interessante
David_Kessler: Je n'entends pas du tout l'émission de Marc Voinchet comme un bavardage mais au contraire, comme une familiarisation élégante avec les différentes branches de la création.
David_Kessler: Sur la durée, et sur la place du journal, je suis tout à fait d'accord pour considérer qu'il faut y réfléchir.
dédé: Pourriez-vous édicter une charte déontologique à propos des producteurs qui s'invitent entre eux?
David_Kessler: Je suis tout à fait décidé à fixer des règles claires sur cette question.
David_Kessler: Je crois que France Culture accueillant beaucoup de créateurs, il est normal qu'on puisse parler de leurs ouvrages sur l'antenne. Mais qu'il faut le faire dans un cadre défini et en évitant toute
David_Kessler: complaisance.
Cyril_Ravison: Pourquoi aucune emission et les différents journaux de France culture ne traite sensiblement jamais de Sport, qui fait partie d'une certaine culture ?
David_Kessler: Le rôle de France Culture n'est certainement pas de rendre compte des manifestations sportives, ce que font les autres antennes. Cela n'exclut pas à mon avis, qu'une réflexion sur le sport et ce
David_Kessler: qu'il représente dans notre société puisse y avoir sa place... C'est déjà le cas, une fois par mois dans "surpris par la nuit".
arthur: Le théâtre est de moins en moins présent sur l'antenne. Allez-vous y remédier?
David_Kessler: Je ne suis pas sûr que ce soit exact. Nous y consacrons une heure et demie par semaine et Tout arrive en parle très régulièrement.
David_Kessler: Je profite de cette occasion pour inviter nos auditeurs aux débats que nous organisons sur le théâtre après Avignon le 15 octobre après midi au théâtre de la Bastille.
Franck: Il y a peu de critique sur FQ et trop de complaisance à l’égard des éditeurs. Rendrez-vous l'antenne plus indépendante ?
David_Kessler: Je sais que le risque de la complaisance est toujours présent dans les médias, quels qu'ils soient et même sur France Culture. Je demande à tous les producteus de veiller à éviter de donner cette
David_Kessler: impression. Je crois que c'est une exigence forte de nos auditeurs.
mignot: a propos du théatre je souhaite les pieces et pas leur glose
David_Kessler: Les pièces ont toutes leurs places dans le cadre des fictions diffusées sur l'antenne à raison de 7 heures et demi par semaine.
ClaireM3T: pourriez-vous penser à améliorer l'interactivité avec vos auuditeurs, les meler mieux au débat de société, les inviter dans à un vrai dialogue avec les invités ou les animateurs
David_Kessler: &ans le cadre des déplacements en province que j'ai indiqué envisager, je pense que ces dialogues sont possibles et souhaitables.
Cyril_Ravison: les chroniques d'Albert Jacquart et d'Hubert Reeves sont géniales, gardez les SVP!!!
David_Kessler: Merci.
bérolde: Ne pensez-vous pas qu'une approche plutôt sociologisante et trop "en prise directe avec l'actualité" ait tendance à l'emporter sur une vision plus patrimoniale de la culture ?
David_Kessler: C'est un débat qui existe chez nos auditeurs mais aussi qui parcourt notre antenne. Il est important, à la fois, de faire connaître notre héritage mais aussi les tendances qui animent la création
David_Kessler: contemporaine. Le point d'équilibre est certainement à trouver encore.
Franck: Le direct entraîne des dégradations, parfois catastrophiques (ex. Chemins de la conn.). Peut-on espérer un retour aux émissions montées ?
David_Kessler: Ces émissions, à ma connaissance n'ont pas disparues. Elles sont très nombreuses mais le direct doit aussi avoir sa place et donne de la force à une radio comme France Culture.
ClaireM3T: Contre Expertise de Brice Couturier était une émission géniale parce qu'elle décrivait sans fard les grands mécanismes de nos sociétés en n'épargnant pas certains à qui ces situations profitent
David_Kessler: Je partage votre enthousiasme pour cette émission.
c__est_mal_barré: En fait, vous êtes là pour prendre le thé
David_Kessler: Volontiers avec vous, quand vous le souhaitez.
mignot: nous sommes plusieurs a avoir la nostalgie des longues rediffusin de la nuit . Est ce si couteux ?
David_Kessler: Il y en a tous les week-end. Les nuits de samedi et dimanche.
Camille: La grille de France-Culture est saturée d'émissions d'entretiens qui occuperaient 5 minutes dans une émission montée. A quand la confection d'émissions de radio qui faisaient le renom de F-C
dédé: L'humour quotidien, le débat littéraire critique, le docu musical, le docu scientifique ont disparu
Rrose: Quelle place comptez-vous accorder à la pure crétion radiophonique (de type ACR ou des anciennes Nuits magnétiques). C'est ce qui faisait autrefois la magie de cette station.
Rrose: Le direct ne nuit-il pas à la réflexion ? Laissez-le à France Inter !
David_Kessler: Je mesure que pour certains auditeurs, l'antenne passée est toujours préférable à l'antenne présente comme la République est toujours plus belle sous l'Empire. Ce qui me paraît intéressant est de
David_Kessler: réfléchir à notre antenne à venir. Aucun des genres: documentaires, créations radiophoniques, fictions, mais aussi, directs et débats ne doit disparaître de celle-ci. Car c'est cet ensemble qui fait
David_Kessler: la singularité de France Culture.
Rrose: Avez-vous un véritable projet ? Vous semblez ne faire que défendre les choiux (souvent malheureux) de Laure Adler.
David_Kessler: Je considère que Laure Adler a fait des choix très souvent heureux pour cette station. Quant à mon projet, vous le verrez se concrétiser lors de la grille de rentrée 2006 que j'assumerai comme mon
David_Kessler: véritable premier choix.
eric: Conclusion: on a bien quelques critiques histoire d'améliorer les programmes mais franchement FC c'est la meilleure radio du moment! Bonnes ondes à tous et merci!
David_Kessler: Merci.
ClaireM3T: Pour revenir à l'interactivité il n''y a pas que le dialogue sur place vous pouvez aussi utiliser le téléphone ou internet !
David_Kessler: &'ores et déjà, et ce chat en est la preuve. Internet est un excellent moyen de dialogue avec nos auditeurs.
David_Kessler: Je crois cependant que des rencontres sur place, ont une valeur particulière.
Dominique: Pensez-vous que l'âge des auditeurs est important?
David_Kessler: Je crois que tous les âges peuvent avoir accès à France Culture. Tout simplement, parce que je suis convaincu que les sujets que nous abordons ne visent en particulier ni aucune catégorie socio-professionnelle, ni un âge déterminé.
peintur: que de vilains pseudos !!
zorbac: zorbac FQ se distingue notamment par la grande qualité de l'information. Cette qualité est favorisée par le nombre et la longueur des journaux. Allez-vous les maintenir ?
David_Kessler: Je partage votre sentiment sur la qualité et le ton très particulier de l'information de France Culture. Sur la place et la longueur des journaux, il est trop tôt pour moi pour avoir un avis définitif.
Rrose: Monsieur Kessler, de grâce, ne cédez pas au "jeunisme" ! Oui, les "vieilleries" que nous pouvons parfois réentendre la nuit ne peuvent susciter la "nostalgie" de l'intelligence et du temps long !
David_Kessler: Il n'y a aucun "jeunisme" dans mes propos. Je crois simplement que la radio se construit au fur et à mesure. Mais France Culture a cette particularité de produire sans cesse du patrimoine radiopho
David_Kessler: nique et je partage votre souci que nous puissions l'exploiter pleinement pour que nos auditeurs s'enrichissent aussi grâce au passé.
Claude_Martin: Je renchéris sur le direct et le montage: ce n'est pas qu'une question de nostalgie. Je suis une "jeune" auditrice (2ans seulement) et plus de rigueur serait souvent nécessaire.
ClaireM3T: je ne suis pas d'accord avec les internautes qui sont pour retirer le direct, l''actualité; Au contraire France culture doit etre plongé dans notre réalité, nous donner les clefs pour la comprendre
David_Kessler: La variété des points de vue me conduit à penser qu'il faut, effectivement, un juste équilibre entre les deux mais je partage pleinement l'exigence de rigueur qui n'est pas incompatible avec le direc
peintur: jeunisme sûrement non mais trop de jingles et auto promotion
vitte_r: et ces jingles imbéciles nous allons devoir les supporter encore longtemps?
Claude_Martin: FQ pour toutes et tous: oui, mais comment connaître FQ et avoir accès au détail de ses programmes ? même télérama n'est pas à la hauteur !
David_Kessler: Il faut savoir que l'auto promotion est un des rares moyens de faire connaitre nos programmes à nos auditeurs car nous avons peu de moyens de communication externe. Quant aux jingles, je n'exc lue pas, que nous puissions les modifier.
Rrose: Et la "pub" déguisée, ces partenariats imbéciles qui nous font douter de l'indépendance de vos journalistes et producteurs...
David_Kessler: Je ne vois pas bien pourquoi nos partenariats seraient particulièrement "imbéciles" je puis vous dire que beaucoup d'organisateurs de festivals et de manifestations culturelles, partout en France,
David_Kessler: sollicitent la présence de France Culture.
Cyril_Ravison: A France Culture, l'économie prend plus de place que l'environnement (je ne compte qu'une émission à ce sujet...) C'est un choix?
David_Kessler: Je crois en effet, que les questions environnementales sont appelées dans les années à venir à jouer un rôle de plus en plus essentielles dans notre réflexion.
Rrose: Le problème avec le partenariat c'est que les journalistes de france culture ne peuvent pas critiquer ces manifestations l'esprit serein...
David_Kessler: Je ne pense pas que ces partenariats gênent en quoi que ce soit la liberté des journalistes de France Culture. Ce qui s'est dit sur Avignon sur notre antenne en est la preuve.
Marc_Guidoni: Il parait que la persévérance est une vertu... je retente donc ma question: comment se mettre en contact avec votre équipe de direction après ce chat pour proposer un concept d'émission en public e
Marc_Guidoni: en public et en région.....
David_Kessler: Il suffit d'écrire à France Culture pour que le projet que vous présenterez soit examiné très attentivement.
QUAND_EST-CE_QUE_çA_COMME: non mais quel hypocrite ce directeur
David_Kessler: Ah bon !
Dominique: Oui, mais le partenariat avec les journaux de la presse écrite ?
David_Kessler: Il permet aussi à france Culture de toucher un public plus large qui s'intéresse aux sujets dont nous traitons. Là aussi, il faut veiller à préserver notre indépendance éditoriale.
Bérolde: Pensez-vous qu'il en faille pour tous les goûts ?
David_Kessler: Je crois qu'on ne pourra jamais satisfaire tous les goûts dans la mesure qu'il y a autant de goûts que d'auditeurs.
David_Kessler: Mais la diversité est la meilleure voie pour essayer d'en satisfaire le plus grand nombre.
vitte_r: QUI est en charge du recrutement des jounalistes et sur quels critéres?
David_Kessler: C'est la direction de la rédaction de France Culture en liaison avec la Direction des ressources humaines et la chaîne, s'agissant des journalistes professionnels.
Bérolde: En satisfaire le plus grand nombre est-il donc un objectif ?
David_Kessler: Je considère que l'audience n'est pas un objectif en soi, de France Culture. En revanche, je veux être sûr que toute personne qui s'intéresse à la culture puisse avoir accès à notre radio.
David_Kessler: Il faut donc bien qu'elle soit diverse.
montesse: Je re-tente ma question, qui me semble avoir une certaine importance: quels développements envisagez-vous sur le web pour France-Culture?
David_Kessler: Outre notre site web et les deux web radio, la question à venir est certainement celle du téléchargement des émissions qu'on appelle le "pod casting".
David_Kessler: je suis très désireux que France Culture propose rapidement à ses auditeurs des émissions à télécharger, nous y travaillons avec les autres directions de Radio France. Cela suppose de régler un
David_Kessler: certain nombre de questions, notamment celle des droits.
Bérolde: La question de l'audience peut-elle toutefois influer sur la programmation ?
David_Kessler: Non. S'il s'agit de renoncer à nos exigences pour rechercher à tous prix de l'audience. En revanche, être accessible, compréhensible, clair, me paraissent être des exigences normales.
Cyril_Ravison: ça c'est une bonne idée le "pod casting"... et comme ça on range définitivement le magnétophone!
dédé: Pourquoi tant de chroniques courtes? C'est du savoir light?
David_Kessler: La chronique est un genre radiophonique qui est par nature, court.
ça_commence_quand?: c'est cool de voir qu'il y a d'autres accro de FQ, mais super triste de voir toutes les questions qu'on ne voit pas
David_Kessler: J'en suis désolé. Mais vous êtes tellement nombreux et tellement rapides que je n'arrive pas à suivre.
peintur: il est lent
David_Kessler: Il est lent... C'est bien ce que je viens de vous dire !
Rrose: Je pose à nouveau la même question: êtes-vous vous-même un auditeur de France Culture ? Depuis combien de temps, et combien d'heures par jour ? Avez-vous pu suivre l'évolution de sa programmation ?
David_Kessler: Retrouvez la retranscription du chat demain. j'ai déjà répondu à cette question.
peintur: je ne parle pas de kessler mais du tchatt biensur
Cyril_Ravison: bon, en tous les cas il est marrant...même si un peu langue de bois
David_Kessler: Le moins possible...
michel_h: face à la souffrance sociale qui nous enveloppe, nous attendons de FQ les outils nécessaires à l'exercice d'une pensée libre créatrice et constructive et non à la séduction des courbes flatteuses de t
David_Kessler: Je partage à la fois votre constat et votre objectif. Personne n' a à France Culture les yeux rivés sur les courbes d'audience. Mais personnellement, je continue à croire qu'il n'y a pas
David_Kessler: &'incompatibilité entre culture et accès au plus grand nombre.
Agnès: Que sont devenus les centaines de producteurs des Chemins de la Connaissance, d'A Voix Nue, des chemins de la Musique.
Agnès: Pourrons-nous retrouver cette diversité ?
vitte_r: comme Agnes je dis.
peintur: cela existe encore
David_Kessler: La diversité des producteurs que vous appelez de vos voeux existe toujours dans les très nombreuses émissions documentaires de la chaine: 12 heures par semaine. C'est en effet la nature même de ces
David_Kessler: émissions que d'être produites par des acteurs différents.
Bérolde: Diriez-vous qu'un sujet sur, mettons, "Star academy" ait sa place sur France-Culture ?
David_Kessler: Non !
montesse: je continue sur le web: quand une émission disparait des programmes, son site disparait aussi, et donc les bibliographies, les liens... Ne pourrait-on ouvrir une section "archives" sur le site de FC?
David_Kessler: C'est une suggestion qu'on peut regarder.
jérémie: pourquoi pas star ac si c'est presente par des sociologues et des psychanalystes?
ClaireM3T: Si star académy, comme symptome d'une société qui ne donne que ça comme perspective à sa jeunesse ? Non ?
David_Kessler: je ne suis pas sur que France Culture en rajoute sur un phénomène dont tous les autres ont déjà parler mais je suis sûr qu'on a déjà eu l'occasion de traiter dans nos émissions de la télé réalité.
didier: l'ouverture sur le monde semble se fair de plus en plus depuis les studios parisiens. Il ya eu des semaines espagnoles ou libanaises. ce sont les questions de fric qui freinent leur développement ?
David_Kessler: Les questions de "fric" comme vous dites, sont aussi une préoccupation constante quand on gère une chaine. Je tiens beaucoup à ces déplacements à l'étranger qui expriment notre curiosité pour d'autres
David_Kessler: cultures. Simplement, nos moyens étant limités, nous devons choisir les destinations avec discernement.
peintur: mr ou mlle le modérateur qd je disais" cela existe encore" je parlais d'auditeur n'ayant pas le net à la maison.merci de rectifier.
Petrus: que pensez-vous de la place de la musique sur France Culture?
David_Kessler: C'est un sujet que je considère comme important. J'ai demandé à une productrice de la chaine de me faire un rapport sur cette question.
David_Kessler: Et des recommandations pour l'avenir.
vitte_r: F. C est devenue un club d'auto satisfaction a peu de frais
David_Kessler: Je trouve cette appréciation tout à fait excessive. Mais comme je l'ai déjà dit, je coirs qu'il faut être très vigilant contre tout sentiment de complaisance ou de connivence sur l'antenne.
David_Kessler: J'aurai l'occasion d'en parler avec les producteurs.
arnaud: Vous venez du CNC. Ne pensez vous pas que l'on pourrait ameliorer l'emission de critique du samedi?
Lorient0873802716: FC sur le Web: un son très désagréable: un projet existe-t'il pour rapidement retrouver une qualité correcte?
David_Kessler: On le souhaite tous. Evidemment. Après, c'est une question de moyens budgétaires.
michel_h: dans 5 mn y a Jean Lebrun
David_Kessler: Oui. Je vous le confirme.
vitte_r: vous ecoutez le matin la tranche 7 9 ?
David_Kessler: Tous les jours.
vitte_r: et vvous aimez
David_Kessler: Oui.
Agnès: Aviez-vous constaté en tant qu'auditeur la dégringolade de qualité de france-Culture
David_Kessler: Non.
brigitte_bertin: A propos des feuilletons de 11 heures, il n'y a pas de résumé avant chaque épisode et ensuite, il y a trop de rediffusion "rapide cf ls nouvelles confessions...
David_Kessler: Bonne remarque. Je pense qu'ill faut améliorer la présentation.
Petrus: a quand une émission qui concerne les enfants?
David_Kessler: Il y en a plusieurs, les mercredis et samedis après midi.
Rrose: Nous qui espérions un sauveur... aurons-nous un fossoyeur ?
David_Kessler: J'espère que non...
brigitte_bertin: j'écoute france culture 24/presque sur 24 et je trouve qu'il y a ttrop d'auto-publicités..
David_Kessler: Retrouvez la retranscription du chat demain. Déjà répondu à cette question.
Petrus: En ce qui concerne les programmes pour enfants, Je pense en particulier à des fictions, je n'en ai jamais entendues.
David_Kessler: Tous les mercredis après midi, (16 Heures).
Cyril_Ravison: y'a t'il parité entre les animateurs? j'ai l'impression qu'il y a beaucoup plus d'hommes? non?
David_Kessler: C'est vrai sur les quotidiennes...
vitte_r: vous etes fache avec les Inrock?
David_Kessler: Pas du tout...
Franck: (Attn modo: la question qui suit n'est franchement pas si scandaleuse, soyez chic...) Les chroniques du matin sont pénibles: obsession idéologique, mauvaise foi, et parfois carrément les insultes...
David_Kessler: Par définition, les chroniques expriment des sensibilités personnelles... et reflètent des styles particuliers. Les quatre chroniqueurs du matin ne partagent pas la même approche des questions qu'ils traitent. Je suis conscient qu'il a pu, à cet égard, avoir un problème avec le référendum.
Cyril_Ravison: heureusement qu'il y a Marc Kravetz!!!
Agnès: Les matins sont par trop saucissonnés
David_Kessler: Il faut remarquer qu'il n'existe aucune autre radio où un invité le matin, a 50 minutes pour s'exprimer et dialoguer.
David_Kessler: Ceux qui passent sur France Culture nous disent très souvent leur satisfaction d'avoir du temps et de ne pas être en permanence, interrompus.
Agnès: Je vais vous dire ma grande crainte. Que france-Culture ne retrouve plus sa qualité d'avant, et doucement glisse vers France-Inter, alors par souci d''économie, on fusionne et hop.
David_Kessler: Je crois, au contraire, que France Culture continue d'occuper une place unique dans le paysage radiophonique et je ferai tout pour qu'il en soit ainsi dans l'avenir. Aucune fusion n''est envisagée...
David_Kessler: Tout au contraire, France Culture voit sa vocation réaffirmée.
nanc: l'invité n'a pas 50 minutes !
David_Kessler: Il a exactement 50 minutes.
minerve: Oui mais s'il n' yavait pas Alexandre Adler et AG Slama, on n'aurait pas d'interlocuteur valable (intellectuellement parlant), pour critiquer l'idéologie de droite à partir de ses propres arguments.
Petrus: Je vous ai entendu ce midi sur la chaine parler de l'activité patrimoniale de FC, il est quand meme clair que de plus en plus d'émissions sont devenues du magazine d'actu culturelles !
David_Kessler: Je suis frappé au contraire de l'usage intensif par les producteurs de France Culture des archives radiophoniques. Comme je l'ai déjà dit, entre le patrimoine et l'actualité, il faut après trouver
David_Kessler: un juste équilibre.
Lorient0873802716: Le patrimoine (fond d'archive) de FC ne devrait-il pas être mis à la disposition de tous, à l'exemple des médiathèques qui mettent à dispo: livres, revue, disques etc..
David_Kessler: La loi prévoit que les émissions de Radio France deviennent propriété de l'INA, trois ans après la diffusion.
minerve: Quelle est la proportion d'auditeurs deFrance Culture?
Cyril_Ravison: c'est qui votre patron? le CSA?
David_Kessler: Il y a aujourd'hui en moyenne 600.000 auditeurs par jour.
David_Kessler: Jean-Paul Cluzel.
Petrus: OUi mais L'ina les revend au prix fort
David_Kessler: L'INA nous les revend aussi.
peintur: entre archives et ultra contemporanéité n'y a t'il pas un juste milieu?
David_Kessler: Certainement.
Rrose: Utiliser le patrimoine d'hier c'est bien. Créer celui de demain ce serait mieux ! Avec les bavardages actuels (en matière de programmes), cela semble difficile.
David_Kessler: Quand j'écoute le nombre d'émissions consacrées à la description de phénomènes de société, le nombre de documentaires que nous diffusons souvent mal connus, je suis au contraire fier de la création
David_Kessler: &'un patrimoine radiophonique pour la radio.
David_Kessler: L'histoire de la cinémathèque française, samedi dernier, le Sri Lanka après le stunami, huit jours auparavant... Hugo Pratt sont autant d'émissions patrimoniales.
Cyril_Ravison: et JP Cluzel il n'a pas une vision du partage thématique entre les radios de radiofrance?
David_Kessler: Vous pourrez en parler avec lui, le jeudi 6 octobre.
Agnès: Moi je n'ai pas digéré l'éviction de Bertrand Jérôme et même si Françoise Treussard anime bien l'émission, le duo me manque toujours, comme me manquent chaque jour les Décraqués, je sais bien que vous
David_Kessler: J'ai dit que "les émissions qui avaient eu leur place sur la grille mais qui avaient, depuis, disparues, n''ont pas vocation à revenir comme telles. Je préfère accueillir des projets nouveaux qui
David_Kessler: peuvent s'inspirer du même humour et de la même liberté d'esprit.
minerve: Il y a au moins un avantage à FC, c'est de nous faire entendre des spécialistes de leur sujet et pas des pantins médiatiques et communicants capables de parler de tout et de rien avec le même vernis .
montesse: Vous êtes "fier de la création d'un patrimoine radiophonique"; à quelles conditions pourrait-il etre mis à la disposition du public? L'INA est-il INcourtournAble?
David_Kessler: C'est la loi qui fixe les rapports entre Radio France et l'INA.
Petrus: Oui mais une semaine d'archivage sur le web c'est trop peu.
David_Kessler: Comme je l'ai dit, nous réfléchissons à la possibilité d'aller plus loin en ce domaine mais il faut préalablement régler les problèmes de droits.
Rrose: Qu'allez-vous retenir de ce véritable dialogue de sourds ?
David_Kessler: Je n'ai pas eu, du tout, le même sentiment que vous. Sauf à penser que pour vous, un dialogue, c'est adhérer spontanément à vos positions.
David_Kessler: Je retiens d'abord l'attachement à France Culture de ses auditeurs.
Rrose: Non, mais vous semblez plus sur la défensive qu'à l'écoute d'auditeurs particulièrement attachés à leur chaîne...
David_Kessler: J'écoute tous les auditeurs. Vous pouvez aussi admettre qu'ils n'ont pas tous, les mêmes sentiments que vous.
Fabrice: Bonjour Monsieur Kessler, je viens d''arriver sur le chat et ne sait pas si vous avez pu répondre à la question posée par avance la semain derniere concernant les fictions radiophoniques ? Merci.
Modérateur: reposez la
vitte_r: qui est ce monsieur Modérateur?
Modérateur: c'est moi, un pb ?
Agnès: Est-ce que les nuits de france-Culture vont être totalement consacrées aux archives ?
David_Kessler: Non, c'est impossible.
emecrire: n'ai-je pas le droit de poser une question relative a l'embauche?
David_Kessler: Tout est possible.
Rrose: Pourquoi est-ce impossible ?
David_Kessler: ¨Pour des raisons financières.
emecrire: comment postuler pour travailler a france culture?
David_Kessler: En présentant des projets.
peintur: bon eh bien c'était mon premier ttchhhaaatttt,c'est drôle et sympathique.
Agnès: Rrose, c'est la vie.
geneve: en tout cas sur l'Europe les questions ne passent pas
geneve: il est temps de parler du patrimoine radiophonique EUROPEEN sur France culture, la peu europeenne
David_Kessler: France Culutre est une chaine qui consacre beaucoup de temps aux questions européennes. Il est même arrivé qu'on lui reproche d'en parler trop. Peut-être faudra-t-il aussi en parler différemment.
ds: projet: émission consacrée à la sociologie juste après Répliques. Que pensez-vous dudit projet?
David_Kessler: J'attends de voir le projet.
minerve: Pour moi aussi c'était mon premier chat. Je trouve ça frustrant intellectuellement mais un peu instructif quand même.
David_Kessler: Il est vrai que ce type de dialogue a ses limites. Je souhaite qu'il soit poursuivi, comme je l'ai dit tout à l'heure par des dialogues en face à face.
nanc: a propos d'europe France culture est peut etre la seule radio qui consacre une rubriuqe à l'europe à 7 h30 !!!
Petrus: quand verra-t'on de nouvelles émissions?
David_Kessler: Les deux rendez vous que je vous fixe sont ceux de janvier, avec des changements légers et surtout, la rentrée 2006. Nous travaillons déjà sur la nouvelle grille.
Bonne_chance_David!: je propose que vous invitiez martin scorsese à une de vos emissions à l'occasion de l'inauguration de la cinémathèque
David_Kessler: Cela a été fait lundi soir lors de l'émission spéciale que nous avons consacré à l'inauguration du nouveau bâtiment.
minerve: Parlez de FC autour de vous; Je l'ai découverte dans les années 60 à l'école de la République, et, malgré certaines dérives (pas le temps de développer) il faut défendre et protéger ce type de radio.
Rrose: Bon courage ! J'espère que vous saurez nous rendre inteligents, et inversement !
David_Kessler: Merci à toutes et tous de ce dialogue. Je prends mes fonctions avec la conviction que France Culture est une radio unique et qu'il faut la préserver. Je mesure à l'écoute des demandes parfois
David_Kessler: contradictoires, qu'il faut savoir rester modeste mais, ambitieux sur nos exigences.
David_Kessler: Vos remarques sont donc toujours les bienvenues.
Fabien_de_Stenay: ah zut c'est fini
David_Kessler: &emain à partir de 17 heures, ce sera Michel Meyer de France Bleu qui répondra à vos questions. A demain, bonne soirée !


[1] Cela dit, ça vaut le coup de lire la version avec les “partis/arrivés”, des noms souvent significatifs, des publicités, des insultes, des provocations, des commentaires, comme “modérateur_de_merde”, “Restaurer_exigence_intell”, “lorientais0873802716”, “mamémoire_fait_du_sport”, “dialogue_de_sourds”, “sosfranceculture_free_fr”, “Laure_va-t-en_sur_NRJ”, etc. Ça peut faire rire ou sourire…


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
SNCM, le naufrage

 D ans le naufrage de la Société nationale Corse-Méditerranée (SNCM), l'Etat fait une démonstration d'irresponsabilité, de couardise et enfin d'inconséquence. Et ce, en dépit de l'intervention musclée de l'armée, mercredi 28 septembre, contre les grévistes "mutins" qui s'étaient emparé du "Pascal Paoli".

Irresponsabilité que de laisser au fil des années, depuis 1991, s'engloutir 1,2 milliard d'euros d'argent public sous couvert d'assurer la continuité territoriale entre l'île et le continent. Couardise, puisque rien n'a été fait par les six présidents successifs pour remédier, quitte à oser affronter les syndicats, aux maux évidents de la société: sureffectifs, productivité déplorable, navires trop coûteux, service commercial qui maltraite les passagers... Ajoutons un laisser-faire coupable face au Syndicat des travailleurs corses (STC) aux troubles objectifs politiques qui lui font réclamer une "corsisation" des emplois.

En 2004, les pertes d'exploitation de la SNCM ont encore atteint 29,7 millions pour un chiffre d'affaires de 193 millions d'euros: un abysse. La société privée concurrente, Corsica Ferries, affiche des bénéfices et un trafic en hausse.

On connaissait des privatisations "vente des bijoux de famille", quand l'Etat impécunieux a un besoin urgent de liquidités. Le premier ministre vient d'inventer une nouvelle catégorie: la privatisation défausse. Incapable d'affronter le problème, il le passe au privé, qu'il admet seul capable de courage.

Et, sans doute pour cacher sa honte de présider la capitulation d'un Etat qu'il ne cesse de déclarer vouloir, par ailleurs, interventionniste et fort, le premier ministre fait gérer toute l'affaire par le lointain préfet de Provence-Alpes-Côte d'Azur. Procédure inédite de voir le préfet chercher, puis négocier, avec les repreneurs privés puis annoncer, sinon décider, du nom du groupe retenu, en l'occurrence le fonds d'investissement Butler Capital partners.

Les réactions négatives des syndicats étaient parfaitement prévisibles. Les débordements aussi. Le rapt d'un navire par le STC, puis l'envoi des commandos de l'armée ajoutent le ridicule à la violence. A quoi s'ajoute l'inconséquence: en déclarant, dans la soirée de mardi, vouloir rester actionnaire minoritaire de la SNCM, le gouvernement semble disposé à faire machine arrière.

Il faut maintenant renégocier les prix avec M. Butler, qu'on vient de mettre, par cette volte-face, en position de force pour relever ses conditions. A supposer qu'il n'abandonne pas, ce qu'on comprendrait.

Le dossier SNCM n'est pas facile. La France n'a pas su gérer sa marine marchande depuis la guerre, d'où sa régression dans ce secteur alors que ses côtes lui donnaient un avantage. Quand la complexité corse s'invite sur la passerelle, on comprend que le voyage sera forcément mouvementé.

Mais le succès de Corsica Ferries montre que le coupable est l'actionnaire public, cet Etat qui, du début à la fin, aura fait preuve de sa faiblesse.

Article paru dans l'édition du 29.09.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

ahuri... ♦ 28.09.05 | 18h42 ♦ faudrait quand même expliquer à nos énarques de ministre et à nos syndicalistes toujours prêts à défendre même l'indéfendable que la valeur d'une entreprise ne se mesure pas à la valeur comptable des actifs, mais à la capacité du management de rentabiliser ces actifs et de générer du cash flow (autrement qu'en quémandant de l'argent public). Choqué également par la demande immédiate de requalifier les actes délictueux (criminels?) des enragés...
Stéphane D. ♦ 28.09.05 | 18h23 ♦ Des fonctionnaires se partagent un (gros) gateau. Se fachent quand on fait remarquer que le meme gateau dans le privé est meilleur et/ou coûte 2 fois moins cher. Les usagers sont méprisés, insultés et ignorés. On les fait payer cher alors qu'en impôts ils ont déja payé deux fois la prestation. La gestion est inexistante, la mesure de la qualité aussi. On ne peut rien changer au nom du "service public". SNCM, université, éducation nationale, ANPE, certains hopitaux... meme combat.
le rèveur ♦ 28.09.05 | 18h14 ♦ Le corporatisme voilà le fossoyeur des services publics et non les 35 heures. Il faut abolir les statuts particuliers et mettre le monde du travail sur un même pied d'égalité c'est-à-dire régi uniquement par le Code du travail. En somme mettre fin aux privilèges et à la gabegie. C'est là, a mon avis,la seule façon de sauvegarder nos services public du naufrage qui les guette un à un.
legourrier ♦ 28.09.05 | 18h02 ♦ Le ridicule et l'inconséquence de l'état comme des syndicats est évident mais il ne faut pas oublier que la compagnie concurente (Sardinia ferries et non Corsica ferries) est sous pavillon "italien" et l'origine du capital de cette société serait intéressant à connaître comme la nationalité des équipages et leurs conditions de travail. A noter également l'absence totale de service à bord des "Sardinia ferries" qui explique en partie la différence d'effectifs à bord.
wellington ♦ 28.09.05 | 18h01 ♦ On se répète:l'Etat a vocation à garantir des normes d'accès égal pour tous les citoyens à des services de première nécessité ce qui au passage, doit permettre la réquisition pour service minimum en cas de grève. Mais il n'a pas pour vocation de gérer des compagnies aériennes (cf la privatisation d'Air France) des flottes de ferries ou des usines à mettre des petits pois en boîte. Que M. Butller soit un proche du PM est fâcheux pour le PM, mais devient lourd pour le repreneur. Bonne chance.
treve ♦ 28.09.05 | 17h34 ♦ Une étude poussée de la conflictualité dans cette entreprise permettrait à l'éditorialiste de comprendre pourquoi la situation de la SNCM s'est dégradée alors même que les résultats de la Corsica Ferries ont été symétriquement opposés. Oui l'Etat n'a pas eu le courage de réformer la SNCM, mais qui l'aurait eu quant on voit les risques de troubles à l'ordre public. La vérité c'est qu'il n'existe aucune justification du caractère national de cette compagnie.
lojol ♦ 28.09.05 | 17h33 ♦ Ce qui me parait étrange, c'est la position du STC qui est, nous dit-on proche des indépendantistes corses.Or,ce syndicat en appelle à l'arbitrage de l'Etat français, il y a une subtilité qui m'échappe chez ceux qui stigmatisaient la politique de francisation des effectifs de la SNCM
treve ♦ 28.09.05 | 17h29 ♦ Drôle de texte asymétrique... Insister sur l'inconséquence de l'Etat est commode même si sa gestion a été mauvaise, mais pourquoi le Monde ne dit il rien de la responsabilité de la CGT et du STC dans cette affaire. Pour mémoire la CGT a obtenu l'hérédité de l'emploi puisque les enfants d'employés avaient une priorité à l'embauche. Le STC lui revendiquait l'emploi ethnique voulant réserver les places aux Corses.
JEAN FRANCOIS M. ♦ 28.09.05 | 17h25 ♦ Tout à fait d'accord avec cet éditorial.J'ai eu le "privilège",pendant de nombreuses années, de "bénéficier" des tarifs et des "services" de la SNCM, au temps béni du monopole.Ce naufrage actuel était hélas parfaitement prévisible(il faudrait aussi parler de l'usage qui est fait sur l'ile des fonds de la continuité territoriale!) Un exemple de plus de la manière dont peuvent être dilapidés des fonds publics quand ne peut s'exercer un réel contrôle démocratique.
Penseelibre ♦ 28.09.05 | 17h14 ♦ A Daniton: Ce n'est pas que tous les bons gestionnaires ne sont que dans le privé, c'est que ceux, qui y sont, sont obligés d'être bons, sinon ils dégagent ! Rien ne condamne un fonctionnaire à ne pas savoir gérer et voir lucidement les choses, mais si son patron, le politique, a peur de faire des vagues, çà ne sert à rien qu'il soit bon . En plus il est vrai qu'un certain nombre de bons gestionnaires rejoignent le privé où ils sont mieux payés !
factual ♦ 28.09.05 | 17h05 ♦ C'est sur qu'il est plus facile pour un politique de s'envoler vers la cote pacifique pour clamer des codes de bonnes conduites vis à vis d'une société privée exemplaire qui vous a laissé des milliards d'impots, que d'assumer sur la cote méditéranéenne votre incompétence et la gabegie d'une société dont vous avez la charge. On a vu des régiments de politiques prêts à aller à Palo Alto expliquer à HP "comment faire", mais pas grand monde pour le faire là "où ils sont pourtant en charge"
cohelet ♦ 28.09.05 | 16h57 ♦ Editorial qui analyse bien l'irresponsabilité et la défausse de l'Etat. On pourrait ajouter que W.Butler est aussi un énarque passé aux affaires. On pourrait aussi suggérer, compte tenu du succès de Corsica Ferries et des beaux batiments (vus TV) dont dispose la SNCM, de fusionner les 2 sociétés. Cela ouvrirait le port de Marseille à Corsica Ferries et créerait un beau réseau maritime de ferries dans ce nord ouest de la Mediterranée.
factual ♦ 28.09.05 | 16h55 ♦ A Daniton "abandonnée" me semble un mot bien mal choisi pour une société qui reçoit en subvention du contribuable la moitié de son chiffre d'affaire depuis x années. La privatisation n'a pas à être justifiée, c'est une option. C'est les pertes de la société publique qui doivent l'être. En tant que contribuable, je me fiche d'être co-propietaire d'un navire. Ne me demandez pas d'utiliser cette excuse pour refuser une privatisation.
dominique b. ♦ 28.09.05 | 16h42 ♦ la couardise me semble partagée par toute la classe politique , majorité comme opposition: mais il n'est pas politiquement correct de dénoncer une toute puissance syndicale dans les entreprises publiques ou à l'intérieur des services publics ( au hasard, et par exemple l'éducation nationale ), ni pour la gauche française de s'interroger publiquement sur les méfaits ou effets "secondaires " des 35 heures dans les dites entreprises.La démagogie, elle seule gouverne, et depuis longtemps.
Penseelibre ♦ 28.09.05 | 16h24 ♦ Est-il si nécéssairement prévisible que les syndicats corses se conduisent aussi stupidement qu'on pouvait le craindre ? Oui l'Etat a eu de graves faiblesses dans l'histoire de ce naufrage mais qui a généré cette situation d'équipages pléthoriques et de productivité que même Astérix ( cf Astérix en Corse , les scènes des prisonniers qui construisent la voie romaine et chargent la galère ) n'aurait pas osé imaginer aussi faible ?
DANITON ♦ 28.09.05 | 16h16 ♦ On peut même se demander si la S.N.C.M. n'a pas été "abandonnée" pOur mieux ensuite justifier sa privatisation ou alors les bons gestionnaires sont tous dans le privé même aprés avoir été formés à l'E.N.A. !!!!
monrog ♦ 28.09.05 | 15h52 ♦ Editorial impeccable: rien à y retrancher, tout au plus ajouter que ce n'est, hélas, pas le seul dossier que l'Etat, de + en + impuissant et réduit à la parole, ne sache pas régler. Morale cruelle: sa lâcheté ne lui garantit même pas l'estime; tout au plus la survie provisoire.
FDMLDP ♦ 28.09.05 | 15h50 ♦ La preuve manifeste que secteur public et entreprises nationalisées ne sont un label ni de compétence, ni de vertu, ni surtout de moindre coût social.
♦ 28.09.05 | 15h40 ♦ Dominique de Villepin aurait ordonné au prefet d'intervenir militairement. A. Juppé avait peut-être raison quand il parlait d'un homme d'état pour temps de guerre à propos de lui.
LUC d. ♦ 28.09.05 | 14h55 ♦ Dans cette chasse aux coupables, pas un seul mot des salariés de la SNCM qui campent sur les célèbres "avantages acquis", qui traitent leurs clients comme certains fonctionnaires (pas tous, Dieu soit loué), traitent certains des administrés que nous sommes et qui enfin utilisent des moyens dont on ne savait pas qu'ils étaient licites.
janvion ♦ 28.09.05 | 14h21 ♦ "Mais le succès de C-F montre que le coupable est l'actionnaire public, cet Etat qui, du début à la fin, aura fait preuve de sa faiblesse." Mais qui se cache donc derrière cet Etat ? Il s'agit d'hommes et de femmes, tous leur nom sont connus ou presque, surtout pour les premiers d'entre eux, les hauts fonctionnaires, préfets, ministres, présidents, on a des photos pour eux même ! Profondément démocrate et modéré, je m'interroge souvent sur la façon dont on me gouverne, est-ce bien sérieux ?
factual ♦ 28.09.05 | 14h19 ♦ Tout est dit. Avec le reflexe bien français que le seul acteur venant avec une proposition de solution se retrouve seul et immédiatement sur le banc des accusés


Le Monde / Société
Des islamistes arrêtés lundi auraient avoué viser trois objectifs à Paris

 L es magistrats antiterroristes français auraient établi que les neuf islamistes présumés arrêtés lundi envisageaient des attentats contre le siège de la DST, l'aéroport d'Orly et le métro parisien, selon des sources proches du dossier citées par l'AFP et Reuters: "au moins un", voire plusieurs des suspects placés en garde à vue auraient en effet avoué, et leur projet était même "très avancé", ont indiqué ces sources, soulignant que l'intervention de la police avait permis d'éviter un passage à l'acte. Lors des perquisitions, les policiers n'avaient cependant saisi ni armes, ni explosifs, ni composants chimiques à l'appui de la thèse de la préparation d'attentats.

Ces aveux confirment ceux recueillis auprès de M'Hamed Benyamina, boucher à Trappes, dans les Yvelines, interpellé et interrogé à Oran le 9 septembre, sur mandat d'arrêt français. C'est d'ailleurs ses déclarations, transmises par la justice algérienne à la justice française, qui ont amené l'interpellation des neuf personnes lundi, à Trappes (Yvelines) et à Evreux (Eure).

Mais Me Salah Djemaï, avocat de M'Hamed Benyamina, a estimé que son client a été interrogé en Algérie dans des conditions contestables. "Quelqu'un d'équilibré ne fait pas des aveux suicidaires comme ceux-là", a-t-il déclaré, parlant aussi de torture. Selon lui, il s'agit d'"un coup monté", d'une "opération menée de connivence entre la DST et la sécurité militaire algérienne. Nicolas Sarkozy a exploité ce dossier pour muscler son discours".

La sécurité du siège parisien de la direction de la surveillance du territoire (DST) avait été renforcée mi-septembre, à la suite des informations fournies par les autorités algériennes. Une source proche du dossier précise que l'apparition de la DST parmi les cibles potentielles d'attentats terroristes constitue une première.

Au terme de la période de garde à vue de quatre jours, quatre des neuf personnes interpellées devraient être présentées, vendredi, à des magistrats instructeurs, en vue de leur probable mise en examen.

Avec Reuters et AFP
LEMONDE.FR | 29.09.05 | 16h20


Le Monde / Société
Surenchères et dérapages politiques sur la question de la récidive

 L e débat sur la récidive s'enflamme. Jamais, depuis deux ans, le ministre de la justice n'a semblé aussi proche du ministre de l'intérieur: voulant imposer le futur bracelet électronique aux personnes déjà condamnées, Pascal Clément et Nicolas Sarkozy ont tous les deux appelé, mardi 27 septembre, à ne pas tenir compte du principe de non-rétroactivité des lois pénales. Pour le garde des sceaux, la lutte contre la récidive vaut que le gouvernement prenne "le risque de l'inconstitutionnalité."

"Le bracelet électronique est une peine"
Si "nul n'est censé ignorer la loi" , nul ne saurait être puni au nom d'un texte qu'il ne pouvait connaître au moment des faits: c'est le principe de la non-rétroactivité des lois. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme indique que "nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée" . Selon l'article 112-1 du code pénal, "sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis" . Le même article précise que "peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date" . Ce principe s'applique, en matière pénale, aux lois répressives plus sévères. Dans sa décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel avait autorisé l'inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infraction sexuelle (FJAIS) des "auteurs d'infractions -sexuelles- commises avant la date de publication de la loi". Il avait estimé que cette mesure ne constituait "pas une sanction mais une mesure de police" . Qu'en serait-il du bracelet électronique mobile ? "Il s'agit d'imposer à quelqu'un une contrainte. Le bracelet est une peine", estime Dominique Rousseau, professeur de droit et membre du Conseil supérieur de la magistrature.

Sous la pression d'une succession de faits divers dramatiques, une nouvelle loi sur la récidive est en passe d'être votée, qui sera examinée en seconde lecture à l'Assemblée nationale les 12 et 13 octobre. Depuis 2003, face à la volonté de M. Sarkozy d'imposer des peines automatiques minimales aux récidivistes, ce texte d'origine parlementaire n'a cessé d'évoluer. Le bracelet électronique mobile est devenu l'une de ses mesures phares. Le gouvernement souhaite instaurer la surveillance électronique par satellite des condamnés dangereux dans le cadre du suivi socio-judiciaire.

Cette peine permet déjà au juge d'imposer un contrôle et des soins au condamné, une fois sa peine purgée. Le suivi, créé en 1998 pour les seuls agresseurs sexuels, sera étendu aux meurtriers. Dans ce cadre élargi, la chancellerie affirme que le bracelet sera une mesure de sûreté, et non une peine. Mais ce point suscite un débat chez les juristes.

"NE PAS SAISIR LE CONSEIL"

M. Clément a affirmé vouloir appliquer le bracelet aux personnes condamnées avant la future loi, prenant ainsi le risque d'inconstitutionnalité d'une telle mesure. Un amendement a déjà été adopté en ce sens par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 6 juillet. "Les événements récents me poussent à prendre ce risque et les parlementaires avec moi. Il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel" , a lancé M. Clément, lundi, avant de renouveler ses déclarations mardi.

Ces propos ont suscité de vives réactions. Le président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, a rappelé à l'ordre le garde des sceaux: "Le respect de la Constitution est non un risque, mais un devoir" , a-t-il déclaré, mardi. Pour Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste de l'Assemblée, M. Clément "n'est pas digne d'exercer ses fonctions" .

L'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) s'est dite "profondément choquée": "De tels propos bafouent les principes d'un Etat de droit." Selon le Syndicat de la magistrature (SM, gauche), en "défiant les parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel" , le ministre exerce "un chantage inadmissible à l'opinion publique" . M. Sarkozy, qui réunissait mardi policiers et gendarmes au Palais des congrès, à Paris, a, pour sa part, affirmé: "Je souhaite que l'on se pose la question de la rétroactivité du suivi socio-judiciaire pour les multirécidivistes condamnés avant 1998, comme c'est le cas dans l'affaire du violeur des parkings parisiens." Il a ajouté qu'il avait "bien l'intention" de faire de la récidive "un combat devant l'opinion publique" , assurant qu'il avait sur ce sujet l'appui de Jacques Chirac: "Sa mobilisation et notre entente sur ce sujet sont totales."

Les débats à l'Assemblée risquent d'être vifs. L'instauration du bracelet électronique, mesure coûteuse et attentatoire aux libertés, soulève de nombreuses questions: quels seront les services responsables du suivi des condamnés ? Quelle sera la durée d'une telle mesure ? Certains députés avaient réclamé vingt ans. Une mission conduite par le député (UMP) Georges Fenech a conclu, au vu de rares expériences étrangères, qu'une durée de cinq ans était le maximum supportable par les individus.

"CONSENTEMENT ÉCRIT"

M. Sarkozy a également réclamé, mardi, que l'on puisse administrer aux agresseurs sexuels, contre leur volonté, un traitement médicamenteux contre la libido. Un tel traitement figure aussi dans la proposition de loi contre la récidive, mais le texte envisage de soumettre la prescription au "consentement écrit et renouvelé" du condamné.

Plusieurs dispositions prévoient un allongement des peines pour les récidivistes. Pour eux, le nombre des sursis avec mise à l'épreuve sera désormais limité à deux. Voire à un seul, en cas d'agression sexuelle ou de violence. Le risque, pour un criminel, de récidiver est inférieur à 5 pour 1 000.

Le texte prévoit aussi que le tribunal amené à juger un récidiviste soit contraint de prononcer un mandat de dépôt à l'audience, sauf avis motivé du juge. Cette disposition heurte l'indépendance des juges et n'est pas soutenue par la chancellerie.

En revanche, le ministre de la justice a souhaité que les auteurs d'actes graves attendent plus longtemps avant de pouvoir demander une libération conditionnelle: le délai d'épreuve sera porté de quinze ans à dix-huit ans pour les condamnés à perpétuité et de quinze ans à vingt-deux ans pour les récidivistes.

L'Assemblée devra aussi se prononcer sur la proposition de M. Fenech d'instaurer des périodes de sûreté plus longues, de vingt-cinq ans. Selon les magistrats, il s'agirait plus d'un effet d'annonce que d'une garantie contre la récidive. Enfin, sur proposition de M. Sarkozy, il est prévu que les associations de victimes soient consultées par le tribunal de l'application des peines avant toute décision de libération conditionnelle.

Nathalie Guibert
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Société
Pour les psychiatres, la castration chimique n'est pas la panacée

 L a proposition de Nicolas Sarkozy d'imposer un traitement médicamenteux aux violeurs récidivistes est jugée irréaliste et contraire à la déontologie médicale par les psychiatres spécialistes de la délinquance sexuelle. Réagissant aux déclarations du ministre de l'intérieur, affirmant qu'il faut "pouvoir imposer le suivi médicamenteux aux individus qui ne contrôlent pas leurs pulsions" , les psychiatres soulignent que ce type de traitement, s'il s'avère utile chez certains patients, ne peut en aucun cas constituer une réponse systématique, et a fortiori être administré sous la contrainte. "Laisser croire au public que ces médicaments seraient la panacée contre la délinquance sexuelle est une escroquerie" , s'indigne le docteur Daniel Zagury, expert auprès des tribunaux.

Désignés par le terme impropre de "castration chimique" , les médicaments antiandrogènes, qui agissent par suppression du désir, sont désormais considérés comme des traitements efficaces dans certaines déviances sexuelles. Il en existe deux types: la cyprotérone, commercialisée en comprimés sous le nom d'Androcur, et la leuropreline, qui se présente sous forme injectable avec effet retard. Jusqu'ici autorisé dans le traitement du cancer de la prostate, l'Androcur a reçu, le 21 juillet, une extension d'indication pour le traitement de la délinquance sexuelle par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Par ailleurs, l'Inserm met en place, sous la direction du professeur Serge Stoléru, une étude comparative de l'efficacité de ces deux types de traitements qui débutera dès janvier 2006 sur 48 patients volontaires.

Utilisant les antiandrogènes depuis plusieurs années avec des délinquants sexuels, le docteur Bernard Cordier, chef de service à l'hôpital Foch, à Suresnes (Hauts-de-Seine), explique que ces traitements "ne sont pas curatifs, mais sont un "frein" à la libido, qui agissent comme un coupe-faim" . On les utilise chez des personnes qui ne parviennent pas à maîtriser leurs pulsions sexuelles et qui craignent de passer à l'acte ou de récidiver, décrit le docteur Cordier. Ce sont des patients demandeurs d'un effet rapide.

Mais le traitement de fond reste la psychothérapie. Pédophiles pour la plupart, ces patients sont rarement récalcitrants au traitement: "Toutes les personnes à qui je l'ai proposé l'ont accepté, car le traitement n'est pas considéré comme une punition, mais comme une aide qui soulage." Aidés par la psychothérapie, certains patients arrêtent la prise de médicament au bout de quelques mois; d'autres préfèrent continuer malgré les effets secondaires au long cours, comme l'ostéoporose.

Pour les psychiatres, les antiandrogènes ne peuvent en aucun cas être imposés aux patients. "Il est tout simplement impensable de traiter de force un patient , soutient le docteur Cordier. C'est contraire à la déontologie médicale française et cela pourrait être considéré comme une torture." "Je ne vois pas comment contraindre certains sujets, surtout ceux inscrits dans la toute-puissance , analyse le docteur Roland Coutanceau, qui dirige une consultation spécialisée à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine). Il faut au contraire un travail de conviction pour faire comprendre au sujet l'intérêt qu'il a à ne pas récidiver."

Pour le docteur Zagury, l'idée d'imposer un traitement médicamenteux révèle "une confusion courante faite entre le délinquant sexuel et le malade mental" . "On ne soigne pas un pédophile comme un schizophrène, à qui l'on peut imposer des soins , précise-t-il. Les personnes présentant des troubles de la personnalité ne peuvent être contraintes, cela ne donnerait tout simplement aucun résultat."

Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Société
Alain Boulay, président de l'association Aide aux parents d'enfants victimes (APEV)
"Nous sommes pour les libérations conditionnelles car elles garantissent un certain suivi"

 Q ue pensez-vous de la proposition du ministre de la justice d'imposer aux personnes déjà condamnées des bracelets électroniques dans le cadre de la future loi sur la récidive en contravention avec le principe de non-rétroactivité des lois ?
Au nom de ce principe, on sacrifie des enfants et des jeunes femmes. Je pense que l'on peut y contrevenir de façon exceptionnelle, et tout particulièrement pour les auteurs de crimes sexuels. En même temps, nous savons bien, à l'association, qu'aucun moyen n'est efficace à 100%. Fichier des agresseurs sexuels, bracelet électronique, suivi socio-judiciaire, il faut utiliser toute la panoplie pour multiplier les filets de sécurité autour de ces personnes. Le problème, c'est le manque de moyens.
Trois exemples: un agent de probation m'a écrit. Il assure le suivi de 150 personnes en liberté conditionnelle, il ne peut les voir qu'une fois par an. Comment peut-il être efficace ? La loi de 1998 avait instauré la présence d'un référent psychiatrique dans chaque département. Sept ans plus tard, la moitié des postes ne sont pas pourvus. On nous a aussi promis des prisons-hôpital composées de petites unités capables d'accueillir les criminels sexuels. On n'en a pas encore vu une sortir de terre.

Etes-vous favorable à ce que les victimes soient associées à la décision d'accorder la liberté conditionnelle à des détenus ?
Nous sommes absolument contre et serons toujours contre. Les victimes n'ont pas à prendre la responsabilité d'une décision de remise en liberté. Cela doit exclusivement dépendre des magistrats. Les victimes ne peuvent être juge et partie. On ne pourrait être que systématiquement contre les remises en liberté. En plus, il n'y a aucun rapport entre la récidive et le fait que les victimes soient sollicitées. Nous demandons simplement qu'elles soient tenues informées dans les cas de libération conditionnelle, et seulement dans ces cas, qu'elles soient respectées.

Au cours des dernières années, la durée moyenne des peines criminelles effectuées s'est allongée. Cela vous rassure-t-il ?
En allongeant les peines, on repousse le problème. Il ne faut pas leurrer les victimes: tout criminel sortira un jour. La question cruciale n'est pas celle de la longueur des peines. Elle se formule plutôt de cette manière: qu'est-ce que l'on fait de ces gens quand ils sortent de prison ? Dans cette perspective, nous sommes défavorables aux remises de peine et pour les libérations conditionnelles. Car celles-ci garantissent un certain suivi de la personne. Nous préconisons aussi la mise en place d'un observatoire de la récidive et la mise en route d'études sur les profils des agresseurs.

Est-ce que le sentiment naturel des victimes n'est pas d'exiger une peine maximale ?
L'association est très attachée à la peine de réclusion criminelle à perpétuité. C'est une valeur symbolique. Nous savons bien qu'elle n'est pas appliquée. Ce n'est pas le problème. Nous sommes favorables à un effort d'explication en direction des victimes, qui soit institutionnalisé à tous les moments: l'instruction, le procès. Cette démarche leur permet d'accepter la peine.

Etes-vous favorable à la castration chimique imposée aux criminels sexuels, comme le défend le ministre de l'intérieur ?
Le mot me semble impropre. Il s'agit d'une mesure temporaire qui n'est pas irréversible, contrairement à la castration physique. Elle doit faire partie de l'arsenal. Mais, encore une fois, je crois à la complémentarité du système.

N'y a-t-il pas, en dernier ressort, une part de la souffrance des victimes qui échappe entièrement au traitement judiciaire ?
Bien sûr. Il y a des familles qui se retirent le droit de vivre, de fêter Noël, de rire. La justice ne pourra jamais répondre à ça.

Propos recueillis par Pascal Ceaux
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Société
Le nombre de condamnés à perpétuité a été multiplié par trois en trente ans

 L e gouvernement appelle à plus de sévérité contre les criminels, en proposant notamment d'allonger les peines que devront purger les récidivistes. La durée exceptionnelle de la détention de Lucien Léger, qui sera libéré lundi 3 octobre après 41 ans de réclusion, rappelle que les lois en vigueur permettent déjà de mettre à l'écart de la société des individus pendant un temps très long. Le nombre de condamnés à perpétuité, sanction pénale parfois qualifiée de "peine de mort lente" , a été multiplié par trois en trente ans, selon une étude non publiée du ministère de la justice: ils étaient 524 au 1er janvier 2005 contre 185 au 1er janvier 1975.

Comment s'appliquent les peines

La perpétuité. La réclusion criminelle à perpétuité est prononcée par la cour d'assises. Elle peut être commuée en "peine à temps" en fonction de l'évolution du condamné.

La période de sûreté. Créée en 1978, elle empêche tout aménagement de peine (permissions de sortir, libération conditionnelle, etc.) pour les auteurs d'infractions graves (assassinat, viol ayant entraîné la mort...). Elle est automatique pour les peines supérieures ou égales à dix ans (elle s'établit alors à la moitié de la peine et à 18 ans pour les perpétuités). Elle peut aussi, depuis 1994, faire l'objet d'une décision spéciale du jury de la cour d'assises, en étant portée aux deux tiers de la peine ou à 22 ans en cas de perpétuité, voire 30 ans dans des cas exceptionnels.

Les réductions de peine. La loi prévoit des réductions automatiques pour bonne conduite (3 mois la première année, 2 mois les années suivantes, 7 jours par mois restant) ou dans le cadre du décret de grâce collective du 14 juillet (4 mois maximum). Les "remises de peine supplémentaires" (3 mois maximum par année de détention) quant à elles sont accordées en fonction des efforts de réadaptation sociale manifestés par le condamné.

La libération conditionnelle. Elle peut être accordée à partir de la moitié de la peine, ou des deux tiers, dans le cas des récidivistes. Pour les condamnés à la réclusion à perpétuité elle ne peut intervenir qu'au bout de 15 ans. La libération conditionnelle est assortie de mesures d'assistance et de contrôle (résider dans un lieu, répondre aux convocations du juge de l'application des peines ou du travailleur social) qui ne peuvent excéder dix ans.

Le suivi socio-judiciaire. La peine complémentaire de suivi socio-judiciaire a été créée en 1998. Elle est actuellement réservée aux délinquants sexuels. Le suivi socio-judiciaire permet, dès l'incarcération ou à la libération du condamné, de lui imposer des obligations (ne pas rencontrer de mineurs, par exemple) et de prononcer une injonction de soins, pendant une durée n'excédant pas 20 ans.

Les services de la chancellerie ont étudié tous les condamnés à perpétuité libérés entre 1995 et 2005, soit 151 personnes au total, dont trois avaient été initialement condamnées à la peine de mort. L'étude s'est aussi penchée sur ceux qui étaient incarcérés au 1er mai 2005 (562 personnes).

UNE DÉTENTION PLUS LONGUE

"A l'heure où le débat est vif sur ce thème" , les auteurs expliquent en préambule qu'il n'est pas contradictoire de parler de la "durée effective des peines perpétuelles" , titre de leur étude. En effet, "la peine perpétuelle signifie rarement l'incarcération pour le reste de la vie. Elle peut être commuée en peine à temps". En outre, "si elle n'est pas commuée, la libération conditionnelle peut être obtenue après un délai d'épreuve de quinze années".

Les détentions effectuées par les condamnés à perpétuité sont de plus en plus longues. Leur durée moyenne était de 17,2 ans dans deux précédentes enquêtes, l'une menée auprès des sortants de 1961 à 1980, l'autre conduite auprès des libérés de 1989. Elle est passée à 20 ans, parmi les libérés de 1995 à 2005. Un sur cinq a été incarcéré pendant plus de 22 ans. L'évolution est importante: cette proportion était infime (1,6%) dans l'enquête la plus ancienne. Ces prisonniers étaient en moyenne âgés de 51 ans à leur sortie.

La grande majorité (85%) sont sortis dans le cadre d'une liberté conditionnelle, après vingt ans de réclusion en moyenne. L'effet de la loi du 15 juin 2000 est notable. Avant 2001, la décision de libération conditionnelle appartenait au ministre de la justice. Entre 1995 et 2001, on ne compte que huit sortants condamnés à la peine perpétuelle par an. Après la réforme, la décision est confiée à une juridiction collégiale: entre 2001 et 2004, le nombre moyen annuel de sortants a triplé, pour atteindre 26.

Seuls douze condamnés (8%) ont effectué une "sortie sèche", sans obligations. Ce sont eux qui ont subi les peines les plus longues: jusqu'à 33 ans. Par ailleurs, cinq personnes sont mortes en prison, trois ont obtenu une suspension de peine pour raisons médicales, trois ont été graciées par le président de la République.

En mai 2005, y compris Lucien Léger, trois condamnés purgeaient leur peine depuis plus de 40 ans et dix-sept depuis plus de 30 ans. L'étude a aussi mesuré la proportion de perpétuités assorties d'une période de sûreté, pendant laquelle aucun aménagement de peine n'est possible: elle se monte à 84%. La période de sûreté maximale, 30 ans, était prononcée pour 16 condamnés sur 562.

"L'allongement des peines perpétuelles est confirmé , concluent les auteurs de l'étude. Les condamnés exécutant cette peine au 1er mai 2005 vont sans doute effectuer une durée de détention encore plus longue: 31% ont une peine de sûreté supérieure ou égale à 20 ans. Ils sont relativement âgés et les conséquences du vieillissement de la population s'avéreront complexes pour la gestion des établissements pénitentiaires comme pour la réintégration de ces condamnés dans la société."

Nathalie Guibert
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Société
Josacine: l'hypothèse de l'accident domestique réapparaît devant le tribunal
LE HAVRE (Seine-Maritime) de notre envoyée spéciale

 L e 25 mai 1997, la cour d'assises de la Seine-Maritime condamnait Jean-Marc Deperrois à vingt ans de réclusion criminelle pour l'"empoisonnement" de la petite Emilie Tanay, âgée de neuf ans, décédée après une ingestion de cyanure. La procédure d'appel des arrêts de cour d'assises n'étant pas encore instituée, le rejet, un an plus tard, du pourvoi de M. Deperrois devant la Cour de cassation, puis celui de la requête en révision de son procès, en décembre 2002, devaient tourner la page judiciaire de l'"affaire de la Josacine." C'est elle, pourtant, qui a occupé, mardi 27 septembre, le tribunal correctionnel du Havre.

Devant cette juridiction comparaissait notre collaborateur Jean-Michel Dumay, auteur d'une contre-enquête, Josacine, le poison du doute, publiée en mars 2003 aux éditions Stock, qui était poursuivi pour "diffamation" par l'un des principaux témoins de cette affaire, Jean-Michel Tocqueville. Dans ce livre, qui reprend et développe un article publié dans Le Monde daté 24-25 novembre 2002, le journaliste défend l'hypothèse selon laquelle Emilie Tanay ne serait pas morte d'un empoisonnement volontaire ­ dont Jean-Marc Deperrois s'est toujours proclamé innocent ­ mais à la suite d'un accident domestique camouflé.

Etayée par une étude minutieuse du dossier d'instruction, et notamment par la révélation d'écoutes téléphoniques passées inaperçues tant aux yeux des enquêteurs qu'à ceux de la défense de l'accusé, cette hypothèse met en cause M. Tocqueville ­ au domicile duquel la petite Emilie se trouvait le jour du drame ­ et son ami Denis Lecointre. Ce dernier, qui avait lui aussi intenté une procédure en diffamation contre le journal et l'auteur de l'article, a perdu son procès devant la cour d'appel de Toulouse en juin 2004.

"ÉLÉMENTS NOUVEAUX"

Dans les attendus de sa décision, la cour avait infirmé le jugement de première instance et prononcé la relaxe du journaliste en estimant que sa démarche, qui s'appuyait sur "des éléments sérieux" , devait "être considérée comme légitime" . L'ensemble de ces éléments a été rappelé devant le tribunal du Havre.

Mais l'enjeu de cette audience allait bien au-delà de la seule question de la diffamation, comme en témoignait la présence, dans les rangs du public, des membres du comité de soutien à Jean-Marc Deperrois et de son nouvel avocat, Me Thierry Lévy, associé dans ce dossier à Me Valérie Rosano. Tous deux ont en effet déposé, mercredi 7 septembre, une nouvelle requête en révision du procès, en s'appuyant sur les "éléments nouveaux " apportés par la contre-enquête. Ils rendent, selon eux, "vraisemblable" l'hypothèse selon laquelle l'enfant aurait ingéré par erreur du cyanure qui se trouvait dans un flacon au domicile de M. Tocqueville. Un accident, que celui-ci aurait camouflé en mélangeant a posteriori le produit mortel à la Josacine (Le Monde du 14 septembre). Les avocats de M. Deperrois ont donc suivi avec attention un débat susceptible d'être versé à l'appui de leur requête.

Pour leur défense, assurée par Me Yves Baudelot, Jean-Michel Dumay et les éditions Stock avaient notamment fait citer, outre l'infirmier anesthésiste et le médecin urgentiste qui avaient apporté les premiers soins à l'enfant, une infirmière de l'hôpital où elle avait été transférée, ainsi que l'ex-épouse de Jean-Michel Tocqueville et Denis Lecointre. Si ce dernier a opposé un mutisme las aux questions de la présidente du tribunal sur le sens d'une conversation téléphonique ­ interceptée par les enquêteurs ­ au cours de laquelle il évoquait avec M. Tocqueville, "ton produit qu't'as mis dans la Josacine" , Sylvie Tocqueville a confié, pour sa part, qu'elle croyait désormais "plausible" la thèse d'un accident domestique suivi de sa dissimulation. Ce qui n'était jusqu'alors qu'une hypothèse de papier faisait ainsi une entrée discrète dans une enceinte judiciaire.

Jugement le 21 novembre.

Pascale Robert-Diard
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Société
Une campagne défend l'usage du "vrai nom du médicament"

 R éunis au sein du collectif Europe et médicament, la revue indépendante Prescrire, la Mutualité française et l'Union fédérale des consommateurs (UFC-Que choisir) ont lancé, mardi 27 septembre, une campagne en faveur de la prescription en dénomination commune internationale (DCI) intitulée "le vrai nom du médicament" .

Alors que dans bon nombre de pays européens (Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède, Belgique, etc.) la DCI est couramment pratiquée par les médecins, en France, seulement 7% des ordonnances sont libellées avec le nom du principe actif contenu dans le médicament et non pas son nom de marque.

Ibuprofène plutôt qu'Advil, lopéramide plutôt qu'Imodium... adopter la DCI "permet de ramener chaque produit à sa juste valeur thérapeutique en s'affranchissant de toute influence promotionnelle" , estime Jacques Juillard, président de l'association Mieux prescrire.

Regrettant qu'en France il n'existe pas de "base de données publiques du médicament" et que seul le Vidal ­ dictionnaire des noms commerciaux ­ trône sur le bureau des médecins, le collectif va publier, notamment sur Internet, des "fiches pratiques" sur "les multiples avantages de la DCI" .

Derrière les quelque 8 000 noms commerciaux de médicaments, se cachent en réalité seulement 1 700 DCI. "Raisonner en fonction du nom de la substance active permet, pour les médecins et pharmaciens, de prévenir les effets indésirables et les risques d'interactions médicamenteuses et, pour les consommateurs, aide à éviter les surdosages" , insiste Alain Bazot, président de l'UFC-Que choisir.

En juin 2002, lors de la revalorisation de la consultation à 20 euros, les généralistes s'étaient notamment engagés à prescrire davantage en... DCI.

Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Société
Controverse à Strasbourg sur la recherche sur l'embryon

 U n groupe de 73 députés européens vient de relancer la controverse sur l'origine, communautaire ou nationale, du financement des recherches menées sur des embryons humains. Ces parlementaires ont adressé, le 20 septembre, une lettre ouverte à José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, peu de temps avant que celle-ci dévoile le détail du 7e programme européen de recherche et de développement, qui concernera la période 2007-2013. Ils demandent que l'Union européenne (UE) cesse de financer de tels travaux, illégaux dans plusieurs Etats membres.

Ces eurodéputés rappellent les conclusions formulées par le Parlement dans sa résolution du 10 mars 2005 relative "au commerce d'ovules humains" . Après un vote réunissant une majorité constituée de la droite alliée aux Verts, le Parlement s'était félicité d'une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies qui invitait la Commission à retirer tout soutien et tout financement au clonage thérapeutique. Le Parlement souhaitait alors que la Commission "applique le principe de subsidiarité aux autres recherches sur les embryons et les cellules souches embryonnaires, afin que les Etats membres dans lesquels ce type de recherche est autorisé financent celles-ci au moyen de leurs budgets nationaux" . Il ajoutait que "l'Union devrait financer de préférence des recherches alternatives telles que celles portant sur les cellules souches somatiques ou ombilicales" , qui ne nécessitent pas la destruction d'embryons humains et ne soulèvent pas de problèmes éthiques. Les signataires de la lettre ouverte sont essentiellement des catholiques allemands (CDU), mais aussi polonais, tchèques, irlandais, italiens, etc.

La Commission, qui n'a pas prévu de changer de politique, rappelle que le 7e programme de recherche ­ comme le 6e ­ exclut le clonage à visée thérapeutique et que la résolution du Parlement est juridiquement non contraignante. Elle estime qu'elle pourra trouver, au Conseil et au Parlement européen, une majorité pour adopter son 7e programme, bien qu'avec l'élargissement intervenu en 2004 les pays prônant le respect des valeurs chrétiennes soient plus représentés. Elle insiste sur l'étroite surveillance dont font l'objet les recherches de ce type. Elle a soumis aux 25 Etats membres les quatre projets impliquant des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Trois ont été adoptés à l'unanimité, et le quatrième n'a été rejeté que par l'Autriche, alors que la législation de deux autres pays, la Pologne et la Lituanie, interdit ce type de recherche. Ces projets ont représenté un financement de 500 000 euros, soit 0,002% du budget du 6e programme (17,5 milliards d'euros).

La Grande-Bretagne ne pourra pas demander un financement européen des travaux qu'elle autorise depuis 2002, et qui ne peuvent être menés qu'à partir de la création d'embryons humains par la technique du clonage thérapeutique par transfert nucléaire, une technique similaire à celle qui avait permis la création, en 1997, de la brebis Dolly. Invoquant le risque du développement de trafic de cellules sexuelles féminines, Jacques Chirac s'était, en 2001, prononcé contre la légalisation en France de cette pratique, que la loi de bioéthique du 8 août 2004 interdit.

Jean-Yves Nau et Rafaële Rivais à Bruxelles
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / France
Thierry Breton, ministre de l'économie, et Jean-François Copé, ministre délégué au budget
"Nous ramènerons le déficit de la France à 2,9% en 2006"

 S ous quel signe a été placée la construction du budget 2006 ?
Thierry Breton:
La mobilisation maximale pour l'emploi, conformément à la priorité du premier ministre, tout en assurant le respect des engagements de la France. Nous avons rempli notre objectif de stabiliser pour la troisième année d'affilée les dépenses de l'Etat en volume. Cela nous permet de limiter le déficit budgétaire à 46,8 milliards d'euros, soit le niveau attendu pour l'exécution du budget 2005. Concernant l'ensemble des comptes publics, nous ramènerons le déficit de la France à 2,9% du PIB en 2006 et nous réussirons à quasiment stabiliser la dette publique en pourcentage du PIB par rapport à 2005.

Le gouvernement a pourtant promis un déficit en deçà de 2,7% du PIB, à Bruxelles, il y a encore quelques mois !
T. B:
Atteindre 2,9% en 2006 est la marque d'une très grande responsabilité du gouvernement au regard d'un contexte marqué par des prélèvements sur le budget de l'Etat en forte hausse ­ plusieurs milliards d'euros supplémentaires ­ au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales. Il fallait aussi compenser par rapport à 2005 l'effet de la soulte EDF. Enfin, le prix du baril a été multiplié par deux (nous retiendrons 60 dollars dans le budget 2006), ce qui a coûté plusieurs dixièmes de point de PIB.
Nous prévoyons 2,25% de croissance pour 2006, après un chiffre compris entre 1,5% et 2% pour 2005. Heureusement, tous les pays européens perçoivent une nouvelle dynamique de reprise de l'économie, que nous constaterons dans les chiffres des 3e et 4e trimestres.

Et vous devez financer les annonces de M. de Villepin...
Jean-François Copé:
Nous tiendrons tous les engagements pris par le premier ministre. Ils répondent aux attentes des Français. Nos priorités fondent la croissance sociale. Elles sont claires et responsables. D'abord l'emploi, auquel nous consacrons toutes nos marges de manoeuvre, soit environ 4 milliards d'euros. Puis les dépenses d'avenir: investir dans la recherche et l'innovation, c'est créer les emplois de demain. Enfin, la restauration de l'Etat régalien. Ces priorités sont toutes financées: c'est pour cela que nous avons fait en 2006 une pause dans la baisse des impôts.

La baisse reprend en 2007, année de l'élection présidentielle.
J.-F. C:
Oui, car nous avons voulu une fiscalité simplifiée, plus compétitive, mais aussi plus juste puisque les allégements sont concentrés sur les classes moyennes. Les contribuables en percevront les effets dès le début de l'année 2007, avec la baisse du premier tiers provisionnel et des prélèvements mensuels. Pour ce qui est du plafonnement global d'imposition, il prendra en compte l'impôt payé en 2006 sur les revenus 2005.

Certains élus demandent que les impôts locaux soient exclus du plafond.
J.-F. C:
La discussion va s'engager au Parlement mais l'esprit de ce "bouclier", c'est bien de garantir qu'aucun contribuable ne payera plus de 60% d'impôts directs (IR, ISF, impôts locaux) sur ses revenus. L'idée, c'est d'en appeler à la responsabilité de toutes les collectivités publiques à l'égard du contribuable.

Le budget 2007, année électorale, sera plus difficile à boucler ?
J.-F. C:
Détrompez-vous ! Toutes les conditions sont réunies pour que l'Etat fasse de la dépense publique efficace, et des gains de productivité, grâce à deux nouveaux outils: la réforme budgétaire (la LOLF) et la réforme de l'Etat. A titre d'exemple, 1% de baisse des dépenses en volume, c'est 3 milliards d'euros dégagés, soit presque l'équivalent du coût de la réforme fiscale.

Vous avez maintes fois regretté que la France vive à crédit. Or la dette de l'Etat progressera encore, de 65,8% à 66% du PIB...
T. B:
Dans le champ de contraintes qui était le nôtre, nous réussirons à stabiliser le ratio d'endettement de la France en 2006. Mieux, après trois années de stabilisation des dépenses hors inflation, la fameuse règle "zéro volume", le ministère de l'économie va s'organiser en 2006 pour construire un budget 2007 dont la progression sera inférieure à l'inflation. C'est ce qui nous permet de prévoir, pour 2009, un déficit public compris entre 0% et 1,5% du PIB, selon que la France aura une croissance sur la période de 3% ou 2,25% par an.

La réduction du nombre de fonctionnaires est-elle une priorité, comme le demande Nicolas Sarkozy ?
J.-F. C:
Depuis 2003, nous avons engagé un mouvement de réduction des effectifs, que nous poursuivons en 2006. Mais fixer une norme obligatoire n'est pas la bonne réponse. Il faut d'abord rechercher un Etat efficace. Dans certains domaines, il faut des créations de postes, comme pour la justice, la défense et la sécurité intérieure. Dans d'autres secteurs, on peut rendre le même service aux Français avec moins de personnel. C'est le cas à Bercy, où 2 600 départs en retraite ne seront pas remplacés en 2006.

Le premier ministre milite pour un "patriotisme économique". Mais, concrètement, les injonctions du gouvernement, notamment dans l'affaire Hewlett-Packard, ne relèvent-elles pas avant tout de la communication ?
T. B:
Dans le monde de l'entreprise, que je connais bien pour avoir été PDG en France et aux Etats-Unis, le patriotisme économique est une notion concrète et moderne. En tant que chef d'entreprise, on peut être amené à prendre des décisions difficiles. Je l'ai moi-même vécu. Mais, dans tous les cas, on doit rendre des comptes pas seulement à ses actionnaires, mais à l'ensemble des parties prenantes qui fondent la communauté de l'entreprise: les clients, les salariés, les syndicats, l'environnement politique, économique, social et écologique. Le métier de chef d'entreprise, c'est aussi de tenir compte de cela.

Où en est-on dans les engagements pris sur le prix de l'essence avec les pétroliers ?
T. B:
Les engagements sont faits pour être tenus. Les premiers relevés de tarifs pour l'observatoire des prix des carburants à la pompe viennent d'être effectués et sont rendus publics mercredi. Mais le plus important pour l'avenir, c'est que nous avons incité les entreprises pétrolières à investir dans le raffinage et dans les énergies renouvelables. Cette politique a été reprise par les ministres des finances de l'Union européenne et a alimenté nos discussions lors du G7 qui s'est tenu à Washington samedi.
Avec mon homologue britannique, Gordon Brown, j'ai obtenu le mandat d'entamer des discussions avec les producteurs de pétrole afin que l'on discute aussi avec eux des politiques d'investissement nécessaires pour résorber la crise actuelle et préparer l'avenir.

Propos recueillis par Christophe Jakubyszyn et Joël Morio
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Entreprises
Bourse
A Paris, l'indice CAC 40 reprend son souffle

 L es déclarations du président de la Réserve fédérale (Fed), Alan Greenspan, laissant entendre que l'économie américaine était armée pour résister aux chocs ont permis aux actions américaines de se redresser en fin de séance, mardi 27 septembre. Elles avaient initialement reculé en début de journée en raison du moral des ménages, qui s'est inscrit en septembre au plus bas depuis près de deux ans.

M. Greenspan a déclaré devant la National Association for Business Economics (NABE) que, grâce à sa flexibilité, l'économie était "plus résistante aux chocs et plus stable depuis deux décennies" , et que cela "a permis d'absorber raisonnablement la forte hausse des prix du pétrole et du gaz que nous avons connue ces deux dernières années".

L'indice Dow Jones a gagné 0,12% à la clôture du marché. L'indice composite du Nasdaq, composé pour l'essentiel d'entreprises de technologie, a pour sa part cédé 0,24%, en raison d'une opinion pessimiste formulée par les analystes financiers de la banque américaine JP Morgan Chase sur le secteur des semi-conducteurs. Ils ont abaissé leurs recommandations sur plusieurs sociétés. Trois d'entre elles ont mal réagi en Bourse: Cypress Semiconductor a perdu 3,57%, à 14,03 dollars, Fairchild Semiconductor 5,99%, à 14,43 dollars, et ON Semiconductor 5,95%, à 4,74 dollars.

En Europe, les marchés d'actions ont terminé en baisse, leur clôture coïncidant avec le moment où le Dow Jones était encore dans le rouge. Londres a perdu 0,11% et Francfort 0,65% malgré le rebond surprise de l'indice IFO du climat des affaires en septembre en Allemagne. A Paris, les investisseurs ont pris leur bénéfice après la forte hausse des actions la veille. L'indice CAC 40, qui avait bondi de 2% lundi pour finir à des niveaux inégalés depuis près de trois ans et demi, a perdu 0,44%.

La Bourse de Tokyo a fini en hausse de 0,95%, mercredi, soutenue par les espoirs de reprise de l'économie.

Cécile Prudhomme
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Une
Le ventre de une
Un vin au petit goût de Bach, avec des notes de Vivaldi et un zeste de Gluck
ROME de notre correspondant

 L a musique de Mozart, de Bach ou de Tchaïkovski a-t-elle une influence sur la qualité du vin ? C'est une hypothèse que des chercheurs de l'université de Florence envisagent sérieusement, après avoir étudié de près l'expérience menée par un viticulteur toscan. Giancarlo Cignozzi, ancien avocat devenu propriétaire viticole, produit le fameux brunello de Montalcino, un vin rouge d'exception apprécié dans le monde entier. Depuis qu'il a sonorisé son vignoble avec des dizaines d'enceintes acoustiques, cet original trouve que sa vigne pousse avec davantage de vigueur. Elle est moins malade que celle de ses voisins, et son raisin mûrit plus vite.

Impressions confirmées par les premiers travaux du professeur Stefano Mancuso, spécialiste italien de neurobiologie végétale, qui a commencé à reproduire en laboratoire les essais en plein champ du viticulteur mélomane: "Les effets de la musique, ou plutôt des fréquences sonores, sur la croissance de la plante sont remarquables."

Il y a quatre ans que Giancarlo Cignozzi élève sa vigne en musique, après avoir découvert sur Internet des études chinoises et coréennes démontrant l'impact d'un fond sonore musical sur certaines plantes. Il a voulu essayer sur ses sarments. "En hiver, quand les vignes dorment, j'utilise de la musique sacrée ­ Haydn, Haendel, La Flûte enchantée de Mozart, un peu de Gluck", a-t-il expliqué au quotidien La Stampa. Au printemps, à l'apparition des premières feuilles, il "attaque avec de la musique baroque: beaucoup de Bach, beaucoup de Vivaldi".

Juin et juillet résonnent de "concertos pour piano et de symphonies". Enfin, le final, fin août-début septembre, au plus fort de la maturation, est réservé à "Tchaïkovski avec orchestre de 120 éléments". Ainsi s'écoulent les quatre saisons de Cignozzi, dans le petit village de Montalcino.

"Je ne sais pas si mon vin est meilleur", reconnaît-il honnêtement. Mais il est sûr que les parcelles les plus exposées à la musique sont les moins touchées par les parasites, les bactéries, la moisissure.

Les 20 000 euros dépensés pour équiper son vignoble avec l'aide d'un ami ingénieur du son ont été largement compensés, affirme-t-il, par les économies réalisées sur les achats de fongicides et d'insecticides.

Pour le professeur Mancuso, il est trop tôt pour donner un jugement définitif sur cette musicothérapie appliquée au vin. Si les séries de tests menées actuellement par ses équipes aboutissent, il entrevoit "une nouvelle voie pour l'agriculture biologique, en particulier pour les produits de qualité". Reste la pollution sonore: les effluves de grande musique ont tendance à soûler le voisinage, qui a déjà protesté à plusieurs reprises.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Régions
Les industriels s'opposent aux élus sur le recyclage des déchets électroniques

 L e frigo en panne ou le vieux téléviseur n'iront plus à la décharge. Nelly Olin, ministre de l'écologie, a signé, le 20 juillet, un décret obligeant les producteurs d'équipements électriques et électroniques ménagers à "pourvoir à la collecte sélective" ou à y "contribuer" financièrement. La France transcrit ainsi une directive européenne du 27 janvier 2003 qui était censée entrer en vigueur avant le 13 août 2005. Cette bonne nouvelle environnementale, largement commentée aux Assises nationales des déchets, à La Baule (Loire-Atlantique), les 20 et 21 septembre, est aussi un motif de satisfaction pour les maires.

Un filon pour les entreprises d'insertion

Environ 2 500 personnes travaillent dans le secteur du démontage et du recyclage des déchets électriques et électroniques, selon une estimation du cabinet d'études économiques Terra. 40% sont employées par des entreprises d'insertion, des centres d'aide par le travail et des ateliers protégés pour les personnes handicapées. A terme, le nombre d'emplois devrait doubler dans cette filière. Les responsables de l'économie sociale et solidaire craignent d'être évincés par des entreprises classiques, spécialistes du tri. Nelly Olin, ministre de l'écologie, envisage de n'autoriser à travailler sur ce marché que les seuls industriels qui auront pris l'engagement de faire appel à des entreprises d'insertion.

Les élus locaux militent pour que les industriels financent davantage la gestion des déchets ­ - quels qu'ils soient ­ - au nom du principe "pollueur-payeur". Ils assument de plus en plus difficilement, vis-à-vis des habitants, la hausse vertigineuse de la taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères, qui a doublé en dix ans. En moyenne, au titre de cette taxe, chaque ménage paye 240 euros d'impôts par an, soit 6 milliards au total.

UNE NOUVELLE RÉGLEMENTATION

La nouvelle réglementation sur les déchets électroniques est l'occasion pour les élus d'amener les fabricants à prendre en charge la filière. Ce qui implique qu'à terme, le consommateur paye à la place du contribuable.

Quelques villes ont mis en place une collecte sélective des appareils électroménagers: Bordeaux, Nantes, Lille, Strasbourg, Rouen, Caen, Lons-le-Saunier (Jura)... Certaines, comme la communauté d'agglomération de Montpellier, font appel à des entreprises d'insertion pour collecter et démonter les machines. La plupart de ces communes ne reçoivent aucune aide des fabricants et la recette qu'elles tirent du recyclage des matériaux est loin d'équilibrer leurs charges.

En 2006, sur les 14 kilogrammes de déchets électriques ou électroniques que produit annuellement chaque habitant, la France devra en recycler quatre. Quand 100% des déchets seront recyclés, calcule-t-on au ministère de l'écologie, leur traitement coûtera 500 millions d'euros par an dont 20% pour la collecte sélective. Encore faut-il qu'élus et producteurs se mettent d'accord sur qui finance quoi. Pour l'instant, la négociation est loin d'être achevée.

Lors des Assises nationales des déchets, Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF), s'est montré ferme: "Les coûts supportés par les collectivités, a-t-il déclaré, devront être intégralement compensés par les industriels." La mise en place, par les communes, du tri sélectif des déchets électroniques reste, au terme du décret, "facultative" , a-t-il fait valoir. "Elles ne seront volontaires pour le mettre en place qu'à condition que les producteurs le financent."

A la tête du réseau Amorce, association qui regroupe 250 collectivités, Camille Durand, premier vice-président (PS) de la communauté urbaine de Nantes, a donné pour consigne de "ne rien faire tant que la prise en charge à 100% des coûts n'est pas assurée" par les industriels.

Ceux-ci jugent les exigences des maires "exorbitantes". "Le marché de l'électronique est ultra-concurrentiel. Nos marges se réduisent de manière drastique ! Nous n'avons pas l'argent pour financer seuls la filière", explique Jean-Paul Ouin, responsable des affaires juridiques de Philips France. "Le fait que nous soyons volontaires pour mettre en place le traitement de nos appareils usagés n'implique pas qu'on nous demande de tout payer , prévient-il, ou alors à quoi sert-il de prélever des impôts locaux ?..."

PARTAGER LES COÛTS

Les industriels ont plusieurs motifs d'inquiétude. Ils redoutent de devoir faire face à un afflux de très vieux appareils dont ils évaluent mal le stock. La mise en place de nouvelles déchetteries va, de fait, inciter les ménages à vider leur cave. Les fabricants ne veulent pas, par ailleurs, signer de chèque en blanc aux élus dont ils craignent qu'ils forcent la note en investissant dans des systèmes de tri "ultrasophistiqués, voire superflus, simplement pour pouvoir se donner un petit air écologiste" , explique-t-on chez Philips... Pour les industriels, une participation "raisonnable" de leur part s'impose d'autant plus que la répercussion sur le prix de vente des appareils leur semble inéluctable.

L'AMF et Amorce ont proposé, pour 2006, que les fabricants versent aux collectivités françaises une somme identique à celle dont ils s'acquittent en Belgique, où le tri est en vigueur.

Selon l'AMF, les villes belges qui pratiquent la collecte sélective perçoivent, en moyenne, 6 euros pour un réfrigérateur, 4 euros pour un ordinateur... "C'est trop cher pour la France !", répondent les industriels. Le stock d'appareils à recycler y est plus important qu'en Belgique. Les sommes en jeu seront plus élevées et donc difficiles à supporter. Les fabricants sont prêts, en revanche, à un "partage des coûts" avec les collectivités sur le modèle de la filière du tri sélectif des emballages. Dans ce cas, les industriels financent 50% du traitement via une cotisation à Eco-Emballages.

Les élus estiment que c'est insuffisant. Pour eux, responsabiliser le producteur n'est pas seulement une façon de stabiliser les impôts, c'est aussi une manière de les inciter à produire moins de déchets.

La nouvelle réglementation devrait encourager les grandes marques à fabriquer des appareils plus faciles à recycler. Ce qu'ils ont commencé à faire: il y a dix ans, un téléviseur contenait dix variétés de plastique différentes, aujourd'hui, il n'en contient plus que deux.

Béatrice Jérôme (avec Florence Amalou)
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Régions
En Catalogne, une vraie filière industrielle qui crée des emplois
BARCELONE de notre envoyée spéciale

 À  60 kilomètres de Barcelone et à deux heures de Toulouse, El Pont de Vilomara, une petite ville de 3 245 habitants, est devenue en quelques années l'un des centres les plus avancés d'Europe en matière de recyclage de la "ferraille électronique". Comme l'explique son maire, le socialiste Evaristo de la Torre, "cela répond à un pari sur le développement durable. Bien sûr, nous savions que nous allions nous heurter à une certaine incompréhension, surtout de la part des écologistes" . Il est vrai que le polygone industriel choque dans le décor. Le démantèlement des ordures électroniques n'est pas particulièrement esthétique, ni, à première vue, valorisant.

Le maire est persuadé qu'il a vu juste. Dans les années 1990, les deux filatures qui employaient une bonne partie de la population ont fermé, frappées par la crise du textile. "Il fallait trouver une solution", explique M. de la Torre. Il y a aujourd'hui trois usines à El Pont de Vilomara. Grâce à elles, 850 habitants de la localité ont trouvé un emploi.

La plus ancienne, Pilagest SL, est consacrée aux piles et aux lampes fluorescentes. Puis un Centre de traitement et de recyclage des frigorifiques a été inauguré pour le démontage des réfrigérateurs et la récupération des gaz.

CAPITAL PUBLIC OU PRIVÉ

Ces deux premières usines ont un capital public et dépendent de l'administration régionale et de son Agence des résidus. Le Centre de traitement se charge aussi de la collecte. Différentes campagnes ont été lancées pour promouvoir une culture du recyclage, autour d'une idée: "Quand tu achètes le nouveau, tu recycles le vieux." 230 déchetteries ont été installées.

La troisième usine, Electrorecycling, destinée à la récupération des équipements électroniques, est privée. Entre 20 000 et 25 000 kilos de téléphones portables, de jouets, d'écrans de téléviseur, d'ordinateurs ou de grille-pain sont traités chaque jour avec une revalorisation d'environ 80% des matériaux. En dix ans, à partir de 500 000 réfrigérateurs, le Centre de traitement a récupéré 15 565 tonnes de fer, 4 045 tonnes de matières plastiques, 1 065 tonnes d'aluminium, 265 tonnes de verre, 145 tonnes de cuivre et 120 tonnes d'huiles.

L'exemple du cuivre est le plus frappant, puisqu'il a l'avantage de pouvoir être réutilisé pratiquement à l'infini. "80% du cuivre utilisé depuis des milliers d'années est encore en usage", affirme Oriol Guixa, directeur général d'une autre usine de la région, la Farga Lacambra (LFL) aux Massies de Voltrega.

Fondée en 1808, LFL a mis en place, en 1986, la première usine au monde de fabrication de fil machine de cuivre à partir de produits recyclés.

Martine Silber
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Sciences
Forte réduction de la calotte glaciaire arctique

 L es scientifiques américains du Centre national des données sur les neiges et glaces (NSIDC), basé à Washington, se sont inquiétés, mercredi 28 septembre, des dernières observations et mesures qu'ils ont effectuées, grâce aux satellites de la NASA, sur la calotte glaciaire arctique: pour le quatrième été consécutif, sa superficie s'est considérablement réduite. Julienne Stroeve, climatologue du NSIDC, a estimé qu'"à ce rythme, l'Arctique n'aura plus de glace pendant la saison d'été bien avant la fin de ce siècle".

A la fin des fontes de l'été, la zone gelée de l'océan Arctique est normalement réduite à son minimum en septembre. Mais, d'après les observations effectuées le 21 septembre par le NSIDC, la surface de la banquise n'était que de 5,32 millions de km2, soit la plus faible superficie jamais mesurée par les satellites d'observation. Cet été, le légendaire passage du Nord-Ouest dans l'Arctique canadien, entre l'Europe et l'Asie, était complètement navigable à l'exception d'une bande de 90 km où flottaient des blocs de glace. Selon d'autres observations effectuées par l'équipe de Ted Scambos, de l'Université du Colorado, la fonte de la calotte a commencé au printemps de cette année dix-sept jours plus tôt.

"Etant donné le bas niveau record des glaces cette année à l'approche de la fin septembre, 2005 va presque certainement surpasser 2002 pour la plus faible superficie de glace dans l'Arctique depuis plus d'un siècle", estime Julienne Stroeve. "Avec quatre années consécutives de faible superficie de la glace arctique, on peut penser avec une assez grande certitude qu'un phénomène de fonte durable est en train de se produire et qu'il ne s'agit pas d'un phénomène de courte durée", ajoute Walt Meier, un autre climatologue du NSIDC.

DEUX FOIS LA SUPERFICIE DE LA FRANCE

Les experts du NSIDC ont calculé, en intégrant les dernières mesures effectuées, que la calotte glacière de l'Arctique se réduisait de 8% environ tous les dix ans. Ils ont également constaté qu'il y avait eu environ 20% de moins de formation de glace durant l'hiver au cours des quatre dernières années, comparativement à la période 1978-2000. Cette réduction de la superficie gelée de l'océan Arctique représente approximativement 1,3 million de km2, soit l'équivalent de plus de deux fois la superficie de la France.

La disparition grandissante des glaces arctiques correspond à une hausse des températures au cours des dernières décennies. La température moyenne à la surface de l'océan Arctique était, entre janvier et août, de 2 à 3 °C plus élevée qu'au cours des cinquante dernières années.

Avec AFP et AP
LEMONDE.FR | 29.09.05 | 10h43


Le Monde / International
Algérie: le "oui" au référendum remporte plus de 97% des voix

 L es électeurs algériens ont voté à 97,36% en faveur du "oui" au référendum du jeudi 29 septembre sur le projet de charte présidentielle pour "la paix et la réconciliation nationale", selon le ministre algérien de l'intérieur, Yazid Zerhouni. Le "non" a obtenu 2,64% de voix, a-t-il ajouté, lors d'une conférence de presse à Alger. Les Algériens ont participé massivement au référendum, selon M. Zerhouni, qui a annoncé un taux de participation de 79,76%.

Selon le ministre de l'intérieur, "les villes touchées par le terrorisme ont enregistré des participations record. Alger, qui habituellement vote faiblement, a enregistré une participation de 71,83%, qui constitue un record pour la capitale comparativement à toutes les autres consultations". Les plus faibles taux de participation ont été enregistrés à Tizi Ouzou (11,40%) et à Béjaïa (11,55%), les deux principales villes de Kabylie.

INCIDENTS EN KABYLIE

Le scrutin s'est déroulé dans de bonnes conditions, hormis dans 12 à 15 communes des départements de Tizi Ouzou et de Béjaïa, où "des gens ont tenté de perturber le vote", a déclaré M. Zerhouni. Les correspondants de presse avaient plus tôt fait état de ces incidents en Kabylie. Des jeunes ont saccagé les urnes des quatre centres de vote de la localité d'El Asnam, près de Bouira, et jeté les bulletins sur la voie publique.

Dans la région de Bejaïa, des urnes ont été saccagées et des bulletins de vote détruits à Amizour et à El Kseur, où des heurts ont opposé les forces de l'ordre à des manifestants qui lançaient des pierres contre le siège de la daïra (sous-préfecture).

Les deux principaux partis d'opposition, le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), fortement implantés en Kabylie, ont appelé au boycottage de la consultation. Les aârchs (tribus kabyles) ont, pour leur part, appelé à une grève générale, jeudi, pour protester contre le refus d'Abdelaziz Bouteflika de faire du tamazight (berbère) une langue officielle. Plusieurs quotidiens indépendants ont, de leur côté, déploré l'interdiction de tout débat libre sur le sujet, tant les médias publics font ouvertement campagne en faveur du "oui". Les associations représentant les familles des disparus craignent de voir leurs espoirs d'obtenir justice anéantis par le mot d'ordre de la réconciliation. Les organisations de défense des droits de l'homme dénoncent, pour leur part, un texte qui disculpe les forces de sécurité, pourtant soupçonnées d'avoir joué un rôle important dans certaines des 6 000 disparitions.

La charte est censée mettre fin à la crise et aux violences politiques qui ont fait, depuis 1992, plus de 150 000 morts et des milliers de disparus. Les 40 000 bureaux de vote, qui ont ouvert leurs portes à 8 heures, les ont fermées à 19 heures. Mais 19 des 48 walis (préfets) ont exercé leur droit de retarder cette fermeture d'une heure dans les grandes villes.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 29.09.05 | 17h59


Le Monde / Sciences
Gestion d'Internet: l'Europe s'oppose aux Etats-Unis à Genève

 L es Etats-Unis se sont retrouvés isolés, jeudi 29 septembre à Genève, lors de la réunion préparatoire au sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) de Tunis en novembre, lorsque les négociateurs européens ont décidé de prôner, avec les pays du Sud, la création d'un organisme international pour la gestion d'Internet, auquel Washington est fermement opposé, rapporte l'International Herald Tribune (IHT) dans son édition de vendredi 30 septembre.

Selon le quotidien en langue anglaise basé à Paris, ce différend risque de mettre en péril le sommet de Tunis, organisé par les Nations unies pour réduire la fracture numérique entre Nord et le Sud, si la réunion de Genève, qui se termine ce vendredi, n'aboutit pas au consensus nécessaire à la rédaction d'un projet de résolution, comme prévu.

L'IHT cite les propos courroucés du délégué américain du département d'Etat à cette réunion, David Gross: "Ce changement profond de la position européenne est très choquant (...) et semble correspondre à un revirement historique des Européens au sujet de la régulation d'Internet, passant d'une conception basée sur le leadership privé à une autre s'appuyant sur le contrôle gouvernemental ".

Jusqu'à présent, l'Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), organisme de droit privé mais à but non lucratif, créé en 1988 en Californie, gère l'attribution et la gestion des noms de domaine internationaux (.com,.net ou.org, etc.). La Chine, soutenue par plusieurs pays du Sud, réclame la création d'une nouvelle agence de l'ONU, indépendante des Etats-Unis, de nombreux pays considérant, à l'instar du Brésil, qu'une "seule nation décide pour toutes dans le monde digital actuel".

RÉACTION "DISPROPORTIONNÉE"

De leur côté, les Européens souhaitent qu'un organisme international définisse des principes et des critères dans l'attribution des noms de domaine, chapeautant ainsi l'Icann, qui en conserverait la gestion concrète. "Aucun organisme international, qu'il émane ou non de l'ONU, ne devrait contrôler Internet", réplique M. Gross, cité par l'IHT.

Porte-parole de la délégation européenne à Genève, David Hendon estime que la réaction américaine "disproportionnée" est "tactique" dans ces négociations. Mais, ajoute-t-il, "il n'est pas raisonnable de laisser aux Etats-Unis le pouvoir de décider ce qu'il advient d'Internet dans les autres pays".

Lemonde.fr
LEMONDE.FR | 30.09.05 | 12h06


Le Monde / Société
Le "bug informatique" qui vaut au "Petit Littré" une accusation de racisme

 "J uif: (...) Etre riche comme un juif, être fort riche. Fig. et famil. Celui qui prête à usure ou qui vend exorbitamment cher, et en général quiconque cherche à gagner de l'argent avec âpreté."; "Arabe: n. m. Qui est originaire d'Arabie. Fig. Usurier, homme avide. (...)" Ces définitions trouvées dans le Petit Littré 2005 ­ version abrégée à bas prix (15,50 €) du Nouveau Littré ­ ont fait bondir des acheteurs de cet ouvrage, en vente depuis le début août.

Il aura fallu que le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), alerté, exprime, vendredi 23 septembre, auprès de l'enseigne Maxi-Livres, son indignation sur "cette diffusion qui participe à la banalisation et à la légitimisation des stéréotypes racistes", pour que l'éditeur, Garnier, rappelle les 30 000 exemplaires de cette version du Petit Littré, puis décide immédiatement de les pilonner. "Vendredi matin, dès que nous avons été contactés par le MRAP, nous avons retiré l'ouvrage de la vente, raconte Xavier Chambon, PDG de Maxi-Livres. J'ai appelé les éditions Garnier qui nous ont donné la même consigne de retirer le dictionnaire de la vente."

"ERREURS D'INTERPRÉTATION"

Dans un communiqué, l'éditeur explique que: "à la suite d'un traitement informatique, les symboles distinguant le texte d'origine du Littré du XIXe siècle des ajouts de l'édition actuelle, avaient disparu". Il reconnaît que cette "coquille" pouvait "entraîner des erreurs d'interprétation sur des mots dont les usages du temps, sortis de leur dimension historique, peuvent être contestables". Il précise que l'édition 2006 du Nouveau Littré à paraître en novembre fait "clairement apparaître les articles et les sens issus du Littré du XIXe siècle et comporte un avant-propos signalant et expliquant ces évolutions".

"Ce dictionnaire était destiné à un public de collégiens et de lycéens, relève Latifa Abed, responsable de magasin Maxi-Livres et déléguée CGT. Quand on veut démocratiser le livre, la culture, il faut être rigoureux." Le PDG de l'enseigne refuse l'amalgame: "Le distributeur a son rôle à jouer, mais ce n'est pas nous qui éditons le livre."

15 000 exemplaires avaient été édités pour l'enseigne Maxi-Livres et les hypermarchés. 15 000 l'ont été pour les libraires. Des points de vente ont commencé à retirer l'ouvrage. La Fnac indique qu'elle a reçu de l'éditeur une demande de retrait, mercredi 28 septembre, et a procédé au retour dans la foulée.

Bénédicte Mathieu et Laetitia Van Eeckhout
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Société
Le chômage recule en France pour le 5e mois consécutif

 L e chômage a reculé de 0,9% en août pour le cinquième mois consécutif: le nombre de chômeurs a baissé de 21 500 personnes (- 0,9%) et totalisait 2 401 800 demandeurs d'emploi.

Selon les chiffres publiés par le ministère de l'emploi vendredi 30 septembre, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) est quant à lui resté stable à 9,9% de la population active. En juillet, ce taux était redescendu sous la barre des 10% pour la première fois depuis octobre 2003.

L'embellie du mois d'août profite à l'ensemble des catégories de chômeurs, hommes, femmes, plus de 50 ans ou jeunes. Ces derniers restent cependant ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés sur le marché du travail, avec un taux de chômage de 23,1 %.

Au total, il s'agit donc du cinquième mois consécutif de baisse du chômage après un recul de 1% en juillet, de 1,4% en juin et de 0,1% en mai et avril. Pour la plupart des observateurs, la baisse du chômage depuis juin est essentiellement due à la relance des contrats partiellement ou entièrement financés par l'Etat, lancés dans le cadre du plan de cohésion sociale mis en place en janvier 2005. Ils ont commencé à prendre effet cet été.

STAGNATION DE LA CRÉATION D'EMPLOI

L'opposition et les syndicats restent sceptiques face à la décrue statistique amorcée, qu'ils imputent à la hausse du nombre des apprentis, à une augmentation des radiations de l'ANPE et à une progression des emplois précaires.

Le nombre des radiations s'établit en août à 33 651, après 34 667 en juillet et 35 389 en août 2004. Les radiations représentent en août 10,4% des motifs de sortie de l'ANPE. Celle-ci considère comme "durable" une offre d'emploi de plus de six mois, "temporaire" une offre d'un à six mois et "occasionnelle" une offre de moins d'un mois.

En août, le nombre des offres d'emploi durable s'est élevé à 108 757, en progression de 21,9% sur un an (89 198 en août 2004). Le nombre des offres d'emploi temporaire a atteint 98 104, en hausse de 5,1%, celui des emplois occasionnels s'établissant à 51 874, en diminution de 0,6%.

Pour constituer une réelle inversion de tendance, le recul du chômage devra se faire sentir sur le marché du travail. Les créations d'emploi ont stagné en France au premier semestre 2005, selon l'Insee, la mollesse de l'activité économique au premier semestre (croissance du PIB de 0,1% au deuxième trimestre et de 0,4% au premier) dissuadant les chefs d'entreprise d'embaucher.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 30.09.05 | 08h13


Le Monde / France
Les "avantages" fiscaux seront limités en 2006

 L a réforme de l'impôt sur le revenu, élément central du projet de loi de finances pour 2006 ­ réduction du nombre de tranches, modification des taux d'imposition ­ n'affectera les Français qu'à partir de 2007.

Dans l'immédiat, pour les revenus 2005 qu'ils déclareront début 2006, ils devront composer avec une simple révision du barème prenant en compte l'inflation: l'imposition débutera ainsi à partir de 4 412 euros de revenu, contre 4 334 euros auparavant.

Dans l'attente du plafonnement des "avantages" fiscaux ­ 8 000 euros de réduction d'impôt par foyer ­ qui ne sera effectif qu'en 2007, les Français devront par ailleurs se satisfaire, en 2006, de mesures fiscales réduites à la portion congrue pour tenir le déficit des comptes publics à 2,9% du PIB.

Bien qu'il ne s'agisse pas d'une réduction fiscale, c'est le relèvement de la prime pour l'emploi qui constitue la principale mesure en faveur des ménages. Elle sera revalorisée de 50% sur deux ans et versée chaque mois à partir de janvier 2006.

Le taux du crédit d'impôt pour frais de garde des enfants de moins de six ans dans un établissement de garde ou par l'intermédiaire d'une assistance maternelle agréée sera relevé de 25% à 50%. Le plafond de dépenses reste fixé à 2 300 euros par an et par enfant.

Le gouvernement a instauré un crédit d'impôt de 1 500 euros en faveur des personnes qui déménagent à plus de 200 kilomètres de leur précédent domicile, pour retrouver un emploi.

FINANCEMENT DES ÉTUDES

Un allégement des revenus fonciers des propriétaires à la suite d'une mutation professionnelle a été institué avec une déduction de 10% des loyers perçus pendant les trois premières années.

Les donations entre générations en franchise d'impôts sont désormais autorisées tous les six ans, au lieu de dix ans actuellement. Le régime des réductions de droits applicables aux donations est par ailleurs réaménagé.

Les donations en nue-propriété bénéficieront d'une réduction de droits de mutation de 35% dès lors que le donateur est âgé de moins de 70 ans (au lieu de 65 ans actuellement) et de 10% s'il a moins de 80 ans. Pour les autres donations, la réduction est fixée à 50% si le donateur a moins de 70 ans et à 30% s'il a moins de 80 ans.

Il est instauré, sous certaines conditions, un abattement spécifique de 5 000 euros en faveur des transmissions à titre gratuit entre frères et soeurs et en faveur des neveux et nièces.

Les étudiants pourront bénéficier d'un crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt de prêts contractés (entre le 28 septembre 2005 et le 31 décembre 2008) pour financer leurs études supérieures.

Le gouvernement veut aussi inciter à l'achat de voitures "propres" avec un relèvement du crédit d'impôt à 2 000 euros ou à 3 000 euros si l'achat s'accompagne de la mise au rebut d'un véhicule ancien. Les crédits d'impôt pour l'achat d'équipements moins gourmands en énergie sont augmentés.

Joël Morio
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Europe
En Allemagne, la CDU et le SPD explorent dans un climat détendu la voie d'une "grande coalition"
BERLIN de notre correspondant

Le chancelier allemand sortant, Gerhard Schröder, et son challenger, Angela Merkel, revendiquent chacun la victoire.  | AP/MARKUS SCHREIBER MICHAEL PROBST
AP/MARKUS SCHREIBER MICHAEL PROBST
Le chancelier allemand sortant, Gerhard Schröder, et son challenger, Angela Merkel, revendiquent chacun la victoire.

 T outes les querelles sont loin d'être résolues, mais l'atmosphère est à la détente entre conservateurs et sociaux-démocrates allemands. "Fructueux" pour les uns, "utiles, constructifs et sérieux" pour les autres, les pourparlers exploratoires en vue de former une éventuelle "grande coalition", dont la deuxième séance a eu lieu mercredi 28 septembre à Berlin, laissent présager une issue relativement pondérée à la crise politique surgie dans le sillage des élections législatives tenues dix jours plus tôt. Que l'on en soit arrivé là aussi vite a même "surpris" Angela Merkel, la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU).

Enterrées les récriminations réciproques entre son parti et celui du chancelier sortant, le social-démocrate Gerhard Schröder ? Ce serait aller un peu vite en besogne. Les deux camps continuent à revendiquer le poste de chef du futur gouvernement. Pour Mme Merkel, cette fonction revient de droit à son parti, puisqu'il est arrivé en tête du scrutin avec 35,2% des voix. Mercredi, elle en a fait, devant la presse, une condition expresse à l'ouverture de négociations en bonne et due forme avec le Parti social-démocrate (SPD).

"Il est politiquement erroné de poser des ultimatums politiques personnels", a répondu M. Schröder, tout en évitant de se prononcer sur son propre sort dans le cas d'une telle coalition "noir-rouge". Un tel comportement peut être interprété de différentes manières. Est-ce là l'amorce d'une retraite du chancelier sortant sur le point le plus controversé de l'après-scrutin ? Jusqu'à ces derniers jours, il n'avait cessé de clamer son droit à rester aux commandes du pays, bien que le SPD ne soit arrivé qu'en deuxième position, avec 34,3% des suffrages.

Dans son propre parti, certaines voix se sont élevées pour appeler M. Schröder à faire un geste et à débloquer la situation. Il "en sortirait grandi" s'il acceptait le poste de chef de la diplomatie assorti du titre de vice-chancelier, a ainsi estimé l'ancien maire de Hambourg, Klaus von Dohnanyi. Certains journaux évoquent, eux, un possible retrait de M. Schröder du devant de la scène, après sept années à la tête d'une coalition avec les Verts. Le président du SPD, Franz Müntefering, pourrait alors endosser le costume de vice-chancelier d'une grande coalition. En contrepartie, Mme Merkel pourrait, elle aussi, prendre ses distances et laisser un des caciques de la CDU ou le président de son aile bavaroise, l'Union chrétienne-sociale (CSU), Edmund Stoiber, diriger le futur gouvernement.

Ainsi vont les spéculations. Si un tel scénario a été discuté, mercredi, entre dirigeants conservateurs et sociaux-démocrates, l'information a été gardée secrète. Officiellement, les deux heures et demie de discussions ont porté sur des points concrets, contrairement à la première séance de pourparlers, bouclée en une heure, le 22 septembre. En présence d'experts, Mme Merkel et M. Stoiber d'un côté, MM. Schröder et Müntefering de l'autre ont confronté leurs points de vue sur ce que pourrait être une politique gouvernementale commune en matière de budget public, de politique du travail et des impôts. Ces deux derniers thèmes avaient donné lieu à des joutes verbales musclées pendant la campagne électorale. L'heure est visiblement à la recherche de compromis.

Cela n'a pas empêché M. Schröder de mettre en garde contre une remise en question de "la cohésion sociale" , tandis que Mme Merkel a plaidé en faveur d'une action gouvernementale de grande ampleur, qui ne se réduirait pas au "plus petit dénominateur commun". Toujours soutenue par ses troupes en dépit du très faible résultat de la CDU, Mme Merkel a estimé que les négociations prendraient du temps. Un accord pourrait n'intervenir qu'en décembre, dit-on à la CDU.

Une troisième séance d'entretiens exploratoires doit avoir lieu en principe le 5 octobre. Entre-temps, quelque 219 000 électeurs de Dresde, dans l'est du pays, auront élu leurs députés, dimanche. Le scrutin avait dû être reporté de quinze jours dans cette circonscription, à cause du décès d'une candidate. Sauf imprévu, le résultat de Dresde ne devrait pas permettre au SPD de combler son retard de trois sièges sur la CDU/CSU.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Régions
Loiret: de la dioxine dans des oeufs produits près d'un incinérateur
ORLÉANS de notre correspondant régional

 L e comité départemental d'hygiène du Loiret a autorisé, jeudi 22 septembre, une remise en marche provisoire de deux mois de l'incinérateur d'Arrabloy, près de Gien.

Cette installation du groupe Tiru avait été fermée à la suite des rejets anormalement élevés de dioxines, de 2 000 à 6 000 fois supérieurs à la norme européenne, qui s'étaient échappés de cette installation en 2004 (Le Monde du 6 juillet). Les traces de dioxine dans le lait des élevages environnants restent au-dessous des seuils admis.

En revanche, à la suite d'analyses ordonnées par la préfecture cet été, des taux de dioxine supérieurs aux normes préconisées pour leur commercialisation (3 picogrammes par gramme de matière grasse) ont été découverts dans les oeufs de trois poulaillers de particuliers, proches de l'incinérateur.

Il est "impossible" toutefois d'établir une relation entre ces concentrations anormales et l'installation, a indiqué un expert de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) aux membres de la Commission locale d'information et de surveillance (CLIS).

La préfecture du Loiret a donc levé la recommandation qu'elle avait faite aux riverains de ne pas consommer les produits (oeufs, volailles) de leur élevage individuel, sauf pour les propriétaires des trois poulaillers incriminés.

Certaines "pratiques locales" (des résidus de barbecue, des cendres de cheminées déversées sur le sol, des brûlages dans les jardins) pourraient aussi être responsables de la contamination des sols.

Le Centre national d'information indépendante sur les déchets (Cniid) révèle qu'une contamination identique, à la dioxine d'oeufs, aurait été mise au jour dans des poulaillers proches d'un incinérateur à Bourgoin-Jallieu (Isère) suite à des analyses pratiquées en juin 2005. La Ddass aurait recommandé aux riverains de ne plus consommer les produits de leur élevage.

Régis Guyotat
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Sciences
La numérisation des livres devient automatique

 L' engin ressemble à un instrument moderne de torture. Ses victimes: les livres. Maintenus solidement immobiles par plusieurs attaches qui s'adaptent à toutes les tailles. Une lumière éblouissante est projetée sur les pages qu'une "tête à vide" tourne une à une après les avoir décollées grâce à un jet d'air sous pression. Le supplice s'arrête là.

Google Print en toile de fond

Google compte-t-il parmi les client de Kirtas ? Le PDG de l'entreprise de numérisation, Lotfi Belkhir, s'abstient de répondre. Difficile toutefois d'imaginer que la société qui a lancé, le 14 décembre 2004, l'ambitieux projet Google Print ne s'intéresse pas à cette machine. Avec elle, Google pourrait en effet accélérer la réalisation de ce qu'elle considère comme sa "mission": rendre accessible "toute la culture du monde" . Une formule qui a agacé Caroline Wiegandt, directrice générale adjointe de la Bibliothèque nationale de France (BNF), lors de la conférence Ichim du 21 septembre.

L'ouvrage sort indemne de ce qui n'est qu'une séance de numérisation. Mieux, en quelques minutes, son contenu est enregistré, préservé pour l'éternité de l'usure du temps et bientôt à portée de clic des internautes de la planète tout entière. Transformées en pixels, ces pages vont être ensuite traduites en caractères. Si le procédé n'en est qu'à ses balbutiements, il permet déjà de numériser un ouvrage de 300 pages en moins de huit minutes contre trois heures lorsqu'on tourne les pages manuellement au rythme de 100 pages à l'heure.

Cette machine à tourner et à numériser les pages, présentée comme la plus rapide du monde, a été conçue par une toute jeune entreprise, Kirtas, fondée en juin 2001 par Lotfi Belkhir, alors directeur au Xerox Venture Labs du célèbre Palo Alto Research Center (PARC) de Xerox. La firme, riche grâce à ses photocopieurs, est célèbre pour ses multiples inventions (la souris d'ordinateur, l'interface à fenêtres et icônes, le réseau Ethernet...). Elle l'est aussi malheureusement pour son incapacité à breveter et industrialiser nombre des innovations qu'elle a produites.

La machine à numériser les livres en est une. De 1997 à 2001, Xerox a développé un "tourne-page" automatique en exploitant sa connaissance pointue du papier et de la manipulation mécanisée. Lotfi Belkhir dirigeait ce projet. Mais, confrontée à des difficultés financières, Xerox interrompt, en mai 2001, ses recherches dans ce domaine pour se recentrer sur son "coeur de métier". Lotfi Belkhir ne renonce pas et décide d'exploiter la licence exclusive cédée par Xerox.

"DES LIVRES AUX OCTETS"

"La tâche est immense. Il faut numériser 560 années de savoir...", rappelle le fondateur de Kirtas. Et de s'y atteler avec un slogan fort: "Déplacer le savoir des livres aux octets" (Moving knowledge from books to bytes, en anglais) car, pour la génération actuelle, "ce qui n'est pas numérisé n'existe pas".

A 40 ans, cet Algérien émigré aux Etats-Unis en 1987 pour y obtenir un doctorat de physique se lance dans l'aventure au pire moment. "La bulle Internet venait d'exploser. Les capitaux étaient rares." Avec l'appui de Thomas Taylor, ingénieur en chef de Kirtas après trente et un ans passés dans le traitement du papier chez Xerox, l'entreprise industrialise sa première machine, l'APT BookScan 1200. Un prix d'innovation la récompense en 2003 et les premiers prototypes sont vendus en 2004. Ils fonctionnent à 1 200 pages par heure.

Aujourd'hui, une vingtaine d'exemplaires ont été livrés à des clients comme la Northwestern University de Chicago, Logos Research Systems, spécialisé dans la Bible, Newsbank, qui numérise les documents gouvernementaux, ou la bibliothèque publique de Rochester (Etat de New York), ville où est installée Kirtas. Au 1er janvier 2006, un nouveau modèle, l'ATP BookScan 2400, doublera la cadence de numérisation. Un gain banal pour Lotfi Belkhir, spécialiste de l'"innovation radicale". "C'est notre culture d'entreprise, précise-t-il. Nous cherchons à proposer des avancées majeures."

De fait, l'ATP BookScan résout l'étonnante quantité de problèmes que pose la numérisation automatique d'un livre. Outre l'adaptation aux différentes tailles, au maintien en position face à l'appareil de prise de vue, deux opérations se révèlent délicates: décoller les pages et les tourner. Pour effectuer la première, Kirtas utilise un jet d'air sous pression sur les angles libres des pages.

La seconde est plus critique. Il faut saisir la feuille et la tourner sans jamais qu'elle n'en entraîne une autre. "Il faut surtout s'adapter à tous les types de papier et à tous les grammages", souligne Lotfi Belkhir. Grâce à l'expérience de Thomas Taylor, Kirtas a mis au point une tête sous vide au profil légèrement ondulé qui la rend efficace sur tous les types de papier.

Décollée par le jet d'air, la feuille est aspirée par la tête sous vide et l'ondulation qui lui est appliquée achève de la libérer de sa suivante. Le tout en douceur pour éviter toute dégradation d'ouvrages allant du tout-venant à l'incunable. "Nous pouvons traiter tous les livres dont il est possible de tourner les pages à la main", assure Lotfi Belkhir.

Sauf ceux dont les pages sont collées ou ceux dont la fragilité extrême requiert l'usage d'un support pour les manipuler. "Sur 3 millions de pages numérisées, seulement 3 ont été abîmées", indique le PDG de Kirtas, qui cite le travail réalisé avec succès par l'université de Toronto sur un livre très ancien: La Cité de Dieu de saint Augustin (1475).

Une fois transformée en image grâce à l'appareil photo numérique de 16,6 millions de pixels, la numérisation est loin d'être terminée. Il faut en effet transformer l'image couleur en noir et blanc et aborder l'étape délicate de la reconnaissance de caractères (OCR).

Pour cela, Kirtas a intégré à son logiciel BookScan Editor le système "le plus performant du marché": celui de la compagnie russe Abbyy capable de traiter 177 langues différentes. La tâche, dont l'efficacité varie de 90% à 100% en fonction de la qualité graphique du texte, prend entre 1 et 4 secondes par page.

Mais l'opération peut être répartie sur plusieurs ordinateurs et être réalisée de nuit. Kirtas la pratique puisqu'elle s'est lancée dans l'offre de service de numérisation aux clients qui ne souhaitent pas acquérir une machine de 120 000 euros. Une manière pour elle de "construire un pont entre le vieux monde du papier et le nouveau monde du numérique".

Michel Alberganti
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Sciences
Les virus de la grippe résistent davantage aux médicaments

 C ertains de la grippe résistent aux médicaments utilisés contre eux. Deux publications scientifiques ­ The Lancet et le New England Journal of Medicine ­ viennent de faire la synthèse des connaissances dans ce domaine alors que de nombreux pays industrialisés constituent des stocks massifs de l'un de ces médicaments, le Tamiflu, produit par la société Roche, pour lutter contre une possible pandémie grippale. Ces articles soulignent la prudence avec laquelle ces substances devraient être utilisées dans le cadre d'actions collectives à visée thérapeutique ou, a fortiori, prophylactique.

La première de ces publications, mise le 22 septembre sur le site de la revue médicale britannique The Lancet, est signée d'un groupe de spécialistes américains des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) d'Atlanta dirigé par Rick A. Bright. Elle dit leur inquiétude quant à la capacité des virus à se défendre. "Nous avons été stupéfaits de trouver une telle augmentation de la résistance aux antiviraux parmi les souches circulantes de virus de la grippe ces dernières années", remarque Rick A. Bright.

On sait que les craintes concernant une nouvelle pandémie grippale tiennent à la possible émergence d'un nouveau virus hautement pathogène. Celui-ci serait alors le fruit d'une recombinaison génétique entre le virus responsable de l'actuelle épizootie aviaire (un virus A de type H5N1) et un virus grippal humain connu de longue date des spécialistes (un virus A de type H3N2).

7 000 TESTS

En toute hypothèse, la production industrielle d'un vaccin protecteur contre l'infection par ce nouveau virus demanderait plusieurs mois. C'est dire l'importance qu'il convient d'accorder à cette autre ligne de défense que sont les quelques médicaments antiviraux actifs contre les virus de la grippe. Ces médicaments ont pour l'essentiel été utilisés chez l'homme contre des virus A de types H3N2, H1N1 ou H1N2.

Les chercheurs américains ont donc eu l'idée d'étudier l'évolution de la résistance de 7 000 isolats de virus grippaux conservés dans les centres de référence de l'OMS et au CDC d'Atlanta depuis 1994. Ils ont testé la résistance de ces agents pathogènes aux deux médicaments qui ont été largement utilisés contre eux: l'amantadine et la rimantadine, deux dérivés de l'adamantane qui semblent freiner la réplication virale au sein des cellules infectées.

Dans la publication du Lancet, ces biologistes observent que le taux moyen de résistance des virus H3N2 est passé de 0,4% en 1994-1995 à 12,3% en 2003-2004. Depuis 2003, ce taux a même atteint 61% chez les virus isolés dans plusieurs pays d'Asie ! Ce phénomène semble étroitement lié à la fréquence très élevée de mutations virales observées depuis quelques années dans ces pays.

Ces conclusions devraient conduire à modifier l'usage qui est fait de la rimantadine et de l'amantadine (commercialisée en France sous le nom de Mantadix) dans les pays où les taux de résistance sont les plus élevés. L'actuel virus H5N1 étant d'autre part naturellement résistant à ces molécules, l'OMS a conseillé de faire des stocks nationaux d'autres médicaments. En particulier d'oseltamivir, commercialisé sous le nom de Tamiflu, et pour lequel on estimait jusqu'à présent que les phénomènes de résistance étaient beaucoup plus rares.

L'oseltamivir (ainsi que le zanamivir ou Relenza de GlaxoSmithKline) fait partie de la famille des inhibiteurs de la neuraminidase. Des molécules qui bloquent un récepteur permettant au virus de la grippe d'entrer dans les cellules des tissus de l'appareil respiratoire. Ces deux médicaments, commercialisés en France depuis quatre ans, constituent a priori une arme de choix dans la lutte contre un virus mutant issu de H5N1.

Dans la publication qu'elle signe dans le dernier numéro du New England Journal of Medicine daté du 29 septembre, le docteur Anne Moscona (College of Cornell University, New York) recense toutefois les premiers cas de résistance à l'oseltamivir chez des personnes infectées en Asie par le H5N1 et traitées avec cette molécule. Cette observation inquiète les virologistes et les responsables de santé publique. Tous redoutent qu'une consommation massive de ce médicament ne conduise à la perte rapide de son efficacité.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
2006, année blanche

 L e gouvernement est en train de faire un pari périlleux, celui de sauter à pieds joints par-dessus les dix-huit mois qui nous séparent encore de l'élection présidentielle de 2007. La baisse des impôts, claironnée par Dominique de Villepin, ne se fera sentir qu'en 2007, avec une diminution programmée de 3,5 milliards d'euros pour le seul impôt sur le revenu. A travers le projet de budget 2006, présenté mercredi par Thierry Breton, l'année prochaine prend donc des allures d'année blanche.

Comme l'avait diagnostiqué le ministre de l'économie, "la France vit au-dessus de ses moyens" puisque, pour la première fois, l'endettement cumulé de l'Etat, de la Sécurité sociale et des collectivités locales va atteindre le seuil record de 66% du produit intérieur brut (PIB). A l'aide de moult artifices et astuces de présentation, le projet de loi de finances 2006 est teint en rose. Le déficit public passerait juste sous la barre des 3% (2,9%) et les prélèvements obligatoires feraient du surplace. Mais ces perspectives paraissent tout aussi aléatoires que les projections de croissance sur lesquelles le budget est fondé. M. Breton annonce un "budget de rebond" avec une croissance de 2% à 2,5%, basée sur une accélération de la consommation, alors que les experts attendent au mieux entre 1,5% et 1,8%.

Cet optimisme est doublé d'une bonne dose de volontarisme sur la Sécurité sociale. Contrairement à l'engagement pris par Jacques Chirac, 2007 ne sera pas l'année du retour à l'équilibre pour l'assurance- maladie. La "réforme" Douste-Blazy semble avoir échoué avant même d'avoir produit ses effets. L'objectif est de ramener le déficit du régime général ­ qui, aux yeux de la commission des comptes, "dépasse en gravité et bientôt en durée - la situation - que la France avait connue au milieu des années 1990" ­ de 11,5 milliards à 8,9 milliards d'euros en 2006. Pour la seule assurance-maladie, l'effort à faire sera de 5 milliards !

La difficulté pour M. de Villepin, en jouant le moyen terme, est qu'il y a des foyers d'incendie qu'il lui faut éteindre dès aujourd'hui. Or la méthode du premier ministre, qui avait jusqu'à présent démontré une certaine efficacité, connaît quelques ratés. On l'a vu dans l'affaire Hewlett-Packard.

La démonstration est encore plus éloquente avec la gestion calamiteuse du dossier de la SNCM. Après avoir fait donner l'assaut par le GIGN au Pascal-Paoli, piraté par le Syndicat des travailleurs corses (STC), M. de Villepin a recherché l'apaisement en recevant Bernard Thibault. En affirmant à sa sortie qu'"il y a encore des possibilités de discuter", le secrétaire général de la CGT a laissé entendre que le montage financier de la privatisation pourrait revenir à... la case départ.

S'il ne veut pas laisser s'installer cette impression de flottement, le premier ministre qui devrait être confronté le 4 octobre à une importante mobilisation syndicale, va devoir recadrer l'action gouvernementale et retrouver l'efficacité première de sa méthode.

Article paru dans l'édition du 30.09.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

jacklittle ♦ 29.09.05 | 20h48 ♦ Cher SUE,nos analyses respectives se rapprochent très nettement,je voulais surtout faire ressortir que malheureusement notre Pays est sur une pente déclinante et,qu'il faudrait très rapidement tout faire pour inverser cette tendance.Quant à l'imputation,dixit FDMLDP,il paraît certain qu'elle est très largement partagée.I l serait sage de faire table rase de ce passé pour ,très vite,tout faire pour faire de la politique autrement,que seul l'intérêt général soit traité en toute première priorité.
Sue ♦ 29.09.05 | 18h53 ♦ Cher Jack Little, je comprends votre exaspération devant les maladies de langueur bien françaises mais pensez aussi que l'outil d'évaluation ne donne qu'une approximation.Disons que la France pourrait mieux faire mais elle se complait dans ses rigidités centralisatrices , elle n'est capable de régionaliser que chez nos voisins (elle a contribué à créer la RFA). Pendant combien de décennies va -t-on évoquer la régionalisation en promettant de la faire, mais sans la faire ? O tempora ...
decerebrer ♦ 29.09.05 | 18h07 ♦ Exemples de recettes connues de tous: 1/ travailler plus 2/ ne pas penser que la santé est un droit gratuit OK OK je ne serai pas élu !
FDMLDP ♦ 29.09.05 | 18h00 ♦ Du constat de gravité des difficultés à leur imputation à tel ou tel, il y a tout simplement la justice: Aucune solution n'set bonne face aux problèmes rencontrés par D.de V. Qui peut prouver que cet enlisement progressif n'est pas AUSSI la conséquence des années pouvoir de gauche, de l'inféodation électorale du PS à son calamiteux allié, et par là même de sa soumission, des années durant, au diktat du syndicat communiste, la CGT? D'accord pour la fuite en avant, mais de quand la dater?
jacklittle ♦ 29.09.05 | 16h36 ♦ Pardon d'abuser:le classement du WORLD ECONOMIC FORUM vient d'être publié:la FRANCE est classée 30ème contre à la 27ème en 2004.Le déclin se poursuit,dans ce classment de la compétitivité des Nations: FINLANDE 1ère,USA 2ème,SUEDE 3ème,JAPON 12ème,GB 13ème,ALLEMAGNE 15ème. Malheureusement cela suffit. Excusez-moi SUE .
jacklittle ♦ 29.09.05 | 16h06 ♦ N'en déplaise à SUE ,nous sommes très loin d'être une société sans difficultés,ce serait plutôt le contraire,sans être pessimiste,ni même ne vouloir voir que d'un côté de la lorgnette,nous constatons avec quasiment l'ensemble des experts conjoncturistes que notre pays depuis plus de 10 ans est en net recul quant à son rang sur l'échiquier des grandes nations développées.Donc,il est dommageable de perdre 18 mois pour mettre en oeuvre des réformes de fond dans bien des domaines.De l'action,POINT.
Caroline B. ♦ 29.09.05 | 15h46 ♦ Il semble en effet que les politiques de gauche ou de droite réalisent à chaque préparation de budget un numéro d'illusionniste. Un seul mot d'ordre: la fuite en avant. Au prochain de règler la dette et tant pis si les caisses se creusent...Comment ensuite blâmer les gens qui se surendettent, ils ont un si bel exemple à la tête du pays...
Sue ♦ 29.09.05 | 14h39 ♦ A vous lire on croirait que quelles que soient les modalités de négociation, le gouvernement ne peut qu'avoir tort.Votre religion semble faite par avance, c'est le fameux refrain: tout va mal en France.Seul le déclin semble bien se porter dans notre pays.Déjà le romantisme se complaisait dans l'évocation d'un âge d'or au temps de la construction des cathédrales.Votre manière d'aborder le réel en faisant comme si une société sans difficultés pouvait exister laisse pantois.


Le Monde / Opinions
Point de vue
La fin annoncée de l'impôt républicain, par Liêm Hoang-Ngoc

 L our répondre au malaise exprimé le 29 mai dans les urnes, le gouvernement entendait renouer avec le "patriotisme économique" afin de soutenir une "croissance sociale". Il risque pourtant de ternir l'un des emblèmes du lien social républicain par une réforme de l'impôt sur le revenu (IR) qui anoblit les privilèges des nouveaux rentiers. Emblème de la rupture avec le régime censitaire, l'IR est un attribut essentiel de la citoyenneté par lequel le financement de la politique publique est assuré par chacun, en fonction de sa faculté contributive.

C'est ce principe de progressivité de l'impôt que les théories libérales "de l'offre" préconisent d'abattre. Elles défendent le principe d'une flat tax , c'est-à-dire un taux d'imposition unique, assis sur une assiette large, qui s'applique à tous les revenus imposables. Riches et pauvres paieraient le même impôt proportionnel, au nom de la récompense de "l'effort" (des rentiers !) et parce que, pour les néoconservateurs, "trop d'impôt tue l'impôt."

Outre-Rhin, Angela Merkel proposait ainsi au cours de sa campagne électorale un taux unique à 25%, assorti d'une réduction drastique des dépenses publiques.

Le système français est déjà faiblement redistributif, en raison du poids des prélèvements proportionnels (tels que la TVA) et du faible rendement de l'IR, le seul qui soit progressif mais qui ne rapporte que 17% des recettes fiscales. La réforme proposée par Dominique de Villepin ne propose pas une flat tax, mais réduit encore la progressivité de l'impôt sur le revenu, déjà entamée par la réforme Balladur (faisant passer le nombre de tranches de 11 à 6), puis par la baisse des taux marginaux accomplie par les gouvernements Jospin et Raffarin.

La nouvelle réforme fait passer le nombre de tranches de 6 à 4, tout en réduisant encore substantiellement les taux marginaux moyens et supérieurs ­ le taux de la tranche la plus élevée est abaissé à 40%, comme en Grande-Bretagne. La réforme bénéficie un peu plus aux revenus moyens, mais surtout aux revenus supérieurs qui paient l'impôt sur la fortune. Le principe du plafonnement de la fiscalité directe à 60% du revenu rend ce dernier totalement inopérant.

Cette baisse de l'impôt de "ceux d'en haut" doit être compensée par un relèvement de la prime pour l'emploi (PPE) pour "ceux d'en bas" . La PPE fut d'ailleurs créée par le gouvernement de Lionel Jospin afin de distribuer un crédit d'impôt aux salariés non imposables. Cela en contrepartie des baisses d'impôts octroyées aux classes moyennes et supérieures.

La terminologie même de la PPE est résolument libérale. Celle-ci entend inciter les chômeurs à accepter les emplois non qualifiés, tout en dédouanant les entreprises d'augmenter les salaires. Elle est l'embryon d'un "impôt négatif" octroyé dans le cadre des politiques de discrimination positive à destination des travailleurs pauvres, sommés d'accepter les conditions d'un marché du travail dérégulé. En revanche, la PPE n'apporte aucun supplément de revenu aux chômeurs, culpabilisés de refuser des emplois que l'économie, mal pilotée, est incapable de créer. Notons qu'il est aujourd'hui piquant de voir tous ses promoteurs, au PS, en réclamer la suppression et prôner la progressivité de l'impôt !

Des socialistes libéraux accomplis comme Tony Blair ne désavoueraient pas, pour leur part, les réformes en cours, au nom de l'efficacité économique. Dans le manifeste qu'il cosignait, en 1999, avec Gerhard Schröder, il proclamait ainsi que "les sociaux-démocrates admettent aujourd'hui que, si les circonstances le permettent, les réformes fiscales et la baisse de l'impôt peuvent jouer un rôle primordial". La réforme fiscale est aussi justifiée par le gouvernement Villepin au nom de la nécessité de relancer l'économie. Celle-ci souffre d'une panne de croissance due à la baisse du pouvoir d'achat, qui pousse les ménages à se contenter d'importations bon marché, et à la crise de l'investissement. Les erreurs de la Banque centrale européenne (BCE), puis le troisième choc pétrolier, pèsent de surcroît sur la compétitivité et la demande européennes.

Face à ce type de marasme, la baisse de la progressivité de l'impôt sur le revenu est malheureusement une erreur économique classique. En premier lieu, elle ne relancera pas le pouvoir d'achat populaire, principal moteur de la consommation, car elle distribue 3, 5 milliards de deniers publics en direction des classes aisées, celles dont la propension à épargner est la plus forte. L'épargne, dont le taux est historiquement élevé, pourrait certes alimenter l'investissement par le canal de la Bourse.

Malheureusement, la montée des profits, des dividendes et de l'épargne a coïncidé avec la poursuite de la tendance baissière de l'investissement, amorcée lors de la dernière décennie. Ce n'est pas parce que les entreprises peuvent s'autofinancer qu'elles investissent, surtout si leurs actionnaires écartent de nombreux projets stratégiques ne rapportant pas la rentabilité requise sur le très court terme.

Le théorème d'Helmut Schmidt, "les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain" doit par conséquent être inversé: "Les profits d'hier sont l'épargne d'aujourd'hui et le chômage de demain". La baisse de l'impôt sur les sociétés, recommandée en complément par les "experts" du Conseil d'analyse économique, serait alors tout aussi inutile.

Dans ce contexte, la montée de l'endettement de l'Etat n'est en aucun cas due à un excès de dépenses publiques ! Elle résulte de la panne de croissance qui réduit mécaniquement des rentrées fiscales, de surcroît entamées par les baisses de prélèvements dont le coût a été chiffré à 22 milliards d'euros sur la période 2003-2005 !

La droite gaulliste a depuis longtemps rompu avec le gaullisme social forgé au sein du Conseil national de la Résistance. Son faux patriotisme économique est doublement dangereux. Il nourrira la décroissance antisociale et ouvrira la voie aux pires populismes lorsqu'il sera avéré au grand jour que le néogaullisme affiché par le premier ministre n'est que le cache-sexe politiquement correct du néoconservatisme anglo-saxon brandi par son concurrent du même camp.


Liêm Hoang-Ngoc est maître de conférences à l'université Paris-I.

par Liêm Hoang-Ngoc
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Cyrille Z. ♦ 29.09.05 | 20h17 ♦ "Liberté, égalité, fraternité". Pour belle qu'elle soit, cette devise... n'est qu'une devise justement. Pas une "vérité simple". Demandez donc aux milliards d'huamins non français (allez, je vais aller plus loin: non occidentaux) ce qu'ils en pensent, vous serez surpris. Et sûrement encore plus heureux que cette devise soit la notre, même si elle est difficile à appliquer. Mais n'en faites pas une vérité, même simple, surtout au sujet d'une thèse économique !!
Massoud M. ♦ 29.09.05 | 19h15 ♦ Ce point de vue me conforte dans l'idée que l'économie se construit grâce à une agrégation de forces diverses. On a fini par faire croîre que l'Etat est un énémi, que commun à tous est une hérésie. On a même fait admettre que le pauvre est mieux protégé lorsque le riche paie moins d'impôt. Bref, les libéraux de gauche et de droite vendent l'individualisme vulgaire en prétendant que chacun y trouvera son compe. M. Liêm Hoang-Ngoc rappelle une vérité simple: Liberté<Egalité< Fraternité. Heureux!
JEAN FRANCOIS M. ♦ 29.09.05 | 18h45 ♦ Effectivement, pour un non-spécialiste, ce texte semble décrire une tendance lourde, observable depuis plusieurs années.La mondialisation libérale triomphante impose progressivement non seulement ses pratiques économiques, mais aussi ses valeurs qui se substituent en douceur à celles, plus égalitaires et plus solidaires, des démocraties traditionnelles.Toutes les réformes, notamment fiscales pronées par le pouvoir vont dans ce sens, même quand elles se camouflent sous une présentation flatteuse!
LibertéEquitéSolidarité ♦ 29.09.05 | 14h32 ♦ Du keynésianisme vulgaire et d'une autre époque. A aucun moment n'est mentionné le fait que la France est une économie totalement ouverte et un acteur parmi d'autres du processus de globalisation. La contrainte extérieure limite notre liberté de choix budgétaires. Dire qu'une hausse du pouvoir d'achat éloignerait les consommateurs des produits importés à bas prix vers les produits "made in France" est une assertion qui demande à être justifiée ! Maginot seul pourra sauver l'impôt républicain !


Le Monde / Opinions
Point de vue
Quand la loi devient l'instrument d'une émotion, par Bertrand Mathieu

 À  l'issue d'une rencontre avec trois victimes d'agresseurs sexuels récidivistes, le ministre de la justice, Pascal Clément, a annoncé qu'il voulait introduire dans une proposition de loi "antirécidive", dont il a été lui-même coauteur en tant que député, la rétroactivité du port du bracelet électronique pour les délinquants sexuels, et ce malgré un "risque d'inconstitutionnalité" . Plus que stupéfiants, ces propos sont d'une gravité qu'il convient de souligner.

Il ne s'agit pas ici de discuter de l'opportunité des moyens utilisés pour lutter contre les récidivistes en matière de crimes sexuels, ni de se prononcer sur le principe même du bracelet électronique, mais de s'attacher à la démarche qui peut conduire un ministre à demander aux parlementaires d'adopter un texte inconstitutionnel. Le malaise est encore plus tangible lorsque ce même ministre qui, du fait de ses fonctions joue un rôle spécifique dans le respect des lois de la République, menace par avance les parlementaires qui éprouveraient la tentation de saisir le Conseil constitutionnel de l'opprobre de l'opinion.

Le port du bracelet électronique, imposé par une juridiction de jugement, constitue par sa nature même une sanction, une punition. Or selon les termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, "nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée" . Le principe de non-rétroactivité en matière pénale est un des principes les plus fondamentaux et les plus constants de notre ordre juridique. Il est la marque de la lutte contre l'arbitraire. C'est ici que se place le "risque d'inconstitutionnalité" qu'évoque prudemment le garde des sceaux.

Son raisonnement est le suivant: "Le texte que je propose d'adopter est susceptible de violer les règles les plus fondamentales de notre ordre juridique, je vous demande cependant de les voter et de faire en sorte que cette violation ne puisse être sanctionnée par le juge constitutionnel."

Comment un membre du gouvernement, par ailleurs juriste et ancien président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, respecté dans ces deux fonctions, est-il amené à déraper ainsi ? L'un des éléments à prendre en considération tient sans doute aux dérives qui affectent le droit et plus spécifiquement la loi. Cette dernière n'a plus essentiellement pour objet de poser des règles générales, mais de répondre aux attentes immédiates de l'opinion. La loi devient l'instrument d'une réaction émotionnelle ou compassionnelle à un événement qui frappe l'opinion. Faute de pouvoir s'attaquer aux causes du mal ou de maîtriser les dérives, les politiques procèdent par loi d'affichage, par lois-slogans. Souvent inefficaces, de telles lois tombent rapidement en désuétude, au risque de la dévalorisation de la notion même de loi. Lorsqu'elle met en cause des principes fondamentaux, cette réponse est non seulement inadaptée, mais inacceptable. Il ne s'agit pas tant de dénoncer une logique sécuritaire qu'une logique démagogique et populiste qui ne peut que dévaluer la notion même d'Etat de droit.

Cette attitude, qui vise à contourner le contrôle de constitutionnalité, démontre également, s'il en est encore besoin, la nécessité de renforcer les instruments institutionnels permettant au Conseil constitutionnel de veiller à ce que le législateur respecte l'équilibre entre protection des droits et libertés individuelles et la garantie de l'intérêt général tel qu'il résulte de la Constitution.

Personne ne peut nier la nécessité de lutter contre la récidive et de protéger les victimes potentielles. Personne ne doit sous-estimer le danger considérable que représenterait la banalisation d'un viol conscient et assumé des principes et des mécanismes qui garantissent les droits et les libertés des citoyens.


Bertrand Mathieu, professeur à l'université Paris-I, est directeur du centre de recherches en droit constitutionnel.

par Bertrand Mathieu
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Giuseppe ♦ 29.09.05 | 21h43 ♦ Quant un étudiant corrige un professeur... C'est l'article 8 de la DDHC qui consacre le principe de non rétroactivité des lois répressives et non le 9, comme il est dit dans l'article. Le garde des sceaux ferait mieux d'aller garder les moutons et de laisser les sceaux à quelqu'un d'autres, à moins que Chirac, - garant du respect de la Constitution (article 5 de la Constitution française - ne soit derrière cette violation manifeste de la loi fondamentale, un comble...
François B. ♦ 29.09.05 | 18h51 ♦ Sauf à faire dire au droit international n'importe quoi (et surtout ce que l'on veut), la définition du crime contre l'humanité ne correspond pas à celle de Cl. Courouve, ni Raphaël. Cette assimilation est simpliste et inepte. Il n'est pas question de nier un traumatisme, mais de respecter le droit. La déclaration de Pascal Clément est lamentable, votre analogie également.
Naïm Q. ♦ 29.09.05 | 18h06 ♦ Le viol est un crime grave mais de là à l'assimiler au terrorisme comme le fait Raphaël il y a un énorme pas à franchir! De plus, quelle que soit la gravité du crime, rien ne peut justifier la rétroactivité des lois, dans la mesure où elle pourrait donner lieu à de graves atteintes à la liberté. Et comment un ministre (de la Justice qui plus est!) peut-il appeler les citoyens à respecter la loi quand lui-même effreint la Constitution et les Droits de l'Homme en toute connaissance de cause??
B. B. ♦ 29.09.05 | 17h19 ♦ On arrête de dire n'importe quoi ! j'ai moi failli être tué, et je vous assure que sans nier la souffr. des violé(e)s c'était, c'est aussi traumatisant. Mais faire de tout un crime contre l'humanité, c'est tuer cette notion. Violer est un crime, monstrueux. Il ne l'est contre l'humanité que quand il s'applique à un groupe ethnique, par exemple, en masse. Alors que la loi prévoie le bracelet, OK. Mais pour les "nouveaux" criminels, à l'issue d'une nouvelle loi, pas rétroactivement.
Cl. Courouve ♦ 29.09.05 | 17h18 ♦ A Guil: je ne militais pas, j'envisageais la possibilité de.
Raphaël ♦ 29.09.05 | 16h35 ♦ c'est une très bonne idée d'assimiler le viol à un crime contre l'humanité et d'ainsi pouvoir appliquer la rétro-activité du port du bracelet. La menace de viol cause une angoisse structurelle chez les femmes, qui ont toutes, un jour ou l'autre, et probablement plusieurs fois dans leur vie, été dans une situation de danger de viol. Cette menace injuste, anonyme et aléatoire ressemble à la menace terroriste.
Guil ♦ 29.09.05 | 16h32 ♦ Par rapport au commentaire précédent: si on considèrait le viol comme un crime contre l'humanité parcequ'il se commet sur une victime humaine, alors il en irait de même pour tout crime contre un humain (meurtre, agression physique, etc...). Ca n'aurait plus aucun sens. Les personnes qui militent pour étendre aux crimes sexuels la définition du crime contre l'humanité font exactement ce qui est dénoncé dans cet article: instrumentalisation de l'émotion.
Cl. Courouve ♦ 29.09.05 | 15h31 ♦ La loi pénale, en principe, n'est pas rétroactive, mais il y a deux exceptions. L'une pour la poursuite des crimes contre l'humanité, commis avant leur définition en droit français, l'autre pour l'imprescriptibilité de ces crimes contre l'humanité, elle aussi rétroactive. La femme est-elle un être humain ? Si l'on répond "oui", on pourrait envisager de définir le viol comme un crime contre l'humanité, et de chercher à lever, dans la répression de ce crime, l'obstacle de la non-rétroactivité.


Le Monde / International
Le Fatah devance le Hamas lors de la troisième phase des municipales en Cisjordanie

 L e Fatah du leader palestinien, Mahmoud Abbas, a devancé les radicaux du Hamas, lors de la troisième phase des élections municipales, organisée en Cisjordanie, jeudi 29 septembre.

Le parti au pouvoir a remporté 65 des 104 conseils municipaux en jeu – sur un millier au total en Cisjordanie – contre 22 pour le Hamas et 17 pour les autres factions, a annoncé le directeur exécutif de la Haute Commission pour les élections locales. La participation était de 85%. Les résultats définitifs sont attendus samedi.

Des commentateurs ont toutefois minimisé la portée politique des résultats, affirmant que des facteurs d'ordre "clanique" ont largement contribué à fixer les choix des électeurs. "Le facteur tribal joue un rôle primordial. L'enjeu premier, ce sont les services municipaux promis par les différents candidats, et la dimension politique n'est pas présente à l'esprit des électeurs", affirme l'analyste politique Zakaria Al-Qaq. "Les résultats ne peuvent pas servir d'indicateur en vue des élections législatives", prévues en janvier et auxquelles le Hamas participera pour la première fois, ajoute-t-il. Selon lui, la dernière phase des élections municipales, prévue en décembre dans les grandes villes de Cisjordanie et de la bande de Gaza, "aura une portée politique plus importante".

Lors des deux premières phases, entre décembre et mai, le Hamas, qui participait pour la première fois à une élection, avait réalisé de très bons scores face au Fatah. Ce succès a été vu d'un mauvais œil par Israël, opposé à l'entrée du mouvement radical dans les institutions palestiniennes.

FLAMBÉE DE VIOLENCE

Si les municipales se sont pour l'essentiel déroulées sans encombre, la récente flambée de violence en Cisjordanie ne connaît pas de répit. Ainsi, deux activistes des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa ont été tués et un troisième grièvement blessé avant l'aube, lors d'un accrochage avec des soldats israéliens dans le camp de réfugiés de Balata, dans le Nord. L'armée israélienne a affirmé que ses soldats, venus arrêter des activistes palestiniens présumés, avaient ouvert le feu en riposte à des tirs palestiniens. Tsahal a procédé à seize interpellations lors de son incursion, selon des sources sécuritaires palestiniennes.

Quelques heures plus tard, un enfant palestinien de 13 ans a été tué par des soldats israéliens dans le camp de réfugiés voisin d'Askar, selon des témoins et des sources hospitalières. Interrogée par l'AFP, une source militaire israélienne a indiqué qu'"une patrouille de l'armée a essuyé des coups de feu et y a riposté sans pouvoir dire si ses tirs ont fait des victimes".

Les derniers décès portent à 4 840 le nombre de personnes tuées, dont une grande majorité de Palestiniens, depuis le début de l'Intifada en septembre 2000, selon un décompte de l'AFP.

L'Autorité palestinienne a condamné l'incursion israélienne à Balata, qui fait suite à une opération similaire jeudi, lors de laquelle trois activistes ont été tués à Jénine, et ce malgré l'arrêt, mardi, des tirs de roquettes depuis Gaza, à l'origine de l'offensive de Tsahal. "Cette grave agression israélienne risque de provoquer l'effondrement de la trêve", a déclaré à l'AFP le négociateur palestinien en chef, Saëb Erakat. Un chef des Brigades d'Al-Aqsa a promis lors des funérailles des deux activistes tués que son groupe "ripostera sévèrement à ces assassinats", et qu'il n'était plus tenu par la trêve informelle en vigueur depuis janvier.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 30.09.05 | 18h30


Le Monde / International
En Algérie, l'opposition conteste le taux de participation record au référendum

 L' adoption à plus de 97% du projet de charte pour "la paix et la réconciliation nationale" traduit "la confiance" des Algériens envers le président Abdelaziz Bouteflika, a estimé le ministre de l'intérieur, Yazid Zerhouni. Mais le taux annoncé de presque 80% de participation est fortement mis en doute par l'opposition.

Ce référendum sur la concorde civile "a fini comme il a commencé, dans la bouffonnerie", a estimé, vendredi 30 septembre, Saïd Saadi, le secrétaire général du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), l'opposition laïque. "Selon nos estimations, le taux de participation a été multiplié par quatre", a précisé M. Saadi, ajoutant que "depuis 1962 [NDLR: date de l'indépendance], l'Algérie est dans une perpétuelle fraude. Maintenant, elle est privée de sa mémoire, après avoir été privée de ses biens".

M. Saadi a indiqué qu'en Kabylie, qui s'est abstenue à près de 90%, "des lycées ont été remplis de personnes amenées d'ailleurs par des militaires" pour participer au vote. "Ce n'est que lorsqu'il y a eu un début d'émeute que ces personnes ont été retirées", a-t-il précisé, se demandant si "une fraude de plus (...) va régler les problèmes" de l'Algérie.

"PLUS DE 71% À ALGER, C'EST INHABITUEL"

Ce taux de 80% "dépasse l'imaginaire", a estimé, vendredi, Bélaïd Abrika, le leader charismatique des aârchs, les tribus kabyles. "Ce résultat était attendu, ce n'est pas une surprise pour nous. Mais ce qui m'étonne le plus, c'est le taux d'Alger, plus de 71%, c'est inhabituel pour la capitale", a-t-il ajouté.

Evoquant l'abstention à près de 90% de la Kabylie, région en fronde avec le pouvoir central, M. Abrika a estimé que "c'est une réponse cinglante au discours de Bouteflika à Constantine". Lors d'un meeting, le 22 septembre, le président algérien avait en effet affirmé que "la seule langue officielle [de l'Algérie] est l'arabe". M. Abrika a affirmé que "s'il n'y avait pas eu la provocation de ce discours, les Kabyles auraient été plus nombreux à se déplacer aux urnes". "La Kabylie n'a jamais été contre la paix", a-t-il fait valoir.

"GROS MENSONGE"

Ali Laskri, le premier secrétaire du Front des forces socialistes (FFS), parti d'opposition, déclare, quant à lui, que "ce taux est un gros mensonge. Il ne reflète pas du tout la réalité du terrain et le comportement traditionnel des électeurs algériens. Le pouvoir a une nouvelle fois fraudé". M. Laskri a ajouté que ce scrutin n'était en réalité qu'un "référendum-plébiscite" car "le pouvoir a tout fermé durant la campagne référendaire", interdisant "tout débat contradictoire" sur la réconciliation nationale. "Tous ceux qui ont prôné le boycott du scrutin ou le rejet du projet présidentiel n'ont pas pu exprimer leur point de vue sur la réconciliation nationale", proposée par le président Abdelaziz Bouteflika, a-t-il dit. "L'objectif de ce projet est d'absoudre tous les crimes", a-t-il affirmé, ajoutant que "c'est une réconciliation entre les responsables de la crise", qui ne veulent pas "de vérité et de justice", avant un éventuel pardon.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 30.09.05 | 16h54


Le Monde / International
En Algérie, les islamistes du GSPC restent sourds à l'offre de paix
ALGER de notre envoyée spéciale

 C ombien sont-ils à continuer de défier le pouvoir et à refuser de déposer les armes ? Il est impossible de le savoir avec exactitude. Les autorités algériennes parlent de 300 à 1 000 individus. La charte présidentielle "pour la paix et la réconciliation" , soumise jeudi 29 septembre à référendum, ne semble pas, en tout cas, avoir entraîné jusque-là de nombreuses redditions. Elle propose pourtant l'extinction des poursuites judiciaires contre les combattants "qui mettraient fin à leur activité armée" , à l'exception de ceux "impliqués dans des massacres collectifs, des viols ou des attentats à l'explosif dans des lieux publics".

Six ans après la "concorde civile" qui avait permis à 6 000 islamistes armés de réintégrer la vie civile en bénéficiant de l'impunité, le président Bouteflika propose ce qu'il appelle "un vaccin de rappel", dans l'espoir de mettre fin à "l'effusion de sang" qui endeuille l'Algérie depuis plus de dix ans et a déjà fait quelques 150 000 morts, des milliers de disparus et un million et demi de réfugiés.

Si certains éléments de la base du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) sont tentés de saisir cette main tendue et attendent, dit-on, l'entrée en vigueur de cette amnistie partielle pour déposer les armes, le commandement du GSPC, lui, reste inflexible.

"Non au dialogue. Non à la trêve. Non à la réconciliation." Le fameux "triple non" du GSPC est toujours à l'ordre du jour. "Le GSPC a changé. Il est passé d'une guérilla politique à un djihad religieux. Il campe sur des principes et n'accepte plus la moindre discussion avec le pouvoir. Celui-ci a beau le supplier de renoncer à la lutte armée et assurer ses combattants qu'ils seront accueillis à bras ouverts, eux ne veulent rien entendre. C'est un dialogue de sourds", explique Fayçal Oukaci, spécialiste des mouvements armés au quotidien algérien L'Expression.

BRAQUAGES DE BANQUES

Fortement implanté dans certaines régions, en particulier le secteur de Boumerdès et celui de Tizi Ouzou, à une soixantaine de kilomètres à l'est de la capitale algérienne, le GSPC continue de sévir presque quotidiennement. A l'approche du référendum du 29 septembre, il a même multiplié les embuscades comme autant de défis lancés au régime. Depuis le début de septembre, cinquante personnes sont encore mortes dans des violences en Algérie.

"La grande force du GSPC, c'est qu'il dispose de relais en ville, des gens à qui il offre des salaires et même du travail et qui braquent pour lui des banques et des postes. Ces attaques sont si fréquentes que la presse n'en parle même plus. Leurs auteurs sont des jeunes d'une vingtaine d'années qui ne croient pas nécessairement au djihad mais qui croient à l'argent !", rapporte encore Fayçal Oukaci. Selon lui, le GSPC "continue de recruter" sans peine, tant les injustices sociales perdurent dans le pays. Aussi, il ne croit en aucun cas à "une cascade de redditions" au lendemain du référendum, comme certains hauts responsables algériens en ont fait le pari.

Dernier des groupes armés en activité, le GSPC est né en 1998 d'une scission des Groupes islamiques armés (GIA). Il s'en prend essentiellement aux forces de sécurité (militaires, gendarmes, garde-communaux...) mais on lui attribue aussi la longue prise en otages de trente-deux Européens, en 2003, dans le Sahara algérien. Deux de ses sites Internet viennent d'être fermés, ce qui rend d'autant plus difficile de démêler dans les informations qui circulent sur son compte la part d'intoxication et celle de vérité.

Le GSPC est-il affilié au mouvement Al-Qaida d'Oussama Ben Laden ? Les autorités algériennes l'affirment. Les services de renseignement français accréditent cette thèse, tandis que plusieurs spécialistes des groupes armés la démentent catégoriquement.

Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / International
Trois questions à Ali Yahia Abdenour

 A li Yahia Abdenour, vous êtes avocat et président d'honneur de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme. Pourquoi ce référendum en Algérie et, surtout, pourquoi maintenant ?
Le président Bouteflika en a besoin. Il n'a rien pu faire pendant son premier mandat, et dix-huit mois se sont déjà écoulés depuis le début du second. Il voit bien qu'il est essoufflé. Il s'attend à un plébiscite. Ensuite, il pourra dire: "Voici ce que le peuple a voulu !" Bouteflika prépare en réalité un autre référendum pour 2008, qui lui permettra de modifier la Constitution, de briguer un troisième mandat, et, pourquoi pas, la présidence à vie. Comme tous les régimes arabes, le régime algérien est une monarchie républicaine, voire transmissible !

Quelle lecture faites-vous de la charte qui est soumise à référendum ?
Le but du président Bouteflika est exclusivement de renforcer son pouvoir personnel. Il s'est débarrassé de l'armée organique, mais pas de la Sécurité militaire, avec laquelle il a conclu un accord que l'on peut résumer à peu près ainsi: "Je suis votre chef mais je vous suis !" L'armée a commis des crimes contre l'humanité. Farouk Ksentini -président du Conseil consultatif des droits de l'homme, nommé par le président Bouteflika- a reconnu lui-même qu'il y avait eu 6 146 disparus, enlevés par les forces de sécurité. Or la charte disculpe à présent ces mêmes services de sécurité ! Elle tente d'imposer le pardon sans passer par la justice. Nous, nous voulons la paix par la justice.
Cette charte n'amènera pas la paix parce qu'il s'agit, une fois encore, d'une solution sécuritaire, non politique. Toutes les tentatives précédentes ­ loi sur la rahma (miséricorde) de 1995, concorde civile de 1999, grâce amnistiante de 2000 ­ n'ont pas ramené la paix. Il y aurait une solution: une conférence nationale, avec tout le monde, y compris les islamistes. Seule la démocratie peut sauver l'Algérie.

Peut-on mesurer la popularité du Front islamique de salut (FIS, dissous) aujourd'hui ?
Le FIS est aujourd'hui totalement éclaté. Aussi, je parlerais plutôt d'islam politique. Celui-ci a des racines profondes en Algérie, or il ne se retrouve ni dans le Mouvement de société pour la paix (MSP) ni dans celui d'El-Islah, de Djaballah -deux partis islamistes agréés par le pouvoir-. Celui qui représente le mieux, aujourd'hui, la base de l'islam politique, c'est, à mon avis, Ali Belhadj -ex-numéro deux du FIS-, y compris pour les jeunes.
Le remède aux problèmes de la population ne réside pas dans les ersatz de faux partis islamiques qui ne parviennent pas à occuper le terrain. S'il y avait demain une élection libre, Ali Belhadj l'emporterait. Rien n'a vraiment changé en Algérie. Le peuple est fatigué mais pas apaisé.

Propos recueillis par Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / International
Grogne au Salon du livre d'Alger, suspendu deux jours par décret présidentiel pour cause de référendum
ALGER de notre envoyée spéciale

 À  la suite d'un décret présidentiel, le 10e Salon international du livre d'Alger, organisé du 21 au 30 septembre, a été contraint de fermer ses portes pendant quarante-huit heures, mercredi et jeudi, à la veille et le jour même du référendum pour "la paix et la réconciliation nationale" . Cette interruption forcée a été annoncée alors que le Salon avait déjà commencé et que les éditeurs étrangers, arabes et français, étaient arrivés sur place.

Dans les pavillons du Palais des expositions, tapissés de photos du président Bouteflika et d'affiches appelant à voter "oui", la décision de supprimer deux des dix jours de la foire a provoqué le mécontentement des professionnels. "Cette mesure casse la dynamique du Salon. Il n'est pas sûr que le public revienne après un tel arrêt", proteste Fatiha Soal, présidente de l'Association des libraires algériens, coorganisatrice du Salon. Les horaires d'ouverture ont été prolongés le soir pour compenser le manque à gagner mais la clientèle familiale et le grand public se déplacent peu en soirée, dans cette ville où la vie nocturne reste marquée par la peur.

"Bouteflika tient à mobiliser le maximum de gens pour son référendum" , affirme Sid Ali Sekheri, directeur de la librairie El-Ghazali à Alger, qui anime au Salon les débats du café littéraire. "Nous avons reçu ce décret comme un tsunami qui a emporté les animations prévues." Mardi, à la veille de la fermeture, le libraire a ainsi enchaîné 7 débats pour sauver plusieurs rencontres, comme celle qui était initialement programmée, mercredi, autour de l'oeuvre d'Albert Camus.

Directeur de l'ambitieuse maison d'édition Barzach, Sofiane Hadjadj estime que la décision trahit le peu d'intérêt des pouvoirs publics à l'égard de la politique culturelle. "Ils pensent que les problèmes majeurs de l'Algérie sont ailleurs. Certes, le pays souffre encore des blessures ouvertes ces dernières années, mais cela n'empêche pas d'avoir une vision culturelle et une réflexion sur la place du livre."

Pour les exposants étrangers, les deux jours d'inactivité imposée sont pure perte. "C'est une catastrophe, d'autant que les meilleures ventes se font le jeudi -premier jour du week-end algérien-", déplore Safi Ala Edinne, directeur des éditions Canaan, à Damas, une maison qui publie en arabe les oeuvres de Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes ou Jacques Derrida. "C'est la première fois que je viens au Salon d'Alger. Entre l'omniprésence des vendeurs de livres religieux et cette fermeture imprévue, je conserverai une image décevante de cette foire."

Catherine Bédarida
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / International
Près d'Alger, le référendum "pour la paix" n'a pas mobilisé les foules
BOUFARIK, AOUCH GROS, LARBÂA (plaine de la Mitidja) de notre envoyée spéciale

 L' école est vide. Le nombre des assesseurs dépasse celui des votants. Dans une salle de classe aux murs couleur vert pâle, cinq jeunes filles tiennent un bureau de vote. Assises côte à côte sur de petites chaises d'écolier, face à une longue table de bois, les préposées à la tâche semblent s'ennuyer ferme. "Depuis ce matin, ça commence à faire long", soupire l'une. "Peut-être que les femmes viendront voter en fin d'après-midi après avoir fini leurs tâches ménagères", glisse l'autre. "Seuls 25% des inscrits ont fait le déplacement", finit par avouer la troisième. Arrive le chef de centre. D'un oeil furibond, il intime à la petite troupe l'ordre de se taire. Fin de la récréation.

"Oui massif", selon un officiel algérien

Les électeurs algériens se sont prononcés, jeudi 29 septembre, à une très large majorité en faveur de la "charte pour la paix et la réconciliation" visant à refermer la page de la guerre civile, selon un haut responsable proche du gouvernement s'exprimant sous couvert de l'anonymat. "On se dirige à l'évidence vers un oui massif de la population à ce référendum", a-t-il affirmé, jeudi soir, à l'agence Reuters. Les résultats du scrutin devaient être annoncés vendredi, lors d'une conférence de presse convoquée en milieu de matinée par le ministre de l'intérieur, Yazid Zerhouni, qui a indiqué, jeudi soir, peu après 22 heures (heure locale), à la télévision publique, que le taux de participation tournait autour de 79,49%. Selon lui, la participation la plus forte (98,49%) a été relevée à Khenchela, à 500 km au sud-est d'Alger, et les villes touchées par le terrorisme auraient, selon lui, connu des participations record. "Alger, qui habituellement vote faiblement, a enregistré une participation de 71,83%, qui constitue un record pour la capitale comparativement à toutes les autres consultations", a encore déclaré M. Zerhouni. Les plus faibles taux de participation auraient été enregistrés à Tizi Ouzou (11,40%) et à Bejaia (11,55%), les deux principales villes de Kabylie. – (Reuters, AFP.)

On ne se bouscule pas, en ce jeudi après-midi 29 septembre, dans les bureaux de vote de la Mitidja, plaine agricole située aux portes d'Alger, cible privilégiée des islamistes armés pendant la "décennie de sang" (les années 1990). Voici venu le jour de dire oui ou non à la "charte pour la paix et la réconciliation nationale" du président Abdelaziz Bouteflika. Les gens ne savent pas très bien pour qui ni pour quoi ils sont appelés à voter. La plupart imaginent qu'on leur demande s'ils sont "pour ou contre la paix". Chacun met ce qu'il veut derrière cette idée.

Les services de sécurité sont omniprésents. Dans chaque centre, on encadre les visiteurs de très près. Il faut s'écarter pour espérer recueillir des confidences. "J'ai voté pour. Ma soeur a voté contre. Nos enfants, eux, se fichent de ce référendum, raconte une femme d'une soixantaine d'années, ancienne "moudahidate" (combattante de la guerre d'indépendance): tant que les jeunes n'auront pas de travail, pas de logement, pas de loisirs, et qu'ils subiront les tracasseries de cette administration qui nous emmerde tous, ils ne seront pas motivés pour l'Algérie."

La rue principale de Boufarik, 80 000 habitants, est pavoisée de guirlandes en l'honneur de "la paix et la réconciliation nationale" et du président Bouteflika. Cette ancienne petite ville coloniale réussirait presque à avoir un air de fête si l'entretien des chaussées et des trottoirs ne laissait autant à désirer.

Arrive une camionnette. Elle se gare en face d'un bureau de vote désert. Portes ouvertes, les occupants – quatre hommes en pantalon blanc bouffant, chemises immaculées, calotte et gilet rouge bordeaux – se mettent à jouer bruyamment de la gheita (flûte longue) et de la grosse caisse. C'est la "zorna tekertek" de Boufarik, groupe folklorique local tenu par quatre frères, les Doumi, qui animent d'habitude les fêtes de mariage et de circoncision de la ville. "Voici le jour de la réconciliation. Nous sommes joyeux !" s'exclame le flûtiste, en prenant l'air d'un boute-en-train. Sa mission: faire le tour des bureaux de vote pour "mettre de l'ambiance" et attirer le chaland. Est-il là en service commandé et, si oui, sur ordre de qui ? "Pas du tout. Nous sommes des bénévoles et faisons cela de notre propre initiative", assure-t-il, l'air offusqué. Avant de refermer les portes coulissantes de sa fourgonnette et de voler au secours d'un autre bureau de vote, il se lance avec entrain dans un air d'Enrico Macias ("Au talon de ses souliers", précise-t-il). Les votants se font toujours désirer. A l'heure de la fermeture du centre, on ne dépassera pas les 25% d'inscrits.

Bien que mal entretenu, Aouch Gros, du nom d'un riche propriétaire de l'époque coloniale, a gardé un certain charme. Ce lieu-dit, proche de Boufarik, compte quelque 4 000 habitants répartis sur plusieurs fermes imposantes, mais presque en ruines. C'est ici qu'est née l'idée des "patriotes", ces volontaires qui ont prêté main-forte aux forces de sécurité pendant les années de guerre.

"TRIANGLE DE LA MORT"

A Aouch Gros, on se souvient avec gratitude de Selmani, héros local qui a formé des centaines de "patriotes" avant d'être tué, en 1996, par ceux qu'il combattait. "Nous ne nous sentons toujours pas en sécurité dans le secteur. On continue d'avoir peur. Ça peut dégénérer comme avant, dit un jeune agriculteur, l'air soucieux: le référendum ? Je le trouve totalement artificiel. C'est pourquoi je le boycotte. Quant aux ex-terroristes, je vais vous dire ce que j'en pense: ce sont des déchets de la société et ils ne sont pas recyclables." Avant de s'éloigner, l'homme s'indigne du fait que "les gens, ici, sont si pauvres qu'ils mangent des herbes -des blettes sauvages- comme des animaux, alors que l'Algérie vend son pétrole à 70 dollars ! "

Larbâa fait partie, elle aussi, de ce périmètre à hauts risques longtemps surnommé le "triangle de la mort". Plus encore qu'à Boufarik, le dénuement saute aux yeux. Trottoirs et chaussées défoncés. Ordures multiples. Eclairage défaillant... Cette localité de 60 000 habitants n'a même pas tenté de se mettre au diapason de la "fête des urnes". Les "gens du maquis" – comme on les appelle quand on craint de dire "les terroristes" – effectuent aujourd'hui encore des raids dans les quartiers excentrés. Le 26 septembre 2001, une famille fêtait le mariage de sa fille aînée sur les hauteurs de Larbâa. Une dizaine de terroristes déguisés en militaires se sont invités à la fête. Ils ont demandé de l'eau. Mounir, 13 ans, le petit frère de la mariée, a apporté des verres. Les invités surprises ont alors ouvert le feu. Bilan: 22 morts, (dont Mounir), ainsi que le père et le frère du marié et un bébé de trois semaines.

Quatre ans après ces "noces de sang", la mère de Mounir, les larmes aux yeux, confie qu'avec son mari et leur fils aîné, elle est allée voter le matin même en faveur de l'amnistie proposée par le président Bouteflika. A-t-elle donc pardonné aux assassins de son jeune fils ? "Jamais ! Jamais je ne leur pardonnerai ! Mais je veux qu'ils descendent du djebel -montagne- et qu'ils cessent de nous menacer, ma famille et moi. C'est cela, ce que j'appelle "voter pour la paix !""

Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / Société
Les biologistes français ne peuvent toujours pas mener des recherches scientifiques à partir d'embryons humains

 L e conseil d'Etat n'a pas commencé l'examen du projet de décret d'application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, qui définit les conditions dans lesquelles les biologistes français seront autorisés à mener des recherches sur les embryons humains et les cellules souches. La toute nouvelle Agence de biomédecine, qui a désormais la responsabilité de l'ensemble des activités de procréation, d'embryologie et de génétique humaines, avait adressé ce texte à la haute juridiction avant les vacances d'été.

Un premier rapporteur avait été nommé mais n'est plus en charge du dossier, aujourd'hui, et aucun autre rapporteur n'a encore été nommé au sein de la section sociale que préside Raphaël Hadas-Lebel. Cette situation inhabituelle pénalise les équipes françaises qui souhaitent se lancer dans ce nouveau domaine de recherche, tenu pour hautement prometteur. Le décret ne devrait pas être publié avant la fin du mois de novembre et les travaux ne pourront pas débuter avant 2006.

Dès la fin mai, un projet de décret, alors classé "confidentiel", avait été rédigé (Le Monde du 1er juin). Ce document établissait notamment une distinction entre les "études" et les " recherches" pouvant être menées sur des embryons humains. Il prévoyait que l'Agence de biomédecine évaluerait la "pertinence scientifique" des protocoles scientifiques ainsi que les conditions de leur mise en oeuvre "au regard des principes éthiques et de leur intérêt pour la santé publique".

Le projet de décret précisait d'autre part qu'"aucune information susceptible de permettre l'identification du couple ou du membre survivant du couple à l'origine des embryons faisant l'objet de l'étude ou de la recherche ne doit être communiquée aux responsables de ces travaux ".

Il annonçait l'interdiction de l'importation de cellules embryonnaires prélevées sur un embryon humain in vitro créé par clonage à des fins scientifiques ou thérapeutiques, les recherches ne pouvant être menées en France que sur des embryons conçus in vitro – dans le cadre d'une activité de procréation médicalement assistée – puis conservés par congélation et ne s'inscrivant plus dans le cadre d'un projet parental.

"CAFOUILLAGE"

"Tant que le décret n'est pas publié, nous ne sommes pas autorisés à engager les véritables recherches que nous souhaitons mener, déplore Marc Peschanski, l'un des biologistes les plus impliqués dans ce domaine. Cette situation est proprement inacceptable."

Il y a un an, "un dispositif transitoire avait certes été mis en place, avec une commission ad hoc qui a pu donner à quelques équipes des autorisations d'importations de lignées de cellules embryonnaires humaines", admet-il. "Mais en pratique, enchaîne Marc Peschanski, ce système ne fonctionne plus."

Rien ne permet de comprendre les raisons de ce que certains, à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qualifient de "cafouillage". Faut-il y voir la conséquence de simples lenteurs administratives ou, au contraire, la volonté du Conseil d'Etat de freiner l'application de la loi dans un domaine particulièrement sensible d'un point de vue éthique ? " Il faut se souvenir en effet que c'est le Conseil d'Etat, par la voix de son vice-président Renaud Denoix de Saint Marc, qui, en juin 2001, s'était opposé à la légalisation de la pratique du clonage à visée thérapeutique, rappelle Marc Peschanski. Une initiative qui avait alors conduit Lionel Jospin à retirer cette pratique de son avant-projet de loi de révision des lois de bioéthique de 1994."

Au Conseil d'Etat, on indiquait, jeudi 29 septembre, qu'il ne fallait voir dans ce retard que la conséquence de problèmes "d'organisation interne".

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / France
La Fondation Jean-Jaurès décortique les lointaines racines du non français

 L' issue du référendum sur la Constitution européenne, le 29 mai, était prévisible car "largement inscrit dans le résultat du 21 avril 2002". Telle est la théorie qu'expose le démographe Hervé Le Bras, dans un livre collectif Le jour où la France a dit non, publié par la Fondation Jean Jaurès et Plon et rendu public le 8 octobre (153 pages, 10 euros).

En projetant les scores du premier tour de l'élection présidentielle et le choix pour le oui et le non des seize candidats, M. Le Bras a calculé que le résultat aurait été de 56,3% pour le non, soit un niveau très proche de celui, près de 55%, enregistré le 29 mai. "Il ne s'est pas produit une cassure, une mutation, ni une prise d'on ne sait quelle conscience, écrit-il. Le vote non a simplement précisé ce qui s'était déjà exprimé lors du premier tour de l'élection présidentielle."

Mais le chercheur va plus loin. Dans le chapitre "La mémoire des territoires" qu'il a rédigé dans cet ouvrage auquel ont participé 8 autres rédacteurs, il décrypte le clivage entre régions pauvres et riches. Et retrouve la trace du non en remontant le temps, dans l'empreinte laissée par le Parti communiste sur certaines villes comme dans le clivage laïc-religieux d'autrefois.

"Dès le premier vote au suffrage universel de 1848, relève-t-il, les candidats de gauche Raspail et Ledru-Rollin obtiennent le plus de suffrages dans ces futures régions du non et le candidat des droites, Cavaignac, dans celles du oui". En poussant son raisonnement, la bataille du référendum aurait opposé les jacobins aux girondins, "ceux qui attendent un salut de Paris et de la nation à ceux qui sont déjà intégrés dans les mailles d'un tissu de métropoles européennes."

INQUIÉTUDE SUR L'EMPLOI

Chercheur au Centre d'étude de la vie politique (Cevipof), Vincent Tiberj s'est consacré aux clivages sociologiques. Pour lui, la "base sociale du oui s'est considérablement rétrécie"  si on la compare à celle du traité de Maastricht, en 1992. Les inquiétudes concernant l'emploi, notamment, ont tout emporté. Ainsi, souligne M. Tiberj, dans la catégorie des ouvriers et employés de gauche et "ninistes", ni de droite, ni de gauche, "le non trouve avant tout ses racines dans la peur sociale, le souv erai nisme est secondaire et la défiance envers le système marginale."  En revanche, pour les ouvriers et employés de droite, "le repli national prime, devant la peur sociale et la sanction du gouvernement."

Les analyses politiques, exclusivement réservées à des partisans du oui proches de Dominique Strauss-Kahn, sont plus tranchées. Alain Bergounioux, secrétaire national au PS, s'alarme de "la montée en puissance d'une idéologie néocommuniste". Le député de Paris Jean-Christophe Cambadélis, qui décrit "pourquoi le non a été irrésistible" en dix actes, insiste sur le "remords français" du 21 avril 2002. "La préférence française, à défaut d'une Europe protectrice, ajoute-t-il, est devenue le non-dit dominant." Pour Dominique Strauss-Kahn, à qui revient le soin de conclure, il existe clairement un responsable. "Laurent Fabius, écrit-il, a brouillé le message des socialistes, donné une caution de respectabilité au non, et au final, opéré un dégrèvement de culpabilité pour de nombreux électeurs hésitants".

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / International
L'idée d'un site international de stockage des déchets nucléaires progresse

 E nfouir en Australie les déchets nucléaires du monde entier: telle est la proposition provocante lancée par l'ancien premier ministre australien Bob Hawke lors d'une réunion à Sydney, mardi soir 27 septembre. Sur la télévision australienne ABC, M. Hawke, qui a dirigé le gouvernement de centre-gauche entre 1983 et 1991, a précisé que l'Australie pourrait accueillir les déchets nucléaires "de tous ces pays qui pensent qu'ils n'ont pas la capacité de les stocker de manière sûre".

Selon lui, "l'Australie dispose des formations géologiques les plus sûres. Vous pouvez y creuser de grandes mines en profondeur, vitrifier le matériel et l'enfouir. Il sera en plus grande sécurité qu'en tout autre endroit du monde." Pour M. Hawke, les Australiens ont "une responsabilité morale à faire cela", tandis que les revenus tirés des importations permettraient de "révolutionner l'économie".

L'idée a suscité une vive controverse sur le "sixième continent". Et la proposition de M. Hawke a peu de chances d'être adoptée rapidement par l'Australie, qui ne parvient déjà pas à trouver un site pour stocker ses propres déchets faiblement radioactifs. En 1998, le gouvernement de Melbourne avait refusé le projet d'un consortium privé, Pangea Resources, de créer un site international dans le pays.

Mais il ne s'agit pas seulement d'un débat australien. L'idée d'un stockage international des déchets nucléaires commence à être avalisée. Lundi 26 septembre, devant l'assemblée générale de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), le secrétaire des Etats-Unis à l'énergie, Samuel Bodman, a déclaré que son pays était prêt à fournir du combustible aux pays et à le reprendre lorsqu'il aurait été utilisé.

La proposition a été approuvée le lendemain par Alexander Rumyantsev, chef de l'Agence russe de l'énergie atomique. Elle suppose une gestion internationale du combustible irradié, à laquelle la Russie est très favorable: elle a adopté une loi, en 2002, permettant l'importation de combustible usé pour le stocker sur son territoire, en Sibérie.

Cette approche multilatérale a été lancée fin 2003 par le secrétaire général de l'AIEA, Mohamed ElBaradei, lorsqu'il a déclaré: "Nous devrions considérer des approches internationales pour la gestion et le stockage du combustible usé et des déchets radioactifs". L'AIEA a publié, en octobre 2004, un rapport examinant les possibilités de développer des "sites multinationaux de déchets radioactifs".

De son côté, la Commission européenne encourage une gestion commune des déchets des petits pays, tels que la Belgique, la Slovénie, la République tchèque, les Pays-Bas, la Lituanie, etc. Ceux-ci ne disposent pas de site d'enfouissement sur leur territoire. Ils en cherchent un en commun, au sein d'un nouveau programme dit Sapierr (Support Action: Pilot Initiative for European Regional Repositories), lancé en décembre 2003 et inclus dans le 6e programme de recherche de la Commission.

La recherche d'un site international de stockage, ou d'un réseau de sites répartis sur les différents continents, découle de deux logiques.

D'une part, dans presque tous les pays, les propositions d'enfouir les déchets nucléaires dans un endroit précis rencontrent l'opposition des populations locales. Plutôt que chaque pays se heurte à ces difficultés, l'implantation dans un seul pays au monde ou par continent serait plus facile à opérer.

D'autre part, la crainte du terrorisme nucléaire pousse à un contrôle international du combustible usé. "L'approche multilatérale est beaucoup mieux acceptée depuis septembre 2001", note Charles McCombie, directeur d'Arius, une association suisse impliquée dans Sapierr. La dissémination de matériaux radioactifs dans de nombreux pays du monde pourrait en effet donner lieu à des détournements.

Enfin, la frontière entre nucléaire civil et militaire est toujours plus mince: "Une grande partie des techniques impliquées est à usage dual", a écrit M. ElBaradei dans un article de The Economist paru en octobre 2003: par exemple, il est difficile de justifier les restrictions à l'exportation d'une technologie qui pourrait être utilisée pour la séparation du plutonium quand le même équipement est vital pour produire des radio-isotopes utilisés en médecine."

La lutte contre la prolifération suppose ainsi de prévenir le retraitement de combustible usé dans les pays équipés de réacteurs nucléaires. D'où la formule développée par l'Agence de fourniture de combustible prêté et repris après usage, que les Etats-Unis et la Russie viennent d'avaliser.

Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / Sciences
Au Congo, les gorilles des plaines préfèrent parfois l'outil à la force

 L a plupart des singes anthropoïdes emploient toutes sortes d'objets pour en faire des outils rudimentaires. Ainsi, les chimpanzés de la forêt de Taï (Côte d'Ivoire) cassent des noix en les frappant avec des pierres sur des enclumes de bois ou effeuillent de minces tiges qu'ils plongent dans les termitières pour en extraire les "habitants". Mais, jamais encore, on n'avait observé dans la nature l'utilisation d'outils rudimentaires par des gorilles alors qu'on l'avait constaté chez des individus hébergés par des zoos. Les gorilles, disait-on, n'avaient pas besoin de tels artifices car, plus forts que leurs cousins, ils peuvent briser les noix avec leurs dents et détruire les termitières avec leurs mains pour accéder aux insectes.

Des observations menées en octobre et novembre 2004 dans la forêt marécageuse de Mbeli Bai, située dans le parc national Nouabalé-Ndoki au nord de la République du Congo, ont mis fin à ces certitudes infondées. A deux reprises, des chercheurs de la Wildlife Conservation Society (WCS), du parc de Nouabalé-Ndoki et du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology de Leipzig (Allemagne) ont photographié des gorilles de plaine (Gorilla gorilla ) utilisant un bâton comme outil. Ces témoignages peuvent être consultés gratuitement à partir du samedi 1er octobre sur le site de PLoS Biology (www.plosbiology.org). Ils seront dans la version papier de la revue en novembre.

La première fois, expliquent les scientifiques dirigés par Thomas Breuer de la WCS, ce fut lorsqu'une femelle appelée Leah – appartenant à un groupe observé depuis 1995 – voulut traverser un grand trou d'eau formé par les éléphants. Rapidement, l'animal se retrouve avec de l'eau à mi-corps. Elle en ressort, brise une branche d'un arbre mort et s'en sert pour mesurer la profondeur du trou jusqu'à une distance de dix mètres. Constatant que le trou est trop profond, elle retourne sur la rive, récupère son petit qui pleure et contourne l'obstacle pour aller se nourrir d'herbes aquatiques.

La seconde observation a été effectuée sur une femelle nommée Efi appartenant à un autre groupe. Les chercheurs ont cette fois remarqué qu'Efi détachait une branche d'un arbre mort, s'appuyait dessus de sa main gauche pour se stabiliser dans une zone marécageuse et pouvait ainsi, de la droite, ramasser des plantes aquatiques. Puis, à l'aide de ses deux mains, elle a placé la grosse branche sur le sol détrempé pour se déplacer dessus à quatre pattes.

"Pour nous, c'est une découverte stupéfiante, explique Thomas Breuer. L'utilisation d'outils chez les grands singes nous apporte des informations sur l'évolution de l'outillage dans l'espèce humaine. Le détecter pour la première fois chez les gorilles est important à plusieurs titres." Ainsi, ce comportement témoigne-t-il peut-être "d'une adaptation à des conditions environnementales particulières", les abords de la forêt de Mbeli Bai étant souvent inondés.

Marie-Claude Bomsel, vétérinaire et professeur au Muséum national d'histoire naturelle, se réjouit de cette étude, qui "permet de revaloriser l'intelligence des gorilles", que certains considèrent comme des brutes. Or, "ces anthropoïdes doux et massifs sont les plus attachants des grands singes", insiste la spécialiste.

La plupart des travaux sur l'intelligence des primates – chimpanzés et orangs-outans – ont été effectués en laboratoire. Ce qui n'a jamais pu être réalisé avec les gorilles, "qui sont extrêmement effrayés par le regard humain, beaucoup plus que les chimpanzés. De plus, émotifs et très introvertis, ils sont très difficiles à garder en captivité en raison de leur stress non apparent", ajoute Mme Bomsel.

Les grands zoos étrangers, qui disposent de moyens supérieurs à ceux de leurs homologues français dans ce domaine, parviennent à les garder en vie en les installant dans un espace vaste. Mais, comme les autres singes anthropoïdes, ils sont menacés, car dans leur milieu naturel, en raison de leur poids (200 kg), ils sont souvent chassés comme viande de brousse. Et aussi par des braconniers qui proposent aux touristes des mains et des crânes en souvenir.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / International
Visite très encadrée chez des gouverneurs soudanais sûrs de leur bon droit
AL-FASHER, NIYALA (ouest du Soudan) de notre envoyé spécial

 "L a communauté internationale exagère l'importance des rebelles [au Darfour] et leur prête plus d'influence qu'ils n'en ont. Ils sont moins de 10 000. La paix s'impose peu à peu et les personnes déplacées regagnent leurs villages. Les autorités respectent les droits de l'homme. Tout le monde est égal devant la loi. Il n'y a ni purification ethnique ni génocide au Darfour." Osman Mohammed Kibir n'est pas du genre à afficher des états d'âme. Gouverneur de l'immense province du Darfour nord, ce général a été envoyé à Al-Fasher, il y a près de deux ans, pour reprendre la situation en main après une audacieuse opération qui avait permis, en avril 2003, aux rebelles de l'Armée de libération du Soudan (ALS) de prendre brièvement le contrôle de la capitale de la région.

Depuis, l'ordre règne à Al-Fasher et le gouverneur, en recevant, fin septembre, une poignée de journalistes étrangers, fait montre d'une assurance qu'aucune question ne peut entamer. Enfoncé dans un large fauteuil, des bouquets de fleurs artificielles posés devant lui, le général répond tranquillement aux représentants du "premier pouvoir dans le monde".

La sécurité dans la province ? "Malgré des vols de bétail et de voitures, et la présence de quelques "coupeurs de route"", elle est globalement assurée depuis la signature d'un cessez-le-feu [en avril 2004]. Mais les dissensions entre les deux mouvements rebelles nous créent quelques problèmes." Le sort des quelque 2 millions de déplacés – sur une population évaluée à 6 millions – comptabilisés par les organisations non gouvernementales au Darfour ? "Ils ont commencé à retourner chez eux."

Les liens entre les militaires soudanais et les "janjawids", ces miliciens coupables d'exactions contre les populations civiles ? "Les janjawids sont des brigands qui écument la région depuis toujours. L'armée n'a jamais été à leurs côtés; elle les combat."

Le général gouverneur a sa grille de lecture des événements du Darfour. Là où la communauté internationale dénonce une politique programmée d'élimination de tribus "africaines" du sud et du centre du Darfour par des tribus "arabes" soutenues par le régime, le représentant de Khartoum voit une querelle banale entre nomades et sédentaires, qui a éclaté en 2000 avant de dégénérer. La création de l'ALS n'aurait été, selon le gouverneur, qu'un instrument pour attirer l'attention des médias étrangers, politiser le conflit et en faire porter la responsabilité au régime. Et pour les journalistes qui n'auraient pas bien compris la leçon, le gouverneur a prévu un dossier de presse exhaustif. Il y est longuement question des "efforts du gouvernement pour une solution pacifique", mais guère des exactions commises par les troupes gouvernementales et leurs alliés.

VAINES PROMESSES

Dans ce Soudan où le pouvoir en place depuis seize ans restreint les déplacements des médias, M. Kibir avait promis aux journalistes qu'ils pourraient travailler librement à Al-Fasher, que les portes de l'un des trois camps de déplacés leur seraient ouvertes, bref, qu'ils pourraient "toucher de près la réalité". De fait, le programme officiel parlait d'une "visite" à Al-Fasher.

Ce n'étaient que vaines promesses. La visite du campement de toiles et de ses 50 000 déplacés s'est résumée en fait à une traversée rapide des lieux sous bonne escorte. Et les "discussions" à un entretien dépourvu d'intérêt avec le directeur des lieux.

Quant à rencontrer des représentants d'ONG, cela s'est vite révélé impossible: la "visite" du camp avait été opportunément reprogrammée un vendredi, jour de repos hebdomadaire au Soudan.

Aurait-on davantage de chances à quelques centaines de kilomètres de là, à Niyala, la capitale de la province du Darfour sud ? Pas davantage. Niyala est pourtant la "vitrine" de la crise humanitaire qui sévit au Darfour. Près de 250 000 personnes, dont une majorité de femmes et d'enfants, s'y entassent dans des camps de réfugiés, selon les autorités. De Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, à Colin Powell, l'ancien secrétaire d'Etat américain, aucune personnalité étrangère en visite au Darfour ne peut faire l'économie d'une visite de quelques heures à Niyala. Les Nations unies y ont déployé toutes leurs agences, douze au total.

Les ONG ne sont pas en reste. Quarante d'entre elles ont pignon sur rue dans la zone (sans compter une dizaine d'ONG soudanaises). Une concentration jamais vue de mémoire de travailleur humanitaire. "Avec une personne déplacée pour trois habitants le Darfour est une crise humanitaire sans équivalent", commente, plus tard, à Khartoum, la chef de mission d'une ONG.

Ce n'est pas la vision du gouverneur de la province du Darfour sud. Sur le même mode que son homologue d'Al-Fasher, Ata Al-Manan préfère mettre l'accent sur "l'amorce de retour des réfugiés" – que contestent les organisations humanitaires sur place – et sur "l'amélioration de la situation sur le terrain militaire du fait de la réconciliation entre tribus".

Le gouverneur Al-Manan est conscient que des crimes ont été commis au Darfour. Il a entendu parler "par la presse" de l'existence d'une liste de 51 personnes, dont une majorité de responsables du régime, susceptibles d'être poursuivies devant la Cour pénale internationale (CPI). Mais il dit tout ignorer des noms qui y figurent. Lui-même ne sait pas s'il est l'un des 51 suspects... ce qui, vérification faite, n'est pas le cas.

"Si j'en fais partie, j'irai me présenter devant la justice soudanaise. Elle est capable de traiter ces questions. Pas besoin d'aller devant une cour étrangère", conclut le gouverneur. La "visite" au Darfour était terminée avant même d'avoir commencé.

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / International
Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS et rédacteur en chef de la revue "Politique africaine"
"Le Tchad ne peut pas espérer sortir indemne de la crise"

 C omment analysez-vous l'attaque menée au Tchad, le 26 septembre, par des miliciens "janjawids ?
Ces janjawids [miliciens arabes] portaient des uniformes de l'armée soudanaise au moment de l'attaque. Or le gouvernement s'est engagé, depuis l'été 2004, à les démobiliser. Pourquoi ne pas l'avoir fait ? Et, puisqu'ils portaient des uniformes, qui les commande ? Les chefs de l'armée soudanaise ? Quant à savoir pourquoi certains ont décidé d'exporter les violences au Tchad, il faut peut-être y voir une réponse à l'amélioration des relations entre Idriss Déby[le président tchadien] et l'un des deux mouvements rebelles du Darfour, le Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE). Peut-être a-t-on voulu punir Idriss Déby ? Quoi qu'il en soit, il est clair que le Tchad ne peut pas espérer sortir indemne de la crise au Darfour. Les troubles vont s'exporter chez lui.

Pourquoi parlez-vous d'amélioration des relations entre M. Déby et le MJE ?
Au départ, lors des négociations de paix entre les autorités de Khartoum et les rebelles du Darfour, sous les auspices de l'Union africaine, la neutralité d'Idriss Déby n'avait cessé d'être contestée par les deux mouvements rebelles, qui l'accusaient d'être trop proches de Khartoum. Or aujourd'hui les rebelles n'expriment ce genre de critique.

Le Tchad est-il menacé de déstabilisation ?
En 2004, il y a eu plusieurs tentatives de coup d'Etat au Tchad, dont une, au printemps, qui a manqué d'emporter le président. Mais, si l'on peut craindre une déstabilisation, elle viendra, me semble-t-il, de l'intérieur du régime. L'ambiance est délétère à N'Djamena, avec un chef de l'Etat qui a tout verrouillé en termes de pouvoirs. L'autre inconnue porte sur le comportement de l'ethnie du président, les Zaghawas, face au conflit au Darfour. Les Zaghawas sont présents au Tchad et au Darfour, où ils constituent une bonne part des appareils militaires des deux groupes armés qui combattent Khartoum.

Le régime de Khartoum ne va-t-il pas être tenté de jouer la carte anti-Déby ?
En avril 2005, le président tchadien avait accusé Khartoum d'armer et d'organiser 3 000 de ses opposants au Darfour pour faire pression sur lui et l'amener à pratiquer une politique encore plus favorable aux intérêts soudanais. On en est resté là. Idriss Déby veut sans doute conserver de bonnes relations avec Khartoum, mais il doit aussi composer avec une partie des Zaghawas qui soutiennent les mouvements rebelles du Darfour. Or les Zaghawas sont des pièces maîtresses dans l'appareil militaire et sécuritaire d'Idriss Déby.

Au Nigeria, Khartoum négocie avec les mouvements rebelles un plan de paix. Croyez-vous à un possible accord ?
Il faut bien comprendre que la situation se dégrade, y compris sur le plan diplomatique. Les mouvements rebelles, dont le plus important, l'Armée de libération du Soudan (ALS), sont aujourd'hui désorganisés, et donc incapables de mener des négociations véritables. C'est un frein à une solution négociée. Par ailleurs, sur le terrain, les services de renseignement militaires soudanais n'ont pas vraiment changé de politique. Ils continuent à armer, à encadrer les janjawids. Loin de se stabiliser, l'insécurité grandit au Darfour. Certes, nous n'assistons plus aux affrontements de 2003 et de 2004, mais à un banditisme et à une constellation d'incidents qui empêchent toute normalisation.

Avec quelle issue, en fin de compte ?
Il y a des éléments encourageants: l'installation d'un gouvernement d'unité nationale à Khartoum, il y a une dizaine de jours; l'implication du nouveau vice-président, Salva Kiir; et la volonté de la communauté internationale de peser davantage sur les négociations de paix d'Abuja. On devrait avancer.

Dans la partie est du Soudan, un autre foyer de déstabilisation existe. Pensez-vous qu'il constitue une menace pour le régime ?
Le conflit dans l'est du Soudan est né de revendications anciennes, comme au Darfour. Il tire aussi ses racines de la volonté de l'Erythrée de ne pas être marginalisée dans le nouvel ordre régional. L'Erythrée, aujourd'hui, se voit comme un pays encerclé par des Etats hostiles. Les Erythréens, en aidant les rebelles de l'est du Soudan, veulent montrer qu'ils sont indispensables à l'instauration d'une paix véritable dans ce pays.

Au total, l'impression se dégage d'un pays miné par des problèmes d'intégration. Le Soudan vous apparaît-il comme un Etat viable, malgré tout ?
Au-delà des crises, il ne faut pas sous-estimer ce qui lie les Soudanais entre eux et ce qui les distingue des autres pays de la région. On ne sort pas d'une guerre civile aussi longue – vingt et un ans pour le sud du Soudan – en un jour. Un sentiment national soudanais qui dépasse les clivages ethniques demeure possible. La paix, fragile, est là. Le processus politique aussi. Je suis optimiste pour la suite.

Propos recueillis par J.-P. T.
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / International
La diplomatie à l'épreuve du regain de violences au Darfour

 L a violence qui sévit au Darfour est en train de gagner le Tchad, pays voisin de la vaste province de l'ouest soudanais. Le 26 septembre, une attaque contre le village tchadien de Madayoun a fait 75 victimes, pour l'essentiel des civils, selon le dernier bilan publié vendredi 30 septembre. Les témoignages recueillis sur place et les déclarations du président tchadien, Idriss Déby, laissent peu de doute sur l'identité des agresseurs. Ce sont des janjawids, des miliciens soudanais à la solde de l'armée soudanaise. Jusqu'à présent, les autorités de Khartoum sont restées silencieuses face aux accusations de N'Djamena.

Idriss Déby: sauver la stabilité de région

"Il faut impérativement résoudre le conflit -au Darfour- dans un délai raisonnable, sinon il faut craindre que cette guerre ne devienne comme celle des Grands Lacs. Elle pourrait déborder et mettre à mal la stabilité de toute la sous-région", estime le président tchadien, Idriss Déby, dans l'édition de samedi 1er octobre du Figaro.

"Ce conflit a déjà eu des répercussions pour nous, comme pour tous les pays voisins. Nous avons été les premiers, avant que la communauté internationale et l'Union africaine se réveillent, à nous inquiéter de cette guerre. Nous l'avons longtemps gérée seuls, avec l'aide de la France. C'est un sujet très sensible pour nous. En plus des morts, [nous] devons supporter 250 000 réfugiés", ajoute le chef de l'Etat tchadien, qui séjourne actuellement en France.

En revanche, les réactions sont nombreuses dans la communauté internationale, d'autant qu'une autre attaque, qualifiée de "sans précédent" par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), a eu lieu, mercredi 28 septembre, contre un camp du nord-ouest du Darfour. Trente-quatre personnes auraient été tuées.

Qu'elle vienne du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, de l'Union africaine (UA) ou de l'Union européenne (UE), la condamnation des violences est assortie d'une recommandation: faire en sorte, malgré tout, que se poursuivent les pourparlers de paix, qui ont repris à la mi-septembre à Abuja, au Nigeria, entre les mouvements rebelles du Darfour et les autorités soudanaises

Les organisations internationales ont également évité jusqu'ici de mettre en cause nommément les janjawids. "Une enquête est en cours", a déclaré un porte-parole de l'UA.

Les janjawids renvoient à l'histoire mouvementée du Darfour, une province dépourvue de richesses et laissé en déshérence par Khartoum, où cohabitent des éleveurs et des nomades (6 millions de personnes au total). Tous sont musulmans, mais certaines tribus sont "arabes" et d'autres, qui se prolongent au Tchad, "africaines". Celles-ci réunissent plutôt des cultivateurs; celles-là des nomades.

Depuis les grandes famines des années 1980, synonyme de raréfaction des ressources, les affrontements entre "Arabes" et "Africains" sont récurrents. Des guerres locales ont même eu lieu, mais dans l'indifférence de la communauté internationale.

AUTONOMIE RÉELLE

La situation a changé en 2001 lorsque, à la suite d'incidents impunis, les tribus "africaines" ont été convaincues que les tribus "arabes" et les milices janjawids qui en sont issues pratiquaient une politique de "nettoyage ethnique" avec l'appui des forces armées de Khartoum. D'où, à partir de 2003, la création de deux mouvements de résistance, le Front de libération du Darfour dirigé par un avocat, Mohamed Nour, et le Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE) du docteur Ibrahim Khalil. Et une escalade de la violence qui aurait fait, selon des sources très contradictoires, entre 30 000 et 400 000 morts. L'ONU parle de 180 000 victimes, non compris les deux millions de réfugiés entassés dans des camps pris en charge par les agences de l'ONU.

Les deux mouvements ne réclament pas l'indépendance du Darfour, mais la fin de la marginalisation économique de la région, séparée entre trois provinces, et une autonomie réelle. C'est l'objet principal des négociations qui se déroulent depuis des mois sous l'égide de l'Union africaine, mais sans avoir jusqu'ici véritablement progressé.

L'implication de la communauté internationale – plusieurs milliers de soldats de l'ONU et de l'UA sont sur place – et des Américains dans un conflit qui menace de déstabiliser aujourd'hui le Tchad est la meilleure chance de parvenir à une paix véritable.

Un autre facteur encourageant est la nouvelle donne politique qui prévaut à Khartoum. La fin de la guerre civile dans le sud du Soudan – après vingt et un ans de conflit – a débouché fin septembre sur la création d'un gouvernement d'union nationale qui ne peut être indifférent à la dégradation de la situation au Darfour.

Soucieux de ne plus être considéré comme un paria par la communauté internationale, Khartoum a d'autant plus intérêt à négocier une solution au Darfour que, sur les marches orientales du Soudan, un autre foyer de dissidence existe soutenu cette fois par l'Erythrée, le pays frontalier.

La principale menace que font peser les rebelles est d'interrompre les exportations de pétrole de Port-Soudan, la principale source de devises du pays. Une seconde raffinerie doit être construite et permettre, d'ici à trois ans, un doublement des exportations de pétrole brut (300 000 barils/jour aujourd'hui). Il est donc vital pour Khartoum de ne pas perdre le contrôle de la zone. Selon certaines sources, le régime soudanais a déployé dans cette région trois fois plus de troupes qu'au Darfour.

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
La revanche de Tapie

 L a fortune semble à nouveau sourire à Bernard Tapie. Par un arrêt rendu vendredi 30 septembre, la cour d'appel de Paris lui donne raison dans ses démêlés financiers et judiciaires avec son ancienne banque. Le Consortium de réalisation (CDR), l'organisme public chargé d'assumer la gestion passée du Crédit lyonnais, est condamné à payer 135 millions d'euros à l'ancien propriétaire du groupe d'équipement sportif Adidas. L'ancien brasseur d'affaires devenu industriel, versé dans le football au point de devenir le patron de l'Olympique de Marseille, finalement sacré ministre de la ville par François Mitterrand, remporte là une victoire éclatante.

Jadis contraint à la démission, mis en examen, poursuivi, ruiné, obligé de se reconstruire une nouvelle vie de comédien – un talent que personne ne peut lui nier –, le voilà sinon ravi tout du moins solidement réconforté. Les juges lui donnent clairement et hautement raison: "Le groupe Crédit lyonnais en se portant contrepartie par personnes interposées et en n'informant pas loyalement son client n'a pas respecté les obligations de son mandat."

En l'état, l'ancien patron déchu peut jubiler. Il lui a fallu attendre presque dix ans, mais cette justice qui l'a si souvent jugé et puni pour d'innombrables délits lui donne acte, in fine, de son bon droit dans l'un des dossiers les plus lourds qui soient. Car l'affaire du Crédit lyonnais, l'une des plus abyssales banqueroutes qu'ait connues la France, restera le symbole des années fric, années Tapie pour tout dire, et la métaphore d'un socialisme de gouvernement hypnotisé par les jeux de banque et d'argent.

Mais la revanche judiciaire de Bernard Tapie ne doit pas cacher cette réalité: après avoir creusé le "trou" le plus important jamais creusé (quelque 20 milliards d'euros), le Crédit lyonnais est condamné à payer la plus importante condamnation financière prononcée dans ce pays. C'est l'aventurisme amateur de l'ex-banque nationalisée qui est ici à nouveau sévèrement sanctionné.

Si le droit est respecté, la morale le semble moins. Dans le dossier Adidas, Bernard Tapie n'a jamais été le grand patron, le stratège industriel que méritait cette entreprise. Fidèle à sa méthode et à son talent pour flairer la bonne affaire, le célèbre repreneur a tout simplement su acheter à bon compte le groupe en 1990 et le revendre dès 1992. A la tête d'Adidas, déjà en proie à de nombreux soucis financiers et aspiré par son ambition politique, M. Tapie s'est révélé comme à son ordinaire un piètre gestionnaire.

Le Crédit lyonnais, aujourd'hui condamné, l'avait aidé plus que de raison à financer l'achat, à lui trouver des solutions multiples pour se maintenir en équilibre et, finalement, lui permettre de sortir du dossier sans perdre trop de plumes. En signe de reconnaissance, M. Tapie a crié au voleur. En prime, il vient de gagner ! Une fois de plus, c'est l'Etat et les contribuables qui régleront la note permettant au mirobolant touche-à-tout de rêver à nouveau d'un brillant avenir.

Article paru dans l'édition du 02.10.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

TessadeTessa ♦ 02.10.05 | 09h58 ♦ L'éditorial du Monde est lamentable d'ambiguité.Ce n'est pas "l'aventurisme amateur de l'ex-banque nationalisée" qui est sanctionné mais les pratiques d'un établissement de l'Etat touchant des commissions secrètes sur le dos de son client, par le biais de paradis fiscaux. Autre baliverne prêchi-prêcha non fondée: que Tapie ait été ou non un grand patron ou un raider n'est pas la question soumise à la censure du tribunal. Celui-ci dit le droit, applique la loi, c'est son rôle.
Jean-Marc P. ♦ 02.10.05 | 09h46 ♦ C'est quoi Boloré c'est pas un repreneur? C'est quoi Christian Pinault, c'est pas une licencieur? C'est quoi la caisse noire du PSG? Je ne connais que Bernard Tapie qui s'est chopé toutes les accusations les unes derrière les autres, qui est passé contrairement à beaucoup d'autres devant les juges, a purgé ses peines et démontré les embrouilles. Bravo Nanar
CHRISTIAN P. ♦ 01.10.05 | 22h01 ♦ Le beau Nanard; Tapie le repreneur de Manufrance, de Terraillon, Tapie l'ephemère ministre; Tapie le President tricheur de l'OM; Tapie en prison; Tapie l'acteur... et une partie de mes impots qui va aller dans les poches de ce lascard qui a des relations et des entrées à droite comme à gauche. Pauvre démocratie, pauvre France, ne soyons pas surpris que nombre de français n'aient plus aucune confiance dans nos politiques!
mclerc ♦ 01.10.05 | 21h05 ♦ Contre B. Tapie, il n'y a rien à dire. Le coupable est F. Mitterrand qui l'a nommé minitre de la Ville lui jouant, de fait, un bien sale tour. C'est lui, et lui seul, qui est responsable de cette république de copains et de coquins. Et il y a des socialistes pour s'en réclamer encore ! On croit rêver.
Emmanuel H. ♦ 01.10.05 | 20h41 ♦ Il m'arrive parfois de sentir une rancoeur irrascible rien que de me regarder dans le mirroir et de savoir que demain je n'aurai toujours rien fait pour essayer de m'opposer à ceux qui ont fait de notre pays ce qu'il est devenu:un terrain de magouilles et grenouillages où les escrocs se condamnent, s'acquittent et s'attaquent, détournant la lois pour le seul et unique profit, sans aucune résonnance pour ce que l'histoire les jugera. Profitez car ça ne durera pas eternellement, enfin je l'espère
David L. ♦ 01.10.05 | 20h35 ♦ Ha les bienfaits d'une république bananière ! C'est les californiens qui rigolent encore de nos montages Lyonnaisque type "Executive Life". Quand je pense qu'Adidas s'est adjugé Reebok, qui l'aurait cru à peine cinq plus tôt ? La France la grande pourvoyeuse de fond, le grand redresseur de comptes des affaires foireuses ? C'est une image qui colle désormais à notre pays. En attendant, il faut désormais parler de LCL... le Crédit Lyonnais relégué aux oubliettes du grand capitalisme français.
alex m. ♦ 01.10.05 | 19h00 ♦ Bien que Mr tapie soit un raider et au lieu d'être un patron, un simple spéculateur il est normal qu'il gagne cette première étape judiciaire. Mais il est scandaleux que le contribuable paie pour une faute du Crédit lyonnais. Au Crédit lyonnais de nous montrer sa responsabilité et de payer sur ses fonds propres, ses bénéfices. Pourquoi les responsables de l'époque ne peuvent assumer...
alain sager (nogent sur oise) ♦ 01.10.05 | 18h25 ♦ Au pays des aveugles...
♦ 01.10.05 | 17h45 ♦ La justice est passée pour Bernard Tapie. Passera-t-elle pour les contribuables français ? À quand la dissolution du Crédit Lyonnais pour l'exemple (avec création d'une nouvelle banque pour reprendre le personnel) et la mise en prison des responsables (et coupables) de l'époque ? À quoi servent les établissements de ce type si c'est pour gaspiller notre argent. Je réclame ma part de remboursement.
Grichka10 ♦ 01.10.05 | 15h44 ♦ "Si le droit est respécté, la morale l'est un peu moins". Quelle drole de tournure prend cet édito. Tapie était un "raider" dans le plus pur style des années 80 et ne s'en cachait pas vraiment. Que le Crédit Lyonnais l'ait soutenu, puis trahi, c'est cela qui était profondémment immoral. Tapie n'a pas grand chose à se repprocher, ni légalement ni moralement. Il s'est fait avoir par des escrocs qui servaient l'Etat francais... Plus immoral que ca (pour l('Etat) on meurt.
espoir+et+reve ♦ 01.10.05 | 15h35 ♦ Bonjour, votre article omet le plus important: B.Tapie doit 220 M€ au cdr... donc ou se trouve le brilliant avenir???
Joel D. ♦ 01.10.05 | 15h15 ♦ Quelqu'un peut-il me signaler si un ouvrage a été écrit sur comment après 1981 ("le passage des ténèbres à la lumière" dixit l'inénarable Jack), la mitterrandie a pu en quelques années changer à ce point et se vautrer dans les années fric et paillettes? Il y a quelque chose qui m'échappe et qui m'a fait pour longtemps changer mon vote... Merci


Le Monde / Opinions
Chronique de l'économie
Et si Berlin, Paris et Rome nommaient Gordon Brown premier ministre ?, par Eric Le Boucher

 L a réunion la plus importante de la semaine vous a peut-être échappé: elle a eu lieu à Brighton, en Grande-Bretagne, où se tenait le congrès annuel du Parti travailliste. Tony Blair, leader du parti, et donc premier ministre de Sa Majesté, a confirmé qu'il ne briguerait pas un quatrième mandat, l'actuel se terminant en 2010. Mais il n'a pas caché qu'il entendait bien rester au 10, Downing Street longtemps, afin de parachever la réhabilitation des services publics.

La nouvelle n'est pas que M. Blair modernise lesdits services publics, il n'y a qu'en France qu'on l'ignore. La nouvelle est que les observateurs estiment que Tony ne lâchera son poste qu'en 2007 ou 2008 et que, de ce fait, Gordon – Gordon Brown, chancelier de l'Echiquier, qui piaffe depuis des années – devra attendre encore pour le remplacer.

Alors voilà. L'Allemagne hésite entre Merkel et Schröder, aucun des deux n'ayant séduit les électeurs. La France est entrée dans la période préélectorale avec une grosse douzaine de candidats dont aucun n'a encore présenté une vision cohérente de ce qu'il propose. L'Italie, elle, s'oriente vers des élections anticipées au printemps prochain; elles opposeront Silvio Berlusconi, qui a échoué à Rome, à Romano Prodi, qui a échoué à Bruxelles, comme président de la Commission.

L'OCCASION DE SE RACHETER

L'Angleterre, qui a une réputation européenne exécrable, a une occasion unique de se racheter: qu'elle nous prête Gordon Brown comme premier ministre conjoint, le temps qu'il attende son boulot de dans deux ans à Londres.

Le chancelier est le seul capable de donner enfin à l'Allemagne la politique macroéconomique qui lui manque, le seul qui puisse apporter enfin à la France une ligne gouvernementale qui ne soit pas dictée par le seul souci de "communication", et le seul en mesure de tracer une perspective pour l'Italie qui ne soit pas à la petite semaine. M. Brown, last but not least, pourrait, comme premier ministre unique aux trois pays, coordonner leurs politiques économiques qui souffrent aujourd'hui d'être trop séparées, trop nationales et non coopératives.

VISION OFFENSIVE

Il ne s'agit pas d'une plaisanterie. Les hommes politiques continentaux font la démonstration hebdomadaire de deux très graves lacunes qui les rendent impropres à relancer la croissance du continent: ils manquent d'une vision offensive de la mondialisation et ils manquent d'une politique macroéconomique qui cadre et facilite les fameuses "réformes structurelles". Voilà pourquoi l'Allemagne, la France et l'Italie ont un PIB végétatif et tant de difficultés sociales et électorales.

Or l'Angleterre a une doctrine du monde moderne dont on sait les deux grandes nouveautés: en interne, le besoin d'individualisme et, en externe, la mondialisation. La France, l'Allemagne et l'Italie, ayant vite repoussé les thèses du New Labour comme "trop anglo-saxonnes", sont dans l'impasse intellectuelle. Elles clament défendre leur "modèle", mais n'ont en magasin aucune doctrine sérieuse de rénovation. D'où le retour des nostalgies communistes à gauche de la gauche, qui sont ineptes mais remplissent le vide.

L'Angleterre a, en sus, un corpus économique et une pratique du gouvernement des affaires économiques bien supérieurs à ceux du continent. L'Allemagne, la France et l'Italie ont des politiques marquées par l'hésitation et le court-termisme, sans plus de cadre et sans plus de perspective longue.

En Allemagne, les "réformes" ont été engagées par le chancelier Schröder. Mais elles l'ont été sans cohérence: si elles ont permis de rétablir la compétitivité-coût de l'industrie germanique, ce fut fait aux dépens des salaires et, donc, de la consommation des ménages. Celle-ci peine, et la croissance ne repart pas. M. Schröder pendant la campagne n'a pas été clair sur ce qu'il propose pour y remédier. Angela Merkel non plus. Un jour thatchérienne, un jour rhénane, elle hésite sur la dureté nécessaire des réformes. Et elle a proposé une surprenante hausse de 2 points de la TVA qui aurait terrassé la consommation quand il faut la soutenir.

Tout cela n'est pas très neuf en Allemagne, où la politique économique a toujours été conceptuellement plus faible que la politique monétaire. Mais, aujourd'hui, l'Allemagne n'a toujours pas trouvé ce qu'elle doit conserver de son modèle et ce qu'elle doit emprunter au modèle libéral.

DÉSARROI STRATÉGIQUE

La France est dans le même désarroi stratégique. Elle n'a plus de bon ministre des finances depuis Dominique Strauss-Kahn, parti en 1999. M. Chirac attendait un retour de la croissance (à 3%) avant d'engager les réformes. Aujourd'hui, faute de les avoir faites, la croissance potentielle s'est effondrée (à moins de 2%). Dominique de Villepin multiplie la communication pour afficher son interventionnisme ("convocation" des pétroliers, des banquiers, des groupes de télécommunications, des patrons de Hewlett-Packard, et demain, qui d'autre ?), mais les effets réels sont dérisoires. Le premier ministre n'a aucune vision de la mondialisation. Il croit possible de ramener les entreprises à un comportement plus social en leur rappelant, à coups de menton, leur devoir "citoyen " et leurs racines "françaises". C'est dramatiquement sous-estimer l'âpreté du combat mondial de ces entreprises.

On attend toujours qu'il se dote d'une véritable politique économique et, corollaire, que Thierry Breton accède à l'existence ministérielle. Le budget 2006 est la preuve du vide idéologique d'un gouvernement qui pense que se débattre entre les contraintes forme une politique. Ce pseudo-volontarisme n'accouche que du non-choix, avec report des réformes, accroissement des prélèvements obligatoires et creusement de la dette.

L'Angleterre dispose de deux hommes de talent qui incarnent une solution: Tony Blair et Gordon Brown. C'est un de plus que nécessaire. Plutôt qu'ils se nuisent l'un à l'autre, mieux vaut que Sa Majesté accepte de nous en déléguer un. Le seul problème avec l'Ecossais Brown est qu'il ne sourit jamais. Ce n'est pas un marrant. Bon. Mais ça nous changera de nos comiques.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Maurice Maginot
♦ 02.10.05 | 10h53 ♦ Au lieu de faire de l'esprit avec l'écume des jours, (il était difficile d'ignorer la réunion de Brighton) voudriez-vous revoir l'histoire de la GB dans sa longue durée, nous rappeler comment elle a cultivé sa crise pendant plus d'un siècle, concentrant la plus forte densité de hooligans d'Europe? Dans ce monde ravagé, Monsieur Blair tente de restructurer sa société en restaurant les services publics... de tempérer l'égoïsme de la City en rappelant le rôle nécessaire de l'Etat. De la rigueur,SVP
treve
♦ 02.10.05 | 09h52 ♦ Parmi les très nombreux articles sur le mal français celui là compte parmi les plus iconoclastes, pas forcément parmi les plus justes. Il y a de l'intérêt à s'inspirer de la réussite des autres mais l'exercice comporte une limite: importation n'est pas raison. La France a besoin de réformes structurelles soit. Mais on ne change pas un pays colbertiste depuis des siècles en 5 ans. Nos syndicats sont autant d'autant plus idéologiques qu'ils sont faibles et notre pays a peur...de "l'étranger"
XF
♦ 02.10.05 | 09h41 ♦ je comprends le dépit de mclerc, car j'ai aussi monté des entreprises en France, et notamment dans le textile où se faire payer n'est pas un vain mot. S'il existe en France des sociétés d'affacturage depuis plusieurs années, ce qui aurait peut être pu régler son problème, en réalité celles ci ne prennent aucun risque et ne couvrent que les bons clients. Faire du business en France est dur car au fond personne ne veut plus prendre de risque, et surtout pas les banques...
mclerc
♦ 02.10.05 | 09h08 ♦ Il serait facile de créer des entreprises en France: il suffirait de prendre le système anglo-saxon. J'avais créé une entreprise. J'avais vingt ans d'avance en imprimerie. Mais j'ai fini par jeter l'éponge. J'ai passé mon temps à essayer de me faire payer. Pendant ce temps mes types croulaient sous le boulot. Aux States, je me serais contenté d'envoyer mes factures à ma banque qui se serait fait payer par les banques de mes clients et aurait retenu 1% au passage. Sans commentaires.
XF
♦ 02.10.05 | 09h08 ♦ Sur Arte une émission expliquait que la communication politique a été réduite à de la publicité. Les média en portent une lourde responsabilité. Programmer une émission politique sur une grande chaîne de TV à 20h30 est un suicide. Un autre phénomène est notre classe politique, qui ne sait pas se renouveler. Les politiciens s'accrochent et acceptent n'importe quoi pour se faire remarquer. Comme rien ne permet de faire le tri et de recycler les perdants, notre démocratie dépérit.
bourneville
♦ 02.10.05 | 08h51 ♦ comment M Le Boucher explique-t-il les résultats actuels de l'Economie anglaise et sa croissance de plus en plus faible à l'Allemande..., la politique d'augmentation des impots, la creation massive d'emplois par la fonction publique et la création de 2,5 millions de "inaptes aux travails: lit-il Le Monde ?
Azo
♦ 02.10.05 | 08h41 ♦ Le jour où l'opinion publique francaise aura compris que les services publics s'ameliorent au Royaume Uni tandis qu'ils se desagregent en France. On pourra alors commencer a esperer un dialogue constructif sur les choix britanniques des 10 dernieres annees. Et sur la notion de bonne gouvernance selon le New Labour, et de son equilibre budgetaire impose par Gordon Brown. DSK j'en suis sur, s'est interesse a cette question.
paletuviers
♦ 02.10.05 | 08h27 ♦ DSK un bon ministre des finances?
bouge
♦ 02.10.05 | 05h57 ♦ Si seulement c'etait possible. On pourrait enfin acceder a l'ere de l'apres guerre froide en France, Allemagne et Italie. Car le modele de ces trois pays etait certes adapte aux enjeux de l'apres 1945, mais ne l'est plus a l'ere de la mondialisation, de la puissance asiatique et de la fin de l'ere industrielle ouvriere en Europe. Le modele politique, economique et meme l`idee de la nation sont aujour d'hui inadaptes aux enjeux du monde. Si la reforme est impossible, alors quittez le pays.


♦ 02.10.05 | 02h57 ♦ DSK est velléitaire sinon ambigu...seul JM Bockel au PS propose un social-libéralisme de courage à l'écart de la démagogie "on rase gratis" ambiante depuis 25 ans dans ce pays du mitterrandisme au chiraquisme... le principal enjeu de 2007 est si Sarkozy seul candidat en apparence crédible sur le thème de la "rupture" sera à même de concevoir proposer puis appliquer un programme radical et concret à mettre en oeuvre rapidement pour restaurer la crédibilité de la France entamée en tous points...
suprême
♦ 02.10.05 | 02h30 ♦ Gordon Brown trouve normal que Rover et Hewlett licencient massivement,que le Royaume-Uni soit dans le conseil de l'euro, mais se dispense de participer à l'effort commun, que les pauvres pays de l'est financent le rabais britannique, que deux millions de personnes pointent malades, que la croissance qu'il estime à 3% ne soit qu'à la moitié, que l'innovation soit louée, mais que les emplois créés le soient dans les services de bas étages, que l'immobilier flambe. Quel rapport avec DSK?
KATHERINE T.
♦ 02.10.05 | 02h00 ♦ Affligeant ! Les remèdes contre le marasme économique qui sévit depuis 30 ans: individualisme et mondialisation... Précisément les causes essentielles de ce gâchis. Quand les Diafoirus cesseront-ils d'imposer ces purges et saignées néolibérales ? Le malade meurt guéri... Eric Le Boucher devrait explorer en Grande-Bretagne le monde des "working poors"... qui n'ont rien à envier aux nôtres ! Pas fréquentables pour les "bo-bo", sans doute.
juanpablo
♦ 02.10.05 | 01h16 ♦ Que dire alors des dizaines de milliers d'Anglais qui s'installent en France, et notamment dans le Sud-Ouest ? Est-ce un signe du déclin anglais ?
Eric A.
♦ 01.10.05 | 23h57 ♦ Bravo ! Et vivement un vrai virage libéral en France.
conscious
♦ 01.10.05 | 23h55 ♦ Je ne pense pas que le rôle de la France, feu pays des lumières, soit de s'engager dans cette "guerre" décrite par cet ELB stressé. Pourquoi jouer les moutons et chercher une "croissance" inutile, tel un cancer. Nous savons que les formes de vie qui réussisent sont celles en équilibre avec leur milieu. ELB est dans le faux et l'illusion de savoir ce qui est la bonne voie. Quand considérera-t-on enfin une croissance 0 comme une bonne nouvelle? Trop avant-gardiste ok. Un scientifique 1er ministre?
emmanuel G.
♦ 01.10.05 | 22h37 ♦ Un article affligeant pour un journal en passe de doubler Le Figaro sur sa droite. Navrant et déconcertant!
asics07
♦ 01.10.05 | 22h36 ♦ Facile de critiquer! Les râleurs français se foutent de la gueule des gouvernants. Les bouffons de la télé en rajoutent,font du blé sur le dos des dirigeants. Facile! Ce travail de sape super-efficace donne le syndrome Matignon. Démoli à petit feu, disséqué tout vif, le locataire est vite bon à jeter, raffariné. Mais ces critiqueurs seraient bien incapables de faire aussi bien (mieux, n'en parlons pas). Voir le traité européen, démoli par un plan B = bobard du siècle. Et si on construisait ?
Apion
♦ 01.10.05 | 22h32 ♦ Quelle bonne idée! Laissons-nous en outre troquer Gordon Brown contre George Bush. Alors le premier pourrait arranger la diplomatie transatlantique, tandis que le dernier ferait au Royaume-Uni la même métamorphose étonnante de la dette publique que nous voyons aux Etats-Unis.
David L.
♦ 01.10.05 | 22h17 ♦ Le problème est bien plus profond que ne le dénonce avec une pincée d'humour, EBL. Le Royaume-Uni nous devance depuis 1997. Et, lorsque j'étais à Londres, justement en 97, il y avait déjà 200 000 français. La grande crise de notre pays ne remonte pas à DSK pas même à Chichi, mais à... VGE ! Et ce n'est pas tant le fait de nos politiques ou de la mentalité de nos concitoyens... mais du manque de management à l'anglo-saxonne. Le secteur privé français est sclérosé.
jackoz
♦ 01.10.05 | 21h46 ♦ Je suis tout a fait daccord avec ELB. On a des dirigeants qu'on merite, il n'y a qu'a voir vos reactions. Un pays avec autant de bloquages et un syteme en ruine, un pays dont le premier ministre parle de patriotisme economique en 2005, n'est pas bien place pour critiquer les anglais..Rien que les 300000 francais en Angleterre en dit long sur l'echec de votre systeme..c'est connu en France on aime pas le succes, c'est devenu le pays des loosers.
johann-sutter
♦ 01.10.05 | 21h18 ♦ 30 ans de croissance molle, et 20 ans de chômage massif dont beaucoup ont renoncé à croire que notre pays pût encore le guérir. L'article d'ELB est provocateur, c'est vrai, mais il a le mérite de mettre le doigt là où ça fait mal: le Royaume-Uni, naguère moqué pour ses médiocres performances économiques, devance désormais la France en termes de richesse par tête, d'emploi et de productivité. Pendant ce temps, nos élites au gouvernement se complaisent dans la politique-spectacle. C'est navrant.
David L.
♦ 01.10.05 | 21h01 ♦ DSK "bon ministre des finances" ? C'est flagrant comme nos hommes politiques brillent par leur manque de substance... Mais rien de plus normal dans le pays du management à la française. Quel est le dénominateur commun entre un Greenspan et un Brown ? D'abord, c'est qu'ils assument leur choix (parcequ'il en font eux des orientations économiques !). Ensuite c'est leur orientation libérale. A ce titre, le dernier bon ministre de l'économie que nous ayons eu est Raymond Barre.
Sue
♦ 01.10.05 | 20h06 ♦ D'où vient le postmodernisme de M.Giddens et de M. Blair? De France cher Monsieur, car après avoir traversé l'Atlantique, être allé à l'université de Chicago puis en Californie, il fut repris par la Grande Bretagne en chemin.Dire que les Français n'ont pas une vision mondialiste alors qu'ils ont contribué à créer cette philosophie qui réfléchit sur les illusions de la modernité est un comble! Bien sûr elle est enseignée dans nos bonnes vieilles Facultés et non à Sc.Po ou à l'ENA.
bazooka-jones
♦ 01.10.05 | 18h41 ♦ La conjecture originale vient me semble-t-il d'ailleurs:Merkel en Allemagne a donné le ton. En France les candidatures féminines éclosent Royal, Alliot-Marie, Buffet, l'indéboulonnable Laguiller. Osons imaginer un scrutin pour élire une femme président (Même le vieux cacique de Le Pen cède la place à sa fille Marine)en 2007 ! Les machos de tous bords qui nous gouvernent s'en étranglent déjà.
68Soul
♦ 01.10.05 | 18h02 ♦ Un peu de comique alors, Mr Brown pourrait aussi prendre avec lui le pétrole de la Mer du Nord, les îles paradis fiscaux, les milliardaires russes en exil et la bulle immobilière... et pourquoi pas, la livre sterling? Qu'on retrouve un instrument de politique nationale, pour changer... sinon, comme 90% des créations d'emploi sous son "règne" l'ont été dans le public, nous ne serons finalement pas si dépaysés... en sortant des milliers de gens du chômage pour invalidité, tout sera dit... ineptie?
Awerle
♦ 01.10.05 | 17h55 ♦ Dans son anglomanie persistante ELB perd de vue que les succès(relatifs)de l’entreprise UK tiennent plus à sa position sur le marché de l’énergie et à sa bulle financière qu’à sa dynamique industrielle.Attribuer ces succès au talent de ses dirigeants c’est donner dans la Communication qu’on semble vouloir dénoncer chez les nôtres (« politique héroïque » des temps modernes).Piloter des évolutions sur des courbes à grand rayon est moins grandiose mais le seul moyen de ne pas déstabiliser lourdement notre société.L’épithète « comique » est à manier avec prudence-comme les boomerangs.
gérard B.
♦ 01.10.05 | 17h41 ♦ MMMMM ! Un très bon cru que ce ELB du 1/10!! Il y a peut être un peu de surestimation des réussites au Royaume-Uni, mais ça fait du bien d'entendre un autre discours sur le blairisme que "c'est un faux travailliste, un cryptothatcheroreaganien, un ultralibéral". Saluons au passage le combat héroïque et desespéré de l'unique socialiste blairiste de chez nous: JM Bockel, rêvons d'un retour de DSK sans trop y croire, et, si un autre monde (plus ouvert) est possible, oui, bienvenue à Gordon Brown!
zatoichi
♦ 01.10.05 | 16h18 ♦ Ah, Eric se lache... Eh bien, puisque ce qu'il propose n'est pas possible, commencons par mettre DSK a la tete de notre beau pays en 2007, 8 ans apres son tragique depart de Bercy...
mouloud
♦ 01.10.05 | 16h08 ♦ Eric Le Boucher, qui semble croire qu'en politique tout est affaire de technique (libérale, of course), sait-il ce qu'est la démocratie ? Peut-être. Aime-t-il la démocratie ? Pas sûr...
MARIE THERESE J.
♦ 01.10.05 | 16h01 ♦ Et si Eric Le Boucher, désireux de rejoindre en cette vie le paradis (libéral) anglo-saxon, rejoignait le Financial Times, et laissait les (archaïques) lecteurs du Monde en paix ? PS: il ne s'agit pas d'une plaisanterie...


Le Monde / Europe
Angela Merkel compte sur la législative partielle de Dresde pour confirmer sa fragile victoire
BERLIN de notre correspondant

 A u soir du dimanche 2 octobre, Angela Merkel, la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) allemande, devrait pouvoir souffler. En dépit d'un mode de scrutin compliqué et du comportement imprévisible des électeurs qui s'est manifesté lors des législatives du 18 septembre, l'opposition conservatrice devrait, en principe, préserver sa mince avance lors de l'élection partielle de Dresde. La mort d'une candidate d'extrême droite dans cette circonscription de l'est du pays avait provoqué une prolongation de quinze jours de la campagne électorale dans cette ville. Les ténors politiques s'y sont succédé pour tenter de faire pencher la balance en leur faveur, alors que la CDU, avec son parti-frère bavarois (CSU), n'a que trois sièges d'avance au Bundestag sur le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier sortant Gerhard Schröder.

S'il se maintient bien, ce léger avantage à l'opposition conservatrice, qui devrait lui permettre de revendiquer plus vigoureusement le poste de chef du gouvernement, ne constitue pas pour autant un succès personnel pour sa tête de liste. Il y a trois mois encore, la CDU-CSU flirtait avec la majorité absolue dans les sondages. "L'effet Merkel" n'aura pas fonctionné comme on l'espérait à droite. Diverses études l'ont montré depuis le 18 septembre, sa personnalité, son style et la campagne qu'elle a menée n'ont guère convaincu. Cela explique, avec la crainte des Allemands de voir la droite saper leurs acquis sociaux, le faible résultat des conservateurs (35,2%).

Le plus étonnant dans cette affaire est l'attitude des électrices. On aurait pu les imaginer enthousiasmées à l'idée de voir enfin une femme occuper la chancellerie dans un pays où la parité n'est pas de mise, tant dans la classe politique que dans le monde du travail. Elles se sont plutôt détournées de Mme Merkel, lui préférant souvent Gerhard Schröder, le charmeur volontiers macho. Seulement 35% d'entre elles ont voté pour la CDU-CSU, soit deux points de moins qu'en 2002, lorsque ce parti avait pour tête de liste un homme au profil pourtant fort conservateur, le Bavarois Edmund Stoiber.

Dans l'ex-République démocratique allemande, où Mme Merkel a passé la plus grande partie de sa vie, seule une femme sur cinq a voté pour elle. Au niveau national, les électrices âgées de 30 à 44 ans ont particulièrement désavoué son parti. Au lieu de prendre fait et cause pour une des leurs, les femmes en général "se sont davantage intéressées au contenu" du programme qu'elle leur présentait, ce qui l'a plutôt desservie, note l'hebdomadaire Der Spiegel . La CDU-CSU n'a accordé qu'une place limitée aux thèmes qui auraient pu emporter l'adhésion des électrices.

Le parfum traditionaliste entourant cette formation politique est au contraire sorti renforcé par l'irruption dans la campagne électorale de celui qui devait être le joker de Mme Merkel. En principe chargé du dossier fiscal et des finances dans son équipe, Paul Kirchhof, un catholique et professeur d'université, a dû répondre de sa conception de la famille, l'entité où, selon lui, la femme est la mieux à même de "faire carrière".

Plutôt réservée de nature et froide d'apparence, Mme Merkel, âgée de 51 ans, n'a pas non plus cherché à user de son image de femme dans sa campagne. Ce n'est que sur le tard que, incitée en cela par la mouvance féministe, elle a commencé à se profiler sur ce créneau dans les médias. Lors du débat télévisé l'ayant opposée à M. Schröder, elle a insisté sur son bilan d'ancienne ministre de la femme et de la famille. Cela n'a pas suffit à la rendre plus crédible auprès de l'électorat visé.

Ces derniers jours, toutefois, deux groupes de femmes plus ou moins connues ont lancé des appels publics à soutenir Mme Merkel, alors que M. Schröder continue à lui disputer le droit de diriger le futur gouvernement, bien que le SPD (34,3% des voix) soit arrivé derrière la CDU-CSU. La clôture définitive du scrutin, dimanche à Dresde, pourrait toutefois permettre de débloquer la situation et de faciliter les pourparlers en vue de la formation d'une "grande coalition" entre ces deux partis, déjà expérimentée à la fin des années 1960.

Selon une étude publiée par l'hebdomadaire Stern, des électeurs masculins conservateurs ont préféré, au dernier moment, voter en faveur de M. Schröder pour éviter l'arrivée d'une femme divorcée et sans enfant à la tête du pays. Ce genre de comportement irrationnel devant l'urne expliquerait en partie pourquoi tous les instituts de sondage allemands n'ont pas su anticiper le piètre résultat de la CDU-CSU le 18 septembre. Le fait est qu'à 61 ans, le chancelier sortant demeure plus populaire que sa rivale.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / Horizons
Enquête
Survivre au suicide d'un enfant

Chaque année en France, 600 personnes de moins de 24 ans mettent fin à leurs jours. | Dessin de Rita Mercedes
Dessin de Rita Mercedes
Chaque année en France, 600 personnes de moins de 24 ans mettent fin à leurs jours.

 L e départ de Solène, ce fut d'abord ce froid qui réveilla sa mère vers 6 heures du matin, le lundi 15 janvier 2001. La fenêtre de la cuisine était ouverte dans l'appartement de Massy-Palaiseau. En bas, sur le trottoir, les pompiers s'affairaient autour d'une personne étendue. "Là, j'ai réalisé. J'ai couru jusqu'à sa chambre. Le lit était vide. Je suis revenue à la fenêtre et je l'ai reconnue, son front bombé, ses grands cheveux et cette tache autour de la tête. J'ai hurlé: "C'est ma fille ! " Les policiers sont montés quatre à quatre et m'ont empêchée de sortir. Ils ont demandé une escorte pour l'hôpital du Kremlin-Bicêtre et ont ensuite annulé leur demande. Le médecin est venu un peu plus tard et m'a dit: "Je n'ai pas réussi à la ranimer." Je ne comprenais pas, je lui posais des questions et il m'a finalement dit: "Elle est morte"."

Deux jours avant ses 21 ans, Solène a réglé son réveil sur 4 h 30 pour se suicider. "J'emmerd e tout le monde", se reprochait-elle. Elle s'est éclipsée comme elle avait vécu, discrètement. Elle n'a pas convoqué ses amis, comme l'ont fait, le 23 septembre, les deux adolescentes de 14 ans liées l'une à l'autre pour se jeter d'un 17e étage à Ivry-sur-Seine. Au moins cette mise en scène macabre aura-t-elle attiré l'attention du grand public sur les drames silencieux qui se nouent dans le secret des familles.

Chaque année, plus de 10 000 personnes mettent fin à leurs jours en France; 2 000 ont moins de 34 ans, 600 moins de 24. Dans cette catégorie d'âge, le suicide est la deuxième cause de mortalité, après les accidents de voiture. Le nombre de décès diminue légèrement depuis 1986.

L'amélioration des techniques d'urgence explique en partie cette baisse. "Nous intervenons plus vite et mieux", affirme Jean-Yves Bassetti, médecin colonel des pompiers. Selon lui, les médicaments ont aussi une toxicité moindre, même utilisés à haute dose. Dans l'Aude, où il travaille, M. Bassetti assure qu'il ne se passe pas une journée sans qu'une équipe soit appelée pour de tels cas. Les tentatives de suicide grimpent en flèche, surtout chez les jeunes. Le chiffre officiel, 50 000 chez les moins de 24 ans, semble au-dessous de la réalité. Selon une étude épidémiologique conduite en Gironde en 2001, 7% des élèves affirment avoir effectué une tentative qui, dans 9 cas sur 10, n'a fait l'objet d'aucun suivi. Le passage à l'acte est, en outre, de plus en plus précoce. En 2000, un enfant de moins de 10 ans s'est donné la mort.

La mère de Solène sort la photo d'une jeune fille superbe, posant à la manière des studios Harcourt. Elle brosse le portrait d'un être romantique qui aimait le piano et la littérature. Au cliché à l'eau de rose, s'oppose la noirceur d'une "inexorable régression ". Une première tentative de suicide à 15 ans, suivie de trois autres, toujours avec des médicaments; une cinquième, au cutter. Et puis la dernière. Elle raconte les services d'urgence, les instituts spécialisés, l'hôpital psychiatrique de jour, les excuses, après les tentatives: "J'aurais voulu t'éviter ça." L'appréhension chaque matin quand la fille partait pour prendre le RER. La pantomime du bonheur familial: "Maman, ne fais pas semblant d'être gaie." "Ma fille n'a pas choisi de mourir, insiste la mère. Elle a choisi de ne pas vivre."

Elle dépeint "des parents abandonnés à eux-mêmes", plongés dans une immense solitude. Les amis qui s'éloignent, "parce qu'on ne peut passer son temps à remonter le moral", ou qu'on éloigne, parce qu'on n'a plus rien en commun. Et puis les réflexions, absurdes – "c'est mieux comme ça" – ou abjectes – "on devrait euthanasier les dépressifs." La mère de Solène exprime sa colère contre une société qui n'a pas totalement levé le tabou sur le suicide. On n'en est plus à refuser les obsèques religieuses aux morts outrageants. Mais les mentalités sont encore dans le déni. Ainsi ce professeur de Solène, prenant à témoin une autre élève, atteinte d'un cancer: "Elle, au moins, elle se bat."

"Preuve qu'il y a toujours les maladies nobles et les maladies honteuses", constate la mère. Egalement professeur, celle-ci s'est vu refuser un transfert loin des salles de classe. "Ils n'ont pas voulu comprendre ce que c'est pour moi que de me retrouver face à des jeunes qui ont des projets, un avenir." Et de poursuivre: "S'il est une phrase que je ne peux plus entendre, c'est: "La vie continue"."

Marie-Claude Dacquin a également cette idée en horreur. "Ce n'est plus la vie, c'est la survie. La perte d'un enfant, quelle qu'en soit la cause, fait basculer les parents dans un autre monde. Si c'est un suicide, on est dans le domaine de l'inacceptable. Pour moi, le temps s'est figé en 2000, et tout est brouillé depuis." C'était le 15 novembre. Après avoir fait le ménage, détruit tout ce qu'elle avait écrit sur ordinateur, laissé en évidence sur la table la montre que sa mère lui avait offerte et un "petit mot d'amour", Olivia s'est jetée par le Velux de son studio parisien.

Depuis, la mère est habitée par une double souffrance, "la mienne et celle d'Olivia, que j'ai absorbée". Chaque nuit, elle enfile le tee-shirt que portait sa fille le jour de sa mort. Elle oscille en permanence entre "des moments d'hyperactivité et un désespoir profond. Quand la douleur atteint des pics intolérables, je me calfeutre chez moi, dans mon terrier, je me mets sous la couette et j'attends". Comme dans beaucoup de cas, son couple a été balayé. La cellule familiale a explosé, les réunions étant devenues impossibles en raison de l'absence.

Mme Dacquin se "passe en boucle " le film des cinq années qui ont suivi la première tentative de sa "Minette". "Je décortique tout, je me dis que, tel jour, elle a voulu me dire ça et que je suis passée à côté, que, telle fois, je l'ai interrompue alors qu'elle voulait peut-être me confier quelque chose." "Tu ne peux pas comprendre ", lança un jour Olivia à sa mère, qui quémandait une explication. Plus tard, elle apprendra que sa fille parlait à son cheval...

La majorité des suicides surviennent au domicile familial, renforçant la culpabilité qui torture les parents, et que la société les laisse assumer seuls. Les "histoires de famille" ne sont pourtant pas toujours à l'origine du geste fatal. Ainsi, cette mère qui découvrit trop tard que sa fille avait été victime d'une agression sexuelle à 12 ans. "A partir de là, ce fut la mort lente", confie-t-elle. Le cas n'est pas isolé. D'autres enfants, trop sensibles, préfèrent fuir un monde violent où ils estiment ne pas avoir de place.

"Je suis parti voir si le paradis existe. Si c'est bien, je te ferai signe", a écrit Nicolas à sa mère, Véronique Ferrand, avant de se jeter sous un train, le 25 mars 2004, près de Bar-le-Duc (Meuse). Il avait 19 ans. Avant l'ultime voyage, Nicolas avait écouté un disque de Genesis, le groupe favori de son père. Véronique raconte comment le fils a "doucement glissé", après la mort de ce dernier quatre ans plus tôt. Atteint d'une leucémie, le père avait agonisé plusieurs mois sur le canapé blanc du salon. Le matin de sa mort, Nicolas avait oublié d'embrasser le malade avant de partir à l'école. Il ne l'a plus revu vivant. Pendant deux ans, Nicolas a refusé de "parler de ça" et a renoncé à la pêche, qu'il pratiquait jusque-là avec son père. En 2003, il fugue 48 heures à Paris pour aller "attendre son père". Puis il se met à fumer, "pour avoir comme lui un cancer". Peu après, il introduit des tessons de verre dans ses chaussures, pour reproduire les mêmes escarres.

S'ensuivent deux périodes d'internement, dans un centre fermé, au milieu de malades atteints de pathologies lourdes. A l'entrée, on fouille les visiteurs. "On dirait "Vol au-dessus d'un nid de coucou", m'man", se plaint Nicolas. Les médicaments le font grossir. Il se persuade à la longue qu'il est "fou". Après sa première tentative, en 2003, les filles se détournent de lui. "Tu es un tocard", lui lance l'une d'elles. "Vaut mieux que je sois mort, conclut Nicolas. Je serai avec papa." Sa mère l'écrira ainsi dans l'avis de décès paru dans L'Est républicain: "Nicolas a décidé de rejoindre son père." On le lui reprochera. "Il paraît que ça ne se fait pas" de révéler publiquement le suicide d'un fils.

Mme Ferrand dénonce à présent un système psychiatrique qui n'a pas su comprendre la douleur de son enfant. Dossier médical en main, elle assure qu'"à aucun moment n'a été pris en compte le deuil pathologique du père". Elle décrit la "lobotomie médicamenteuse" subie par son fils à grand renfort d'hypnotiques et de neuroleptiques, jusqu'à le rendre incapable d'une érection. "Les médicaments éteignaient la flamme au lieu de la rallumer." Elle dénonce l'isolement, l'"absence d'écoute", "le manque d'humilité des psys", leur volonté de la tenir à l'écart. Elle raconte ses tentatives infructueuses pour décrocher des rendez-vous avec les médecins, pour trouver une structure mieux adaptée.

D'autres parents partagent le même sentiment de révolte face à une institution débordée qui n'a pas pu, pas su sauver leurs enfants. Certains ont même porté l'affaire en justice, parfois avec succès. "La réponse des médecins est pharmaceutique, mais c'est un pansement de l'âme", estime Marie-Claude Dacquin. Christian Beaubernard, docteur d'Etat et neurophysiologiste, coauteur de deux guides sur la prévention du suicide, n'est pas loin de souscrire à cette idée. "Plus on vend d'antidépresseurs, plus il y a de suicides, explique-t-il. La réponse apportée est souvent en deçà de la souffrance d'un enfant. Il faut une présence, un soutien et surtout beaucoup de temps. On peut alors obtenir des résultats fantastiques."

"Finalement, qu'est-ce qu'on connaît de ses propres enfants ?", interroge Thérèse Hannier. Elle montre deux photos, un enfant rieur, puis celle d'un adolescent à la mèche rebelle. A 18 ans, en 1984, son fils, Jean-Alain, a mis fin à ses jours en laissant un message: "Je ne pense pas avoir été aussi beau et séduisant que ce soir. Ce qui va se passer sera fantastique car unique. A bon entendeur. Salut." Pour la mère, ce sera l'abîme jusqu'à la naissance d'une fille qui la "tournera vers la vie, irrésistiblement".

En 1991, Mme Hannier a créé l'association Phare, avec un double objectif: accompagner les familles endeuillées et aider les adolescents en difficulté et leurs parents. La structure a un numéro d'appel, le 0810-810-987. Elle organise chaque mois des groupes de parole. Phare s'est également lancée dans le combat contre la banalisation du cannabis, dont l'effet désinhibant favorise à ses yeux le passage à l'acte.

D'autres associations réunies au sein de l'Union nationale de la prévention du suicide (UNPS) organisent chaque 5 février une journée nationale. Avec le soutien de spécialistes, comme les psychiatres Olivier Pommereau et Philippe Jeammet, ces bénévoles parviennent à sensibiliser. En 1998, des "recommandations sur la prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide" ont été édictées. Des structures spécialisées se développent. Une "conférence de consensus sur les effets et conséquences du suicide sur l'entourage" est en gestation à l'intention des parents. "Les mentalités changent", se réjouit Mme Hannier.

Il fut un temps, pas si lointain, où l'on renvoyait simplement les gens chez eux après un lavage d'estomac. Où l'on recousait à vif des plaies de poignet tailladé, le médecin disant: "Comme ça, tu ne recommenceras plus." Après un suicide sous un train, on a même vu une famille recevoir les affaires du disparu dans un sac poubelle où manquait une chaussure. Policiers et urgentistes ont souvent appris, par empirisme, à trouver les mots, et à interdire la scène aux familles.

Reste cette indicible souffrance qui conduit parfois les parents à nourrir à leur tour des idées morbides. "Je me suis demandé pourquoi on vit, à quoi ça sert, admet la mère de Solène. Parfois, je me dissocie. Je parle à quelqu'un et je vois sa tête, là, en bas." Sur le trottoir, la tache s'est effacée depuis longtemps. Un brave gardien a confié à la mère qu'il avait "mis du sel pour que ça parte plus vite". Et il a ajouté: "Vous savez, elle avait le visage d'un ange."

Benoît Hopquin (Dessin Rita Mercedes)
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / Une
Le ventre de "une"
Du nouveau sur les nazis et la bombe
ROME de notre correspondant

 L e scoop de l'ancien journaliste est une bombe à retardement. Dans le premier tome de ses Mémoires, publié vendredi 30 septembre en Italie, Luigi Romersa, 88 ans, raconte comment, le 12 octobre 1944, sur une base secrète de l'armée allemande, il a assisté à ce qui s'apparente à un essai nucléaire. Son témoignage vient renforcer la thèse défendue récemment par l'historien berlinois Rainer Karish, selon lequel les travaux des nazis sur la bombe atomique étaient beaucoup plus avancés qu'on ne l'a dit.

Le reporter, qui s'illustrera après la guerre sur tous les conflits pour l'hebdomadaire Tempo, a 27 ans à l'époque. Il est correspondant de guerre pour le Corriere della sera. S'il peut réaliser une longue enquête au coeur de l'Allemagne nazie, là où sont conçues – – c'est le titre de son livre – – "les armes secrètes d'Hitler", c'est qu'il a en poche deux lettres de recommandation de Mussolini, qui l'a convoqué à Salo. Il veut en savoir plus sur cette "bombe capable de renverser le cours de la guerre", à laquelle Hitler a fait allusion lors de leur dernière rencontre au château de Klessheim, en avril 1944. L'une des lettres est destinée à Goebbels, l'autre au Führer lui-même.

Fort de ce double sésame, le journaliste est reçu sur la fameuse base de Peenemünde, au bord de la Baltique, où quelques douzaines de scientifiques travaillent sous la direction de Wernher von Braun, le père des V2, puis de l'aventure spatiale américaine. Sur l'île de Rügen, le journaliste est conduit dans un bunker "situé à plusieurs kilomètres du lieu de l'explosion". Il décrit "un grondement qui fait vibrer les parois du refuge, suivi d'une lueur aveuglante, tandis qu'un dense rideau de fumée se répand sur la campagne". Le bunker est "englouti", puis c'est le silence. Les officiers conseillent de patienter plusieurs heures avant de sortir "parce que la bombe, en explosant, émet des radiations qui peuvent créer des dommages sérieux". Romersa voit ensuite arriver "d'étranges scaphandriers". Lui-même doit revêtir une combinaison et des bottes blanches, "peut-être en amiante".

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire ces révélations ? Le vieil homme, dernier témoin vivant de cette explosion, certifie qu'il a écrit l'histoire pour l'hebdomadaire Oggi, dans les années 1950. Personne n'y a cru.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / Opinions
Chronique du médiateur
Lettres en souffrance, par Robert Solé

 U ne lettre un peu amère, postée de Hyon (Belgique). "Le 8 septembre, m'écrit P. Gosselain, je vous envoyais une réaction à un article de Frédéric Edelmann sur l'innovation architecturale. Je m'interroge sur la raison pour laquelle mon texte n'a pas été retenu pour le Courrier des lecteurs, alors que depuis son envoi, il y a deux semaines, quelque quarante textes ont été publiés. Si nombre d'entre eux soulevaient des questions intéressantes voire importantes, d'autres mettaient l'accent sur des faits accessoires. Voudriez-vous avoir l'amabilité de me dire sur quels critères reposent vos décisions ? En l'occurrence, le fait de contester l'opinion émise par un journaliste chevronné de votre maison est-il un critère de rejet ?"

A cette dernière question, la réponse est évidemment non. Nul n'est infaillible (pas même le médiateur...) et nul n'échappe à la critique. Certaines lettres ­ virulentes, injurieuses ou développant des idées inexactes ­ ne sont pas publiées parce qu'elles appelleraient une réponse de la rédaction. Or, Le Monde a pris la bonne habitude de laisser le dernier mot au lecteur, au lieu de commenter en quelques lignes assassines les courriers accueillis dans ses colonnes...

La lettre de M. Gosselain, qui exposait des idées intéressantes sur un ton serein, ne posait pas ce problème. Elle avait seulement l'inconvénient d'être beaucoup trop longue (plus de 20 000 signes) et de répondre à un article qui datait du 12 juillet. Délai excessif pour un quotidien, malgré la parenthèse de l'été.

Sur les centaines de lettres qui nous parviennent chaque semaine, moins d'une trentaine peuvent trouver place dans le Courrier des lecteurs. On privilégie les textes originaux, stimulants, qui ne répètent pas des propos écrits dans le journal, ou qui s'en démarquent ­ d'où leur tonalité souvent critique. La clarté, la concision et l'humour jouent en leur faveur, tout comme l'émotion contenue dans un témoignage ou la précision d'une expertise.

Il y a quelques jours, plusieurs lecteurs se sont empressés de dénoncer une initiative de M. Sarkozy sur Internet. C'est Pascal Loewenguth, de Bambiderstroff (Moselle), qui a su le mieux retenir notre attention: "Ce matin, entre un courriel m'informant d'une promotion exceptionnelle sur des petites pilules bleues et un autre d'une certaine Sandra, qui ­ paraît-il ­ s'expose toute nue devant sa Webcam, je suis tombé sur un charmant message de notre petit Iznogoud à nous, je veux parler du président de l'UMP. Celui-ci m'annonce fièrement qu'il a élaboré un projet pour 2007 et me demande très gentiment d'y apporter ma contribution. Fort bien. Je lui ai donc immédiatement répondu qu'à mon humble avis il serait plus que temps de s'attaquer enfin au problème des courriers non sollicités sur Internet."

Sur un sujet plus grave, le choix est moins aisé. Le Monde du 14 septembre a consacré plusieurs articles à "l'humiliation des élèves qui perdure dans le système scolaire français" . Ce dossier se fondait sur l'étude d'un sociologue, Pierre Merle, et était appuyé par une interview de Philippe Meirieu, professeur en sciences de l'éducation.

Des enseignants ont réagi. En 2005, vous auriez été plus inspirés de vous pencher sur l'humiliation des professeurs, écrit en substance Claire Simon (courriel). Pablo Moyal, agrégé de lettres classiques au lycée Val-de-Durance à Pertuis (Vaucluse), a choisi, lui, l'humour acide, conseillant au Monde de dénoncer, "avec le même courage et de manière tout aussi judicieuse, les enseignants assassins, les profs pédérastes, les violeurs dans le secondaire..." .

C'est la lettre de deux professeurs de lettres, Mireille Grange (Nord) et Michel Leroux (Isère), qui devait être retenue pour le Courrier: "Les deux pages du Monde, écrivaient-ils, nous éclairent moins sur notre école que sur les sociologues qui l'observent. Après "l'ennui" des enfants (en vogue depuis 1998), voici qu'il est question de leur "humiliation". Est-il bien scientifique, sous prétexte que des enseignants manqueraient de délicatesse, de présenter ce problème comme une vérité générale ? Comment peut-on honnêtement oublier que la plus grande humiliation consiste à mettre un élève dans la situation de ne pas maîtriser la lecture à l'âge de 11 ans, condition réservée à 20% de nos collégiens ?"

Le dossier du Monde exposait différents points de vue, mais, par son ampleur et sa tonalité, donnait du crédit à l'étude du sociologue. Il n'en a pas été de même dans le numéro du 23 septembre avec le rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui recommandait le dépistage systématique, dès l'âge de 36 mois, des troubles de conduite chez l'enfant, pour en assurer la prise en charge précoce. Le journal en a fait un gros titre de première page ("Les enfants turbulents relèvent-ils de la médecine ?"), mais a interviewé un pédopsychiatre opposé à cette démarche et a pris ses distances dans un éditorial.

Cela n'a pas empêché une avalanche de courrier. Nous avons publié trois lettres dans Le Monde du 28 septembre, mais trente autres mériteraient d'être citées. Par exemple, celle d'Anne Dewitte, de Colombes (Hauts-de-Seine): "36 mois ! N'est-ce pas un peu tôt pour se voir étiqueter délinquant potentiel ? N'est-ce pas un peu tôt pour se voir condamné à plusieurs années de tests, d'entretiens, de traitements et de drogues psychiatriques, tout cela sur fond de culpabilisation de l'enfant et des parents ? L'étape suivante consistera sans doute à repérer le terroriste virtuel chez le nourrisson qui fait tomber par plaisir son jeu de cubes ? Quel genre de société nous préparent ces apprentis sorciers ?"

Le Courrier des lecteurs se doit d'être ouvert à toutes les opinions, mais, dans un espace limité, il ne prétend ni à l'exhaustivité ni même à l'équilibre. Les sujets s'y mêlent, des plus douloureux aux plus frivoles. Les textes publiés ne sont que sa partie visible. Tous les autres sont lus avec attention, circulent dans la rédaction et peuvent susciter des articles. Sans compter les rectificatifs, dus pour la plupart à la vigilance des lecteurs.

Même le détail d'une photo peut nous valoir des dizaines de réactions. Le Monde du 14 septembre, qui avait interviewé Dominique Strauss-Kahn, le montrait devant "deux tableaux représentant Jean Jaurès et Léon Blum" . Horreur ! "Le personnage en deuxième plan sur le mur n'est pas Blum, mais Jules Guesde, nous a aussitôt écrit Dominique Losay (courriel). S'il porte bien bésicles, sa barbe est un peu longue pour l'élégant Léon." Confirmation de Luc Douillard (Nantes): "Guesde avait le front très dégagé, mais une grande barbe socialiste, alors que Blum portait moustache et lunettes." Suivait un petit cours d'histoire politique rappelant comment l'ancien chef du gouvernement du Front populaire avait été "mis en minorité dès la Libération par les néo-guesdistes de la SFIO menés par Guy Mollet" ...

Il ne restait plus au journal qu'à battre sa coulpe, dans un rectificatif aussi net que possible. Sans chercher d'excuses, sans affirmer ­ comme naguère ­ qu'une erreur "s'était glissée" insidieusement et sans partir de l'hypocrite principe que les lecteurs avaient "rectifié d'eux-mêmes" .

Robert Solé
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / France
Nouvelle opération policière dans les milieux islamistes français

 L a police française a lancé, dans la matinée de lundi, une nouvelle opération dans les milieux islamistes, procédant à quatre interpellations, notamment dans la région de Montargis, dans le Loiret (Centre).

Le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, a indiqué sur la radio privée RTL que cette nouvelle opération est "la poursuite" de l'enquête sur le démantèlement d'une cellule dirigée, selon la police, par Safé Bourada, âgé de 36 ans et interpellé le 26 septembre avec trois autres personnes lors d'une première opération conduite la semaine dernière à Evreux (Eure) et à Trappes (Yvelines), en région parisienne. Tous les quatre ont été depuis mis en examen et écroués pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" et "financement du terrorisme".

Les interpellations opérées lundi matin sont consécutives aux perquisitions des domiciles de ces quatre hommes et à leurs auditions, a-t-on indiqué de sources proches du dossier. De mêmes sources, on précisait que les policiers avaient, lors de cette opération, "deux cibles principales", des Français convertis à l'islam, âgés de 25 à 30 ans. Ils avaient été repérés, il y a deux ans, car ils entretenaient des liens avec Safé Bourada.

Les arrestations du 26 septembre avaient coïncidé avec l'intervention, dans la soirée, de Nicolas Sarkozy dans l'émission "Pièces à conviction" sur France 3, où il avait dessiné les grandes lignes de son projet de loi antiterroriste. Les membres du groupe, constitué autour de Safé Bourada, vétéran connu depuis plus de dix ans par les services de renseignement, auraient évoqué entre eux la possibilité de frapper dans le métro parisien, dans un aéroport ou bien le siège de la direction de la surveillance du territoire (DST), à Paris. Mais ils n'étaient pas entrés dans la phase opérationnelle de leur entreprise.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 03.10.05 | 08h43


Le Monde / Europe
Les opinions européennes expriment leur insatisfaction envers l'Union
BRUXELLES de notre bureau européen

 C omme l'ont montré, en France et aux Pays-Bas, les résultats négatifs des consultations sur la Constitution européenne, l'Europe suscite beaucoup de méfiance dans les opinions publiques de plusieurs pays. Une enquête de la Sofres, menée pour Arte du 24 août au 5 septembre dans cinq des six grands Etats de l'Union, confirme que nombre de citoyens ne sont pas convaincus des bienfaits de l'Europe et que les catégories populaires le sont moins que les cadres moyens et supérieurs. Les Espagnols apparaissent comme les plus europhiles, les Français comme les plus europhobes. Le sondage a été réalisé auprès d'échantillons de 950 à 1 000 personnes, choisies selon la méthode des quotas (France, Espagne) ou par méthode aléatoire (Allemagne, Grande-Bretagne, Pologne).

C'est la situation économique qui apparaît, dans les réponses des plus eurosceptiques, comme le principal facteur de désaffection. Ainsi, lorsqu'on demande aux gens quels mots leur viennent à l'esprit, parmi ceux qui leur sont proposés, à propos de l'Europe, ils sont 60% en moyenne à citer l'euro, dont 81% en Espagne et 78% en Allemagne ­ - sans qu'on puisse dire si une telle référence est positive ou négative ­ - et 51% à évoquer la liberté de voyager, dont 74% en Espagne et 52% en France, mais le chômage est mentionné par près d'un tiers des personnes interrogées, en particulier les Allemands (47%), les Espagnols (45%), les Français (28%) et les Polonais (26%), ainsi que le gaspillage d'argent (47% en Allemagne, 42% en Espagne, 32% en France, 21% en Grande-Bretagne). La prospérité, qui est l'un des objectifs de l'Union, n'est citée que par 21% des gens: 56% d'Espagnols, mais seulement 17% de Français, 16% d'Allemands, 15% de Polonais, 11% de Britanniques.

Quand on demande aux gens s'ils ont le sentiment, grâce à l'Europe, de vivre dans un pays plus prospère, les Français et les Polonais répondent négativement. En France, 43% des personnes interrogées (contre 29%) estiment qu'elles vivent dans un pays moins prospère. En Pologne, 43% également (contre 24%) sont de cet avis. Les plus mécontents sont les ouvriers (52% en France, 49% en Pologne, 47% en Allemagne). La majorité des Britanniques (42% contre 30%), des Allemands (45% contre 34%) et surtout des Espagnols (77% contre 10%) estiment vivre dans un pays plus prospère.

Se sentent-ils plus en sécurité ? Sauf en Espagne (51% contre 21%) et, à un degré moindre, en Allemagne (45% contre 34%), les réponses positives l'emportent de peu sur les réponses négatives (34% contre 32% en France, 30% contre 28% en Pologne) ou sont légèrement inférieures (32% contre 34% en Grande-Bretagne). Dans les cinq pays, sauf en Espagne et, paradoxalement, en Grande-Bretagne, le score est négatif chez les ouvriers. Se sentent-ils plus protégés ? Cette fois, les écarts sont plus nets. Oui, répondent les Espagnols (58% contre 18%), les Allemands (48% contre 31%), les Français (38% contre 30%) et les Polonais (33% contre 14%). Non, disent les Britanniques (36% contre 33%). En Allemagne et en France, les ouvriers se sentent moins protégés. En Grande-Bretagne, ce sont surtout les plus de 50 ans qui éprouvent ce sentiment.

Les citoyens des cinq pays ont-ils le sentiment de payer les produits plus cher à cause de l'Europe ? La réponse est unanime. Toutes catégories confondues, ils sont 83% en Allemagne, 82% en Espagne, 80% en Pologne, 72% en France et 56% en Grande-Bretagne à considérer que l'appartenance de leur pays à l'Europe a fait monter les prix.

Pensent-ils qu'ils vivent mieux grâce à l'Europe ? Oui, pour une majorité d'Espagnols (57% contre 13%) et de Britanniques (33% contre 24%). Non, pour une majorité de Français (41% contre 22%), de Polonais (33% contre 18%) et même d'Allemands (34% contre 33%). Les ouvriers sont les moins satisfaits en Allemagne (46%) et en France (58%), les agriculteurs en Pologne (41%). Sur cette question comme sur d'autres les femmes sont nettement plus critiques que les hommes et les jeunes plus confiants que leurs aînés.

Une majorité d'Allemands (48% contre 28%), de Britanniques (48% contre 29%), de Français (42% contre 26%) et, à un degré moindre, de Polonais (24% contre 21%) estiment que leur identité et leur culture sont davantage menacées que protégées par l'Europe. Seuls les Espagnols (44% contre 25%) sont d'un avis contraire. Les Espagnols (49% contre 32%) et, à un degré moindre, les Français (38% contre 36%) jugent que, grâce à l'Europe, leur pays est plus puissant dans le monde. Les Allemands (44% contre 32%), les Britanniques (42% contre 31%) et les Polonais (38% contre 35%) expriment une opinion contraire.

Est-il plus efficace d'agir à l'échelle européenne ou à l'échelle nationale ? Ils sont une majorité à penser que la lutte contre le chômage doit être conduite à l'échelle nationale, et non à l'échelle européenne. C'est ce que répondent 72% des Britanniques (contre 20%), 56% des Français (contre 40%), 52% des Allemands (contre 44%), 47% des Espagnols (contre 45%). En revanche, les Polonais préfèrent une action européenne (57% contre 37%). En matière de fiscalité et de protection sociale, la majorité des Européens privilégient aussi l'échelon national (73% des Britanniques, 60% des Espagnols, 57% des Polonais, 56% des Allemands et des Français pour la fiscalité, 70% des Britanniques, 69% des Français, 66% des Allemands, 52% des Polonais pour la protection sociale, les Espagnols faisant exception sur ce point avec 46%, contre 48%).

En revanche, les questions de politique étrangère, d'environnement, d'immigration doivent relever, selon une majorité de personnes interrogées, de l'échelon européen, sauf pour les Britanniques, qui donnent la priorité à l'échelon national.

Thomas Ferenczi
Article paru dans l'édition du 04.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
La France europhobe

 L e rejet par les électeurs français, lors du référendum du 29 mai, du projet de Constitution européenne et, au-delà, le coup d'arrêt porté à la construction européenne sont tout sauf un accident. Le sondage-choc réalisé par la Sofres dans cinq pays de l'Union pour Arte et rendu public par la chaîne franco-allemande, mardi 4 octobre, en apporte une impressionnante confirmation.

En France, mais aussi en Allemagne et en Grande-Bretagne, ou encore dans un pays comme la Pologne entré dans l'Union il y a dix-huit mois seulement, c'est désormais un lourd sentiment de doute ­ - de défiance même - ­, qui prédomine à l'égard de l'Europe. A l'exception de l'Espagne, dont la solide europhilie est à la mesure des bienfaits que ce pays a tirés de son adhésion depuis une vingtaine d'années, l'Europe ne rassure plus et fait encore moins rêver. Elle inquiète.

C'est particulièrement vrai pour l'opinion publique française. Longtemps l'Europe y a été ­ - au moins de façon diffuse et souvent avec assurance ­ - considérée comme "l'avenir de la France", comme son espace naturel de développement, comme le levier de sa modernisation et de son ouverture sur le monde après la disparition de son empire colonial. Pendant un demi-siècle, du général de Gaulle à François Mitterrand, en passant par Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing, chacun s'était employé à en convaincre les Français.

Ce ressort, à l'évidence, est cassé. Certes, l'Europe reste associée à l'idée de la "liberté de voyager, d'étudier et de travailler partout en Europe" (pour 52% des Français), à celle de la "paix" (46%) ou de la "diversité culturelle" (35%). Pour bien peu, en revanche, elle est synonyme de "démocratie" (24%), de "prospérité économique" (17%) ou de "protection sociale" (15%).

Pire encore, dans un pays fondateur ­ et à bien des égards inspirateur ­ de la Communauté puis de l'Union, le bilan de l'aventure européenne apparaît, à ce jour, lourdement négatif. Il se trouve une majorité relative de Français pour considérer que l'appartenance à l'Europe fait de la France un "pays moins prospère" (43%, contre 29% qui estiment qu'elle est "plus prospère"). De façon encore plus saisissante puisqu'il s'agit d'un record d'Europe, 41% de nos concitoyens (et jusqu'à 58% des ouvriers) ont le sentiment de "vivre moins bien" du fait de l'Europe, contre 22% qui estiment "vivre mieux" grâce à elle.

Rudes constats ! Et redoutables défis pour une Europe en berne et une France en panne de projet. Tout, en effet, est aujourd'hui à reconstruire: la confiance dans la construction européenne, l'aptitude de l'Union à proposer un projet collectif à ses membres, sa capacité à convaincre ses citoyens qu'elle reste, au XXIe siècle, la condition de la prospérité collective. A ne pas s'atteler d'urgence à cette tâche, les hommes politiques européens ­ mais surtout les Français, toujours prompts à se défausser sur Bruxelles de leur propre impuissance ­, manqueraient à leur responsabilité historique.

Article paru dans l'édition du 04.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Alain-Marc R. ♦ 03.10.05 | 16h23 ♦ Il n'y a pas de réelle europhobie, simplement une défiance chaque jour justifiée sur le mode de construction de l'union européenne. Cette défiance, au lieu d'être une "europhobie" est au contraire un appel à d'autres modalités politiques d'unification. Il faut cesser de culpabiliser les individus parce qu'ils refusent d'accepter ce qu'on leur propose. Ce ne sont pas les populations qui bloquent l'Europe mais ceux qui prétendent possèder le monopole de sa construction.

delumeau@club.lemonde.fr (Japon) ♦ 03.10.05 | 16h21 ♦ Europeen de toujours je rentre helas dans la categorie des decus voire des inquiets. Avant d'elargir, il aurait ete sage d'integrer politiquement, culturellement et militairement les 6 pays fondateurs qui, a eux seuls, representaient une population comparable a celle des USA, potentiellement plus homogene. Une Europe puissance aurait ete possible. A present l'Europe ne controle plus son destin alors que les reglementations communautaires empechent chaque pays de se proteger individuellement.

orbi ♦ 03.10.05 | 16h18 ♦ les français sont TCEphobes à 55,5% (chiffres vérifiés et sûrs). Un même sondage sur la France donnerait les mêmes réponses. les français malgré le fait qu'ils soient en paix, qu'ils aiment bien voyager dans leur pays, qu'ils apprécient leurs diversités régionales s'interrogent . Est-ce que la France est plus démocratique? non. vous vivez mieux? non - Etes-vous plus prospères, non?. la France économique est en panne? oui, sociale? oui. démocratique? oui. les francais francophobes.

Roger Dumont ♦ 03.10.05 | 16h14 ♦ Pour seulement 46% des personnes interrogées, l'Europe est associée à l'idée de la paix. C'est peu !

MARIE THERESE J. ♦ 03.10.05 | 16h12 ♦ Le projet européen, au départ, c'est la paix, la démocratie, la prospérité, la sécurité sociale, et la puissance. L'offensive libérale de ces 25 dernières années a brisé le consensus européen: pour beaucoup, l'Union européenne signifie aujourd'hui souffrance sociale et soumission aux Etats-Unis, ce qui n'est pas acceptable pour la majorité des Français.

Aillard ♦ 03.10.05 | 15h51 ♦ A Edouard: "Plus personne aujourd'hui ne traverserait la Manche pour rejoindre Londres comme le faisaient des tas de gars de 20 ans en 1940... " voici une phrase aussi pittoresque que dénuée de sens. Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire? La France de la fin des années 30 n'avait rien d'un pays volontaire et courageux, et on parlait déjà d'assistanat. Assistés, les Français? Oui sûrement, mais dès qu'on essaie de prendre une initiative, il y a une belle administration pour vous barrer la route

Maurice Maginot ♦ 03.10.05 | 15h49 ♦ "France europhobe" ? Je ne vois pas que ce sentiment distingue la France dans l'Union. Pourquoi ce titre culpabilisateur ? "Europhobe" vraiment ? Moi je vois une immense europhilie déçue. Une fois encore, s'il vous plaît, respectez les données sur lesquelles vous fondez vos analyses... alors vous aussi vous cesserez de "manquer à vos responsabilités historiques" !

desfrontières ♦ 03.10.05 | 15h29 ♦ Il est indéniable que l'on vit mieux grâce à l'Europe: prjet né ds le coeur des Philosophes du 18ème siècle: l'erreur c'est l'élargissement; il fallait réaliser un pays unique avec les pays fondateurs; l'entrée du Royaume Uni a marqué la fin. Le Royaune Uni aurait créé une zone avec la Scandinavie; le mélange a créé des chocs culturels difficilement surmontables; vivre en paix ds la prospérité en se respectant et non en se critiquant les uns les autres comme c'est la cas aujord'hui.

PIERRE G. ♦ 03.10.05 | 15h25 ♦ Reaction a chaud: Comment les Francais peuvent dire qu'ils vivent mieux ou moins bien du fait de l'Europe ??? Sur quoi se basent ils pour faire la comparaison ? Evidemment avec nos hommes politiques qui insistent sur ce qu'ils ne peuvent pas faire a cause de l'Europe (encore entendu ce matin a propos de la SNCM), et jamais sur ce que l'Europe apporte (ne parlons pas des subventions...), comment les reactions pourraient elles etre differentes ?

MICHEL F. ♦ 03.10.05 | 14h57 ♦ A croire qu'il n'y a pas eu débat au printemps dernier sur ce sujet pour titrer que la France est europhobe. Beaucoup de ceux qui ont voté "non" ne sont pas europhobe mais ne veulent plus d'une Europe libérale, où c'est le marché qui impose sa loi, où la puissance publique ne doit plus intervenir, où ce sont des fonctionnaires européens, des personnes nommées et non des élus qui sont à la tête des principales institutions européennes. Donc, pas europhobe, mais libérophobe.

Denis P. ♦ 03.10.05 | 14h57 ♦ Cet article postule que ce sont les Francais qui doivent changer et non l'Europe. Les perceptions ont leur part de vrai. Elitiste, ancree dans un certain bouillon de culture ideologique, indigeste par ses dimensions, l'Europe semble se reduire au statut etrique d'une super-agence europeenne d'harmonisation et de coexistence pacifique. 25 pays sans autre commune mesure qu'un siege autour d'une table. Pas de projet politique commun. Des decisions a l'arrache. Un consensus mou.

MARCEL G. ♦ 03.10.05 | 14h40 ♦ Je suis d'accord avec votre édito, mais je ne souscris pas à votre titre.Il ressort de votre analyse que les français sont déçus par l'Europe, mais ils ne sont pas europhobes. Ils en attendaient une amélioration de leurs condition de vie, à tort ou à raison, or nous avons toujours pratiquement 10% de chômeurs....

Aillard ♦ 03.10.05 | 14h38 ♦ Drôle de conclusion, quand même "la France europhobe", raccourci un peu hâtif, non? M'enfin peu importe, il est effectif, et nous n'avions pas besoin de sondages pour le savoir, que les Français (et non la France) n'ont, dans leur majorité, plus envie du rêve Européen, du moins pour le moment. La France perd sur tous les terrains, et depuis quelques temps déjà, plus de coupe du monde de foot à se mettre sous la dent, donc les Français se replient sur des valeurs surannées, phénomène normal...

Edouard ♦ 03.10.05 | 14h36 ♦ L'Europe a ete cree par des gens qui avaient connus la guerre et qui etaient fermement decide a ce que cela n'arrive plus. Aujourd'hui ils ont disparus et avec eux cette idee fondatrice. Aujourd'hui les gens veulent que l'Europe apporte prosperite et assistance. La culture et la conscientisation du risque a disparu et ete remplacee par la culture de l'assistanat. Plus personne aujourd'hui ne traverserait la Manche pour rejoindre Londres comme le faisaient des tas de gars de 20 ans en 1940...

HocusPocus ♦ 03.10.05 | 14h27 ♦ Si, plutot que la "concurrence libre et non faussée", les diverses institutions europeennes se fixaient à elles memes pour valeurs cardinales "la démocratie", "la prospérité économique" et la "protection sociale", le TCE aurait suscité moins d'aversion, et les résultats du sondage en référence auraient été différents. La France n'est "en panne de projet" que parce qu'il est devenu quasiment impossible de faire coincider les aspirations des peuples avec les paradigmes ultralibéraux imposés.


Le Monde / International
Nouvelle offensive américaine contre Al-Qaida dans l'ouest de l'Irak

 À  dix jours du référendum du 15 octobre sur la nouvelle Constitution irakienne, l'armée américaine accroît la pression contre les partisans d'Al-Qaida réfugiés dans l'ouest de l'Irak, en y lançant une deuxième opération d'envergure baptisée"River Gate", dans la foulée de celle, dénommée"Iron Fist", qui a fait une trentaine de morts depuis samedi, près de la frontière avec la Syrie.

L'Etat-major américain a annoncé, mardi 4 octobre, que quelque 2 500 soldats participaient depuis la veille à cette nouvelle opération, lancée principalement contre les localités de Haditha, Haqlaniya et Barwana (environ 200 km à l'ouest de Bagdad, le long de l'Euphrate, dans la province sunnite Al-Anbar). Une vingtaine de marines avaient été tués en août dans cette zone, considérée par les Américains comme l'un des principaux axes de pénétration de combattants étrangers en Irak et l'un des bastions rebelles.

1 930 SOLDATS AMÉRICAINS TUÉS EN IRAK DEPUIS 2003

L'armée américaine a déploré mardi la perte de quatre de ses soldats, dont deux sont morts au combat et un autre est mort des suites de ses blessures dans l'explosion d'un engin piégé à Haqlaniya, alors qu'un quatrième a été tué par une autre explosion à Karabila. Ces décès portent à 1 930 le nombre de soldats américains morts en Irak depuis l'invasion du pays en mars 2003, selon un décompte de l'AFP à partir des chiffres du Pentagone.

Assistées de forces irakiennes, les troupes américaines ont notamment pour objectif d'"empêcher Al-Qaida d'opérer dans les localités de la vallée de l'Euphrate". L'opération "Iron Fist" se déroule depuis samedi plus en amont, avec environ un millier de soldats américains, essentiellement des marines. Elle vise "un sanctuaire terroriste connu" dans la région de Sada, à une dizaine de kilomètres de la frontière syrienne.

Haditha est "un carrefour important pour les activités d'infiltration d'Al-Qaida en Irak en provenance de la frontière syrienne", selon l'armée américaine: les membres de l'organisation peuvent ensuite se diriger au nord vers Mossoul ou plus à l'est vers Ramadi, Fallouja et enfin Bagdad.

Un citoyen britannique, Colin Peter, a été arrêté avec un groupe d'Irakiens armés par des gardes-frontières dans la province irakienne de Nadjaf limitrophe de l'Arabie saoudite. Les forces britanniques ont confirmé cette arrestation d'un ressortissant britannique lundi.

Avec AFP et AP
LEMONDE.FR | 04.10.05 | 13h43


Le Monde / International
L'armée française se renouvelle et veut se cantonner à Kaboul

 P amir XII, douzième régiment militaire français envoyé en Afghanistan depuis la chute des talibans et l'institution de l'ISAF, à la fin 2001, a officiellement pris lundi soir le relais de Pamir XI. Ce bataillon de 600 hommes, issu de la 2e brigade blindée d'Orléans, et pour l'essentiel du régiment de marche du Tchad de Noyon (RMT), sera comme son prédécesseur chargé de sécuriser la zone de responsabilité française, qui couvre le nord de Kaboul et la plaine de la Shomali, et ce pendant quatre mois.

Il est commandé par le colonel Thierry Ducret, chef de corps du RMT de Noyon (Oise), qui a pris le relais du colonel Jacques Duffour, commandant de Pamir XI, lors d'une cérémonie à l'aéroport militaire de Kaboul. Principalement composé d'unités de la 7e brigade blindée de Besançon, Pamir XI était arrivé début juin avec pour principale mission d'assurer la sécurité, dans sa zone, des élections législatives du 18 septembre. Celles-ci se sont déroulées sans incident majeur, à la grande satisfaction du colonel Duffour. "Vos efforts ont été récompensés par le parfait déroulement des élections parlementaires", a-t-il déclaré lundi à ses troupes. L'armée française affirme que les opérations de Pamir XI ont aussi permis de récupérer et de détruire plus de 20 tonnes de munitions. Au cours de ces quatre mois, le bataillon français a également effectué plus de 200 escortes, 230 surveillances de nuit et plus de 200 opérations civilo-militaires (aides sanitaires, construction d'écoles, forages de puits, etc.).

"UNE FUSION DES OPÉRATIONS NON FAVORABLE"

Le changement de bataillon intervient dans un contexte d'intenses négociations au sein de l'OTAN sur l'extension du mandat de l'ISAF, qui compte 10 500 soldats originaires de 37 pays. Déployée dans les régions stables de Kaboul, mais aussi au nord et à l'ouest du pays, l'ISAF doit étendre en 2006 son rayon d'action aux régions de l'est et du sud, agitées par une violente rébellion antigouvernementale, notamment des talibans. Elle y viendrait en appui de la coalition militaire sous commandement américain (18 000 hommes, à 90% Américains) qui, elle, mène des opérations armées quotidiennes dans le cadre de la"guerre au terrorisme". Si Washington pousse à un rapprochement entre les forces de l'ISAF et de la coalition, sur fond de rumeurs de réduction de ses troupes en Afghanistan, plusieurs pays de l'OTAN, dont la France, s'opposent à cette"bellicisation" du mandat de l'ISAF, jusqu'ici force de maintien de la paix. Lors d'un entretien avec le président afghan, Hamid Karzaï, lundi à Paris, la ministre de la défense française, Michèle Alliot-Marie, "a confirmé que la France n'était pas favorable à la fusion des deux opérations à ce stade car elles ont des missions et des moyens différents", selon son entourage. Plusieurs autres membres de l'OTAN se sont en revanche déclarés volontaires pour fournir les 6 000 soldats nécessaires dans le Sud, notamment le Royaume-Uni, le Canada et les Pays-Bas.

La France compte consolider ses positions à Kaboul, avec des effectifs proches du niveau actuel, les opérations extérieures mobilisant déjà 2 400 soldats au Kosovo et 4 000 en Côte d'Ivoire, d'après des sources militaires sur place. Lundi, le président Chirac a réaffirmé à M. Karzaï la volonté française de "prendre le commandement de Kaboul et de sa région" au sein de l'ISAF. "La mission de Kaboul correspond mieux à ce que l'armée française sait faire: des opérations de terrain, de la coopération avec les autorités locales et de l'appui au développement", explique une source militaire à Kaboul. Lundi, le colonel Duffour s'est félicité des "excellents contacts noués par Pamir XI avec la population". Son successeur, le colonel Ducret, s'est engagé à "poursuivre dans cette voie".

avec AFP
LEMONDE.FR | 04.10.05 | 13h40


Le Monde / Régions
A Verdun, controverse sur l'avenir du Centre mondial de la paix
VERDUN (Meuse) de notre correspondant

 À  quelques mois de la commémoration du 90e anniversaire de la bataille de Verdun, le maire de la ville, Arsène Lux (UMP), a créé la surprise en annonçant qu'il souhaitait voir le Centre mondial de la paix, des libertés et des droits de l'homme quitter l'ancien palais épiscopal le 1er janvier 2007 "au plus tard" . L'élu considère que le centre n'a "pas atteint ses objectifs" et il souhaite reprendre possession de ce bâtiment du XVIIe siècle, propriété de la commune, pour y installer les collections du Musée municipal.

Le conseil municipal a adopté, mardi 13 septembre, une délibération autorisant le maire à dénoncer unilatéralement le bail emphytéotique signé en 1988, pour une durée de cinquante ans, entre la ville et l'association du Centre mondial de la paix (CMP). La municipalité de l'époque avait investi 4 millions de francs (610 000 euros) pour rénover l'ancienne résidence de l'évêque et y accueillir les activités du centre, alors en cours de création.

Inauguré en 1994, le CMP ambitionnait de devenir un "lieu de rencontres, d'études et de documentation de dimension internationale sur les droits de l'homme, les libertés et la défense de la paix" . "Aucun de ces buts n'a été atteint, juge aujourd'hui Arsène Lux. Pas un organisme international n'a adhéré au projet et les chiffres de fréquentation sont très en dessous des objectifs."

Le centre a accueilli, en 2004, un peu plus de 70 000 visiteurs. "Dont moins de 7 000 entrées payantes , tempère l'élu. Pour gonfler les chiffres, on a ouvert ce lieu à toutes sortes d'activités qui n'ont rien à voir avec sa vocation initiale. Le palais épiscopal de Verdun mérite mieux que de faire office de salle polyvalente."

Député (PS) de la 2e circonscription de la Meuse, Jean-Louis Dumont, ancien maire de Verdun et trésorier de l'association, se dit "consterné" par cette décision. "On s'attaque à un symbole , dit-il. Remarquez, ce n'est pas nouveau... Depuis son arrivée à la mairie, en 1995, M. Lux a divisé par dix le montant de la subvention municipale (15 000 euros en 2004, pour un budget total de 300 000 euros), de manière à nous asphyxier financièrement."

Selon M. Dumont, l'équipe du centre "n'a pas démérité" . "Plusieurs chefs d'Etat sont venus, de nombreux intellectuels s'y retrouvent, des milliers d'élèves de différentes nationalités nous rendent visite chaque année", plaide le député socialiste, qui évoque notamment une rencontre organisée au Centre mondial de la paix entre des jeunes Israéliens et Palestiniens, alors que venait d'éclater la deuxième Intifada.

"Le maire , poursuit M. Dumont, considère qu'il suffit, pour toucher les consciences, de montrer ce que fut la boucherie de Verdun. Nous pensons qu'un lieu de paix a toute sa place à côté des champs de bataille." Un point de vue que réfute M. Lux. "La guerre, c'est dramatique et dégueulasse, mais c'est notre histoire. 162 000 hommes ont péri ici, voilà la vérité et l'universalité de Verdun. Vouloir faire de cette ville meurtrie une capitale éthérée de la paix est une supercherie", estime-t-il.

En voulant déloger le CMP de l'ancien palais épiscopal, Arsène Lux a fait voler en éclats un consensus politique né il y a plus de dix ans. Le conseil d'administration du centre est composé d'élus meusiens de tous bords. Son président, le sénateur UMP Gérard Longuet, a laissé entendre qu'il n'hésiterait pas à saisir la justice pour faire respecter le bail et empêcher le déménagement du centre.

Nicolas Bastuck
Article paru dans l'édition du 04.10.05


Le Monde / Opinions
Chronique
Vivre avec, par Eric Fottorino

 L es enfants à qui, plus tard, on demandera "Quand a fini le XXe siècle ?" répondront peut-être le 31 décembre 2000 à minuit. Ils auront raison et ils auront tort. C'est le 11 septembre 2001 qu'un nouveau siècle a commencé. Avant, on n'avait pas vraiment vu la différence entre le XXe et le XXIe siècle. Comme la génération de 1900 n'avait pas vu mourir le XIXe siècle avant la grande guerre de 14-18. Une citation d'André Malraux, plus ou moins apocryphe, plus ou moins réductrice, servait de passe et de passeport pour l'an 2000: le prochain siècle sera spirituel ou ne sera pas. C'est au nom de l'Esprit saint que des esprits malsains, se réclamant d'un Allah méconnaissable, ont tout fait pour que le XXIe siècle n'existe pas. Ou seulement sous sa forme la plus tragique.

New York. Londres. Madrid. Bali. Nous voici dans le vif du sujet, dans le rouge vif, avec encore du sang et des cris, des attentats aveugles, la peur mondialisée, le décret pseudo-divin d'une croissance sans limite donné au droit de tuer. Est-ce Al-Qaida, la main ou la barbe du "prophète" Ben Laden ? On finit par ne plus savoir qui est qui; qui se cache derrière qui. On ne voit que des films de mauvaise qualité pris par des vidéastes amateurs ou des caméras de surveillance montrant les futurs kamikazes se mêlant à la foule sans nom.

A Bali, les images sont aussi anonymes. Les chaînes de télévision nous les montrent sans grande précaution, comme s'il allait de soi que, devant la gravité des faits, il faut donner à voir sans être trop regardant sur les sources des documents. Dimanche 2 octobre, on a donc tous vu ce kamikaze en tee-shirt noir pénétrant dans un restaurant et se dirigeant d'un pas décidé vers les cuisines, son sac à dos accroché aux épaules. Puis un éclair violent, à la mesure de la déflagration. Sans commentaire. Juste des cris, des éclats de verre. Des morts. Trois terroristes dont les têtes ont été retrouvées après l'explosion. Têtes coupées, puisque le crime est suivi sur-le-champ de sa punition suprême pour les auteurs de tels actes. Pas de sanction, pas de jugement. Seulement le sentiment d'un désastre humain où l'humanité tout entière semble régresser.

Est-ce là de la barbarie ? S'agit-il d'un code de vie et d'honneur que nous avons peine à comprendre, avec nos pensées d'Occidentaux ? Peu importe au fond. Le terrorisme échappe aux définitions, il déborde les limites de la raison. Ne peut le comprendre que celui ou ceux qui pratiquent le langage des bombes, une langue morte une fois que les armes ont parlé.

Maintenant il faut vivre avec. Un coup loin, New York. Un coup près, Madrid. Un coup loin (plusieurs coups, même), Bagdad. Un coup près, Londres. Un coup loin, Bali. Un coup près, à qui le tour, et si Paris, demain... Avec des si... Mais pas besoin de si pour éprouver un sentiment diffus d'inquiétude. Dans les transports en commun parisiens, une voix de femme, anonyme bien sûr, nous demande d'être "attentifs ensemble" . Pas une semaine sans que le trafic soit interrompu pour cause d'objet suspect, sur une voie, sur un quai. Vivre avec. Compagnie douceâtre et lancinante. En espérant de ne jamais avoir à vivre sans; sans les proches qu'on pourrait perdre si demain tout sautait quelque part où sont les gens qu'on aime.

éric fottorino
Article paru dans l'édition du 04.10.05


Le Monde / Opinions
point de vue
Le diable est de retour, par Amos Oz

 T out comme il est immensément difficile de définir la vérité, bien qu'assez facile de flairer un mensonge, il est parfois difficile de définir le bien. Le mal, quant à lui, possède une odeur parfaitement reconnaissable: tous les enfants savent ce qu'est la douleur. Ainsi donc, chaque fois que nous imposons délibérément une douleur à quelqu'un, nous savons ce que nous faisons. Nous faisons du mal.

L'âge moderne a changé ces notions. Il a brouillé cette distinction évidente que faisait l'humanité depuis sa prime enfance, depuis le jardin d'Eden. A un moment du XIXe siècle, pas très longtemps après la mort de Goethe, une nouvelle façon de penser a fait son apparition dans la culture occidentale: elle a balayé le mal, allant jusqu'à nier son existence. On a appelé sciences sociales cette innovation intellectuelle. Pour les nouveaux praticiens, pleins d'assurance, parfaitement rationnels, optimistes et absolument scientifiques, de la psychologie, de la sociologie, de l'anthropologie et de l'économie, le mal n'était pas une question. En y réfléchissant, le bien non plus.

Encore aujourd'hui, certains spécialistes des sciences sociales ne parlent tout simplement pas du bien et du mal. Pour eux, tous les actes et les motivations de l'homme découlent des circonstances, qui sont souvent hors du contrôle des individus. "Les démons n'existent pas plus que les dieux, disait Freud, car ils sont les produits de l'activité psychique de l'homme." Ainsi, nous sommes régis par notre environnement social.

Et cela fait un siècle que l'on nous explique que nous sommes motivés exclusivement par notre intérêt économique, que nous ne sommes que les produits de nos cultures ethniques, que nous ne sommes rien de plus que les marionnettes de notre subconscient.

En d'autres termes, les sciences sociales modernes ont constitué la première tentative sérieuse pour débarrasser la scène humaine à la fois du bien et du mal.

Pour la première fois dans leur longue histoire, le Bien et le Mal ont tous deux été supplantés par l'idée que les circonstances sont toujours responsables des décisions, des actes et, surtout, des souffrances de l'homme. C'est la faute de la société. C'est la faute d'une enfance malheureuse. C'est la faute de la politique. Du colonialisme. De l'impérialisme. Du sionisme. De la mondialisation. Ainsi a commencé le grand championnat du monde des victimes.

Pour la première fois depuis le Livre de Job, le diable s'est trouvé au chômage. Il ne pouvait plus jouer avec l'esprit des hommes comme il le faisait depuis toujours. Satan était congédié. C'était l'époque moderne. Eh bien, les temps changent peut-être de nouveau. Si Satan a été viré, il n'est pas resté inactif. On a assisté au XXe siècle au pire spectacle du mal perpétré de sang-froid de toute l'histoire. Les sciences sociales n'ont réussi ni à prédire, ni à affronter, ni même à saisir ce mal moderne et fortement imprégné de technologie. Ce mal du XXe siècle s'est très souvent déguisé en réforme mondiale, en idéalisme, en rééducation des masses afin de leur "ouvrir les yeux". Le totalitarisme a été présenté comme une rédemption profane pour quelques-uns aux dépens de millions de vies.

Aujourd'hui, nous sommes sortis du fléau de la règle totalitaire et nous avons un immense respect pour les cultures. Pour la diversité. Pour le pluralisme. Je connais des gens prêts à tuer tous ceux qui ne sont pas pluralistes. Le postmodernisme a une fois de plus embauché Satan, mais, aujourd'hui, sa mission tire sur le kitsch: un petit groupe secret de "forces louches" est responsable de tout, qu'il s'agisse de la pauvreté, de la discrimination, de la guerre, du réchauffement de la planète ou du 11-Septembre et du tsunami. Les gens ordinaires sont toujours innocents. Ce n'est jamais la faute des minorités. Les victimes sont, par définition, moralement pures. Avez-vous remarqué que, aujourd'hui, le diable ne semble jamais posséder une personne isolée ?

Nous n'avons plus de Faust. Selon le discours à la mode, le mal est un conglomérat. Les systèmes sont mauvais. Les gouvernements sont mauvais. Des institutions sans visage dirigent le monde pour leur propre profit sinistre. Satan n'apparaît plus dans les détails. Les hommes et les femmes pris individuellement ne peuvent pas être "mauvais" au sens ancien du Livre de Job, de Macbeth, de Iago, de Faust. Vous et moi, nous sommes toujours des gens très bien. Le diable, c'est toujours "l'establishment". On est, à mon avis, en plein kitsch éthique. (...)

Aujourd'hui, permettez-moi de revenir à Goethe. Le Faust de Goethe nous rappelle sans cesse que le diable est personnel, pas impersonnel. Que le diable met tout le monde à l'épreuve et que chacun de nous peut réussir ou échouer. Que le diable est tentateur et séduisant. Que l'agression peut s'implanter en chacun de nous.

Le bien et le mal chez chaque homme ne sont pas les attributs d'une religion. Il ne s'agit pas forcément de termes religieux. Nous avons le choix d'infliger ou non la douleur, de la regarder en face ou de détourner les yeux, de nous impliquer personnellement pour soulager la douleur, comme un médecin de campagne dévoué, ou de nous contenter d'organiser des manifestations de protestation et de signer des pétitions systématiques – ­ nous sommes tous confrontés plusieurs fois par jour à cette palette de choix. Il peut bien sûr nous arriver de nous tromper, mais, quand nous nous trompons, nous savons tout de même ce que nous faisons. Nous connaissons la différence entre le bien et le mal, entre infliger la douleur et la soulager, entre Goethe et Goebbels. Entre Heinrich Heine et Heydrich. Entre Weimar et Buchenwald. Entre la responsabilité individuelle et le kitsch collectif.

Dans les années 1940, à Jérusalem, j'étais un jeune garçon nationaliste, voire chauvin. J'ai juré de ne jamais mettre le pied sur le sol allemand, de ne jamais acheter de produits allemands. La seule chose que je ne pouvais pas boycotter, c'était les livres allemands. Si on boycotte les livres, me suis-je dit, on devient un peu comme "eux". Je me suis d'abord cantonné à la lecture de la littérature allemande d'avant-guerre et des auteurs antinazis. Plus tard cependant, dans les années 1960, j'ai commencé à lire, en hébreu, les œuvres de la génération des écrivains et des poètes allemands d'après-guerre. En particulier, les œuvres des auteurs du Groupe 47 [groupe littéraire allemand créé, en septembre 1947, à Munich]. Je me suis imaginé à leur place. Je vais le dire plus nettement: ils m'ont convaincu de m'imaginer à leur place, dans les années sombres, juste avant et juste après. En les lisant puis en en découvrant d'autres, je n'ai pas pu continuer à détester simplement tout ce qui était allemand, passé, présent et futur.

Je crois qu'imaginer l'autre constitue un antidote puissant au fanatisme et à la haine. Je crois que les livres qui nous permettent d'imaginer l'autre peuvent nous aider à nous immuniser contre les stratagèmes du diable, le Méphistophélès du coeur. Ainsi, Günter Grass et Heinrich Böll, Ingeborg Bachmann et Uwe Johnson et surtout mon très cher ami Siegfried Lenz m'ont ouvert la porte de l'Allemagne.

Avec un certain nombre d'amis allemands très proches, ils m'ont permis de briser mes tabous, de m'ouvrir l'esprit et finalement le coeur. Ils m'ont réappris le pouvoir de guérison de la littérature.

Imaginer l'autre n'est pas seulement un outil esthétique. C'est aussi, à mon avis, une obligation morale essentielle. Et, finalement, imaginer l'autre est également un plaisir humain profond et très subtil.

Ce texte est extrait du discours du romancier lors de la remise du prix Goethe, à Francfort-sur-le-Main.

Traduit de l'anglais par Florence Lévy-Paoloni.
© Amoz Oz


Amos Oz est écrivain israélien.
Ce texte est extrait du discours du romancier lors de la remise du prix Goethe, à Francfort-sur-le-Main.

par Amos Oz
Article paru dans l'édition du 04.10.05


Le Monde / Société
Analyse
Un succès syndical aux lendemains incertains, par Michel Noblecourt

 L e "tous unis", qui résonne un peu comme le "tous ensemble" du mouvement social de 1995, est encore une formule qui marche. La journée nationale d'action lancée, mardi 4 octobre, par les cinq confédérations syndicales représentatives - CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC -, avec le concours de la FSU, de l'UNSA et de l'Union syndicale Solidaires et avec l'appui de la gauche et de l'extrême gauche politique, a été un succès. A la mi-journée, le nombre de manifestants et le pourcentage de grévistes relevé dans les entreprises publiques et dans l'éducation nationale montraient que sur des thèmes revendicatifs porteurs, de la défense de l'emploi à celle pour le pouvoir d'achat en passant par la lutte contre la précarité, les syndicats avaient réussi leur pari. Cette première mobilisation syndicale de masse depuis le référendum du 29 mai et l'arrivée de Dominique de Villepin à Matignon devrait avoir une ampleur supérieure à celle du 10 mars.

En début d'après-midi, les décomptes établis faisaient état de centaines de milliers de manifestants - plus de 550 000 selon les organisateurs et 230 000 selon la police - dans les 150 manifestations en France. Outre le défilé parisien (150 000 personnes), c'est à Marseille, avec le conflit de la SNCM en toile de fond, que la démonstration de force a été la plus remarquée avec, selon les syndicats, 100 000 manifestants. Dans tous les défilés, on a observé une présence plus importante de salariés du secteur privé même si la dominante du secteur public demeure. Le 11 mars, L'Humanité avait recensé dans les "manifs" de la veille 1,5 million de personnes. Pour le 4 octobre, le chiffre devrait être du même ordre ou légèrement supérieur. Dans les entreprises publiques, les ordres de grandeur de grévistes sont comparables à il y a sept mois : 32,3% à la SNCF ; 23% à EDF ; de 25,2% à 37% à l'Education nationale ; 15% à 30% à La Poste ; 25% chez France Télécom. Dans de nombreuses villes de province, les transports en commun ont été fortement perturbés.

Sans être le "mardi noir" que certains médias annonçaient, quitte à en faire un argument pour réclamer une loi instaurant un service minimum dans les transports, la journée du 4 octobre a été suffisamment forte pour être visible. Le succès était attendu, tant le mécontentement, souligné avec éclat par la victoire du non au référendum du 29 mai sur la Constitution européenne où les"peurs sociales"  ont aussi joué, était manifeste, nourri par une insécurité sociale rendue persistante par le niveau élevé du chômage, la stagnation du pouvoir d'achat et l'état calamiteux des comptes sociaux. Il y a, à l'évidence, de nombreux ingrédients d'une crise sociale qui se trouvent réunis. Pour autant, il ne faut pas surestimer l'ampleur de cette colère sociale d'un jour. Dans le secteur privé, mais aussi dans certaines entreprises publiques, manifester ne signifie pas nécessairement être gréviste. Dans un pays où, depuis 1980, mis à part quelques "accidents" comme 1995, la conflictualité dans les entreprises privées est, année après année, en chute libre, les salariés sont peu"gréviculteurs". Nombre d'entre eux - il est trop tôt pour connaître la proportion - utilisent leurs heures de crédit liées à leur mandat syndical ou leurs jours de "RTT" (réduction du temps de travail) pour rejoindre un cortège syndical. Quand les syndicats lancent un appel interprofessionnel, ils s'adressent à une population de 22 400 000 agents de l'Etat, salariés des entreprises publiques et privées. Si 1,5 million de personnes y répondent, cela ne fait jamais que 4,6% du salariat concerné. Un chiffre qui correspond, à peu de choses près, au taux de syndicalisation dans le secteur privé qui était, en 2003, de 5,2%.

Le syndicalisme ayant la réputation, largement fondée, d'être divisé et faible, il était crucial pour son image de réussir cette"épreuve du feu" du 4 octobre, alors qu'il partait avec l'avantage d'être soutenu, selon les sondages, par plus de 70% des Français. Ils ont réussi à afficher leur unité, même si derrière les banderoles communes les divergences sont légion. Et ils ont joué les gros bras, alors que la faiblesse de leurs troupes, ou de leurs"divisions" en langage militaire, les a placés, ces dernières années, dans l'incapacité de contrecarrer la politique économique et sociale du gouvernement. Ainsi n'avaient-ils pas empêché, en 2003, la réforme des retraites de Jean-Pierre Raffarin. La France a toujours été un pays sous-syndicalisé, notamment par rapport aux pays d'Europe du Nord où les syndicats rendent des services à leurs adhérents. Elle est devenue, à la suite d'une crise du syndicalisme qui a fait perdre en trente ans aux cinq confédérations les deux tiers de leurs membres, la lanterne rouge des pays industrialisés de l'OCDE avec, en 2003, un taux de syndicalisation de 8,2%.

Au soir du 4 octobre, la balle est dans le camp du gouvernement. L'opposition ayant soutenu les manifestations, le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, qui a manifesté dans sa ville de Tulle, a fait de cette mobilisation une sorte de motion de censure, en lançant le jour de la rentrée parlementaire: "Le gouvernement doit entendre la colère, l'impatience, le mécontentement d'une large partie de nos concitoyens. Il doit donc revenir sur ses décisions contestables en matière de remise en cause du droit du travail, de la protection sociale ou de l'égalité devant l'impôt". Au même moment à l'Assemblée nationale, le premier ministre répliquait:"Tout le gouvernement écoute le message que nous adressent les Français. Nous voulons répondre à leurs inquiétudes et à leurs aspirations. Ils veulent des résultats et nous nous battons pour cela". Dominique de Villepin a déjà souhaité une relance des négociations dans les branches professionnelles sur les minima salariaux, trop souvent encore inférieurs au smic, et il peut faire un signe aux syndicats en rouvrant les négociations salariales dans les fonctions publiques.

Sur la revendication phare des syndicats, l'abrogation ou le retrait du contrat nouvelles embauches (CNE), ce contrat à durée indéterminée hors normes qui permet à l'employeur pendant deux ans de congédier son bénéficiaire sans avoir à se justifier, Dominique de Villepin restera inflexible. Il pourra cependant continuer à jouer de sa singularité et à afficher sa différence avec Nicolas Sarkozy. A l'ultralibéralisme de son ministre de l'intérieur, qui agite de nouveau le chiffon rouge d'une loi sur le service minimum, le premier ministre peut opposer son"social-villepinisme", fait de mesure et de pragmatisme. Le premier ministre peut aussi corriger sa méthode, en jouant effectivement le jeu de la concertation avec les syndicats et en respectant tout simplement l'engagement solennel contenu dans la loi du 4 mai 2004 selon lequel "toute réforme substantielle modifiant l'équilibre des relations sociales doit être précédée d'une concertation effective avec les partenaires sociaux et, le cas échéant, d'une négociation entre eux".

Les syndicats ont besoin de "grain à moudre". Le succès relatif de leur journée du 4 octobre n'aura de sens que s'il est suivi de résultats, préoccupation qu'a toujours mise en avant François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT. "La CGT, a souligné son secrétaire général, Bernard Thibault, est déjà prête à envisager des suites si les réponses appropriées ne viennent pas". Mais le temps où les syndicats prétendaient qu'il suffisait d'appuyer sur un bouton pour déclencher un grand mouvement social est révolu. Même en 1995, l'histoire ne s'était pas déroulée ainsi. Si à l'arrivée elle ne change pas la donne, la multiplication des journées nationales d'action, solution qui pourrait tenter un Bernard Thibault avant son congrès de Lille en avril 2006, où il jouera son avenir syndical, risque de s'avérer pour le syndicalisme contre-productive. Surtout à l'entrée dans une période pré-électorale…

Michel Noblecourt
LE MONDE | 04.10.05 | 17h50


Le Monde / Europe
Les négociations entre la CDU et le SPD dans l'impasse

 L' Allemagne pourrait faire face à une crise institutionnelle si les deux principaux partis présents au Bundestag, la CDU et le SPD ne parviennent pas à s'entendre sur la formation d'une grande coalition. Mercredi 5 octobre, une nouvelle rencontre réunira conservateurs et sociaux-démocrates pour un troisième tour de "discussions exploratoires" préalables aux vraies négociations sur la formation d'un gouvernement "rouge-noir".

Pour la presse allemande, Schröder est déjà parti
Les journaux allemands estimaient, mardi, que l'avenir de Gerhard Schröder était déjà scellé. "Schröder annonce son retrait", titrait le quotidien à grand tirage Bild. Pour le Financial Time Deutschland, le SPD préparait déjà l'après-Schröder et "un changement de génération" avec notamment la nomination prochaine d'Andrea Nahles, âgée de 35 ans et porte-parole de l'aile gauche du parti, au poste de secrétaire générale.

Les discussions butent toujours sur la question du titulaire de la chancellerie. Le vice-président du groupe parlementaire SPD, Ludwig Stiegler, a averti que "si la CDU dit que cette question doit d'abord être résolue, il n'y aura pas de négociation. Nous finirons notre tasse de thé et nous rentrerons à la maison".  Même détermination du côté de la CDU: "Il n'y aura pas de négociations sur le contenu, si le SPD n'accepte pas que notre candidate devienne chancelière (...). Le SPD doit reconnaître la réalité après les élections de Dresde" - élections qui ont augmenté l'avance de la CDU – a affirmé de son côté mardi 4 octobre le secrétaire général de la CDU, Volker Kauder, à la chaîne publique de télévision ARD.

DES POSITIONS INFLEXIBLES

Les dirigeants de la CDU n'excluent pas une rupture des pourparlers si le SPD campe sur ses positions. Lors d'une conférence téléphonique lundi soir, ils ont décidé de faire de la question du chancelier le point central de la réunion de mercredi. "Je pense que le SPD finira aussi par comprendre que l'on ne débute pas de négociation de grande ampleur sans avoir d'abord réglé la question centrale", a assuré le chef de l'Union chrétienne-sociale (CSU),  Edmund Stoiber.

M. Schröder avait laissé entendre, lundi, sur la radio allemande RTL, qu'il pourrait ne pas être le candidat du SPD à ce poste. Mais la direction du parti a renouvelé toute sa confiance au chancellier, lundi soir, et a affirmé qu'elle n'avancerait pas d'alternative.

En cas de blocage des négociations, les Verts ont déjà signalé qu'ils n'étaient pas prêts à être l'alternative pour la CDU et leur allié traditionnel, les libéraux du FDP. "Les Verts ne sont pas à la disposition des perdants des élections dans leur partie de poker", a déclaré mardi la co-présidente du parti écologiste, Claudia Roth. "Il n'y aura aucune tolérance pour une coalition" CDU-CSU/FDP, a-t-elle ajouté, estimant que les différences culturelles et politiques étaient trop importantes.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 04.10.05 | 20h42


Le Monde / Horizons
Récit
Villepin pile et face

 1.  Le 21 juin dernier, chaleur et gris sur Paris. A Matignon, des ouvriers montent une estrade pour la Fête de la musique. Dans son bureau du 1er étage, Dominique de Villepin, en chemise et cravate bleue, long, mince, oppose un calme inédit à ceux qui tiennent son échec pour assuré: "Je voudrais prouver que le pouvoir n'est pas forcément le refuge du cynisme, du scepticisme et de l'inaction." Ce matin-là, Thierry Breton, le ministre des finances, a parlé de la dette publique avec des chiffres abyssaux. Trois semaines plus tôt, la France a dit non à l'Europe, cette maison commune paradoxale, parce que non démocratique, dont les architectes semblent avoir au fil du temps oublié les origines et les fins.

Une morosité durable affecte notre pays, dirigé depuis longtemps par des gouvernants paralysés par leur prudence. Dernier en titre: Jacques Chirac. Les Français, tentés de vivre en arrière, dans une quiétude provinciale, s'enferment avec leurs plaintes, s'adonnent à la peur et au repentir, sans savoir qu'ils sont enviés, leur volonté trébuche. "Notre démocratie est complètement bloquée, dit Villepin. Je ne peux réformer que par surprise, en restant dans l'équilibre, la vraie nature française, dans la justice, qui n'est pas l'égalité, et dans le mouvement. C'est seulement parce que c'est difficile que je peux réussir."

Les deux plus proches collaborateurs de Villepin nous rejoignent. Il entretient avec eux un dialogue de chaque instant. Pierre Mongin, cheveux courts et gris, sourcils et yeux noirs, teint mat, bistre des cernes; et Bruno Le Maire, grande taille, peau pâle, sourire et placidité sans affectation sur toute sa personne. Mongin a apporté une photo de Jean Moulin sur son bureau de directeur de cabinet. Sur celui de Le Maire (auteur d'une thèse sur Proust sous la direction du professeur Tadié), un exemplaire des Essais de Montaigne. Deux styles. Villepin reprend avec eux une discussion assez vive. "Vous avez les chiffres que Breton a donnés ce matin. Il faudra trouver les moyens de faire des économies. C'est juin 1940, nous sommes le dos au mur. Est-ce que les gens s'en rendent comptent ?"

Depuis juillet 2004, les trois hommes se sont préparés à ce qu'ils considèrent comme une mission de la dernière chance. La Place Beauvau, sous Villepin, est devenue une sorte de laboratoire clandestin de la société française, où le ministre de l'intérieur a beaucoup reçu, écouté, sans jamais rien en laisser savoir. Des syndicalistes, des professeurs, des économistes, des patrons de PME, des parlementaires, des agriculteurs, des experts-comptables spécialistes de l'emploi, des prostituées, un ancien président (Giscard), des dirigeants de grandes sociétés, parmi lesquels Villepin compte de nombreux amis (Jean-Louis Beffa, Thierry Desmarest, Henri de Castries, Bertrand Collomb, etc.). Tous ces efforts, naturellement, sans aucune certitude de se retrouver à Matignon (Villepin a été prévenu de sa nomination deux jours avant son arrivée Rue de Varenne, mais il l'avait activement anticipée, par déduction, dès le début de l'année, j'y reviendrai).

J'avais été surpris, Place Beauvau, de l'entendre dire qu'il faisait alors "un travail sur lui-même" . Curieux. Mais il avait le sentiment qu'il y avait quelque chose de fondamental dans notre société (les violences, les angoisses, les crispations, mais aussi l'identité nationale) qui lui échappait (et à tous les politiques) et qu'il ne pouvait imaginer réformer sans d'abord se réformer lui-même. Pour regarder le proche et l'innommé d'une réalité française souvent observée de haut, il a maté ses impatiences, s'est interdit ses condamnations à l'emporte-pièce ("Tous des cons..." ). Son lyrisme s'est bridé.

C'est un nouveau Villepin qui arrive à Matignon. D'une conférence de presse à l'autre, les journalistes découvrent l'aune de sa métamorphose. De quoi leur parle-t-il ? De l'emploi, du prix de l'essence, de la croissance sociale... Je lui dis que certains le trouvent un peu... Il m'interrompt: "... Un peu besogneux. Oui, je suis besogneux. Et humble. Je ne veux pas gâcher les deux ans que j'ai devant moi. La démocratie, ce n'est pas attendre sempiternellement les prochaines élections. Je connais le maître mot de Nicolas Sarkozy et de Laurent Fabius, et d'autres encore: rupture. Ils n'ont que ça à la bouche ! S'il y a rupture, je crains qu'elle ne soit pas démocratique. Evitons la surenchère et la montée des extrêmes, faisons bouger les lignes. La réalité d'aujourd'hui ne tient pas dans les vieux clivages."

C'est ainsi qu'il a fait de ses cent jours un début plutôt qu'une fin. En changeant, et en restant lui-même, c'est-à-dire gaulliste ascendant Bonaparte. L'Empereur, "alchimiste des hommes et des légitimités", avant d'user la France dans la gloire militaire, avait jeté les bases d'un Etat moderne et d'une réconciliation des deux France. "De Gaulle aussi, dit Villepin. Qu'est-ce qu'il fait en 1944 ? La rupture ? Non, la continuité. Et quand il revient en 1958 ? La continuité."

La presse le désigne concurrent adoubé de Sarkozy pour l'élection de 2007. Il lève les bras au ciel: "J'ai rencontré trois fois Nicolas Sarkozy en tête à tête depuis que je suis ici. A chaque fois, il m'a répété la même chose: 'Ça se jouera entre vous et moi. Personne n'en doute. Que le meilleur gagne'. A chaque fois, j'ai nié être entré dans cette perspective."

Cela ne veut pas dire qu'il ne pense pas à demain. Depuis qu'il a 20 ans il se prépare. "Mais enfin, qu'est-ce que tu veux ? Dis-le-nous, préviens-nous un peu à l'avance" , lui disent ses proches, parfois lassés de cette tapisserie qui ne s'achève pas. Il dit que servir est son secret. Réponse de sphinx. C'est son côté ombre. Il cache ses besoins d'absolu sous un manteau de mystères.

On croit le connaître, et on le découvre plus complexe qu'on ne l'imaginait. Quand Bayrou dénonce la politique people (les photos de la fille de Villepin publiées dans Elle , les joggings médiatisés avec ou sans Sarkozy), Villepin lui téléphone aussitôt: "Je fais mon jogging tous les jours depuis trente ans, sans journalistes. Les photos de ma fille ont été publiées sans son accord et sans même qu'elle soit prévenue. Sache bien que j'ai servi l'Etat pendant toute ma vie dans la discrétion la plus totale et surtout dans le bonheur de cette discrétion."

 2.  Le 15 septembre dernier, le premier ministre français rit avec Zapatero, serre la main de Bush, embrasse Kofi Annan et Lula, parle avec Poutine, Jintao, Blair et Berlusconi. Il vient de passer une nuit blanche à mettre au point ses déclarations dans une chambre de l'hôtel Mandarin Oriental à Colombus Circle, avec Bruno Le Maire et nos deux ambassadeurs, Jean David Levitte et Jean-Marc de la Sablière. Quand il arrive à la tribune, George W. Bush se redresse sur son siège et branche son écouteur.

L'aisance avec laquelle Villepin a endossé les habits présidentiels pour s'asseoir à la table des grands et souffler avec eux les soixante bougies de l'ONU ne doit rien au hasard. Il y a vingt-cinq ans que Villepin est entré dans la diplomatie et qu'il en fréquente chaque jour les hommes et les dossiers.

A l'aube des années 1980, pour ce jeune homme né au Maroc en 1953, sortant de l'ENA, assoiffé de mouvement et qui n'oublie pas que de Gaulle a toujours raisonné, dès juin 1940, à l'échelle de la planète, la diplomatie était plus qu'une vocation, une évidence. D'autant que le Quai d'Orsay sait s'y prendre avec les poètes comme lui, ceux dont les mots roulent de la lave ou des délicatesses de sylphe. Il suffit que leurs dépêches restent concises.

Sur la carte du monde, il ne voit que l'Afrique. L'Afrique reste le socle fantôme de la planète, une terre de surnature et de grande pauvreté, ravagée (et abandonnée) par l'Occident. En 1977, effectuant son service militaire dans la marine, il descend du Clémenceau, où il présente le journal télévisé du bord tous les soirs aux 2 000 membres de l'équipage. Il est caillassé avec ses camarades par des enfants qui protestent contre la présence française. A sa sortie de l'ENA, Villepin choisit le Quai, et retrouve la Corne de l'Afrique, avant de prendre la direction du service de presse de l'ambassade de France à Washington.

De l'autre côté de l'Atlantique, sa réputation grandit. Il reçoit tous les Français de passage ou en poste sur la Côte est. Des journalistes (Jean-Pierre Elkkabach, Jean Daniel), des intellectuels (Régis Debray, Edgar Morin, Alain Minc), des hommes d'affaires (Alain Gomez). Il noue une amitié imprévue et durable avec Katherine Graham, la propriétaire du Washington Post , rencontrée lors d'une exposition Gauguin. L'Amérique du Nord agit sur lui comme un accélérateur. L'impact du pays sera suffisamment durable pour que, quelques années plus tard, en 2002, évoquant son avenir en cas de défaite de Chirac à l'élection présidentielle, il envisage en privé la possibilité d'un exil de l'autre côté de l'Atlantique.

Après Washington, New Delhi. Dans l'air indien montent les fumées des bûchers où des hommes s'immolent. Villepin est "ébloui" par la douceur d'un homme, Rajiv Gandhi, revenu affronter le chaos, après une traversée du désert. "Il m'a aidé à comprendre la grande leçon de Napoléon et de Gaulle: il y a toujours deux chances." Puis c'est le retour à Paris en 1992, et à ses dossiers africains, au Quai.

C'est peu après que Chirac le convoque: "Dominique, lui dit-il, voyez Balladur. Il faut l'aider à préparer sa réflexion diplomatique." Il se met aussitôt au travail avec Nicolas Bazire et Edouard Balladur, qui lui propose, en arrivant à Matignon, de devenir son conseiller diplomatique. Trop tard. Alain Juppé vient de lui demander de prendre la direction de son cabinet au Quai d'Orsay.

Curieux tandem: Villepin l'imaginatif et Juppé le raisonnable. Ce chaud-froid crée une dynamique. Pour la première fois, Villepin trouve une tâche à la mesure de son énergie et de son goût pour l'effort: un directeur de cabinet est toujours prisonnier de son travail. Ni soirée ni week-end. Villepin gère l'ordinaire et les crises, envoie son ministre à Sarajevo sans avertissement, prépare une réforme du Quai, tout en mettant de l'ordre dans les circuits. Quelques vieux kroumirs se montrent alors oublieux des règles de la morale publique. Villepin purge notre diplomatie de ces réseaux parallèles où prospèrent les bacilles de la corruption. Il neutralise les connexions de ces diplomates et les pousse vers la sortie, avec discrétion, sans états d'âme.

A la veille de Noël 1994, l'affaire de l'Airbus piraté à Alger le mobilise vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Chirac, qui parle à Villepin au téléphone dix fois par jour, comprend que son interlocuteur est seul à Paris. "Qu'est-ce que vous faites ce soir ?", demande le maire de Paris. "Rien, je reste à mon bureau." "Venez dîner avec nous." "Et c'est ainsi, raconte Villepin, que je me suis retrouvé pour le réveillon de Noël chez Joe Allen, aux Halles, avec Chirac, Claude et Bernadette." Depuis le début de la prise d'otages, Villepin plaide pour que l'avion soit autorisé à décoller et à atterrir en France, où la police trouvera plus facilement le moyen d'intervenir. Le lendemain, Chirac persuade Pasqua de laisser décoller l'avion pour Marseille.

En 2002, après cinq années au palais de l'Elysée, le voici de retour comme ministre des affaires étrangères. Contre toute attente, car il s'était préparé à partir pour la Place Beauvau. Sur sa table de travail, qui fut celle de Vergennes, l'encrier de Talleyrand, ce "diable boiteux" qui a toujours voulu être l'homme de la France, et près de lui, face à ses visiteurs, un tableau de Zao Wou-ki. Personne, et lui non plus, ne peut encore imaginer les prochaines accélérations de l'Histoire, qui vont lui donner un rôle.

L'Amérique, traumatisée par le 11-Septembre, cherche à entraîner la communauté internationale dans une embuscade diplomatique à l'ONU contre l'Irak, pays désarmé dont elle prétend qu'il menace la paix mondiale. Le 14 février 2003, Villepin porte la parole française à l'ONU. Son discours est applaudi dans l'enceinte des Nations unies. En France, il provoque un frisson à droite comme à gauche. Le pouvoir est aussi une question d'incarnation. Villepin a incarné, ce jour-là, une certaine idée de la France. En Amérique du Sud, où les télévisions diffusent alors quotidiennement ses interviews en espagnol, dans les pays arabes et musulmans, en Afrique, il est devenu l'homme qui résiste à George W. Bush. Ce sont les événements qui fabriquent les hommes. Villepin est en phase avec l'idée qu'il s'est toujours faite de la vocation universelle de notre pays: il fonce.

Je l'ai alors accompagné pendant deux mois. Il menait les conseillers qui lui faisaient cortège, leurs impedimenta informatiques dans les bras, à un train de marathonien, les exhortant d'une voix forte à parfaire jusqu'à la dernière minute chacune des interventions qu'ils avaient souvent passé la nuit à préparer. Son principal ennemi ? Le temps. Et pourtant, aucune lésine dans la gestion de son agenda: il se montre avec chacun de ses visiteurs d'une disponibilité aux limites de l'extravagance. Pendant cette guerre pour la paix, où la féerie diplomatique remplace les batailles, curieusement, l'Europe reste absente de ses préoccupations. Comme si le monde lui cachait l'Europe.

Au prince Saoud Al-Fayçal, ministre des affaires étrangères d'Arabie saoudite, il raconte sa visite au pape Jean Paul II: "Sa parole est en avant, comme Rimbaud." Réponse du prince: "Vous aussi vous étiez une star, à l'ONU..." A chacun, il montre la même détermination, tempérée par la vitesse du sourire et le précis des phrases, sans arrogance. Sa décontraction chaleureuse range prudents et rieurs de son côté. C'est ainsi que dans l'antichambre de Jean Paul II, à Rome, quand le baron Copa-Solari, gentilhomme du pape, lui montre une fresque représentant Néron, Villepin éclate de rire et s'exclame, à la stupéfaction de Pierre Morel, notre ambassadeur au Vatican: "Vous savez que Bernadette Chirac m'a surnommé Néron depuis la dissolution ! Maintenant, je pourrai dire que j'ai le pape avec moi..."

L'un de ses soucis était alors de garder le contact avec les deux chefs de la diplomatie anglo-saxonne, Jack Straw et Colin Powell, moins éloignés des positions françaises qu'ils ne pouvaient l'avouer. Il arrivait qu'il les rudoie. Prenant connaissance dans l'avion Ankara-Amman d'une déclaration de Colin Powell indiquant que "la France subirait les conséquences de sa politique" , il avait aussitôt fait prévenir le département d'Etat de son souhait de parler au ministre. Colin Powell l'avait rappelé quand nous étions encore en voiture sur le tarmac d'Amman. Villepin lui avait alors posé une question sans préambule: "Alors, Colin ! Que se passe-t-il, tu veux que les Etats-Unis déclarent la guerre à la France ? Tu n'as aucune chance de gagner..." Powell vivait alors avec la "tâche" du mensonge sur son uniforme de général. Il encaisse en silence, son interlocuteur éclate de rire.

Le même jour, dans l'avion qui nous ramenait de Riyad, il était tard et nous étions encore loin de Paris, quand Villepin me confia: "Jamais je n'aurais imaginé que ce à quoi je m'étais préparé toute ma vie soit confronté à un tel choc de la réalité."

J'ai reparlé récemment de cette période de la guerre d'Irak avec Villepin, devenu premier ministre, en lui demandant s'il n'était jamais tenté d'en tirer les leçons. Après tout, les faits n'ont-ils pas démontré qu'il y avait dans la désinvolture de Bush quelque chose de dangereux pour le monde et l'Amérique elle-même ? "Impossible, je suis contraint à l'humilité tant que notre pays ne se sera pas relevé."

Quelques jours plus tard, le destin lui permettait de revenir symboliquement à l'ONU, en lieu et place de Jacques Chirac. A son retour, le président, sorti du Val-de-Grâce, le convoque pour le féliciter. "J'ai senti qu'avec lui, dit Villepin, il n'y avait pas de rapport de force. Tous ceux qui imaginent que je serai un jour en indélicatesse avec lui se trompent."

 3.  Les deux hommes se connaissent depuis 1980. Jacques Chirac, alors maire de Paris, cherche quelqu'un pour l'aider sur le terrain diplomatique. Ce sera Villepin. Dès cet instant, Chirac le consulte chaque semaine. Villepin travaille tous les soirs et chaque week-end, en plus du reste, et bénévolement, pour nourrir la réflexion de Chirac et le tenir informé des dossiers sensibles. Un jour, le maire de Paris lui demande son avis sur une déclaration qu'il doit faire. Villepin envoie sa note à Alain Juppé, alors la plume de Chirac. Une seule phrase en fait, d'un humour qui cingle. Chirac, en l'absence de Juppé, convoque aussitôt l'auteur de la remontrance pour lui dire: "C'est de gens comme vous dont j'ai besoin. Un jour, nous travaillerons ensemble." Et il dresse la liste des présidents de la Ve et de leurs hommes de confiance. "De Gaulle avait Capitant. Pompidou, ses copains de Normale. Giscard n'avait personne. Quant à Mitterrand, il est entouré d'une cour et cela le perdra."

En 1995, dans les semaines qui précèdent la campagne présidentielle, quand les sondages et la presse donnent Balladur vainqueur, la rumeur dit Chirac près de jeter l'éponge. Villepin, en tête à tête, l'exhorte non sans brutalité à marquer son territoire et envoie lui-même son fax de candidature. "Depuis cette campagne, nos destins sont liés" , dit Villepin.

 4.  Je le rencontre à l'automne de cette année-là, chez un peintre marocain, Medhi Qotbi, assis un jour à côté de lui dans un avion et avec qui il s'est lié (il faudrait dresser la liste de ces amitiés de hasard qui ne doivent rien à la politique). Villepin était alors une pièce maîtresse du sérail présidentiel. Il surprenait par sa franchise et par son charme, mais plus encore par une énergie singulière, que j'apparentais à une sorte d'enthousiasme révolutionnaire, que ne modérait pas un attachement conservateur aux principes de notre Histoire et de l'Etat.

Pour ne rien arranger, il était aussi poète, écrivain et menait de front plusieurs projets de livres (Les Cent-Jours, Eloge des voleurs de feu, Le Cri de la gargouille ). "J'assume" , disait-il alors. La poésie est action: souvenons-nous de René Char au plus fort de la guerre, sa façon de forcer l'homme vers plus de souveraineté. Et de Paul Celan: "Jadis, il y avait de la hauteur."

Evoquer ce qui a été sublime, de l'endroit où il se tenait, c'était la verveine qu'il avait trouvée pour dire ce qu'il pensait de notre temps et de son camp. Il n'était pas difficile de deviner où il cherchait ses modèles, parmi les hommes qui acceptaient la présence du destin et connaissaient "le langage chiffré" des mots.

Je le retrouve de loin en loin dans son bureau de l'Elysée. Peintures coptes de chevaliers célestes au mur, éditions originales (Gracq, Genet) dans sa bibliothèque. Pour qui se plaît à imaginer la vie comme un roman, l'Elysée est une bonne adresse. Le lieu où se nouent et se dénouent les intrigues de la cour. Hubert Védrine, qui avait occupé la même fonction de secrétaire général sous Mitterrand, m'avait dit un jour: "C'est un poste d'observation unique sur la comédie humaine." Villepin regarde, jauge, apprécie. Les caractères, les profondeurs de champ, les volontés, les épaisseurs de secrets. La société française est déjà bloquée et apparemment incohérente. "Que fait le pouvoir ? me dit Villepin un matin de mars 1997 ? S'enferme-t-il dans une pièce décidé à n'en sortir qu'une fois prises un certain nombre de décisions ? Non, bien sûr, il consulte, il prend un verre avec les pompiers. Bref, il s'arrange pour ne rien décider. C'est un pouvoir virtuel, comme notre démocratie, brouillée par de faux débats et contaminée par le chômage."

En 1995, Chirac a été élu sur une idée, la fracture sociale, concept aiguisé par Villepin pendant la campagne. Mais chaque projet de réforme soulève des protestations catégorielles en même temps que les députés défilent dans le bureau de Chirac pour l'encourager à dissoudre. Le président, Juppé et Villepin décident d'en finir. Les législatives propulsent Lionel Jospin à Matignon. Le secrétaire général est désigné comme responsable du désastre de la droite.

Je le revois quelques mois plus tard. Il fulmine contre la consanguinité parisienne, la médiocrité des ambitions. Et Chirac ? "Il va mieux, mais il est sans monture." Et lui, s'est-il fait des relations amicales dans le gouvernement Jospin ? "Deux ou trois, Allègre, Védrine, Kouchner." Jeudi dernier, à Matignon, je l'interroge de nouveau sur cette dissolution. "La seule différence entre moi et les autres, c'est que j'ai toujours assumé notre décision. Cela dit, les problèmes n'ont pas changé. Le refus des réformes, le goût des combinaisons, la survie sans risque. Cette inaction engendre la dérision et salit la politique. Je n'ai oublié ni le 21 avril ni le 29 mai. Je crois que la politique c'est l'action, et, pour conduire la mienne, je m'arrime à une fidélité française et à quelques grands principes que chacun commence à connaître, c'est ma clarté."

 5.  Ce qui est certain, c'est que la crainte bien connue du président de la République de "déchirer le tissu social français", exprimée devant nombre de ses visiteurs, a fini par empoisonner ses relations avec ses premiers ministres. Le président avait peur de déchirer le tissu, et le premier ministre craignait que le président n'ait raison. Leur dialogue fortifiait la tyrannie du statu quo. Pourquoi est-ce que cela changerait ? "Ma relation avec le président est fondée sur un double registre. Celui des principes républicains et gaullistes. Et celui d'une recherche de solutions concrètes, sans idéologie. Je crois aux synthèses politiques, pas aux marchandages. Le président est assuré de ma fidélité, je connais sa pensée, le clavier qui est le sien, les fragilités dont il parle, je les prends en compte et nous avançons." Et si, au bout du compte, Chirac n'était pas mécontent d'avoir en face de lui un premier ministre qui décide ?

Il y a six mois, l'histoire n'était pourtant pas écrite. Une solide connivence existait entre les deux hommes, fondée sur des années de travail en duo, de passions communes, l'Afrique, la culture asiatique, de fidélité (jamais je n'ai entendu un mot contre Chirac dans la bouche de Villepin, qui sait mes réserves). Mais le président envisageait de finir son quinquennat avec Raffarin. C'était pour lui un confort politique et personnel. Par qui voudriez-vous le remplacer, disaient ses interlocuteurs (dont Alain Juppé) ? Villepin ? Votre ancien secrétaire général ? Surtout pas. La politique est un métier et, au coeur de ce métier, il y a l'élection.

Villepin lui a forcé la main. Un soir de l'été 2004, chez Claude Perdriel, industriel et homme de presse, la précision de ces phrases vaut condamnation d'un système à bout de souffle: "Regardons les pays qui sortent de soixante-dix ans de communisme ! Pour la première fois depuis longtemps, ils ont le sentiment d'avoir rendez-vous avec l'Histoire. Quittons notre léthargie ! Et que le pouvoir redevienne un espace d'invention et de décision."

Au début de l'année 2005, lassé d'attendre des décisions qui tardent, il part à la conquête de Matignon et s'en cache à peine. Le 2 janvier, je lis son entretien, très offensif, dans le Journal du dimanche , et je l'appelle: "Villepin premier ministre, c'est pour cette année ?" Réponse sans hésitation: "Absolument." Place Beauvau, il accélère sa réflexion et son travail de métamorphose. Un matin, il met publiquement Raffarin dans les cordes. "Il faut aller plus vite, plus loin, plus fort." Habité par le sentiment de l'urgence, persuadé que la crise morale, sociale et politique exige davantage de sacrifices et de pédagogie.

Villepin voit Raffarin le lendemain, qui ne lui dit rien. Aucune réaction de "recadrage" à l'Elysée. Chacun s'habitue à le regarder de façon différente. Après le 29 mai, Chirac l'appelle à Matignon et tourne une page de sa propre vie.

 6.  L'été passe sur Matignon avec une douceur enviable. Un léger retard à l'allumage de l'état de grâce, mais le nouveau Villepin, son obsession de l'emploi, créent la surprise, et les événements semblent s'organiser pour le servir. Il touche les premiers dividendes de sa préparation, de ses méthodes de travail collectif, du style de sa communication (jamais de petites phrases, une conférence de presse mensuelle). Il savoure ce calme sans illusions, s'inquiétant de voir de grands Etats (les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, l'Iran) s'organiser pour défendre leurs intérêts nationaux et leur souveraineté, et donne tous ses soins aux concepts de patriotisme économique et de croissance sociale.

Mais au retour des journées parlementaires de l'UMP à Evian, le 20 septembre, tous ses visiteurs sont brutalement décommandés. Les vrais rendez-vous se nomment: déficit de la Sécurité sociale, prix du pétrole, Hewlett-Packard, SNCM. C'est pour affronter la crise qu'il est à Matignon. La crise cogne à sa porte. Plus de palladium. Le voici en première ligne, dans le temps des épreuves, l'ordalie qu'il attendait, au fond. Il a besoin d'obstacles pour que ses élans ne soient pas arrêtés court.

Plus important: il était impatient de rencontrer la vérité des Français, et la sienne aussi, face à ce déclin qu'il récuse. Les dossiers dévorent ses jours et ceux de ses ministres, dont certains, déjà, peinent à suivre les premiers pas de cette marche forcée qu'est le parcours de tout locataire de Matignon. Jeudi dernier, après une nuit très écourtée, il évoque rapidement les élections allemandes. Partout les dés roulent. "Que chacun prenne ses responsabilités. Les jeux de rôle ne suffiront pas à nous sortir de la nasse." Il se prépare pour demain et promet des surprises. Il n'oublie pas que ce sont les événements qui emploient les hommes.


Daniel Rondeau, 57 ans, écrivain et chroniqueur littéraire à L'Express, a publié de nombreux livres, parmi lesquels Tanger, Chronique du Liban rebelle, Tambours du monde et, plus récemment, Dans la marche du temps (Grasset). Il a reçu le prix Morand de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre et dirige la collection "Bouquins" chez Robert Laffont. Son prochain essai, sur Albert Camus, doit paraître fin octobre.

Daniel Rondeau
Article paru dans l'édition du 04.10.05


Le Monde / Europe
Gerhard Schröder se dit prêt à renoncer à la chancellerie allemande
BERLIN de notre correspondant

 P remier pas vers la sortie ou simple manoeuvre tactique ? Le chancelier allemand sortant, Gerhard Schröder, a en tout cas laissé entendre, lundi 3 octobre, pour la première fois depuis les législatives du 18 septembre, qu'il était prêt à renoncer à se maintenir à son poste, auquel il s'est jusqu'à présent agrippé en dépit de la courte, mais réelle, victoire électorale de l'opposition conservatrice. "Je ne veux pas être un obstacle à la poursuite du processus de réformes que j'ai engagé et à la formation d'un gouvernement stable en Allemagne" , a-t-il déclaré à la chaîne de télévision RTL. Mais, a-t-il ajouté, son avenir à la chancellerie n'est pas de son ressort: "Il s'agit de la prétention politique de mon parti à diriger un gouvernement, une question sur laquelle seule la direction de mon parti peut prendre une décision. J'accepterai toute décision."

Quelques heures plus tard, au terme d'une réunion du présidium du Parti social-démocrate (SPD), son président, Franz Müntefering, douchait les espoirs de la droite en affirmant que M. Schröder "devait rester chancelier" . Tel est "l'objectif" de son parti au moment d'aborder, mercredi, une troisième séance de pourparlers exploratoires avec les Unions chrétiennes (CDU-CSU) en vue de tenter de former un gouvernement de coalition. Sous-entendu, cette position pourrait ne pas rester immuable. Et M. Müntefering, un proche de M. Schröder à qui il avait succédé à la présidence du parti en mars 2004, d'ajouter: "Avant l'ouverture de véritables négociations sur le futur gouvernement, il n'y aura pas de décision quant aux personnes."

PORTE DE SORTIE

En se défaussant sur son parti, le chancelier sortant, au pouvoir depuis l'automne 1998, a levé un peu de la pression qui pesait sur lui, tout en se ménageant une porte de sortie honorable. Son éventuel départ fait désormais partie des points négociables dans le grand marchandage auquel vont se livrer le SPD et la droite conservatrice emmenée par Angela Merkel.

Les élections anticipées du 18 septembre, convoquées un an plus tôt que prévu à la demande de M. Schröder, n'avaient pas réussi à départager les deux camps, aucun d'entre eux n'étant en mesure de former une coalition majoritaire avec leurs partenaires favoris. CDU-CSU et SPD ont donc décidé de tenter de former un gouvernement d'union, phénomène inhabituel au niveau fédéral en Allemagne mais déjà expérimenté à la fin des années 1960. Forte de son avance de 4 sièges sur le SPD au Bundestag (226 contre 222), la CDU-CSU revendique le droit de diriger le futur gouvernement.

Jusqu'à présent, M. Schröder et son parti s'y sont refusés. Ces derniers temps, et en particulier depuis le scrutin partiel tenu dimanche dans une circonscription de Dresde (Est), qui a vu la droite remporter un mandat, la pression s'est accrue sur les épaules de M. Schröder pour qu'il cède sa place. "C'est un bon résultat pour la CDU et je compte sur les éléments raisonnables du SPD pour faire en sorte maintenant que les choses évoluent de façon appropriée" , a déclaré lundi Mme Merkel.

Son camp a mis le départ de M. Schröder de la chancellerie comme condition à l'ouverture de négociations en bonne et due forme sur la formation d'un gouvernement de coalition. Les sociaux-démocrates ne l'entendent toujours pas de cette oreille. Ils souhaitent aborder les négociations sur une future coalition sur un pied d'égalité avec la CDU. Selon M. Müntefering, le SPD est "le parti le plus important au Bundestag" , la CDU et la CSU constituant, à ses yeux, deux partis différents. La partie de bras de fer engagée entre les deux camps n'est pas prête de s'achever.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 05.10.05


Le Monde / Entreprises
Malgré le lancement de la nouvelle Clio, Renault voit ses parts de marché s'éroder en France

 L' envolée des prix des carburants et la morosité de la conjoncture n'ont pour le moment pas d'impact sensible sur les ventes de voitures neuves. En septembre, les immatriculations ont enregistré une hausse de 7,6% par rapport au même mois de 2004, selon le Comité des constructeurs français d'automobile (CCFA).

Sur les neuf premiers mois de l'année, la croissance du marché français s'établit à 4,7% par rapport à la même période de 2004. Le faible niveau des taux d'intérêt, alors que plus d'une voiture sur deux est achetée à crédit, peut expliquer la bonne tenue des ventes.

La hausse profite toutefois de façon inégale aux marques françaises, qui globalement perdent des parts de marchés, en passant de 61% à 58,8%. Citroën est la seule marque à tirer son épingle du jeu. Ses ventes sont en hausse de 20,3% en septembre et de 8,9% depuis le début de l'année. Citroën recueille ainsi les fruits du renouvellement récent de sa gamme. La C4, avec 49 200 unités vendues sur les neuf premiers mois de l'année, la C2, en progression de 8,5% et la C3, en hausse de 29% tirent les résultats de la marque aux chevrons. Quant à la C1, la petite citadine fabriquée en collaboration avec Toyota et lancée en juin, son démarrage est lent: 646 immatriculations. Sa petite cousine de chez Peugeot, la 107, fait nettement mieux, avec 1 395 immatriculations.

BILAN CONTRASTÉ DES ÉTRANGERS

Globalement, les ventes de Peugeot se redressent (+ 5,4%) mais ne parviennent pas à faire mieux que le marché. Si les résultats de la 206 (­ 26,8%) ne surprennent pas ­ son successeur, la 207, doit être lancé début 2006 ­ ceux de la 307 sont plus étonnants. Le modèle voit ses ventes baisser de 4,3% alors qu'il vient d'être redessiné. En revanche celles de la 607, grâce à de nouvelles motorisations, progressent de 21,6%.

La situation est beaucoup plus inquiétante pour Renault. Malgré le lancement de Clio III en septembre, la marque au losange enregistre une baisse de ses ventes de 4,8%. Cette contre-performance s'explique largement par le recul de la Megane. La version berline voit ses ventes chuter de 10,9% en septembre et de 21,5% sur les neuf premiers mois de l'année. Le Scénic baisse de 12,9%, mais reste stable depuis le début de l'année.

De son côté, Modus, le petit monospace lancé il y a un an, connaît déjà une chute de 37,5%. Enfin la Vel Satis a connu un mois de septembre calamiteux avec seulement 120 exemplaires écoulés, soit un recul de plus de 65%. "Contrairement à certains concurrents, nous n'avons pas participé à la guerre des prix, le quatrième trimestre devrait être nettement meilleur avec la montée en puissance de Clio III", explique un porte-parole de Renault.

Seule satisfaction pour la marque au losange, l'engouement pour la Dacia Logan. 860 unités ont été vendues en septembre, soit plus qu'un véhicule d'une marque comme Honda, Mazda ou Mitsubishi. La difficulté pour Renault est actuellement de coller à la demande. Sur les 10 500 commandes passées depuis son lancement en juin, seul un tiers ont été livrées.

Chez les marques étrangères, le bilan est également contrasté. Toyota poursuit son ascension: ses immatriculations ont bondi de 33,3% en septembre sur un an, alors que la nouvelle Yaris vient tout juste d'être lancée. Le constructeur japonais a vendu en septembre près de 300 Prius, portant ainsi le total des ventes du modèle hybride (fonctionnant alternativement à l'essence et à l'électricité) à 1 911 depuis le début de l'année.

Ford et Volkswagen ont connu également un bon mois de septembre avec des hausses respectives de 24,9% et de 23%. Les perdants de ce mois de septembre sont Fiat, qui avec ses marques Lancia et Alfa Romeo chute de 14,3% et Opel baisse de 9,6%.

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 05.10.05


Le Monde / Entreprises
General Motors et Ford voient s'effondrer leurs ventes de 4 × 4 aux Etats-Unis

 L e marché automobile américain serait-il en train de connaître un tournant majeur ? L'envolée des prix du carburant après le passage du cyclone Katrina a provoqué en septembre une désaffection sans précédent pour les 4 × 4 et les gros véhicules de loisirs. Ford a vu ses ventes de véhicules tout-terrain chuter de 51% le mois dernier, tandis que celles de General Motors reculaient de 29%.

Les constructeurs américains, qui se sont spécialisés ces dernières années sur ce segment de véhicules au détriment des berlines classiques, subissent de plein fouet la désaffection des clients. Avec un gallon d'essence (3,78 litres) qui dépasse désormais les 3 dollars, la prise de conscience que l'énergie a un prix fait son chemin. Le gouvernement américain recommande désormais aux automobilistes d'adopter une conduite plus souple et plus économe.

En se focalisant sur les modèles qui consomment beaucoup d'énergie, Ford et GM se trouvent pris à leur propre piège. Pendant des années, ils ont laissé le champ libre aux constructeurs japonais, qui désormais dominent largement le segment des berlines.

La défection pour les 4 × 4 est d'autant plus sensible que le marché a été soutenu artificiellement par les constructeurs américains qui ont mené une politique de rabais agressifs. Un palier supplémentaire avait été franchi en juin, lorsque GM avait appliqué à ses clients les mêmes tarifs promotionnels qu'il propose à ses salariés. Ford et Chrysler avaient été obligé d'emboîter le pas au leader du marché. Les ventes des trois constructeurs s'étaient envolées cet été mais cette stratégie s'est révélée doublement perverse. D'abord elle est très coûteuse en terme de marge, et par ailleurs elle a fini par assécher la demande des consommateurs américains.

CERCLE VICIEUX

La question est maintenant de savoir combien de temps les constructeurs américains vont subir le contrecoup des rabais de l'été. Du fait de gammes insuffisament attractives par rapport à celles des japonais Toyota, Nissan et Honda, General Motors et Ford sont pris dans un cercle vicieux. En effet, pour maintenir leurs parts de marchés, les constructeurs américains sont obligés de brader leurs modèles. Or une telle politique provoque, lorsqu'elle s'arrête, l'effondrement de leurs ventes, ce qui entraîne ainsi une réaction en chaîne sur leurs résultats, sur leur capacité à s'endetter et à faire face à leurs échéances financières.

Dans la foulée des immatriculations de septembre, l'agence de notation financière Standard & Poor's a ainsi prévenu, lundi 3 octobre, qu'elle pourrait abaisser prochainement les principales notes de dette des constructeurs automobiles. L'endettement colossal de General Motors et de Ford, qui s'élève respectivement à 284 milliards de dollars (238 milliiards d'euros) et à 158 milliards, avait conduit les mêmes agences de notation financière à les reléguer au rang d'investissement à risques (junk bonds ) au printemps. Plus que jamais, le spectre du chapitre 11, la loi américaine sur les faillites, plane sur GM et sur Ford.

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 05.10.05


Le Monde / Entreprises
Fiat voit dans le groupe indien Tata un partenaire stratégique pour son redressement

 L' administrateur délégué de Fiat, Sergio Marchionne, a annoncé, mardi 4 octobre, que le partenariat signé en septembre avec l'indien Tata sera l'un des plus importants pour le groupe italien et pourrait être étendu à d'autres secteurs. "A moyen ou long terme, Tata sera un de nos partenaires les plus importants, y compris dans les véhicules industriels et commerciaux et dans les machines agricoles. En raison de l'accès à l'Inde mais pas seulement", a expliqué l'administrateur délégué de Fiat au quotidien italien, le Corriere della Sera.

Le constructeur automobile a signé le 22 septembre une lettre d'intention pour nouer une coopération avec Tata, sans préciser la portée de l'accord. Fiat s'était contenté d'affirmer que les deux groupes allaient évaluer les domaines sur lesquels ils pourraient travailler ensemble dans le développement, la production, l'achat et la distribution automobile.

"Nous pourrons ensemble avoir des ambitions mondiales, des alliances plus larges: cela ne me déplairait pas, par exemple, de faire un moteur commun pour le marché asiatique et de le faire en Inde", affirme aujourd'hui M. Marchione. En outre, le constructeur indien pourrait aider Fiat dans le domaine des engins agricoles et des véhicules utilitaire sur le marché chinois. Tata est leader du marché automobile indien avec 59% de parts d'un marché qui a représenté en 2004 un peu plus d'un million de véhicules.

Fiat multiplie depuis plusieurs mois les annonces de coopérations ponctuelles avec d'autres constructeurs. Le groupe italien s'est ainsi associé avec PSA-Peugeot Citroën pour fabriquer un petit utilitaire en Turquie et, début septembre, Fiat avait annoncé le développement en commun avec Ford d'une petite citadine.

Le constructeur italien en difficulté semble commencer à sortir la tête de l'eau: les trois marques du groupe, Fiat, Lancia, Alfa Romeo, ont gagné du terrain, avec 28,1% du marché italien en septembre, contre 27,7% en septembre 2004. La seule marque Fiat a enregistré une progression de 6,75% de ses immatriculations en septembre.

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 05.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Service minimum

 C' est une journée paradoxale pour la presse. L'une de ces journées que les historiens aiment, avec le recul, choisir pour lui donner toute sa valeur et son relief. Résumons: à l'occasion de la journée nationale d'action et de mobilisation organisée par les cinq confédérations syndicales représentatives, la région parisienne est quasiment privée de ses quotidiens habituels. Le journal, ce vecteur privilégié de l'information, de l'analyse et du commentaire, est absent des kiosques au moment où le corps social est invité à manifester et donc à s'impliquer encore davantage dans le combat politique.

Ce premier paradoxe est malheureusement devenu classique depuis trop longtemps. Mais il est pimenté par un deuxième paradoxe: cette fois, le mot d'ordre de grève qui affecte la presse quotidienne est à géométrie variable. Les lecteurs de La Croix ou du Parisien pourront trouver et lire leur journal; les autres en seront privés. Les lecteurs de la presse régionale trouveront leur quotidien habituel, pas les habitants de la capitale.

Ce n'est encore rien. Le troisième paradoxe de cette journée bien particulière pour la presse contribue encore à brouiller les repères. Les principaux titres de la presse nationale (Le Figaro, Libération et Le Monde) sont en effet interdits de fait par cette journée d'action et de mobilisation alors que les titres de la presse quotidienne gratuite sont pour leur part massivement distribués. C'est là une manière forte pour consacrer la victoire d'une presse qui a montré son savoir-faire, son génie du marketing et sa science de l'information en pilules. La situation est la suivante: Métro et 20 minutes mettent tous les jours à disposition de leur public l'équivalent de 800 000 exemplaires dans la région parisienne. C'est exactement la diffusion cumulée du Figaro et du Monde en France et à l'étranger.

Ces chiffres suffisent à cerner l'ampleur des difficultés de la presse quotidienne payante et les obstacles auxquels elle est sans cesse confrontée, comme cette journée d'action qui se résume pour elle à une journée d'inaction et de pertes financières. Encore ne s'agit-il là que d'une vue très partielle de la situation. En réalité, la presse quotidienne nationale est le seul média touché par le mouvement social. Tous ses concurrents sont heureusement libres d'exercer leur mission, à commencer par les radios et les télévisions.

Le quatrième paradoxe est plus riche de perspective. A chaque fois qu'une grève frappe la presse, les sites Internet des journaux se révèlent comme de puissants alliés. Ils offrent l'hospitalité aux titres incapables de paraître. Juste retour des choses puisque ces sites ont bâti leurs fondations avec la matière intellectuelle prêtée par leurs aînés.

La presse papier se prend de plus en plus à rêver aux avantages de la presse électronique. Cette terra incognita reste à découvrir. Personne n'en a fait le tour. Elle apparaît comme une promesse – ­ l'arrêt des rotatives n'y a pas de sens. C'est une terre de liberté.

Article paru dans l'édition du 05.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Christophe Breton, gréviste ♦ 04.10.05 | 18h55 ♦ Ciel ! Le Monde ne parait pas, la perte! Confiance: la voix officielle se fera entendre ce soir, et la presse, poursuivra dans les jours à venir son travail de gommage des réalités. Cécité lénifiante des entomologistes qui nous observent. Si seulement on était sâges! Le droit de grève existe encore, dans un pays moderne ? 91 signes restants pour dire comment avoir le bon chiffre: compter, le jour même, dans la manif. J'en sais plus que les journalistes, ne leur dites pas, ils se vexeraient !
FDMLDP ♦ 04.10.05 | 18h33 ♦ Il faut rappeler que la censure de fait de la presse par la grève est, au moins en partie, l'héritage de la tradition cégétiste du monopole d'embauche du Syndicat du Livre aux NMPP, qui a même, à ses meilleures heure, pratiqué une certaine...sélection. Partout où les communistes ont eu du pouvoir, ils ont muselé la presse. Alors vive Internet, vive toutes les formes de contre-pouvoir au baillon syndical, à tous les baillons, à toutes les prises d'otages.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 04.10.05 | 18h29 ♦ Le Monde ne critique pas la grève elle-même mais trouve étrange que, dans ces circonstances, la bonne presse ne parait pas alors que la "moins bonne" n'éprouve aucune difficulté à être distribuée ! On peut ainsi comprendre qu'un journal qui ne roule pas sur l'or en ait "gros sur la patate". En faisant paraître sur le net une édition qui "coûte" sans la moindre recette, le journal fait preuve d'une certaine élégance déontologique et certains de ses abonnés d'une grande ingratitude !
wellington ♦ 04.10.05 | 18h28 ♦ La rengaine qu'on entend en ce moment dans la rue et dans desréactions de lecteurs est consternante: le libéralosme=régression sociale? Mais où est le progrès quand le "modèle social français" provoque un chômage de masse qui touche jusqu'à 25% des jeunes, quand les facs éjectent sans diplômes 40% des jeunes qui y rentrent, quand la France régresse chaque année dans le classement des dépôts de brevets. TOUS les pays qui se développent le font sur une base libérale. C'est ainsi.
Mathieu P. ♦ 04.10.05 | 18h19 ♦ Votre édition électronique ? Elle a bien baissé dernièrement. Sous couvert d'offrit d'avantage d'articles similaire à celui envoyé par mail, vous n'envoyez plus qu'un extrait qui contraint à revenir sur votre site une fois encore pour RElire l'article dans son entier. L'interêt de s'envoyer un mail de l'article pour l'abonné que je suis n'en est plus un, sauf pour vous qui ne manquerez pas de facturer la consultation ultérieur. Etrange conception du service aux abonnés !
MARCEL G. ♦ 04.10.05 | 17h57 ♦ Le problème n'est pas la grève, mais la manière dont on la fait.L'imagation des dirigeants syndicaux n'est pas, c'est le moins que l'on puisse dire, au pouvoir sur ce point.
Frédéric C. ♦ 04.10.05 | 17h53 ♦ A l'heure où 10% (officiellement) de la population active est au chômage, certains se permettent de faire grève... S'ils sont si mécontents de leurs salaire, conditions de travail et autres, pourquoi ne cherchent-ils pas un autre travail au lieu de prendre le français moyen en otage? Et ne gagnent-ils pas assez pour se passer d'une journée de salaire? On me parlera de solidarité, mais qui est solidaire du lecteur, du travailleur sans voiture et autres victimes qui n'ont rien demandé à personne?
Eugène-Jean D. ♦ 04.10.05 | 17h44 ♦ Nul ne sait plus compter. La presse n'a jamais été l'évangile. Est-ce que les journalistes du Monde n'étaient pas eux-mêmes en grève? C'est un beau cas de discrimination, positive ou négative?
PIERRE B. ♦ 04.10.05 | 17h40 ♦ Vous regrettez, à juste titre, les conséquences de la grève sur la parution de l'édition papier, et vous vous réjouissez que grâce à Internet le Monde puisse néanmoins publier dès maintenant ses articles. Cependant, la mention « En raison du mot d'ordre de grève, "Le Monde" daté mercredi 5 octobre 2005 n’est pas paru et n’est donc pas disponible au format électronique » sur l'édition PDF ne démontre-t-elle pas que vous restez des victimes volontaires et artificielles de cet asservissement ?
Antoine D. ♦ 04.10.05 | 17h30 ♦ La grève systématique du secteur public est dérangeante. Le discours de la CGT qui tente de faire accréditer l'idée que le secteur public se mobilise pour défendre aussi les intérêts des salariés du secteur privé est une belle approche réthorique mais me laisse extrêmement sceptique. Les problèmes de la presse sont l'illustration de l'effet contre-productif de ces grèves à répétition sur l'outil de travail et la production. Est-ce une attitude responsable de la part des syndicats?
Stéphane D. ♦ 04.10.05 | 17h01 ♦ ...Oui, mais votre edition electronique serait justement bien inspirée d'essayer d'informer plutot que de relayer la propagande des différents bords...: "150 000 personnes selon la CGT", ce qui veut sans doute dire qu'on aura un "7 000 selon la préfecture" dans 2h... Est ce qu'un jour la presse française (tous bords confondus) sera capable de nous donner "<le bon chiffre> après un comptage seérieux et méthodique" ? Si les journalistes ne font pas leur travail d'INFORMATION, la presse périclite.
cohelet ♦ 04.10.05 | 16h57 ♦ Cinquième paradoxe: les grévistes et leurs sympathisants manisfestent contre les méfaits du libéralisme et des restructurations dont l'internet et les NTIC. Le Monde paraît comme si de rien n'était grâce à Internet...et à ses journalistes non grévistes. Demain: retour à pas de grève et Le Monde papier.
R.Q.K ♦ 04.10.05 | 16h10 ♦ Réagissez à cet article ! Je réagis !! La grève, c'est quoi ? C'est avant tout une prise d'otages, une atteinte inadmissible à la liberté de travailler où et quand bon vous semble, un gros tas d'argent jeté par les fenêtres par une bande d'irresponsables qui mélangent droit syndical, droit de grève, libertés individuelles et droit au travail. C'est la raison du plus gueulard à défaut d'être la raison du plus intelligent. C'est l'organisation programmée au droit de casser tout sur son passage.
sami63 ♦ 04.10.05 | 16h08 ♦ C'est vrai que cette grêve ne permet pas au Monde d'être en kiosque. Comme il est vrai que certains enfants n'on pu aller à l'école. Que des travailleurs ont préféré rester chez eux que de galerer dans les transports en commun. C'est vrai qu'une grève peut perturber la production de bien et de service...autoriser les grèves à condition qu'elles ne générent pas de perturbation; pourquoi pas! mais cela revient à interdire la grève? A demain, pour un éditorial sur les bienfaits du dialogue social
Alda B. ♦ 04.10.05 | 16h01 ♦ Difficle de concilier les droits de grève et au travail, à l'information.... Mais à quoi va donc servir cette journee de manifestation, puisque de toute façon ce gouvernement ignore les souhaits des français. Mr de Villepin écoute mais n'entend pas.
Francis M. ♦ 04.10.05 | 15h56 ♦ Bah ! L'absence du "Monde" pour un jour, c'est une excellente occasion de lire "Libération", qui a trouvé le chemin des rotatives ce matin et dont une édition PDF complète est disponible sur le site web. Au moins, la ligne éditoriale de "Libé" est claire, tandis que "Le Monde" tatonne et cherche sa voie (sa voix ?), quelque part entre Edouard Balladur et Guy Mollet.
ANTOINE S. ♦ 04.10.05 | 15h43 ♦ Si je comprends bien votre derniere phrase, l'execice du droit de grève est une entrve à la liberte de la presse.
Xavion ♦ 04.10.05 | 15h25 ♦ Je suis d'accord avec cet édito, je ne vois pas pourquoi la distribution des journaux devrait être perturbée, ni d'un point de vue économique (un journal est un produit de consommation), ni d'un point de vue "gréviste" (cela n'apporte rien au sens politique de cette grève).
Philippe B. ♦ 04.10.05 | 14h52 ♦ La presse électronique est en effet une terre de liberté, mais pour combien de temps encore? Je vous trouve bien optimiste: avant longtemps, les grévistes bloqueront non seulement vos rotatives, mais aussi vos sites internet! Ce jour-là, la liberté de la presse en aura pris un sérieux coup. Les journaux français seraient bien inspirés d'installer des sites de secours à l'étranger, au cas où...
LibertéEquitéSolidarité ♦ 04.10.05 | 14h29 ♦ Mélenchon, Buffet et Besancenot ont une solution simple. L'information du public doit être considérée comme un service public. Il ne reste plus qu'à nationaliser les organes de presse et exiger de l'état qu'il leur donne les moyens - qui ne seront jamais suffisants - en homme et en ressources pour accomplir cette mission de service public. Tout le monde sait que le néo, l'ultra et même le libéralisme imposent des logiques peu propices à une information vraie et non-orientée ! CQFD !
Europekipete ♦ 04.10.05 | 14h22 ♦ La presse electronique est une terre de liberte pour ceux qui peuvent la consulter, or en France plus qu'ailleurs l'acces a internet est encore un luxe inaccessible et absent de nombreux foyers. Une categorie de francais importante devient donc justement la cible d' une information ecrite tronquee qui les tient eloignes de la liberte de verite. Une censure intello- sociale orchestree par la dictature syndicale, vestige sovietique autoritaire unique a la France
treve ♦ 04.10.05 | 14h21 ♦ L'éditorial du monde est rempli de bon sens mais pourquoi n'y ai je pas lu l'expression " monopole NMPP" (dominée par la CGT). Il faut oser aller jusqu'au bout et dénoncer des grèves qui ont moins pour but de défendre les plus faibles d'entre nous que de protéger les privilèges de quelques uns Sous couvert de la défense du service public c'est du maintien d'avantages exhorbitant du droit commun qu'il s'agit: gageons que l'internet signifiera la fin de ce monopole pour le bien de tous
Beberno1 ♦ 04.10.05 | 13h53 ♦ Un édito emprunt d'une amertune bien compréhensible. Mais c'est la nature même d'une grève que de perturber (voire d'empêcher) le fonctionnement normal d'une entreprise et ce, malgré les bonnes intentions de leurs organisateurs. Sinon quel intérêt de manifester les jours ouvrés ? Heureusement, grâce à Internet, l'information reste disponible; même pendant les jours de grève. Grâce à Internet, on ne pourra pas reprocher aux grévistes de prendre le droit à l'information en otage.
aléa ♦ 04.10.05 | 13h14 ♦ "Le journal, ce vecteur privilégié de l'information, de l'analyse et du commentaire, est absent des kiosques" En définitive grâce à internet, l'édito est là et le choix d'un commentaire a bien été fait: celui de stigmatiser les grévistes qui font perdre de l'argent au journal et de vanter les machines qui ignorent les luttes sociales. Est-ce là le nouveau regard du "Monde" ?
Stéphane K. ♦ 04.10.05 | 13h12 ♦ Il sert à quoi cette éditorial ? Il ne faut donc pas faire grêve pour ne pas perturber l'édition du Monde, c'est ça ?! Pour ne pas perturber les transports en commun et les "bons" travailleurs ?! On voit pourtant où ça mène la grêve "soft", les gens crèvent en silence, c'est mieux, assurément, pour les "bons" travailleurs et le Monde ! J'espérais (folie ?) un Monde en pointe et pas en frein à ce "mouvement social". Salut, je me désabonne !
Dominique F. ♦ 04.10.05 | 13h04 ♦ L'exercice du droit de grève dans notre pays est la chose la plus anti-démocratique qui soit. Mais c'est par contre un élément essentiel de notre folklore national sans lequel, aux yeux du monde, la France ne serait qu'un pays Européen comme une autre.


Le Monde / Europe
Le SPD veut maintenir la candidature de M. Schröder au poste de chancelier

 L e déblocage politique est suspendu à une réunion, mercredi à 14 heures, à Berlin, entre le SPD et la CDU-CSU qui devrait durer trois heures. Elle devrait rassembler treize responsables politiques, dont Angela Merkel et le président de la CSU (aile bavaroise de la CDU), Edmund Stoiber, du côté conservateur, ainsi que Gerhard Schröder et Franz Müntefering pour le SPD.

Il s'agit du troisième tour de "consultations exploratoires" entre conservateurs et sociaux-démocrates. Ce processus se déroule dans un climat toujours conflictuel depuis que Gerhard Schröder ne laisse plus entendre qu'il pourrait renoncer à diriger un gouvernement de coalition avec les conservateurs. Il leur avait fait une fausse joie lundi en doutant de la pertinence de son maintien dans la course, créant aussitôt une émotion au sein de son parti, dont le président, Franz Müntefering, a insisté sur la candidature de l'actuel chancelier.

SUSPENSION OU ABANDON DES NÉGOCIATIONS SI LE SPD MAINTIENT M. SCHRÖDER

A bout de patience, les Unions chrétiennes (CDU-CSU), emmenées par Angela Merkel, n'excluent pas de suspendre ou même d'abandonner ces discussions préalables si les sociaux-démocrates persistent à revendiquer pour le chancelier sortant, Gerhard Schröder, la tête du prochain gouvernement. "Il n'y aura pas de négociations sur le contenu si le SPD n'accepte pas que notre candidate devienne chancelière", a réaffirmé mardi le secrétaire général de la CDU, Volker Kauder, à la chaîne publique de télévision ARD.

Les conservateurs, qui ont conforté leur avance au Bundestag (Chambre basse du Parlement) à l'issue de la législative partielle dimanche à Dresde (Est), avec 226 sièges contre 222 pour le SPD, exigent le retrait de la candidature de Gerhard Schröder à la chancellerie avant d'engager des négociations formelles en vue d'une éventuelle "grande coalition".

Le président du SPD leur a répondu qu'il souhaitait "appliquer autant que possible [le programme du SPD] dans une action gouvernementale avec Gerhard Schröder à sa tête". Outre le différend sur la chancellerie, les questions du marché du travail, du système de sécurité sociale, la situation financière difficile de l'Etat fédéral et des Etats régionaux, ainsi que le fédéralisme seront au programme de la réunion de mercredi.

La direction de la CDU veut se réunir jeudi pour faire le point. En cas de décision d'interrompre les "consultations exploratoires", la possibilité de nouvelles élections pourrait ressurgir.

LEMONDE.FR | 05.10.05 | 08h15


Le Monde / Médias
La presse écrite et audiovisuelle perturbée par la grève

 L es quotidiens nationaux étaient absents des kiosques, mardi 4 octobre, en raison de la journée d'action nationale lancée par les syndicats. Seuls La Croix et Aujourd'hui en France (groupe Amaury) ont pu être imprimés en région parisienne et distribués sur le grand nord de la France (du Nord-Pas-de-Calais à la région Centre, en passant par l'Ile-de-France). La Croix (groupe Bayard), imprimé par le groupe Amaury, a pu être distribué, comme Aujourd'hui en France , grâce à un plan de secours mis en place par les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP).

Les autres quotidiens nationaux n'ont pas été imprimés. Quelques milliers d'exemplaires du Figaro ont pu sortir des rotatives, mais ils étaient "réservés" aux personnes invitées à la soirée de lancement de la nouvelle formule du journal qui a eu lieu lundi soir au musée d'Orsay, à Paris. Un certain nombre d'abonnés ont été servis par porteur. Les titres hippiques et Le Monde daté de mardi ont pu être distribués normalement en province. Le Monde daté de mercredi 5 octobre, en revanche, ne sera pas distribué.

Ce mouvement dans la presse est la conséquence d'un mot d'ordre de grève de vingt-quatre heures lancé vendredi 30 septembre pour cette journée d'action du 4 octobre par le Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE), une branche du Syndicat du livre CGT très implantée dans la distribution et le pré-presse (préparation de l'impression).

La plupart des quotidiens étaient en revanche présents sur leur site Internet, avec des versions allégées. De même, certains quotidiens, à l'instar des Echos ont donné libre accès à leur site Internet ce mardi.

La presse quotidienne régionale, quant à elle, a été imprimée et distribuée normalement, notamment Le Parisien , qui était l'un des rares quotidiens disponibles à Paris.

A la télévision, les syndicats SNJ et CGT de France 3 ont déposé un préavis de grève de vingt-quatre heures qui devrait perturber la fabrication des journaux télévisés. A la radio, les programmes de France Culture ont connu, dès le matin, quelques perturbations. L'antenne de France Inter a aussi été perturbée, entre 6 heures et 9 heures, en raison d'arrêts de travail "de certaines catégories de personnels" . Toutefois, le "7-9" a été maintenu. En milieu de matinée, la direction de Radio-France n'avait pas encore procédé au "chiffrage" du nombre des grévistes sur chacune des antennes du groupe.

Article paru dans l'édition du 05.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Le prix de l'Union

 S i les Français ont voulu envoyer, lors du référendum sur la Constitution européenne, un message d'hostilité à un élargissement sans limite de l'Union, ils n'ont guère été entendus. Lundi 3 octobre, les Vingt-Cinq ont non seulement ouvert les négociations d'adhésion avec la Turquie mais aussi avec la Croatie. Sans le dire ouvertement, le gouvernement autrichien, qui est traditionnellement un protecteur de son voisin catholique du Sud, avait fait du début des négociations avec Zagreb la condition de son assentiment aux pourparlers officiels avec Ankara.

L'Union européenne avait posé une condition: que les autorités croates manifestent leur volonté de livrer les criminels de guerre recherchés par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). En particulier le général Ante Gotovina, inculpé en 2001 pour les crimes commis contre les Serbes de Croatie en 1995. Jusqu'à la réunion de crise des ministres des affaires étrangères européens, le week-end dernier, la procureure du TPIY, Carla Del Ponte, s'était déclarée "déçue" par l'attitude des Croates qui affirment ne pas savoir où se trouve Ante Gotovina. Lundi, elle a changé brusquement d'avis en déclarant que le gouvernement nationaliste de Zagreb "coopérait pleinement" avec ses services. Elle a ainsi permis d'éviter une grave crise de l'Union européenne.

Le prix politique n'est-il pas trop lourd, même si les Autrichiens font justement valoir que la Croatie a autant de titres que la Turquie à s'affirmer européenne ? En cédant à ce qu'il faut bien appeler un chantage, les dirigeants de l'Union européenne se sont privés d'une arme utilisée jusqu'à maintenant avec efficacité pour obliger les candidats à l'adhésion à se conformer à un certain nombre de principes. Si pour des raisons d'opportunité, les conditions posées à la Croatie sont traitées à la légère, il ne sera plus possible dans l'avenir d'opposer aux Serbes leur mauvaise volonté à livrer leurs criminels de guerre, comme les anciens chefs politique et militaire des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic et le général Mladic, pour les laisser attendre à la porte de l'Europe.

Du véritable opéra-bouffe qui s'est joué ces jours derniers à Luxembourg, on peut tirer des enseignements contradictoires. D'une part, il se confirme qu'il est très difficile de freiner l'élargissement de l'Union européenne une fois le processus mis en route. D'autre part, l'unanimité nécessaire pour toutes les prises de décision concernant l'arrivée de nouveaux membres, y compris à toutes les étapes des négociations, promet de belles empoignades entre les diplomates.

Les considérations techniques sur l'acquis communautaire ne joueront pas toujours le rôle principal. Pour satisfaire les exigences de tous les partenaires, dont celles qui n'auront rien à voir avec le sujet traité, les marchandages iront bon train. Les victimes de ces atermoiements risquent d'être les candidats, les Turcs en premier, et plus généralement l'idée européenne dont les contours et la finalité se perdent dans de médiocres tractations.

Article paru dans l'édition du 06.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Sue ♦ 05.10.05 | 19h40 ♦ Je m'étonne que l'on s'étonne. Les tractations diplomatiques ont souvent ce caractère de marchandage de marchands de tapis .L'Europe c'est pour chacun- l'intérieur et l'extérieur, les affaires étrangères et les affaires internes.De cette dualité naissent souvent de drôles de fruits, nous n'en sommes plus à la mesure des légumes et autres espèces. Mais nous avons crée le référendum unique pour le pays des confins, je veux parler de Byzance bien sûr.
JEAN FRANCOIS M. ♦ 05.10.05 | 19h06 ♦ Ce texte décrit des réalités difficilement niables.Ce faisant, ne justifie-t-il pas les craintes et les frilosités que nos élites branchées reprochent tant aux Français (qui ne sont pas une exception en Europe de ce point de vue)Ce gâchis n'est-il pas le produit, depuis les débuts, d'une fuite en avant par l'élargissement permanent, faute de dépasser les intérêts nationaux étroits et de construire un véritable exécutif européen démocratiquement élu et donc légitime aux yeux des peuples?
sixcylindres ♦ 05.10.05 | 17h33 ♦ Je reconnais, comme mon prédécesseur que la finalité de l'union européenne se perd dans des tractations bien médiocres. Et il pose la question fondamentale de savoir ce qu'est la démocratie. En France ,je me demande parfois si ce n'est pas la parole à celui qui n'y connait rien, parce qu'il ne peut donc ni mentir ni tromper. et c'est pourquoi je pense qu'il appartient aux responsables que nous sommes d'informer honnétement. La démocratie reste le pire système, à l'exclusion de tous les autres!
alain sager (nogent sur oise) ♦ 05.10.05 | 17h17 ♦ "Chantage", "opéra bouffe", "médiocres tractations": diable ! Il est arrivé au "Monde" de parler d'"europhobie" pour moins que ça ! (voir un récent éditorial). Alors, va-t-il enfin être admissible pour notre journal qu'un lecteur ou un électeur puisse A LA FOIS être très critique à l'égard de l'Europe telle qu'elle se fait, et néanmoins chaud partisan de "l'idée européenne" ? Ce qui est tout de même plus subtil que la distinction "europhobes"/"europhiles".
Flying-Lolo ♦ 05.10.05 | 16h18 ♦ Tout est dit dans la conclusion: "médiocres tractations"...plus un nouvel affront fait au peuple français - qui décidément semble bien trop bête aux yeux de ses élites !! - au point d'ignorer totalement, voire en allant carrément à l'encontre de, ses desiderata... Mais qui sont ces gens qui se croient investis du pouvoir - et de la faculté ! - de décider ce que bon leur semble sans se soucier de la parole des peuples ? Les "élites" de pays démocrates ? Fichtre, c'est quoi au fait la démocratie?
monrog ♦ 05.10.05 | 15h40 ♦ Même s'il est de bon ton d'émettre de sidées divergentes des articles de référence, je fais miennes vos conclusions quand vous dites, en substance: -nous voyons bien que nous sommes désormais sur un toboggan sans frein en ce qui concerne l'admission de nouveaux membres; -à cela s'ajoute la mortelle règle de l'unanimité qui va vider toute possibilité de fédéralisme politique et d'efficacité économique. Cete règle, n'en déplaise à VGE, était encore bien présente dans le défunt traité.


Le Monde / Opinions
analyse
Recherche: donner du temps au temps, par Jean-Paul Fitoussi

 I nvestir dans la recherche, le développement, l'enseignement supérieur, est devenu le leitmotiv de tout discours politique se donnant pour projet la croissance économique, notamment en Europe. Beau programme dont on ne peut que se féliciter: le savoir étant désirable en soi, l'investissement dans la connaissance est de nature à accroître le bien-être des hommes indépendamment de ses effets économiques. Il convient donc que les actes suivent les discours. Mais comment et selon quels principes ? Une conception trop naïve de la recherche, trop utilitariste aux fins d'en obtenir des résultats rapides, pourrait conduire à écarter des sources de financement les projets les plus féconds, s'ils apparaissaient les plus gratuits, les moins susceptibles d'application.

Or il est quasiment impossible d'établir a priori une correspondance entre une innovation spécifique et la recherche particulière qui l'a rendue possible, entre les effets économiques d'un projet et les motivations intellectuelles des chercheurs qui l'ont développé, du moins pour ce qui concerne les grandes innovations. L'histoire de la "révolution" des technologies de l'information et de la communication fournit une illustration éclatante de cette affirmation.

Au commencement, au tournant des XIXe et XXe siècles, fut un débat sur les fondements méthodologiques, philosophiques et épistémologiques de la vérité mathématique. Le XIXe siècle, période extrêmement féconde pour le développement de la discipline, fut notamment caractérisé par une fertilisation croisée entre ses différentes branches – ­ l'algèbre, la géométrie, la théorie des nombres, l'analyse et la logique. Le champ mathématique apparaissait de ce fait comme beaucoup plus unifié qu'on ne le pensait.

Les différents aspects du sujet ne seraient-ils que des éléments d'un tout cohérent ? Cette interrogation allait amener les plus grands mathématiciens de l'époque à réfléchir sur les fondements mêmes de leur discipline en se mettant à la recherche d'une métamathématique, d'une langue universelle dans laquelle leur science pouvait être exprimée.

Les trois volumes des Principia mathematica de Russel et Whitehead publiés entre 1910 et 1912, oeuvre considérable s'il en est, allaient fonder l'école du logicisme selon laquelle le métalangage recherché était la logique. Mais cette réduction de la discipline à la logique supposait que les mathématiques classiques étaient exemptes de contradictions.

Or de nombreuses antinomies avaient été découvertes dans la théorie des ensembles, dont le célèbre paradoxe de Russell lui-même: "L'ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes comme éléments" . C'est pourquoi l'école intuitionniste fondée par Brouwer aux environs de 1908, et pour laquelle Poincaré avait grande sympathie, pensait que les mathématiques devaient être reconstruites ab initio .

THÉORIES MATHÉMATIQUES

A l'inverse de la conception platonicienne ­ implicite dans les travaux de l'école logiciste ­ selon laquelle les objets abstraits avaient une existence indépendante de l'esprit humain, les intuitionnistes soutenaient que les objets mathématiques étaient des créations autonomes de l'esprit. En tant que tels ils devaient être construits, un peu comme un ingénieur construit un objet, sans référence à l'infini, à l'indécidable, à la métaphysique.

En totale opposition à cette conception qui de fait conduirait à abandonner la plupart des résultats des mathématiques modernes, le grand mathématicien allemand David Hilbert énonça dans les années 1920 son programme pour les fondements des mathématiques créant ainsi l'école du formalisme. Son ambition était de formaliser l'ensemble des théories mathématiques aux fins de prouver que la science mathématique était complète, cohérente et décidable. La formalisation consiste à exprimer les théories mathématiques axiomatisées en un langage de "premier rang", quasi universel, que l'on pourrait qualifier de "mathématique des mathématiques".

En utilisant ce langage, il serait alors possible de montrer que chaque théorie est complète au sens où toute proposition peut y être prouvée ou réfutée; cohérente au sens où il serait impossible de prouver des propositions universellement fausses; décidable, au sens où il existe une procédure "mécanique" finie capable de prouver ou de réfuter toute proposition.

Hélas ! Le mathématicien tchèque Kurt Gödel allait dans deux théorèmes mathématiques célèbres – ­ les théorèmes d'incomplétude ­ – montrer que le système formel des mathématiques classiques ne pouvait être ni complet ni cohérent.

Il restait à Alan Turing, mathématicien anglais à donner un contenu à la notion de "procédure mécanique finie", connue aujourd'hui sous le nom d'algorithme, et ce faisant à prouver que le système formel des mathématiques était indécidable (1937). Il existe des problèmes mathématiques qui ne peuvent être résolus par aucune procédure mécanique formelle. Pour illustrer ce résultat, il imagina une méthode simple qui possède toutes les propriétés fondamentales d'un système informatique moderne, et qu'on appellera plus tard la machine de Turing.

SPÉCULATION PURE

Elle permettait de montrer qu'on pouvait faire tourner indéfiniment un "programme" sans parvenir à aucune solution. Il existait bien ainsi des problèmes indécidables. Les résultats de Gödel et de Turing ont ainsi fait litière des trois exigences de l'école du formalisme (complétude, cohérence, décidabilité) constitutives du programme de Hilbert. Mais de ce magnifique échange, libre, passionné, désintéressé, allaient naître les ordinateurs que nous avons sur nos bureaux, matérialisation de la machine virtuelle de Turing.

Ainsi ce que l'on considère aujourd'hui comme la deuxième révolution industrielle, celle des technologies de l'information et de la communication a pour origine un débat purement conceptuel, quasi métaphysique et dénué de toute préoccupation concrète. Comme le souligne Kumarawsami Velupillai (In Praise of Fostering Anarchy in Research ), c'est la liberté de la recherche encouragée par un environnement favorisant la spéculation pure sur des questions fondamentales qui a conduit aux résultats les plus fertiles, ceux de nature à changer la destinée des hommes.

Ce qui frappe en l'espèce, c'est à quel point la recherche pure fut inintentionnellement productive, la seule motivation de Turing étant de répondre à la question de la décidabilité posée par Hilbert dans le cadre d'un programme destiné à fonder une métamathématique !

Cela souligne, s'il en était besoin toute la complexité des politiques de recherche et développement, de leur cadre institutionnel, des critères qu'elles utilisent pour financer les différents projets. Privilégier les recherches susceptibles d'application pratique à plus ou moins brève échéance est normal pour des politiques publiques soucieuses de rentabilité sociale, mais comporte le risque d'écarter les projets les plus féconds. Fonder les critères d'excellence (des chercheurs) sur le seul nombre de publications dans des revues scientifiques de premier rang est encore plus contestable.

Une recherche peut être longue à mûrir, et le commandement "publish or perish" conduit trop souvent à favoriser le conformisme, si ce n'est la superficialité. Parce que la "valeur du gratuit", pour emprunter la belle expression de Bertrand de Jouvenel, est dans l'activité de recherche considérable, il faut savoir aussi investir dans la spéculation pure, dans des projets apparemment déconnectés de toute application concrète, dans ceux dont la motivation est la passion de la curiosité.

Jean-Paul Fitoussi
Article paru dans l'édition du 06.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Franck, un chercheur expatrie ♦ 05.10.05 | 19h21 ♦ un chiffre simple devrait permettre a tout le monde, et surtout les politiques francais, de comprendre que la recherche dite 'appliquée' (et les retombées économiques qui en découlent) n'existe que grace a la recherche dite 'fondamentale': deux-tiers des articles cités dans toutes les demandes de brevets déposées aux USA, en Europe et au Japon sont issus de la recherche académique financée à plus de 80% par des fonds publiques. on ne peut pas ete plus clair je crois...
Fouad H. ♦ 05.10.05 | 18h21 ♦ En général,les chercheurs - même renifleurs- préfèrent que l'on parle de ce que l'on connaît et donc pratiquait (concrétment, quotidiennement). Notre éditorialiste, patron de l'Observatoire Economique, sort de son champ de compétence: l'économie. Ce n'est certainement pas là le meilleur exemple d'innovation ! BIEN AU CONTRAIRE: c'est déprimant pour un jeune chercheur/innovateur de voir toujours les mêmes parlent de tout ...et de rien. Surtout et de surcroît quand ce sont des penseurs critiques!
un chercheur ♦ 05.10.05 | 16h40 ♦ L'article de JP Fitoussi nous montre joliment a quel point il est difficile de prevoir les recherches qui compteront a l'avenir. La conclusion devrait donc etre "chercheurs, faites ce que vous voulez, mais faites le excellemment". Ceci me parait assez proche de l'évaluation basée sur les publications dans les meilleurs journaux scientifiques. Sinon, evaluer sur quelles bases ?
scylla ♦ 05.10.05 | 16h23 ♦ Le concept "publish or perish" encourage les effets de mode et d'annonce. Ce n'est pas ainsi que l'on obtient de la qualité.
Europekipete ♦ 05.10.05 | 15h50 ♦ Mais ce n'est pas la notion de recherche pure qui est en cause en France mais plutot son manque de qualite et d' impact international. Le concept " publish or perish" ne fait peur qu'aux chercheurs fonctionaires surproteges, mais pas aux expats Francais outre Atlantique/UK ou ce systeme a l'avantage de faire resortir les meilleurs, promus au merite et qui force les moins bons a se remettre en cause. La realite pour les meilleurs chercheurs c'est perish in France or publish in USA!
Galahaad ♦ 05.10.05 | 14h56 ♦ Jean-Paul Fitoussi a bien expliqué comment l'idée de l'ordinateur est née de simples spéculations mathématiques. Cet exemple montre bien l'inanité de ne faire que de la recherche appliquée, à court terme. D'un point de vue rationnaliste, c'est un sans-faute. Cependant le problème du développement de la recherche public est aussi un problème économique, et les rationalistes sont minoritaires dans une société où passion compte plus que raison. Cet article peut-il les convaincre ?


Le Monde / Europe
L'hypothèse d'une grande coalition CDU-SPD semble se rapprocher

 L a réunion entre les directions du SPD et de la CDU/CSU, mercredi 5 octobre, n'a pas débouché sur la nomination d'un nouveau chancelier, mais la possibilité d'une "grande coalition" semble de plus en plus retenue. Conservateurs et sociaux-démocrates tiendront, jeudi, une réunion spéciale pour déterminer l'identité de la personne qui occupera le poste de chancelier dans l'hypothèse d'une "grande coalition" entre droite et gauche en Allemagne.

MM. Chirac et Köhler: Paris et Berlin restent "moteurs de la construction européenne"
Jacques Chirac a assuré à son homologue allemand Horst Köhler, reçu mercredi 5 octobre, à l'Elysée, que "l'amitié entre l'Allemagne et la France demeurerait le moteur indispensable de la construction européenne", M. Köhler affirmant à son tour que cette "amitié" perdurera quel que soit le prochain gouvernement en place à Berlin. M. Chirac a également indiqué qu'il était "convaincu que l'Allemagne, engagée dans une politique de modernisation, poursuivrait sur cette voie".

Angela Merkel, chef de file de la CDU et candidate au poste de chancelière, a elle-même annoncé la nouvelle à l'issue de la rencontre entre les deux camps. Mme Merkel a précisé qu'elle était désormais "plus optimiste que pessimiste" sur les chances de sortir de l'impasse politique consécutive aux résultats des élections législatives du 18 septembre dernier.

Selon les sources de la CDU, la composition possible d'un futur gouvernement sera également évoquée lors de la réunion de jeudi.  Les deux parties ont trouvé une "base commune" de discussions sur le fond, a noté Angela Merkel, qui s'exprimait à l'issue de la troisième rencontre exploratoire dans la perspective d'une coalition.

"L'atmosphère a montré qu'il y avait davantage qu'un plus petit dénominateur commun (...) Ce jour est plutôt un bon jour", s'est félicitée la présidente de la CDU. Les deux parties ont indiqué qu'elles considéraient les discussions exploratoires comme closes à la fin de cette troisième réunion.

PROCHAINE RENCONTRE JEUDI

Le chancelier SPD sortant, Gerhard Schröder, s'est lui aussi montré confiant, estimant, à l'instar du chef de la CSU Edmund Stoiber, qu'il existait clairement une base pour un accord sur la politique à suivre dans un gouvernement d'union nationale.

Le chancelier a déclaré qu'après la rencontre de jeudi, "la voie pourrait s'ouvrir ensuite pour des négociations officielles sur les détails" concernant une grande coalition. "Il est devenu évident que nous parlerons de toutes les questions qui vont de pair" avec une grande coalition au cours d'un tel sommet, a-t-il dit. "Je crois que l'Union (la CDU/CSU) a compris clairement que l'on ne règle pas à l'avance une question séparément, mais que c'est la structure dans son ensemble qui doit être discutée et si possible décidée, quand on organise une telle rencontre au sommet", a-t-il ajouté, faisant allusion à la question du futur titulaire de la chancellerie.

Revenant sur ses propos de lundi lorsqu'il avait déclaré "ne pas vouloir être un obstacle à la poursuite du processus de réformes qu'il a engagé et à la formation d'un gouvernement stable", M. Schröder a commenté: "Je ne l'ai pas dit sans raison."  Le président du SPD, Franz Müntefering, a estimé que les pourparlers étaient "allés dans la bonne direction pour le pays" et que le futur gouvernement devrait être un gouvernement du renouveau et de la justice sociale". La réunion au sommet rassemblera, pour les sociaux-démocrates le chancelier Schröder et M. Müntefering, et pour la droite Mme Merkel et le président de l'Union sociale-chrétienne (CSU) bavaroise, Edmund Stoiber.

Mardi, les négociations semblaient dans l'impasse entre les deux grands partis allemands. Le SPD souhaitait maintenir à tout prix la candidature de Gerhard Schröder, ce que les conservateurs ne sont pas prêts à accepter.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 05.10.05 | 17h46


Le Monde / Europe
Situation tendue à Berlin avant la réunion cruciale entre la CDU-CSU et le SPD

 L a CDU-CSU et le SPD campaient encore sur leurs positions, mercredi, avant de se rencontrer à 14 heures dans le cadre d'une consultation exploratoire, préalable aux négociations pour la formation d'une "grande coalition".  Les deux forces politiques revendiquent l'attribution du poste de chancelier. Si elles n'arrivent pas à se mettre d'accord, ce conflit pourrait entraîner une suspension des pourparlers en cours.

Les conservateurs, sortis en tête des élections, réclament que la chancellerie soit attribuée à Angela Merkel. "Nous n''engagerons pas de négociations tant que le SPD n'aura pas reconnu les usages démocratiques, à savoir que c'est le groupe parlementaire le plus important qui présente la chancelière", a déclaré le vice-président de la CDU, Jürgen Rüttgers, à la chaîne de télévision publique ARD. Ainsi, les chrétiens-démocrates estiment que le retrait de Gerhard Schröder est une condition indispensable au début des négociations. Ils espèrent donc régler ce point mercredi, lors du troisième volet des consultations exploratoires, les discussions préalables aux vraies négociations.

Les sociaux-démocrates, eux, veulent régler cette question pendant les négociations proprement dites. Ils estiment que les électeurs n'ont pas donné de mandat clair à la droite, tout en soulignant qu'Angela Merkel a enregistré le troisième plus mauvais score des conservateurs depuis 1945. Les conservateurs ont remporté 226 sièges au Bundestag, contre 222 pour les sociaux-démocrates. "Je ne peux qu'avertir l'Union que nous irons aux négociations avec Gerhard Schröder comme candidat au poste suprême", a prévenu Franz Müntefering, le président du SPD.

VERS UNE CRISE INSTITUTIONNELLE ?

La question de la chancellerie sera donc au cœur des discussions mercredi après-midi. Treize responsables politiques sont attendus, dont Angela Merkel et le président de la CSU, Edmund Stoiber, ainsi que Gerhard Schröder et le président du SPD. Ils devraient aussi aborder les questions du marché du travail, du système de sécurité sociale, la situation financière de l'Etat fédéral et des Etats régionaux, et le fédéralisme. La consultation doit durer trois heures.

Si les deux camps n'arrivent pas à se mettre d'accord mercredi, il est possible que les négociations soient interrompues. L'Union chrétienne-démocrate et le Parti social-démocrate ont tous deux brandi cette menace. En cas de blocage, les Verts ont déjà prévenu qu'ils n'étaient pas prêts à servir d'alternative à la CDU, pour former une coalition majoritaire avec les libéraux. "Les Verts ne sont pas à la disposition des perdants des élections dans leur partie de poker", a déclaré mardi Claudia Roth, coprésidente du parti écologiste. Si les deux camps n'arrivent pas à s'entendre, l'Allemagne pourrait donc faire face à une crise institutionnelle. La possibilité de nouvelles élections pourrait alors resurgir.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 05.10.05 | 13h07


Le Monde / Europe
Allemagne: vers une grande coalition dirigée par Angela Merkel
FRANCFORT de notre correspondant

Beaucoup d'analystes estiment que l'arithmétique est sur le point de l'emporter: les 226 sièges des Unions chrétiennes-démocrates et sociales-chrétiennes (CDU-CSU) au Bundestag (contre 222 au parti social-démocrate SPD) devraient permettre à Mme Merkel de succéder à M. Schröder à la chancellerie.

Les deux candidats, assistés de leurs principaux lieutenants Edmund Stoiber et Franz Müntefering, sont entrés jeudi dans un cycle de négociations sur la formation d'une "grande coalition" et doivent se retrouver dimanche. Le nom du futur chancelier ne doit pas être connu officiellement avant dimanche soir au plus tôt et soumis lundi aux organes de directions des deux partis. Selon le Financial Times de samedi, qui cite d'anonymes hauts dirigeants du SPD, l'affaire serait pourtant déjà conclue au bénéfice de Mme Merkel et le chancelier sortant se retirerait finalement de la scène politique nationale. D'autres scénarios qui avaient couru dans la presse allemande ces derniers jours spéculaient sur l'attribution du double poste de vice-chancelier et ministre des affaires étrangères à M. Schröder ou bien de celui de président du Bundestag. La possibilité que le SPD recueille plus de portefeuilles que la CDU en échange du retrait de M. Schröder aurait aussi été évoquée. Elle est rejetée sur le principe par certains dirigeants de droite.

"Je pense que nous sommes en bonne voie et que nous serons en mesure de recommander la semaine prochaine à l'exécutif de notre parti que nous pouvons commencer à former un gouvernement" , a déclaré vendredi le secrétaire général de la CDU Volker Kauder à la chaîne n-tv. Dans un communiqué publié vendredi, l'aile centriste du SPD, le Seeheimer Kreis, et la gauche du parti ont cependant continué à plaider pour que M. Schröder, jugé plus à même de gérer la situation délicate du pays, reste à son poste. Le Seeheimer Kreis propose un partage de la chancellerie: deux ans pour M. Schröder et deux ans pour Mme Merkel.

Selon un sondage publié vendredi par la chaîne de télévision publique ZDF, 47% des Allemands préféreraient Mme Merkel à la chancellerie plutôt que M. Schröder. C'est la première fois depuis l'élection que la candidate CDU parvient à combler son déficit de sympathie personnelle.

Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 09.10.05


Le Monde / Europe
La direction du SPD approuve une grande coalition dirigée par Angela Merkel

 "L a chancellerie ira à l'Union chrétienne-démocrate (CDU)", a déclaré Angela Merkel lors d'une conférence de presse, lundi 10 octobre dans l'après-midi à Berlin. "Je suis heureuse, mais je sais bien que beaucoup de travail nous attend", a annoncé la future chancelière de l'Allemagne, ajoutant qu'elle voulait mener "une coalition des nouvelles opportunités". D'après les médias allemands, le SPD et la CDU-CSU sont parvenus à cet accord dimanche soir, au cours d'une réunion au sommet.

"L'Union
[la CDU-CSU] et le SPD seront représentés avec un nombre égal de membres dans le gouvernement, il n'est pas possible que l'un parle d'une voix plus forte que l'autre. Nous veillerons à ce que chaque camp ait des postes-clé, que chaque parti ait au moins un portefeuille social, également que chaque parti dispose d'un poste ministériel avec une composante écologique", a-t-elle déclaré, jugeant une telle répartition "honnête et juste".

Une telle coalition n'est "pas une tradition française", pour le PS
Le PS a pris ses distances, lundi, avec l'accord entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates pour un gouvernement de coalition en Allemagne, en déclarant qu'un tel schéma n'était "pas une tradition française". L'Allemagne vit "une situation particulière, avec des circonstances exceptionnelles. Il y a une spécificité, une tradition qui veut que dans des situations de crise grave, il puisse y avoir des gouvernements d'union nationale", a affirmé le porte-parole du PS, Julien Dray. Selon lui, "il appartient au SPD d'apprécier la réalité de cette situation, il appartient au peuple allemand, après, de juger (...). Mais c'est une spécificité allemande, ce n'est pas une tradition française, ce n'est pas quelque chose qui existe dans notre histoire".

"Chacun des deux partis, a-t-elle dit, a montré qu'il prend au sérieux le souhait des électeurs et des électrices, qu'un effort commun doit être entrepris pour l'Allemagne et pour les gens en Allemagne. Nous savons qu'il n'y a pas d'alternative raisonnable". "La politique d'une possible grande coalition doit être une politique qui fasse en sorte que davantage d'emplois soient créés", a-t-elle ajouté. Il sera important que "cette politique soit appliquée par chaque ministre, peu importe qu'il soit social-démocrate ou chrétien-démocrate".

M. SCHRÖDER VA "PRENDRE UNE AUTRE DIRECTION"

Angela Merkel a déclaré que la direction de son parti s'était prononcée en faveur de l'ouverture de négociations avec les sociaux-démocrates en vue de la formation d'une "grande coalition", et espérait conclure les pourparlers au plus tard le 12 novembre. Les négociations formelles devraient débuter la semaine du 17 octobre, d'après une source proche des conservateurs. De leur côté, les dirigeants sociaux-démocrates se sont également prononcés à une large majorité en faveur de l'engagement de telles négociations, a affirmé le président du parti, Franz Müntefering. Plusieurs hypothèses ont d'ailleurs déjà filtré sur la composition de ce gouvernement.

Les sociaux-démocrates obtiendraient les postes-clés, notamment les affaires étrangères, les finances, le travail et la justice, ainsi que les portefeuilles des transports, de l'environnement, de la coopération et de la santé, avançaient certains médias allemands lundi matin, citant des sources proches du parti. Pour le poste des affaires étrangères, le ministre sortant de la défense, Peter Struck, serait pressenti.

Le chancelier sortant, Gerhard Schröder, a renoncé à toute fonction dans le nouveau gouvernement de coalition, ont annoncé des sources proches de son parti. Interrogé sur son éventuel avenir dans le nouveau gouvernement par des membres de la direction du SPD, M. Schröder aurait déclaré: "Cela n'entre pas dans mes projets. Ma carrière va prendre une autre direction". Gerhard Schröder, qui dirige depuis l'automne 1998 une coalition entre SPD et Verts, "va continuer à participer aux travaux du SPD et aux négociations de coalition" en vue de la formation du nouveau gouvernement, a déclaré Franz Müntefering, lors de la conférence de presse de Berlin.

EDMUND STOIBER AUX FINANCES

De son côté, la CDU prendrait en charge l'économie, l'intérieur, la défense, l'agriculture, la formation et la famille. Le ministre-président du Land de Bavière, le chrétien-social Edmund Stoiber, a d'ailleurs annoncé, lundi, qu'il deviendra ministre de l'économie.

Le député conservateur, Norbert Lammert, est pressenti pour succéder au social-démocrate Wolfgang Thierse au poste de président de la nouvelle Chambre basse du Parlement (Bundestag), d'après des sources proches de la CDU. En Allemagne, le président du Bundestag est dans l'ordre protocolaire le deuxième personnage de l'Etat derrière le président de la République. M. Lammert était vice-président dans la précédente assemblée, dissoute pour permettre l'organisation d'élections législatives anticipées le 18 septembre.

Avec AFP, AP, Reuters
LEMONDE.FR | 10.10.05 | 10h39


Le Monde / Europe
Paris se réjouit de voir l'Allemagne "sortir de l'incertitude"

 A près l'annonce, lundi 10 octobre à Berlin, d'un accord pour un gouvernement de coalition sous la direction de la conservatrice Angela Merkel, le chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy, s'est "réjoui que l'Allemagne sorte de la période d'incertitude"."La France est le partenaire le plus proche de l'Allemagne et il n'y a pas de construction européenne sans une collaboration parfaite entre [ces deux pays]", a-t-il ajouté, se disant "persuadé qu'Angela Merkel sera dans la suite des chanceliers qui l'ont précédée".

"On a beaucoup de travail à faire ensemble", a souligné le ministre. "Je connais Angela Merkel depuis longtemps, nous avons milité dans les mêmes partis depuis une quinzaine d'années", a-t-il dit. Elle devra aborder "les mêmes sujets que chez nous": "Comment on peut rendre plus flexible le droit du travail, comment on peut diminuer le chômage, comment on va aider plus les entreprises et comment on va aider en même temps ceux qui sont les plus exclus". "Une grande coalition, c'est peut-être l'occasion de faire passer les réformes" en Allemagne, a estimé le chef de la diplomatie française.

"SITUATION PARTICULIÈRE"

"Nous nous félicitons du fait qu'elle soit chancelier et que le parti de la réforme triomphe en Allemagne face au conservatisme de l'extrême gauche", a déclaré, de son côté, Valérie Pécresse, porte-parole de l'UMP, lors de son point de presse hebdomadaire."C'est une très bonne nouvelle pour l'Allemagne et pour l'Europe", a-t-elle ajouté.

Trois semaines après des législatives allemandes au résultat extrêmement serré, le socialiste Julien Dray évoque, quant à lui, "une situation particulière avec des circonstances exceptionnelles". "En Allemagne, devant les situations graves, il est possible d'avoir des gouvernements d'union nationale", a fait remarquer le porte-parole du PS."Il appartient au SPD d'apprécier la situation" et "aux Allemands d'en juger la valeur", a-t-il estimé, tout en soulignant que "ce n'est pas une tradition française".
 

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 10.10.05 | 18h14


Le Monde / Europe
Article interactif
Paris, Bruxelles et Washington saluent la nomination d'Angela Merkel à la chancellerie
  1. Jacques Chirac certain de "renforcer encore la tradition d'une relation fraternelle"
  2. José Manuel Barroso salue la constitution d'un "gouvernement fort et stable"
  3. Les Etats-Unis espèrent "poursuivre la coopération"
1 - Jacques Chirac certain de "renforcer encore la tradition d'une relation fraternelle"

 J acques Chirac a adressé "tous ses vœux de succès" à Angela Merkel, lors d'un entretien téléphonique, et l'a invitée à venir à Paris "dès que ce sera possible", a rapporté le porte-parole de l'Elysée. Il a précisé que le président français "lui a redit la priorité qu'il attache aux liens entre l'Allemagne et la France et il s'est dit convaincu que se renforcera encore la tradition d'une relation fraternelle et solidaire entre nos deux gouvernements et nos deux peuples au service de l'Europe".  M. Chirac a également téléphoné au chancelier sortant, Gerhard Schröder, "pour saluer l'accord intervenu entre les partis en vue de la constitution du nouveau gouvernement allemand" et "a exprimé sa confiance dans la capacité de l'Allemagne à poursuivre sur la voie des réformes". M. Chirac "a souligné l'élan exceptionnel donné aux relations" entre les deux pays "sous l'impulsion du chancelier et il lui a dit sa conviction que ce lien irremplaçable entre l'Allemagne et la France est indispensable au progrès de la construction européenne", a rapporté M. Bonnafont.

Plus tôt, le ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, s'est "réjoui que l'Allemagne sorte de la période d'incertitude", et s'est dit "persuadé qu'Angela Merkel sera dans la suite des chanceliers qui l'ont précédée". Selon lui, elle devra aborder "les mêmes sujets que chez nous": "Comment on peut rendre plus flexible le droit du travail, comment on peut diminuer le chômage, comment on va aider plus les entreprises et comment on va aider en même temps ceux qui sont les plus exclus". "Une grande coalition, c'est peut-être l'occasion de faire passer les réformes" en Allemagne, a-t-il estimé. "SITUATION PARTICULIÈRE"

"Nous nous félicitons du fait qu'elle soit chancelier et que le parti de la réforme triomphe en Allemagne face au conservatisme de l'extrême gauche", a déclaré, de son côté, la porte-parole de l'UMP Valérie Pécresse, parlant d''une très bonne nouvelle pour l'Allemagne et pour l'Europe".

Le socialiste Julien Dray a pour sa part évoqué "une situation particulière, avec des circonstances exceptionnelles". "En Allemagne, devant les situations graves, il est possible d'avoir des gouvernements d'union nationale", a fait remarquer le porte-parole du PS. "Il appartient au SPD d'apprécier la situation" et "aux Allemands d'en juger la valeur", a-t-il estimé, tout en soulignant que "ce n'est pas une tradition française".


2 - José Manuel Barroso salue la constitution d'un "gouvernement fort et stable"

 L e président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso, s'est félicité lundi de la constitution d'un gouvernement "fort et stable pour l'Allemagne", a indiqué sa porte-parole, Françoise Le Bail.

De leur côté, le Haut Représentant pour la politique extérieure de l'UE, Javier Solana, et le secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, interrogés lors d'une conférence de presse commune, se sont également félicités de cette nomination. "La première chose que je voudrais faire est de la congratuler", a affirmé M. Solana en adressant ses "meilleurs vœux" à Mme Merkel, ainsi qu'"à tout son prochain gouvernement"."Je connais Mme Merkel depuis longtemps", a déclaré pour sa part M. de Hoop Scheffer. "Il est important qu'elle devienne à présent chancelière, la première femme dans l'histoire de l'Allemagne", a-t-il remarqué.

Le premier ministre britannique, Tony Blair, a, quant à lui, adressé ses félicitations à Angela Merkel et comptait lui parler d'ici à la fin de la journée.

Le chef du parti libéral polonais Plateforme civique (PO) et grand favori à la présidence, Donald Tusk, s'est déclaré "content de voir comme chancelier allemand une personne qui, aussi grâce à mes efforts, comprend les affaires polonaises mieux que son prédécesseur et qui est prête à parler sérieusement de l'amélioration des relations polono-allemandes".  Invitée au mois d'août par M. Tusk en Pologne, Angela Merkel avait promis notamment que son pays n'allait pas dialoguer avec la Russie "par-dessus la tête" des Polonais. M. Tusk a aussi exprimé l'espoir que l'Allemagne appuierait les importantes demandes polonaises de fonds européens.


3 - Les Etats-Unis espèrent "poursuivre la coopération"

 "N ous saluons Angela Merkel qui vient d'être désignée chancelière", a indiqué le porte-parole du département d'Etat, Tom Casey. "Nous avons une relation étroite avec l'Allemagne et avons travaillé à la renforcer sous le chancelier  Schröder (...). Nous espérons poursuivre cette coopération avec le nouveau gouvernement", a-t-il dit.

Les relations entre l'Allemagne et les Etats-Unis ont été affectées lors de la guerre en Irak, quand Gerhard Schröder a refusé de fournir une aide militaire aux Américains. Mais les relations se sont progressivement réchauffées par la suite.

Mme Merkel a indiqué lundi qu'un de ses objectifs en tant que chancelière serait d'améliorer les liens avec Washington. Elle a précisé qu'elle voulait assurer de "bonnes relations transatlantiques", liant les Etats-Unis et l'Allemagne dans un climat de "confiance" mutuelle, même si des désaccords pourront subsister sur certains sujets.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 10.10.05 | 20h38


Le Monde / Europe
Les ministres potentiels du gouvernement de "grande coalition"

 Q uelques poids lourds des Unions chrétiennes (CDU-CSU) et du Parti social-démocrate (SPD), bien connus à l'étranger, pourraient occuper les postes-clés du gouvernement d'Angela Merkel.

Pour la CDU, Edmund Stoiber, ministre-président conservateur de Bavière, a annoncé son départ pour Berlin, où il s'occupera de l'économie et des nouvelles technologies, avec éventuellement une compétence pour les affaires européennes. "Je crois que je peux tirer certains éléments de mon expérience en Bavière pour créer pour toute l'Allemagne une économie dynamique", a indiqué celui qui dirige depuis douze ans l'Etat régional le plus prospère d'Allemagne.

Wolfgang Schaüble, ex-bras droit de l'ancien chancelier de la réunification Helmut Kohl, pourrait retrouver le ministère de l'intérieur qu'il avait déjà occupé de 1989 à 1991. M. Schaüble, réputé pour ses contributions nombreuses au débat européen et international, est sur un fauteuil roulant depuis qu'un déséquilibré lui a tiré plusieurs balles dans le corps, en 1992. Son courage et la clarté de sa pensée en ont fait un des hommes politiques allemands les plus populaires et écoutés.

Horst Seehofer, ancien ministre de la santé d'Helmut Kohl, pourrait accéder aux portefeuilles de l'agriculture et de la protection des consommateurs. Celui qui passe pour un des meilleurs experts du camp conservateur en matière sociale s'était opposé aux aspects les plus libéraux du programme d'Angela Merkel.

Ursula von der Leyen, actuelle ministre des affaires sociales de Basse-Saxe, pourrait devenir ministre de la famille.

Du côté du SPD, Franz Müntefering, président du parti, jouera un rôle qui reste à déterminer. L'homme de confiance du Gerhard Schröder pourrrait devenir ministre du travail et obtenir également le poste de vice-chancelier. Ce social-démocrate catholique rhénan a repris les rênes du SPD à Gerhard Schröder en février 2004 et a été de tous les coups politiques récents du chancelier sortant, comme la convocation d'élections anticipées en mai. Il n'a pas encore dévoilé ses intentions.

Peer Steinbruck, ancien ministre-président de Rhénanie du Nord-Westphalie, un des barons de la tendance la plus modérée du SPD, pourrait recueillir le portefeuille le plus ingrat, celui de l'assainissement des finances publiques.

Peter Struck, ministre de la défense, pourrait remplacer le Vert Joschka Fischer à la tête de la diplomatie allemande. Il est respecté dans l'OTAN et a accompagné les engagements de l'armée allemande dans les Balkans ou en Afghanistan.

Ulla Schmidt, ministre de la santé, une des artisanes des réformes de Gerhard Schröder et d'un compromis sur l'assurance-maladie négociée de longue haleine avec les conservateurs, a de bonnes chances de rester à son poste, de même que Heidemarie Wieczorek-Zeul, la ministre de la coopération et du développement, membre de la gauche du SPD, et la ministre de la justice, Brigitte Zypries.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 10.10.05 | 21h14


Le Monde / Europe
Portrait
Angela Merkel, une réformatrice venue de l'Est

 A ngie est un oiseau rare. Malgré le faible score obtenu par son parti, la CDU, le 18 septembre (35,2% des voix avec sa petite soeur bavaroise, la CSU), la patronne des chrétiens-démocrates allemands pourrait néanmoins devenir le premier chef de gouvernement occidental originaire de l'ancien bloc communiste. Elle serait ainsi la première femme de l'histoire allemande à diriger le pays.

Née il y a cinquante et un ans, à Hambourg, dans ce qui était alors l'Allemagne de l'Ouest, la "Maggie Thatcher d'outre-Rhin" a grandi derrière le rideau de fer, sous tutelle soviétique, dans l'ancienne République démocratique allemande (RDA). C'est après la chute du mur de Berlin, fin 1989, que son "destin national" commence à prendre forme. Dès 1991, elle est ministre dans le gouvernement de l'Allemagne réunifiée. Moins de dix ans plus tard, en 2000, sa ténacité à toute épreuve alliée à des circonstances adéquates lui permet de chausser les bottes de son mentor politique, Helmut Kohl. La petite "Ossie" ­ comme on appelle familièrement les personnes originaires de l'Est ­ devient présidente du Parti chrétien-démocrate et se retrouve en position de briguer la magistrature suprême du pays.

Près de quinze ans après l'écroulement du rideau de fer, l'Allemagne voit ainsi surgir une personnalité dont l'histoire incarne à la fois l'ancienne division du pays et la volonté d'en surmonter les conséquences. Face à un Gerhard Schröder grandi sans père dans le chaos de l'après-guerre et qui a permis à l'Allemagne de se regarder à nouveau en face, Angela Merkel veut être celle qui redonnera aux Allemands, de l'Est comme de l'Ouest, un moral de gagneur.

Depuis qu'elle est apparue sur l'échiquier politique allemand en se dressant contre un Helmut Kohl, dont la stature continue d'écraser l'Union chrétienne-démocrate (CDU), l'image ­ mi-sardonique, mi-admirative ­ de Jeanne d'Arc lui colle à la peau. En 1999, "Angie" exigeait dans une tribune au Frankfurter Allgemeine Zeitung, le grand quotidien de la droite, que l'ancien chancelier assume ses responsabilités à l'égard du parti. "Il faut" , lançait-elle, qu'il réponde à la justice sur les fonds secrets qu'il admet avoir illégalement reçus entre 1993 et 1998.

Le "grand" Helmut Kohl l'avait faite ministre ­ de la famille et de la jeunesse en 1991, de l'environnement, en 1994. Dans la foulée de la défaite de 1998, elle devient secrétaire général du parti, mais n'a pas encore de contour précis dans l'opinion. Elle reste celle que le vieux mentor appelait "das Mädchen" , la "jeune fille", la gamine. Elue députée dès les premières élections de l'après-réunification, Angela Merkel n'était, jusque-là, qu'une discrète conseillère adjointe de presse pour Lothar de Maizière, chef chrétien démocrate du premier ­ et dernier ­ gouvernement démocratique d'une RDA qui n'avait plus que quelques mois à vivre.

Brillamment diplômée de physique à l'université Karl-Marx de Leipzig, en 1978, Angela Merkel est engagée à l'Institut central de physique et chimie à l'Académie des sciences de Berlin-Est, le meilleur de la recherche est-allemande. Huit ans plus tard, elle y passe un doctorat sur les réactions des particules élémentaires de l'hydrogène.

La chute du mur, "Angie" l'aura vécue dans une de ces confortables niches que l'Allemagne de l'Est finissante réservait à qui pouvait encore lui être utile. Même si elle ne participait pas activement au système. Elle n'a d'ailleurs jamais revendiqué la moindre activité dans les mouvements d'opposition qui fleurissaient alors en RDA, notamment dans les milieux protestants auxquels elle appartient. Elle n'a pas non plus participé, en octobre 1989, aux manifestations contre le 40e anniversaire de la RDA, dont la répression brutale fut à l'origine, deux semaines plus tard, de la chute d'Erich Honecker, l'indéboulonnable patron du Parti socialiste unifié (SED). A l'en croire, Angela ne s'est jamais sentie partie prenante du système en place.

Née à l'Ouest, elle est arrivée à l'Est âgée de trois semaines. Son père, Horst Kasner, est pasteur. Il avait décidé d'exercer "par sens du devoir" dans la partie communiste de l'Allemagne. Pour ne pas abandonner les Allemands de l'Est à leur sort. Mais aussi, sans doute, par conviction politique. Aujourd'hui encore, le père et la fille ne semblent pas sur la même longueur d'ondes. Angela aura, en tout cas, vécu une enfance agréable, au milieu de la nature et loin du monde, dans cette belle région de l'Uckermark chantée par Theodor Fontane, le grand écrivain berlinois du XIXe siècle.

A cette époque, la petite Kasner se partage entre deux mondes. La maison familiale d'abord, un îlot de liberté, de discussions et de contacts avec l'Ouest, grâce à la famille de Hambourg et, notamment, aux réseaux de l'Eglise. Là, on est loin des réalités de la "patrie socialiste" chantée à l'école: Angela doit apprendre, déjà, à composer. Ses parents la laissent rejoindre des organisations communistes, les "pionniers" puis les FDJ, les jeunesses communistes. Elle s'arrange comme elle peut de cette dualité.

Pour échapper à la suspicion, elle s'efforce de ne pas se faire remarquer. Elle apprend le conformisme et la discrétion. Elle n'entrera jamais au parti proprement dit. Mais quand la RDA disparaît, elle est encore chargée de la culture dans sa section FDJ de l'Académie des sciences. Sa vie est bien réglée: elle voyage beaucoup dans les pays de l'Est notamment en Russie, dont elle maîtrise la langue.

Comme toutes les jeunes "Ossies", elle s'est mariée très tôt, en 1977. C'est la fin de ses années universitaires. Ulrich Merkel, dont elle se séparera après quatre années de mariage mais dont elle conserve le patronyme, était, comme elle, un scientifique. Divorcée, sans enfant, elle épousera, fin 1998, Joachim Sauer, physicien de l'Est lui aussi, après être devenue secrétaire générale de la CDU.

Lors de la chute du mur, à l'automne 1989, la jeune femme de 35 ans n'échappe pas au maelström qui emporte le régime communiste. C'est une époque de grand bouillonnement politique. Angela Merkel hésite. Elle ne se sent aucune affinité avec les sociaux-démocrates renaissants de l'Est. Pas plus qu'avec le mouvement Neues Forum, qui aura, pendant quelques semaines, le vent en poupe, et dont elle n'apprécie guère, dira-t-elle, le côté "démocratie de base"; quant à la CDU locale, elle a collaboré avec le Parti communiste, alors, pas question ! "Angie" jette son dévolu sur un autre petit parti, Demokratisches Aufbruch, qui se réclame, lui aussi, de racines chrétiennes. Il a notamment été fondé par un ancien pasteur activiste, Rainer Eppelmann. On la voit alors beaucoup circuler dans l'"immeuble de la démocratie" , mis à la disposition des nouvelles formations politiques au coeur de Berlin-Est, sur la Friedrichsstrasse. Elle tient des permanences de presse dans un obscur bureau. Cheveux coupés au bol, vêtue très "ossie" , ce sont surtout ses deux grands yeux timides qui frappent les visiteurs.

Demokratisches Aufbruch appartient à la coalition mise en place pour les élections libres de mars 1990. La petite formation ne survivra pas longtemps au scandale de l'avocat Schnur ­ l'un de ses deux fondateurs ­, qui a servi la Stasi, la police politique. Mais les capacités de travail et d'organisation de l'éphémère porte-parole du parti, pendant la campagne, sont remarquées. C'est ainsi qu'elle est appelée par le nouveau chef de gouvernement, comme porte-parole adjointe. Ce qui lui permettra d'assister, en privilégiée, à tout le processus de réunification.

Angela ne se contentera pas d'un rôle passif. Dans le débat qui oppose le premier ministre, défenseur autodésigné des intérêts de la RDA mourante, et son principal négociateur, le secrétaire d'état Günther Krause, partisan d'une réunification rapide aux conditions ouest-allemandes, la jeune Merkel, selon Jacqueline Boysen, l'une de ses biographes, "prend fermement position" pour ce dernier. Elle ne changera jamais de ligne. Mme Merkel n'aime pas la nostalgie.

Très vite, elle se présente non pas comme une Allemande de l'Est en mission, mais ­ nuance ­ "comme une politicienne pour toute l'Allemagne avec des racines est-allemandes" . Au grand regret des stratèges chrétiens-démocrates, à l'Est, beaucoup d'électeurs ne la reconnaissent pas comme une des leurs. Mais, c'est aussi parce qu'elle se voit comme "un produit de la réunification" qu'elle réussira à s'imposer à l'Ouest. Son ambition vaut pour toute l'Allemagne. Elle veut redonner du sens aux valeurs qu'elle juge "essentielles": liberté, volonté d'entreprendre.

"Dans la concurrence des valeurs de base, nous devons aujourd'hui réaffirmer la signification de la liberté, explique-t-elle dans un livre d'entretiens paru en 2004. Nous ne devons pas oublier nos racines libérales. A celles-ci appartiennent l'autonomie de l'individu, la concurrence, la responsabilité individuelle, et beaucoup d'autres choses encore. De tout cela, ces dernières années, nous avons plutôt manqué."

A quelques semaines de l'imminente élection, nul ne s'est étonné de la voir prendre le risque de nommer Paul Kirchhof dans son équipe de campagne. L'homme professe des théories si "radicales" en matière fiscale qu'elles sont l'objet de violentes polémiques.

Au fond, Angela Merkel a beaucoup de points communs avec les nouveaux dirigeants de l'Est européen. Eux aussi sont passés par le moule communiste. Elle partage leur refus des modèles trop rigides et leur foi en l'initiative individuelle. Sur le plan extérieur, elle a aussi ce besoin de rechercher la proximité avec les Etats- Unis. Elle s'opposera d'ailleurs avec véhémence à la politique irakienne du chancelier Schröder, à son hostilité à l'invasion américaine, à son alliance avec Paris et Moscou. "Angie" veut renouer avec la tradition chrétienne-démocrate: faire l'Europe sans heurter Washington.

Mal à l'aise face aux télévisions, la présidente de la CDU a bien été obligée de se couler dans le moule, d'accepter les services de conseillers esthétiques, d'apprendre à affronter les caméras. Face à Gerhard Schröder, elle a vaillamment tenu sa place dans leur débat télévisé. Le courage est l'une de ses grandes vertus. Ses principaux atouts restent ce subtil mélange de conviction et de sincérité ­ frôlant parfois la naïveté ­, une grande capacité à apprendre vite et à tenir bon. "On la sous-estime souvent, relève Michel Barnier, qui l'a pratiquée dans les conseils européens quand tous deux étaient ministres de l'environnement. Mais elle sait ce qu'elle veut, et négocie avec beaucoup de fermeté."

Sous-estimée, elle l'aura été constamment par tous ceux qui ne voyaient en elle qu'une fantaisie d'Helmut Kohl, soupçonné de l'avoir soutenue parce qu'elle était une femme venue de l'Est, et qu'elle ne pouvait lui faire ombrage. Angela Merkel a patiemment attendu son heure. La démission de Lothar de Maizière, fin 1991, l'a propulsée, à 37 ans, à la vice-présidence de la CDU. Le scandale des fonds secrets du parti lui a ouvert les voies de sa direction. Elle est la seule à pouvoir "tuer le père", affranchir son parti de la tutelle d'Helmut Kohl.

Soupçonnée d'aucune combine, elle saura apparaître comme "la" sauveuse d'un parti, alors en pleine débâcle. En avril 2000, le congrès d'Essen l'élit avec un score quasi soviétique: 96% des voix ! Ce ne sera pas assez pour imposer sa candidature à la chancellerie. Les préventions des grands ténors sont encore fortes. Elle passe son tour, laisse Edmund Stoiber, le ministre-président de Bavière, porter les couleurs de la formation qu'elle dirige. C'est un échec.

En 2005, "Angie" pensait son heure arrivée. Les sondages la donnaient largement en tête. Mais à l'issue du scrutin, dimanche 18 septembre, avec le net recul de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), qui comme le SPD, enregistre l'un de ses plus mauvais scores de l'après-guerre, aucun des deux partis n'obtenait une majorité claire au Bundestag. Le flou est total. Et l'échec cuisant pour Mme Merkel, au point que Gerhard Schröder, qu'elle devance pourtant de quelques sièges, peut encore l'empêcher de réaliser son rêve.

Henri de Bresson
LE MONDE | 10.10.05 | 14h11


Le Monde / Chats
La grande coalition sortira-t-elle l'Allemagne de la crise ?
L'intégralité du débat avec Daniel Vernet, journaliste au "Monde", lundi 10 octobre 2005

Jean-Luc: Mme Merkel n'est-elle pas déjà dans une impasse ? Comment gouverner avec des postes-clés donnés au SPD, et un programme électoral totalement amputé ?
Daniel Vernet:
Je crois qu'il faut bien comprendre que la situation et les habitudes politiques en Allemagne sont très différentes des habitudes françaises. Une alliance entre le centre droit et le centre gauche, disons entre l'UMP et le PS, paraît assez invraisemblable. En Allemagne, ce n'est pas le cas. Les deux partis vont élaborer un programme de gouvernement qui leur permettra de coopérer au moins pendant quelques années.
Ce qui est vrai, c'est que pour aboutir à ce résultat, Mme Merkel a dû renoncer à des points importants de son programme et faire des compromis.

Cohelet: La dernière coalition en RFA a duré trois ans (de 1966 à 1969), et on considère que ce fut une réussite. Cette coalition a des enjeux de réforme importants, quelle durée serait nécessaire avant le retour au jeu bipolaire et sans prendre le risque de décrédibiliser la politique ?
Daniel Vernet:
Je pense que les deux partis vont se mettre d'accord pour gouverner pendant toute une législature, c'est-à-dire quatre ans. Y parviendront-ils ? C'est une autre question.
On peut raisonnablement penser que cette grande coalition ne durera pas quatre ans, parce que chacun des partenaires essaiera de trouver le moment opportun pour revenir à une coalition avec un petit parti, où il retrouvera un rôle dominant.

Nb: Le seul ministère significatif (l'intérieur et la défense étant plutôt des ministères "droitiers") qu'a obtenu Angela Merkel est l'économie (et encore pour son rival Stoiber). Mais elle est amputée du ministère du travail, dépendante des finances (attribués tous deux au SPD) et soumise au vote d'un majorité de gauche au Parlement. En voulant préserver à tout prix sa place de chancelière, Mme Merkel ne s'est-elle pas fait rouler dans la farine ?
Daniel Vernet:
C'est difficile de le dire aujourd'hui, mais il est vrai que le rapport de force n'était pas a priori très favorable à Mme Merkel. Et pour obtenir la chancellerie, elle a dû faire des compromis, non seulement sur son programme, mais aussi sur les ministres. Elle a dû concéder la moitié du gouvernement aux sociaux-démocrates, parce que ceux-ci ont fait pratiquement jeu égal avec elle aux élections.

QUELLE MARGE DE MANOEUVRE POUR ANGELA MERKEL ?

Karl: L'équipe Schröder avait déjà beaucoup engagé l'Allemagne sur la voie du néo-libéralisme, notamment en matière de mesures sur le chômage, l'accès à la santé, etc. Croyez-vous que la chancelière Merkel disposera de beaucoup plus de marge de manoeuvre pour gouverner ?
Daniel Vernet:
C'est difficile de dire que M. Schröder a engagé l'Allemagne sur une voie néolibérale. Il a fait des réformes des systèmes sociaux pour tenter de sauver la sécurité sociale, les retraites, l'assurance-maladie. Mme Merkel devrait continuer dans cette voie. Ce sera plus facile pour elle, car son gouvernement aura la majorité dans les deux chambres du Parlement.

Dinulu: Quel sera le futur de la politique étrangère de l'Allemagne après l'élection d'Angela Merkel comme chancelière de ce pays ? L'Allemagne va-t-elle respecter les traités signés avant cette date et toutes ses promesses ?
Daniel Vernet:
En ce qui concerne les traités, bien sûr, l'Allemagne respectera ceux qu'elle a signés. Dans toutes les démocraties, ça se passe comme ça, les gouvernements ne remettent pas en cause la parole donnée.
Deuxièmement, on peut considérer que la politique étrangère de l'Allemagne sera plus "classique" qu'avec M. Schröder, notamment en ce qui concerne les relations avec les Etats-Unis. Mais le ministère des affaires étrangères est promis au SPD, ce qui laisse à penser qu'on assistera à une certaine continuité.

Nb: Savez-vous qui sera ministre des affaires européennes et les implications qui en découlent ?
Daniel Vernet:
Pour l'instant, on n'a pas la liste des ministres. On dit qu'Edmund Stoiber, le chef du parti bavarois, hériterait d'un grand ministère de l'économie qui comprendrait aussi les affaires européennes.
Si c'est le cas, on peut penser que l'euro-scepticisme en sera renforcé en Allemagne, à moins que le fait de s'occuper des affaires européennes rende M. Stoiber plus enthousiaste pour l'intégration de l'Europe.

OPPOSITION: "LES LIBÉRAUX PERDENT PLUS QUE LES VERTS"

Sd: Quelle sera l'attitude des Verts à l'égard de cette nouvelle coalition ?
Daniel Vernet:
Les Verts et les libéraux sont perdants, évidemment, puisque les libéraux pensaient venir au gouvernement avec Mme Merkel et les Verts avaient fait campagne pour continuer à gouverner avec le SPD.

Tinrol: Les Verts et le libéraux sortent-ils perdants ? Quelle va être l'opposition alors que le FDP a fait campagne avec la CDU et les Verts avec le SPD ?
Daniel Vernet:
Je crois cependant que les libéraux perdent plus que les Verts. En contrepartie, une grande coalition est plutôt favorable aux petits partis d'opposition, qui peuvent profiter du mécontentement vis-à-vis du gouvernement, et donc des deux grands partis au pouvoir.

Pomodora: Pourquoi dites-vous que les libéraux perdent plus que les Verts ?
Daniel Vernet:
Parce que les libéraux comptaient beaucoup sur leur alliance avec Mme Merkel, parce qu'ils ont fait un bon score aux élections du 18 septembre, et ils pouvaient espérer jouer un rôle dans le gouvernement. Ensuite, parce qu'ils sont écartés du pouvoir maintenant depuis sept ans, et que c'est un parti qui n'a pas l'habitude d'être dans l'opposition. Enfin, parce que le Parti libéral s'est présenté avec un programme de réformes assez radical qui ne sera pas repris par la grande coalition.

Hektor: Qui est dans l'opposition ? Quid du FDP et des Verts ?
Daniel Vernet:
L'expérience de la première grande coalition de 1966 à 1969 a montré que les extrêmes profitaient de cette situation politique. C'est la période où s'est formée l'opposition extraparlementaire dans les milieux universitaires et où, à l'extrême droite, le parti néo-nazi a connu sa plus forte popularité, popularité qui cependant n'a pas dépassé quelques pour-cent.

Lazar: Peut-on attendre un changement de politique franco-allemande avec la nomination de Mme Merkel à la tête de la chancellerie ?
Daniel Vernet:
Je ne crois pas. Je pense que la coopération franco-allemande va continuer comme ces dernières années. En revanche, je ne pense pas non plus à de grandes initiatives franco-allemandes, car la marge de manœuvre française est limitée par la perspective de l'élection présidentielle de 2007.

Helmut: Comment la CDU et le SPD pourront-ils concilier leurs positions sur la politique extérieure ?
Daniel Vernet:
La politique extérieure allemande fait l'objet d'un consensus assez large entre les deux grands partis, avec deux ou trois exceptions. Premièrement, la guerre en Irak, et, deuxièmement, l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Sur le premier point, les chrétiens-démocrates ont critiqué la manière de Gerhard Schröder, mais ils étaient eux-mêmes opposés à l'envoi de soldats allemands en Irak.
Deuxièmement, à propos de la Turquie, les négociations seront sans doute plus difficiles, mais dans la mesure où elles dureront une dizaine d'années, ce ne sera pas un sujet de discorde immédiat.

Bia: Pensez-vous vraiment que l'euro-scepticisme pourrait gagner du terrain en Allemagne ?
Daniel Vernet:
Non, je disais que M. Stoiber est ce qu'en France on appellerait un euro-sceptique qui vient aux affaires européennes, et je ne pense pas qu'il manifeste un grand enthousiasme pour donner de nouveaux pouvoirs à Bruxelles.

QUEL AVENIR POUR M. SCHRÖDER ?

Refet: Quel sera, d'après vous, le rôle de M. Schröder dans cette grande coalition ? Nous avons lu aussi qu'il pourrait se retirer de la scène politique ?
Tinrol: S'il reste en retrait du gouvernement, va-t-il continuer d'exercer un leadership sur le SPD ?

Pomodora: Qu'en est-il de l'avenir de Schröder ?
Daniel Vernet:
Ce sont trois questions très difficiles, car je ne connais pas les intentions de M. Schröder. Il semble qu'il ne fera pas partie du nouveau gouvernement, mais son obstination au cours des dernières semaines a certainement permis au SPD d'obtenir une place importante dans le nouveau gouvernement et son parti devrait lui en savoir gré.

Pomodora: Pourquoi, selon vous, les Allemands sont-ils si favorables à une grande coalition ?
Daniel Vernet:
Les sondages étaient assez divers sur cette question, mais je crois que s'ils sont favorables à une grande coalition, c'est parce qu'ils ont le goût du consensus et du compromis, et ils pensent que les deux grands partis, de droite et de gauche, peuvent s'entendre pour faire les réformes nécessaires.
Aujourd'hui, la décision a été prise de confier la chancellerie à Mme Merkel, mais les négociations sur les questions concrètes, politiques, vont durer encore quelques semaines en Allemagne, et donc il ne faut pas s'attendre à voir un nouveau gouvernement en place avant quelque temps.

Chat modéré par David-Julien Rahmil et Stéphane Mazzorato
LEMONDE.FR | 10.10.05 | 17h36


Le Monde / Europe
De compromis en points de blocage, la grande rupture libérale défendue par la CDU n'est plus au programme
FRANCFORT de notre correspondant

 "U ne grande coalition toute petite" , analyse, lundi 10 octobre, Der Spiegel: pour le grand hebdomadaire allemand, l'atmosphère des négociations entre chrétiens-démocrates (CDU-CSU) et sociaux-démocrates (SPD) sur la formation du gouvernement montre que l'air du temps n'est plus aux grandes réformes. La rupture libérale en matière d'impôts, de marché du travail ou de santé sur laquelle la présidente de la CDU-CSU, Angela Merkel, a fait campagne, serait devenue minoritaire au sein même de son parti.

Impôts. Pour ramener le déficit du budget fédéral sous la barre des 3% du produit intérieur brut (PIB), objectif affiché par la CDU-CSU, on a ressorti un projet de compromis élaboré en 2003 par les ministres-présidents de Hesse et de Rhénanie du Nord-Westphalie. La liste "Koch-Steinbrück" préconisait la suppression de nombreuses subventions et exemptions fiscales. CDU-CSU et SPD s'étaient également entendus, en mars, sur la baisse de l'impôt sur les sociétés de 25% à 19%. Les deux grands partis ont en revanche défendu des points de vue différents sur la taxation des plus hauts revenus, le programme de la CDU-CSU défendant un recul du taux marginal de 42% à 39% alors que le SPD voulait, lui, imposer une surtaxe de 3 points.

Privatisations. Un consensus se dessine sur un projet de privatisation des autoroutes et l'introduction d'une vignette autoroutière pour les voitures, selon le Bild am Sonntag du dimanche 9 octobre, qui évoque une "coalition péage". Un abonnement annuel pour les voitures de 100 euros, sous la forme d'une vignette, rapporterait parallèlement 3 milliards d'euros de recettes annuelles.

TVA sociale. La CDU-CSU souhaitait augmenter de 2 points (de 16% à 18%) le taux normal de TVA afin de diminuer les cotisations sociales. Mais elle est en minorité. Le SPD a contesté vivement cette mesure, également dénoncée par les libéraux.

Marché du travail. La CDU-CSU souhaitait faciliter les licenciements dans les PME ou des accords d'entreprise dérogatoires. Elle favorise une approche négociée plutôt que par la loi. Droite et gauche se sont opposées sur la garantie par la loi des salaires minima de branches. Mais aucun des deux camps n'a proposé de revenir radicalement sur la réforme des allocations chômage.

Santé. Le SPD défend la Bürgerversicherung , un projet de couverture maladie universelle. La CDU envisageait au contraire une assurance forfaitaire quels que soient les revenus. Les deux camps pourraient revenir à l'esprit de leur réforme commune de la santé de 2004: les patients contribuent davantage, mais sans changer de système de soins.

Retraites. La réforme votée sous la précédente législature prévoit de poser la question de l'âge minimum de la retraite en 2008. De nouvelles économies pourraient se révéler nécessaires auparavant.

Nucléaire. La loi de sortie du nucléaire d'ici à 2020, imposée par les Verts, pourrait être remise en question. La CDU-CSU veut prolonger davantage la vie des centrales nucléaires.

Politique étrangère. Mme Merkel défend le retour à une relation plus traditionnelle avec les Etats-Unis, se refusant à choisir entre le lien transatlantique et les relations avec la France. La CDU s'est opposée, pendant la crise irakienne, au front antiaméricain que le chancelier a formé avec Paris et Moscou. Mme Merkel a refusé, pendant la campagne, de critiquer la gestion de l'administration Bush après l'ouragan qui a dévasté La Nouvelle-Orléans. Elle a reproché l'absence de réserves face à la Russie de Vladimir Poutine ou à la situation des droits de l'homme en Chine.

Turquie. Les positions des deux partis sont aussi éloignées que possible sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Le porte-parole de la CDU pour les affaires étrangères, Friedbert Pflüger, l'a rappelé en soutenant l'obstruction de l'Autriche à l'ouverture des négociations entre l'UE et Ankara. Vienne insistait pour que soit mentionnée dans l'accord l'hypothèse d'une solution alternative. Mme Merkel est à l'origine de l'idée d'un "partenariat privilégié".

Société. Droite et gauche se sont opposés sur la transposition de la directive européenne sur la lutte contre les discriminations. La CDU-CSU a bloqué l'adoption du projet de loi du gouvernement Schröder, jugé trop contraignant pour les entreprises.

Famille. Deux programmes s'affrontent: augmenter un système d'abattement fiscal qui se substitue pour les hauts revenus aux allocations familiales et donner aux parents un bonus de cotisations retraites pour la CDU-CSU; améliorer le système de congé parental et créer 230 000 places de crèche, de garde et de jardin d'enfants d'ici à 2010 pour le SPD.

Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Europe
Angela Merkel, un tempérament de fer

 E lle rêvait d'être élue dans un fauteuil à la chancellerie allemande et ainsi d'entrer, la tête haute, dans les annales à double titre: comme la première femme, et la première personne ayant grandi dans l'ex-République démocratique allemande (RDA) à avoir jamais dirigé le pays. Si Angela Merkel a désormais toutes les chances, à 51 ans, de prendre la tête du prochain gouvernement, elle a dû se contenter d'une consécration nettement plus modeste.

Contrairement à ses attentes et aux pronostics des sondages, les élections législatives du 18 septembre n'ont attribué que 35,2% des voix à son parti, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), et à sa petite soeur bavaroise (CSU). C'est un dixième de point de mieux que le score enregistré, en 1998, par le parain politique de Mme Merkel, Helmut Kohl, alors que celui-ci était poussé vers la sortie, après seize ans de règne.

De son ancien mentor, dont elle s'était distanciée en 1999 après un scandale sur le financement secret de la CDU, elle tient une bonne dose d'obstination. Il lui en aura fallu au sein d'un parti a priori peu ouvert aux femmes et aux conceptions familiales fort traditionnelles. Son ascension n'aura pas été aisée, parmi les barons chrétiens-démocrates qui piaffaient d'impatience dans l'ombre de M. Kohl. C'est pourtant cette femme au sourire triste qui s'est imposée, alors que bien peu lui accordaient une chance réelle. "Qui sous-estime Angela Merkel a déjà perdu", confia un jour un cacique du parti.

Elle est née le 17 juillet 1954 à Hambourg, ville de l'Allemagne de l'Ouest que son père, pasteur, quitta pour aller s'installer à l'Est. C'est là qu'elle a grandi, s'est mariée une première fois et a travaillé pour l'Institut central de physique et chimie, à l'Académie des sciences de Berlin-Est. Après la chute du Mur, M. Kohl, en mal de personnalités est-allemandes pour son gouvernement, est allé chercher cette députée fraîchement élue aux premières élections de l'après-réunification, pour la nommer ministre de la famille et de la jeunesse en 1991.

Celle qu'il avait surnommée "das Mädchen", la gamine, était désormais sur orbite politique. Trois ans plus tard, elle prenait le portefeuille de l'environnement. Puis elle devenait secrétaire général de la CDU après la défaite de 1998. Les circonstances ont souvent joué en sa faveur mais elle a aussi fait preuve d'un tempérament de fer, ce qui lui vaudra d'être comparée à Margaret Thatcher.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Horizons
Reportage
Les survivants de l'enfer sahraoui

 H uit mille quatre cents jours de captivité. Assis dans ce sordide café de Casablanca où il est arrivé en boitant, le regard sombre fixé dans le vide, Abdellah Lamani, 52 ans, en a gros sur le cœur. Il aimerait tant que son pays, que la terre entière sache enfin de quel enfer il est revenu, lui, le petit employé d'une fabrique d'allumettes emporté par le courant de l'histoire dans une des guerres les plus méconnues, celle du Sahara occidental. Un conflit qui oppose depuis 1975, et malgré le cessez-le-feu de 1991, le Maroc et les indépendantistes de l'ancienne colonie espagnole soutenus par l'Algérie.

Les anciens détenus se réjouissent, certes, que le Front Polisario, le mouvement nationaliste sahraoui, ait libéré au mois d'août 404 prisonniers de guerre marocains ­ les derniers sur presque un millier, selon les comptes officiels. Mais tous savent que l'euphorie sera courte. Car commencer une nouvelle vie dans une société qu'ils ne reconnaissent plus et qui ne les reconnaît pas est une épreuve supplémentaire à laquelle ils ne s'étaient pas préparés.

Houcine Tarrada | BERNARD BOUYE
BERNARD BOUYE
Houcine Tarrada.

"Nous souffrons du complexe du vétéran, explique Driss El-Yazami, 52 ans, pilote de Mirage F1, libéré en février 2004 après vingt-trois ans de détention. En revenant au pays, on s'imagine que tout le monde est au courant de ce que l'on a fait, on voudrait être considérés comme des héros." Houcine Tarrada, 57 ans, ne comprend toujours pas, lui, pourquoi leur pays ne les a pas encore décorés. "Je suis toujours soldat de deuxième classe depuis 1981, année de mon enlèvement. Les amis qui se sont engagés en même temps que moi sont aujourd'hui adjudants ou adjudants-chefs, c'est injuste."

C'est pour les civils que le retour est le plus cruel. " Mon travail, ma maison, mes terres... J'ai tout perdu, confie Abdellah, locataire d'une chambre de 25 m2, près du stade Mohammed-V à Casablanca. Je n'ai plus de famille. Mes parents sont décédés pendant ma captivité, il ne me reste que ma sœur. Je n'ai pas de pension, je loue pour 2 500 dirhams par mois [227 euros] une licence de taxi. Cela ne suffit pas pour que je puisse vivre avec ma femme. J'ai l'impression d'avoir commis un crime. Le suicide, oui... Depuis mon retour, j'y ai pensé. Mais je suis déjà revenu de si loin..." Du centre de détention de Rabouni, à 25 km de Tindouf, au sud-ouest de l'Algérie, précisément.

"Charger et décharger des camions de munitions, creuser des tranchées, courir avec des briques sur le dos... On travaillait jour et nuit, raconte Abdellah. La première année, je me souviens de ne pas avoir dormi pendant soixante jours. Je ne savais pas si je rêvais ou si j'étais mort." Houcine, Jamaâ, Mohammed et Hamid, ses compagnons de torture, l'écoutent attentivement autour d'un thé berbère. Tous ont la même histoire à raconter.

Des années dans le même treillis, des semaines sans se laver, sans se raser, avec des poux jusque dans la bouche. Un quotidien rythmé par les coups, les humiliations et la faim. "Nous avions droit matin et soir à une ration de riz, témoigne Houcine Tarrada. Il s'agissait souvent du riz tombé des sacs, que les gardes ramassaient au sol avec toutes les saletés, du sable ou des bouts de verre."

Abdellah Lamani | BERNARD BOUYE
BERNARD BOUYE
Abdellah Lamani.

Hamid Lébène, 49 ans, hoche sa tête de gamin indiscipliné. Il se souviendra toujours de ce 18 juillet 1981. "Avec deux autres prisonniers, nous étions tellement affamés que nous avons essayé de voler un peu de nourriture. La punition fut terrible. Nous devions courir en pleine chaleur et il faisait au moins 50 °C à l'ombre. Des gardes nous poursuivaient en nous donnant des coups avec des fouets fabriqués avec des câbles métalliques, jusqu'à ce que nous tombions. Ils nous ont ensuite attaché les pieds et les mains et frappé avec une lame de ressort de camion, raconte-t-il en tendant deux moignons, vestiges de doigts laissés sous les sévices. A 15 heures, mes deux camarades sont morts." D'un geste sec et nerveux, il enlève son pantalon pour montrer les cicatrices couvrant ses jambes, souvenirs cuisants des câbles.

Hamid, le rebelle au sourire édenté, est devenu une icône de la résistance. Son nom circule avec respect parmi les prisonniers, comme celui d'Ali Najab. Le capitaine de 62 ans, pilote de F-5, est resté vingt-cinq ans aux mains du Front Polisario, qu'il surnomme avec insolence "Front Algesirario" . Pour avoir refusé d'insulter Hassan II, s'être interposé entre un garde et un prisonnier, et avoir tenté de s'évader, le brillant officier formé dans les écoles militaires françaises a subi la torture et les mêmes humiliations que ses soldats. "Toutes les constructions au sud de Tindouf ont été faites par des prisonniers, à coups de fouet , dénonce-t-il. Les hommes étaient traités comme des animaux, à piétiner la boue pour faire des briques. Les mieux portants devaient donner leur sang pour les hôpitaux. Certains devenaient de véritables vaches à sang." A l'instar d'Hamid et d'Houcine, pompés jusqu'à dix fois par mois.

"Pendant six ans, nous avons vécu dans une fosse rectangulaire creusée au milieu de la cour à Rabouni, poursuit le capitaine d'un ton dur. Entassés parfois jusqu'à quarante, sans toit, exposés été comme hiver à la chaleur, au froid, à la pluie. Nous étions des moins que rien, touchés dans notre dignité. On nous faisait ramper en slip devant nos soldats. Nous n'avions pas non plus de toilettes. Nous allions dans la nature. Une punition récurrente consistait d'ailleurs à ramasser les excréments à main nue."

Mohammed Hadri | BERNARD BOUYE
BERNARD BOUYE
Mohammed Hadri.

Accusé de tentative d'évasion, le lieutenant Mohammed Adri, 50 ans, pilote de Mirage F1, a connu un tout autre genre de punition. "Je suis resté enfermé trente-trois jours dans un conteneur, avec un bidon d'eau, du pain, des lentilles ou du riz, relate-t-il. Et, la nuit, un garde m'empêchait de dormir en frappant régulièrement sur le conteneur. Pour tenir, je pensais à ma femme et à ma fille de dix mois. Mais, le plus dur, c'était d'entendre les autres prisonniers gémir toute la nuit."

Car les pires souvenirs des prisonniers ne sont pas liés à leur histoire, la plus grande torture n'étant pas celle qu'ils subissaient mais celle infligée à leurs camarades. "J'ai vu un garde mettre en marche une bétonneuse alors qu'un prisonnier avait la tête dedans, témoigne Ali Najab. Et un autre rouler sur un détenu qui s'était couché sous un camion pour se reposer." Abdellah ne compte plus les exécutions auxquelles il était obligé d'assister. "Je ne sais pas combien j'ai vu de soldats attachés à un arbre, la tête en bas, frappés à coups de manche de pioche, de barre de fer, de pied... jusqu'à ce que mort s'ensuive."

Chaque matin, Mohammed Allali priait Dieu pour que la journée se passe sans plus de 40 coups de câble, la moyenne quotidienne. "Je préférais la faim aux coups" , avoue-t-il en montrant l'épaisse cicatrice qui traverse son crâne rasé, marque indélébile d'une crosse de kalachnikov. "Moi aussi , ajoute Hamid. Même lorsque les gardes du Polisario nous jetaient des bouts de pain pendant la prière."

Plus qu'à leur endurance physique, les détenus qui s'en sont sortis sans devenir fous doivent leur survie à un mental d'acier, entretenu par le souvenir de leurs proches. "On vivait presque en famille, se rappelle l'adjudant chef Driss El-Yazami. Quand nous recevions des photos ou des lettres de nos familles, nous les regardions ensemble. Au fil des ans, on voyait grandir les enfants. Nous fêtions même leurs anniversaires. Quand j'ai appris la mort de ma mère, Ahmed, mon ami, a pleuré plus que moi..."

L'arrivée du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) dans les camps, en 1994, a amélioré les conditions de détention. C'est ainsi que les prisonniers ont pu recevoir des lettres et des colis. "Il fallait tenir pour nos familles , souligne Ali Najab. Nous n'avions pas le droit de les priver de notre retour."

Latifa Johari n'a jamais cru en la mort de son mari, Ahmed Ben Boubker, le premier pilote capturé, le 21 novembre 1976. "Son avion abattu, il fut porté disparu. On m'envoya un certificat de décès et les condoléances du roi, mais je ne pouvais me résigner à sa mort , jure-t-elle, les larmes aux yeux. Deux mois plus tard, en allumant la radio, j'ai reconnu sa voix. Il déclinait son identité dans une émission... Mais le plus beau jour de ma vie est certainement celui où j'ai reçu le coup de fil m'annonçant sa libération."

Pour conjurer l'attente interminable, Atika, la femme d'Ali Najab, professeure retraitée d'histoire-géographie, a repris ses études et publié un livre, 25 ans dans la vie d'une femme de prisonnier, recueil de tous les poèmes rédigés à son époux absent. "Tous les moyens étaient bons pour entrer en contact avec lui, souligne-t-elle. Je demandais aux journalistes qui me sollicitaient de lui porter mes lettres. Je suis même allée jusqu'à Paris pour récupérer des photos de lui."

Une photo, c'est tout ce qu'il restait à Siham Laghrassi pour se construire sans son père, Mohammed, un mécanicien enlevé alors qu'il rentrait du travail dans la région de Tan-Tan et libéré en 2002, après vingt-quatre ans de détention. Une photo et le souvenir de ses mains. "Parce qu'il m'emmenait souvent sur sa moto, et je ne voyais que le guidon, raconte la jeune femme de 29 ans en riant. Nous sommes restés sans nouvelles pendant dix ans jusqu'à ce que ma mère reçoive une de ses lettres. Pour nous élever, elle a enchaîné des petits boulots. Je me dis que cela a dû être très dur. Elle n'y voit quasiment plus aujourd'hui. Sans doute d'avoir trop pleuré."

A leurs yeux, l'homme qu'elles aimaient est resté le même. Les traits plus creusés, bien sûr. Les cheveux plus gris, sans doute. Le bilan médical est moins romantique. Diabétiques, rongés par l'arthrose, les mains tremblantes et les dents gâtées, les jeunes hommes dans la force de l'âge sont devenus des quinquagénaires amaigris, à la santé précaire.

Jamaâ Ayyoub | BERNARD BOUYE
BERNARD BOUYE
Jamaâ Ayyoub.

Jamaâ Ayyoub, 56 ans, regarde avec tristesse sa jambe gauche, plus courte de 8 centimètres. Le vigoureux soldat qui participa à la guerre du Kippour entre Israël et la Syrie, en 1973, n'existe plus. Le presque vieillard déplace difficilement ses 60 kilos à l'aide d'une béquille, impuissant face aux gamins qui l'imitent dans la rue. S'ils savaient. "Je suis tombé sur le champ de bataille, une balle dans le genou, explique-t-il. Après six jours dans le désert, à me nourrir de broussailles, j'ai perdu connaissance. Quand le Front Polisario m'a retrouvé, ils ont essayé de soigner l'infection en me plâtrant jusqu'au cou. Je suis diminué physiquement , admet-il, mais je souffre surtout moralement. Sans calmants, je n'arrive pas à dormir."

Les cauchemars et les rêves d'évasion contrariés n'épargnent aucun ex-détenu. Ils se savent plus irritables, plus impatients, et culpabilisent d'imposer cela à leurs proches. "Avec ma fille, on essaie de cohabiter, mais nous avons des problèmes de communication, confesse Mohammed Adri. Les psychologues de la Croix-Rouge nous avaient prévenus que la réinsertion serait difficile, que nous n'étions plus comme les autres." Entre un stage Internet à la base militaire de Sidi Slimane et les activités à la ferme qu'il loue avec son ami Driss El-Yazami, le pilote tente de renouer avec cette société qui a avancé sans lui.

Abdellah Lamani, de son côté, a entrepris de rassembler les victimes civiles pour réclamer des indemnités et la libération de la poignée de prisonniers qui, selon lui, n'auraient pas été recensés par le CICR et resteraient détenus. Dans le même esprit, Ali Najab monte une association de prisonniers de guerre. Des célibataires se sont mariés et certains ont déjà un enfant. Une façon de rattraper le temps perdu, de tourner la page vers un futur qu'ils voient se dessiner avec incertitude. Et, quelque part, de pardonner.

" Au mois de mars, j'ai rencontré un des soldats qui m'avaient enlevé et torturé , raconte Abdellah d'un air serein. Nous nous sommes reconnus. Il avait l'air tellement gêné. Finalement, nous nous sommes embrassés et nous avons ri. Oui, j'ai déjà pardonné à mes tortionnaires. Mais c'est aux familles des victimes qu'il faut demander cela. Car ce sont les morts qui doivent pardonner. Pas les survivants."

Mélanie Matarese
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Europe
L'attitude de M. Schröder a suscité un malaise dans l'opinion
BERLIN de notre correspondant

 L a décision en passe d'être annoncée, lundi 10 octobre à Berlin, était attendue avec de plus en plus d'impatience par la population allemande. Les manoeuvres dilatoires du Parti social-démocrate (SPD) du chancelier sortant, Gerhard Schröder, ont fni par irriter un nombre grandissant de citoyens, y compris parmi chez ceux qui avaient voté pour lui lors des élections législatives du 18 septembre. Il aura fallu trois semaines pour que la direction du parti reconnaisse sa défaite, en acceptant que la chancellerie revienne à la candidate du camp adverse, Angela Merkel, la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU). Cette attitude, qualifiée de "putsch contre la réalité" par l'hebdomadaire Der Spiegel, aura surtout mis en lumière les faiblesses du SPD.

Le soir même du scrutin, le chancelier sortant avait dérouté par son comportement. Lors d'une émission télévisée, il avait dénié à sa rivale, en des termes inhabituellement cassants pour ce maître du verbe, le droit de diriger le prochain gouvernement. De même avait-il écarté toute éventualité de participer à une grande coalition (CDU-CSU et SPD) dirigée par Mme Merkel. De telles prises de position tranchées allaient pourtant à l'encontre de la volonté des électeurs, qui avaient placé le SPD en deuxième position, derrière la CDU et son aile bavaroise, l'Union chrétienne-sociale (CSU).

Certes, le chancelier sortant, au prix d'une campagne très personnalisée et combative, avait permis à son parti d'éviter la débâcle annoncée, après qu'il eut provoqué la tenue d'élections anticipées, un an plus tôt que prévu. Avec 34,2% des voix, le SPD limitait la casse. Certes, la CDU-CSU, elle, avait non seulement échoué à obtenir la majorité absolue avec son allié libéral, le FDP, mais elle avait encaissé un énorme revers. Son score de 35,2% des suffrages est le troisième plus mauvais jamais enregistré par ce parti depuis la seconde guerre mondiale. Un désaveu pour Mme Merkel, dont la campagne électorale aux accents très libéraux avait effrayé des électeurs qui semblaient a priori mûrs pour un changement d'équipe à la tête du pays.

La faiblesse du résultat de la CDU-CSU a incité M. Schröder à se proclamer le vainqueur moral du scrutin. Les résultats sortis des urnes le donnaient pourtant arithmétiquement battu. Le SPD accusait un retard de plus de 400 000 voix et de trois sièges, bientôt porté à quatre à la faveur d'un scrutin partiel tenu le 2 octobre à Dresde. Bien que son retard fut nettement moindre, le candidat de la droite à la chancellerie en 2003, Edmund Stoiber, le président de la CSU, avait rapidement admis sa défaite face à M. Schröder.

Après l'avoir détesté pour avoir entamé des réformes impopulaires et peu conformes aux idéaux traditionnels de gauche, bon nombre de militants et responsables sociaux-démocrates ont resserré les rangs derrière M. Schröder après le scrutin du 18 septembre. "Nombreux sont ceux qui croient qu'il peut marcher sur l'eau et j'en fais partie ", n'a pas hésité à déclarer Sigmar Gabriel, ancien ministre-président SPD du Land de Basse-Saxe, qui, naguère, l'avait pourtant critiqué. Vendredi dernier encore, l'aile gauche du SPD, peu tendre avec M. Schröder ces derniers mois, s'est alliée à une de ses sections les plus conservatrices pour exiger son maintien au poste de chancelier. Celui-ci s'était entre-temps habilement défaussé sur la direction de son parti en affirmant, le 3 octobre, qu'il respecterait sa décision concernant l'identité du prochain chef de gouvernement.

En ayant fait monter les enchères jusqu'à ces derniers jours, les dirigeants du SPD risquent désormais de décevoir la partie de leurs troupes qui espérait encore en un cabinet de coalition dirigé par M. Schröder. Même si ces revendications ont été formulées essentiellement pour des raisons tactiques, en vue d'obtenir le plus de concessions possibles de la part de la droite, il sera difficile de faire accepter un gouvernement d'union avec cette dernière.

En outre, la formation d'un tel gouvernement pourrait faire le jeu du Parti de gauche. Cette nouvelle formation, qui regroupe anciens communistes de l'Est du pays et déçus de la social-démocratie à la mode Schröder, a déjà réussi à s'imposer comme le quatrième groupe parlementaire avec 8,7% des voix. Son irruption a modifié la donne à gauche, empêchant le chancelier sortant d'être réélu pour un troisième mandat. Nul doute que ce parti attirera tous ceux qui estimeront que le SPD a encore plus perdu de son âme en gouvernant avec la droite.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Europe
Angela Merkel en passe de devenir la première chancelière d'Allemagne
BERLIN de notre correspondant

 T rois semaines après des élections législatives à l'issue inattendue, Angela Merkel, présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), était en passe, lundi 10 octobre, de devenir chancelière, à la tête d'un gouvernement de grande coalition comprenant la CDU, son aile bavaroise, la CSU, et le Parti social-démocrate (SPD). Après une nouvelle réunion au sommet entre les trois formations, dimanche soir, un projet d'accord faisait l'objet, lundi matin, d'ultimes mises au point.

La décision a été annoncé avant les dernières réunions dans la matinée par la chaîne de télévision publique allemande ZDF et l'agence de presse DPA, citant des sources proches de la CDU. Des porte-parole des deux camps se refusaient, lundi matin, à confirmer l'information, sans toutefois la démentir. Deux conférences de presse distinctes étaient prévues à 14 h 30, après les réunions des instances dirigeantes des partis concernés et une ultime rencontre entre leurs plus hauts responsables.

Avant d'entamer des négociations de fond en vue d'arrêter un programme de gouvernement, les dirigeants de deux camps ­ Mme Merkel et Edmund Stoiber, président de la CSU, d'un côté, M. Schröder et Franz Müntefering, le président du SPD, de l'autre ­ étaient convenus de régler l'épineuse question de l'identité du prochain chancelier et de l'équilibre des postes au sein de la future coalition. Après une première rencontre de plus de quatre heures, à huis clos, jeudi soir, suivie d'une deuxième, dimanche soir, les quatre intéressés sont finalement parvenus à un accord, selon les médias locaux.

Les quatre dirigeants devaient également annoncer, lundi, la répartition des forces au sein du probable gouvernement de leur grande coalition. Selon une source au sein du SPD citée lundi par la ZDF, le SPD aurait obtenu huit ministères sur seize, dont celui des affaires étrangères, des finances et du travail, en contrepartie de l'abandon par M. Schröder de ses prétentions et de l'obtention du poste de président du Bundestag à la droite. En face, la CDU occuperait six ministères, en comptant Mme Merkel au poste de chancelière, et la CSU deux autres, selon l'hebdomadaire Focus paru lundi.

Si elles s'avèrent exactes, ces informations mettraient fin à trois semaines d'intense suspense politique. M. Schröder et son parti ont longtemps contesté à Mme Merkel le droit de devenir la première femme à gouverner le pays, bien que son parti, associé à la CSU, soit arrivé en tête du scrutin. L'accord ouvrirait grand la porte à un gouvernement de coalition réunissant deux camps qui, s'ils se sont livrés une bataille électorale sans merci, ne sont pas opposés par des divergences de fond insurmontables.

Des négociations officielles en vue de la formation d'un tel cabinet d'union devraient en principe s'ouvrir dans les prochains jours. Elles auront pour but de finaliser une plate-forme commune en vue de gouverner ensemble pendant quatre ans. Une telle configuration politique a déjà été expérimentée à une reprise au niveau fédéral, à la fin des années 1960, et fonctionne actuellement dans trois régions (Länder) du pays. Si ces négociations officielles aboutissent, Mme Merkel deviendra alors, à 51 ans, la première personnalité venant de l'ex-République démocratique allemande (RDA) à gouverner le pays.

Selon la ZDF et la DPA, M. Schröder aurait donc finalement renoncé au poste de chancelier, qu'il occupait depuis 1998, lorsqu'une coalition entre le SPD et les Verts avait chassé la droite du pouvoir après seize ans de règne. Jusqu'à ces tout derniers jours, la direction social-démocrate, remontée par un score moins catastrophique que prévu (34,2%) et par l'énorme déconvenue électorale de la CDU/CSU (35,2%), avait affirmé que M. Schröder devait rester à la tête du pays et poursuivre les réformes qu'il avait engagées. La droite, elle, estimait que le poste de chancelier lui revenait automatiquement, puisqu'elle avait obtenu le plus important groupe parlementaire (226 sièges contre 222 au SPD).

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Société
Claude Finkelstein, la guérison partagée

 E lle n'en dort plus la nuit. Depuis quelques semaines, Claude Finkelstein est "déchirée" entre l'espoir de voir aboutir un projet qu'elle a longtemps porté et la crainte qu'il soit récupéré et vidé de sa raison d'être. Claude Finkelstein, c'est la voix de la psy, l'énergique présidente de la Fédération nationale des associations de patients en psychiatrie (Fnap- psy), un petit bout de femme qui porte depuis près de huit ans la parole des personnes souffrant de troubles psychiques.

BIOGRAPHIE

1947 Naissance à Ermont (Val-d'Oise).

1989 Début d'une grave dépression.

1998 Présidente de la Fédération nationale des associations d'(ex) patients en psychiatrie (FNAP-psy).

2005 Journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre.

En août, le ministère de la santé, reprenant une de ses idées, a entériné la création de 300 groupes d'entraide mutuelle (GEM), sortes de clubs gérés par les patients, où ils peuvent se retrouver entre eux pour discuter et se soutenir dans la maladie. Depuis, des crédits ont été débloqués et les projets se multiplient un peu partout en France, mais la plupart sont portés par des professionnels du soin et non par des patients. "Je sens bien la volonté du soignant plein d'amour qui veut créer son GEM pour aider les malades, soupire Mme Finkelstein. Mais nous, on ne veut pas de ça, on veut pouvoir se prendre en charge nous-mêmes, qu'on nous reconnaisse cette aire de liberté." Si elle tient tant à ce que ces nouvelles structures n'échappent pas aux patients, c'est qu'elle sait d'expérience combien "le soutien des pairs" peut-être décisif quand on est plongé dans la maladie. Dans son cas, cette aide lui a permis de rester en vie, en l'aidant peu à peu à sortir d'une dépression qui la ravageait depuis des années.

Issue d'une famille modeste, Claude Finkelstein a le sentiment " d'avoir toujours connu la violence, d'avoir toujours voulu réparer tous les désordres familiaux". A 42 ans, après avoir été successivement agent immobilier, vendeuse dans une boutique d'art puis caissière chez C & A, elle est tombée malade à la suite de graves difficultés conjugales.

Ignorant tout de la psychiatrie et de sa propre pathologie, elle a erré de généraliste en généraliste. Ils lui donnaient du Prozac, un antidépresseur qui ne lui "faisait rien" mais qui multipliait les effets secondaires: prise de poids, douleurs musculaires, accès de violence...

Peu à peu, elle s'est enfoncée dans la maladie jusqu'à vivre recluse dans son appartement avec sa fillette de 5 ans. Pendant des semaines, elle n'a fait que manger et dormir. "Je me levais le matin, je mettais un manteau sur ma chemise de nuit, j'emmenais ma fille à l'école, je rentrais et je me couchais, raconte-t-elle, mécanique. Je me relevais à 4 heures de l'après-midi pour aller la chercher, je l'installais devant la télé, et je me recouchais."

De cette période confuse, entrecoupée de plusieurs tentatives de suicide, elle retient l'image d'un yaourt renversé près du canapé, qui est resté plusieurs semaines en l'état, comme pour la narguer. "Je passais devant et, dans mes moments de lucidité, je me disais: il faut que tu le ramasses. Mais je ne pouvais pas le faire !"

Si elle devait définir la dépression, cette chose "incompréhensible pour qui ne l'a pas vécue" , Claude Finkelstein dirait qu'elle est "comme un oeuf de verre épais dans lequel on est enfermé. Vous voyez au travers, c'est légèrement déformant, mais vous n'entendez rien. Et surtout personne ne peut vous toucher", ajoute-t-elle. Elle ne serait sans doute pas sortie de cette forteresse, si elle n'avait finalement rencontré un "psychiatre humble, humain" qui a su, enfin, la soigner.

En 1995, ce praticien l'oriente vers Le fil retrouvé, une association de patients et d'ex-patients dans laquelle elle trouve enfin le soutien dont elle avait besoin. "J'ai alors compris qu'on pouvait s'en sortir au contact de gens formidables qui avaient été malades comme je l'étais, et qui pouvaient comprendre la souffrance que je ressentais , se souvient-elle. C'est comme ça que j'ai été reprise dans la roue de la vie."

L'ancienne déléguée syndicale de C & A trouve alors un sens à sa trajectoire. Tout en reprenant des études de gestion et de ressources humaines, elle décide de porter la voix des patients en psychiatrie, jusqu'ici disqualifiée par les médecins ou étouffée par les familles. Elue en 1998 présidente de la Fnap-psy, qui compte 4 500 adhérents, elle tourne le dos aux anciens discours antipsychiatriques des associations de malades et s'allie aux psychiatres de la Conférence des présidents de commissions médicales d'établissement ainsi qu'aux familles de l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam). Avec eux, elle signe, fin 2000, la Charte des usagers en santé mentale, première pierre de la reconnaissance des patients en psychiatrie.

Au ministère de la santé, on apprend progressivement à compter avec cette militante hyper-active que les adhérents de sa fédération ont surnommée "la cheftaine". En 2002, elle obtient, contre l'avis des psychiatres, l'accès au dossier médical des patients souffrant de troubles psychiques, inscrit dans la loi du 4 mars sur le droit des malades. En 2005, elle parvient à faire reconnaître, avec l'Unafam, la notion de handicap psychique pour les personnes malades au long cours, qui a été inscrite dans la loi sur le handicap du 11 février. Le même texte reprend, sous l'appellation de GEM, son idée de clubs de patients.

"Par son courage et sa ténacité, Claude a entraîné une véritable mutation en psychiatrie, en ouvrant un espace de parole à des personnes qui étaient disqualifiées ou dans la honte, analyse le docteur Yvan Halimi, président de la Conférence des présidents de CME. Mais son travail est fragile et dérange beaucoup de personnes dans le milieu psychiatrique."

Avec la mise en place des GEM, Claude Finkelstein se retrouve à un moment crucial: à l'occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, lundi 10 octobre, elle aimerait définitivement prouver que les patients en psychiatrie peuvent se prendre eux-mêmes en charge, mais craint une régression dans le regard porté sur eux si son pari échoue. "Les professionnels du soin voudraient nous posséder alors que nous cherchons un partenariat avec eux, explique-t-elle. Il faudra bien admettre que nous, les patients, nous puissions être libres malgré la maladie."

Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Régions
A Paris, une chapelle à la mémoire des SDF

 D es cadres en bois, 33 au total, ont été apposés sur les murs de la petite chapelle de Saint-Leu-Saint-Gilles, rue Saint-Denis, à Paris (1er arrondissement). Ils portent les noms, les dates de naissance et de mort de SDF "tombés" dans la rue. Cette église est depuis longtemps le lieu de rassemblement et de refuge de nombreux marginaux de ce quartier.

Qu'il s'agisse de Lahcene Derwiche, Patrick Vanderbrouke, Georges Meliniotis ou René David, tous ont eu droit à une reconnaissance à titre posthume. Une statue de Saint-Benoît-Labre, patron des marginaux, qui avait fait voeu de pauvreté pour être plus proche de Dieu, veille sur eux. "Tout a commencé cet été après la mort de trois des nôtres quand un copain s'est plaint qu'il n'y ait pas de lieu de mémoire", raconte Ch ristophe Louis, responsable de l'antenne Paris-centre de l'association d'Aux captifs, la libération, à l'origine de ce projet.

Jusqu'à maintenant, les amis des SDF défunts devaient se rendre au cimetière de Thiais (Val-de-Marne) dans lequel sont inhumés les indigents. Après avoir reçu l'autorisation du Père Geoffroi, Christophe Louis a imaginé de consacrer une chapelle de l'église à la mémoire de tous ceux qui sont morts dans la rue, faute d'avoir un abri. Le projet est d'autant mieux accueilli que, dans cette église, "les frères de la rue", comme on les appelle ici, sont perçus comme faisant partie de la famille. Grâce à la générosité des habitants, des fonds sont très vite débloqués. Dominique et Michel, deux anciens ouvriers du bâtiment, réalisent les travaux en moins de deux semaines. Un travail à domicile en quelque sorte, "bien loin des regards souvent hautains que nous portent les gens à l'extérieur", souligne Michel.

"Il faudrait que l'initiative soit reprise et pas seulement dans les églises", ajoute le président de la section locale qui souhaiterait une action des municipalités sur le modèle des monuments aux victimes des guerres. "Si la reconnaissance des morts est une chose importante, ce qui compte avant tout c'est la santé des vivants ", souligne Michel. Et il déplore l'aggravation des conditions de vie des SDF, l'augmentation du nombre de femmes dans les queues des soupes populaires et le manque de moyens des travailleurs sociaux. Un pessimisme qu'il tempère ainsi: "Si même les guerres ont une fin alors il doit bien être possible de ne plus à avoir à inscrire des noms sur des murs."

Jonathan Ittah
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Entreprises
Les pays pauvres sont plus exposés que les nations riches à l'envolée des cours du pétrole

 P ar ces temps de pétrole cher, il ne fait pas bon être membre du club des pays pauvres et, de surcroît, importateur net d'or noir. De l'Afrique sub-saharienne à l'Amérique centrale et à l'Asie du Sud-Est, la flambée des cours du brut ­ le baril a clôturé à 61,84 dollars, vendredi 7 octobre, à New York ­ a plongé un grand nombre d'entre eux dans un véritable état de choc pétrolier. L'alourdissement de leur facture pétrolière risque même d'annuler les effets bénéfiques de l'effacement récent de la dette multilatérale de 40 milliards de dollars (33 milliards d'euros) de dix-huit pays pauvres. Et de compromettre encore plus l'"objectif du Millénaire", fixé par l'ONU, de réduire par deux en 2015 le nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour.

L'Asie est particulièrement dépendante du pétrole. "La hausse des cours commence à peser sur la croissance" , et "le premier pays à être touché est l'Indonésie" , souligne une étude du département recherche d'Ixis CIB. Comme dans la plupart des pays pauvres ou émergents, l'Etat y prend à sa charge l'écart entre les cours mondiaux du brut et les tarifs à la pompe. Quand il ne fait pas assurer la charge par ses compagnies pétrolières, comme en Chine. C'est le seul moyen de rendre gazole, essence et fioul accessibles à des populations très démunies.

Las, à chaque flambée du brut, ce mécanisme entraîne de lourdes charges budgétaires, un déséquilibre accru de la balance des paiements, parfois une hausse de l'inflation et une baisse de la monnaie, comme en Indonésie. Lors de la dernière réunion des institutions de Bretton Woods à Washington, fin septembre, le gouverneur de la Banque d'Algérie a invité le Fonds monétaire international (FMI) a "se tenir prêt à soutenir les balances de paiement des pays en développement importateurs de pétrole" .

BAISSE DES AIDES DE L'ETAT

S'ils n'augmentent pas leur déficit budgétaire, les pays puisent dans les budgets consacrés à la santé ou à l'éducation pour payer la facture pétrolière. Mais ils sont de plus en plus nombreux à recourir, ces derniers mois, au même remède, poussés par le FMI et les pays du G8: la baisse des aides de l'Etat, qui entraîne une hausse des prix à la pompe et des tarifs des transports. Certains y recourent pour limiter une consommation effrénée de pétrole, à l'image de l'Iran, qui dépense 11 milliards de dollars par an en subventions à l'essence.

Pourtant productrice d'or noir, l'Indonésie a annoncé, le 30 septembre, des augmentations allant de 87,5% pour l'essence à 186% pour le combustible de cuisine. Autre puissance pétrolière, le Nigeria a fait de même. Comme le Sénégal, les Comores, le Burkina Faso, le Niger, le Yémen, la Jordanie, la Malaisie ou plusieurs pays d'Amérique centrale. Au Nicaragua, ce sont les transporteurs qui ont suspendu leur activité jusqu'à ce que l'Etat accepte de débloquer une subvention exceptionnelle évitant la hausse des tarifs. Les grèves se multiplient ces dernières semaines, et la colère monte, débouchant parfois sur des explosions de violence.

Au total, le poids de la facture énergétique peut dépasser 5% du produit intérieur brut (PIB) ­ niveau de la France en 1981 ­, comme en Asie, alors qu'il oscille autour de 2% dans les pays de l'OCDE (1,75% pour la France en 2004). Ces surcoûts sont aussi dus à une efficacité énergétique médiocre, mesurée par la quantité d'énergie primaire nécessaire à la production d'un point de PIB: il en faut 42% de plus au Brésil qu'à un pays de l'OCDE, 132% de plus à la Chine et 188% de plus à l'Inde, a calculé l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

D'autres raisons structurelles expliquent la surexposition des pays en développement à la flambée des cours. Certains sont en phase d'industrialisation, et donc très énergivores, alors même que l'absence de sources d'énergie alternatives (hydraulique, nucléaire...) accroît leur dépendance au pétrole. Enfin, ils ont peu de moyens pour faire des économies d'énergie.

Une meilleure intégration régionale permettrait aux pays pauvres ou émergents de mieux gérer ces chocs. L'Union économique et monétaire ouest-africaine, qui regroupe huit pays, plaide pour une "politique énergétique communautaire" (réseaux de pipelines, dépôts...). En Amérique centrale et dans les Caraïbes, de plus en plus d'Etats acceptent les facilités de paiement des hydrocarbures accordées par le président vénézuélien, Hugo Chavez, dans le cadre du projet Petrocaribe lancé en juin, en échange d'accords politiques destinés à réduire l'influence des Etats-Unis dans cette zone.

Jean-Michel Bezat
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Entreprises
Un secteur qui se sent mal-aimé et soumis à des contraintes renforcées

 L es industriels de la chimie européenne partagent le même cauchemar: Reach. Ce sigle anglais (Registration, Evaluation, Authorization of Chemicals) désigne un processus initié, en 2003, par la Commission européenne, et dont la finalité est d'aboutir à une sorte d'autorisation de mise sur le marché pour les molécules chimiques anciennes et à venir. Reach, qui doit entrer en application en 2006, consiste à mettre en place un registre pour évaluer la toxicité environnementale et sanitaire des substances chimiques dont la production est supérieure à 1 tonne dans l'Union européenne (UE).

Sur 100 000 molécules chimiques en circulation dans l'UE, seules les plus récentes (5 000 environ) ont fait l'objet d'études. Reach a donc pour but premier de recenser et évaluer, d'ici 2012, les 30 000 plus importantes molécules en circulation.

Dans les trois premières années, toutes les molécules dont le volume commercialisé dépasse 1 000 tonnes devront figurer en priorité au catalogue.

Reach est la conséquence de l'échec de différentes tentatives d'évaluation menées au niveau national. A partir d'un Livre blanc paru en 2001 (Stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques ), la Commission européenne a lancé un processus d'effacement des législations nationales et européennes (près de 40 directives disparaîtront). La gigantesque base de données que Reach vise à constituer sera gérée par une Agence européenne des produits chimiques, basée à Helsinki, en Finlande.

POLÉMIQUE SUR LES COÛTS

Comme on pouvait s'y attendre, les industriels de la chimie ont d'abord tenté de tuer Reach dans l'oeuf. Puis, comprenant qu'ils n'y arriveraient pas, ils ont trouvé plus habile d'accompagner le processus... pour mieux tenter de l'amender chaque fois que l'occasion leur en était donnée.

La critique principale émise par les organisations professionnelles de la chimie est d'ordre économique. Toutes regrettent que l'Europe seule se préoccupe de la toxicité des produits alors qu'en Chine ou en Inde, de puissants compétiteurs ont émergé qui se déploient sur les principaux marchés sans avoir à assumer le coût de telles dispositions légales.

Le second volet de leur argumentation est la conséquence du premier: les coûts supplémentaires induits par Reach vont réduire la compétitivité de l'industrie chimique européenne pour les décennies à venir. Les 28 milliards d'euros que les industriels prévoient de débourser, si l'on en croit l'étude du cabinet Mercer commandée par l'Union des industries chimiques, entraîneraient une perte de compétitivité qui "obligerait" les industriels à supprimer 360 000 emplois et à délocaliser massivement. Côté Commission, on minimise ces chiffres: le coût final serait de 2,5 milliards à 5,2 milliards d'euros. Soit une charge absorbable sur la durée par les multinationales européennes.

Au-delà de cette polémique sur les coûts, les industriels de la chimie ont mobilisé leurs experts pour tenter d'alléger le dispositif. Ils ont ainsi développé toute une série de contre-propositions qui vont de la définition même de Reach jusqu'au fonctionnement de la future Agence européenne des produits chimiques en passant par le champ d'application de la future réglementation, ses procédures d'enregistrement, le partage des données, les autorisations et interdictions, l'innovation et la substitution d'une molécule par une autre.

Discuter en profondeur chacune de ces contre-propositions ferait courir le risque d'étirer interminablement le processus de décision. Mais un rejet en bloc aurait un autre inconvénient: aggraver le sentiment des chimistes européens d'être de plus en plus mal-aimés en Europe. Avec le risque, réel cette fois, de voir les nouveaux investissements bénéficier uniquement aux pays dont les réglementations sont plus souples.

Yves Mamou
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
La Bosnie-Herzégovine après dix ans de Dayton

 N ous nous sommes revus lors du dixième anniversaire du génocide de Srebrenica. Par-delà la douleur et le souvenir de ces crimes honteux, nous nous sommes associés aux débats organisés à Sarajevo autour de cette date terrible du 11 juillet. Nous étions également à Srebrenica pour écouter les mea culpa des représentants de la communauté internationale: le président de la Banque mondiale, le représentant du secrétaire général de l'ONU (Annan manquant une fois de plus l'occasion de se racheter auprès des Bosniaques), le ministre britannique Jack Straw (qui oublia de dire qu'il parlait au nom des Vingt-Cinq), Javier Solana (qui s'est exprimé par le biais d'articles de la presse britannique).

Tous ont demandé pardon. Mais ces mea culpa n'ont rien apporté de substantiel au "plus jamais ça" répété à chaque fois que cela arrive à nouveau. Autour de nous, les familles des 8 400 personnes assassinées qui supportèrent, avec une patience infinie, ces discours de culpabilité convenus. Face à nous, les derniers 610 cadavres identifiés qui avaient été extraits des fosses communes.

Nos réflexions nous ont amenés à certaines conclusions que nous tenterons d'exposer. La diversité de nos origines (selon les termes de "Dayton", Haris est musulman, Dany est juif et José Maria est chrétien) et de nos parcours ne nous a pas empêchés de converger sur l'essentiel des conclusions.

Nous avons appuyé sans réserve le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Au fil du temps, ce tribunal a transformé une grande partie des crimes commis en faits prouvés, il en a déterminé la nature et la portée (crimes de guerre et contre l'humanité, génocide...) et continue à déterminer le champ de leur application. Nous reconnaissons également l'importance des accords de Dayton [signés le 14 décembre 1995 et mettant fin à la guerre en Bosnie] à un moment où le processus de destruction yougoslave remplissait la Bosnie-Herzégovine de fosses communes et couvrait de honte une communauté internationale lâche, activement ou passivement complice, comme le laissèrent transparaître, de manière maladroite et incomplète, les discours de la commémoration. Il fallait donc en finir avec la mort systématique pour seul horizon et la souffrance comme factum .

Pour toutes ces raisons et au nom du "plus jamais ça" qui nous anime, il nous apparaît indispensable d'évaluer, dix ans plus tard, le contenu d'accords imposés (certes bienvenus à l'époque) qui correspondent plus à un texte de cessez-le-feu qu'à un accord constitutionnel garantissant un futur viable à une Bosnie-Herzégovine enfin démocratique et homologable aux standards requis non seulement pour être candidate à l'Union européenne mais également membre digne du Conseil de l'Europe.

La partition ethnique régissant le partage du pays en entités, qui sous-tend ces accords, constitue en fait la meilleure garantie pour la domination des partis nationalistes. Dix ans plus tard, certains sont surpris par la difficulté de faire émerger des formations s'affirmant selon les valeurs de la démocratie et de la citoyenneté et non en fonction des idéologies ethniques et religieuses. Les co-premiers ministres, les présidences tournantes (entre musulmans, orthodoxes et catholiques...) ne font que renforcer les pires options pour le futur d'un pays qui aspire, ou, pour le moins, devrait aspirer à rejoindre l'Europe citoyenne. De plus, il s'agit d'un sabotage permanent pour les partis représentant une alternative à la logique qui a conduit à la guerre. Assez curieusement, une même question a fini par émerger tant chez nous que chez les interlocuteurs que nous avons rencontrés: "Pourquoi pas un président judéo-bosniaque ?" La Bosnie-Herzégovine est le seul pays en Europe qui l'interdise en vertu d'accords souscrits avec la bénédiction, l'appui et l'impulsion de la communauté internationale. Même un renégat agnostique n'appartenant à aucune des trois ethnies et religions reconnues dans Dayton ne pourrait donc accéder à cette fonction.

Autre piège terrible dont les répercussions sont évidentes en termes de corruption: le critère appliqué lors du processus de privatisation promu par les organismes internationaux. Ce critère n'est autre que l'équilibre ethnique. Non, ce n'est pas une blague ! On ne s'attache ni à l'efficacité, ni aux aptitudes, ni à l'infrastructure, ni même à l'honnêteté, mais à la pondération entre entités ethniques. Et quels sont les représentants de ces entités ? Les partis fondés sur les ethnies.

A l'heure actuelle, nous pouvons donc dire que Dayton a été le meilleur accord possible contre les génocides (peut-être pas pour leurs victimes). Néanmoins, ces accords comportent des mécanismes qui autorisent leurs actuels bénéficiaires (pour des raisons de pourcentages au niveau de la représentation) à bloquer l'application des clauses permettant de les modifier.

Qui, dans la République serbe de Bosnie, prendrait l'initiative de changer un texte lui permettant d'exercer le monopole du contrôle sur 49% du territoire ? Dayton inclut des mécanismes de sabotage permanent: les Serbo-Bosniaques peuvent donc empêcher tout changement de la lettre de Dayton sans se sentir obligés de respecter ces accords, que ce soit selon la lettre ou selon l'esprit (c'est le cas pour le retour des réfugiés des autres groupes). En fin de compte, cet enchevêtrement pervers de textes et d'esprit des textes rend le Parlement et les institutions étatiques parfaitement inutiles.

Alors que nous ne cessons de répéter que le terrorisme islamiste ne changera pas notre modèle citoyen, démocratique, laïque..., nous continuons à défendre, pour la Bosnie, un modèle basé sur les concessions au génocide (tel que le définit le TPI, organisme des Nations unies) et aux génocidaires. Bel exemple !

Dayton contient des dizaines de mécanismes pour que rien ne change, mais aussi quelques-uns pour évoluer. Ce sont précisément ceux-là que nous devons exploiter avec un appui sans faille des démocraties. Nous, c'est-à-dire avant tout les citoyens de cette Europe unie et confuse qui ne sait pas très bien où elle va, bien que certains d'entre nous sachent parfaitement jusqu'où elle ne doit pas aller. Et surtout pas vers des options ethniques ou religieuses au détriment des libertés citoyennes.

Nous pouvons et nous devons concevoir une vision d'ensemble pour le futur de la région, sans pour autant tout confondre. La Bosnie n'est pas le Kosovo. Et certains arguments "subtils" du type "la Bosnie en échange du Kosovo" ou "le Kosovo en échange de la Bosnie" nous donnent la chair de poule. Et nous espérons être plusieurs millions à partager cette réaction. La communauté internationale, et l'UE en particulier, ne doit pas conforter une séparation ethnique et religieuse complètement folle qui rend extrêmement difficile l'expression de forces modernes, européennes, démocratiques. Aujourd'hui, ces forces sont pénalisées par des accords qui furent bienvenus à un moment donné, mais qui, dix ans plus tard, représentent surtout la garantie que rien ne changera.

Il est temps de remettre en cause leurs fondements afin d'arriver à une Bosnie-Herzégovine adaptée au modèle que nous prétendons défendre en Europe. A moins de croire que jamais ses tribus n'accéderont au statut de citoyens européens. Si tel est le cas, tant pis pour nous, nous ne ferons qu'alimenter l'argumentaire des fanatismes.

Si, au contraire, nous pensons qu'il n'existe ni facteur génétique ni déterminisme divin, nous devons agir afin d'éviter que ne se consolident les déterminismes ethniques et nous orienter vers une Bosnie-Herzégovine démocratique qui démontrerait aux autres territoires de l'ex-Yougoslavie qu'ils peuvent et doivent accéder à une citoyenneté européenne de plein droit, et devenir des membres de cette Europe qu'avec tant d'efforts et de soubresauts nous nous engageons à construire.


Daniel Cohn-Bendit est président du groupe des Verts au Parlement européen.
José Maria Mendiluce a été coordinateur pour la mission humanitaire de l'ONU en ex-Yougoslavie ainsi que député européen socialiste.
Haris Silajdzic fut premier ministre et ministre des affaires étrangères de la Bosnie-Herzégovine.

par Daniel Cohn-Bendit, José Maria Mendiluce, Haris Silajdzic
Article paru dans l'édition du 11.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Jeux de rôles

La privatisation de la Société nationale Corse-Méditerranée (SNCM) est de loin la plus brûlante. Le conflit entre le gouvernement et les syndicats ­ CGT d'un côté, avec des marins sur une ligne oppositionnelle à Bernard Thibault, Syndicat des travailleurs corses (STC) de l'autre, radical et nationaliste ­ est dans l'impasse depuis trois semaines. La grève sur le port autonome de Marseille a été suspendue, mais les tensions restent lourdes. Le conflit a basculé plusieurs fois dans la violence, attisé par des nationalistes qui tentent de s'en saisir pour retrouver quelque crédit.

Inutile d'alourdir encore des coûts, sociaux, économiques et politiques, déjà très élevés. Il est temps de trouver une issue. M. de Villepin a envoyé lundi 10 octobre à Marseille, avec Thierry Breton et Dominique Perben, ses messagers de la dernière chance. Ils devaient essayer d'arracher un accord avec des syndicats qui veulent à tout prix éviter le dépôt de bilan de la SNCM.

M. de Villepin et M. Thibault sont dans un jeu de rôles ayant un intérêt commun à trouver une sortie honorable à la SNCM. Le premier ne veut pas écorner son image sociale toute fraîche. Le second joue son autorité ­ voire sa place, à six mois du congrès de la CGT, en avril 2006 ­ et s'emploie à résister à ses "durs", qui réclament une "généralisation" du conflit. Les contacts du week-end ont amené la CGT à faire une concession importante. M. Thibault et les marins cégétistes n'exigent plus que le capital de la SNCM soit détenu à 51% par l'Etat. Ils évoquent le "maintien dans le giron du service public" et la pérennité des missions de celui-ci. M. de Villepin a répondu dans le même esprit d'ouverture.

Cette recherche de "deal" avec la CGT pourrait s'étendre à d'autres privatisations en cours. Pour le réseau autoroutier, où l'affaire a été aussi très mal engagée, le premier ministre va surtout devoir composer avec sa majorité, braquée par sa méthode. Il en va autrement à EDF. Quand l'ouverture de capital avait été engagée, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, avait cherché à négocier un passage en douceur avec la CGT.

M. de Villepin est confronté à la même nécessité aujourd'hui. Alors qu'une assemblée générale est prévue le 11 octobre, la décision d'introduire EDF en Bourse n'est pas définitivement prise. Le 6 octobre, sur France 2, le premier ministre n'a pas caché son hésitation, y mettant même des conditions. M. de Villepin va-t-il reculer sur cette "privatisation" emblématique ? La question est de savoir si sa majorité acceptera qu'il ait l'air de perdre la face devant la CGT.

Article paru dans l'édition du 11.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

henrikardo ♦ 11.10.05 | 13h52 ♦ De toute façon, aujourd'hui ce sont les "marins"de la SNCM, demain ce seront les cheminots de la SNCF après-demain les aviateurs de AIR FRANCE, ensuite les profs de L'EN, puis viendront les postiers des ex PTT, EDF ne devrait pas être en reste, en attendant que le RATP ne prenne le relais... bref l'ensemble du pays réel,exposé,créateur de richesse, de commerce extérieur et d'emplois...confronté aux dures réalités des lendemains incertains, du chomage qui guette et des retraites non garanties...
Y.G ♦ 11.10.05 | 12h26 ♦ Au vu de ca qui se passe à Marseille ,peut-être aura t-on un jour le courage de montrer que la CGT est un syndicat destructeur d'emplois, le mur de Berlin sépare- t'il encore certains hémisphères cérébraux ?
MICHEL F. ♦ 11.10.05 | 11h53 ♦ Lorsqu'une société publique est confrontée à la concurrence, on s'aperçoit de suite du gâchis économique de la gestion de celle-ci et des surcoûts qui sont à la charge des citoyens par les impôts...Si l'on regarde du côté de l'administration, où il n'y a pas de concurrence, ça doit être le même gâchis et donc un " scandale "... Le Monde devrait davantage explorer ces questions fondamentales pour l'avenir. Efficacité des services publics ? Peut-on encore se poser cette question en France ??
robert m. ♦ 11.10.05 | 11h31 ♦ Comme le syndicat CGT surpuissant des messageries parisiennes, le syndicat surpuissant des SNCM, depuis des decennies, fait de la surenchere et, au final, plombe sa propre entreprise avec le resultat que l'on sait. La defense des travailleurs est une chose, l'irresponsabilite demagogique en est une autre
Jean-Michel D. ♦ 11.10.05 | 11h29 ♦ certes les pouvoirs publics sont coupables d'avoir laissé s'édifier une forteresse CGT-Corsico-maffieuse, mais il faut maintenant en finir. Ne nous apitoyons pas sur les "terribles horaires de travail" des marins SNCM: ce sont ceux de tous les marins du monde et crevons cet abcès que la continuité territoriale ne justifie en rien.
henrikardo ♦ 11.10.05 | 10h34 ♦ Quand l'Etat a depuis des décennies pris l'habitude d'exercer sa mission de puissance publique en se réglant sur le degré de nuisance infligé par ceux qui sont censés le servir, personne ne peut s'étonner qu'une fois de plus, quelques énergumènes d'une autre époque puissent mettre en danger la marche normale de la société.
azebolu ♦ 11.10.05 | 09h55 ♦ D'un côté la SNCM, 2500 employés-fonctionnaires, de l'autre SARDINIA, 1500 employés du secteur privé, tout cela pour le même tonnage, les mêmes liaisons, les pratiquement mêmes navires, en tout cas les mêmes prestations. D'un côté la SNCM déficitaire, de l'autre la SARDINIA qui dégage des bénéfices. Il est évident que la CGT défend encore une fois une bande de fainéants irresponsables et saccageurs. La grève dure, le déficit se creuse. C'est la honte !!!
karine b. ♦ 11.10.05 | 00h42 ♦ Je m'effare encore que l'on puisse opposer ainsi "lois des marchés" et Service Public dans un conflit qui montre, comme pour le référendum du 29 mai dernier, l'attachenment collectif au bien public, qu'il soit de déplacement, de fourniture en énergie ou de santé... Il n'y a pas à opposer ainsi, sauf à le faire de manière rhétorique, le bien public et la propriété privée, car ce qui m'appartient (privé) n'est jamais qu'une parcelle d'un bien public que je m'octroie...
LibertéEquitéSolidarité ♦ 10.10.05 | 22h48 ♦ Quel est le rôle exact de l'extrème-gauche dans le conflit corsico-marseillais qui dépasse de loin le pire des scénarii ? Veut-elle faire perdre la face à la CGT et à son secrétaire général, prêt à négocier pour sauver l'entreprise ? Villepin cherche-t-il à "aider" ce syndicat menacé sur sa gauche par l'infantilisme gauchiste ? Comme si la société française avait bien besoin de syndicats, non seulement faibles et divisés mais de plus en plus déconsidérés ! Une menace pour notre démocratie ?
MARCEL G. ♦ 10.10.05 | 21h21 ♦ La SNCM c'est l'arbre qui cache la forêt. Le vrai problème c'est la réforme de l'Etat qui attend depuis longtemps et qui attendra encore 19 mois,au moins!!!!.De toute façon que peut-on espérer de gens qui sortent de la même école de fonctionnaires et, en plus, de la même promotion comme hollande et de Villepin?
Repman ♦ 10.10.05 | 18h41 ♦ Ces palinodies sur la SNCM jettent une lumière crue sur l'incapacité de nos gouvernants à prendre des décisions courageuses pendant qu'il est encore temps, avant que la situation ne devienne explosive. Quand on voit la façon dont ce dossier, somme toute mineur, a été géré, on a froid dans le dos quand on pense aux sujets autrement plus complexes que sont le déficit de la Sécurité sociale ou les 1100 milliards d'euros de la dette publique qu'on « traîne » depuis des années.
monrog ♦ 10.10.05 | 18h26 ♦ Le Premier ministre affiche sa détesation de la rupture, qui fait selon lui couler le sang. Mais à vouloir être libéral et social à la fois on court le risque de l'immobilisme. Trop d'action trend impopulaire mais trop d'inaction tue politiquement. Choix difficile.
vorslov ♦ 10.10.05 | 17h03 ♦ A lolo, vous avez tout faux,votre propos est à l'envers. Butler sort de l'ENA et est un ancien des cabinets gouvernementaux. On ne voit vraiment pas des US s'interresser à la SNCM qui est typique de l'exception économique française;de même que la Corse est typiquement de tradition culturelle française!et la conclusion c'est ne pas privatiser pour sauvegarder les intérêts privés(=des salariés)
vorslov ♦ 10.10.05 | 17h03 ♦ A lolo, vous avez tout faux,votre propos est à l'envers. Butler sort de l'ENA et est un ancien des cabinets gouvernementaux. On ne voit vraiment pas des US s'interresser à la SNCM qui est typique de l'exception économique française;de même que la Corse est typiquement de tradition culturelle française!et la conclusion c'est ne pas privatiser pour sauvegarder les intérêts privés(=des salariés)
Flying-Lolo ♦ 10.10.05 | 15h51 ♦ L'axiome du libéralisme à l'oeuvre: privatiser est forcément gage de meilleure gestion, de meilleur efficacité, etc... Idéologie et malhonnêteté intellectuelle, quand tu nous tiens...Que l'on demande aux dirigeants de la SNCM ce qu'ils ont fait - ou pas fait !! - pendant des années pour mettre cette société en difficulté alors que des fonds de pensions américains s'y intéressent encore... ?!Et si cette mise en déroute n'avait qu'un but: privatiser au service d'intérêts particuliers...!!!
cohelet ♦ 10.10.05 | 15h39 ♦ En conclusion: la question serait aussi de savoir si le Premier Ministre perdrait la face s'il emportait l'adhésion de la CGT sur une légère ouverture du capital d'EDF (sauf la production nucléaire)tout en restant ferme et sans concessoins sur la SNCM avec une CGT qui accepte les 25%Etat et 9% salariés pour la privatisation de la SNCM.
jacklittle ♦ 10.10.05 | 14h51 ♦ L'Edito du Monde nous dit privatisation,alors qu'il n'y en a aucune:SNCM,c'est passer la "patate chaude"dans d'autres mains,autoroutes c'est confier la concession des autoroutes au secteur privé,pour se faire de l'argent frais,EDF c'est peut-être une légère ouverture de capital,vous pourrez parler de privatisation quand le ou les gouvernements auront cédé plus de 51% du capital d'EDF,en ce qui concerne le parc nucléaire,il pourra être cédé à une Sté idoine créée pour que l'Etat contrôle le parc


Le Monde / Opinions
analyse
L'insuffisance et les limites de la mondialisation, par André Fontaine

 L e mot de mondialisation, qui suscite aujourd'hui l'indignation de tant de bons et de moins bons esprits, date de 1949, mais il a changé de sens. Il était né de la campagne du "citoyen du monde" Garry Davis, qui avait renoncé à son passeport américain en faveur d'un gouvernement mondial. Les habitants de la planète étaient invités à s'inscrire sur un registre et les communautés territoriales à se mondialiser.

Appuyée par Albert Einstein, Albert Camus, David Rousset, Vercors, André Breton, la campagne avait eu un assez large succès, diverses villes du Midi et l'île de Sein s'étant jointes au mouvement, et le département du Lot était en train de célébrer sa mondialisation, le 25 juin 1950, lorsque les Coréens du Nord envahirent leur soeur du Sud, portant un coup fatal aux illusions "mondialistes". Mais l'idée qu'exprime aujourd'hui le mot de mondialisation, en anglais globalization , est bien antérieure.

Sans remonter jusqu'à Alexandre le Grand, qui ambitionnait de soumettre à son sceptre, au IVe siècle avant J.-C., la totalité de l'écoumène, autrement dit l'ensemble des terres habitées, et réussit à étendre son empire de la Macédoine aux rives de l'Indus, comment ne pas rappeler que les Habsbourgs s'étaient donné pour devise "A E I O U": "Austriae est imperare orbi universo" ("Il appartient à l'Autriche de commander l'univers") et que, à l'époque de Charles Quint, elle ne fut pas loin d'y parvenir ?

C'est à bon droit que Serge Gruzinski donne à la première partie de son superbe ouvrage Les Quatre Parties du monde (éd. La Martinière), dans laquelle il retrace l'impact de la conquête de l'Amérique, le titre de "Mondialisation ibérique".

Marx et Engels ne l'avaient pas attendu pour écrire dans le Manifeste du parti communiste , en 1848: "La grande industrie a fait naître le marché mondial, que la découverte de l'Amérique avait préparé. Le marché mondial a donné une impulsion énorme au commerce, à la navigation, aux voies de communication..." Il y en a plusieurs pages sur ce ton, où se trouve tout à la fois exalté et dénoncé le rôle de la bourgeoisie, aussi néfaste à leurs yeux qu'indispensable à l'accomplissement de leur prophétie.

Déjà, dans L'Idéologie allemande , rédigée trois ans plus tôt, grand-père Karl avait écrit: "Le prolétariat ne peut exister qu'en tant que réalité "historique et mondiale", de même que le communisme, action du prolétariat, n'est concevable qu'en tant que réalité "historique et mondiale" (...) Cela veut dire que ces individus (les acteurs de ces transformations) mènent une existence qui se rattache directement à l'Histoire universelle."

La deuxième partie du XIXe siècle et le début du XXe, âge d'or de l'expansion coloniale et de l'impérialisme, "stade suprême, selon Lénine, du capitalisme", ont largement confirmé cette approche, et 1914 voit le déclenchement de la première des guerres "mondiales". Trois ans plus tard, les deux futures superpuissances poseront quasi simultanément leur candidature à l'hégémonie également "mondiale", Lénine ne doutant pas que la révolution ferait rapidement tache d'huile en Europe et en Asie et le président Wilson s'imaginant rendre, avec la Société des nations et sa charte inspirée de la Constitution des Etats-Unis, le monde "sûr pour la démocratie" . Très vite cependant il est désavoué par le Congrès, tandis que l'Union soviétique, épuisée par la guerrre civile, porte à sa tête, en la personne du redoutable Staline, l'avocat du "socialisme dans un seul pays".

La crise de 1929, "mondiale" s'il en fut, ruine les calculs des Briand, des Stresemann et autres disciples de Kant qui croyaient à la paix perpétuelle, et l'Europe qu'ils voulaient fédérer se hérisse de canons, en attendant qu'Hitler la plonge dans une guerre que Pearl Harbor, deux ans plus tard, achèvera de rendre encore plus "mondiale" que la précédente.

De Gaulle, en apprenant la nouvelle, confie au chef de ses services secrets, le colonel Passy, sa crainte que la prochaine étape, une fois acquise une victoire alliée qui pour lui ne fait désormais plus de doute, ne soit une grande guerre entre l'Amérique et la Russie. Cette guerre a bien eu lieu et, même si tout le monde l'appelle "froide", elle a fait beaucoup plus de victimes que celle de 1914-1918: de la Corée à l'Indochine, de l'Ethiopie à l'Afghanistan elle a été encore plus "mondiale" que celle de 1939-1945. Mais l'existence des armes nucléaires a retenu les deux champions d'en venir directement aux mains et, en dépit de phases de tension extrême, la "coexistence" a pris petit à petit la place de l'affrontement.

Dès 1968, le sociologue canadien Marshall McLuhan n'hésite pas à parler de "Global Village", de village planétaire. L'expression reflète bien la prodigieuse transformation des rapports internationaux qu'a introduite la véritable révolution numérique intervenue dans des domaines aussi variés que la progression démographique, passée en quelques années de 1,1% à 1,6%, la durée de la vie, la production tant industrielle qu'agricole, ou la puissance de destruction: les deux bombes utilisées à Hiroshima et à Nagasaki représentaient l'équivalent des deux tiers des bombes jetées sur l'Allemagne pendant toute la guerre, et la première bombe thermonucléaire, celle d'Eniwetok, en 1952, l'équivalent de deux cents Hiroshima.

VILLAGE PLANÉTAIRE

Même constatation à propos des moyens de communication, des avions et des fusées qui effacent les distances, du téléphone et de l'Internet et, plus encore peut-être, de l'audiovisuel, qui permet à des centaines de millions d'humains de vivre ensemble les mêmes événements sportifs, politiques ou culturels. L'espèce humaine a vu bouleverser ses horizons familiers, dévaluant prodigieusement la notion de frontières, et le boxeur soviétique, épuisé, a fini par jeter l'éponge.

L'URSS avait encore deux petites années à vivre quand Francis Fukuyama, alors chef-adjoint du bureau de planification du département d'Etat, a constaté dans son célèbre article sur "La fin de l'Histoire" la totale "exhaustion des alternatives systématiques viables au libéralisme occidental ". Le fait est qu'elle a abandonné son énorme glacis, et renoncé au communisme, avant de purement et simplement se décomposer.

Tous les pays qui ont alors recouvré leur indépendance ayant opté pour l'économie de marché, la Chine et le Vietnam lui faisant une large place tout en maintenant la dictature du Parti communiste, la mondialisation apparaît moins comme une doctrine ou une politique que comme un fait, ou au moins un processus, difficilement réversible.

Mais mondialisation ne veut pas dire unification, et le fait de vivre dans le même village, planétaire ou pas, ne suffit pas à garantir la bonne entente de ses habitants. Il y faudrait un maire énergique et compétent. Que George W. se soit cru un moment qualifié pour exercer ce rôle ne fait guère de doute, et il est allé jusqu'à prononcer un discours dans lequel il conseillait à ses alliés de le laisser s'occuper de leur défense, mais la chute de prestige que lui vaut, après la grande désillusion irakienne, la lenteur de sa réaction à la catastrophe de Louisiane diminue singulièrement, c'est le moins qu'on puisse dire, son autorité.

Si donc la mondialisation demeure le décor des échanges économiques, il n'y a pas de "gouvernance" mondiale digne de ce nom. Le non français et hollandais au traité constitutionnel, l'incapacité des membres de l'UE à agir en commun sur la plupart des défis de l'actualité, et notamment sur ceux qui viennent de la Chine, la parfaite vanité du débat sur la réforme des Nations unies, le réalisme tous azimuts du cher Poutine, la nostalgie du communisme qui se fait jour en Europe de l'Est, la misère de trop de pays d'Afrique, la persistance du terrorisme, les ambitions nucléaires de la Corée du Nord et de l'Iran, pour ne pas parler du nouveau choc pétrolier et de l'effet de serre, on n'en finirait pas d'énumérer les domaines où, faute d'institutions efficaces, le monde souffre, à bien y réfléchir, d'une insuffisance plutôt que d'un excès de mondialisation.

André Fontaine
Article paru dans l'édition du 11.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

AGNES L. ♦ 11.10.05 | 13h33 ♦ Bien sur qu'il manque une gouvernance mondiale qui mettrait un frein aux excès des capitaux flottants..,mais le risque de déléguer à des echelons toujours plus hauts et supérieurs n'est il pas aussi du recul de la démocratie? Un complément indispensable ne serait il pas le développement de la démocratie participative à l'echelon locale ,ce qui suppose un engagement et une responsabilisation de chacun de nous envers son propre contexte: participationsyndicale,politique,sociale?
esteban53 ♦ 11.10.05 | 11h45 ♦ Avec sa clarté habituelle, André Fontaine montre quelles sont les ambiguïtés de l'élargissement de l'UE. Si nous cherchons des affinités historiques, nous retournons inévitablemnt à l'Europe des rois catholiques espagnols et de Charles-Quint, à la découverte et à la colonisation par NOUS des Amériques. Un jour ou l'autre, face aux puissaces asiatiques, ne serons-nous pas obligés de serrer les rangs entre Européo-américains? Nous allons vers la constitution d'un grand empire...
JEAN CHRISTOPHE C. ♦ 11.10.05 | 10h56 ♦ Oui, bon rappel historique qui evite toutefois de souligner que la mondialisation que nous vivons a seulement une dimension mercantile; 2 milliards d'individus sont dans une detresse totale et 2 milliards de plus survivent dans ce merveilleux systeme probablement incontournable pour quelques decennies; lorsque l'on parle de mondialisation pourrait-on SVP eviter de raisonner en regardant notre nombril de priviligies.. sortez du microcosme par pitie!!
DOMINIQUE36330 ♦ 11.10.05 | 07h01 ♦ Cher monsieur Fontaine, ce rappel historique est fort intéressant et intructif. Il nous rappelle bien que la mondialisation est volontairement limitée aux échanges commerciaux en absence de toute éthique. L'époque du "citoyen de monde" est bien lointaine et la mondialisation que nous subissons, n'a rien à voir avec celle souhaitée par Garry Davis et bien d'autres.
Xavier R. ♦ 10.10.05 | 23h18 ♦ Aux limites de la mondialisation je propose d'ajouter le scandale du SIDA. Les médicaments existent et des dizaines de millions d'Africains sont condamnés à mort à court terme. La trithérapie est trop chère pour eux. C'est pour lutter contre ce fléau qu'il manque un gouvernement mondial. Est-ce inimaginable, délirant, utopique de mettre en place une structure internationale pour produire les médicaments vitaux en dehors des lois du marché? Peut-on poursuivre le marché pour génocide passif?
LibertéEquitéSolidarité ♦ 10.10.05 | 22h55 ♦ L'article "Dire oui à la Turquie, au Mahgreb et aux autres," par Eric le Boucher constitue un début de réponse aux questions que se pose A Fontaine !
Jacques E. ♦ 10.10.05 | 22h33 ♦ Mondialisation ? Oui une mondialisation des marchands au profis des seuls nantis dont nous, français faisons bien sur parti. Le terme de domination est presque presque plus adapté, la mondialisation n'étant qu'un moyen au service de l'argent. Alors un gouvernement mondial? vous n'y pensez pas et si les pays deshérités s'en servait pour déféndre leur avenir leur culture et leur vie. Nous savons ce qui a été fait avec les Amérindiens... Le génocide peut s'appliquer à d'autres peuple... hélà
LibertéEquitéSolidarité ♦ 10.10.05 | 22h23 ♦ dans "La mondialisation et ses ennemis, Daniel Cohen nous montre que la mondialisation trouve ses limites dans les déceptions qu'elle engendre; elle ne peut en effet satisfaire toutes les attentes qu'elle avait suscitées. Pour le moment encore, chaque état-national tente de sauvegarder son "modèle social" menacé par la globalisation. C'est aussi une explication de la difficulté à mettre en place une gouvernance mondiale. Comment réagiront les populations riches au moment des sacrifices à venir?
CLAUDE B. ♦ 10.10.05 | 21h19 ♦ Cet article ne prouve rien, si ce n'est que le pouvoir est aujourd'hui entre les mains des oligarchies financières et qu'on est revenu aux thèses d'Adam Smith qui pensait sérieusement que la somme de tous les égoïsmes individuels npouvait faire bavancer le genre humain ! Une autorité mondiale aurair du mal à se libérer de ce carcan de la finance qui ne pourra éclater que lorsque le monde commencera à régresser dans tous les domaines et la seule mondialisation qui se réalisera sera la catstrophe
ALAIN V. ♦ 10.10.05 | 19h28 ♦ Killy est bien impatient... avant le gouvernement mondial, il y a l'Europe plus proche,qui a atteint un stade de paix relative et de développement économique enviés, grâce au marché (oui!) ouvert par les politiques; voilà de quoi espérer...Mais il faut aller plus loin,en replaçant désormais au premier plan les valeurs de notre "modèle social" européen,bien vivant:dialogue, tolérance, humanisme dans les rapports sociaux, et non imitation servile des sherifs d'un Far West aujourd'hui démystifié!
Stephane - San Francisco ♦ 10.10.05 | 19h17 ♦ La notion d' "autorite morale incontestee, independante, et humaniste" est une utopie naive, franchouillarde et soixante-huitarde. Votre vision utopique est sans doute mise a mal par la realite de la nature humaine. En fait, tout le monde il est pas beau et tout le monde il y pas gentil. Desole. Si vous croyez a l'evolution naturelle, alors peut-etre croirez vous que la mondialisation economique gagne du terrain parce qu'elle marche mieux que toutes les mondialisations alternatives
killy ♦ 10.10.05 | 18h26 ♦ ca manque d'un gouvernement mondiale... ok... donc en cas de d'election universelle mondiale. Etes vous pret a ce que les opinions francaises ne pesent que 1% ? (les francais sont 1% de la population mondiale) et que l'inde, la chine, et le bresil (ou la russie) ensemble depassent les 50% ?? ou bien doit on donne plus de poid a l'ONU ou tout n'est que marchandage et ou les dictateurs peuvent voter???? rien n'est simple des que l'on touche au politique d'ou la mondialisation de l'eco en premier.
tokaido ♦ 10.10.05 | 18h01 ♦ belle analyse en effet, mais cela fait des années que l'on imagine des demains glorieux où tout le monde tirerait dans le même sens , où chacun serait fier d'être humain. Hélas !
KATHERINE T. ♦ 10.10.05 | 17h45 ♦ Brillantissime ! Hélas, trois fois hélas, la seule mondialisation que l'on nous propose est celle des marchands. Alors que les problèmes, comme le souligne très justement André Fontaine relèvent précisément de choix politiques. Pour un véritable gouvernement mondial ll faudrait "au sommet" une autorité morale incontestée, indépendante et humaniste: Bush est disqualifié d'office...
Laurent L. ♦ 10.10.05 | 17h12 ♦ Bel article effectivement... mais qui ne montre en rien que, comme le prétend AM, "la seule mondialisation qui marche est celle du business financiarisé". Il montre au contraire que la mondialisation est un phénomène bien plus ancien qu'on le dit et aux facettes multiples, même si aujourd'hui les aspects économiques sont dominants. Bel exemple d'interprétation tendancieuse, trop fréquente malheureusement...
Chris ♦ 10.10.05 | 16h38 ♦ Oui, bel article. La mondialisation est un terme "épouvantail", qui cache la réelle complexité du monde économique et politique aujourd'hui. Le débat actuel sur la mondialisation nous masque, à nous pays riches, toute l'histoire de notre impérialisme, et nous sommes soit des autruches, soit des Don Quichotte.
AM ♦ 10.10.05 | 16h15 ♦ Bel article qui montre bien que la seule mondialiation qui marche est celle du business financiarisé. Laquelle en détruit par la promotion des valeurs d'individualisme forcéné toutes les autres formes...
ALAIN V. ♦ 10.10.05 | 15h13 ♦ Oui,M.Fontaine, le monde souffre bien d'insuffisance de mondialisation, au sens politique où des hommes représentant réellement les aspirations du plus grand nombre de leurs compatriotes, non des groupes financiers, subordonneraient au développement humain les échanges économiques,culturels, etc. Bien au contraire,la concurrence et la liberté de la jungle financière sont érigés en valeur en prétendant très naïvement que le bonheur général en sortira par la vertu de quelque "main invisible"!!!


Le Monde / Europe
La gauche obtient la parité dans le gouvernement d'Angela Merkel
BERLIN, FRANCFORT de nos correspondants

 Q u'éprouve réellement Angela Merkel en cet après-midi du lundi 10 octobre, lorsqu'elle prend acte de la décision de ses adversaires sociaux-démocrates de lui confier la chancellerie allemande, après trois semaines de rudes négociations ? Toutes émotions contenues, cette fille de pasteur âgée de 51 ans sourit et glisse, devant la presse réunie à Berlin, qu'"il serait malvenu d'être grincheuse" un jour pareil. "Je me sens bien, mais il reste beaucoup de travail à faire", se contente-t-elle d'ajouter. Nul doute que la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), qui a dû faire des concessions pour en arriver là, mesure déjà l'ampleur de la tâche qui l'attend.

Les réformes réalisées par le chancelier Schröder, allié aux Verts, ont redonné du muscle aux entreprises allemandes. Mais le chômage frappe 11,5% de la population active, la croissance ne décolle pas, l'Etat est lourdement endetté et les finances publiques seront, cette année encore, beaucoup plus déficitaires que ne l'autorise la Commission européenne. Or, pour relancer l'économie, Mme Merkel devra composer avec ses rivaux sociaux-démocrates au sein du second gouvernement de grande coalition de l'histoire allemande depuis la guerre.

Le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier sortant, Gerhard Schröder, et les Unions chrétiennes (CDU/CSU) de Mme Merkel ont prévu d'engager, lundi 17 octobre, des négociations officielles en vue de former un tel cabinet. Cette décision n'a pu être prise qu'après un accord sur le détenteur de la chancellerie, la répartition des ministères entre les deux partis, ainsi que sur une série de priorités pour la future action gouvernementale.

L'accord a été long à mettre au point. Il aura fallu trois réunions "entre huit yeux" ­ Mme Merkel et M. Schröder, flanqués respectivement d'Edmund Stoiber, le président de l'Union chrétienne-sociale (CSU), et de Franz Müntefering, le président du SPD ­ pour y arriver. Le principal parti de la coalition sortante a chèrement vendu sa participation. Arrivé le 18 septembre avec un petit point de retard sur les chrétiens-démocrates, le SPD, fort d'un score inespéré deux mois plus tôt (34,2%), a même refusé d'admettre sa défaite trois semaines durant.

Le chancelier sortant a finalement admis la vérité des urnes. A 61 ans, il semble prêt, selon toute vraisemblance, à renoncer à une carrière politique nationale. En contrepartie, le SPD a obtenu des concessions importantes de la part de Mme Merkel.

L'accord rendu public attribue la moitié des ministères (seize au total) aux sociaux-démocrates, dont les portefeuilles des affaires étrangères, des finances et du travail. La CDU en obtient quatre, dont l'intérieur et la défense. Lui échoient donc la chancellerie, plus le poste de ministre à la chancellerie, promis au secrétaire général du parti, Volker Kauder. Quant à la CSU, elle reçoit deux portefeuilles, dont un grand ministère de l'économie et des technologies, taillé sur mesure pour M. Stoiber, candidat malheureux de la droite en 2002.

Les noms des autres titulaires ne seront connus que plus tard. Justifiant cet équilibre, Mme Merkel a jugé "impossible que l'un parle d'une voix plus forte que l'autre".

APPROCHE CONSENSUELLE

L'accord entérine également des concessions programmatiques de la part de la droite. Ainsi celle-ci a-t-elle promis de "discuter avec les syndicats" de la possibilité de faciliter les accords d'entreprise dérogatoires aux conventions collectives, au lieu de les imposer comme elle en avait l'intention. Elle apaise ainsi un conflit ouvert avec les organisations de salariés. Ensuite, une "simplification" de l'impôt sur le revenu, qui prévoit de limiter les niches fiscales, est annoncée, mais la CDU/CSU précise qu'elle ne tient plus à son projet, très critiqué à gauche, de taxer au passage les primes de travail de nuit, de week-end et de jours fériés.

Les autres priorités inscrites dans l'accord reflètent davantage une approche consensuelle des deux camps. L'objectif de consacrer 3% du produit intérieur brut (PIB) allemand aux dépenses de recherche et de développement d'ici 2010 est réaffirmé. Il faisait consensus entre la droite et la gauche. Parallèlement, l'accent est mis sur la formation. Par ailleurs, les deux partis ont décidé de mélanger leurs propositions sur la famille, à la fois en retenant la proposition de la CDU d'augmenter le quotient familial dans l'impôt sur le revenu, et celle du SPD d'améliorer les conditions du congé parental.

Enfin, une baisse des cotisations sociales à l'assurance-chômage de deux points est bien à l'ordre du jour, comme promis par la droite. Mais la hausse de deux points de la TVA qu'elle avait annoncée parallèlement pour financer cette mesure n'est plus mise en avant, même si Mme Merkel ne l'a pas totalement exclue.

A part le retrait de la mesure fiscale sur le travail de nuit, de week-end et de jours fériés "qu'il aurait été impossible de faire adopter au SPD", tout le reste de son programme serait encore au menu des négociations, a-t-elle insisté, le soir, dans un entretien télévisée, pour rassurer ceux qui, dans son parti, s'inquiètent d'un trop grand recul face à la gauche.

Au sein de la CDU, la ligne sociale semble cependant pousser Mme Merkel à retirer ses innovations les plus libérales ou les plus impopulaires chez les salariés. Au nom du SPD, M. Müntefering n'a pas caché sa satisfaction: "Je crois que nous nous sortons très bien de cette première séance de pourparlers."

Antoine Jacob et Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 12.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Nobel nucléaire

 O n retiendra davantage, dans l'attribution du prix Nobel de la paix à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et à son directeur Mohamed ElBaradei, vendredi 7 octobre, les efforts incessants de l'instance onusienne pour lutter contre la dissémination des armes nucléaires que sa constance à promouvoir la production d'électricité à partir de réacteurs civils.

C'est en effet toute l'ambiguïté de l'Agence de Vienne: elle met autant d'ardeur dans sa croisade contre la prolifération des armes de destruction massive, notamment en Irak, en Corée du Nord et en Iran, que pour vanter les mérites de l'atome "propre", au grand dam des antinucléaires et des écologistes. Ce qui explique le décalage entre les réactions positives des gouvernements et les critiques des ONG.

De cet exercice d'équilibre presque schizophrénique, puisqu'un réacteur civil est une source potentielle de dissémination, M. ElBaradei s'est plutôt bien sorti, en privilégiant son rôle d'apôtre du désarmement. Avec courage, en janvier 2003, il a pris le risque, le premier, de douter des certitudes affichées par l'Amérique à propos des armes de destruction massive que Saddam Hussein était censé détenir. Le diplomate égyptien a tenu bon. Cela lui a valu la rancune tenace de Washington, qui a longtemps cherché à empêcher sa réélection à la tête de l'AIEA. M. ElBaradei avait raison, comme la suite l'a montré.

Au-delà des félicitations de circonstance, il est donc peu probable que l'administration Bush soit ravie d'une distinction qui "sanctuarise" de facto la position de son récipiendaire. Qui sait d'ailleurs si l'AIEA ne va pas s'intéresser un jour au "Docteur Folamour" américain, le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, chantre des "mini-nukes" ? Ces minibombes nucléaires donnent un fâcheux exemple à tous les pays qui rêvent d'ajouter la bombe atomique à leur arsenal, et affaiblissent le concept même de la dissuasion.

A l'inverse, la récompense du Nobel est un affichage clair de la volonté de la communauté internationale de ne pas tolérer l'émergence de nouveaux pays nucléaires. En se faisant le gardien de ce consensus, défendu surtout par les cinq puissances nucléaires officielles (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France), l'AIEA se montre au minimum timorée: elle n'affiche ainsi aucune velléité de rompre le silence choquant dont bénéficient les trois pays qui possèdent la bombe en toute impunité, Israël, l'Inde et le Pakistan.

Or cette discrétion ne renforce pas l'efficacité de l'Agence, bien au contraire: les deux pays les plus "proliférants", l'Iran et la Corée du Nord, en tirent argument pour revendiquer la maîtrise de tout le cycle nucléaire. En proposant des réacteurs civils à Téhéran et Pyongyang afin de les inciter à renoncer au nucléaire militaire, l'AIEA est donc dans son rôle, fût-il singulier. Soixante ans après Hiroshima et Nagasaki, l'Agence n'en est pas à un paradoxe près, puisqu'elle reçoit un prix qui porte le nom de l'inventeur de la dynamite...

Article paru dans l'édition du 09.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Claire F. ♦ 09.10.05 | 00h33 ♦ Pour moi, ce prix Nobel est une manière publique et universelle de dire à Bush et tous ses "cronies" que sa guerre en Irak ne repose que sur des mensonges et que sa dite 'guerre contre le terrorisme' ne se gagnera jamais par la force des armes.
Le nucléaire tue l'avenir ♦ 08.10.05 | 21h57 ♦ Si l'attribution du prix Nobel de la Paix à l'AIEA est indécente, ce n'est pas seulement parce que cette agence agit pour le nucléaire dit "civil", avec ses risques et ses déchets radioactifs légués aux générations futures. C'est AUSSI parce que l'AIEA porte une grande responsabilité dans la prolifération nucléaire à des fins militaires. Rappelons que le nucléaire dit "civil" produit de l'uranium enrichi et du plutonium qui permettent l'un comme l'autre de faire des bombes atomiques...
en décalage ... ♦ 08.10.05 | 20h23 ♦ cela fait longtemps, entre 20 & 30 ans, que les "nobel de la paix" sont en totale décalage. Décalage d'abord avec les idéaux de paix, puis ceux de rigueur morale, d''impartialité ...etc... et au final avec l'opinion publique. De mémoire, ont été Nobel de la paix, par example, le stalinien Le Duc To, le terroriste Arafat. Alors, une erreur de plus, ce n'est finalement pas trop grave ....


Le Monde / Europe
Au Bundestag, l'opposition sera limitée aux "petits partis"
BERLIN de notre correspondant

 E n cas de formation d'un gouvernement allemand réunissant les Unions chrétiennes (CDU-CSU) et le Parti social-démocrate (SPD), l'opposition parlementaire sera réduite aux trois plus petites formations représentées au Bundestag. Les membres de ce trio ­ 166 sièges sur les 614 que compte le Bundestag ­ seront d'autant plus limités dans leur capacité d'action que leurs intérêts et leurs principes idéologiques divergent.

Avec 61 députés, le Parti libéral (FDP) sera la principale force d'opposition. C'est une maigre consolation pour son président, Guido Westerwelle. Le parti se retrouve une nouvelle fois écarté du pouvoir, bien qu'il ait réalisé l'un de ses meilleurs scores (9,8% des voix). La perspective d'une coalition entre la CDU-CSU et le FDP, sur laquelle les deux partis ont fait campagne, a effrayé une partie de l'électorat traditionnel conservateur et les indécis, en raison d'un programme jugé trop libéral. En revanche, des électeurs de droite tentés par les réformes libérales, ont apporté leurs suffrages au FDP au détriment de la démocratie-chrétienne.

M. Westerwelle a critiqué l'accord entre la CDU-CSU et le SPD, estimant qu'il ne saurait permettre au pays de sortir de la crise. Selon lui, Mme Merkel a d'ores et déjà fait trop de concessions. Aussi les députés FDP ne voteront pas pour son entrée à la chancellerie.

Le Parti de gauche est le trublion des élections du 18 septembre. Sa bonne prestation (8,7%) a coûté des voix au SPD, qu'il a largement critiqué durant la campagne pour sa "dérive néolibérale". Constituée dans l'Est du pays de membres du Parti du socialisme démocratique (PDS), héritier du Parti communiste est-allemand, et à l'Ouest, de déçus de la social-démocratie, cette formation devrait être la plus bruyante dans sa dénonciation de la politique gouvernementale. Le mariage de la droite et du SPD constitue une aubaine pour elle.

Parmi ses 54 députés figurent quelques excellents orateurs, dont Oskar Lafontaine, ancien ministre des finances de Gerhard Schröder et ex-président du SPD. La vieille rivalité entre ces deux hommes a, en partie, empêché toute possibilité de coalition à gauche. Une telle alliance n'est pas toutefois pas exclue par certains cadres du SPD pour les élections législatives de 2009.

Orphelins de leur chef de file Joschka Fischer, ministre des affaires étrangères sortant, qui a annoncé son retrait de la vie politique au lendemain du scrutin, les Verts devront se refaire une virginité politique après avoir gouverné pendant sept ans aux côtés du SPD. L'exercice du pouvoir ne les a pas trop usés puisque, avec 8,1% des voix, ils n'ont perdu qu'un demi-point par rapport aux précédentes élections législatives.

Mais ils ressentent le besoin d'une cure d'opposition pour retrouver le rôle de réservoir à idées que ce parti a souvent joué depuis les années 1980. Dans le même temps, les 51 députés Verts veulent se poser en "contrôleurs et aiguillons" de la future politique gouvernementale. Selon Rainer Bütikofer, le président du parti, les partenaires de la grande coalition ont "mal commencé" en se préoccupant davantage des questions de personnes que du contenu de la politique à mener.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 12.10.05


Le Monde / Europe
Gerhard Schröder laisse planer le doute sur son avenir

 O n a beaucoup glosé sur la mine déconfite d'Angela Merkel le soir des élections législatives du 18 septembre en Allemagne. Atteinte personnellement par la piètre performance des Unions chrétiennes (CDU/CSU), elle n'est toutefois plus la seule à porter les stigmates de la déception. Le rictus gouailleur de Gerhard Schröder, éclatant au lendemain du scrutin, s'est transformé au fil des jours en masque de cire creusé de rides. Le dirigeant social-démocrate a manqué le pari qu'il s'était fixé: provoquer la tenue d'élections anticipées pour mobiliser à nouveau la gauche autour de lui et obtenir une nouvelle légitimité. A 61 ans, dont sept passés à la chancellerie, l'intéressé s'apprêterait à tirer sa révérence.

Celui qui a été baptisé le "chancelier des médias" est resté muet, lundi 10 octobre, alors que le scénario contre lequel il s'est battu jusqu'au dernier moment ­ Mme Merkel à la tête du futur gouvernement ­ commençait à s'écrire en son absence. Face à ce mutisme, il faut se fier aux informations indirectes. Selon des sources émanant du Parti social-démocrate (SPD), qu'il a dirigé jusqu'en 2004, M. Schröder aurait renoncé à toute fonction dans le futur gouvernement de "grande coalition". "Cela n'entre pas dans mes projets. Ma carrière va prendre une autre direction", aurait-il déclaré, d'après ces sources.

Une collaboration avec la CDU: c'est pourtant la solution qu'il aurait souhaité expérimenter, s'il avait pu choisir, après son élection à la tête du pays, à l'automne 1998. Il s'est finalement retrouvé à la tête d'une coalition avec les Verts. Réélu de justesse quatre ans plus tard, cet ancien avocat n'a pas réussi à renouveler l'exploit au terme de sa troisième bataille électorale nationale. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Durant la courte campagne, il a multiplié les réunions publiques ­ plus de 100 ­ dans tout le pays. Sa voix s'est éraillée à force de répéter pourquoi il fallait le laisser achever sa politique de réformes, engagée depuis le début de son deuxième mandat. Son pouvoir de conviction a en partie fonctionné. Avec 34,2% des voix, le SPD est arrivé juste un point derrière la CDU/CSU.

Inespéré deux mois plus tôt, ce résultat, combiné au très mauvais score de la droite, signifiait, aux yeux de M. Schröder, que les électeurs souhaitaient le voir poursuivre ses réformes de l'Etat-providence. D'où son insistance à rester à la chancellerie. Au fil du temps, cette volonté s'est mue en manoeuvre visant à garantir à son parti la meilleure base possible avant de négocier avec la droite la formation d'une coalition.

POTION AMÈRE

Selon Franz Müntefering, le président du SPD, M. Schröder devrait participer aux pourparlers qui auront lieu dans ce but, à partir du 17 octobre. Ce proche s'est refusé à en dire plus. Mme Merkel, elle, n'a pas voulu exclure que M. Schröder devienne son ministre des affaires étrangères, même si elle n'en voudrait pour rien au monde. "C'est au SPD d'en décider", a-t-elle dit.

Selon certains médias allemands, une telle hypothèse n'est pas impossible. Ce fils de soldat de la Wehrmacht mort peu après sa naissance, en 1944, "est le seul pour l'instant à avoir la force, la popularité et le soutien du parti" pour faire avaler aux troupes sociales-démocrates la potion amère de la grande coalition, estimait, mardi, le quotidien Süddeutsche Zeitung .

Le principal concerné a répété, jusqu'à ces derniers jours, qu'il ne se retrouverait pas sous les ordres de "cette femme" ­ sous-entendu, Angela Merkel. On lui prête d'autres projets: conseiller de luxe pour une banque d'investissement anglo-saxonne ou une grande firme allemande, conférencier-voyageur à la Bill Clinton, auteur d'une autobiographie très attendue outre-Rhin... sans compter qu'il est mari et père de famille. Ayant adopté une petite fille russe, il avait annoncé, avant les élections, que ce serait "soit la victoire, soit Viktoria" .

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 12.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Un mariage de raison

 L a grande coalition à l'allemande n'est pas la cohabitation à la française. Dans cette dernière, le président de la République abandonne la quasi-totalité de la politique intérieure, économique, sociale, éducative, etc., à un premier ministre venu de l'autre camp. Dans la grande coalition, les deux grands partis de centre droit (CDU-CSU) et de centre gauche (SPD) passent des compromis pour gouverner ensemble. La cohabitation est une guerre d'usure, la grande coalition un mariage de raison.

Depuis la création de la République fédérale, en 1949, l'Allemagne a été généralement gouvernée par des "petites" coalitions entre un grand parti dominant et un partenaire qui apportait l'appoint des voix nécessaires à une majorité parlementaire. Elle a cependant connu un premier cas de grande coalition entre les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates, de 1966 à 1969. Cette expérience a laissé des souvenirs mitigés. Pour les uns, elle fut une réussite en permettant la relance de l'économie en une période de croissance zéro et de montée du chômage. Pour les autres, elle fut une guérilla permanente entre le chancelier Kurt Georg Kiesinger (CDU) et le vice-chancelier et ministre des affaires étrangères Willy Brandt (SPD), qui, à la fin, ne se supportaient plus. Elle eut en tout cas un résultat: l'amorce de l'Ostpolitik, la politique à l'Est, qui changea les relations entre l'Allemagne et les pays communistes.

Cette fois-ci, la grande coalition est la conséquence de l'arithmétique électorale. Le 18 septembre, les Allemands ont renvoyé l'alliance rouge-verte, au pouvoir depuis sept ans, sans donner de majorité à la droite. Il ne restait donc guère d'autre choix au SPD et à la CDU-CSU que de tenter de s'entendre. Angela Merkel va entrer à la chancellerie dans les fourgons de la social-démocratie, alors qu'elle rêvait de diriger une équipe porteuse de réformes résolument libérales.

Les sceptiques y verront une recette pour l'immobilisme. A force de rechercher un consensus entre des politiques opposées, les seize ministres ­ huit pour chaque camp ­ s'accorderont toujours sur le plus petit dénominateur commun. Ce serait la pire des hypothèses, non seulement pour l'Allemagne, qui a besoin de renouer avec le dynamisme économique, mais encore pour ses partenaires européens, confrontés à des difficultés analogues.

Les optimistes peuvent, au contraire, trouver dans la politique de la grande coalition des raisons d'espérer. Le gouvernement Schröder avait déjà commencé les réformes les plus urgentes ­ finances publiques, sécurité sociale, retraites, marché du travail, etc. Souvent d'ailleurs avec le soutien de la CDU-CSU, dont l'aval était indispensable à la Chambre des Etats. Le gouvernement Merkel va devoir les reprendre et les approfondir, sans toutefois recourir aux recettes du capitalisme anglo-saxon. Il montrerait alors à l'Europe tout entière que l'économie sociale de marché, qui a si bien réussi à l'Allemagne dans le passé, n'est pas incompatible avec la globalisation.

Article paru dans l'édition du 12.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Paul G. ♦ 11.10.05 | 21h53 ♦ Une grande coalition favoriserait les extrêmes,dit-on,décrédibiliserait un parti candidat à l’alternance.Mais assure-t-on sa crédibilité par la surenchère verbale ou en scandant des slogans dans les manifestations?Pourquoi la précédente majorité a-t-elle été remerciée et qui peut croire qu’à son retour elle aura des solutions miracles?Dans les temps difficiles mieux vaut élaborer en commun des solutions raisonnables.C’est la démagogie et l’irresponsabilité qui font le lit des extrêmes.

Dominique L. ♦ 11.10.05 | 21h37 ♦ Ras le bol de voir tous les politiques se battre pour eux même alors qu'il y a tant à faire en matière de sociale, d'économie, d'environement, de justice, d'humanisme... Je suis persuadé que l'opinion publique est prête à un rapprochement entre les centristes et la gauche réaliste et réformiste malheureusement l'idéologie et les dogmes de la gauche radicale empèchent se rapprochement , dommage pour les francais

i2bx ♦ 11.10.05 | 21h04 ♦ Schröder, et à travers lui le SPD, a entamé une révolution dans la culture de gauche: La modernisation et la compréhension de la mondialisation et des bienfaits que l'europe peut en retirer. Blair l'a fait bien avant lui. Si le SPD accède a des postes clefs, c'est notamment parce que le SPD, tout comme Merkel, va en direction des réformes nécessaires. Le PS français est encore bien loin de cette révolution, puisqu'il envisage de toute part de tirer vers lui l'électorat d'extreme gauche...

XL ♦ 11.10.05 | 20h45 ♦ Transformer une cohabition en combat quand il y a un projet politique derrière, après tout, cela peut se comprendre, encore que refuser la sanction du pays... Mais paralyser l'action du pays de 1997 à 2002 pour mener une politique peu différente par la suite, c'est incompréhensible. Ou plutôt si: c'est une politique seulement animée par le souci de se maintenir au pouvoir. Quelqu'un pourrait il s'occuper de la France ?

françois h. ♦ 11.10.05 | 19h36 ♦ la France n'a pas besoin d'une coalition PS - UMP , mais d'une vraie scission du PS pour que le pays dispose d'une vraie offre social-démocrate opposée à une offre sociale libérale. Comme elle n'est pas à l'ordre du jour , nous restons dans le règne du n'importe quoi ...

Roger D. ♦ 11.10.05 | 18h57 ♦ Julien Dray justifie l'impossibilité en France d'une collaboration gauche-droite car, dit-il, ce n'est pas la tradition française. Drôle d'argument ! Pourquoi faudrait-il rester bêtement dans la tradition alors que les problèmes posés à notre pays devraient dépasser les clivages. Et quand Moscovici dit de Bayrou que c'est le couillon de service qui leur permettra de gagner, ça en dit long sur l'esprit des politiques plus soucieux de gagner des élections que de servir les Français.

gérard B. ♦ 11.10.05 | 18h02 ♦ D'acc avec Laurent L. La gauche modérée refuse l'idée même d'une alliance avec la droite modérée, pourtant moins diabolique que la gauche de la gauche, qui n'a pas digéré l'échec des idées marxistes pourtant explicitement non démocratiques, et ce malgré le souvenir d'un siècle de fer et de sang.Et si les Français attendaient une classe politique plus centrée, donc sociale-réformiste modérée (accessoirement plus jeune et féminine, avec des idées du XXIème )? Et si surtout, on le leur proposait ?

Etienne.Q ♦ 11.10.05 | 16h27 ♦ Impressionnant. Qui peut encore parler de victoire pour Mme Merkel ou son parti ? Elle accède certes au poste le plus prestigieux, mais à quel prix ? En tout cas, bonne nouvelle, excellente nouvelle pour l'Allemagne, qui ne basculera pas - encore - du coté obscur (càd anglo saxon) de l'économie de marché. Bravo M. Schröder !

Exemplaire ? ♦ 11.10.05 | 14h44 ♦ Question. Est ce qu'un mariage de raison met les partenaires à l'abri d'être cocufié ? La photo réunissant Sarkozy et Hollande serait une illustration du prochain scénario français à l' allemande ? Le monde en sera bouleversé.

Laurent L. ♦ 11.10.05 | 14h17 ♦ J'aimerais bien savoir pourquoi ce genre de compromis entre partis de droite et de gauche est possible en Allemagne, et complètement inenvisageable en France... Peut-être parce que chez nos voisins la politique est essentiellement du domaine de la raison, alors que chez nous elle s'apparente à une guerre de religion. Quand la France deviendra-t-elle politiquement adulte ??


Le Monde / Médias
Après l'intrusion de partisans de l'humoriste Dieudonné sur le plateau d'"On ne peut pas plaire à tout le monde", dimanche soir sur France 3, Marc-Olivier Fogiel va porter plainte
"Le discours de Dieudonné fait beaucoup de dégâts dans les cités"

 D ieudonné avait annoncé ce week-end qu'il viendrait manifester dimanche devant le studio où est enregistrée votre émission. Marc-Olivier Fogiel, comment expliquez-vous qu'il ait pu envahir votre plateau aussi facilement ?
Le service de sécurité qui est en place habituellement devant le studio a vite été dépassé par les manifestants. Nous avons choisi de ne pas surenchérir dans la violence, mais aussi de ne pas être pris en otage pour faire une émission que nous ne souhaitions pas. La direction de la chaîne a donc suspendu le direct et j'ai reçu Dieudonné pour essayer de discuter avec lui et savoir ce qu'il voulait.

Que vous êtes-vous dit ?
Pas grand-chose... Il n'avait pas de revendication précise. Il m'a dit que la communauté noire "était très en colère" et qu'il allait "réfléchir" avec son entourage sur la suite à donner à cette affaire. Pour ma part, la seule chose que je lui ai indiquée était que l'antenne ne serait pas prise en otage.

Dieudonné réclame votre démission après votre condamnation, par le tribunal correctionnel de Montpellier, pour "injure à caractère racial", à propos d'un SMS diffusé dans votre émission, le 8 décembre 2003. Allez-vous démissionner ?
.Absolument pas. Ce serait totalement disproportionné. Dieudonné veut une nouvelle fois faire un coup médiatique, et il n'est pas question d'entrer dans son jeu. Quand le jugement sera effectif, et s'il est confirmé en appel, je serai de fait sanctionné, et j'en assumerai les conséquences en tant que producteur de l'émission, ne serait-ce que par l'amende que j'aurai à payer. Je dois dire que je m'interroge sur le maintien de mon appel du jugement de Montpellier. Mon avocat me dit que nous avons des arguments à défendre, mais je crains que, quel que soit le verdict, il offre une nouvelle tribune à Dieudonné pour souffler sur les braises. Je n'ai jamais proféré de propos racistes à l'antenne et la condamnation concerne le SMS que nous avons diffusé. Celui-ci a été mal compris. Il n'avait aucun caractère raciste. -Il était ainsi rédigé: "Dieudo, ça te ferait rire si on faisait des sketches sur les odeurs des blacks? Té tellement bête que ça me choque même plus "-. Il s'agissait simplement, à travers une synthèse de SMS reçus, d'interroger Dieudonné sur ce que serait sa réaction face à un humour odieux concernant les Noirs. Je regrette simplement de n'avoir pas réagi plus efficacement après le dérapage de Dieudonné -le 1er décembre 2003- .

Allez-vous porter plainte à votre tour contre Dieudonné ?
La chaîne et ma société vont saisir la justice pour l'intrusion sur le plateau.

Comment expliquez-vous l'animosité de Dieudonné envers vous ?
Je n'en sais rien. Je crois qu'il a trouvé un os à ronger et qu'il ne le lâche plus. Simplement, il se trompe. On peut dire ce que l'on veut de moi, ne pas supporter mon image médiatique, mais je n'ai pas de leçons de morale à recevoir. Depuis quinze ans que je fais de la télévision, je crois avoir montré mes convictions contre l'intolérance, le racisme et les discriminations. Ce qui me paraît le plus inquiétant est que Dieudonné a un discours très construit, qui fait beaucoup de dégâts dans les cités et les banlieues. On ne peut pas monter une communauté contre une autre en affirmant que l'une souffre plus que l'autre. A travers cette polémique, il y a des enjeux de société bien plus importants qu'une guéguerre entre "people".

Des personnalités vous ont apporté leur soutien. Comptez-vous les faire réagir ?
S'ils se sentent de le faire, tant mieux. Mais je ne veux pas instrumentaliser ceux qui me manifestent de la sympathie. Je suis capable de me défendre tout seul.

Vous sentez-vous visé par les propos de Patrick de Carolis, le PDG de France Télévisions, qui a déclaré qu'il souhaitait mettre un terme à "la location par appartements" des grilles de France 2 et France 3 ?
Pas du tout. Je n'ai pas de contrat d'affermage avec France Télévisions, je n'en ai jamais eu, je vends mes émissions une à une. Quand des émissions que je produisais pour le service public se sont arrêtées, je n'ai pas demandé de compensations. Je trouve courageux de la part de Patrick de Carolis de dénoncer les abus et de vouloir s'assurer du savoir-faire et de la créativité des producteurs. Cela étant, je ne crois pas qu'il faille jeter le système à la poubelle comme si tout était mauvais. En ce qui me concerne, la nouvelle direction de France Télévisions m'a dit qu'elle était "fière" de mon émission, même si cela n'empêche pas quelques aménagements.

Justement, On ne peut pas plaire à tout le monde a été amputée de quinze minutes par la nouvelle direction de France 3. Comment avez-vous réagi ?
Je n'ai pas contesté la décision, puisqu'elle s'inscrivait dans une politique globale de la chaîne, qui souhaitait que les émissions de deuxième et troisième parties de soirée ne démarrent pas à des heures impossibles. Cela me paraît cohérent.

Ces quinze minutes de moins ont-elles une incidence sur l'audience ?
Non. Nous nous maintenons autour des 15% de parts de marché que la chaîne nous a fixés. Mon contrat précise que si l'émission réalise moins de 15% huit fois de suite, la chaîne peut demander à réaménager le concept. Mais cela ne s'est jamais produit.

Propos recueillis par Pascal Galinier et Daniel Psenny
Article paru dans l'édition du 12.10.05


Le Monde / Société
La question de la récidive relance le débat sur l'efficacité des peines

 L e débat sur la récidive, récurrent, a resurgi de façon très vive. Pourquoi, selon vous ?
Jean-Yves Le Borgne: Il est probable que la récidive soit aujourd'hui plus un thème politique qu'une véritable problématique sociale. Mais on a aussi perçu, au fil du temps, que toutes les expériences judiciaires n'ont pas jugulé le problème.

Les principaux points de la proposition de loi

Extension de la récidive.
Pour être récidiviste au sens de la loi, il faut avoir commis une première infraction condamnée définitivement et en commettre une seconde d'une certaine nature (un délit "assimilé", défini dans une liste) dans un certain délai. Pour étendre le champ de la récidive, il est prévu de prendre en compte les condamnations prononcées dans les Etats de l'Union européenne, et d'assimiler les délits de violences volontaires aux personnes à tous les délits commis avec circonstance aggravante de violences.

Jugements rapides.
Le texte demande au procureur de recourir en priorité au déferrement devant le tribunal correctionnel pour les récidivistes, par le biais des comparutions immédiates ou du plaider-coupable. Il prévoit aussi d'obliger le tribunal à prononcer un mandat de dépôt à l'audience, sauf décision spécialement motivée.

Limitation des sursis avec mise à l'épreuve.
Le nombre de ces condamnations serait limité à deux, voire à une, pour les récidivistes auteurs de violences volontaires ou d'agression sexuelle. Allongement des peines. Le crédit de réduction de peine pour bonne conduite, fixé uniformément par la loi, serait réduit pour les récidivistes. Le délai d'épreuve avant une libération conditionnelle passerait de 15 ans à 18 ans, 20 ans ou 22 ans selon les cas. Les cours d'assises pourraient imposer une période de sûreté de 25 ans. Les victimes seraient consultées avant toute décision de libération conditionnelle.

Bracelet électronique.
Les députés ont prévu que le tribunal puisse imposer le bracelet mobile dans le cadre du suivi sociojudiciaire. La peine, réservée aux délinquants sexuels, serait étendue aux auteurs d'assassinat, d'enlèvement et séquestration, d'actes de barbarie et à tous les "multirécidivistes" condamnés au moins à cinq ans d'emprisonnement. La durée du placement serait de cinq ans, renouvelables une fois. Le gouvernement propose une "surveillance judiciaire" décidée par le juge de l'application des peines pour les délinquants sexuels condamnés à au moins dix ans de prison, et d'une durée équivalente aux réductions de peine obtenues en détention.

Deux délinquances irritent nos concitoyens: la petite délinquance, qui est comme un caillou dans la chaussure, et la grande criminalité liée à des considérations psychopathologiques, pour lesquelles la réponse judiciaire ne constitue en rien un remède.

Yves Bot: Les récidives sont beaucoup plus médiatisées; ensuite, le risque est une notion de moins en moins acceptable dans nos sociétés. Les gens considèrent à juste titre que la sécurité est la condition préalable de la liberté. Dans une société moderne, organisée, policée, on doit pouvoir sortir tranquillement de chez soi. Cette aspiration explique qu'un certain nombre de débats de société se situent à l'heure actuelle autour de la sécurité. La question de la récidive est une manifestation de ce phénomène, ce n'est pas la seule.

La justice est-elle responsable de la récidive ?
J.-Y. L. B.: Le juge est un responsable facile à désigner. Mais il se borne à prononcer une peine, il n'est pas en charge des conditions de son exécution. La dimension sociothérapeutique du traitement lui échappe.
La faillite du système vient de notre conception, non démentie par la proposition de loi sur la récidive, d'une justice qui commence avec l'infraction et se termine avec la condamnation. Ce qui se passe après est assez peu actif malgré l'existence de textes nombreux. Le problème est que nous n'avons pas le personnel nécessaire: le sursis avec mise à l'épreuve est une illusion, le suivi sociojudiciaire, un voeu pieu. Le texte souligne lui-même la carence des psychiatres en espérant la pallier par des psychologues.
La faillite socio-éducative de certains milieux défavorisés candidats à la délinquance n'a rien à voir avec la question judiciaire. Le projet actuel est dans la répression. Mais si la peine a été insuffisante à créer une réinsertion, comment une peine plus longue serait-elle plus susceptible de déboucher ?
La future loi ne m'est pas antipathique puisqu'elle est le substitut des peines plancher, qui nous avaient tous fait frémir. Mais on ne peut pas dire qu'un esprit préventif et curatif préside à ce texte. La vraie réponse est dans la mise en oeuvre de moyens concrets.

Y. B.: Le discours sur les moyens touche aussi ses limites. On ne peut pas mettre un infirmier psychiatrique derrière chaque personne. Le propre de l'institution judiciaire est de renvoyer les gens à leurs responsabilités. Cette démarche est, en soi, éducative.
Le juge applique la loi. En matière pénale, celle-ci a une valeur expressive. Et il arrive que par une loi, la société corrige certains excès antérieurs. Le projet actuel peut être vu dans une optique de sévérité; mais les textes qui l'ont précédé se situaient dans une logique d'érosion totale de la peine, d'une remise en cause de l'autorité de la chose jugée.
Parmi les valeurs exprimées par le nouveau texte figure la volonté de condamner la violence. Cela est traduit par l'extension de la possibilité de récidive juridique d'une infraction violente à toute autre infraction de violence. C'est une nouvelle approche: on ajoute à une démarche exclusivement juridique une démarche criminologique. On considère un individu dans sa propension à la violence. S'il commet un vol avec violence et ensuite une violence sans vol ayant entraîné une incapacité de travail, il sera en récidive légale, alors qu'il ne l'était pas auparavant.

J.-Y. L. B.: Nous avons là l'illustration d'une option idéologique: celle de la répression. Celui qui est dans la récidive en matière de criminalité lucrative ne semble pas inquiéter quiconque. Pourtant, il est dans une démarche rationnelle, la productivité de son acte antisocial, qui pourrait permettre à plus de répression d'être dissuasive. Tandis que celui qui est dans la reproduction de la violence peut être dans une situation de malaise personnel ou social. L'acte violent mériterait un intérêt curatif.

Y. B.: En quelque sorte, d'après vous, ce serait: "Plus je suis violent moins je risque..." Il faut que les mesures curatives aient lieu, mais aussi qu'elles s'exécutent dans des conditions qui garantissent la sécurité de nos concitoyens.

J.-Y. L. B.: Il ne s'agit pas de se placer dans une situation d'alternative entre la répression et l'assistance éducative ou thérapeutique, mais de savoir s'il est bien raisonnable et efficace d'opter pour une répression pure et simple sans que celle-ci soit assistée, à l'intérieur de la peine. Derrière les situations de viols, il existe une vraie problématique psychopathologique. La peine n'est pas dissuasive puisque l'acte ne se place pas dans une anticipation mesurée. Cette loi est un écran de fumée pour apaiser les soucis de l'opinion sans s'attaquer aux racines du problème.

Faut-il "prendre le risque de l'inconstitutionnalité", comme l'a suggéré le ministre de la justice, pour imposer une surveillance des personnes déjà condamnées au moyen du bracelet électronique ?
J.-Y. L. B.: Quand les normes fondamentales d'une société semblent pouvoir être battues en brèche au nom de préoccupations conjoncturelles, nous sommes sur une pente dangereuse. Nous ne pouvons faire l'économie du débat sur la constitutionnalité.

Y. B.: Je conteste le qualificatif de "préoccupation conjoncturelle", appliqué à des criminels en série, violeurs et tueurs. J'attends de voir s'il y a inconstitutionnalité ou pas. Pour la surveillance électronique mobile, la référence à la mesure de sûreté est intéressante: elle concernera les personnes qui sortent de prison en fin de peine, notamment les délinquants dangereux au risque de récidive fort, qui n'auront pas été mis en liberté conditionnelle parce qu'ils refusent toute contrainte. Ces individus sont des pervers. Il est envisagé de les astreindre à un encadrement socio-éducatif. La mesure de sûreté, contrairement à la peine, est exempte de coloration morale. Elle s'appuie sur un état dangereux constaté objectivement.
Le Conseil constitutionnel a déjà tranché en validant comme une mesure de sûreté d'application immédiate le fichier des auteurs d'infractions sexuelles, qui sert à savoir où se trouvent les personnes. Porter un bracelet mobile, c'est savoir où on est en temps réel. Entre les deux, il y a une différence de degré, non de nature.

L'allongement de l'incarcération est-il une solution ?
Y. B.: On n'allongera pas la peine des récidivistes: les criminels condamnés à dix ans de réclusion n'en feront pas douze. On leur accordera moins de réductions de peine automatiques qu'aux autres. Il paraît logique que celui qui se fiche de ce qui s'est déjà passé, de ce qui lui a déjà été dit, ne sorte pas aussi vite que les autres. Le législateur entend marquer une réprobation particulière, peut-on critiquer cela ?
Dans le cas des "sorties sèches" de prison, il est en outre prévu d'imposer des mesures d'encadrement. On les trouve très bonnes quand on libère les gens avant la fin de leur peine, dans le cadre d'une libération conditionnelle. Pourquoi les trouverait-on mauvaises après ?

J.-Y. L. B.: En multipliant les cas de récidive, le texte multiplie les cas où la peine encourue est allongée. D'autres mesures prévoient un allongement de l'incarcération. C'est la seule proposition. Après avoir constaté qu'une peine déterminée n'a pas suffi à empêcher la récidive, on nous dit qu'on va prendre la peine ancienne, plus un delta indéterminé, et que tout va changer. Qui peut croire à ce miracle ?

Y. B.: La peine a plusieurs fonctions. Elle est aussi tournée vers la réinsertion et la réparation des victimes. C'est la question du contenu de la peine, du traitement pénitentiaire, qui est en dehors du projet actuel.

Le gouvernement table, avec le bracelet électronique mobile, sur une surveillance renforcée des sortants de prison. Est-ce réaliste ?
J.-Y. L. B.: Le bracelet, c'est la possibilité de déterminer où se trouvait qui à un moment précis, c'est-à-dire de dégager une probabilité de culpabilité après la récidive. La problématique est de faciliter l'enquête pour arrêter le récidiviste, pas d'empêcher la récidive.

Y. B.: Je suis d'avis contraire. Dans le cas des pervers sexuels, la certitude d'être repris est un facteur dissuasif extrêmement fort. On aurait tout résolu si on savait précisément ce qu'est le mécanisme du passage à l'acte. Il faut avoir l'humilité de dire que c'est une chose qu'on ne connaît pas. On ne peut lutter qu'à partir du moment où la personne devient responsable de ses actes. Avec les moyens dont nous disposons, et dans les cas difficiles où il y a un danger, il s'agit de dire: on va tâcher de faire en sorte que le risque de la réalisation du danger survienne le plus tard possible. C'est reconnaître que la justice a une obligation de moyens.

J.-Y. L. B.: Ce que poursuit cette loi, au fond, c'est l'idée: "Tant que ce bonhomme-là est en prison, au moins il ne recommencera pas." C'est une forme de désespérance. Une association de victimes se demandait cet été: "Ne met-on pas trop d'espoir dans l'effet dissuasif d'une punition plus sévère ?"

Propos recueillis par Nathalie Guibert
Article paru dans l'édition du 12.10.05


Le Monde / Sciences
Article interactif
Tests négatifs sur la possible grippe aviaire en Roumanie, fin des abattages de volailles en Turquie
  1. Tests négatifs sur la grippe aviaire en Roumanie
  2. Fin des abattages de volailles en Turquie
  3. Réunion interministérielle en France vendredi
  4. Le laboratoire Roche disposé à sous-traiter la production du Tamiflu
  5. Le Vietnam envisage de tester un vaccin humain début 2006
  6. L'Egypte, la Jordanie et la Syrie prennent des mesures de prévention
1 - Tests négatifs sur la grippe aviaire en Roumanie

 P our l'instant, tous les tests pratiqués en Roumanie sont toujours négatifs. Il n'y a pas de virus de la grippe aviaire en Roumanie pour l'heure", a déclaré, mercredi 12 octobre, une porte-parole du commissaire européen à la santé et à la protection des consommateurs, Markos Kyprianou."Nous ne prévoyons pas de proposer des mesures contre la Roumanie, à moins que la présence d'un virus de la grippe aviaire très pathogène ne soit détectée", a-t-elle continué.

Après l'identification du virus de la grippe aviaire en Turquie, Bruxelles avait interdit, lundi 10 octobre, l'importation des oiseaux vivants et des plumes en provenance de ce pays, et attendait des résultats, mercredi 12 octobre, pour prendre des décisions concernant la Roumanie.

La porte-parole n'a pas précisé si ses déclarations s'appuyaient sur les résultats d'analyses confiées à un laboratoire de Grande-Bretagne, qui devait se prononcer ces jours-ci.

Avec AFP


2 - Fin des abattages de volailles en Turquie

 L n Turquie, les abattages de volailles ont pris fin mercredi, après la détection d'un cas de grippe aviaire dans une ferme de Kizika (nord-ouest du pays). Toutefois, la quarantaine – imposée sur un périmètre de 3 kilomètres autour du village de Kiziksa – est maintenue, a précisé le porte-parole du ministère de l'agriculture, Faruk Demirel, et "les contrôles continuent de la manière la plus stricte".

Le responsable a en outre fait savoir que les résultats d'analyse sur les prélèvements envoyés par son ministère à un laboratoire britannique chargé d'identifier le virus de la grippe aviaire étaient attendus"vers le milieu de la semaine prochaine".  Ce laboratoire avait indiqué, mardi 11 octobre, qu'il pourrait déterminer d'ici quelques jours si le virus turc était le H5N1, qui a causé la mort d'une soixantaine de personnes et de millions de volatiles en Asie depuis 2003.

Pour l'heure, une désinfection massive est en cours dans la zone de quarantaine. Des équipes de vétérinaires ont abattu plusieurs milliers de volailles et les ont enfouies dans la chaux, a indiqué la chaîne d'information NTV. Pour éviter la contagion, des habitants ont consenti à livrer aux autorités leurs animaux – qui constituent souvent leur seule ressource –, après avoir reçu l'assurance d'une compensation immédiate de l'Etat.

Ankara a affirmé qu'à ce jour aucun être humain n'avait été contaminé et que la maladie était circonscrite à Kiziksa.

Avec AFP


3 - Réunion interministérielle en France vendredi

 D ominique de Villepin a convoqué une réunion interministérielle concernant la grippe aviaire, pour vendredi 14 octobre, a annoncé mardi le ministère de l'agriculture.

La France demandera en outre au comité d'experts européens, qui se réunit mercredi à Bruxelles, de "renforcer la surveillance des oiseaux migrateurs et la protection des élevages", après la découverte de cas suspects de grippe aviaire en Turquie et en Roumanie ce week-end, ajoute le ministère de l'agriculture. "Des mesures additionnelles de protection seront prises s'il est confirmé que le virus a gagné la Turquie ou la Roumanie", précise le ministère.

Par précaution, en attendant les résultats des examens complémentaires concernant les virus trouvés en Turquie et en Roumanie, la Commission européenne a interdit les importations dans l'UE de tous les oiseaux et leurs produits en provenance de Turquie. L'exécutif européen n'a, en revanche, pris aucune mesure en ce qui concerne la Roumanie qui, selon le ministère de l'agriculture français, a d'elle-même interdit les exportations.

Avec AFP


4 - Le laboratoire Roche disposé à sous-traiter la production du Tamiflu

 L e laboratoire pharmaceutique suisse Roche, qui fabrique le Tamiflu – traitement considéré comme le plus efficace contre la grippe aviaire –, serait disposé à autoriser d'autres sociétés à produire ce médicament, rapporte le Wall Street Journal, mercredi 12 octobre. Roche, qui prévoit de doubler sa production de Tamiflu d'ici la fin de l'année par rapport au niveau de 2004, et de la doubler à nouveau d'ici la mi-2006, cherche des sociétés de taille moyenne pour renforcer les diverses étapes de fabrication, afin d'augmenter la production totale, précise le quotidien.

Les scientifiques redoutent que le virus de la grippe aviaire – uniquement transmissible, pour le moment, à l'homme par les oiseaux – ne mute et puisse se transmettre d'humain à humain. Ils craignent en outre une pénurie de Tamiflu en cas de pandémie.

En France, près de 14 millions de traitements antiviraux seront disponibles d'ici la fin de l'année pour combattre une éventuelle pandémie humaine de grippe d'origine aviaire, a rappelé le ministre de la santé, Xavier Bertrand, mardi 11 octobre. La France dispose à ce jour de 5 millions de traitements, dont une partie en gélules et une autre, en vrac, stockée dans les pharmacies des armées. Selon Xavier Bertrand."Il faut informer sans affoler. Notre rôle, c'est de nous préparer au mieux", a résumé le ministre de la santé, réaffirmant le souci du gouvernement de"jouer la transparence".

Avec AFP


5 - Le Vietnam envisage de tester un vaccin humain début 2006

 "N os tests sur les animaux ont été un succès, et nous avons formulé une demande auprès des ministères concernés" pour effectuer des tests sur les hommes, dès 2006, a affirmé un haut responsable de l'Institut national d'hygiène et d'épidémiologie du Vietnam, sous couvert de l'anonymat. Les autorités vietnamiennes ont par ailleurs commencé une campagne nationale de vaccination des volailles, dans 48 des 64 provinces du pays.

Le Vietnam doit présenter aux pays donateurs, à Hanoï, mercredi 12 octobre, un plan d'urgence pour lutter contre la grippe aviaire pour les six prochains mois, a-t-on appris de sources officielles. Le Programme de l'ONU pour le développement (PNUD), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ont collaboré avec les autorités pour définir les priorités. L'ensemble des mesures prises contre le virus devrait coûter environ 5 millions de dollars, selon le docteur Hans Troedsson, patron de l'OMS à Hanoï. L'initiative intervient à la veille de l'arrivée au Vietnam du secrétaire d'Etat américain à la santé, Michael Leavitt, en tournée dans le Sud-Est asiatique pour discuter des mesures pour prévenir une pandémie.

Le virus H5N1 a tué 44 personnes au Vietnam depuis la fin 2003, soit deux tiers du nombre total des victimes recensées dans le monde. Les experts internationaux craignent une mutation du virus H5N1 de la grippe aviaire, qui lui permettrait de devenir aisément transmissible entre humains et de déclencher une pandémie mondiale.

Avec Reuters


6 - L'Egypte, la Jordanie et la Syrie prennent des mesures de prévention

 L es autorités du Caire ont pris des mesures pour prévenir la grippe aviaire – y compris l'interdiction d'importer des volailles en provenance des pays touchés par cette maladie –, a annoncé l'agence officielle égyptienne Mena. Le ministère de la santé égyptien a également décidé de mettre en place des cellules de surveillance liées à des laboratoires pour tester les cas suspects et contrôler le volailles importées, ajoute l'agence.

La Jordanie, quant à elle, a annoncé lundi avoir mis en place une équipe spécialisée pour faire face à une apparition éventuelle du virus sur son territoire, après que des cas de cette maladie ont été détectés en Turquie. De son côté, la Syrie a annoncé mardi qu'elle allait prendre des mesures de prévention contre cette maladie, tout en affirmant qu'aucun cas n'avait été signalé dans le pays, selon l'agence officielle Sana.

Avec AFP LEMONDE.FR | 12.10.05 | 12h37


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
L'image de la France

 C e n'est qu'un soupçon, mais terrible. Jean-Bernard Mérimée, ambassadeur de France et ancien représentant permanent du Quai d'Orsay au Conseil de sécurité des Nations unies, entre 1991 et 1995, a été placé en garde à vue lundi 10 octobre et devrait être mis en examen. A ce stade, le juge d'instruction Philippe Courroye s'interroge sur son implication dans les détournements financiers liés au programme de l'ONU en Irak, dit "Pétrole contre nourriture".

M. Mérimée n'est pas le premier diplomate inquiété. Serge Boidevaix, lui aussi élevé à la dignité d'ambassadeur de France, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay, a été mis en examen en septembre pour "trafic d'influence et corruption" dans le cadre du même dossier.

Au-delà de ces deux personnalités, neuf autres, parmi lesquelles l'ancien ministre de l'intérieur Charles Pasqua et son conseiller diplomatique Bernard Guillet, sont visées et se voient reprocher d'avoir bénéficié des largesses de l'ancien dictateur Saddam Hussein.

En bref, la justice les soupçonne d'avoir reçu des allocations pétrolières et de les avoir revendues avec une marge bénéficiaire d'environ 30 cents de dollar par baril. M. Mérimée aurait ainsi reçu des commissions sur quelque deux millions de barils; M. Boidevaix, président de la chambre de commerce franco-arabe depuis les années 1990, aurait été l'allocataire de plus de 32 millions de barils entre 1998 et 2003.

Sans préjuger l'issue de l'instruction, ces soupçons viennent durement écorner l'image de la diplomatie française. Les plus indulgents s'interrogeront sur les dangers d'une politique pro-arabe allant parfois jusqu'à l'aveuglement. Bagdad attendait de la France et de ses plus hauts représentants qu'ils renvoient une image positive du régime irakien. En échange des services rendus, Saddam Hussein a remercié une foule de prestataires plus ou moins conscients et intéressés.

La révélation de cette affaire, l'enquête conduite aux Nations unies par la commission Volcker et l'instruction menée en France par le juge Courroye embarrassent au plus haut point depuis de trop longs mois la diplomatie française. Le respect de la présomption d'innocence lui impose le silence. Mais le respect de sa mission devrait lui donner obligation de parler haut et clair.

En l'occurrence, la diplomatie américaine ne s'est encombrée ni d'élégance ni de demi-mesures, même si certaines sociétés d'outre-Atlantique étaient concernées. Washington est à l'origine de la campagne visant les trafics d'influence qui ont prospéré dans les marges du programme "Pétrole contre nourriture". Cela entrait dans le cadre de sa lutte sans merci avec la France tandis que celle-ci brandissait l'étendard du multilatéralisme et s'opposait au projet guerrier de George W. Bush en Irak. Cela permettait aussi à la Maison Blanche d'instruire le procès de l'ONU, organisation jamais assez efficace selon les Etats-Unis.

Cela dûment établi n'excuse en rien d'éventuelles malversations des ambassadeurs de la France.

Article paru dans l'édition du 13.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Europekipete ♦ 12.10.05 | 14h11 ♦ On comprend mieux la menace du veto brandie par Mr Chirac pour defendre sa "paix" deguisee en soutient pour une dictature dont aucun Francais ne voudrait mais qui allait si bien aux Irakiens. Un exploit qui a fait verser des larmes d’ emotion chez beaucoup de naifs en mal de fierte nationale, apres le discours eloquent de Mr de Villepin. L’information d’aujourd’hui revele que le fameux veto n’avait pour but que de defendre la "paix" sur l’affaire "petrole contre nourriture".
MARCEL G. ♦ 12.10.05 | 14h27 ♦ Ces informations,sont,pour ceux qui lisent aussi la presse étrangère,connues depuis longtemps. Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour que la presse française en parle? Et ce n’est pas le seul sujet concerné par la silence!!!! La France ne défend pas le multilatéralisme, elle défend ses intérêts face, entre autres, aux U.S.A. Il en est de la Dimoplatie comme pour la Justice, elles n’ont aucun rapport avec la moralité.
sunseeker ♦ 12.10.05 | 14h28 ♦ comme en écho à l’échec du prétendu modèle social français qui est devenu un anti-modèle avec la démagogie anti-réformes mitterrando-chiraquienne, la sincérité de la diplomatie française est remise en question...pourquoi toute cette énergie gaspillée à s’opposer à un allié les USA qui après tout allait déposer un dictateur, et pendant ce temps on ne voit pas Chirac ou Villepin s’émouvoir des noirs du Darfour massacrés par les milices arabes...peut être le vrai visage de la politique "arabe"...
jacklittle ♦ 12.10.05 | 14h36 ♦ Halte là!!!! Si vouv vous mettez à porter des jugements sur chaque pays du monde à l’aune d’affaires plus ou moins opâques où seraient mêler des diplomates ou des pseudos-diplomates,il va falloir passer en revue quasiment tous les pays de la planisphère. Gardons-nous de porter des jugements définitifs sur tout et sur rien. Sâchez,sâchons raison garder.
Edouard ♦ 12.10.05 | 14h43 ♦ Vous placez contre l’eventuelle culpabilite des francais la volonte des US de demasquer les irregularites du "food for oil". Cela n’est pas comparable. Les francais sont coupables ou pas. Et le fait que les US aient cherche a le prouver ne change rien a la realite de cette culpabilite (si elle est prouvee bien sur). De plus, on pourrait aussi dire que la position francaise anti guerre etait motivee par la necessite de cacher ces eventuelles irregularitees. L’image de la France souffre.
Thierry B. ♦ 12.10.05 | 15h40 ♦ est-ce vraiment une surprise ? Malheureusement non, et les FAITS ont finalement toujours raison.
J C. ♦ 12.10.05 | 15h46 ♦ Quelle naïveté et pourquoi s’acharner sur ces lampistes. L’instruction ayant été menée ailleurs est allé jusqu’au bout.. combien de corrompus s’en sont tiré ici parce que notre justice sait fermer les yeux. N’accablons pas ces hommes pensons aux autres, beaucoup plus gradés, qui ont échappé à cette opobre Allons un peu de sérieux
monrog ♦ 12.10.05 | 16h17 ♦ Le rôle joué par les Etats Unis dans le déclenchement de cette affaire n’en met que davantage en lumière l’aspect inquiétant: sans ce type d’"accident" déclencheur, combien d’affaires de ce genre ignorons-nous ? La France est-elle devenue un pays corrompu, signe supplémentaire, s’il en était besoin, de son profond déclin ?
Grichka10 ♦ 12.10.05 | 16h26 ♦ La compromission avec un dictateur génocidaire pendant 25 ans, les magouilles du programme Oil for Food, c’est très très dur à avaler, d’ou que cela vienne. Que ces exactions viennent du pays qui nous rabache les oreilles avec des positions morales sur l’Irak depuis 3 ans, ca navigue entre le ridicule absolu et l’innacceptable selon l’humeur du moment. Au moins les Américains ne drapent pas leurs turpitudes dans un édredon de morale-fiction.....
esteban53 ♦ 12.10.05 | 16h29 ♦ L’image de la France ne deviendra pas trouble parce qu’on a découvert une affaire de diplomates corrompus. Il y a des corrompus dans tous les pays. Mais l’image de la France risque d’être entachée pour longtemps si la justice ne fait pas son travail vite et bien. Or c’est sur l’indépendance de la justice en France qu’on peut parfois émettre des doutes.
clo.clo ♦ 12.10.05 | 17h16 ♦ Je ne pense pas que les EU visaient explicitement la France, mais visaient d’abord l’ONU. Le fait que des diplomates français soient impliqués n’est qu’un effet collatéral, heureux même dans ce cas là pour les Américains. Il ne faut pas voir du complot partout, et des diplomates corrompus il y en a eu partout, même aux EU ou ils ont été aussi poursuivis. Alors c’est somme toute une affaire banale sans interet qui n’aurait pas du faire l’objet d’un éditorial.
Le réveur ♦ 12.10.05 | 17h23 ♦ La corruption est inhérente au capitalisme et au marché. Avons-nous oublier "Elf" et ses avions renifleurs sans parler des frégates de Taïwan et autres scandales. S’il faut bien justifier "Les Paradis Fiscaux". Alors pourquoi chercher des poux dans les têtes de quelques hauts fonctionnaires corrompus qui ne sont que les comparses de quelques dignitaires de la Vème République. Après quarante sept années de monarchie républicaine il est grand temps de redonner le pouvoir aux citoyens
Flying+Frog ♦ 12.10.05 | 17h46 ♦ L’image de la France, mais entendez par là l’Etat Français, est déplorable à l’intérieur de nos frontières. L’extérieur ne fait que s’ajuster avec retard.
Sue ♦ 12.10.05 | 18h27 ♦ Où est l’information? Nous ne savons pas si ces diplomates sont corrompus, en d’autres termes nous ne savons rien de sûr. Mais le fait de vouloir montrer la corruption dans une institution: à l’ONU par exemple, dans un Etat , en France, ne relève pas du hasard, car tant que je regarde là où je dois regarder; les affaires des autres, celles de M.Halliburton par exemple continuent.Ce qui semble être l’essentiel.
XF ♦ 12.10.05 | 18h38 ♦ Cocoricooooo !!! chante le coq sur son tas de fumier.
orbi ♦ 12.10.05 | 18h42 ♦ Circulez, il n’y a rien à voir. c’est le domaine réservé du Chef de l’Etat. Il faut choisir, soit la France a une belle diplomatie flamboyante pour jouer dans la cour des "grands", soit on entre dans les détails, et là c’est la porte ouverte à toutes les mesquineries. Bientôt vous voudrez aussi des commissions d’enquêtes, des débats au Parlement, de la transparence sur les traités internationaux de défense, de coopération. Mais où irions nous? Soyons sérieux!
azebolu ♦ 12.10.05 | 18h58 ♦ Et allez!!!Les américains mènent le jeu et la France y plonge comme si elle avait qqch. à se reprocher. On a terni leur image de défenseurs de la démocratie, ils ternissent l’image des Mérimée, Boidevaix, Pasqua, Guillet et consorts, et par cela même l’image de la France. Mais bon sang, quand donc écrira-t-on des pages incendiaires sur leur comportement à vouloir imposer la paix par la guerre, sur leur racisme institutionalisé, sur leur dette extérieure, sur leur fanatisme religieux.


Le Monde / International
Des milliers d'électeurs n'ont toujours pas vu le texte proposé
BAGDAD de notre envoyé spécial

 A ffiches placardées un peu partout sur les murs, banderoles pendues en travers de quelques avenues de Bagdad, incessants spots télévisés (payés) sur les chaînes, messages en boucle sur les radios, pages après pages de publicité officielle dans les journaux: à première vue, c'est bien une nouvelle campagne électorale qui bat son plein en Irak. L'enjeu est a priori important puisque les 15 millions d'électeurs enregistrés doivent décider, le 15 octobre, s'ils approuvent ou non le projet de Constitution laborieusement concocté, ces dernières semaines, par leurs élus, guidés par des experts américains et britanniques.

"Votez pour l'Irak, votez pour uneConstitution qui garantira vos droits", admoneste telle grande affiche aperçue sur l'avenue Al-Saadoun, au centre de Bagdad. "Votez oui, votez non, mais votez", insiste telle autre, barrée d'un stylo. "Voter, d'accord, mais sur quoi exactement ?", demande Saher Awad, un jeune ingénieur du quartier d'Al-Tourath, dans le sud-ouest de la capitale. "A quatre jours du référendum, personne, dans mon quartier, n'a encore vu le projet" ­ imprimé à 5 millions d'exemplaires, notait-il.

Idem à Mouaffat, à Saïdiyah et ailleurs encore. Apparemment, plusieurs centaines de milliers d'électeurs, des millions sans doute à travers tout l'Irak, sont dans la même situation. "Eh oui, ironise un journaliste local qui requiert l'anonymat, le 30 janvier, on nous a demandé de voter pour des listes de candidats anonymes et sans programme politique bien défini. La charade continue. C'est cela la démocratie à l'occidentale ?"

Rencontré dans la "zone verte", le centre-ville ultrafortifié où se sont réfugiés, derrière une bonne vingtaine de kilomètres de hauts remparts de béton, Parlement, gouvernement, ministères et autres ambassades américaine et britannique, le confrère affirme qu'une forte proportion des électeurs sait à peine lire et que le jargon du texte proposé ­ 52 pages ­ lui échapperait de toute façon. Il pense que, dans l'atmosphère polarisée qui sévit entre les communautés, les gens auront tendance à voter comme leurs leaders politiques ou leurs chefs de tribu ­ "rémunérés" ou non par le pouvoir ­ le leur diront.

Il n'empêche. A Ramadi, la capitale de la province largement sunnite d'Al-Anbar ­ l'un des fiefs de laguérilla multiforme qui ensanglante le pays ­, plusieurs centaines de résidents ont défilé, lundi, dans la rue pour réclamer le texte de la Constitution. "Laissez-nous la lire et nous donnerons notre opinion !" proclamait une banderole. "Même si nous ne l'avons pas, nous voterons", affirmait une autre.

MENACES DE MORT

Beaucoup, dans cette ville de 400 000 habitants qui a énormément souffert depuis l'invasion de mars-avril 2003, aussi bien des sanglantes activités de la guérilla que des meurtrières expéditions punitives américaines, sont convaincus qu'ils sont l'objet d'une cabale de Bagdad. Omar Khalifa, le représentant local du Parti islamique, sans doute la plus grande formation politique sunnite légale de l'Irak d'aujourd'hui, le confie sans ambages: "On veut empêcher les sunnites de participer au vote parce que nous rejetons cette Constitution."

La quasi-totalité des partis arabes issus de cette branche de l'islam ­ qui gouvernait l'Irak depuis toujours bien qu'elle ne représente que 20 à 25% de la population ­ a appelé à voter contre un projet jugé "dangereux pour l'unité du pays", puisqu'il consacre la large autonomie des Kurdes au nord et autorise la formation d'une autre grande zone autonome chiite au sud.

Les Kurdes et les Arabes chiites, qui représentent plus des trois quarts de la population, devant probablement voter en faveur du texte, la seule chance qu'ont les sunnites d'obtenir une réécriture de la Constitution est d'obtenir une majorité de "non", à hauteur des deux tiers des votants dans au moins trois des quatre provinces (sur dix-huit) où ils sont les plus nombreux. Une gageure d'autant plus improbable que la mouvance Al-Qaida en Irak, sous la férule d'Abou Moussab Al-Zarkaoui, rejette l'idée même d'une Constitution ­ "L'islam est notre Constitution", proclament ses communiqués ­ et menace de mort ceux qui iront voter le 15 octobre.

Patrice Claude
Article paru dans l'édition du 13.10.05


Le Monde / Europe
Angela Merkel se heurte à une contestation de ses pouvoirs à la tête du futur gouvernement allemand
BERLIN de notre correspondant

 U ne poupée de collection à l'effigie d'Angela Merkel ! Avide de publicité, un fabricant de jouets allemand a annoncé qu'il en produirait bientôt un millier d'exemplaires. Si cette nouvelle relève de l'anecdote, elle n'en illustre pas moins les difficultés auxquelles se heurte déjà Angela Merkel, présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), au lendemain de l'accord intervenu lundi 10 octobre pour lui confier la tâche de former un gouvernement avec le Parti social-démocrate (SPD), et d'en assumer la direction.

A peine adoubée, la future chancelière voit ses prérogatives remises en cause par ceux, chez ses adversaires mais aussi dans son propre camp, qui voudraient ne voir en elle qu'une marionnette dénuée de réels pouvoirs. Divers responsables ont ainsi mis en doute, mardi 11 octobre, la capacité de Mme Merkel à déterminer "les grandes orientations de la politique" du pays. Inscrite dans l'article 65 de la Loi fondamentale, la Constitution allemande, cette prérogative a été contestée mardi par Franz Müntefering, le président du SPD. A l'entendre, une telle attribution n'est pas adaptée à la réalité d'une grande coalition entre deux partenaires quasiment égaux. "Qui agit de la sorte sait bien que la coalition capotera", a-t-il menacé, à moins d'une semaine du début des négociations officielles sur la formation du gouvernement et son programme.

Plus étonnants sont les doutes similaires émis par l'Union chrétienne-sociale (CSU), l'aile bavaroise de la CDU. Edmund Stoiber, son président, qui a dû accepter de se placer sous la bannière d'Angela Merkel après avoir échoué de justesse à la chancellerie lors des élections de 2002, a estimé que les choses n'allaient pas de soi. "Il se peut qu'à la fin, la chancelière montre la direction, mais ce n'est possible qu'à petite dose dans une grande coalition", a déclaré le ministre-président de Bavière, qui s'est dit prêt à entrer au gouvernement à la tête d'un super ministère de l'économie et des technologies. Un de ses lieutenants, Michael Glos, a ajouté qu'il y avait "une différence" entre le droit constitutionnel et la réalité. "La grande coalition de la méfiance", titrait mercredi la Berliner Zeitung , alors qu'une éditorialiste de Bild , le grand quotidien populaire, regrettait que les hommes politiques aient autant de mal à "accepter que le pays soit dirigé par une femme".

Un autre sujet de discorde a surgi concernant les finances publiques. Depuis 2002, le pays enfreint la limite de 3% du PIB fixée par le pacte de stabilité de la zone euro pour le déficit budgétaire. Cela devrait être encore le cas cette année. Face à ce trou, la droite voudrait faire adopter un collectif budgétaire pour 2005, afin de faire un point sur l'état des lieux et d'adopter des crédits supplémentaires.

AFFAIRES COURANTES

"Nous devons montrer ce qui a mal tourné dans la planification du ministre des finances", a insisté M. Stoiber. Le titulaire du poste dans le gouvernement sortant, le social-démocrate Hans Eichel, s'y est vivement opposé. Le portefeuille des finances doit, en principe, rester aux mains du SPD.

Mme Merkel espère en avoir terminé avec les négociations d'ici au 12 novembre, pour que les partenaires soumettent leurs conclusions à leurs troupes respectives lors de congrès prévus dans la foulée. Ensuite seulement interviendra le vote d'investiture au Bundestag. Il n'est pas évident que, ce jour-là, tous les députés sociaux-démocrates se prononcent en faveur de Mme Merkel. "Les réserves sont très grandes"  à son encontre, en raison de ses convictions libérales, a fait remarquer Renate Schmidt, ministre (SPD) de la famille dans le cabinet sortant.

Jusque-là, le chancelier sortant, Gerhard Schröder, continuera à gérer les affaires courantes. Vendredi, il se rendra à Paris pour rencontrer le président Jacques Chirac et discuter du sommet européen prévu à la fin du mois, auquel il participera pour l'Allemagne. Mardi, M. Schröder a, pour la première fois, laissé entendre publiquement qu'il ne siégerait pas dans le prochain gouvernement, mais il participera aux négociations en vue de sa formation. Lors d'un discours, il a affirmé qu'il ferait en sorte que "ça se passe bien. C'est comme cela que j'interprète la mission qu'on a, même si on n'appartient plus au prochain gouvernement".

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 13.10.05


Le Monde / Europe
La droite allemande se veut consensuelle sur l'adhésion
FRANCFORT de notre correspondant

 E n présentant l'accord qui lui permet de devenir la chancelière d'un gouvernement de grande coalition entre les Unions démocrate-chrétienne et chrétienne-sociale (CDU-CSU) et le Parti social-démocrate (SPD), Angela Merkel s'est montrée consensuelle sur la politique extérieure de l'Allemagne, lundi 10 octobre, un signal sur le dossier de la Turquie.

"Je considère que les questions concernant la politique étrangère ne seront pas plus difficiles à résoudre que les questions de politique intérieure", a-t-elle déclaré, ajoutant qu'il existait "un accord sur les points fondamentaux" avec les sociaux-démocrates, auxquels doit revenir le portefeuille de la diplomatie allemande. Mme Merkel s'est contentée de préciser à propos des négociations sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne qu'elles "viennent seulement de commencer". Une façon d'en prendre acte.

Mme Merkel est personnellement à l'origine de l'idée d'un "partenariat privilégié" et non d'une adhésion pleine alors que le SPD de M. Schröder est très favorable à l'entrée de la Turquie dans l'UE.

Selon la presse allemande, Ankara ne s'attend cependant pas à une modification drastique de la position allemande, la présidente de la CDU ayant aussi indiqué dans le passé qu'elle respecterait les décisions de l'UE sur le dossier. Le président de la commission des affaires étrangères au Parlement turc, Mehmet Dulger, a noté lundi que Mme Merkel devrait tenir compte de la "nouvelle réalité" de l'ouverture des négociations. Il s'est réjoui de ce que le portefeuille des affaires étrangères en Allemagne revienne au SPD: "Je pense que la force de la pression qu'exercera l'Allemagne sur la Turquie ne sera pas aussi forte que si Mme Merkel avait eu une grande majorité."

Lundi 3 octobre, le porte-parole de la CDU pour les affaires étrangères, Friedbert Pflüger, avait indiqué que Mme Merkel soutenait la position de l'Autriche, qui bloquait l'ouverture des négociations et voulait voir mentionnée une alternative avant d'assouplir sa position. "Ce que Mme Merkel a initié avec sa position du partenariat privilégié a presque conduit à une crise profonde de l'Union européenne" , avait dénoncé le 5 octobre le vice-président du groupe parlementaire SPD, Michael Müller.

Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 13.10.05


Le Monde / Société
Front uni contre la loi sur la récidive

 "U nanimes", et se disant réunies "pour la première fois depuis vingt ans", treize organisations du monde judiciaire ont demandé, mardi 11 octobre, "au premier ministre et aux parlementaires" de retirer la proposition de loi sur la récidive qui doit être examinée en seconde lecture par l'Assemblée nationale, mercredi 12 et jeudi 13 octobre.

La "coordination des syndicats et associations professionnelles du monde judiciaire" (parmi lesquelles figurent l'Association des avocats conseils d'entreprises, la Fédération des jeunes avocats, le Syndicat des avocats de France, l'Association des avocats pénalistes, le Syndicat des personnels pénitentiaires de la FSU, le SNPES-PJJ, l'Union syndicale des magistrats, le Syndicat de la magistrature) "s'inquiète vivement devant la rétroactivité annoncée de certains éléments de la réforme sur la récidive, (...), s'indigne de ce qu'un ministre de la République, de surcroît garde des sceaux, ait appelé officiellement à la violation de la Constitution, (...) et appelle à la vigilance des citoyens français sur l'avenir de leur justice". Les signataires de cet appel demandent également au président de la République,"garant de la Constitution, de prévenir toute nouvelle atteinte à l'Etat de droit" , et aux parlementaires de "ne pas céder devant les pressions".

Article paru dans l'édition du 13.10.05


Le Monde / International
Près de Canton, un village contestataire vit dans la peur d'une milice locale
PÉKIN de notre correspondant

 D' abord, ils l'ont brutalement éjecté du taxi. Ensuite, ils l'ont roué de coups, l'ont piétiné, lui ont craché dessus avant de le laisser inconscient devant le journaliste britannique qui l'avait accompagné dans sa tournée d'un village "rebelle" de la province méridionale du Guangdong. Lu Banglie, militant de la cause paysanne chinoise, lui-même ancien maire et membre de l'assemblée populaire locale d'un district de sa province, le Hubei, revient de loin. Le 8 octobre, il a été brutalement agressé par un groupe d'hommes vraisemblablement aux ordres du chef du village de Taishi, non loin de Canton, et dont les administrés demandent le renvoi pour cause de corruption patente.

Le journaliste Benjamin Joffe-Walt, correspondant du quotidien The Guardian à Shanghaï, n'en est pas revenu d'un tel déchaînement de violences. Dans un article publié au lendemain de l'incident, il craignait que M. Lu n'ait succombé à l'agression à laquelle les autorités locales nient toute participation. Peu avant, une journaliste du quotidien hongkongais South China Morning Post, Liu Xiaoyin, et l'envoyé spécial de Radio France internationale, Abel Ségrétin, avaient eux aussi, mais de manière moins violente, été bousculés par d'autres membres de la "milice" locale. Joint par téléphone, mardi 11 octobre, Lu Banglie, rentré dans ses foyers, a indiqué "aller plutôt bien" même s'il continue de "souffrir de maux de tête et de troubles de la vision".

GRÈVES DE LA FAIM

L'affaire est désormais presque classique dans un contexte où les paysans spoliés de leurs terres sont de moins en moins enclins à rester cois devant les injustices liées à une urbanisation qui dévore les campagnes. A Taishi, depuis plusieurs semaines, s'est développé un mouvement paysan qui a récemment dégénéré en une violente confrontation avec la police. Grèves de la faim, occupations des locaux administratifs se sont multipliés pour protester contre les agissements du chef du village, un certain Chen Jinsheng. Celui-ci est accusé d'avoir illégalement vendu les terres paysannes ­ propriété de l'Etat ­ à des promoteurs immobiliers. Le maire est un élu ­ seul niveau de démocratie directe en Chine ­ mais les villageois de Taishi demandent qu'il soit limogé pour corruption.

Venu les soutenir, Lu Banglie est l'un de ces militants-fermiers qui, raconte-t-il, a pris conscience des nécessités d'une action non violente après avoir vu un film consacré à la vie du Mahatma Gandhi. Dans le climat actuel d'une Chine où les zones rurales sont le théâtre d'une aggravation des conflits, il s'agit pour lui de privilégier le dialogue, les pétitions contre les abus de pouvoir, et l'enseignement de ses droits à la population des campagnes.

"Je me suis toujours intéressé aux questions du développement économique et aux aspects juridiques", nous a expliqué au téléphone cet homme dont la mésaventure est commentée depuis le début de semaine sur les forums de discussion Internet. Selon lui, la contestation paysanne de Taishi est "significative, quelle qu'en soit l'issue". "Si la population ne parvient pas à se débarrasser de ce chef de village élu au printemps dernier, cela lui permettra de prendre conscience de l'importance du droit de vote: la prochaine fois, les gens feront peut-être attention à la personnalité qu'ils choisissent... Ce qui se passe est un événement crucial pour le développement de la démocratie en Chine !"

Bruno Philip
Article paru dans l'édition du 13.10.05


Le Monde / Médias
Le marché publicitaire français marque le pas en 2005

 L' ANNÉE publicitaire n'est pas encore terminée, mais, après un rebond marqué en 2004, l'heure est à la morosité sur le marché français. Et les espoirs d'une embellie restent limités.

"Le bilan n'est pas très bon cette année. Nous estimons que la croissance du marché publicitaire français, inférieure à celle des autres pays européens, devrait être comprise entre 1,2% et 1,5%. En euros constants, le marché français est même en légère baisse, alors que nos prévisions en début d'année tablaient sur une progression de 3,1%", constate Bruno Delecour, PDG d'OMD, filiale de conseil média de l'américain Omnicom."

Pour expliquer ce tassement, les regards se tournent vers les marques de grande consommation. Attaquées par les progrès du hard discount et des marques de distributeurs, et mises sous pression par la réforme de la loi Galland, elles ont coupé leur budget de communication.

La télévision en pâtit. Selon OMD, ses revenus publicitaires devraient stagner en 2005. Sur les neuf premiers mois de l'année, ils sont en retrait de 1%, selon TNS Media Intelligence. L'affichage est en légère baisse, de grandes enseignes, comme Carrefour, ayant réduit leur budget. La presse quotidienne nationale souffre aussi. OMD s'attend à une baisse de 3% à 4% de ses revenus publicitaires. TNS chiffre la réduction du nombre de pages de publicité à 11% sur les neuf premiers mois. Internet, lui, continue sur sa lancée, et l'évolution de la radio reste positive. "Pour 2006, nous tablons sur une progression du marché publicitaire de 2,5%" , conclut M. Delecour.

Laurence Girard
Article paru dans l'édition du 13.10.05


Le Monde / Sciences
La théorie des cordes fait vibrer un univers à 10 dimensions

 L es lignes qui suivent sont à déconseiller aux esprits fragiles et aux âmes mal trempées. Il y est question d'un monde insaisissable et vertigineux, d'un univers aux dimensions multiples: 10 au bas mot, à moins que ce ne soit 11, ou même... 26 ! Inconcevable pour un cerveau normalement constitué.

Pour le commun des mortels, il n'existe que quatre dimensions, trois spatiales et une temporelle. Encore percevons-nous volontiers le temps comme le faisait Newton, c'est-à-dire comme un paramètre absolu, un axe immuable. Nous savons bien sûr, depuis Einstein et la relativité générale, qu'espace et temps sont en réalité indissociables, que le temps est élastique et les longueurs contractables. Il n'empêche que le continuum espace-temps demeure, pour l'entendement ordinaire, un concept relativement flou...

Et voilà que les physiciens inventent de nouvelles dimensions, à en donner le tournis. Pour comprendre ce qui les amène à cette construction improbable, il faut rappeler que la physique moderne avance sur deux jambes.

D'un côté, la relativité générale d'Einstein. Décrivant le comportement des corps soumis à la gravitation, ou gravité, elle s'applique à la structure à grande échelle de notre univers. A l'autre extrémité, la mécanique quantique rend compte du comportement des particules élémentaires à une échelle infinitésimale.

LA "GRANDE UNIFICATION"

La mécanique quantique a donné naissance, dans les années 1970, à un superbe modèle, le "modèle standard". Il postule, vérifications expérimentales à l'appui, que l'univers est formé, en tout et pour tout, de 12 particules de matière, 6 quarks et 6 leptons, et de 4 particules porteuses de forces. Mais ce modèle n'intègre que trois de ces forces, celles qui interviennent à l'échelle atomique ou subatomique: la force électromagnétique liant les électrons aux noyaux et deux forces à l'oeuvre à l'intérieur des noyaux, la force faible et la force forte. Le modèle laisse de côté la quatrièmeforce, la gravité, aux effets négligeables à l'échelle des particules élémentaires mais qui, aux échelles plus importantes, domine pourtant.

Jusqu'à présent, les physiciens n'ont pas réussi à faire marcher ces deux jambes du même pas. Si bien que leur représentation de l'Univers claudique. C'est ici qu'intervient la théorie des cordes, qui se propose de réconcilier relativité générale et mécanique quantique. De réaliser la "grande unification". Bref, de livrer la clé ultime de l'univers.

La porte a été entrouverte par l'Italien Gabriele Veneziano. C'était en 1968. Il travaillait alors sur les interactions nucléaires fortes. "Nous avons mis en évidence une propriété un peu bizarre, une dualité comparable à la double nature ­ ondes et particules ­ de certains constituants de la matière, relate-t-il. Et nous nous sommes aperçus que cette propriété supposait l'existence de particules dont le spectre d'excitation ressemblait au spectre de fréquences d'une corde musicale." La théorie des cordes était née. Elle allait connaître plusieurs rebondissements. A partir du milieu des années 1970, le succès du modèle standard l'éclipse. Seule une poignée de physiciens dans le monde continuent à s'y intéresser.

Par un renversement conceptuel dont la science est friande, la théorie des cordes effectuera un retour, non plus à partir de l'étude des interactions fortes, mais de la gravitation. Plus exactement, comme "théorie quantique de la gravitation". Elle suppose en effet l'existence de plusieurs particules de masse nulle, dont le graviton, lequel porterait la force de gravité jusqu'alors exclue du modèle standard. La jonction entre mécanique quantique et relativité était faite. "Le rêve poursuivi toute sa vie par Einstein, commente Gabriele Veneziano , – était – enfin réalisé."

M COMME "MYSTÈRE"

La théorie des cordes suscite, à partir du milieu des années 1980, un engouement qui ne se démentira plus. Elle s'enrichira d'une théorie des supercordes. Et se déclinera en cinq versions, dont subsiste aujourd'hui une principale, dite théorie M, comme "mystère".

Que dit cette théorie ? Que les constituants ultimes de la matière ­ les quarks ou, s'il en existe, des particules encore plus petites ­ ne ressemblent pas à des points, mais à des cordes vibrantes, c'est-à-dire à des objets unidimensionnels étendus dans l'espace, pouvant être ouverts ou fermés en boucle.

Inutile de chercher à voir ces vibrionnants choristes: la taille d'une corde serait de l'ordre de 10 ­ 34 mètre. Elles ne peuvent s'exprimer, disent les équations, que dans un univers comptant, au minimum, 6 dimensions spatiales supplémentaires par rapport aux 3 que nous connaissons. Ce qui porte à 10 le nombre de dimensions du monde des cordes. Certains physiciens en ajoutent une, ce qui mène à 11... C'est beaucoup, mais bien moins que les 26 dimensions un moment supposées, avant que la théorie des supercordes ne fusionne des cordes interagissant entre elles pour obtenir un nombre moins extravagant.

Comment se représenter l'inimaginable ? Pas question, ici, d'univers parallèles. Les dimensions supplémentaires s'apparenteraient plutôt, décrit Gabriele Veneziano, à des boucles microscopiques. Leur taille, qu'elle reste de l'ordre de celle des cordes elles-mêmes ou atteigne 1 millimètre, les rend inaccessibles à nos sens. Pour que nous percevions ces infimes circonvolutions de notre espace-temps, il faudrait être à leur échelle.

Si spéculative soit-elle, la théorie des cordes séduit un nombre croissant de physiciens. Aujourd'hui, plusieurs milliers de "cordistes" sur la planète rêvent de valider ces hypothèses dans le nouveau grand collisionneur de particules du CERN de Genève ou en observant les traces d'un hypothétique pré-Big Bang, quand l'espace-temps avait peut-être la taille d'une corde. "Le modèle standard a mis des dizaines d'années avant d'être formalisé, dit Gabriele Veneziano. Patience !"  Façon de donner du temps à l'espace-temps multidimensionnel.

Pierre Le Hir
Article paru dans l'édition du 14.10.05


Le Monde / Sciences
Stephen Hawking et Brian Greene, champions de la vulgarisation

 E space-temps, théorie des cordes, relativité générale, mécanique quantique... Alors que la vulgarisation de telles notions paraît improbable, de nombreux chercheurs relèvent le défi. Parmi eux, Stephen Hawking, célèbre, aussi, pour sa maladie de Charcot, et Brian Greene se distinguent en raison du succès planétaire de certains de leurs livres. Une brève histoire du temps , publiée en 1988 par le premier, se serait vendue à quelque 25 millions d'exemplaires. L'Univers élégant , édité par le second en 1999, doit se contenter, pour l'instant, d'avoir dépassé le million de copies, selon l'éditeur Robert Laffont. En revanche, trois documentaires d'une heure chacun ont été réalisés à partir de l'ouvrage de Brian Greene, avec un budget de 3,5 millions de dollars et diffusés sur la chaîne américaine Nova (Le Monde du 15 octobre 2004).

la science à la fête

La 14e Fête de la science a ouvert ses laboratoires. Cette année, elle se déroule en même temps que la seconde édition de la Fête du livre de science et que le premier festival international du film scientifique, Pariscience.

Fête de la science 2005: jusqu'au dimanche 16 octobre. http://www.fetedelascience.education.gouv.fr

Fête du livre de science: du vendredi 14 au dimanche 16 octobre. Cité des sciences et de l'industrie de La Villette à Paris. http://www.lire-en-fete.culture.fr

Pariscience, festival international du film scientifique: du jeudi 13 au samedi 15 octobre. Museum nationale d'histoire naturelle http://www.pariscience.fr

Les deux auteurs continuent à alimenter ces "lecteurs" dont beaucoup ont l'honnêteté de reconnaître qu'ils n'ont pas dévoré de tels ouvrages "jusqu'au bout". D'où l'idée de Stephen Hawking de faire un pas de plus vers eux, histoire d'améliorer le nombre de lecteurs parmi les acheteurs.

Cette motivation a conduit l'auteur à publier Une belle histoire du temps (A Briefer Story of Time, en anglais). Version du texte de 1988 allégée et mieux illustrée, le livre est également complété. Avec, par exemple, l'exposé des progrès récents de la théorie des cordes, sans pour autant qu'un crédit particulier lui soit accordé. Stephen Hawking s'interroge même: "Se pourrait-il qu'il n'existe pas de théorie unifiée ?" Il n'écarte pas totalement cette hypothèse. Et il glisse, en conclusion, du comment au pourquoi: "La théorie unifiée serait-elle dotée d'une telle force qu'elle se mettrait au monde elle-même ?"  Rejoignant les questions d'Einstein, le chercheur s'interroge sur "le pourquoi de notre existence et de notre univers" . Le livre s'achève sur le mot "Dieu" .

MOBILISER ACHILLE TALON

Dans la même veine des rééditions, paraît A l'image des géants , une version allégée et illustrée de Sur les épaules des géants , publié par Stephen Hawking en 2003. Brian Greene, lui, ne fait pas dans l'amaigrissement avec La Magie du Cosmos et ses 600 pages de texte. Mais son talent de vulgarisateur est unique. Après la théorie des cordes de L'Univers élégant , il élargit son propos en parcourant l'ensemble de la physique du XXe siècle.

Les analogies, les historiettes illustratives s'enchaînent, mobilisant Achille Talon et Gaston Lagaffe ou Scully et Mulder, les héros de la série télévisée "X Files", pour ne jamais laisser le lecteur décrocher. Ce qui ne l'empêche pas de publier une page entière de chiffres en développant 101878, le nombre de combinaisons des pages de Guerre et paix en proie au désordre d'une forte entropie.


La Magie du Cosmos , de Brian Greene, éd. Robert Laffont, 672 p., 24 €.

Une belle histoire du temps , de Stephen Hawking, éd. Flammarion, 188 p., 23 €.

A l'image des géants , de Stephen Hawking, éd. Dunod, 244 p., 29 €.

Michel Alberganti
Article paru dans l'édition du 14.10.05


Le Monde / France
Les députés durcissent le texte sur la récidive pénale sans rencontrer d'opposition radicale chez les socialistes

 L a discussion en deuxième lecture à l'Assemblée nationale de la proposition de loi sur la récidive pénale s'est ouverte, mercredi 12 octobre, dans un climat paradoxal. Alors que le gouvernement et la commission des lois s'apprêtent à introduire de nouvelles dispositions plus contraignantes, la gauche, et particulièrement le PS, adopte un profil plutôt conciliant. "Entre les deux lectures, nous avons travaillé ", expliquait le président du groupe PS, Jean-Marc Ayrault, à la veille de l'ouverture du débat. "Nous n'avons pas l'intention de passer pour laxistes."

En défendant à la tribune l'exception d'irrecevabilité, Christophe Caresche (PS, Paris) devait confirmer cette volonté de "traiter ce sujet grave de façon responsable" , rappelant notamment la loi sur la surveillance électronique votée en 1997 sous le gouvernement de Lionel Jospin. Le porte-parole du PS s'est volontairement écarté d'une opposition systématique. "Nous ne récusons pas le bracelet électronique mobile" , a précisé d'emblée le député de Paris, qui avait déclaré auparavant ne pas avoir d'objection de principe: "Ce n'est pas la solution miracle, mais nous n'y sommes pas hostiles."

M. Caresche a cependant exprimé des "réserves" sur les propositions du ministre de la justice, Pascal Clément, concernant la surveillance judiciaire dans le cadre des réductions de peine. Ainsi le PS propose-t-il d'assortir la sortie de prison, "même après réduction de peine" , d'un suivi médical contraignant pour les condamnés à de longues peines. "Tout condamné, notamment en matière de délinquance sexuelle, devrait bénéficier, pendant et après sa peine, d'un suivi médico-psychologique" , a estimé M. Caresche, approuvé par M. Clément.

Selon le garde des sceaux, c'est la "certitude de la peine" qui doit être au coeur du texte. Ainsi le mot "punition" entre-t-il dans le code pénal. Celui-ci sera complété pour affirmer que les peines sont fixées "de manière à concilier la protection effective du condamné, la punition du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'amendement du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions" . Le mot "réinsertion", présent dans les décisions du Conseil constitutionnel sur le sens de la peine, lui, disparaît.

Avant l'ouverture des débats, la commission des lois avait accepté une série de nouveaux amendements. Les députés ont adopté en séance, mercredi soir, celui défendu par Georges Fenech (UMP, Rhône), interdisant toute réduction de peine aux personnes condamnées pour des crimes ou délits de nature sexuelle ayant refusé un suivi socio-judiciaire ou un traitement qui leur auraient été proposés en détention.

Les députés ont également adopté un amendement du rapporteur, Gérard Léonard (UMP, Meurthe-et-Moselle), restreignant l'application de la loi Kouchner qui prévoit une suspension de peine pour les condamnés dont l'état de santé est incompatible avec le maintien en détention. L'amendement propose que la suspension de peine puisse être refusée dès lors qu'elle est "susceptible de provoquer un trouble exceptionnel à l'ordre public ou s'il existe un risque particulièrement élevé de récidive du condamné" . Selon M. Léonard, cette mesure relève d'"une exigence de simple morale" .

La commission des lois a par ailleurs accepté, sur la proposition du rapporteur, un amendement autorisant le placement d'un mineur en centre éducatif fermé, pour une durée de quatre mois renouvelable une fois, "dès lors que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes un risque d'une exceptionnelle gravité" . La proposition défendue à l'origine par Thierry Mariani (UMP, Vaucluse), qui tend à aligner la détention des mineurs sur celle des personnes majeures, suggérait que le placement puisse être renouvelable sans limitation de durée.

Nathalie Guibert et Patrick Roger
Article paru dans l'édition du 14.10.05


Le Monde / France
Le garde des sceaux fâché avec les chiffres

 A ucun chiffre ne permet à lui seul d'embrasser la réalité de la récidive: c'est un risque très variable, moins de 0,5 % pour les meurtriers, 75 % pour les voleurs agissant sans violence. Le garde des sceaux, Pascal Clément, a buté sur cette difficulté en livrant, le 27 septembre, un chiffre faux sur le nombre de condamnés potentiellement récidivistes auxquels pourrait être imposé le bracelet électronique.

Le chercheur du CNRS Pierre Tournier, auteur avec Annie Kenzey des principales études statistiques françaises sur la récidive ( Le Monde du 29 juin), a démontré que les comptes du ministre de la justice étaient complètement erronés. "Quand vous avez 55 000 détenus (...), que vous avez grosso modo 40 % de ces détenus qui sont en prison pour délits ou crimes sexuels, même si la statistique est de l'ordre de 2 % à 2,5 % de récidivistes potentiels, vous vous apercevez que c'est 600 à 800 détenus qui, une fois dehors, pourraient commettre un nouveau crime sexuel", avait affirmé M. Clément sur France-Info. Le nombre d'agresseurs sexuels susceptibles de récidiver dans les cinq ans suivant leur sortie de prison s'établit en réalité à 40 par an.

La première erreur procède du calcul lui-même: un taux de 2,5 % de récidivistes parmi 40 % de détenus auteurs d'infractions sexuelles, sur une population emprisonnée de 55 000, donnerait 550 personnes potentiellement concernées et non de 600 à 800. Mais le nombre des détenus, au 1er septembre, s'établissait à 56 600. Parmi eux, on ne comptait pas 40 %, mais 20 % de condamnés pour infractions sexuelles. "La proportion de personnes détenues plus précisément pour "viols et autres agressions sexuelles" n'est connue que pour les condamnés" , précise M. Tournier, "et elle s'établit à 20,8 % au 1er juillet."

La troisième erreur vient du taux de récidive. Le taux de nouvelles condamnations pour crime, cinq ans après la libération, est de 1 % pour les sortants de prison initialement condamnés pour viols et autres agressions sexuelles criminelles sur mineur, et de moins de 0,5 % pour les auteurs d'agressions délictuelles sur mineurs. "Nous n'avons pas de données sur les condamnés pour viols et autres agressions sexuelles sur majeur" , poursuit le chercheur, mais ils représentent moins de 30 % de l'ensemble des détenus condamnés pour ces motifs. M. Tournier retient donc le taux de 1 %. Ce qui donne donc: 56 600 × 20 % × 1 % = 113 personnes.

STOCKS ET FLUX

En retenant un taux de 2,5 %, fourni par la sous-direction statistique du ministère de la justice, le garde des sceaux évoque, en fait, la part des condamnés d'une année donnée qui ont des antécédents judiciaires au moment de leur condamnation. Il s'agit d'un regard vers le passé et non d'une indication pour le futur du risque de récidive. "Avec ces chiffres, on peut pour l'essentiel étudier la façon dont les juridictions de jugement tiennent compte, dans le choix de la peine, du poids du passé judiciaire" , ajoute M. Tournier.

La dernière erreur vient d'une confusion entre les stocks de détenus et les flux des sortants de prison: "Pour évaluer le nombre de sortants de prison qui vont de nouveau commettre un crime, il faut raisonner en flux de sortants et non en stocks de présents." La durée moyenne effective de détention des condamnés pour viols et agressions sexuelles est de 2,6 ans. Le nombre de sorties annuelles est le rapport entre le stock de prisonniers et la durée de détention: ce calcul débouche sur 43 récidivistes potentiels, chaque année, chiffre que le chercheur corrige à 40 pour tenir compte du fait que certains prisonniers, placés en détention provisoire, ne seront pas condamnés.

"Notre estimation est 20 fois plus faible que celle du garde des sceaux, conclut Pierre Tournier. "Il reste que ces 40 sortants qui vont récidiver représentent un défi pour l'appareil judiciaire et pour l'ensemble de la société, d'autant que chacun peut faire nombre de victimes".

N. G.
Article paru dans l'édition du 14.10.05


Le Monde / Sports
Cinq journalistes mis en examen dans l'affaire Cofidis

 L a mise en examen, mercredi 12 octobre, de deux journalistes de L'Equipe a été suivie de celle, jeudi 13 octobre, de trois de leurs collègues du Point – Christophe Labbé, Olivia Recasens et Jean-Michel Decugis. Selon des sources judiciaires proches du dossier, instruit au tribunal de Nanterre, ils sont soupçonnés de "recel de violation du secret de l'instruction" pour avoir publié, avant même leur versement au dossier de l'instruction, des écoutes téléphoniques des coureurs et soigneurs de Cofidis, à la suite de l'enquête sur un trafic présumé de produits dopants au sein de cette équipe cycliste.

Les journalistes du Point "ont fait, et bien, leur travail. Cette procédure est une atteinte à la liberté de la presse", ont dénoncé les avocats de l'hebdomadaire, Mes Renaud Le Gunéhec et Xavier Normand-Bodard. Les directeurs de publication des deux médias ont estimé que l'affaire posait le problème de la défense du métier de journaliste et d'un de ses éléments, la protection des sources. "On va mener la bataille, car on a le sentiment de mener un combat pour l'ensemble de la profession et les racines mêmes du métier", a martelé Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point.

"Cette mise en examen nous permet sans doute d'obtenir une avancée sur le principe intangible à notre profession sur le secret des sources", avait pareillement déclaré Claude Droussent, directeur des rédactions de L'Equipe. "Les enquêteurs cherchent les sources et ne les ont pas trouvées. C'est l'essentiel pour nous. Mais comme ils ne ramènent rien dans leurs filets, ils ramènent des journalistes", a estimé une source proche des rédactions concernées, qui affirme que les journalistes ont été placés sur écoutes par l'inspection générale des services (IGS, police des polices), chargée de l'enquête. Le parquet de Nanterre n'a ni confirmé ni infirmé cette information.

Le parquet de Nanterre avait ouvert, début 2004, une information judiciaire pour violation du secret de l'instruction, après un article du Point  du 22 janvier, dans lequel était publiée l'intégralité des transcriptions d'écoutes téléphoniques de coureurs et soigneurs de Cofidis, puis la publication dans L'Equipe, le 9 avril 2004, de larges extraits des procès-verbaux d'audition de plusieurs coureurs de Cofidis.

LA POLICE À L'ORIGINE DES FUITES

En janvier 2005, l'affaire avait soulevé un tollé dans le monde de la presse à la suite des perquisitions menées dans les locaux du Point et de L'Equipe, ainsi qu'aux domiciles des deux journalistes du quotidien sportif, entraînant des saisies de disques durs d'ordinateurs et d'agendas.

Aux yeux de la justice, qui emploie très rarement de telles méthodes contre des journalistes, l'affaire est particulière. Les publications des procès-verbaux d'écoutes téléphoniques sont, en effet, intervenues avant leur versement par la police au dossier d'instruction Cofidis. L'origine policière des fuites est donc évidente aux yeux des juges de Nanterre.

La violation du secret de l'instruction, auquel sont tenues les personnes qui "concourent à la procédure" (magistrats, greffiers, enquêteurs) mais pas les journalistes, est éventuellement caractérisée en cas de transmission et de publication de documents de l'enquête. Le juge doit cependant identifier la source des journalistes pour être à même de poursuivre. Mais la loi accorde aux journalistes le droit de refuser de livrer cette source.

Concernant l'affaire Cofidis elle-même, le juge d'instruction Richard Pallain a clos son instruction en août, et mis en examen neuf personnes – coureurs ou ex-coureurs cyclistes, soigneur et directeur sportif – pour "infraction à la législation sur les produits stupéfiants et infraction à la législation sur les substances vénéneuses". En octobre 2004, la mise en examen pour dopage du coureur de l'équipe Cofidis Cédric Vasseur fut annulée, après l'apparition dans le dossier d'instruction de faux procès-verbaux d'interrogatoires du coureur. La brigade des stupéfiants fut dessaisie de l'enquête, finalement close en septembre dernier.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 13.10.05 | 15h36


Le Monde / Horizons
Reportage
Le voyage de Vargas Llosa au cœur du conflit israélo-palestinien

L'écrivain sud-américain Mario Vargas Llosa a été journaliste à l'Agence France-Presse. | AP/MIGUEL GOMEZ
AP/MIGUEL GOMEZ
L'écrivain sud-américain Mario Vargas Llosa a été journaliste à l'Agence France-Presse.

 P nina, née à Jérusalem pendant la guerre de six jours, en 1967, fille d'un couple de juifs religieux à vocation de pionniers, a toujours été ravie de parler espagnol. C'est pourquoi, sitôt achevées ses deux années de service militaire, elle est allée à Salamanque se perfectionner, puis a voyagé en Argentine, au Brésil et au Chili, avant de rentrer en Israël. Elle travaillait comme guide touristique quand elle a connu celui qui est maintenant son mari, l'ophtalmologue colombien Isaac Aizenman. Celui-ci faisait un voyage d'agrément et n'avait jamais pensé vivre en Israël, mais l'amour changea ses plans et l'incita à faire son alyah - littéralement "montée vers Israël" en hébreu -. Pnina et Isaac se sont mariés et ont eu, en 1997, leur premier enfant, une fille qu'ils ont appelée Gal, et le second trois ans après, Saggi.

Sur l'auteur

Mario Vargas Llosa est né à Arequipa, au Pérou, en 1936. Il a pris la nationalité espagnole en 1993. Il est depuis les années 1950 l'un des chefs de file de la littérature latino-américaine, avec des romans tels que La Ville et les chiens, La Maison verte, Tante Julia et le scribouillard. Il publie fin octobre Le Dictionnaire amoureux de l'Amérique latine chez Plon.

Pnina parle un espagnol parfait, avec un accent chantant colombien; c'est, à 38 ans, une très belle femme, mais il y a dans ses grands yeux et son teint si pâle quelque chose de glacé, une tristesse qui semble être sa seconde nature. A en juger d'après les photos qu'elle nous montre, sa fille, Gal, était, elle aussi, très jolie: boucles dorées, yeux verts, sourire coquin, joie de vivre. Elle apprenait la danse et aimait se déguiser en Mickey.

Le mercredi 19 juin 2002, Noa, la mère de Pnina, qui travaillait dans le jardin d'enfants d'une implantation proche de Ramallah, à Ofra, avait invité sa fille et ses deux petits-enfants à un spectacle qu'elle avait organisé.

"C'était l'époque de l'Intifada et on ne pouvait aller nulle part, à cause des attentats, dit Pnina. J'ai quitté Maalé Adoumim - colonie juive à la lisière de Jérusalem-Est - à deux heures de l'après-midi, avec mes deux enfants, et nous sommes allés à l'arrêt de French Hill, où nous avons pris un autobus blindé qui nous a conduits à Ofra. Saggi et Gal ont été enchantés par le concert. Nous sommes rentrés à Jérusalem avec Noa, ma mère, qui voulait me donner un coup de main à la maison. Nous avons repris l'autobus blindé qui nous a laissés au même arrêt que l'après-midi. Là, nous devions retrouver Isaac et rentrer chez nous, à Maalé Adoumim."

Nous bavardons sur une terrasse de Jérusalem, par une matinée ensoleillée, entourés de pierres dorées qui semblent scintiller. Je dis à Pnina de ne pas m'en dire plus, si c'est trop douloureux pour elle. "Non, non , me répond-elle sur le champ, vous devez savoir." Mais en vérité, ce qu'elle veut dire c'est: "Le monde, l'univers doivent savoir." "Nous traversions en direction du coin de rue où avait dû stationner Isaac. Ma mère marchait devant, tenant la main de Gal, et moi derrière, avec Saggi, au milieu d'une foule de gens. Je ne me souviens de plus rien."

Elle s'est réveillée des heures plus tard à l'hôpital, avec des brûlures sur le corps et une très forte douleur à la tête. On avait pratiqué sur elle la respiration artificielle. Gal et sa grand-mère Noa furent deux des sept personnes tuées par l'explosion de la bombe du terroriste-suicide, un militant des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, liées au Fatah d'Arafat. Il y eut beaucoup de blessés, parmi lesquels le petit Saggi, que la police découvrit assis par terre, muet et paralysé de terreur, entouré de restes humains sanguinolents. Pour faire plus de mal, la bombe avait été remplie de pointes et de clous, dont quelques-uns s'étaient incrustés dans le corps de l'enfant qui, heureusement, put être sauvé.

"Quand Isaac m'a dit que ma mère et ma fille étaient mortes, quelque chose est mort aussi au fond de moi, dit Pnina. J'ai voulu disparaître, m'évaporer. Mais, en faisant un énorme effort, Isaac et moi avons décidé que non, qu'il fallait vivre, pour Saggi, pour mon père. Et nous avons eu deux autres enfants. La petite s'appelle Noga, une synthèse des prénoms de ma mère et de ma fille: Noa et Gal." Pnina a publié un livre de poésies pour enfants, intitulé Poèmes à Gal.

L'une des conséquences de cet attentat, c'est qu'elle vit depuis lors toujours accompagnée par "l'ombre de la terreur". Saggi aussi souffre de crises de peur panique. Quant à elle, son rapport à Dieu a changé. "Je suis fâchée avec Lui, maintenant je ne peux plus allumer les bougies, dit-elle, avec une sérénité glaciale encore plus émouvante que si elle pleurait ou criait. Je me demande toujours: où est, où était Dieu ce jour-là ? Isaac, en revanche, est devenu beaucoup plus religieux depuis, et c'est pour cela que nous respectons le shabbat."

Comme Pnina, Ariel Scherbakovsky est né à Jérusalem, il y a vingt-cinq ans, mais il vit maintenant à Tel-Aviv, où il me reçoit dans son petit appartement bohème et joyeux dont le balcon est envahi par un ficus. Venant de cette ville accablée d'histoire, oppressante et réactionnaire qu'est Jérusalem, Tel-Aviv représente le visage le plus ouvert, moderne et démocratique d'Israël. Fils d'Argentins immigrés, Ariel parle l'espagnol expressif de Buenos Aires. Il me dit que sa vie a commencé vraiment à 13 ans, quand il a découvert les Beatles. Il a su, grâce à eux, que sa vocation était la musique.

C'est un garçon de haute taille et un peu timide, à l'évidence un chic type, avec quelque chose de limpide et de généreux. Il vit avec une jeune femme toute mince, au beau sourire, également musicienne, d'origine australienne: Sagit Shir. Il nous raconte qu'il se trouvait la nuit du 30 avril 2003 dans un lieu connu de tous les noctambules et amateurs de jazz à Tel-Aviv, le pub Mike's Place, sur la Promenade maritime, où son ami batteur Shai Iprach et lui dirigeaient une jam-session très courue. C'était une époque d'attentats qui avaient vidé la vie nocturne d'Israël, mais au Mike's Place beaucoup de jeunes continuaient de venir.

Il était une heure et demie du matin, et Ariel se rappelle que, dans le local bondé, il y avait un vieux qui distribuait de la marijuana à l'assistance. A cette heure-là, il se sentit exténué et sortit respirer l'air de la mer, à la porte du Mike's Place. "Cette jam est fort mauvaise, je ne jouerai plus jamais de blues", dit-il à sa fiancée. A cet instant, la bombe explosa.

Le terroriste se trouvait à l'extérieur. Peu avant, il était entré pour explorer l'établissement et avait bu une bière. Il était sorti puis avait tenté de rentrer de nouveau, mais l'agent de sécurité l'en avait empêché. Ils en étaient venus aux mains et c'est alors que le terroriste a fait exploser la charge qu'il portait sous ses vêtements. Il y eut trois morts et une cinquantaine de blessés, parmi lesquels Ariel et Sagit. Les blessures de la jeune femme n'étaient pas graves, mais lui eut une grande partie du corps brûlé, avec beaucoup de clous et d'esquilles incrustés. Il ne perdit pas connaissance, ou seulement quelques secondes.

Il se rappelle qu'il cherchait Sagit, hébété, et il se rappelle aussi la peur panique, totale, qui s'était emparée de lui. Une photo le montre baignant dans son sang et l'air hagard, comme s'il ne savait pas où il se trouvait, qui il était, ni ce qui s'était passé. Ce n'est que pendant son transfert à l'hôpital que la douleur devint insupportable. Il resta un mois et demi en soins intensifs, trois semaines endormi et sous respiration artificielle. Alors qu'il était en convalescence, il apprit que les terroristes étaient deux musulmans britanniques, d'origine pakistanaise, qui vivaient à Londres et avaient été recrutés et entraînés par le Hamas.

"Je n'ai pas eu beaucoup de séquelles et aucun traumatisme, dit-il, comme pour s'excuser. Seulement une grande tristesse, que rien ne pouvait me faire passer. Un des morts était un grand ami, un guitariste. Une tristesse pour tout le monde, qui devient parfois comme quelque chose de physique. Et je ne peux plus m'exposer au soleil, parce que j'ai la peau abîmée. Ce qui m'a fait du bien c'est de me remettre à la basse et, surtout, dès que j'ai pu marcher, de refaire de la musique, la nuit, au Mike's Place."

Ariel ne s'est jamais intéressé à la politique. Il n'éprouve pas de haine, pas même pour le terroriste qui a failli les tuer, Sagit et lui. "C'est un monde fou , dit-il. Je ne comprends pas ces gens qui considèrent la terre comme quelque chose de sacré, et que la terre rend fanatiques. Je soutiendrai tout accord qui apporterait la paix, même s'il fallait rendre aux Palestiniens une partie de Jérusalem. Je sais qu'on a commis à leur égard beaucoup d'injustices."

Il n'y a pas une once d'affectation dans ses propos, il parle avec la sincérité désarmante d'un garçon qui voudrait que la vie soit moins brutale et compliquée qu'elle ne l'est parfois en Israël pour ces jeunes qui doivent passer trois, et parfois quatre de leurs meilleures années, à faire une guerre qui n'a souvent rien d'héroïque, et qui peut être très sale.

Qui sont les terroristes qui, depuis le début de la deuxième Intifada, entre 2001 et 2005, ont assassiné près d'un millier d'Israéliens et blessé et traumatisé plusieurs milliers d'autres dans des attentats-suicides, comme ceux dont ont été victimes la fille et la mère de Pnina ou bien Ariel et Sagit ? Beaucoup ­ - peut-être la majorité mais sûrement pas tous ­ - sont des fanatiques religieux, convaincus par les prédications d'imams extrémistes que cette forme d'immolation est le plus haut service que peut rendre le croyant à Allah, ce dont profitent politiquement les organisations radicales comme le Hamas et le Djihad islamique.

Mais la folie et la stupidité du fanatisme religieux n'expliquent pas la conduite de tous les terroristes-suicides. Cela m'a été affirmé, par exemple, par plusieurs Palestiniens qui, comme les docteurs Haidar Abd Al-Shafi ou Mustapha Barghouti, condamnent avec toute leur énergie cette pratique horrible. Pour eux, ce qui pousse le plus souvent à commettre ces crimes aveugles s'appelle le désespoir, la frustration, la misère et, surtout, la conviction que leurs vies ne sortiront jamais du puits noir où elles languissent.

Le docteur Mahmoud Sehwail, un psychiatre qui dirige un centre pour victimes de tortures à Ramallah ­ - et avait suivi ses études médicales à Saragosse ­-, m'assure lui aussi que seul un petit nombre des kamikazes est animé par le fanatisme religieux. "Dans bien des cas, il s'agit de gens désespérés, parce qu'ils ont perdu leurs parents, leurs frères, leurs enfants, ou sont restés sans travail et voient mourir de faim leur famille, sans pouvoir rien faire. Le Hamas et le Djihad islamique se servent de l'effondrement moral, du ressentiment et de la haine que provoquent ces situations extrêmes, pour fabriquer le terroriste-suicide."

Quelques jours après cette conversation, je suis informé d'un cas, arrivé à Ramallah, qui corrobore cette thèse. Un jeune Palestinien a essayé de se faire exploser en se lançant contre l'une des barrières militaires israéliennes installées dans le mur qui, peu à peu, entoure la ville. Mais la dynamite qu'il portait sur lui n'a pas explosé.

Ce n'était pas un religieux pratiquant. Il sortait d'un camp de réfugiés. Il avait planifié son action pour qu'après sa mort les organisations islamiques aident financièrement sa famille qui, jusqu'à présent, dépendait de lui, et que, faute de travail, il n'était plus en mesure d'aider. Il ne prétendait pas servir Dieu par sa mort, ni même la cause palestinienne. Seulement apporter un peu de pain à ses parents, frères et soeurs.

La première terroriste palestinienne fut Wafa Idris, une infirmière de 29 ans, de Ramallah, qui avait obtenu son diplôme professionnel trois mois à peine avant le 27 janvier 2002, où elle s'est fait sauter rue Jaffa, à Jérusalem, tuant une personne et en blessant près de 140. Elle vivait au camp de réfugiés d'Amari, qui existe depuis 1948 dans la banlieue de Ramallah.

Comme tous les camps de réfugiés que j'ai visités, c'est un labyrinthe de ruelles étroites et jonchées d'ordures, où les baraques en terre et en bois, certaines en matière noble mais presque toujours inachevées, se chevauchent et s'incrustent les unes dans les autres, dans un désordre indescriptible. Quelque 6 000 personnes vivent là. Et de tous côtés surgissent des gosses qui assourdissent le matin de leurs cris aigus.

La pauvreté est générale, mais dans ce camp il y a moins de découragement et de ruine morale que ce que j'ai vu dans ceux de Gaza. Tous les habitants que j'interroge m'assurent qu'ils n'auraient jamais imaginé que leur amie Wafa Idris aurait pu faire ce qu'elle a fait.

C'est ce que me dit aussi sa mère, une dame de 70 ans. Les murs de son logement sont couverts de diplômes, de photos et de souvenirs de sa fille, ainsi que de drapeaux du Fatah et d'affiches qui rendent hommage "à l'héroïne et à la martyre" . Ni elle ni ses trois enfants ne se sont doutés de ce que Wafa Idris se proposait de faire. Elle n'était pas très religieuse et ne s'habillait même pas avec la modestie exigée pour les croyantes pratiquantes. En effet, sur maintes photos on la voit vêtue à l'occidentale, et cheveux au vent. C'était une jeune femme orgueilleuse et d'une grande dignité, c'est pourquoi elle n'avait pas pleuré ni ne s'était plainte quand son mari l'avait répudiée en raison de son incapacité à lui donner un fils. Mais, au fond d'elle-même, quelque chose s'était brisé et la tourmentait depuis. Etait-ce peut-être ce drame qui la poussa à s'offrir au Fatah comme "martyre" ?

Sa mère semble hébétée, plongée dans un vertige, et laisse de longs intervalles de silence avant de répondre. "Elle l'a peut-être fait pour son frère Jaleel, mon fils, qui est resté huit ans détenu et que les juifs ont torturé en prison" , dit-elle enfin. Quand elle a vu à la télévision le visage de sa fille et a su ce qu'elle avait fait, elle s'est évanouie. Elle s'est réveillée à l'hôpital et a beaucoup sangloté. Maintenant, elle a cessé de pleurer. Elle dit que si elle avait su ce que sa fille prétendait faire, elle l'aurait peut-être empêchée. Mais elle ne regrette pas qu'elle l'ait fait. "C'est une guerre. Ils tuent et il faut les tuer aussi. Les bombes aident le peuple." C'est une femme presque sans yeux, deux rainures d'où toute lumière a disparu. Elle parle comme si elle récitait une prière. "Ma fille est maintenant au paradis. Je la verrai bientôt là-bas."

Toute analyse sur le conflit israélo-palestinien doit aujourd'hui donner une importance névralgique aux attentats-suicides, sans lesquels il serait difficile de comprendre l'impasse et l'hostilité réciproque auxquelles il est parvenu. Les attentats ont causé d'immenses souffrances mais aussi paranoïa, peur, rancoeur, désirs de vengeance. Et, en dernier lieu, ils ont apporté sur un plateau le prétexte rêvé aux extrémistes de la droite israélienne pour justifier des mesures de répression et d'intimidation contre la population palestinienne, mesures qui, en d'autres circonstances, auraient difficilement reçu l'approbation d'une société qui se flattait d'être la seule démocratie du Moyen-Orient.

*

LES croyants absolus m'ont toujours agacé, sans laisser d'éveiller en moi une certaine envie. Aussi dans la maisonnette d'Ezequiel et d'Odeya, avec leurs trois enfants tout mignons qui batifolent autour de nous, je ne me sens pas très à l'aise bien que mes hôtes soient des plus accueillants: ils ont préparé des rafraîchissements et des petits gâteaux et se prêtent de bonne grâce à mes questions, même les plus impertinentes.

Nous sommes dans une des coquettes demeures de l'implantation israélienne de Mitspé Jéricho, sur la rive occidentale, qui rassemble 300 familles ­ quelque 1 500 personnes parmi lesquelles des militants du mouvement de colons religieux du Goush Emounim ("Bloc de la foi"), qui compte des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, défend le nationalisme, le messianisme et l'orthodoxie dans leur expression la plus extrême. L'écrivain Amos Oz estime, très justement, que ce Bloc représente une "extrême dangerosité" pour le futur démocratique d'Israël.

Et pourtant, à condition de ne parler ni politique ni religion, nul ne prendrait pour un fanatique le jeune, affable et délicat Ezequiel Lifschitz, 27 ans, né d'un père israélien et d'une mère américaine. Souriant, sympathique, il est attentif à ses enfants et tolère leurs turbulences avec une infinie patience. Sur ses lèvres reviennent constamment les mots "bonté" et "amour" . Mais dans ses yeux clairs, presque liquides, il y a le regard de ceux qui se pensent détenteurs de la vérité et ne doutent jamais.

Il est ingénieur informaticien et, comme beaucoup de colons de Mitspé Jéricho, travaille à Jérusalem, à une demi-heure de là. "Nous, les croyants, voyons les choses différemment, me dit-il. Dieu a assigné un but à chaque nation. La Torah a dit que nous, les juifs, reviendrions en Israël et nous y voilà. Le but pour les juifs est de reconstruire le pays que nous avons perdu. De la sorte, Israël contribuera à l'existence d'un monde meilleur que celui d'aujourd'hui. Cette terre, Dieu nous l'a donnée et Israël ne saurait remplir sa mission sans la récupérer tout entière, sans le moindre découpage, en incluant la Judée, la Samarie et Gaza. Il est possible que cela n'arrive pas dans l'immédiat, mais tôt ou tard cela se fera. Nous avons tout le temps devant nous. Je prie beaucoup pour que la prophétie s'accomplisse au pl us vite."

Ezequiel et Odeya reviennent de Gaza où, comme plusieurs milliers de colons, ils sont allés manifester leur solidarité avec leurs compagnons des 21 implantations que Sharon a ordonné d'évacuer. Les parents d'Odeya ­ - elle, une jeune femme mince et timide qui semble comme noyée dans ces amples vêtements qui cachent les formes des femmes orthodoxes ­ - sont restés vingt-quatre ans au Goush Katif - implantation juive au sud de Gaza -. Cela a été pour eux, dit Odeya, un déchirement douloureux. Et ce n'est pas la première fois que cela leur arrive. Il y a vingt-quatre ans, ce même Sharon, alors ministre de la défense du gouvernement de Menahem Begin, les avait délogés de l'implantation de Yamit, dans le Sinaï, parce qu'elle faisait partie des territoires qu'Israël rendait à l'Egypte.

A Gaza, les parents d'Odeya, entre les pleurs et les prières, espéraient encore il y a quelques semaines que Dieu apparaisse pour mettre fin à cette injustice inouïe: "Des juifs retirant la terre aux juifs." Mais Dieu n'est pas apparu et ils ont quitté les lieux sans opposer de résistance aux soldats.

"A nous, qui sommes de bons croyants, qui aimons notre nation et notre armée, ce qui s'est passé à Gaza nous fait beaucoup de mal, ajoute Ezequiel. Avant, quand je voyais un soldat israélien, j'avais envie d'embrasser son uniforme. Plus maintenant. Mais les choses changeront. Notre obligation est de faire comprendre à nos frères qu'ils sont dans l'erreur. Au Goush Katif, à Gaza, la communauté à laquelle appartenaient les parents d'Odeya était admirable. On honorait Dieu tout le temps."

Curieusement, Ezequiel et les autres colons, pour défendre la légitimité qu'ils disent posséder sur les terres qu'ils occupent, avancent rarement comme argument le travail qu'ils y ont effectué (...). Ils n'ont sur les lèvres que la thèse divine: "Cette terre est à nous parce que Dieu nous l'a donnée." Une raison qui n'est donc valable que pour des croyants.

"Nous ne voulons tuer personne, affirme Ezequiel. Moi, personnellement, je donnerais de l'argent aux Arabes et leur dirais "au revoir". Ils nous enseignent qu'il faut savoir mourir pour la terre qu'on considère comme sacrée. L'idée qu'il y ait deux Etats, ici en Israël, va contre la Torah: elle est aussi sacrilège que d'allumer du feu le jour du shabbat. Notre politique doit être inflexible: les Arabes qui acceptent le fait que c'est une terre juive, qui ne sera jamais à eux, peuvent rester travailler ici, pour nous. Ceux qui ne l'acceptent pas doivent s'en aller. Et ceux qui se révoltent et veulent combattre doivent savoir que nous les tuerons. Ce n'est que si Israël accomplit ce que dit la Torah que ce sera une nation utile au reste du monde."

Ezequiel et ses trois enfants se déchaussent à l'intérieur de la maison. Pour les religieux ultraorthodoxes, ce n'est pas seulement montrer ses cheveux et les formes de son corps qui est considéré comme obscène pour une femme, mais aussi de laisser entrevoir la cheville et le coup de pied, aussi les femmes portent-elles aux pieds deux grosses paires de chaussettes. Pour ce qui concerne l'épouse de Nafiz Azzam, contrairement à celle d'Ezequiel, je ne pourrai jamais la rencontrer: pour les islamistes messianiques, la femme est un objet qui ne doit pas être exposé à la contemplation publique.

Les deux hommes ne pourraient être plus différents ni des ennemis plus irréconciliables. Pourtant, entre le jeune colon israélien et l'extrémiste musulman, dirigeant du Djihad islamique, qui me reçoit dans un ténébreux édifice de la ville de Gaza, et dans une pièce pleine d'affiches noires proclamant "Allah est le plus grand", il y a un dénominateur commun: tous deux sont des croyants absolus et intransigeants, au regard froid, et tous deux ont, face à tous les problèmes, des réponses simples et catégoriques.

Le Djihad islamique est peut-être moins puissant que l'autre mouvement islamiste et terroriste, le Hamas, mais il est encore plus radical que celui-ci et moins disposé à faire la moindre concession. Nafiz Azzam, 47 ans, fait beaucoup plus que son âge. Il s'habille avec modestie et a une expression dure qui ne s'adoucit que lorsque son plus jeune enfant, qui lui tient compagnie pendant toute notre conversation, grimpe sur ses genoux et joue avec sa barbe et ses cheveux. Alors, son terrible regard se fait attendri.

Il est né à Rafah, en 1958, et a étudié la médecine en Egypte, avec le fondateur du mouvement, Fathi Al-Shikaki. En 1981, il fut capturé et déporté à Gaza. Ensuite, il passa huit ans dans une prison israélienne, où il eut une main estropiée, mais où on ne parvint pas à lui briser le moral. En effet, il ne cessa d'organiser des grèves et de mobiliser ses compagnons. En 1994, il se maria et est aujourd'hui père de six enfants, cinq garçons et une fille. "Nous n'avons rien contre les juifs, m'assure-t-il. Dans le Coran, Dieu encourage les musulmans à être généreux envers ceux qui ne sont pas croyants. Mais que sont venus faire les juifs ici, sur notre terre ? Les Israéliens ont importé un million de Russes et leur ont donné nos maisons et nos villages. Tout le monde sait que, pour la moitié d'entre eux, ils ne sont pas juifs. Et nous, les Palestiniens, enfermés à l'intérieur de barbelés, nous devons leur demander la permission de sortir, ne fût-ce que quelques heures, de ces prisons. Quel peuple tolérerait cela ?"

Il parle très vite, en regardant dans le vide, comme quelqu'un qui récite, et mon traducteur a du mal à le suivre. "Le retrait des occupants de Gaza est une bonne chose, ajoute-t-il, mais c'est seulement un point de départ. Ils ne sont pas partis de leur propre gré, mais contraints par la lutte et le sacrifice des Palestiniens. Pour le moment, le problème numéro un qui se pose à nous n'est pas celui-ci, mais que la paix et la collaboration règnent entre nous, les Palestiniens. C'est seulement unis que nous vaincrons Israël."

Quand je lui dis que l'image du Djihad islamique dans le monde est très négative en raison des attentats terroristes que son mouvement pratique, il s'impatiente: "Les actions de nos martyrs sont une réponse aux tueries qu'Israël commet contre nos enfants, nos vieillards et nos femmes. Nous leur avons proposé de cesser nos actions s'ils en faisaient de même. Mais ils n'ont même pas répondu."

Quand je lui raconte avoir eu l'occasion de parler, autant à Gaza qu'à Ramallah ou à Hébron, avec des Palestiniens selon lesquels la solution du problème israélo-palestinien passerait par un Etat laïque, binational, où juifs et musulmans coexisteraient et se mêleraient, il me jette un regard de pitié, comme on regarde les débiles mentaux. "C'est un rêve impossible, dit-il, avec un rire sarcastique. La Palestine sera une république islamique, où les croyants des autres religions, chrétiens et juifs, seront tolérés, à condition qu'ils acceptent de vivre sous les préceptes du Coran." Le Djihad islamique désarmera-t-il ses combattants, en répondant à l'appel lancé par le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à la suite de l'évacuation de Gaza ? "Nous ne déposerons jamais les armes."

Malgré le secret effroi que produit chez moi le personnage, je ne peux m'empêcher d'éprouver une certaine pitié en prenant congé de lui, car j'ai la certitude absolue que, tôt ou tard, il sera une des victimes des assassinats ciblés par lesquels Sharon veut venir à bout des extrémistes islamistes.

Que ces derniers n'aient pas la moindre intention de renoncer aux armes, je le vérifie sur le vif quelques jours plus tard, en assistant, sur un terrain vague en bordure de la ville de Gaza, à une parade militaire des comités de la Résistance populaire, une organisation de combattants qui rassemble des militants du Djihad islamique, du Hamas et du Fatah pour des actions concrètes contre Israël. Tout le spectacle consiste en une apothéose exaltée de la guerre et de la terreur.

Avec, indéniablement en toile de fond, une irresponsabilité totale de la part des organisateurs: des centaines de gosses, certains tenant à peine sur leurs jambes courent joyeusement au milieu des tirs tandis que, stimulés par des chansons guerrières diffusées par des haut-parleurs assourdissants, par des louanges frénétiques à Allah et des versets du Coran, les combattants déchargent leurs fusils, pistolets, lance-grenades et missiles sur des cibles en carton où l'on a peint des drapeaux israéliens.

Au cours du spectacle auquel j'ai assisté, les combattants des comités de la Résistance populaire faisaient exploser avec des obus un tank ­ - de carton-pâte ­-, dynamitaient une maison, enlevaient un individu dont ils prenaient la voiture après avoir exécuté son chauffeur et ses gardes du corps, s'emparaient d'une colline avec des grenades offensives et, clou du numéro, des hommes volants se laissaient tomber du toit d'un immeuble de plusieurs étages, en déchargeant leurs mitraillettes en même temps qu'ils se précipitaient dans le vide accrochés à des cordes. En voyant ricocher ces balles sur le sol, à quelques pas de l'endroit où nous nous pressions, je me suis souvenu d'un essai d'Edward Saïd où, non sans raison, il déplorait le goût de ses compatriotes pour ces mascarades guerrières, les masques, les coups de feu en l'air, les pistolets, les exhibitions vociférantes de machisme qui ne servent qu'à discréditer leur juste cause.

Pour que tout cela fût encore plus absurde, il y avait, à peu de distance, au-dessus de nos têtes, un dirigeable israélien enregistrant et filmant sans doute le spectacle.


(Traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan, septembre 2005)

Mario Vargas Llosa
Article paru dans l'édition du 14.10.05

Un défilé du Hamas à Gaza, le 16 septembre. | ALAIN KELER/IMAGEANDCO.COM
ALAIN KELER/IMAGEANDCO.COM
Un défilé du Hamas à Gaza, le 16 septembre.

Ezequiel Lifschitz, militant du mouvement des colons religieux du Goush Emounim, et sa famille, à Mitspé Jéricho. | MORGANE VARGAS LLOSA
MORGANE VARGAS LLOSA
Ezequiel Lifschitz, militant du mouvement des colons religieux du Goush Emounim, et sa famille, à Mitspé Jéricho.

La mère de Wafa Idris, première femme kamikaze palestinienne, posant chez elle, dans la banlieue de Ramallah, avec des photos de sa fille.  | MORGANE VARGAS LLOSA
MORGANE VARGAS LLOSA
La mère de Wafa Idris, première femme kamikaze palestinienne, posant chez elle, dans la banlieue de Ramallah, avec des photos de sa fille.


Le Monde / Sciences
Article interactif
Grippe aviaire: l'Europe s'inquiète de la découverte du virus H5N1 en Turquie
  1. La Commission européenne prend des mesures
  2. Le virus détecté en Turquie est de type H5N1
  3. Les tests en Roumanie ont confirmé la présence du virus
  4. La Bulgarie pour l'instant épargnée
  5. Mobilisation internationale en Asie
I - La Commission européenne prend des mesures

 D ès que le commissaire européen chargé de la santé et de la protection des consommateurs, Markos Kyprianou, a annoncé avoir "reçu confirmation que le virus trouvé en Turquie est celui de la souche hautement pathogène H5N1", la Commission a étendu à la Roumanie l'interdiction d'exporter, pendant six mois renouvelables, vers l'UE des volailles vivantes, des plumes et de la viande, une mesure déjà en vigueur à l'encontre de la Turquie.

Bruxelles, qui s'était pourtant voulu rassurante sur la situation en Roumanie, mercredi, a effectué un revirement, déclarant jeudi que la grippe aviaire était finalement détectée dans ce pay. La Commission a précisé que des tests supplémentaires étaient en cours "pour certifier que le virus en question appartient à la souche H5N1", évoquant le virus qui a causé la mort d'une soixantaine de personnes en Asie, depuis la fin de l'année 2003. Le laboratoire agréé par l'UE pour les analyses sur la grippe aviaire devrait pouvoir confirmer ou exclure jeudi ou vendredi la présence en Roumanie du H5N1.

"PAS DE PANIQUE"

Un train de mesure a été mis en place, jeudi, afin d'éviter la propagation de l'épizootie. Il s'agit notamment de surveiller les élevages, d'isoler les poulets et les canards des oiseaux migrateurs et d'avertir immédiatement les services sanitaires si des cas suspects se présentent. Les élevages concernés devront être mis en quarantaine et toutes les volailles détruites par incinération. La Commission européenne déconseille également aux gens qui se rendent en Roumanie et en Turquie de fréquenter des élevages.

Le mot d'ordre de M. Kyprianou est simple: "Nous ne voulons pas créer de panique." "S'il y a une pandémie, il y aura un très grand nombre de morts", a expliqué le commissaire. "Personne ne sait quand cela peut arriver. Certains scientifiques le présentent comme possible, d'autres le prédisent comme certain." Il s'agit donc de préparer des stocks de médicaments antiviraux et de vaccins contre la grippe classique, dont l'injection limitera les risques."C'est un virus hautement pathogène, mais l'Union européenne a l'expérience nécessaire pour gérer cela", a-t-il estimé.

Certains pays, dont la Belgique, ont exhorté la Commission à coordonner les demandes de médicaments, dans la mesure où les laboratoires ont tendance à privilégier les énormes commandes des grands pays au détriment des "petits". L'institution s'est déclarée prête à assumer ce rôle, à condition que les Etats membres le lui confient.

Dans le même temps, Bruxelles demande de tout mettre en œuvre pour accélérer la recherche d'un vaccin contre la grippe aviaire le jour où l'on aura isolé un virus qui se transmettrait entre humains.

Enfin, les experts vétérinaires de l'UE réunis jeudi à Bruxelles ont discuté des propositions de la Commission visant à "réduire le risque de contact entre les oiseaux sauvages et les volailles dans des zones telles que les marécages ou les zones de passage des oiseaux migrateurs", selon un communiqué. Les Etats membres devraient définir ces zones à risque et y mettre en place les mesures nécessaires, qui pourraient aller jusqu'à "garder les volailles à l'intérieur".

Les experts européens des oiseaux migrateurs décideront vendredi, lors d'une réunion d'urgence, de la mise en place de telles mesures. Mais il n'est pas question, pour l'instant, d'interdire la chasse.

Avec AFP et Reuters


II - Le virus détecté en Turquie est de type H5N1

 L a Commission européenne a annoncé, jeudi 13 octobre, que le virus de la grippe aviaire détecté en Turquie était bien le virus H5N1, qui a entraîné en Asie la mort d'une soixantaine de personnes depuis fin 2003.

"Nous avons maintenant reçu la confirmation que le virus trouvé en Turquie est le virus de la grippe aviaire H5N1 hautement pathogène", a annoncé le commissaire européen à la santé et protection des consommateurs, Markos Kyprianou, précisant qu'"il y a une relation directe avec les virus trouvés en Russie, en Mongolie et en Chine".

Plus tôt dans la journée, la Commission européenne avait confirmé que l'interdiction touchant les importations d'oiseaux vivants et de plumes de Turquie était repoussée jusqu'au mois d'avril 2006. Depuis le 10 octobre, un embargo frappe la Turquie, où un foyer d'infection a été découvert dans un élevage du Nord-Ouest. Cette interdiction ne frappe pas les volailles vivantes. A l'exception de certaines viandes, dont le traitement par la chaleur tue le virus de la grippe aviaire, ces volailles et les produits qui en sont issus étaient déjà interdits en raison d'autres problèmes vétérinaires.

"LE FOYER ÉPIDÉMIQUE EST SOUS CONTRÔLE"

Le ministre de la santé turc, Recep Akdas, a cependant voulu se montrer rassurant, déclarant qu'il n'y avait pas de raison de se laisser gagner par la panique."Grâce à l'intervention bien préparée et adéquate du ministère de l'agriculture, le foyer épidémique est sous contrôle dans une zone bien précise, a-t-il dit aux journalistes. Naturellement notre pays se doit d'être prudent et prêt [pour une possible pandémie], mais il n'y a rien pour l'instant."

Les autorités ont procédé à l'abattage de quelque 8 500 animaux – poulets, dindes, oies, pigeons et canards –, selon un responsable du ministère de l'agriculture, Beytullah Okay, alors que le foyer de la maladie est sous quarantaine.

Avec AFP et AP


III - Les tests en Roumanie ont confirmé la présence du virus

 D es tests pratiqués en Roumanie ont confirmé la présence d'un virus de la grippe aviaire, a indiqué la Commission européenne, dans la nuit du mercredi 12 au jeudi 13 octobre. Il s'agit du premier cas signalé en Europe.

"Les trois experts du laboratoire européen envoyés en Roumanie ont confirmé que le virus H5 de la grippe aviaire a été détecté dans deux échantillons, provenant d'un poulet et d'un canard, prélevés dans une ferme suspecte du delta du Danube", a précisé la Commission dans un communiqué. De son côté, Bucarest a confirmé ces tests."Nous avons finalement isolé le virus de la grippe aviaire dans des échantillons", a déclaré Ion Agafitei, le chef des services vétérinaires nationaux.

L'UE a interdit dans la journée les importations de volaille en provenance de Roumanie. La Commission européenne a en outre annoncé qu'elle "travaillait avec la supposition" que ce virus était le H5N1, comme en Turquie, en attendant d'en avoir la confirmation ou le démenti, vendredi.

BUCAREST ACHÈTE 5 000 DOSES D'ANTIVIRAUX

Le ministre de la santé roumain, Eugen Nicolaescu, a annoncé avoir "contacté un grand producteur international"  qui a assuré l'arrivée lundi de 25 000 doses d'antiviraux, et de 20 000 autres doses dans dix jours. Il a aussi décidé d'acheter 5 000 doses d'antiviraux auprès de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui s'est, de son côté, dit prête "à fournir gratuitement à la Roumanie 1 000 doses d'antiviraux".

"En l'absence d'un vaccin spécifique contre la grippe aviaire, la vaccination antigrippale est très importante car elle contribue à un accroissement de l'immunité", a précisé une porte-parole du ministère. De fait, plus de 15 000 personnes de la région du delta du Danube ont jusqu'alors été vaccinées contre la grippe commune.

La Roumanie va par ailleurs organiser prochainement un appel d'offres international, pour l'achat d'un million de doses de vaccin antigrippal, alors que la plupart des pharmacies du pays ont déclaré être en rupture de stocks.

Avec AFP, Reuters


IV - La Bulgarie pour l'instant épargnée

 L es échantillons testés positifs en Roumanie ont été prélevés non loin de la frontière bulgare, mais ce pays semble pour l'instant épargné. Les premiers tests menés en Bulgarie sur une possible présence du virus sont négatifs, a indiqué jeudi 13 octobre le ministre de l'agriculture, Nihat Kabil. "Les résultats des tests de laboratoire effectués jusqu'à présent à Plovdiv (Sud) sur cinq ou six oiseaux trouvés morts sont négatifs pour la grippe aviaire", a-t-il déclaré à la télévision nationale.

Dimanche, les autorités bulgares avaient appelé la population à remettre pour analyse chaque oiseau mort. Les cadavres d'une poule, d'une cigogne et d'un héron ont été notamment découverts lundi dans la région de Pleven (Nord), non loin de la Roumanie."Des oiseaux meurent tous les jours pour des tas de raisons", a souligné M. Kabil.

Aucune mortalité accrue de volailles n'a été détectée à ce jour en Bulgarie, mais la vigilance reste de mise. "La Turquie et la Roumanie", où des cas de grippe aviaire ont été détectés, "sont des pays voisins", a précisé le ministre de l'agriculture. La Bulgarie a interdit, lundi 10 octobre, les importations de volaille et de produits aviaires de Roumanie et de Turquie. La chasse aux oiseaux migrateurs est aussi prohibée. Par ailleurs, les autorités sanitaires s'apprêtaient jeudi à distribuer 40 000 brochures de prévention aux éleveurs de volaille.

Avec AFP


V - Mobilisation internationale en Asie

 L a mobilisation internationale face à la menace de la grippe aviaire s'est traduite, jeudi 13 octobre, en gestes financiers concrets. Deux aides bilatérales d'importance ont été accordées à l'Indonésie et au Laos, et le Vietnam a obtenu un soutien à son plan d'urgence établi pour les six mois à venir. Au total, presque 18 millions de dollars (15 millions d'euros) ont été promis en l'espace d'une journée en Asie du Sud-Est, le principal réservoir du virus H5N1 de la grippe aviaire. Une soixantaine de personnes ont été tuées par ce virus – dont les deux tiers au Vietnam – depuis décembre 2003.

A Hanoï, les promesses de dons des bailleurs de fonds et ambassades étrangères se sont élevées à 6,9 millions de dollars (5,75 millions d'euros), au lendemain de la présentation d'un arsenal de mesures d'urgence avant l'hiver. "Ce jour marque un pas en avant significatif dans la coordination des efforts pour le contrôle et la prévention de la propagation de la grippe aviaire", s'est réjoui le ministre de l'agriculture vietnamien, Cao Duc Phat. Trois agences onusiennes ont participé à l'élaboration du plan vietnamien – le Programme de l'ONU pour le développement (PNUD), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

AU VIETNAM, ON SAIT QUE LE VIRUS REVIENDRA AVANT DÉCEMBRE

Les autorités vietnamiennes savent que le virus réapparaîtra sans aucun doute dans les élevages de volailles et chez les humains d'ici au mois de décembre. Le pays est considéré comme l'un de ceux dans lesquels le danger de mutation du virus est le plus important. Les experts craignent qu'il puisse devenir aisément transmissible entre humains, avec le potentiel de provoquer alors une pandémie responsable de millions de morts.

Par ailleurs, Canberra a annoncé une aide supplémentaire de 10 millions de dollars australiens (6,25 millions d'euros) à l'Indonésie, autre pays où la lutte contre la maladie est compliquée du fait de l'éparpillement des volailles dans les élevages individuels, et de la faiblesse des structures vétérinaires et administratives."Cette enveloppe va aider l'Indonésie à améliorer sa capacité de riposte à une éventuelle épidémie dans des secteurs-clés", a déclaré le cabinet du ministre des affaires étrangères, Alexander Downer, actuellement en Indonésie.

Le Laos, mystérieusement épargné par le virus depuis mars 2004, a de son côté signé avec les Etats-Unis un accord de coopération dans lequel Washington débourse 3,4 millions de dollars (2,83 millions d'euros). Le secrétaire à la santé américain, Michael Leavitt, qui mène dans quatre pays du Sud-Est asiatique une délégation comprenant aussi le patron de l'OMS, Jong Wook Lee, était jeudi 13 octobre à Vientiane pour signer l'accord. Il est attendu au Vietnam dans l'après-midi, pour une visite de trois jours, dernière étape d'un périple d'une semaine entièrement consacré à la maladie.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 13.10.05 | 13h07


Le Monde / Opinions
Point de vue
Avec la Turquie, l'Europe renonce, par Robert Badinter

 Q ue le ministre britannique des affaires étrangères, Jack Straw, triomphe est légitime. L'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie marque la victoire de la diplomatie anglaise, appuyée par le renfort téléphonique de Mme Condoleezza Rice. Ont disparu: les conditions ultimes que paraissait vouloir imposer, encore au mois d'août, le gouvernement français, c'est-à-dire la reconnaissance préalable de la République de Chypre et du génocide arménien par la Turquie. La moindre des choses à exiger d'un candidat à l'Union, c'est qu'il admette l'existence de tous les Etats membres de celle-ci. Et reconnaître la vérité historique, aussi cruelle soit-elle, est une exigence de la conscience européenne.

Encore aurait-il fallu ajouter deux autres conditions: le respect, dans les faits, de l'égalité des femmes et des hommes, principe fondamental de l'Union européenne, et la disparition effective de tout traitement inhumain dans les locaux de police et les établissements psychiatriques en Turquie. La torture sous toutes ses formes est incompatible, non seulement avec l'adhésion, mais avec la candidature à l'Union européenne.

Car il ne faut pas se leurrer. Depuis trente ans, aucun Etat candidat à l'adhésion n'a été refusé par l'Union européenne. Parler de "négociations d'adhésion" est trompeur: il s'agit plutôt d'une longue mise en conformité de la législation du pays candidat avec les règles et exigences communautaires. Une fois la décision de principe prise, en l'occurrence le 3 octobre, le processus, laborieux, se déroule et, tôt ou tard, le candidat finit par satisfaire aux conditions fixées.

Pourquoi la Turquie manquerait-elle à cette obligation, elle qui a un tel intérêt économique, social, culturel à intégrer l'Union européenne, et espère que les fonds européens l'aideront substantiellement à transformer ses régions les moins favorisées et à moderniser ses infrastructures ? Le processus d'intégration prendra dix ou douze années. Au terme de ce délai, si court au regard de l'Histoire, sauf bouleversement politique en Turquie ­ - que nul ne doit souhaiter ­-, celle-ci deviendra membre de l'Union. Ainsi, le désir constant du président Chirac de faire entrer la Turquie dans l'Union européenne sera satisfait.

Pourquoi cet acharnement, cette obstination ?

Ce n'est pas pour des raisons militaires: la Turquie, au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), est notre alliée et celle des Etats-Unis. Elle n'envisage pas d'en sortir.

Ce n'est pas pour des raisons économiques: la Turquie est liée à l'Union européenne, depuis 1963, par un accord de libre échange ! Et le marché turc est ouvert aux entreprises européennes, notamment françaises, dont les investissements vont croissants.

Ce n'est pas pour combattre le chômage. Le salaire moyen des travailleurs turcs est inférieur à celui pratiqué dans l'Europe des Quinze, et leurs avantages sociaux très limités. Le risque d'accroître les délocalisations au sein du marché unique en sera plutôt accru.

Ce n'est pas pour favoriser l'agriculture française. La population agricole en Turquie représente environ le tiers de la population. La moyenne, dans l'Union européenne, est de 5 %. La politique agricole commune (PAC) devra donc nécessairement être transformée pour permettre aux agriculteurs turcs de subsister ou de se reconvertir dans d'autres activités.

Ce n'est pas non plus pour améliorer ou équilibrer le budget européen. Le coût de l'intégration de la Turquie sera au moins égal à celui des dix nouveaux adhérents à l'Union européenne.

Ce n'est pas, enfin, pour renforcer la sûreté de l'Union européenne et de ses peuples. Rien ne justifie que l'Union européenne s'installe en Asie mineure, sur un territoire plus vaste que celui de la France, et établisse des frontières communes avec l'Arménie, la Géorgie, l'Iran, l'Irak et la Syrie. Il n'y a pas de région du monde plus chargée de tensions et de menaces que celle-là. L'Union européenne a vocation à contribuer à sauvegarder la paix et à protéger les populations menacées, plutôt que de se trouver directement impliquée dans des conflits régionaux où la Turquie serait partie.

Alors, pour quels motifs irrésistibles l'Union européenne devrait-elle intégrer en son sein la Turquie, comme membre à part entière, plutôt que d'entretenir avec elle des liens étroits et privilégiés dans les domaines politique, économique, culturel et scientifique ?

Deux raisons sont avancées: la première est que l'adhésion de la Turquie la contraindra à respecter scrupuleusement les règles de la démocratie et les droits de l'homme. Mais ceux-ci doivent être respectés parce qu'ils ont une valeur morale universelle et qu'ils assurent aux peuples une condition meilleure, qu'il s'agisse de leur sûreté, de leur dignité, ou de leur liberté.

La Turquie est membre du Conseil de l'Europe depuis un demi-siècle. Le Conseil, appuyé sur la Cour européenne de Strasbourg, est le foyer des libertés et des droits de l'homme en Europe, plus que l'Union européenne, dont la vocation est d'abord politique et économique. Certes, l'Union européenne offre à ses membres des avantages considérables. Mais, faut-il, pour que la Turquie respecte les droits et les libertés, particulièrement des femmes, qu'elle bénéficie des fonds structurels de l'Union européenne ? Il suffit à la Turquie d'honorer scrupuleusement les engagements qu'elle a contractés en adhérant au Conseil de l'Europe. Et cette condition-là, essentielle à nos yeux, n'a pas à être la contrepartie de quelque avantage que ce soit, lié à l'entrée dans l'Union européenne.

Aussi, un autre motif est invoqué pour justifier ce choix: l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne nous protégerait contre le risque qu'elle ne bascule dans le camp des islamistes. Le propos est singulièrement injurieux pour le peuple turc. Musulmane et laïque, liée à l'Union européenne et aux Etats-Unis par des rapports étroits d'alliance et d'intérêts économiques, pourquoi la Turquie sombrerait-elle, dans les années à venir, dans l'islamisme radical ?

Les Turcs sont un grand peuple qui a marqué l'Histoire. Ses élites intellectuelles n'ont rien de commun avec l'obscurantisme des prédicateurs fanatiques. Et, s'il y avait le moindre risque que la Turquie puisse rallier la bannière de l'islam intolérant, alors le président Chirac aurait dû refuser toute perspective d'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Car, qu'adviendrait-il de celle-ci si un des Etats membres, le plus peuplé de tous et jouissant de tous les droits que lui accordent les traités européens, devenait un jour la proie des islamistes radicaux ? Quelle erreur, si une telle perspective avait quelque fondement, que d'admettre dans l'Union un Etat qui serait porteur de telles menaces !

En vérité, l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne apparaît à ses plus chauds partisans comme un geste symbolique de confiance à l'égard de tous les peuples musulmans. Il leur paraît avantageux, pour la France, qu'elle bénéficie de la sympathie que cet acte susciterait autour de la Méditerranée. Mais, si la Turquie, grande puissance musulmane d'Asie mineure est admise dans l'Union européenne, pourquoi les autres Etats musulmans, ceux-là arabes du pourtour de la méditerranée et du Proche- Orient, ne l'ambitionneraient-ils pas ? Le projet d'une Union euroméditerranéenne apparaît ainsi en filigrane dans le choix d'ouvrir l'Union européenne à la Turquie. Ce serait là une erreur stratégique.

Il ne s'agit pas de constituer l'Union européenne en un "club chrétien". L'Union est une organisation laïque et compte vingt millions de musulmans en son sein. La Bosnie et l'Albanie, Etats à majorité musulmane, sont vouées, le jour venu, à devenir membres de l'Union. Mais ce qui s'inscrit dans la perspective de l'entrée de la Turquie, c'est une Europe indéfinie, aux limites incertaines, vouée à n'être qu'un espace marchand toujours plus étendu.

Ce n'est pas l'Europe puissance, apte à jouer un grand rôle sur la scène du monde, rêvée par les pères fondateurs et les grands hommes d'Etat européens d'hier. Dans le choix du président Chirac se mêlent la mélancolie du renoncement et la fin d'une grande espérance.


Robert Badinter, ancien ministre de la justice, ancien président du Conseil constitutionnel, est sénateur (PS) des Hauts-de-Seine.

Article paru dans l'édition du 14.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Bernard C. d'Ankara ♦ 13.10.05 | 21h01 ♦ Toutes les frontières sont une cicatrice de l'histoire, un gaspillage et annonce un crime. Entre la Turquie et l'Iraq la frontière s'appelle la "ligne de Bruxelles" depuis le 27 octobre 1924, jour où elle y a été validée lors d'une réunion de la SDN! La plupart des frontières "reconnues" du Moyen-Orient ont été tracées par les Européens. L'Europe c'est d'abord un processus de dépassement des nationalismes stériles. La Turquie dans l'Europe ce sera la fin de la 1ère guerre mondiale, enfin!
vévé ♦ 13.10.05 | 20h59 ♦ L'entrée de la Turquie c'est à quitte ou double, "ca passe ou ça casse". Elle peut faire exploser l'Europe, comme lui conférer une supériorité politique sur les Etats-Unis. De même, cela peut abattre la "bête immonde" du nationalisme ou l'inverse (son réveil) ! Maintenant, si Mr Badinter pense comme Bush que la Turquie empêchera l'Europe politique, il se peut que ce soit tout le contraire. Conclusion, "qui risque rien n'a rien" et c'est tant mieux pour l'Europe.
JEAN-CLAUDE G. ♦ 13.10.05 | 18h54 ♦ Robert Badinter, vous avez cent fois raison. A supposer que, dans n années les Français refusent l'adhésion (mais comment sera-ce possible après tant et tant d'années de chantage implicite permanent?) quelle sera/serait dès lors la réaction de la Turquie, lanternée depuis des decennies? A remettre à plus tard un NON raisonné, à pratiquer une lâche fuite en avant nous ne pratiquons que l'apparence d'une politique européenne.
Galahaad ♦ 13.10.05 | 18h26 ♦ Qu'est-ce qu'on apprend dans cet article? Rien, ou presque. M. Badinter nous explique qu'il est contre l'entrée de la Turquie parcequ'il est contre l'entrée de ta Turquie. Aucun argument original n'est développé, le débat n'avance pas d'un micromètre. On a connu M. Badinter mieux inspiré.
destripadore ♦ 13.10.05 | 18h03 ♦ On a promis à la turquie sont entrée dans l'Europe il y a plus de 40 ans. Mais qui? Le peuple? en France jamais la question européene n'as été posé à part Mastrich et le 29 mai! Et la reponse au referundum n'etais pas non à l'Europe mais oui a une europe des peuples. Le peuple se rend compte de l'importance de cette construction et veut donner sont avis. Reste que une promesse a été faite au nom de ce peuple dans un pays democratique! On ce reveil un peut tard!
Jean-Claude B ♦ 13.10.05 | 17h56 ♦ Tout est dit. Du grand Badinter. Bravo
Roger Dumont ♦ 13.10.05 | 17h55 ♦ Un référendum n'est-il pas prévu, en France en tout cas, pour l'adhésion de la Turquie à l'UE ? Et la décision finale ne doit-elle pas être prise à l'unanimité ? Les négociations ne signifient donc pas automatiquement adhésion dans 10 ou 15 ans.
doudou ♦ 13.10.05 | 17h28 ♦ A Philippe M.: très bien, il n'y a pas de vérité géographique de l'Europe. Alors je vous pose la question: où s'arrête-t-on ? On ne s'arrête pas ? Ok, mais alors l'ONU existe déjà. Retenez bien ceci: plus l'UE contient d'avis divergents, plus elle se vide de son sens et de son poids politique. Il faut avoir le courage de le dire. On le voit tous les jours, l'UE des 25 n'a déjà plus aucun avenir, si ce n'est d'être une vaste zone de libre échange. Oubliez l'harmonisation sociale et fiscale !
Marre du nationalisme ♦ 13.10.05 | 17h13 ♦ D'un "ancien ministre, ancien président du Conseil Constitutionnel", on attendait un peu plus d'ouverture d'esprit. L'argumentation anti-Turquie n'est qu'un avatar de l'effet "plombier polonais": l'UE, oui à la rigueur si cela procure des avantages à la France, et peu importe le reste. Et si l'UE apportait la paix et la stabilité, accomplissant son projet fondateur, en dehors de la petite europe géographique, où serait le mal? Et renoncer à 1% de croissance en serait-il un prix excessif?
Groquik ♦ 13.10.05 | 17h11 ♦ Quel serait le critère qui justifierait que, bien que la Turquie soit membre du Conseil de l'Europe, elle ne soit pas membre de l'UE. Je pense que la crainte qui est ressentie par la majorité des opposants à l'entrée de la Turquie dans l'UE résulte d'une éventuelle intégration politique. Ne serait il pas temps, dans ces conditions, d'envisager une intégration politique, non plus avec tous les membres de l'UE, mais seulement avec les pays qui le veulent vraiment?
henrikardo ♦ 13.10.05 | 17h11 ♦ Le problème c'est que les mariages forcés, en général on sait où ça mène: Yougoslavie de Tito, URSS de Staline... quand on force les peuples à cohabiter sans leur consentement, on doit s'attendre à ce qu'ils expriment peut-être un jour leur rejet et pas forcément pacifiquement. D'autre part le " club chrétien " correspond à quelque chose: un espace où les gens partagent des valeurs qu'ils ont mis des siècles à mettre en place - et souvent dans la douleur -, ça crée effectivement des liens ...
Pierre L. ♦ 13.10.05 | 17h10 ♦ Au final Badinter essaie de démontrer en quoi c'est inutile, mais pas en quoi cela pose probleme. Comparer le cas de la Turquie a celui des autres pays arabes est une erreur à la fois historique, ethnique et culturelle (et non, les Turcs ne sont pas des arabes !) et montre bien que c'est la religion qui fait peur. Effectivement la perspective d'une Europe politique est difficile avec la Turquie, mais c'est déja le cas depuis les 25: seules les coop renforcées restent possibles.
Groquik ♦ 13.10.05 | 17h05 ♦ L'UE est déjà en Amérique du sud puisque la France y possède la Guyane, elle est également en Afrique (Mayotte) et j'en passe... Pourquoi ne pourrait elle pas avoir dans ces conditions frontière commune avec l'Irak? Les troubles dans cette région du globe sont suffisemment aiguës pour que nous en ressentions déjà les effets même en n'étant pas un pays limitrophe.
gérard B. ♦ 13.10.05 | 17h03 ♦ Dans 15 ou 20 ans, la Turquie integrera l'UE, en ayant reconnu tous les autres Etats membres, Chypre compris, et le génocide des Arméniens, ce qu'aucune autre politique ou institution n'avait réussi à faire, l'ONU et le Conseil de l'Europe compris.Rappelons les différends de frontière entre Pologne et Allemagne, encore d'actualité vers 1992... et réglés grâce à ce projet sans âme et purement économique qu'est l'UE;Bon, il faudra peut-être changer le "E" de UE: ce serait beau si on arrrivait à M
Denis P. ♦ 13.10.05 | 16h56 ♦ Je trouve les arguments de M. Badinter tres convaincants. L'injure que l'on fait a la Turquie, c'est de lui faire croire qu'elle ne sera democratique et respectueuse de valeurs universelles qu'au terme de marchandage, en contrepartie d'avantages economiques. L'injure que l'on fait a l'Europe, c'est de ne voir en elle qu'un ligue marchande et un "club chretien" alors que sans la Turquie, elle est deja un immense brassage cultures, de religions et de races.
PhilippeM ♦ 13.10.05 | 16h46 ♦ Il n'y a pas de vérité géographique de l'Europe. L'Europe n'est pas l'Australie, c'est un bout de l'Eurasie dont les contours sont arbitraires et ont connu plusieurs traçés, toujours suffisamment imprécis pour permettre des arrangements: qu'on m'explique autrement pourquoi Chypre serait européenne et pas l'Anatolie ! Ceux qui se plaignent des futures frontières avec l'Iran exigent-ils aussi l'abandon de la Guyane, frontalière du Brésil, ou de la Polynésie française ? Et que dire de Ceuta ?
BERNARD C. ♦ 13.10.05 | 16h35 ♦ Dans l'article de Robert Badinter comme dans les réactions des lecteurs il n'est jamais questions de l'avis des turcs ! Or depuis la naissance de la Turquie moderne avec Ataturc en 1923, le changement de l'alphabet, la laïcité de l'Etat etc, les turcs se veulent et se sentent européens, ou du moins la grande majorité d'entre eux et la quasi totalité des élites. Nous avons certes notre mot à dire sur leur intégration mais n'oublions pas leur volonté.
Roger B. ♦ 13.10.05 | 16h02 ♦ M. Badinter a raison. Il faut reconnaître la vérité historique. Il faut aussi, à mon sens, reconnaître la réalité géographique. L'Europe de l'Atlantique à l'Oural est déjà large, mais c'est une notion admise parce que raisonnable. Pousser sa limite est jusqu'au lac de Van, puis - pourquoi pas tant qu'on y est - jusqu'à l'Himalaya et bientôt la Mer de Chine, c'est nier l'évidence géographique dans tous ses aspects, et c'est vider la notion d'Europe de son sens.
Fefoley ♦ 13.10.05 | 15h51 ♦ Les arguments sont nombreux mais faibles et à courte vue. Le principal: une Europe sans limite et sans puissance. Il regrette en fait l'élargissement aux 10 Nouveaux, et aurait préféré un appronfondissement politique, pourtant très aléatoire (et refusé par les Français le 29 mai avec tout le reste). Pourtant, avec ou sans la Turquie, l'UE comptera bientôt 30-35 membres. L'Europe Politique doit donc être une nouvelle construction (coopération renforcée?). Mais la France en a-t-elle la volonté?
Jean-Luc C. ♦ 13.10.05 | 15h44 ♦ On aurait attendu d'un spécialiste de droit constitutionnel qu'il nous explique s'il y avait un moyen de faire enfin cesser l'exception monarchique française (bien expliquée hier par Mr Duhamel dans Libération) qui permet à un seul homme de prendre des décisions gravissimes sans qu'aucun contre-pouvoir ne puisse apparemment s'y opposer
doudou ♦ 13.10.05 | 15h31 ♦ Monsieur Badinter, vous êtes un grand homme d'Etat. Rares sont les hommes de gauche qui ont le courage de s'opposer à l'entrée Turquie dans l'U.E. Et pourtant il le faut. Comme vous le dites, quel est le sens d'une Europe ayant des frontières avec l'Iran? Pq ne pas alors intégrer l'ensemble du pourtour midéterranéen? L'U.E. à 25 est déjà à la ramasse, avec tous ces marchandages de bas étage. Ne peut-on pas être amis sans faire partie de la même famille? La seule option: les coop renforcées,vite!
orbi ♦ 13.10.05 | 15h23 ♦ Pour l'Union euroméditéranéenne, il s'agit d'un filigrane, mais pour l'Union Eurasie jusqu'à la muraille de Chine,c'est presqu'une réalité, puique nous devrons compter avec l'Agence de Coopération Turcophone; (TIKA). D'ailleurs l'Azerbaidjan fait déjà partie du Conseil de l'Europe. Alors oui, nos chefs construisent un Nouvel Empire Européen. Pourquoi faire? là est la question. Mais enfin les "grands conquérants" n'ont jamais demander à leurs peuples s'ils étaient d'accord avec quoique ce soit!!.
AHMET D. ♦ 13.10.05 | 14h42 ♦ Au contraire, l'entrée de la Turquie donnera un caractère universel et non seulement chrétien à l'UE. La position stratégique de la Turquie, l'importance qu'elle joue dans la stabilité régionale et dans un proche futur - sinon déjà - l'approvisionnement en conbustible de l'Europe, confèrera à l'Europe une place de puissance mondiale. Par ailleurs affirmer que le coût de l'intégration de la Turquie serait égale à celui des dix nouveaux adhérents est de la simple spéculation.


Le Monde / Opinions
Point de vue
Ce que les Turcs ont à nous offrir, par Jean-Antoine Giansily

 L a décision prise en décembre 2004 d'ouvrir avec la Turquie les négociations en vue de l'adhésion à l'Union européenne est désormais mise en oeuvre. Elle fut en son temps une décision intelligente, utile et sage. Elle a offert à ce grand pays des perspectives d'avenir qu'aucune autre ne saurait remplacer.

Plus de dix années de relations suivies avec les Turcs, dont quatre dans leur propre pays, m'autorisent aujourd'hui à écrire qu'au regard de l'Histoire cette décision restera comme l'un des faits majeurs de la construction de l'Union européenne au même titre que la résolution de Messine, en 1956, ou la ratification de l'Acte unique européen, en 1986, par le Parlement français.

En effet, cette décision est d'abord l'aboutissement d'une réflexion intelligente sur ce qu'est la Turquie contemporaine. Façonnée par quatre-vingt-deux ans de laïcité, mettant scrupuleusement en vigueur les principes de séparation des pouvoirs entre le spirituel et le temporel, la Turquie est un modèle de lutte contre les communautarismes. Tout en respectant à la lettre le traité de Lausanne et les minorités juive, orthodoxe et arménienne qui vivent en Turquie, l'Etat turc contient l'islam dans des limites juridiques suffisamment coercitives pour empêcher sur son sol toute dérive islamiste. Il refuse les activités religieuses qui mettraient en cause les fondements de la République. Le pouvoir politique élu démocratiquement il y a trois ans n'a modifié la Constitution et les lois que dans le sens demandé par l'Union européenne, pour rendre le corpus juridique turc euro-compatible. Il n'y a pas un seul exemple de changement législatif qui trahisse une dérive islamiste.

Cette décision d'ouverture des négociations est utile: elle offre aux économies européenne et turque des perspectives qui renforceront le partenariat privilégié. Celui-ci existe déjà grâce à l'Union douanière ratifiée au Parlement européen, en décembre 1995. Après 2001, j'ai été pendant quatre ans le témoin privilégié de l'imbrication progressive des économies européenne et turque, avec souvent le sentiment que les Français auraient pu faire plus et mieux.

Les négociations vont porter en grande partie sur le calendrier de la mise en oeuvre de la politique agricole commune, puisque celle-ci n'était pas concernée par l'Union douanière. Cela va ouvrir un marché très solvable de 71 millions de consommateurs à nos producteurs. Idem pour tout ce qui concerne les services: les grandes enseignes françaises encore absentes de Turquie, rassurées par le dialogue ouvert, prendront conscience du potentiel de ce pays.

Il s'agit enfin d'une décision sage: le chemin à parcourir pour les Turcs sera long et semé d'embûches, car les structures économiques de nos pays restent encore très divergentes. La sagesse imposait que l'on mette autour d'une table les experts européens et turcs pour identifier les problèmes que poserait une adhésion. L'Europe fonctionne ainsi depuis 1952. Pourquoi la candidature des Turcs échapperait-elle à cette règle ? Le moment venu, dans dix ou quinze ans, les responsables politiques d'alors prendront les décisions qui conviennent. Ayons confiance dans la jeunesse de nos pays.

Dans une négociation constructive avec ce pays ami depuis cinq siècles, la France aurait pu jouer un rôle majeur. Malheureusement, elle est dans une phase de repli sur elle-même. Pour "répondre aux inquiétudes des Français sur la montée de l'islamisme", il est assez commode de trouver une tête de Turc prédestinée à l'emploi. Les Turcs, à qui rien n'échappe, comprendront vite que la route de Berlin, de Londres ou de Bruxelles est plus porteuse que celle de Paris.


Jean-Antoine Giansily, ancien député (UPE-RPR) au Parlement européen, était chef de la Mission économique française à Istanbul de septembre 2001 à août 2005.

Article paru dans l'édition du 14.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

gérard B. ♦ 13.10.05 | 18h49 ♦ Nous ne sommes peut-être pas amis avec la Turquie depuis cinq siècles, mais il est vrai que François Ier et Louis XIV s'allièrent avec les Ottomans contre le reste de l'Europe, qui s'en trouva fort choquée: déjà, la France, visionnaire s'affranchissait du fardeau du christianisme... (vision personnelle). La laïcité turque est clairement soeur de la nôtre: nous partageons donc beaucoup de choses avc les Turcs, y compris, hélas, quelques remontrances de la CEDH. ILs ont donc leur place dans l'UE!
Gustave A. ♦ 13.10.05 | 17h41 ♦ Badinter a très bien expliqué les en jeux. L'entrée de la Turquie signifie la fin de l'Europe en tant qu'entité politique et sa transformation en une vaste zone de libre-échange. L'Angleterre jubile, car elle a enfin vaincu De Gaulle! Le cheval de Troie est entré, l'Europe politique, sociale et militaire est tombée. Congratulations Brits! You are the best! As asual...
doudou ♦ 13.10.05 | 17h16 ♦ Ce texte montre bien que l'adhésion turque est surtout désirée par certains pour des raisons économiques (agrandissement de la zone de libre échange, débouchés commerciaux,...). Les aspects éthiques (Chypre, l'Arménie, droits de l'homme), socio-culturels (pq la Turquie est-elle plus européenne que d'autres ?) et surtout politiques sont tus. Adieu Europe politique ! Bonjour grand marché libre échangiste sans harmonisation sociale ni fiscale ! Désespérant... Les coopérations renforcées, vite !!!
henrikardo ♦ 13.10.05 | 16h37 ♦ " ce pays ami depuis 5 siècles ... " qu'est-ce que c'est que cette leçon d'histoire de politique aveuglé ? Mais alors on a été aussi ami-ami avec les Allemands depuis Charlemagne , avec les Anglais depuis Guillaume Le Conquérant et avec les Espagnols... donc dans pas longtemps, on aura aussi été copains avec Ben Laden, les militants du " Sentier Lumineux " ... bref avec tout le monde puisque ce qui compte c'est la vision qu'on a de l'histoire et pas sa réalité


Le Monde / Talents
Un CDD réservé aux plus de 57 ans verra le jour en 2006

 L e projet d'accord "relatif à l'emploi des seniors" conclu dans la nuit du mercredi 12 au jeudi 13 octobre devrait amener des changements dans la vie des salariés et des chômeurs âgés. Mais il renvoie nombre de dispositions à la décision des pouvoirs publics ou à de futures négociations, comme celle de la convention Unedic qui doit débuter le 8 novembre.

Prévu par la loi sur les retraites d'août 2003 et destiné à améliorer le taux d'emploi des plus de 55 ans, l'un des plus bas d'Europe avec 36,8 %, ce texte contient une série de mesures sur "l'évolution des représentations socioculturelles" , "la sécurisation des parcours professionnels" , "le retour des seniors dans l'emploi" ou encore la "fin de carrière" . L'objectif du projet d'accord, qui comporte 27 articles, est d'atteindre un taux d'emploi des 55-64 ans "de 50 % à horizon 2010, soit une progression de deux points par an" . Un premier bilan sera effectué fin 2007.

"Nouveau" CDD pour les plus de 57 ans : un contrat à durée déterminée (CDD) de 18 mois maximum, renouvelable une fois, pourra être conclu avec un chômeur de 57 ans "inscrit comme demandeur d'emploi depuis plus de trois mois ou en convention de reclassement personnalisé (CRP)" , "afin de lui permettre d'acquérir par son activité, des droits supplémentaires" pour liquider sa retraite à taux plein.

La durée maximale actuelle d'un CDD est de 18 mois, renouvellement compris. Avec une durée totale de 36 mois, ce CDD aménagé, qui suppose toutefois l'intervention du législateur, permettrait à un chômeur de 57 ans, "éloigné structurellement de l'emploi" , d'atteindre 60 ans et de compléter ses annuités pour un départ à taux plein. Ce point a rencontré l'hostilité de tous les syndicats, opposés à la création d'un nouveau contrat, a fortiori d'un "contrat vieux" comme l'avait baptisé la CGT.

Dispense de recherche d'emploi : la suppression éventuelle de la dispense de recherche d'emploi pour les chômeurs seniors, réclamée par le patronat, est remise à plus tard. Dans le cadre de la négociation Unedic, syndicats et patronat étudieront des "dispositifs susceptibles de favoriser le retour dans l'emploi des seniors" .

Contribution Delalande : la suppression de cette contribution, réclamée par le Medef, et refusée par les syndicats, est renvoyée aux pouvoirs publics. A charge pour eux d'étudier "les effets" du dispositif et d'apporter, "après consultation des partenaires sociaux, les correctifs éventuels qui pourraient favoriser l'emploi des seniors".

Instituée en 1987, cette contribution payée par les entreprises qui licencient un travailleur de plus de 50 ans rapporte quelque 250 millions d'euros par an à l'Unedic, une somme que les syndicats ne sont pas prêts d'abandonner au vu du déficit de l'assurance-chômage qu'ils cogèrent avec le patronat. Cumul emploi-retraites : ce dispositif a été critiqué par tous les syndicats. "Les chômeurs, notamment les seniors, ne comprendraient pas que l'on organise le maintien dans l'activité de salariés pouvant partir à la retraite" , a remarqué Michel Coquillion, le représentant de la CFTC. Les pouvoirs publics sont donc invités à "réduire notamment les inégalités de traitement entre salariés" engendrées par le cumul emploi-retraites.

Aujourd'hui, ce dispositif interdit à un salarié reprenant un emploi de dépasser le niveau de son dernier salaire en cumulant sa pension et la rétribution de sa nouvelle activité. Un scénario jugé défavorable aux bas salaires et favorable aux cadres.

Epargne salariale : toute référence à la possibilité d'un déblocage anticipé de l'épargne salariale a été enlevée à la demande des syndicats.

Travaux pénibles : un nouvel article a été rajouté, à la demande de la CFTC, établissant le lien avec la négociation sur la pénibilité au travail, dont la prochaine séance est prévue le 2 novembre : "Les aménagements de fin de carrière liés à la pénibilité seront négociés dans un accord spécifique sur la pénibilité."

Formation : L'accord propose d'autres mesures, concernant notamment le "droit individuel à la formation" que l'employeur ne pourra plus désormais refuser à une personne âgée de plus de 50 ans. Chaque salarié se verra aussi reconnaître le droit à l'âge de 45 ans, puis tous les cinq ans, à un "entretien de deuxième partie de carrière" destiné à faire le point sur ses compétences, ses besoins de formation et son évolution professionnelle.

Rémi Barroux
Article paru dans l'édition du 14.10.05


Le Monde / Société
L'ancien imam de Vénissieux a été condamné à six mois de prison avec sursis

 L a cour d'appel de Lyon a condamné, vendredi 14 octobre, à six mois d'emprisonnement avec sursis l'ancien imam de Vénissieux.

L'imam Abdelkader Bouziane était poursuivi pour ses propos favorables au châtiment corporel des épouses infidèles. Il avait été relaxé en première instance. M. Bouziane, jugé en son absence en raison de son expulsion en Algérie en octobre 2004, a également été condamné à 2 000 euros d'amende. La peine prononcée par la cour d'appel va au-delà des réquisitions de l'avocat général qui avait demandé une peine d'"amende significative".

Agé de 53 ans, l'imam salafiste, polygame et père de seize enfants, était poursuivi pour "provocation directe, non suivie d'effet, à commettre l'infraction d'atteinte volontaire à l'intégrité d'une personne" à la suite de ses propos publiés en avril 2004 dans le mensuel Lyon Mag.

"Battre sa femme, c'est autorisé par le Coran, mais dans certaines conditions, notamment si la femme trompe son mari. (...) Mais attention, l'homme n'a pas le droit de frapper n'importe où. Il ne doit pas frapper au visage, mais viser le bas, les jambes ou le ventre. Et il peut frapper fort pour faire peur à sa femme, afin qu'elle ne recommence plus", avait-il déclaré.

"CONDAMNATION À TOUS LES IMAMS AUTOPROCLAMÉS"

L'avocat de M. Bouziane, Me Mahmoud Hebia, a aussitôt annoncé son intention de se pourvoir en cassation. M. Bouziane avait été relaxé le 21 juin par le tribunal correctionnel de Lyon, mais le parquet avait fait appel. Deux associations lyonnaises de défense des droits des femmes, Regards de femmes et Femmes contre les intégrismes, qui s'étaient constituées parties civiles, ont été déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts par la cour.

"Cette condamnation est un message à tous les imams autoproclamés qui prétendent que le Coran est supérieur à la loi", s'est félicitée Michèle Vianès, présidente de Regards de femmes, après l'énoncé de l'arrêt. Cela confirme que "personne ne peut battre une femme sous quelque prétexte que ce soit", a-t-elle ajouté.

Abdelkader Bouziane a été expulsé vers l'Algérie à la suite d'une décision du Conseil d'Etat de mettre fin à la suspension d'un arrêté de reconduite à la frontière pris à son encontre.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 14.10.05 | 15h29


Le Monde / Sciences
Article interactif
Grippe aviaire: présence du virus confirmé en Roumanie
  1. Le virus de la grippe aviaire confirmé dans un deuxième village roumain
  2. "Pas de situation de pandémie" pour M. de Villepin
  3. L'OMS prône une surveillance accrue
  4. La Turquie interdit la chasse aux oiseaux sauvages
  5. Roche est submergé de commandes de Tamiflu
  6. Le Tamiflu inefficace face à une certaine souche du H5N1
1 - Le virus de la grippe aviaire confirmé dans un deuxième village roumain

 L a présence du virus de la grippe aviaire en Roumanie a été confirmé sur deux nouveaux échantillons provenant de Maliuc, un village proche du premier foyer détecté dans le delta du Danube, au sud-est de la Roumanie, a annoncé vendredi 14 octobre, le ministère de l'agriculture roumain. Les deux échantillons ont été prélevés les 9 et 10 octobre sur un cygne et une poule, selon la même source.

Attendus vendredi, les autres résultats concernant l'identification du virus de la grippe aviaire en Roumanie – s'agit-il du H5N1, qui a causé la mort d'un soixantaine personnes en Asie depuis 2003 ? – ne seront pas disponible avant samedi, a annoncé la Commission européenne.

Les échantillons doivent être envoyés au laboratoire de référence communautaire, en Angleterre. Mais, en raison des "procédures douanières appliquées au transport de matière dangereuse", un retard a été pris, a précisé la Commission dans un communiqué. Ces échantillons devraient ainsi arriver "tard dans la journée de vendredi" au laboratoire, et les résultats sont attendus pour samedi après-midi,"pas avant".

La Commission européenne a confirmé, jeudi 13 octobre, la présence en Turquie du redoutable virus H5N1 de la grippe aviaire. Les experts vétérinaires de l'UE, ainsi que des spécialistes des routes migratoires, des oiseaux sauvages et de la chasse se réunissent à Bruxelles, vendredi 14 octobre toute la journée, pour étudier d'éventuelles nouvelles mesures de prévention afin de limiter les contacts entre les oiseaux sauvages et les volailles. Ils pourraient décider en fin de journée des actions à mener.

2 - "Pas de situation de pandémie" pour M. de Villepin

 L e chef du gouvernement a réuni, vendredi 14 octobre, pendant une heure à l'hôtel Matignon huit ministres autour du dossier de la grippe aviaire (intérieur, défense, affaires étrangères, transports, santé, agriculture, écologie, budget). La présence du virus aux portes de l'Europe renforce les craintes d'une épidémie à grande échelle. Mais, dans un communiqué publié à l'issue de cette réunion, le premier ministre a "rappelé qu'à ce stade, il s'agit d'une maladie qui touche les volailles". "Si l'on dénombre en Asie quelques cas de transmission des volailles à l'homme, il n'y a en revanche à ce jour aucun cas de transmission d'homme à homme: nous ne sommes pas en situation de pandémie", a-t-il assuré.

Le premier ministre a donné les deux priorités du gouvernement dans ce dossier: "prévenir, en étroite coordination avec nos partenaires européens, la propagation de l'épizootie en Europe" et "protéger la santé des Français".  M. de Villepin a "fait le point sur l'approvisionnement de la France en masques et en médicaments antiviraux, ainsi que sur les réservations de vaccins".

Les ministres des affaires étrangères de l'UE devraient se réunir à Luxembourg, mardi 18 octobre, pour évoquer la grippe aviaire et des négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a-t-on appris de sources diplomatiques,vendredi  14 octobre.

3 - L'OMS prône une surveillance accrue

 L' Organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé que l'arrivée en Europe du virus de la grippe aviaire était une source de préoccupation. L'OMS a également demandé aux pays concernés de renforcer la surveillance à la fois des volatiles et des êtres humains.

Mais, dans un communiqué diffusé dans la nuit via son site Internet  [ www.who.int ], elle souligne que tous les indices montrent que le virus H5N1 ne se transmet pas aisément des oiseaux à l'être humain. En attendant les résultats des laboratoires chargés d'identifier le mal, l'OMS n'a pas relevé son niveau d'alerte (trois sur une échelle de cinq) en vue d'une éventuelle pandémie affectant les humains.

Toutefois,"l'OMS recommande aux pays touchés par des épidémies concernant les volailles de respecter certaines précautions, notamment lors des opérations d'abattage, et de surveiller les personnes à risque pour tout symptôme respiratoire ou de fièvre".

4 - La Turquie interdit la chasse aux oiseaux sauvages

 A près que le virus eut été identifié comme étant le H5N1, la chasse à tous les oiseaux sauvages a été interdite jusqu'à nouvel ordre", indique le ministère de l'environnement turc dans un communiqué, vendredi 14 octobre. Les autorités demandent à tous les chasseurs de respecter cette interdiction et surtout d'éviter tout contact avec les volatiles migrateurs qui vivent dans les marais à travers le pays, situé sur trois axes de migration.

Dans les Balkans, les autorités croates ont annoncé, jeudi 13 octobre, avoir engagé une vaste opération de prélèvement d'échantillons sur des oiseaux sauvages dans tout le pays afin de déterminer s'ils sont porteurs du virus de la grippe aviaire. "Dans le cas où on découvrirait la présence du virus, les premiers résultats des tests seront connus dans quelques jours", a déclaré un responsable de l'Institut croate des volailles, Vladimir Savic, cité par l'agence Hina. Les tests vont être effectués, notamment sur des oies, des canards et des mouettes, a-t-on indiqué de même source.

5 - Roche est submergé de commandes de Tamiflu

 S elon le magazine économique suisse Cash, le groupe pharmaceutique Roche est submergé de commandes de Tamiflu, un médicament qui combat la grippe aviaire. Pour répondre à cette demande, Roche va multiplier le chiffre de sa production de 2003 par huit ou dix d'ici à 2006, a indiqué un porte-parole du laboratoire suisse, interrogé par le journal. Au début de l'année 2005, Roche avait déjà décidé de doubler sa capacité de production de Tamiflu.

Cependant, le géant suisse du médicament n'a pas les capacités d'assurer par lui-même cette notable hausse de la production. Il sera obligé de sous-traiter partiellement avec des entreprises chimiques telles que Lonza ou Clariant, ajoute le journal. Parmi les importants commanditaires du médicament, Roche est en pourparlers avec les Etats-Unis, qui veulent commander une grande quantité de Tamiflu. L'antiviral est aussi recherché par les entreprises pour protéger leur personnel.

Le Tamiflu devrait rapporter cette année 1 milliard de francs suisses (660 millions d'euros) de chiffre d'affaires pour Roche. Le médicament, vendu sur ordonnance, coûte près de 59 euros en Suisse (87,50 francs suisses). Selon un responsable de l'institut suisse d'immunologie, des pharmacies en ligne proposent le médicament pour 87,50 euros, soit presque 50 % plus cher.

6 - Le Tamiflu inefficace face à une certaine souche du H5N1

 S ne souche du virus H5N1 résistante au Tamiflu, le médicament antiviral stocké à travers le monde en cas d'apparition d'une pandémie de grippe d'origine aviaire, a été identifiée par une équipe de chercheurs, a rapporté, vendredi 14 octobre, l'hebdomadaire scientifique britannique Nature.

Cette souche a été identifiée chez une jeune fille de 14 ans au Vietnam. Cette dernière aurait pu contracter la grippe d'origine aviaire par le biais de son frère, et non pas directement par des oiseaux infectés.

Le décodage du génome de cette souche particulière a montré qu'elle avait subi une mutation qui la rendait résistante à l'oseltamivir, le nom de laboratoire du Tamiflu, le médicament commercialisé par le laboratoire suisse Roche.

Des essais en laboratoire sur des animaux ont cependant montré que ce virus était sensible à une autre substance appelée zanamivir, et commercialisée par le britannique GlaxoSmithKline sous le nom de Relenza.

Ces conclusions "suggèrent qu'il pourrait être utile de stocker du zanamivir en plus de l'oseltamivir en cas de pandémie provoquée par le virus H5N1", selon l'équipe de chercheurs dirigés par Yoshihiro Kawaoka, de l'université de Tokyo et de l'université de Wisconsin à Madison.

L'antiviral Tamiflu est jugé par les experts susceptible de réduire la gravité et la durée des symptômes, voire la mortalité, en cas de grippe gravissime.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 14.10.05 | 13h09


Le Monde / Europe
De passage à Paris, Gerhard Shröder assure Paris que le modèle européen sera défendu

 V enus saluer à Paris son "ami" Jacques Chirac,  Gerhard Schröder a assuré vendredi 14 octobre au soir que la France et l'Allemagne "lutteront contre tous ceux qui veulent sacrifier" un modèle européen alliant "l'efficacité économique et la cohésion sociale". Deux éléments qu'il juge "capitaux et qui font que ce modèle qui nous tient à coeur doit à tout prix être préservé",  lors d'un point de presse au côté du Président français.

Le chancelier allemand sortant s'est également dit "convaincu" que le gouvernement de coalition gauche-droite dirigé par la conservatrice Angela Merkel poursuivrait une "étroite coopération entre l'Allemagne et la France".

A propos du lien franco-allemand, il s'est dit "convaincu que tout gouvernement allemand sait déjà ou apprendra rapidement que le progrès en Europe n'est possible que s'il est fondé sur une étroite coopération entre l'Allemagne et la France".

"Le chancelier et moi, l'Allemagne et la France avons la même vision, le même projet pour l'Europe de demain". C'est "une Europe à la fois politique et sociale, une Europe organisée, une Europe fondée sur la solidarité, les politiques communes et une démarche d'harmonisation", a souligné pour sa part, Jacques Chirac.

Enfin, il a ajouté qu'il allait examiner lors du dîner avec M. Schröder les "différentes initiatives" qu'ils pourraient soutenir ensemble, notamment pour la recherche et l'innovation, les liaisons transeuropéennes, l'énergie, la démographie et la défense.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 14.10.05 | 20h38


Le Monde / France
Le "tsunami politique du 21 avril 2002 n'a pas été purgé" affirme Nicolas Sarkozy

 L e "tsunami politique" de l'élections présidentielle de 2002 "n'a pas été purgé", a estimé, vendredi 14 octobre, le ministre de l'intérieur."Je ne suis pas persuadé que nous avons apporté toutes les réponses à ce choc politique", a-t-il déclaré en se référant à l'arrivée du candidat d'extrême droite Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection.

Selon lui, la victoire massive du non le 29 mai dernier, lors du référendum sur la Constitution européenne, avait été "un autre choc politique d'une très grande ampleur". "Si vous ajoutez à cela qu'un Français sur deux, grosso modo, ne vote plus, vous avez un troisième choc politique", a-t-il renchéri lors d'un déjeuner débat avec le club d'entrepreneurs Croissance Plus.

Il a justifié par cette situation les déclarations qu'il avait faites en juin dernier dans une cité de la Courneuve, en banlieue parisienne, et qui avaient provoqué un tollé dans l'opposition, et l'embarras dans la majorité. Après la mort d'une enfant de 11 ans tué par balle, il avait dit vouloir "nettoyer la Courneuve au Kärcher".

"Quand j'emploie des mots comme ceux que j'emploie, c'est pour être sûr de me faire comprendre (...) de ceux qui vivent dans ces quartiers et qui ont le sentiment que la République les a abandonnés", a-t-il expliqué. "Quand je vais à la cité des 4000 – où je ne vous conseille pas de vous rendre sans être accompagnés –, et que je dis 'il faut nettoyer ces quartiers profondément des trafics et des trafiquants', je ne veux pas être compris des CSP (catégories socio-professionnelles) plus plus plus qui regardent ces quartiers avec une jumelle", a-t-il ajouté. "Je veux être compris de ceux qui y vivent."

"LA RUPTURE EST PROFONDÉMENT NÉCESSAIRE"

De plus, et quoi qu'en pense le premier ministre, l'idée de rupture plaît à Nicolas Sarkozy. "La rupture est profondément nécessaire avec les graves échecs de la politique économique et sociale des trente dernières années", a lancé le ministre de l'intérieur, vendredi 14 octobre, à Paris, appelant à "rompre avec les réformes bancales" et les "prudences hypocrites".

"C'est ma responsabilité d'homme politique que de proposer aux Français de sortir de la spirale des mauvais résultats dans laquelle notre pays s'est enlisé depuis près de trente ans", a-t-il encore affirmé.

Le numéro deux du gouvernement va plus loin en déclarant: "La rupture que je souhaite est donc aussi une rupture avec la méthode et le rythme des réformes." "Rompre avec ce qui ne marche pas n'a jamais voulu dire faire table rase de la société (...) La rupture que j'appelle de mes vœux passe résolument par les réformes. Nous ne romprons avec la croissance molle, la dérive des finances publiques et notre chômage endémique, qu'en mettant en œuvre rapidement les changements dont le pays a besoin", a martelé le ministre de l'intérieur.

"Qui peut aujourd'hui soutenir honnêtement que la situation de l'économie française n'est pas préoccupante ou que les piètres résultats de notre système social n'invitent pas d'urgence au sursaut ? Qui peut oser prétendre qu'il n'y a, après tout, que quelques ajustements, quelques rustines, quelques retouches à apporter ? Qui peut affirmer que le cap économique de notre pays est le bon et qu'il faut continuer comme ça ?", a demandé le ministre, avant d'affirmer "l'avenir appartient à ceux qui le préparent".

ISF, MODIFICATIONS "INDISPENSABLES"

Par ailleurs, le ministre de l'intérieur a jugé "indispensables" des modifications de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), bien que le premier ministre, Dominique de Villepin, ait déclaré que ce n'était pas, pour le moment, la priorité du gouvernement.

"Je ne serai jamais de ceux qui proposeront la suppression de l'ISF et je pense d'ailleurs que, quand on a plus d'argent que les autres, il est normal de payer plus d'impôts que les autres", a-t-il déclaré. "En revanche, quand cet impôt, l'ISF, justifie des délocalisations, prive le pays de richesses et empêche la création d'emplois, alors je dis: on doit pouvoir en débattre calmement et simplement", a-t-il poursuivi.

"Je ne supprimerai pas l'ISF et je ne le demanderai pas. Les modifications de l'ISF, je crois qu'elles sont indispensables, et le plus tôt sera le mieux", a ajouté le président de l'UMP.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 14.10.05 | 16h55


Le Monde / Sciences
L'"homme de Flores" demeure une énigme

 L a polémique n'en finit pas de rebondir au sujet des restes appartenant à une petite femme, haute de 1 mètre et vieille de 18 000 ans, mise au jour sur l'île de Flores en Indonésie, en 2003, par une équipe australo-indonésienne. Un article dans la revue Nature et deux autres parus dans Science relancent un débat qui avait provoqué, lors de son annonce, en octobre 2004, un véritable séisme dans le monde de la paléoanthropologie. L'une des grandes interrogations concerne la capacité cérébrale du petit être, évaluée à 380-400 cm3, plus proche de celle du chimpanzé ou de l'australopithèque Lucy (3,2 millions d'années).

Lors de leur découverte, l'équipe de chercheurs, dirigée par Peter Brown et Mike Morwood (université de Nouvelle-Angleterre, Australie), ont estimé que le petit " Hobbit" n'était pas un être atteint de microcéphalie ou de nanisme pathologiques, mais qu'il appartenait à une nouvelle famille humaine, baptisée Homo floresiensis . Sa petite taille, estimaient-ils, était due à un nanisme insulaire, déjà connu chez les mammifères herbivores (cervidés, hippopotames, éléphants et mammouths). La nouvelle espèce humaine aurait évolué pendant des millénaires, isolée sur l'île de Flores, à partir d'un ancêtre Homo erectus arrivé sur l'île il y a 800 000 ans.

Depuis, Peter Brown et Mike Morwood, avec des chercheurs indonésiens du centre d'archéologie, ont poursuivi leurs fouilles sur l'île de Flores en creusant jusqu'à 11 mètres de profondeur. Ils ont découvert – comme ils l'indiquent dans la revue Nature du 13 octobre – des fossiles complémentaires du premier squelette dénommé LB1 (humérus droit, radius et cubitus), la mandibule d'un second individu (LB6), ainsi que des restes d'autres Hobbits, l'ensemble des ossements appartenant à neuf individus.

Les nouvelles observations confirment la petitesse d'Homo floresiensi s (environ 1 mètre de haut) et montrent qu'il chassait des animaux, tel le stégodon nain (une espèce d'éléphant), savait fabriquer des outils lithiques et connaissait le feu. Mais surtout, expliquent Peter Brown et ses coéquipiers, ces nouveaux fossiles "démontrent que LB1 n'est pas un individu aberrant ou pathologique, mais qu'il est représentatif d'une population présente sur l'île entre - 95 000 et - 12 000 ans".

Les chercheurs australiens et indonésiens reviennent néanmoins sur l'hypothèse initiale selon laquelle Homo floresiensis serait issu de Homo erectus . Car, écrivent-ils dans Nature, "les caractéristiques morphologiques des nouveaux spécimens confirment que cette population d'hominidés ne peut se référer à Homo erectus ou à Homo sapiens . La taille des dents et la morphologie faciale dictent, certes, l'inclusion de cette espèce dans le genre Homo , mais la stature et les proportions du corps sont similaires à celles des australopithèques". Au total, concluent les chercheurs, "la généalogie de Homo floresiensis demeure à ce jour incertaine" .

Daniel Lieberman, du Peabody Museum (université Harvard, Etats-Unis), dans la même édition de Nature, estime "indispensable de trouver d'autres fossiles pour supprimer toute ambiguïté concernant l'hypothèse microcéphale et dire avec certitude si les ancêtres d'Homo floresiensis ressemblaient à Homo erectus ou à autre chose".

Jean-Jacques Jaeger, professeur de paléontologie des vertébrés à l'université Montpellier-II précise, pour sa part, que la nouvelle publication de Nature "met fin à la polé mique, car l'idée de nanisme ne tient pas la route avec les nouvelles découvertes ". En revanche, le paléoanthropologue français juge "qu'il est très difficile, voire impossible , de reconstituer l'ancêtre de ces petits êtres sans fossiles intermédiaires . En cas de nanisme insulaire, précise-t-il, "la puissance de l'évolution est telle qu'elle change les caractères ancestraux. Dans l'affaire qui nous concerne, l'ancêtre peut être aus si bien un Homo erectus, qu'un pré-erectus, ou encore un Homo sapiens, car certains caractères peuvent être contraints par l'évolution, comme on le constate couramment chez des mannifères victimes de nanisme insulaire".

Cependant, la petite taille du cerveau de LB1 pose encore problème. En mars 2005, Dean Falk (département d'anthropologie de l'université d'Etat de Floride) avait établi que le cerveau d'Homo floresiensis était très proche de celui d'Homo erectus (Le Monde du 5 mars 2005) après avoir comparé les endocrânes (intérieur du crâne) d'australopithèques, de plusieurs Homo erectus , d'humains contemporains, de gorilles, de chimpanzés, d'une femme pygmée adulte et d'une personne atteinte de microcéphalie.

Mais le débat rebondit dans la revue Science du 14 octobre. Jochen Weber (département de neurochirurgie de l'hôpital Leopoldina à Schweinfurt en Allemagne) et deux autres chercheurs allemands ont observé le crâne de dix-neuf microcéphales modernes, et s'estiment "en complet désaccord avec Dean Falk , car on ne peut exclure complètement l'hypothèse de la microcéphalie". La réponse vigoureuse de Dean Falk, parue dans le même numéro de Scienc e, reproche aux scientifiques allemands d'avoir établi leurs conclusions sans avoir observé le crâne du petit Hobbit, LB1. A suivre...

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Sciences
Des anthropoïdes de 37 millions d'années

 T ous les singes, les grands singes (chimpanzés, bonobos, gorilles, orangs-outans) et les hommes partagent des caractères anatomiques et biochimiques avec un groupe de primates fossiles disparus depuis longtemps, appelés anthropoïdes. Ces primates seraient nés en Asie, il y a 55 millions d'années. Puis, ils se seraient disséminés en Afrique, réalisant cependant, au cours des siècles, des allers-retours fréquents entre les deux continents.

Une dent, vieille de 45 millions d'années et appartenant à un primate africain, Algeripithecus, a été découverte en Algérie dans les années 1990. Il était donc nécessaire de découvrir des indices plus probants.

Une équipe menée par Elwyn Simons (Duke Primate Center, Durham, Etats-Unis) a trouvé des fossiles de primates plus complets datés de 32 et 35 millions d'années dans la dépression du Fayoum, en Egypte, située à une centaine de kilomètres au sud-ouest du Caire. Cette zone contient les dépôts sédimentaires d'un ancien delta, atteignant 300 mètres de profondeur, où sont représentés des terrains de l'époque de l'éocène (–53 à –34 millions d'années) et de l'oligocène (–34 à –23,5 millions d'années). Elle est, de ce fait, extrêmement riche en fossiles de toutes sortes.

Elwyn Simons, aidé d'Erik Seiffert (université d'Oxford, en Grande-Bretagne), et des spécialistes américains et égyptiens viennent de remonter le temps en annonçant, dans la revue Science du 14 octobre, la découverte de deux minuscules primates anthropoïdes africains vieux de 37 millions d'années, dont le poids est évalué à environ 300 grammes.

Ces fossiles, dénommés Biretia fayumensis et Biretia megalopsis, trouvés sur le site de Birket Qarun, dans le Fayoum, sont représentés par des morceaux de mandibule, des dents et un morceau d'orbite. Ce qui laisse plus de latitude aux paléontologues pour étudier leurs affinités phylogénétiques et leur adaptation au milieu. Curieusement, l'un des fossiles possède une orbite très large, ce qui laisse supposer que Biretia menait une vie nocturne.

Selon Jean-Jacques Jaeger, professeur de paléontologie des vertébrés à l'université Montpellier-II, qui signe avec Laurent Marivaux (Institut des sciences de l'évolution, à Montpellier) un commentaire dans le même numéro de Science , "la morphologie dentaire de ces fossiles offre un éclairage sur les premiers moments de l'évolution des anthropoïdes africains". Les deux chercheurs estiment que la nouvelle découverte du Fayoum "ouvre la voie à une compréhension plus approfondie des relations phylogénétiques entre les premiers anthropoïdes asiatiques et africains" . Ce qui devrait permettre de mieux connaître, à terme, l'origine de nos très lointains ancêtres.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Société
La Cour de cassation précise les contours du délit de "mendicité avec enfant"

 L A COUR de cassation a rendu un arrêt, jeudi 13 octobre, qui précise les contours du délit de "mendicité avec enfant". Depuis la promulgation de la loi pour la "sécurité intérieure" en mars 2003, le fait de maintenir un mineur de moins de 6 ans sur la voie publique "dans le but de solliciter la générosité des passants" constitue une "privation de soins" , réprimée par le code pénal. Les peines encourues peuvent aller jusqu'à 7 ans de prison et 100 000 euros d'amende.

L'affaire soumise à la haute juridiction concerne une Roumaine âgée d'une trentaine d'années, interpellée à deux reprises, en mai et en août 2003, alors qu'elle mendiait dans le quartier des Champs-Elysées à Paris, en compagnie de son fils en bas âge. Poursuivie pour cette nouvelle infraction instaurée par la loi "sécurité intérieure" , la jeune femme avait été relaxée en première instance puis en appel (Le Monde du 13 janvier). Pour les juges, la prévenue ne pouvait pas être condamnée car elle avait démontré que la santé de son enfant n'avait pas été altérée. Le parquet fit appel de cette décision.

Lors de l'audience, mercredi 12 octobre, l'avocate générale de la Cour de cassation, Dominique Commaret, avait estimé que l'arrêt de la cour d'appel devait être infirmé pour "contradiction et insuffisance de motifs" . "Le juge répressif ne saurait se satisfaire du simple constat d'une absence d'altération actuelle de la santé de l'enfant" , avait-elle notamment fait valoir. La justice doit, au contraire, "vérifier in concreto l'existence ou l'absence de danger réel et certain de compromission de la santé et physique et psychologique du jeune enfant". Une telle démarche suppose d'analyser dans le détail les "circonstances factuelles qui entourent l'exposition de l'enfant": y a-t-il un lien de filiation entre lui et celui ou celle qui l'amène à faire la manche ? Quel est l'âge du mineur ? Est-il scolarisé ? Où et depuis combien de temps sollicite-t-il les passants ? A-t-il ingéré des "psychotropes" ?

La Cour de cassation n'a pas suivi l'avis de Mme Commaret et a rejeté le pourvoi du parquet. Les motivations de la décision ne seront connues que dans quelques jours.

B. Bi.
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Société
Un millier de cancers du sein par an seraient imputables au traitement hormonal substitutif de la ménopause

 S UR LES 22 000 cancers du sein découverts chez des femmes âgées de 40 à 65 ans, 650 à 1 200 (soit entre 3% et 6% d'entre eux) sont imputables au traitement hormonal substitutif de la ménopause (THS). Cela représente une incidence comprise entre 35 et 55 cas pour 100 000 utilisatrices.

Cette estimation figure dans le rapport rendu public, jeudi 13 octobre, par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Ce document évalue aussi la part des infarctus du myocarde imputable au THS (entre 3,5 et 9 cas pour 100 000 utilisatrices) et celle des accidents vasculaires cérébraux (entre 16 et 29 cas pour 100 000). Entre 1 850 000 et 2 415 000 femmes âgées de 40 à 65 ans ont recours en France au THS.

Des médecins dénoncent la "précipitation"

L'Association française pour l'étude de la ménopause (AFEM), qui regroupe des médecins dont beaucoup ont été les promoteurs du traitement hormonal substitutif (THS), s'"étonne", dans un communiqué publié jeudi 13 octobre, de ce que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ait organisé avec "précipitation" une conférence de presse, le même jour, au cours de laquelle a été rendu public le rapport sur le THS demandé à un groupe d'épidémiologistes.

L'AFEM reproche à l'Agence de ne pas avoir attendu les résultats de deux études sur des femmes françaises, dont les résultats seront présentés le 21 octobre lors d'un congrès international sur la ménopause. Selon elle, cela risque de conduire à "la délivrance d'informations contradictoires à quelques jours d'intervalle". L'AFEM y voit un "manque de considération pour les praticiens", qui n'avaient pas été informés de la tenue de cette conférence de presse. Elle tiendra elle-même une conférence de presse le 15 novembre, au cours de laquelle elle apportera "une information complète et objective".

Les résultats de plusieurs études, en 2002 et 2003, ont fait apparaître une augmentation des risques de cancer du sein et d'événements cardio-vasculaires graves chez les femmes ayant recours à différents types de THS. L'Afssaps avait alors recommandé de restreindre ces prescriptions, en excluant "les femmes en bonne santé qui ne présentent pas de syndrome climatérique -signes gênants à la ménopause, comme les bouffées de chaleur, la sécheresse vaginale...- , ni de facteur de risque d'ostéoporose", du fait d'un "rapport bénéfice-risque défavorable" (Le Monde du 5 décembre 2003).

L'Agence a actualisé en 2004 ses recommandations. Elle réserve le THS, à la dose minimale efficace et pour la durée la plus courte possible, aux femmes ayant des manifestations cliniques de la ménopause, sans antécédent cardio-vasculaire ou de cancer du sein, avec une réévaluation annuelle de la nécessité de poursuivre le traitement.

L'Agence a mis en place, en mars 2004, un groupe de travail destiné à fournir des données sur le niveau d'exposition et de risque de la population, ainsi qu'à mesurer l'impact des recommandations. Placé sous la direction de Dominique Costagliola, une spécialiste d'épidémiologie, le groupe a travaillé à partir des "sources de données les plus représentatives de la population des femmes françaises" .

La répartition selon le type de THS prescrit montre une forte prédominance de l'association estroprogestative: 24,5% d'utilisatrices d'un THS à base d'oestrogène et de progestérone micronisée, et 58,4% pour les formes combinant oestrogène et un des autres progestatifs, contre 17,1% de femmes sous oestrogène seul. Le risque de cancer du sein est accru avec les associations estroprogestatives sauf celles à base de progestérone micronisée. Les oestrogènes seuls n'augmentent pas le risque de cancer du sein mais accroissent celui de cancer de l'utérus.

La durée médiane d'utilisation est de 8,3 ans pour les utilisatrices ayant commencé le THS avant 50 ans et de 5,4 ans pour celles ayant entamé ce traitement après 50 ans. Aucune durée d'utilisation ne met à l'abri des trois risques étudiés.

ACCIDENTS CARDIO-VASCULAIRES

Les experts ont bâti un modèle à partir des données disponibles, en tenant compte de l'âge au début de la prise du THS et de la durée d'utilisation, et sur la base du risque relatif mis en évidence dans les différentes études. Ce modèle a permis d'estimer pour une année donnée au cours du pic de l'utilisation, de 2000 à 2002, le nombre de cas de cancers du sein, d'infarctus et d'accidents vasculaires cérébraux (AVC).

Entre 60 et 200 cas d'infarctus du myocarde sur les 3 500 survenant dans la tranche de la population féminine âgée de 40 à 65 ans, soit entre 2% et 6%, sont attribuables au THS. La proportion est de 300 à 650 cas sur les 5 000 AVC ischémiques touchant des femmes de 40 à 65 ans, soit 6,5% à 13,5%.

Ces estimations concernent des populations et non des individus. "Le nombre de cas chez les femmes exposées à un THS comprend les cas attribuables au THS et d'autres non attribuables. Ainsi, il est impossible au niveau individuel de savoir si le THS est ou non la cause de l'événement considéré" , prévient le rapport des experts.

L'inquiétude qu'ont soulevée les différentes études a conduit plus d'un quart des femmes sous THS à interrompre ce traitement depuis 2004. Le rapport précise que "les recommandations publiées en 2003 et 2004 et leur médiatisation ont été associées à une baisse d'au moins 40% des événements attribuables, voire 50% pour certains d'entre eux. Il appartient aux autorités en charge de la santé d'évaluer si cette réduction est suffisante ou si d'autres interventions sont nécessaires" , concluent les experts.

Paul Benkimoun
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Médias
La mise en examen de cinq journalistes relance le débat sur le secret des sources

 D eux journalistes du quotidien L'Equipe et trois de l'hebdomadaire Le Point , ont été mis en examen, mercredi 12 et jeudi 13 octobre, pour "recel de violation du secret de l'instruction ". A l'origine de ces décisions, une juge d'instruction de Nanterre, Katherine Cornier, cherche à identifier les sources de ces journalistes chargés par leurs journaux de l'investigation sur l'affaire Cofidis, une équipe cycliste soupçonnée de dopage.

La justice leur reproche d'avoir publié des comptes rendus d'écoutes téléphoniques et des procès verbaux d'auditions, pièces de l'enquête du juge de Nanterre Richard Pallain, sur un trafic présumé de produits dopants au sein de l'équipe Cofidis. Ouverte au lendemain de l'arrivée du Tour de France 2003, cette dernière information judiciaire a abouti à la mise en examen de neuf personnes par le juge Pallain, qui a transmis son dossier au Parquet en septembre (Le Monde du 3 octobre)

Pour sa part, Mme Kornier avait, dans un premier temps, convoqué les journalistes, qui avaient refusé de livrer leurs sources. Puis, en janvier, les locaux du Point et ceux de L'Equipe avaient été perquisitionnés.

L'ensemble de la profession a condamné les mises en examen de journalistes. "Tenter une nouvelle fois de remettre en cause ce droit -de ne pas révéler ses sources- , c'est remettre en cause le droit d'informer", estime, dans un communiqué, la Société des journalistes de L'Equipe , qui "assure de son soutien " les journalistes incriminés..

Le Forum permanent des sociétés de journalistes, qui rassemble les sociétés de journalistes de treize titres de presse, dénonce une "dérive très inquiétante ", qui "touche l'essentiel de notre métier qui est de pouvoir garantir à nos informateurs qu'ils ne seront jamais identifiés ".

"Cette situation est inacceptable et ne sera pas acceptée" , souligne de son côté la Fédération nationale de la presse française (FNPF) et du Syndicat de la presse magazine et d'information (SPMI). "L'intimidation des journalistes ira-t-elle jusqu'à leur garde à vue et à leur détention ? "

UN DÉBAT AGITÉ

Du côté des parties, on se dit cependant satisfait de pouvoir aller devant la justice. "C'est l'occasion de réaffirmer les grands principes qui régissent la profession, notamment le respect des sources ", a souligné Claude Droussent, directeur des rédactions de L'Equipe . "Ce sera un grand débat qui devra régir toute la profession", renchérit Basil Ader, avocat du journal. La direction du Point , dit préférer " garder ses effets de manche pour les tribunaux ". " Nous allons plaider sur les principes qui concernent l'ensemble de la profession ", dit Me Renaud Le Gunéhec, avocat de l'hebdomadaire.

Et chacun de rappeler que l'article 109 du code de procédure pénale français, ainsi que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, garantissent aux journalistes le droit de ne pas révéler leurs sources. " Le droit au secret des sources journalistiques est une des pierres angulaires de la liberté de la presse ", affirme la Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt Goodwin de mars 1996, sur lequel s'appuie Me Ader. Selon lui, " les perquisitions sont contraires à la jurisprudence de la Cour européenne ".

L'arrêt Roemen et Schmidt de la Cour européenne, qui date de février 2003, souligne que " des perquisitions ayant pour objet de découvrir les sources des journalistes, même si elles restent sans résultats, constituent un acte plus grave que la sommation de divulguer ses sources faite à un journaliste ".

Le Forum des sociétés de journalistes dénonce justement " les moyens disproportionnés mis en oeuvre par la justice ", citant " une série de perquisitions menées dans les journaux concernés mais aussi au domicile de certains journalistes, après une série d'écoutes téléphoniques les visant ".

" La justice tranchera et L'Equipe se pliera à sa décision, écrit le quotidien dans son éditorial de vendredi 14 octobre. Il est toutefois souhaitable que cette affaire, peu commune, permette de réaffirmer de manière très forte et symbolique le respect de la règle absolue et intangible du secret des sources."

Un débat qui a beaucoup agité la profession cet été aux Etats-Unis, où une journaliste du New York Times , Judith Miller, avait été emprisonnée pour avoir refusé de découvrir l'identité de la personne qui, au sein de l'administration Bush, lui avait révélé le nom d'un ancien agent de la CIA. Mme Miller a finalement été autorisée par sa source à témoigner devant un grand jury.

En France, cette "affaire dans l'affaire" Cofidis pourrait trouver un prolongement législatif. Le SPMI et la FNPF interpellent une nouvelle fois le ministre de la justice, Pascal Clément, " pour que soit réexaminée sans plus attendre la législation, à seule fin de protéger réellement le secret des sources ". Les deux organisations rappellent que "la Belgique nous a récemment montré la voie en renforçant considérablement le secret des sources ".

Laurence Girard et Pascale Santi
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Entreprises
Avec les malversations de Refco, Wall Street replonge dans le scandale
NEW YORK de notre correspondant

 D ans la liste des scandales ayant secoué la Bourse de New York au cours des dernières années, les malversations de Refco devraient figurer en bonne place. Deux mois après son introduction en Bourse, le 11 août, le courtier spécialisé dans les matières premières et marchés à terme a avoué que ses comptes étaient faux depuis des années.

Jeudi 13 octobre, les cours ont été suspendus et la société a annoncé interrompre "pour quinze jours" les activités de sa filiale de courtage en instruments financiers, Refco Capital Markets, faute de liquidités. Le groupe aura du mal à échapper à la faillite. Les révélations se succèdent depuis le début de la semaine avec la démission précipitée du PDG de Refco, Phillip Bennett, après la découverte d'un trou de 430 millions de dollars (358 millions d'euros) dans le bilan de la société.

Sur le modèle d'Enron, dont la banqueroute à la fin de l'année 2001 a été suivie d'une vague de scandales comptables sans précédent aux Etats-Unis, Refco dissimulait des dettes hors du périmètre de la société. Elles étaient la conséquence de pertes enregistrées sur les marchés lors de la crise des pays émergents en 1997. A la fin de chaque trimestre, ses créances irrécupérables étaient transférées à une entité contrôlée directement par M. Bennett qui en échange recevait un prêt d'une somme équivalente. Le fonds spéculatif, Liberty Corner, servait d'intermédiaire et de paravent.

Après la découverte du montage par le conseil d'administration de Refco, M. Bennett a remboursé immédiatement au début de la semaine les 430 millions de dollars de prêts. Il a pu le faire après avoir transféré cette somme en euros d'une banque européenne. Selon ses avocats, M. Bennett a obtenu un crédit gagé sur ses actions Refco.

M. Bennett, 57 ans, citoyen britannique, a été arrêté mardi soir sur ordre du procureur fédéral de Manhattan, Michael Garcia. Des enquêteurs avaient enregistré une conversation dans laquelle il annonçait son intention de partir en Europe dans les quarante-huit heures. Après avoir été inculpé mercredi de fraude boursière, il a été remis en liberté mais confiné dans son appartement à Manhattan sous surveillance électronique. Il a aussi été contraint de trouver six personnes pour garantir une caution de 50 millions de dollars, remettre les titres de propriété de son appartement new-yorkais et de sa maison du New Jersey et apporter directement 5 millions de dollars.

Surnommé le "finisseur" sur les marchés de matières premières, M. Bennett a pris la tête de Refco en 1998 et en a fait le premier courtier indépendant américain. Il est l'un des deux principaux actionnaires du groupe avec 34% du capital derrière le fonds d'investissement Thomas H. Lee Partners LP de Boston qui en détient environ 43%.

Depuis le début de la semaine, le cours des actions Refco s'est effondré. Introduites à 22 dollars, elles étaient montées jusqu'à 27 dollars et s'échangeaient jeudi avant la suspension, dans les transactions d'avant séance, à moins de 8 dollars. Plus de 2 milliards de dollars de capitalisation boursière sont partis en fumée. Les obligations émises par la société se traitaient, jeudi, à la moitié de leur valeur faciale. "Le fait que les titres à taux fixes s'échangent à 50 cents pour 1 dollar montre qu'il y a une chance sur deux pour que la société disparaisse", souligne l'analyste Kevin Starke de Weeden & Co.

Si faute de confiance des banques, des clients et de ses contreparties Refco fait faillite, les conséquences pourraient être sérieuses. Les clients du courtier (entreprises, banques, fonds spéculatifs) ont des positions évaluées à près de 5 milliards de dollars sur les marchés à terme de métaux, de produits agricoles ou de bons du Trésor. "Ce qui compte aujourd'hui est de savoir si on peut encore avoir confiance en eux. Si ce n'est pas le cas, tout va s'effondrer", prédit Robert Bushman, professeur de comptabilité à l'université de Caroline du Nord.

Trois ans après la série de scandales comptables qui a ébranlé le capitalisme américain, les autorités boursières et les commissaires aux comptes semblent à nouveau pris en faute. Ils ont laissé Refco être coté à Wall Street sans s'apercevoir de sa situation financière réelle.

La Securities and Exchange Commission (SEC), l'autorité des marchés, a ouvert une enquête. Plusieurs plaintes ont été déposées par des actionnaires pour diffusion de fausse information lors de l'introduction en Bourse. Des procès pourraient être aussi intentés contre les banques responsables de la mise sur le marché, Bank of America, Crédit suisse First Boston et Goldman Sachs et contre les autorités de marché et même la Bourse de New York (NYSE). Les actionnaires lésés pourraient demander des centaines de millions de dollars.

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Europe
Angela Merkel sous contrôle d'une équipe de choc du SPD
BERLIN de notre correspondant

 L a pression est désormais sur les épaules d'Angela Merkel, après l'annonce rapide, par le Parti social-démocrate (SPD), des noms des ministres qu'il compte envoyer dans la future coalition gouvernementale allemande. La présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), à qui reviendra la chancellerie, n'aime guère être bousculée. La voilà obligée d'accélérer la manoeuvre. Les choix de l'adversaire social-démocrate ont été plutôt bien accueillis, y compris à droite. A Mme Merkel de jouer, sous le regard circonspect de ses propres troupes. La tâche est délicate, puisqu'elle dispose d'un nombre de ministères à pourvoir inférieur à celui du SPD (cinq contre huit). Le couperet devrait tomber lundi, jour du début des négociations en vue de former le prochain gouvernement.

C'est "une équipe respectable" , a estimé le secrétaire général de la CDU, Volker Kauder, en découvrant la liste des noms présentés, jeudi, par le président du SPD, Franz Müntefering. Ce dernier, à qui revient le poste de vice-chancelier et de ministre du travail, a eu "la main heureuse" , selon l'hebdomadaire Der Spiegel , pourtant peu tendre avec le SPD au cours des derniers mois.

Les "ministrables" sociaux-démocrates ne sont pas tous connus du grand public, en particulier Frank-Walter Steinmeier, qui prendra la succession du populaire et médiatique Joschka Fischer (Verts) à la tête de la diplomatie allemande. Mais, à l'image de ce grand commis de l'Etat qui accompagne depuis quinze ans Gerhard Schröder, le chancelier sortant, ils passent pour être compétents. C'est "quelqu'un de très efficace" , a dit de M. Steinmeier un cacique de l'Union chrétienne-sociale (CSU), la petite soeur bavaroise de la CDU. Ce n'est pas le moindre des compliments de la part d'un parti dont le chef, Edmund Stoiber, briguait lui aussi le portefeuille des affaires étrangères.

Du côté du patronat, on s'est félicité de la nomination de M Müntefering au travail et de Peer Steinbrück aux finances. Celui-ci, ancien chef du Land de Rhénanie-du-Nord - Westphalie, est "un homme très compétent et capable de s'imposer" , a commenté Dieter Hundt, président de l'organisation des employeurs allemands. Il a toutefois regretté la scission du ministère de l'économie et du travail.

Selon M. Müntefering, le fait qu'il ait lui-même accepté d'entrer dans le futur gouvernement signifie que son parti prend la "grande coalition" très au sérieux. Certains journaux estimaient, vendredi, que le SPD donnait l'impression d'avoir stabilisé la situation après le départ de son champion, Gerhard Schröder, annoncé deux jours plus tôt. Celui-ci participera néanmoins aux négociations, qui débutent lundi, sur la formation du prochain gouvernement, un mois après les élections législatives qui n'avaient donné qu'un très léger avantage à la CDU/CSU.

D'ici lundi, Mme Merkel devra peaufiner la liste des ministres de son parti. Avec cinq places disponibles, sans compter son propre poste de chancelière, il lui faudra faire preuve de doigté. Respecter l'équilibre entre les régions; ne pas oublier l'est du pays; tenir compte des vieilles rivalités, des promesses faites aux uns et des critiques émises par les autres; inclure au moins une autre femme: les priorités sont multiples. Les spéculations vont bon train. La CSU, elle, sait d'ores et déjà qu'un de ses deux postes dans le prochain gouvernement sera occupé par M. Stoiber, qui quittera son fief de Munich pour prendre un ministère de l'économie et des technologies.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Europe
Frank-Walter Steinmeier, l'homme-orchestre

 À  49 ans, l'homme-orchestre de Gerhard Schröder, Frank-Walter Steinmeier, sort de l'ombre pour prendre en charge la diplomatie allemande à la place du Vert Joschka Fischer. Jovial, d'une parfaite courtoisie, cet entremetteur efficace, chargé à la chancellerie de mettre en musique la politique du chancelier et de dénouer les conflits, devra maintenant s'entendre avec la chancelière Angela Merkel pour conduire la politique étrangère et européenne de la future "grande coalition".

Frank-Walter Steinmeier ne figure dans aucun des baromètres politiques de popularité publiés en Allemagne. C'est à peine si son nom est vraiment connu du grand public. Il n'a jamais eu de mandat électif, et pourtant il a été l'un des hommes essentiels des deux mandats de la coalition des sociaux-démocrates et des Verts qui a gouverné l'Allemagne pendant sept ans. Chef de la chancellerie, avec rang de secrétaire d'Etat, depuis 1999, il a sa place à la gauche de M. Schröder à la table du conseil des ministres. Rien de ce qu'a à connaître le chancelier ne lui échappe.

Contrairement à son prédécesseur, volontiers visionnaire et moins enclin à aller jusqu'au fond des dossiers, le futur ministre des affaires étrangères aime avoir les mains dans le cambouis. C'est le rôle qui a toujours été dévolu à ce juriste de formation depuis qu'il est aux côtés de Gerhard Schröder, déjà à l'époque où il n'était encore que ministre-président de Basse-Saxe.

La mise en oeuvre de l'"Agenda 2010" pour la modernisation sociale de l'Allemagne, c'est lui; le renforcement de l'autorité de la chancellerie, lors du second mandat du chancelier, sur la politique européenne, c'est encore lui. Frank-Walter Steinmeier a vu passer tous les dossiers les plus délicats. A ses attributions d'homme-orchestre s'ajoute aussi la coordination des services secrets allemands.

Dans un discours prononcé en septembre à Berlin à la Fondation pour la science et la politique, le futur ministre a longuement insisté sur les liens entre la politique extérieure et les réformes intérieures pour permettre à l'Allemagne de peser sur les évolutions en Europe et dans le monde. Nul doute que cet homme du concret s'attachera à prendre des initiatives pour relancer l'Europe, si possible avec la France. A peine le choix du SPD connu, il s'entretenait au téléphone, jeudi, avec son homologue français Philippe Douste-Blazy, pour affirmer son attachement à une relation étroite avec la France. Dans une Union européenne en prise avec le doute de ses citoyens, il lui faudra cependant, pour réussir, faire preuve de nouveaux talents de communicateur qu'on ne lui connaît pas encore.

Henri de Bresson
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Europe
Franz Müntefering (vice-chancelier)

 L es sourcils noirs en accent circonflexe derrière de fines lunettes, le verbe facile et un sens de l'humour parfois grinçant: Franz Müntefering est en passe de s'imposer comme le nouveau visage du Parti social-démocrate (SPD), après la décision de Gerhard Schröder de prendre ses distances avec la politique. Les Allemands avaient appris à le connaître lorsque le chancelier, en difficulté, avait confié la présidence du parti à ce fidèle lieutenant en 2004. A 65 ans, il va désormais devenir incontournable, avec sa triple casquette de président d'un des deux partis siégeant dans le nouveau gouvernement de coalition droite-gauche, de vice-chancelier et de ministre du travail.

Habile manoeuvrier et fin connaisseur des arcanes du SPD, dont il est un pur produit, M. Müntefering jouit d'une réelle popularité dans son parti. Il parle davantage la langue de la rue que M. Schröder, avec lequel il partage des origines modestes. Ce fils d'ouvrier catholique a fait ses gammes dans l'organisation du parti en Rhénanie-du-Nord-Westphalie à partir de 1966. Doté d'une formation de représentant, il a ensuite grimpé les échelons au niveau fédéral, se taillant peu à peu une réputation d'homme des coups durs. Monté de sa région de Basse-Saxe, M. Schröder a toujours pu compter sur lui. D'abord pour l'aider à mettre fin à seize ans de règne de Helmut Kohl, en 1998. Puis pour passer du baume sur les dissensions internes au SPD, où la politique menée par le nouveau chancelier a toujours suscité des remous. Après une année à la tête du ministère des transports, "Münte", comme on le surnomme outre-Rhin, est devenu secrétaire général du parti. A ce poste, il a joué les pompiers volants pour calmer les ardeurs anti-Schröder. Le SPD ne lui en a pas tenu rigueur, puisqu'il a été élu avec 95% des voix à sa présidence, en mars 2004.

En dépit de ses futures fonctions gouvernementales, l'homme à l'écharpe rouge – il ne la quitte pasl'hiver durant – briguera, en novembre, un nouveau mandat à la tête du parti. Il devrait l'obtenir sans problème, tant cette formation a besoin de panser ses plaies après la défaite électorale du 18 septembre. Parce qu'il collaborera avec la droite, M. Müntefering devra se méfier, sur sa gauche, d'une nouvelle coalition d'ex-communistes et de déçus de la social-démocratie. C'est en partie pour prévenir un départ des militants vers ce parti de gauche qu'il s'en était pris, il y a quelques mois, aux "sauterelles" capitalistes.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Europe
Peer Steinbrück (finances)

 L a scène, rapportée par l'hebdomadaire Die Zeit, a lieu lors de la campagne des élections régionales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, en mai. Le ministre-président sortant, Peer Steinbrück, ancien ministre des finances du Land, discute avec le responsable d'une association. Il lui lance: "Vous êtes aussi responsable des finances ? C'est un job de m... J'ai déjà fait un truc dans ce genre-là..."

Propos prémonitoire ? C'est ce réformateur de l'aile droite du Parti social-démocrate (SPD) qui va succéder, au ministère des finances, à son ami de parti Hans Eichel, avec pour mission de redresser le budget de l'Allemagne. Economiste, haut fonctionnaire passé en politique, M. Steinbrück, 58 ans, a la pratique du consensus et des idées. Quand il dirigeait la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW), il s'était associé à l'actuel ministre-président chrétien-démocrate de Hesse, Roland Koch, en septembre 2003, pour proposer un compromis budgétaire visant à réduire le déficit public de 16,4 milliards d'euros en trois ans. Intitulé "Suppression de subventions dans le consensus", leur programme détaillé sur 115 pages prévoyait de réduire progressivement une batterie d'aides et de déductions, y compris sur l'exploitation du charbon. Une proposition courageuse dans sa région, où se trouve la Ruhr.

Durement touchée par le chômage, la région la plus peuplée d'Allemagne a basculé à droite lors des élections de mai, conduisant lechancelier Gerhard Schröder à provoquer les élections législatives anticipées du 18 septembre.

Peer Steinbrück, dont les talents de gestionnaire sont reconnus, était depuis en attente. Né à Hambourg, il se fait appeler "le Cabillaud" mais il est devenu rhénan, par amour, depuis vingt ans. Après avoir travaillé à la représentation de la République fédérale d'Allemagne (RFA) à Berlin-Est au début des années 1980, il a occupé des fonctions ministérielles dans le Schleswig-Holstein avant de se faire élire dans sa région d'adoption à la fin des années 1990. Il en avait pris la tête en 2002, succédant à Wolfgang Clement, appelé par le chancelier Gerhard Schröder à Berlin comme super-ministre de l'emploi.

Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Europe
Paris et Berlin prennent le virage en douceur

 L a future chancelière a prévenu elle-même Jacques Chirac que Gerhard Schröder représenterait l'Allemagne au sommet informel européen organisé à Hampton Court, près de Londres, le 27 octobre, pour tenter de sortir l'Europe de l'impasse. Angela Merkel, qui ne sera officiellement investie qu'à la mi-novembre, n'a rien appris au président, mais c'était une bonne manière.

MM. Chirac et Schröder dînent donc à l'Elysée, vendredi 14 octobre, pour préparer le sommet européen. Evidemment, c'est un peu plus qu'une réunion de travail ordinaire et le chef de l'Etat devrait profiter de l'occasion, après ces années de travail commun, pour rendre hommage à son "ami". Pourtant, si le couple franco-allemand change de partenaires, Paris compte bien que sa solidité n'en soit pas affectée.

Le président connaît assez peu la future chancelière, qu'il a reçue cependant à plusieurs reprises, notamment en juillet pendant la campagne électorale. Mais il a soigneusement préparé cette transition. Mme Merkel, dont le mentor a été l'ancien chancelier Helmut Kohl, est présentée à l'Elysée comme une européenne convaincue. "Schröder est devenu européen en accédant à une responsabilité nationale, Merkel l'est de formation" , observe un proche de M. Chirac.

A quelques années de distance, MM. Chirac et Schröder ont accompli le même virage. Et ils font aujourd'hui à peu près la même analyse, après le double non français et néerlandais à la Constitution européenne. Pour le président, la vague d'euroscepticisme qui traverse à des degrés divers le continent n'est pas un non à l'Europe elle-même, mais un non à "une certaine façon de fonctionner, donnant l'impression aux citoyens qu'elle ne les protège pas assez contre la mondialisation", comme le dit l'un de ses collaborateurs.

Aux yeux de M. Chirac, les électeurs allemands n'ont pas dit autre chose en refusant une vraie victoire à Mme Merkel, qui présentait un programme très libéral. Il ne l'a cependant pas dit publiquement, pour ménager l'avenir et éviter d'envenimer certaine querelle intérieure avec Nicolas Sarkozy, qui s'affiche comme proche de la future chancelière et de ses idées.

LONGUES TRACTATIONS

La consigne est même tombée en conseil des ministres, mercredi 21 septembre: "Evitez les commentaires sur les élections allemandes; la situation est déjà assez compliquée comme cela et nous n'avons pas à faire d'ingérence", a fermement recommandé le président à tous les ministres, alors que de longues et complexes tractations avaient lieu outre-Rhin après un résultat électoral mitigé.

Le chef de l'Etat est resté discret, tout en discutant beaucoup: notamment avec deux observateurs avertis de l'Allemagne, Jean-Claude Juncker et Guy Verhofstadt, les premiers ministres du Luxembourg et de Belgique. Mais aussi avec son ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, qui revendique aussi une proximité avec Mme Merkel. "Nous sommes de la même famille démocrate-chrétienne", rappelle le ministre, ancien de l'UDF.

M. Chirac n'a pas trop d'inquiétudes sur les relations avec l'Allemagne en général et avec Mme Merkel en particulier: l'habitude de travail viendra, ne serait-ce qu'en raison des rencontres régulières entre les dirigeants des deux pays. Et la future chancelière, contrainte de diriger une large coalition, sera tenue par un programme de gouvernement que les proches de M. Schröder entendent bien marquer de leur empreinte.

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
L'équation H5N1

 O n sait tout de la grippe aviaire depuis longtemps. Voilà une maladie "documentée" qui ne présente aucune énigme pour les spécialistes, contrairement à la maladie dite de la "vache folle". Ce pourrait être un facteur très rassurant si la communauté internationale n'avait pas fait la preuve d'un manque de solidarité confondant depuis deux ans en ne portant pas une assistance résolue aux pays pauvres de l'Asie et de l'Asie du Sud-Est, qui furent les premiers touchés.

Résumons: le virus en cause est le sous-type H5N1, un virus hautement pathogène, clairement repéré et identifié pour la première fois il y a plusieurs décennies parmi les oiseaux sauvages. L'épizootie dont il est question aujourd'hui s'est déclarée à la fin de l'année 2003. Elle a principalement touché, dans un premier temps, le Vietnam, la Thaïlande et la Corée du Sud, puis la Chine, Taïwan, le Japon, le Cambodge et le Laos. Dans cette zone géographique, environ 150 personnes ont été infectées en plumant des volailles et une soixantaine sont mortes. Parallèlement, les autorités des pays concernés ont fait procéder à l'abattage de plus de 100 millions de volailles.

A ce stade, l'équation H5N1 était assez facile à résoudre. Le vaccin pour immuniser les volailles existe. Les pays riches auraient dû immédiatement réagir en dégageant les moyens financiers pour que cette peste des oiseaux soit jugulée dans son foyer. L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a estimé à 100 millions de dollars les investissements nécessaires dans les trois prochaines années. Mais seulement 20 millions ont été à ce jour promis, tandis que les Etats-Unis, à eux seuls, s'apprêteraient, selon le quotidien britannique Financial Times, à passer commande d'un médicament antiviral pour plus de 1 milliard de dollars.

Du coup, l'équation commence à changer de nature. Au départ localisée, circonscrite, l'épidémie prospère et se mondialise. On l'a repérée en Russie et au Kazakhstan en août; en Turquie et en Roumanie aujourd'hui. D'imaginaire, le risque d'une pandémie frappant l'Europe devient palpable. Et, de fait, le ton de la Commission européenne a brusquement changé jeudi 13 octobre. Elle était distraitement attentive. La voici mobilisée.

Paris entend aussi multiplier les signaux. Le premier ministre cherche à rassurer en déclarant: "Nous avons un dispositif d'ores et déjà opérationnel." Heureuse nouvelle. La France est l'un des pays les plus concernés puisqu'elle est le premier producteur de volailles de l'Union européenne et le troisième exportateur mondial, derrière le Brésil et les Etats-Unis. Cette situation lui impose une vigilance toute particulière.

A force de voyager et de se diffuser, même lentement, l'équation H5N1 est en effet devenue une équation à une inconnue. Comme en Asie, le risque existe que ce virus infecte, ici aussi, les hommes. La panique est mauvaise conseillère. Le respect d'une politique sanitaire sérieuse et d'une hygiène stricte est en revanche souhaitable.

Article paru dans l'édition du 15.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Roger Dumont ♦ 15.10.05 | 16h05 ♦ Et si des terroristes étaient capables de faire muter ce virus H5N1 pour déclencher une pandémie meurtrière notamment dans leurs pays-cibles préférés, en Europe et aux États- Unis ?
TiboUK ♦ 15.10.05 | 16h00 ♦ à Marie-Claude: Non, pas de risque supplémentaire. Le virus peut muter en Asie comme en Europe. Le seul aspect préoccupant est l'augmentation de l'épizootie, qui va de paire avec un risque accru de la rencontre des 2 virus (humain et anmal) nécessaire à l'apparition d'une nouvelle souche. L'hystérie est complète et le gouvernement met de l'huile sur le feu en parlant du tamiflu et des 50 millions de masques. Les gvts doivent se concentrer sur l'éradication de la grippe animale en Eur ET en Asie
Rene ♦ 15.10.05 | 13h41 ♦ Toujours la même chose: Le tremblement de terre: 40000 morts La grippe aviaire: des millions de morts Et pendant cela nos hommes politiques agissent en sous mains pour privilégier leur clientèle et tout faire pour assurer leur réelection, le out couvert par les reportages de tus les journaleux Merci pour eux
Marie-Claude B. ♦ 15.10.05 | 13h22 ♦ Quelqu'un peut-il me répondre! Pourquoi le virus n'a pas "muté" - permettant ainsi une pandémie avec infection d'homme à homme- depuis sa présence en Asie (plusieurs années)? Pourquoi devrait-il "muter" rapidement lors de son développement en Europe? diversité climatique favorisant le virus de la grippe? nos poules (ou nous mêmes) ont-elles un patrimoine génétique particulier? hystérie? désinformation? (la commission a annoncé en premier l'absence du H5N1 en Turquie avant de se raviser...)
destripadore ♦ 15.10.05 | 02h00 ♦ LEMONDE.FR | 13.10.05: "le mot d’ordre de M. Kyprianou est simple: "Nous ne voulons pas créer de panique." "S’il y a une pandémie, il y aura un très grand nombre de morts", et surtout "[...]Le Laos, mystérieusement épargné par le virus depuis mars 2004 [...]" le lendemain: "Elle a principalement touché, dans un premier temps, le Vietnam, la Thaïlande et la Corée du Sud, puis la Chine, Taïwan, le Japon, le Cambodge et le Laos." Journalistes soyés serieux j’ais des copines qui paniquent!
VB ♦ 14.10.05 | 23h11 ♦ Puisqu’on ne peut pas faire de prévention, reste l’observation et la déduction. Restons vigilents: les pigeons parisiens sont-ils observés par nos spécialistes? C’est peut-être l’occasion d’inspecter les aérations dans les hopitaux? Ne soyons pas acteurs de la psychose car c’est l’occasion de faire fleurir de petits commerces comme la vente de masques,thermomètres etc. Difficile de ne pas spéculer quand on tient la population à l’écart, qui obéira, le cas échéant, aux consignes.
tokaido ♦ 14.10.05 | 21h33 ♦ on sait tout de la grippe aviaire depuis longtemps mais la psychose est à notre porte. la double attitude: - n’ayez pas peur ce n’est rien. - mais nous avons tout prévu au cas ou. toujours cette meme equation de la peur et de la reassurance. ne pourrait-on pas considerer les citoyens comme adultes et les informer en conséquence ?
FDMLDP ♦ 14.10.05 | 19h54 ♦ Lors de l’émergence du SIDA, les institutions médicales ont conforté l’idée que 10% des séropositifs deviendraient un jour malades. On sait ce qu’il en a été, et qu’à cette époque, le seule vraie vérité est qu’on ne savait RIEN. Que l’ignorance ne génère pas la psychose, soit. Que l’on nie l’ignorance totale ou partielle pour se rassurer faussement est coupable, gravement. Rien ne permet de dire que ce virus produira une hécatombe, rien ne permet non plus d’affirmer qu’il ne la produira pas.
jacklittle ♦ 14.10.05 | 16h26 ♦ L’O.M.S et la F.A.O. sont des organismes qui ont vocation à alerter les autorités responsables de chaque pays dans le monde,elles doivent être appuyées par des instances scientifiques irréfutables et préconiser des mesures de prévention et de lutte contre la pandémie de grippe aviaire.A partir de ces recommandations,il appartient à chaque autorité responsable de mettre en oeuvre dans son propre pays toutes les dispositions qui s’imposentet,en priorité les pays hautement développés.PASde PSYCHOSE
Olivier C. ♦ 14.10.05 | 15h48 ♦ N’oublions pas que le virus mutant qui serait capable de se transmettre d’homme à homme n’existe peut-être pas encore. En tout cas il n’est pas identifié clairement. C’est cette souche qui représenterait le plus fort risque pour la santé public. Et rien ne permet de dire que le vaccin contre le H5N1 sera effectif contre cette mutation. L’équation devient donc nettement plus complexe: comment lutter contre un ennemi futur qui n’existe peut-être pas encore ?
konsterné ♦ 14.10.05 | 15h46 ♦ "preuve d’un manque de solidarité confondant": Des offres d’aide ont été faites, des aides ont été apportées là où cette aide était (bien) reçue. Faut-il déclarer une guerre aux pays qui refusent de communiquer, et d’appliquer les procédures ? J’ai à peine commencé à lire cette éditorial, et pourtant, je n’en ai plus la moindre envie. Si le reste est de la même eau: au secours le journalisme.
JEAN-LOUP G. ♦ 14.10.05 | 14h55 ♦ Trop tard .... La situation est "anormale" en Iran (message d’alerte del’OIE http://www.oie.int/Messages/051012IRN.htm) l’Irak se protège, les oiseaux ont survolé (sans se poser!) la Russie, la sarcelle d’hiver arrive cette semaine de Sibérie. La surveillance de la grippe humaine a repris depuis une semaine, la question est devenue: que fera le virus issu du croisement ?
alain sager (nogent sur oise) ♦ 14.10.05 | 14h16 ♦ Il y a plus de deux siècles, le vieux Kant éditait un opuscule intitulé: "Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique". Il y défendait l’idée d’une société des nations propre à mettre fin au fléau de la guerre. Aujourd’hui, en bien des domaines, l’urgence d’un "point de vue cosmopolitique" ne cesse de s’affirmer. L’autre branche de l’alternative, c’est l’anarchie mondiale dans laquelle nous vivons, et dont les effets frappent cette fois directement à notre porte.


Le Monde / Sciences
La contamination humaine peu aisée à partir des oiseaux

 D éfinition. La grippe aviaire est une maladie hautement contagieuse pouvant toucher les oiseaux, domestiques ou sauvages. Le virus responsable de l'actuelle épizootie est un sous-type H5N1 qui se caractérise par sa très forte pathogénicité.

Origine de l'actuelle épizootie. Un virus de sous-type H5N1 a été identifié il y a plusieurs décennies chez des oiseaux sauvages. Les premiers foyers épizootiques touchant les volailles d'élevage ont été observés au début des années 1990 en Europe et aux Etats-Unis. En mai 1997, on a identifié les premiers cas humains et mortels d'infection par un H5N1à Hongkong.

Le rôle des oiseaux. Les oiseaux sauvages et aquatiques constituent des réservoirs "naturels" de virus grippaux. A compter de la fin 2003, une épizootie de grippe aviaire de grande ampleur due a un sous-type H5N1 a émergé dans un nombre croissant de pays d'Asie et du Sud-Est asiatique, entraînant la mort ou la destruction directe ou indirecte de plusieurs centaines de millions de volailles. On a depuis peu la preuve que des oiseaux migrateurs ont également été atteints et les résultats obtenus en Turquie plaident en faveur du rôle des oiseaux migrateurs dans la dissémination géographique de ce virus.

Les modes de contamination. Le risque pour un homme d'être infecté par le H5N1 impose des contacts avec les oiseaux infectés. La plupart des personnes infectées en Asie n'étaient pas des éleveurs mais des personnes qui avaient acheté des volailles vivantes avant de les tuer, les plumer et les vider. La transmission semble pouvoir se faire par voie respiratoire et oculaire. La consommation de viande de volaille cuite est sans risques, le virus étant détruit à une température de 70°C.

Les risques de transmission à l'espèce humaine. Tout indique que l'actuel H5N1 ne passe pas aisément des infectés à l'homme. En deux ans, on a recensé une centaine de cas dont la moitié ont été mortels. On redoute toutefois que ce virus modifie, brutalement ou non, sa composition génétique et qu'il puisse, comme c'est le cas des virus grippaux responsables des épidémies saisonnières, devenir hautement contagieux d'homme à homme.

Faut-il redouter une catastrophe sanitaire mondiale ? Oui. Une pandémie due à un virus de la grippe hautement pathogène peut survenir à tout moment mais rien ne permet de quantifier et de dater ce risque. Selon l'OMS, une pandémie pourrait faire jusqu'à 100 millions de morts.

Les moyens de protection. Aucun vaccin protecteur n'est actuellement disponible. Parmi les antiviraux, le Tamiflu a démontré une certaine efficacité in vitro . Il faut enfin compter avec les masques individuels de protection dont la France a décidé de constituer un stock de 200 millions d'unités.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Sciences
En France, le gouvernement cherche à prévenir un début de panique

 L e gouvernement français cherche à prévenir toute panique parmi les consommateurs français à propos de la grippe aviaire. Réunis à Matignon, vendredi 14 octobre, les ministres concernés par le dossier devaient notamment faire le point sur les stocks de Tamiflu du laboratoire Roche, un antiviral efficace dans les infections grippales et disponible sur prescription médicale. Des ruptures de stock ont été constatées chez de nombreux grossistes français, et les autorités sanitaires craignent une ruée injustifiée. En Turquie, où la présence du virus a été détectée, mais aussi en Belgique, en Suisse ou en Allemagne, les demandes sont massives.

"Nous avons des demandes croissantes en France, maintenant que le nom du médicament commence à être connu, explique Danièle Paoli, responsable de l'exercice professionnel à la Fédération nationale des syndicats pharmaceutiques. Nous rassurons les gens en leur rappelant que le gouvernement a constitué à temps des stocks qui seront disponibles en cas de pandémie." "Nos confrères reçoivent un nombre très important de demandes relatives à la grippe aviaire, explique Irène Kahn-Bensaude, membre du conseil national de l'Ordre des médecins. Les gens cherchent à se faire prescrire du Tamiflu."

Le ministre de la santé, Xavier Bertrand, a précisé, jeudi 13 octobre, qu'il ne servait "à rien de chercher à se faire prescrire du Tamiflu pour faire des stocks" . "Si nous étions face à une pandémie, c'est l'Etat qui assurerait la distribution pour tous les malades", a t-il ajouté. La France dispose à ce jour de 5 millions de traitements anti-viraux et devrait en avoir 13,8 millions à la fin de l'année.

La Pharmacie centrale des armées fabrique, à partir de la matière première achetée à Roche, les millions de doses de Tamiflu prévus dans le plan gouvernemental, sous forme de comprimés sécables. "Cette production pourra être accrue, précise le docteur Pascale Maisonneuve, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Une autorisation de mise sur le marché de type médicament générique sera utilisée."

Jusqu'à présent, les consommateurs ne semblent pas bouder la volaille, première viande consommée en France. La Confédération française de l'aviculture (CFA) ne disposait, vendredi, d'aucun chiffre témoignant d'une baisse des ventes. Selon la CFA, la baisse récente de 10% des achats de volaille observée à Rungis ne reflète pas un début de méfiance des consommateurs mais une évolution du marché, les consommateurs préférant les poulets pré-découpés à la volaille entière.

Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / Sciences
Controverse sur les risques sanitaires du téléphone mobile

 L es expertises de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (Afsse) sur d'éventuels risques sanitaires liés à la téléphonie mobile sont au centre d'une nouvelle controverse entre l'agence et les associations de défense de l'environnement et de la santé, qui jugent les avis de l'Afsse sur la téléphonie "partiels et partiaux" .

Le débat a été relancé par les propos du président de l'Afsse, Guy Paillotin. Lundi 10 octobre, dans le cadre des entretiens écologiques du Sénat organisés par l'association Orée et le magazine Valeurs vertes , M. Paillotin a indiqué que "l'expertise de l'Afsse sur la téléphonie mobile n'a jamais suivi les règles que l'Afsse s'est fixées elle-même" . "C'est une expertise que je considère, en tant que président du conseil d'administration, comme n'existant pas, n'étant pas le fait de l'Afsse, puisqu'elle ne correspond pas aux textes que le conseil d'administration a lui-même adoptés" , a-t-il poursuivi devant une salle comble.

L'intervention de M. Paillotin faisait suite à une question du délégué général de l'association Agir pour l'environnement (APE), Stéphen Kerckhove, pour qui "l'expertise de l'Afsse [sur la téléphonie mobile]  ne fut ni indépendante, ni contradictoire, ni transparente" .

Les associations APE et Priartem (Pour une réglementation des implantations d'antennes relais de téléphonie mobile) mènent campagne pour obtenir des règles plus contraignantes sur l'implantation des antennes relais et l'utilisation des téléphones portables, dont elles redoutent les effets sur la santé. Selon ces associations, l'expertise en France sur ce thème est "confisquée par un petit nombre de scientifiques" , qui ne prendraient pas en compte les résultats de recherches mettant en évidence des effets sanitaires des ondes électromagnétiques. Pour elles, les propos de M. Paillotin confirment leur analyse et elles renouvellent leur exigence d'une expertise "contradictoire" .

Après les remous provoqués par ses déclarations, M. Paillotin revient sur ses propos en précisant que "la qualité scientifique du rapport n'est pas remise en cause". Le scientifique affirme que ses dires "concernaient les procédures, qui n'étaient pas en place, mais nullement le travail de fond des experts" auteurs du rapport sur la téléphonie mobile paru en mars 2003. "Au moment où le rapport a été terminé fin 2002, le conseil d'administration de l'agence [créée par la loi du 9 mai 2001] était en train d'être nommé. Nous étions dans un vide, explique le président de l'Afsse. Les procédures prévues par le conseil commencent aujourd'hui à être mises en place."  Elles prévoient, lors de la constitution de comités d'experts spécialités (CES) qui doivent être nommés par arrêté ministériel, l'examen des compétences des experts et de leurs éventuels conflits d'intérêts.

Denis Zmirou, professeur de santé publique à la faculté de médecine de Nancy et chercheur à l'Inserm, était le responsable scientifique de l'Afsse jusqu'à sa démission le 19 mai 2005. Selon lui, l'Afsse a "suivi les règles de l'art" en constituant le groupe consacré à la téléphonie mobile et a calqué ses procédures sur ce qu'elles auraient été en cas de constitution d'un CES, même si celui-ci n'était pas encore nommé, du fait du retard pris dans la publication de l'arrêté ministériel (finalement effectuée le 13 juillet 2005).

"Le groupe est représentatif de tous les champs disciplinaires et de tous les points de vue exprimés au sein de la communauté scientifique compétente sur le sujet" , affirme M. Zmirou. Le chercheur déclare "endosser la totalité de l'avis" rendu par l'Afsse le 7 juin 2005, qui actualise celui de 2003.

Cet avis mentionne "la persistance d'un doute sérieux quant à la possibilité d'effets sanitaires associés à l'exposition directe du crâne aux champs des téléphones mobiles" . Il recommande de renforcer l'information des consommateurs sur la puissance des téléphones (DAS) et d'encourager l'utilisation du kit mains libres. L'avis note en revanche qu'"aucune donnée scientifique nouvelle (...) ne révèle un risque lié aux rayonnements émis par les stations de base -antennes relais- de la téléphonie mobile". Ces débats interviennent au moment où un groupe de députés de toutes tendances politiques, emmenés par le député apparenté au groupe communiste Jean-Pierre Brard (Seine-Saint-Denis), propose une loi pour durcir la réglementation imposée aux opérateurs.

Gaëlle Dupont
Article paru dans l'édition du 15.10.05


Le Monde / International
A Guantanamo, les grévistes de la faim sont nourris de force, même durant le ramadan
WASHINGTON de notre envoyée spéciale

 P endant le ramadan, les détenus qui sont en grève de la faim à la prison de Guantanamo continuent à être nourris de force, mais avant le lever du jour ou après le coucher du soleil. Selon les avocats et organisations de défense des droits de l'homme qui ont pu obtenir des éléments d'information sur la situation à la base américaine ouverte en janvier 2002 sur l'île de Cuba, le mouvement de protestation observé en alternance depuis des mois par les détenus ne concerne plus qu'une vingtaine de prisonniers, mais ils forment un noyau déterminé.

Vendredi 14 octobre, une juge fédérale a examiné à Washington la plainte d'un groupe d'avocats du Centre pour les droits constitutionnels (CCR), l'organisme qui est à l'origine de la plupart des contestations de la détention sans jugement des "ennemis combattants" arrêtés par les forces américaines au Pakistan ou en Afghanistan. Les avocats se plaignent de l'absence d'informations concernant leurs clients. Ils veulent pouvoir obtenir des détails sur leur état de santé et la manière dont sont effectués les "plans d'alimentation" des autorités militaires.

ACTIONS BÉNÉVOLES

L'avocat du gouvernement, Terry Henry, a affirmé que sept grévistes étaient nourris de force à l'hôpital et que dix-sept autres étaient aussi en grève de la faim, dont certains nourris à l'aide de tubes, mais sans être hospitalisés. Le Pentagone refuse d'indiquer quels sont les détenus concernés. "Les familles ne savent pas si leurs proches font la grève de la faim ni dans quel état ils sont", déplore l'avocate Gitanjali Gutierrez, coauteur d'un rapport du CCR sur les grèves de la faim publié le 8 septembre.

Après en avoir compté jusqu'à 600, Guantanamo abrite désormais 505 détenus. Depuis un arrêt de la Cour suprême de juin 2004, ils ont obtenu le droit de contester leur détention devant la justice mais aucune audience n'a jamais eu lieu. Plus d'un tiers des détenus ont des avocats, dont certains issus de grands cabinets américains, qui travaillent bénévolement. A chaque visite, les avocats doivent remettre leurs notes à la censure militaire. Ils n'ont pas le droit de parler aux familles ou à la presse tant que leurs notes ne leur sont pas rendues, ce qui peut prendre des semaines. Mais leur présence a produit un net changement. Des bribes d'informations circulent, même si c'est avec retard. Dans une note déclassifiée, rédigée par un membre du cabinet Shearman and Sterling, on apprenait en juillet que certains prisonniers revendiquent de pouvoir "voir la lumière du soleil" et non pas à "rester des mois sans voir la lumière du jour".

Selon le collectif, le mouvement de grèves de la faim a été récurrent depuis 2002. Au départ, les détenus réclamaient surtout une amélioration de leurs conditions de détention et, notablement, de l'eau en bouteille, élément distribué en fonction du degré de "coopération" des détenus. Plus récemment, ils ont réclamé de pouvoir contester leur détention en justice.

Selon le Pentagone, qui qualifie de grève de la faim tout refus de neuf repas consécutifs, les grévistes ont été 52, fin juillet, puis 131 en août. Conformément à la pratique en vigueur dans les prisons américaines, indique l'armée, les détenus sont alimentés par perfusion et voie orale. Certaines sources indiquent que les grévistes sont attachés à leur lit. D'autres que les gardiens leur laissent au moins une main libre. L'armée préfère parler de détenus "nourris involontairement" et non pas "nourris de force".

"Ils sont affaiblis. Ils ne peuvent pas s'asseoir, affirme Me Gutierrez. A long terme, il y a des conséquences physiques à une alimentation par simple perfusion." Selon le Pentagone, les inquiétudes des avocats sont "exagérées", les détenus faisant la grève par roulement. "Ils ont une manière de communiquer les uns avec les autres et de comprendre comment attirer l'attention du public au-delà de leur incarcération", indiquait le 6 octobre le porte-parole du Pentagone, Lawrence Di Rita. Les détenus sont suivis par les médecins. Comme l'a souligné vendredi l'avocat du gouvernement, "personne n'est mort jusqu'à présent".

Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 16.10.05


Le Monde / Société
Le Women's Forum veut faire entendre la voix des femmes
DEAUVILLLE (Calvados) de notre envoyée spéciale

 S ur les poufs en velours colorés du Writers's corner (le coin des écrivains), Taslima Nasreen, l'écrivaine bangladaise pourchassée par les islamistes, boit un thé en préparant son intervention. Quelques mètres plus loin, dans la grande salle du Centre international de Deauville, Elisabeth Guigou débat de la "crise du politique" avec la présidente du Medef. A l'étage au dessus, on peut se faire photographier par le portraitiste Arnaud Baumann à la Chambre blanche , rencontrer Claudia Andujar, une photographe brésilienne qui défend les droits des Indiens ou se rendre au Be beautiful corner pour une séance de maquillage.

Le Women's Forum for the Economy and Society n'est ni une assemblée de féministes ni un Davos ou un Porto Alegre au féminin. Il a ses rites mondains - ­ on y croise Barbara Hendricks, Irène Frain ou Simone Veil - ­, ses moments de réflexion ­ - une conférence de l'anthropologue Françoise Héritier ou une rencontre avec le paléoanthropologue Yves Coppens ­-, ses engagements en faveur du tiers-monde ­ - un solidarity corner avec une militante indienne du travail féminin ou un responsable de la prévention du sida au Swaziland - ­ et ses petits coins réservés au chouchoutage du moi - ­ un stand pour travailler sa voix ou découvrir la mode.

Pour sa première édition, du jeudi 13 au samedi 15 octobre, le Forum a réuni plus de 500 femmes: des chefs d'entreprises, des cadres, des élues, des militantes venues du monde entier. Lancé il y a quatre ans, le projet est financé par une trentaine d'entreprises privées, comme Cartier, Le Printemps, Accor ou Havas. " Le Forum n'est pas un lieu de combat contre les inégalités mais un lieu d'échang e et de débats , souligne la fondatrice, Aude Zieseniss de Thuin. La voix des femmes doit enfin être entendue, respectée, écoutée et comprise."

Jeudi 13 octobre, lors de la table ronde sur la crise ­ - française - ­ du politique, la voix des femmes est plutôt désenchantée. "Dans un parti, être une femme est un inconvénient majeur, affirme Françoise de Panafieu, députée (UMP) de Paris et maire du 17e arrondissement. Le pouvoir politique a été pensé pour les hommes et ils n'ont pas envie de le partager. Aux élections législatives, ils préfèrent payer des amendes plutôt que de respecter la parité hommes-femmes ." A Paris, où plus de 53% de l'électorat est féminin, 17 maires sur 20 et 16 députés sur 21 sont des hommes. "Cherchez l'erreur !" , conclut-elle.

"CE SERA PEUT-ÊTRE LONG"

A ses côtés, Laurence Parisot, la nouvelle présidente du patronat français, acquiesce dans un sourire, avant de raconter son accession inattendue à la tête du Medef. "Quand j'ai dit autour de moi que je voulais me présenter, personne n'y a cru mais tout le monde a trouvé cette idée très sympathique, ironise-t-elle. La présence d'une femme dans une campagne électorale, ça met un peu d'animation et ça créé un bénéfice d'image ! J'ai finalement gagné, et je veux faire souffler le vent de la parité dans l'organisation."

Mais le Women's Forum ne s'arrête pas aux frontières françaises: quelques heures plus tard, les débats font entendre la voix d'une Nigerianne qui lutte contre la violence domestique et celle d'une Koweïtienne qui dit "envier les Françaises de pouvoir voter depuis si longtemps" . "Quand j'étais étudiante, je n'avais pas le droit de voter, pas le droit d'avoir un passeport sans l'autorisation de mon père ou de mon mari, pas le droit de me marier sans la permission de mon père ou de mon frère, explique Rola Dashti, la première femme à diriger la Kuwait Economic Society. Le voyage a été long mais le 16 mai, les femmes koweïtiennes ont obtenu le droit de vote. Ce soir-là, ma mère a pleuré. Je lui ai dit: "Tu vois, les rêves deviennent réalité"."

Au même moment, non loin du Centre de conférences, dans une luxueuse salle à manger de l'hôtel Royal Barrière, Françoise Héritier raconte de sa voix posée la longue histoire de la domination masculine à une quarantaine de femmes chefs d'entreprises, cadres ou avocates. "Il existe et il a existé, partout, une inégalité foncière entre les sexes, commence-t-elle. Pour légitimer ce modèle dominant archaïque qui reste encore aujourd'hui extrêmement puissant dans nos têtes, il a fallu, depuis la préhistoire, inventer des systèmes de représentations."

Il est maintenant 16 h 30, le déjeuner est terminé depuis longtemps, mais un petit cercle attentif continue d'écouter, captivé, l'anthropologue, parler du masculin et du féminin, de la prohibition de l'inceste, de l'obligation de l'exogamie, du mariage légitime et de la répartition sexuelle des rôles. "Peut-on sortir de cet engrenage ? conclut Françoise Héritier. Oui, sans doute: tout ce qui a été socialement construit peut être socialement déconstruit." Elle s'arrête un instant. "Mais ce sera peut-être long et nous sommes des gens pressés" , ajoute-t-elle en souriant.

Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 16.10.05


Le Monde / International
La Grande-Bretagne condamne les attentats dans le Khouzistan iranien qui ont fait 4 morts

 L a Grande-Bretagne s'est empressée de condamner dimanche 16 octobre le double attentat meurtrier la veille commis dans une ville du sud-ouest de l'Iran et répété qu'elle n'était nullement impliquée dans les violences qui secouent cette région riche en pétrole et à forte majorité arabe.

"L'ambassade de Grande-Bretagne exprime sa répulsion et condamnation des attaques terroristes à Ahvaz", la capitale de la province du Khouzistan, limitrophe de l'Irak, a annoncé la chancellerie dans un communiqué publié à Téhéran. "Au nom du gouvernement et du peuple britanniques, nous présentons nos condoléances aux familles des victimes. Le gouvernement britannique condamne sans équivoque toute activité terroriste", ajoute le texte.

Quatre personnes ont été tuées et 90 blessées samedi par l'explosion de deux bombes placées sur un marché d'Ahvaz. Le double attentat a été imputé par les autorités à des "terroristes". Cette province connaît une certaine agitation depuis plusieurs mois, notamment des affrontements entre la population arabe et les forces de sécurité et une série d'attentats meurtriers.

WASHINGTON ET LONDRES MIS EN CAUSE

Après ces attentats, revendiqués au nom de trois groupes séparatistes arabes, les autorités de Téhéran avaient accusé Washington et Londres de chercher à "attiser les tensions ethniques et religieuses" au Moyen-Orient. Début octobre, la Grande-Bretagne a démenti avec force de nouvelles accusations portées par la presse conservatrice iranienne, laquelle accusait les renseignements britanniques d'avoir joué un rôle dans les violences au Khouzistan.

"Il y a eu des spéculations dans le passé sur une implication présumée britannique au Khouzistan. Nous rejetons ces allégations. Lier le gouvernement britannique à ces atrocités terroristes est sans fondement", a répété dimanche l'ambassade britannique."Comme nous l'avons dit clairement au gouvernement d'Iran, le gouvernement britannique et les forces britanniques en Irak se tiennent prêts à aider comme ils peuvent pour prévenir de telles attaques ou identifier les responsables et les traduire en justice", a encore écrit l'ambassade.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 16.10.05 | 10h53


Le Monde / Europe
Londres condamne le double attentat de samedi en Iran

 L a Grande-Bretagne s'est empressée de condamner dimanche 16 octobre le double attentat meurtrier commis la veille dans une ville du sud-ouest de l'Iran, et répété qu'elle n'était nullement impliquée dans les violences qui secouent cette région riche en pétrole et à forte majorité arabe.

"L'ambassade de Grande-Bretagne exprime sa répulsion et condamnation des attaques terroristes à Ahvaz", la capitale de la province du Khouzistan, limitrophe de l'Irak, a annoncé la chancellerie dans un communiqué publié à Téhéran. "Au nom du gouvernement et du peuple britanniques, nous présentons nos condoléances aux familles des victimes. Le gouvernement britannique condamne sans équivoque toute activité terroriste", ajoute le texte.

Quatre personnes ont été tuées et 90 blessées samedi par l'explosion de deux bombes placées sur un marché d'Ahvaz. Le double attentat a été imputé par les autorités à des "terroristes". Cette province connaît une certaine agitation depuis plusieurs mois, notamment des affrontements entre la population arabe et les forces de sécurité et une série d'attentats meurtriers.

WASHINGTON ET LONDRES MIS EN CAUSE

Après ces attentats, revendiqués au nom de trois groupes séparatistes arabes, les autorités de Téhéran avaient accusé Washington et Londres de chercher à "attiser les tensions ethniques et religieuses" au Moyen-Orient. Début octobre, la Grande-Bretagne a démenti avec force de nouvelles accusations portées par la presse conservatrice iranienne, laquelle accusait les renseignements britanniques d'avoir joué un rôle dans les violences au Khouzistan.

"Il y a eu des spéculations dans le passé sur une implication présumée britannique au Khouzistan. Nous rejetons ces allégations. Lier le gouvernement britannique à ces atrocités terroristes est sans fondement", a répété dimanche l'ambassade britannique."Comme nous l'avons dit clairement au gouvernement d'Iran, le gouvernement britannique et les forces britanniques en Irak se tiennent prêts à aider comme ils peuvent pour prévenir de telles attaques ou identifier les responsables et les traduire en justice", a encore écrit l'ambassade.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 16.10.05 | 10h53


Le Monde / International
Article interactif
Selon Condoleeza Rice, le "oui" à la Constitution irakienne l'aurait emporté
  1. Le bilan des violences de samedi porté à 13 morts, dont cinq soldats américains
  2. Les résultats partiels locaux donnent le "oui" gagnant
  3. La participation estimée à plus de 61%
  4. Un référendum salué notamment par l'ONU
1 - Le bilan des violences de samedi porté à 13 morts, dont cinq soldats américains

 L e scrutin s'est déroulé sans importants déferlements de violence, samedi. Les insurgés sunnites, hostiles au projet de Loi fondamentale rédigé par le Parlement majoritairement chiite et kurde, avaient pourtant menacé de s'en prendre aux électeurs comme lors des élections législatives de janvier, durant lesquelles plus de quarante personnes avaient été tuées.

Cinq soldats américains ont cependant été tués samedi par l'explosion d'une bombe artisanale au passage de leur véhicule à Ramadi, dans l'ouest du pays, a annoncé dimanche l'armée américaine, précisant qu'ils appartenaient à la Deuxième division de marines. Au moins 1 970 Américains ont trouvé la mort depuis le début de la guerre d'Irak. Des membres de la guérilla sunnite ont affronté dans la journée les forces américaines et irakiennes de la ville,  avait indiqué un correspondant de Reuters sur place.

Côté irakien, le bilan s'établirait à sept morts. Trois soldats ont été tués dans un attentat à la bombe dans le nord-est de Bagdad alors qu'ils emportaient des bulletins pour le dépouillement. Trois autres, qui inspectaient des bureaux de vote dans la région de Saadiya, près de la frontière iranienne ont été tués et trois de leurs collègues blessés, samedi avant l'aube, a indiqué une source du ministère de l'intérieur.

ENGINS PIÉGÉS

A Bagdad, des bureaux de vote ont essuyé des tirs à l'heure de l'ouverture du référendum. Un civil a été tué lorsqu'un homme armé a ouvert le feu sur un bureau dans le quartier Gazaliyah, à l'ouest de la capitale. Toujours dans ce quartier, une femme a été blessée par erreur par des tirs de policiers sur une voiture suspecte, selon une source du ministère de l'intérieur.

Dans le quartier de Amiriya, lui aussi à l'ouest, plusieurs engins piégés ont explosé à l'ouverture de la consultation, devant un bureau de vote de l'école primaire d'Al-Anfal. Un policier a été blessé, selon la première source. Une heure et demie plus tard, une roquette de type Katioucha est tombée sur un cimetière du quartier sunnite Adhamiya, au nord de la ville, sans faire de victime.

Par ailleurs, "un certain nombre de bureaux ont été visés par des tirs dans les quartiers Doura et Al-Ilaam [au sud et sud-ouest de Bagdad], qui n'ont fait ni tués ni blessés", a déclaré à la presse Adel Lamy, responsable de la Commission électorale indépendante. Trois bureaux de vote de cette même zone de Bagdad ont été visés par des tirs dans la nuit qui n'ont pas non plus fait de victime.

COUVRE-FEU

Dans le bastion sunnite de Fallouja, à 50 km à l'ouest de Bagdad, une bombe a explosé à 8 heures au passage d'un convoi américain sans faire de victime, selon un photographe de l'AFP accompagnant les troupes américaines.

Un important dispositif de sécurité a été mis en place dès vendredi minuit: les frontières terrestres ont été bouclées jusqu'à 18 heures dimanche (17 heures à Paris), et l'aéroport international de Bagdad a été fermé. Un couvre-feu a été imposé sur tout le territoire national de 22 heures à 6 heures locales. Le trafic routier, excepté les convois gouvernementaux et militaires, a été interdit, tout comme le port d'armes pour les civils et les gardes de sécurité. Les Irakiens ont été mis en congés trois jours.

Avec AFP et Reuters


2 - Les résultats partiels locaux donnent le "oui" gagnant

 L e "oui" au référendum de samedi sur la Constitution irakienne a de grandes chances de l'emporter, les dirigeants de la communauté chiite, qui représente 60% de la population, et les partis politiques kurdes ayant appelé à soutenir la Constitution. Le oui l'a "probablement" emporté a estimé dimanche la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice. Mme Rice, qui avait téléphoné plus tôt dans la matinée à l'ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad, Zalmay Khalilzad, a cependant voulu se montrer prudente, soulignant qu'elle ne disposait pas de chiffres sur les résultats du référendum.

La principale inconnue est la participation des sunnites. Le texte sera rejeté si le "non" l'emporte avec une majorité des deux tiers dans trois provinces au moins (sur dix-huit).

La province à majorité sunnite de Salaheddin (nord), qui comprend Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein, s'est prononcée à 71% contre le projet de Constitution, selon des résultats provisoires fournis dimanche par un responsable de la commission électorale de la province,  Salah Khalil Faraj, précisant que le chiffre officiel serait annoncé à 17 heures (16 heures à Paris). Selon lui, le taux de participation dans la province est de 88%. A Samarra, a-t-il ajouté, 95% de votants se sont exprimés contre le texte, contre 3% qui l'ont approuvé. Le province d'Anbar dans l'ouest, devrait elle aussi avoir massivement voté "non".

"PURE SPÉCULATION OU INVENTION"

Mais dans les deux autres provinces à majorité sunnites, celle de Diyala et de Ninive, le "oui" serait majoritaire. Les électeurs de la première ont voté "oui" à 70%, a annoncé dimanche le responsable de la commission électorale locale, Adil Abdel-Latif. Ce résultat - 20% de "non" et 10% de bulletins non valables - provient d''un premier décompte des quelque 400 000 bulletions de vote, qui devra être suivi d''au moins un recompte.  Dans la province de Ninive, plus au nord, avec la ville de Mossoul qui abrite deux millions de Sunnites et de Kurdes, selon le décompte des bulletins de 260 des 300 bureaux de vote de la province, environ 300 000 électeurs ont voté "oui" et seulement 80 000 "non", a déclaré Samira Mohammed, porte-parole de la commission électorale, à Mossoul.

Un des porte-parole à Bagdad de la Commission électorale indépendante, a contesté ces résultats. "La Commission n''a publié aucun chiffre jusqu''à présent en ce qui concerne le référendum et travaille d''arrache-pied pour achever le dépouillement des bulletins de vote et pouvoir donner des résultats partiels lundi ou mardi", a affirmé Farid Ayyar dans un communiqué. "Les chiffres qui circulent sur les votes des provinces ne sont que pure spéculation ou invention, et se basent sur des suppositions ou des chiffres partiels qui ne peuvent être pris en compte comme des résultats définitifs", a-t-il indiqué. M. Ayyar avait expliqué plus tôt que "quand le résultat non officiel sera rendu public, le comité légal examinera les plaintes sur des violations constatées et les entérinera". Ce n''est qu'après que le résultat sera officialisé, probablement vers le 24 octobre, a-t-il poursuivi, précisant que les plaintes devaient être déposées dans un délai de trois jours après le référendum.

Si la Constitution est adoptée, des élections législatives auront lieu d''ici au 15 décembre et un nouveau gouvernement sera investi avant la fin de l''année. Si le "non" l''emporte, le processus devra reprendre à zéro avec l''élection d''ici à la mi-décembre d''un parlement intérimaire chargé de rédiger un nouveau projet de constitution, lequel sera soumis à référendum au plus tard en octobre 2006.

Avec AP, AFP et Reuters


3 - La participation estimée à plus de 61%

 L a Commission électorale dépouillait dimanche le vote du référendum sur le projet de Constitution, une consultation qui s'est déroulée sans violences notoires.

Le dépouillement a commencé dès la fermeture des bureaux de vote, ouverts samedi pendant dix heures aux électeurs à travers le pays, et la Commission "affine le taux de participation", a déclaré un haut responsable de l'organisme indépendant, Abdel Hussein Hindaoui. Entre 61% et 65% d'Irakiens ont participé au référendum, selon les premières estimations de responsables de la commission électorale. Les bureaux de vote, ouverts à 7 heures, ont fermé comme prévu à 17 heures (16 heures à Paris). Plus de 15,5 millions d'Irakiens étaient appelés à se rendre aux urnes pour se prononcer sur le projet de Constitution, qui doit jeter les bases de l'Irak de l'après Saddam Hussein.

"Je pensais que nous atteindrions peut-être les onze millions de votants. Mais cela semble avoir été un peu plus calme, en outre, c'est le ramadan", a déclaré Farid Ayar, membre de la commission électorale, qui pense "que cela pourrait être supérieur à dix millions." Si cette estimation - supérieure à celle d'un de ses collègues, qui évoquait "plus de 61%" - se confirme, les deux tiers des 15,5 millions d'inscrits se seront déplacés aux urnes pour se prononcer sur le projet de Constitution.  La participation s'annonce en tout cas supérieure aux 58% enregistrés en janvier, lors des législatives. Dans huit des 18 provinces, la participation dépasse les 66% d'inscrits; dans sept autres, elle est inférieure à 33%, a précisé la commission.

Un haut responsable de cette commission, Adel Lamy, a indiqué un peu plus tôt que "le taux de participation est très bon dans les zones sécurisées du nord et du sud" du pays. A Bassorah, au sud, à Falouja, à l'ouest, et Kirkouk, au nord, les électeurs se sont apparemment mobilisés en nombre. La participation semble en revanche très basse à Ramadi. A Mossoul, troisième ville du pays et  métropole du nord où la guérilla s'est montrée très active, des adversaires du texte ont distribué des tracts exhortant la population à boycotter le scrutin. "Restez chez vous ! Ne croyez pas à la Constitution !", indique la feuille, qui montre un électeur représenté sous les traits d'un âne glissant son bulletin dans l'urne sous le regard de l'oncle Sam.

RÉSULTATS ATTENDUS DANS TROIS JOURS

Selon des sources de l'ONU, il y a eu dix-sept incidents, qui ont été réglés, allant de l'absence de noms sur des listes électorales, à Sadr City à Bagdad, à des pressions d'assesseurs sur les électeurs pour voter "non", comme à Diyala. M. Lamy pour sa part indiqué, sans préciser, qu'il a reçu "des plaintes selon lesquelles des partis politiques et des forces de sécurité ont essayé d'interférer dans le déroulement du scrutin". Mais la commission affirme qu'elle n'a pas eu connaissance de violations majeures, les quelques tentatives recensées n'ayant pas réussi. M. Lamy a indiqué que sur les 6 235 bureaux de vote prévus,"5 617 sont ouverts". Les bureaux restés fermés se concentraient dans les provinces sunnites d'Al-Anbar (ouest) et Ninive (nord), a-t-il précisé, faisant état de "problèmes de communications avec ces régions". Ainsi, à Al-Anbar, 144 bureaux de vote étaient ouverts sur les 207 prévus, alors qu'à Ninive, trois bureaux n'ont pas ouvert, selon un autre haut responsable de la commision. Un bureau de la province a dû fermer après avoir reçu des menaces. Des sources onusiennes ont indiqué qu'en milieu d'après-midi, seuls dix bureaux fermés avaient été recensés dans cette province.

Le démarrage du scrutin a été lent, en raison des délais de livraison du matériel. Dans le quartier de Doura à Bagdad, les bureaux de vote ont ouvert en retard en raison d'une attaque contre un camion transportant les urnes, selon Adel Lamy. Un autre responsable a fait état d'incidents à Bassora (sud) et Babylone (centre), où des coups feu ont été tirés en direction de centres de vote.

Avec AFP, AP et Reuters


4 - Un référendum salué notamment par l'ONU

 L' ONU s'est félicité du déroulement du référendum, la deuxième consultation en Irak, après les élections générales du 30 janvier, depuis la chute du régime dictatorial de Saddam Hussein, il y a deux ans et demi. "Quel que soit le résultat, le secrétaire général (de l'ONU Kofi Annan) estime que ce référendum offre une chance à tous les Irakiens de s'éloigner de la violence et de s'unir dans un esprit de réconciliation nationale pour bâtir un Irak démocratique, uni et prospère", selon un communiqué diffusé à New York. "Les Nations unies continueront de faire tout leur possible pour aider les Irakiens à réaliser cet objectif", ajoute le communiqué.

Les Etats-Unis ont salué le vote, eux dont la stratégie en Irak, y compris un éventuel retrait de leurs troupes, dépend du succès de cette consultation.
 "C'est un développement positif et significatif. La participation a été élevée, la violence basse et le vote largement libre et transparent", a déclaré un responsable du département d'Etat, affirmant que samedi a été "manifestement un mauvais jour pour les terroristes".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 16.10.05 | 17h17


Le Monde / Sciences
Article interactif
Grippe aviaire: la Roumanie et la Turquie tentent de rassurer l'Europe inquiète
  1. La Roumanie assure que le virus est cantonné à deux villages.
  2. Les neuf villageois turcs placés en observation n'ont pas été contaminés.
  3. La Grande-Bretagne craint une pandémie
  4. Paris prévoit 200 millions d'euros pour la prévention
  5. Réunions des experts et ministres européens
1 - La Roumanie assure que le virus est cantonné à deux villages.

 L a Roumanie, où a été confirmée samedi la présence du virus H5N1 de la grippe aviaire, a annoncé dimanche que le virus n'était présent que dans deux villages du delta du Danube, importante zone de transit des oiseaux migrateurs. Selon le ministre de l'agriculture, Gheorghe Flutur, l'épidémie est limitée aux villages de Ceamurlia de Jos et de Maliuc, où un abattage systématique a été mené dans tous les élevages de volailles. "Dans un rayon de dix kilomètres autour de Ceamurlia de Jos, les analyses n'ont pas révélé [d'autres cas de grippe aviaire]", a-t-il dit à la presse.

Six secteurs administratifs du Sud-Est du pays ont été bouclés et tout véhicule en sortant doit passer par un bain désinfectant. Les volailles, mais aussi les porcs d'élevag - les experts craignent qu'ils puissent contracter le H5N1 - ont été enfermés pour éviter tout contact avec des oiseaux sauvages, nombreux à passer par le delta du Danube au cours de leurs migrations. "Nous avons agi conformément aux décisions de l'Union européenne", explique un membre des services vétérinaires de Roumanie.

Avec Reuters


2 - Les neuf villageois turcs placés en observation n'ont pas été contaminés.

 E n Turquie, où la présence du H5N1 est avérée depuis jeudi dernier dans le nord-ouest du pays, aucun cas humain n'a été signalé: les neuf villageois qui avaient été placés en observation médicale ont pu quitter l'hôpital samedi, les analyses ayant prouvé qu'ils n'étaient pas contaminés.

Dans la province orientale d'Agri, près de la frontière iranienne, un millier de poulets acheminés du nord-ouest de la Turquie ont été retrouvés morts. Les premières analyses laissent penser que la grippe aviaire ne serait pas responsable de ces décès, mais les autorités régionales ont imposé un embargo sur tous les transports de volailles.

Avec Reuters


3 - La Grande-Bretagne craint une pandémie

 L iam Donaldson, médecin chef du National Health Service, a estimé dimanche qu'une éventuelle pandémie pourrait causer la mort de 50 000 Britanniques, alors qu'en moyenne, une épidémie saisonnière de grippe classique tue 12 000 personnes. "Mais ce chiffre pourrait être bien supérieur, tout dépend de la virulence de la souche", a-t-il ajouté sur les ondes de la BBC, précisant que "cela ne veut pas dire qu'il y aura une pandémie de grippe aviaire, cela veut dire qu'à un moment donné, le virus de la grippe aviaire va se combiner avec un virus de la grippe humaine et deviendra alors facilement transmissible" d'un humain à l'autre. "On ne peut pas la faire partir. C'est un phénomène naturel et il viendra", a insisté le directeur général de la santé tout en estimant "peu probable" que la pandémie frappe cet hiver en Europe. Si tel était le cas, il a indiqué que les aéroports devraient continuer de fonctionner, mais qu'il "pourrait être nécessaire" de fermer les écoles et les bâtiments publics.

Le chiffre de 50 000 morts est "complètement hypothétique", a cependant tempéré Martin Wiselka, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de Leicester. "Je pense que cela devrait être pire que cela au début. Quand une nouvelle souche arrive, elle tend à être plus virulente, puis elle ralentit. Mais la réponse honnête est que l'on ne sait pas", a-t-il déclaré, tout en estimant que "Cela pourrait ne jamais arriver (...) Si j'étais joueur, je parierais que nous nous en tirerons probablement bien".

Avec AFP et Reuters


4 - Paris prévoit 200 millions d'euros pour la prévention

 E n France, le plan de préparation à la lutte contre une pandémie grippale de l'Institut national de veille sanitaire (InVS) évoque dans son hypothèse la plus pessimiste 200 000 morts et plus d'un million d'hospitalisations.

Le gouvernement a prévu 200 millions d'euros pour la prévention de la grippe aviaire en 2005, a déclaré dimanche le ministre de l'économie Thierry Breton sur Europe 1. "Si jamais ça ne suffisait pas, on se donnerait les moyens en 2006", a-t-il indiqué.

Avec AFP et Reuters


5 - Réunions des experts et ministres européens

 U ne nouvelle réunion des experts vétérinaires de l'UE est prévue jeudi pour faire le point sur la grippe aviaire en Europe. Elle pourrait être avancée en fonction des circonstances. La question sera également au menu de la réunion des ministres des affaires étrangères des Vingt-Cinq, mardi au Luxembourg.

Sans attendre, les autorités polonaises ont ordonné que les volailles d'élevage soient confinés à partir de lundi dans des espaces totalement fermés. La Bulgarie, limitrophe de la Roumanie et de la Turquie, a renforcé ses contrôles aux frontières et accru la surveillance vétérinaire des fermes avicoles le long du Danube et sur les rives de la mer Noire. Les analyses menées jusqu'à présent n'ont pas révélé la présence du virus, selon Jeko Batchev, qui dirige l'institut national vétérinaire.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 16.10.05 | 19h51


Le Monde / Sciences
En Afrique, le méthane du lac Kivu représente à la fois un danger et une source d'énergie

 L e continent africain possède plusieurs lacs très dangereux car ils contiennent une grande quantité de gaz carbonique ou de méthane dissous dans leur eau. Ceux de Nyos et de Monoun, au Cameroun, sont hélas les plus connus, car ils ont provoqué au total, en 1984 et en 1986, la mort de 1 800 personnes et de nombreux animaux à la suite de l'émission brutale d'une grande quantité de CO2.

Désaccord sur les lacs Nyos et Monoun

Le nombre de systèmes d'extraction du gaz carbonique nécessaire aux lacs Nyos et Monoun pour assurer la sécurité des populations environnantes suscite une polémique entre spécialistes. George Kling (department of ecology and evolutionary biology , université de Michigan) et plusieurs de ses collègues estiment dans les Proceedings de l'Académie nationale des sciences américaines du 4 octobre que deux colonnes de dégazage supplémentaires sont nécessaires à Monoun et cinq colonnes à Nyos. Michel Halbwachs, professeur de physique à l'université de Savoie à Chambéry, qui a installé les systèmes d'extraction qui existent actuellement, et trois chercheurs du Swiss Federal Institute of Aquatic Science and Technology de Seestrass (Suisse), spécialistes de la structure et du comportement des lacs, sont en désaccord complet avec George Kling. Ils estiment qu'une colonne de dégazage en plus à Nyos et deux à Monoun sont suffisantes.

Depuis, pour contenir les risques, les deux lacs ont été "appareillés" ­ en 2001 pour Nyos et 2003 pour Monoun ­ avec un système de dégazage artificiel mis au point par Michel Halbwachs, professeur de physique à l'université de Savoie, et la société Data Environnement, qu'il a créée.

Un autre lac est potentiellement très dangereux, le lac Kivu, situé dans le creux du rift africain entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC). "Il contient mille fois plus de gaz dissous que le lac Nyos, et pourrait provoquer une émission gazeuse, en cas de déstabilisation de ses eaux stratifiées par une éruption volcanique par exemple", explique M. Halbwachs, qui a étudié le site avec des spécialistes internationaux. Cette menace pèse sur les 2 millions de personnes vivant à proximité du lac, et notamment les 400 000 habitants de la ville de Goma (RDC).

Le gaz du lac Kivu ­ composé pour un cinquième de méthane et pour quatre cinquièmes de gaz carbonique ­ provient pour une grande part des déchets liés à l'activité humaine. Pour Nyos et Monoun, le gaz résulte d'une activité tectonique. "Le méthane représente le vrai danger, car il est vingt fois moins soluble que le C02: avec vingt fois moins de gaz, on approche plus vite de la saturation", explique M. Halbwachs. Or, des mesures réalisées sur le lac Kivu ont montré que le taux de méthane avait augmenté de 15% depuis trente ans et que la saturation serait acquise d'ici à la fin du siècle.

Le risque volcanique est réel, expliquent M. Halbwachs et trois chercheurs du Limnological Research Center de Kastanienbaum (Suisse) dans la revue Geochemistry, Geophycs, Geosystems du 26 juillet. Deux volcans actifs sont en effet situés près de la rive nord, le Nyiragongo, qui a connu une éruption en 1977 et en 2002, et le Nyamulagira. L'Union européenne avait mandaté plusieurs experts internationaux pour étudier les effets de l'éruption sur le lac. Après cette crise, l'hypothèse d'une intrusion magmatique, voire d'une éruption volcanique apparaissant dans les profondeurs mêmes du lac ne peut plus être totalement écartée. Des sédimentologues américains ont mis en évidence la trace laissée il y a quatre mille ans par d'anciens volcans.

L'éruption du Nyiragongo s'est propagée en direction du lac par des bouches éruptives le long d'une faille tectonique, jusqu'à 5 km du bord du lac. Si cette progression avait continué 6 à 7 km plus au sud, des épanchements magmatiques se seraient produits à 300 m de profondeur, provoquant une remontée des eaux chargées en gaz.

Pour toutes ces raisons, "le lac Kivu représente un risque énorme, beaucoup plus important qu'on ne le pensait , ajoute M. Halbwachs. Il faut s'y préparer en extrayant le méthane, à la fois pour diminuer le risque et pour valoriser cette ressource énergétique".

Le scientifique français et son équipe étudient depuis 2002 un système d'extraction du méthane du lac Kivu à des fins industrielles. Une partie du procédé est similaire à celui utilisé à Nyos et Monoun. Une autre est destinée à enrichir le gaz extrait, pour atteindre un taux de 80%.

Le Rwanda, qui n'a pas d'énergie propre, est intéressé par le procédé mis au point par les Français. "A la fin de l'année, le gouvernement rwandais devrait choisir l'entreprise qui installera sur le lac Kivu une station destinée à extraire 6 millions de m3 de méthane par an", précise M. Halbwachs. Ce qui implique aussi de trouver le financement de la station (1,5 million d'euros).

Si tout se passe bien, le lac Kivu pourrait être équipé mi-2007. La station d'extraction devrait servir dans un premier temps à fournir de l'énergie à la brasserie Heineken, installée près du lac. A plus long terme, il devrait être possible de produire de l'électricité à partir des énormes quantités de méthane stockées dans le lac Kivu.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 16.10.05


Le Monde / Europe
Un premier cas de grippe aviaire a été détecté en Grèce

 L e ministère de l'agriculture grec a annoncé, lundi 17 octobre, un premier cas de grippe aviaire en Grèce. Le virus a été détecté sur un dindon dans une île de la mer Egée, à l'est du pays. Le gouvernement grec a activé le dispositif d'urgence. Il s'agit du premier cas du virus H5 dans l'Union européenne.

D'après l'agence de presse AP, le dindon en question provient d'un élevage d'une vingtaine de bêtes, à Inoussa, une île de 14 kilomètres carrés non loin des côtes turques. Selon AP, le propriétaire de l'élevage aurait informé les autorités sanitaires après avoir détecté "la présence de symptômes étranges et des pertes parmi les dindons". Une équipe vétérinaire de l'île voisine de Chios se serait alors rendue sur les lieux pour prélever des échantillons. Mais d'autres agences de presse ont indiqué que les dindons testés venaient directement de Chios.

Les échantillons de sang qui se sont révélés positifs ont été soumis à un laboratoire à Athènes, le 13 octobre, a indiqué le ministère. L'un des neuf dindons testés s'est avéré infecté par le virus H5. Des tests complémentaires ont été commandés par le gouvernement pour déterminer s'il s'agit du virus H5N1, possiblement mortel pour l'homme. Ces tests seront effectués dans un centre vétérinaire du port de Salonique.

Des responsables du gouvernement ont affirmé qu'il n'était pas nécessaire d'abattre d'autres volailles. "Aucune mesure d'abattage n'a été décidée dans la zone. Mais le transport de volailles, d'œufs, de personnes et la circulation de véhicules sont interdits", a affirmé un haut responsable du gouvernement.

DEUX VILLAGES AFFECTÉS EN SIBÉRIE

Par ailleurs, le ministère de l'agriculture russe a annoncé que le virus de la grippe aviaire a été détecté dans des élevages de volailles de deux villages de Sibérie, 19 autres étant placés sous surveillance à la suite de cas suspects. Les deux villages touchés se trouvent dans l'ouest de la Sibérie, dans la région de Kourgan, tandis que les autres se trouvent dans l'est, a annoncé le ministère. Les services vétérinaires russes avaient annoncé début octobre 2005 l'abattage de 460 000 volailles dans un élevage de la région de Kourgan.

La Russie avait commencé en juillet l'abattage massif de volailles, après la découverte des premiers cas. Six régions au total avaient été officiellement déclarées infectées par la grippe aviaire en Sibérie. Selon les experts, le virus a probablement été introduit en Russie par les oiseaux migrateurs venant des régions frontalières chinoises.

Avec AFP, AP, Reuters
LEMONDE.FR | 17.10.05 | 18h28


Le Monde / Europe
Grippe aviaire: les Européens tentent d'enrayer tout risque de pandémie

En Roumanie, des techniciens éliminent les oiseaux susceptibles d’être contaminés par le virus de la grippe aviaire.  | AP/MARIUS NEMES
AP/MARIUS NEMES
En Roumanie, des techniciens éliminent les oiseaux susceptibles d'être contaminés par le virus de la grippe aviaire.

 L' arrivée de la grippe aviaire en Turquie et en Roumanie, où a été confirmée la présence du virus H5N1, devient le sujet central des ministres européens. Ils se réuniront à trois reprises, mardi, jeudi et vendredi, pour discuter de l'état de préparation de l'Union européenne (UE) face à une éventuelle pandémie.

Roche va donner du Tamiflu à la Roumanie et à la Turquie

Un porte-parole de Roche a indiqué que le laboratoire était en train de faire parvenir 20 000 boîtes de Tamiflu à la Turquie pour protéger les personnes ayant travaillé en contact avec la volaille infectée et qu'elle avait donné 2 400 boîtes à la Roumanie. Roche, qui a fait savoir que sa production de Tamiflu serait augmentée aussi vite que possible, a également donné trois millions de boîtes à l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le laboratoire a indiqué mercredi qu'il sous-traiterait dans ce cadre une partie de sa production, mais qu'il ne renoncerait pas à ses brevets. "Roche et ses partenaires entendent pleinement rester les seuls fabricants de Tamiflu et sont les mieux placés pour augmenter la production", avait déclaré vendredi un porte-parole du groupe. – (Reuters.)

Mardi à Luxembourg, la réunion des chefs de la diplomatie de l'UE, largement consacrée aux négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), sera aussi l'occasion d'une première discussion des Vingt-Cinq au niveau politique depuis la découverte du H5N1 en Europe.

Leurs homologues de la santé prendront le relais jeudi et vendredi au Royaume-Uni. Le commissaire à la santé européen, Markos Kyprianou, qui avait appelé jeudi les Etats membres à stocker des antivirus, doit de son côté présenter mercredi un exercice de simulation, organisé plus tard dans l'année et visant à tester la capacité de l'UE à répondre à une pandémie de grippe.

"DES MESURES PLUS DRASTIQUES"

Sans attendre ces réunions, l'UE a déjà pris une série de mesures de protection. Ainsi a-t-elle interdit jeudi les importations en provenance de Roumanie d'oiseaux vivants et de produits issus de la volaille, alors qu'un embargo similaire existait déjà à l'encontre de la Turquie depuis lundi. D'autres mesures de prévention, dans l'UE même, ont été renforcées vendredi pour réduire le risque d'introduction de la grippe aviaire dans les élevages avicoles.

En décidant l'intensification des mesures de précaution vendredi, les experts vétérinaires des Vingt-Cinq ont d'ailleurs tenu à rassurer la population, qui, dans plusieurs pays, s'est déjà ruée dans les pharmacies. Ils ont estimé que "pour le moment, la grippe aviaire ne représente pas un risque pour la santé publique".

Même si le président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso, s'est dit disposé à proposer "des mesures plus drastiques", son équipe ne juge pas nécessaire, à ce stade, de compléter celles déjà prises.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 17.10.05 | 08h29


Le Monde / Europe
Le gouvernement d'Angela Merkel est au complet

 A ngela Merkel a annoncé, lundi 17 octobre, les noms des sept ministres conservateurs du futur gouvernement allemand. Sa composition est désormais achevée, après l'annonce vendredi des ministres sociaux-démocrates au sein de la "grande coalition".

Parmi les poids lourds du camp conservateur figure Edmund Stoiber, le chef de file des chrétiens-démocrates de Bavière (CSU). Comme il l'avait lui-même annoncé, M. Stoiber va devenir ministre de l'économie et des technologies. Défenseur des valeurs traditionnelles, pourfendeur du mariage homosexuel et, plus récemment, des "frustrés" qui, selon lui, peuplent l'est du pays, il est connu pour ses prises de position musclées et son absence de tact. M. Stoiber devra sans conteste mettre de l'eau dans son vin pour s'acquitter de sa tâche.

TRACTATIONS ENTRE LA CDU ET LA CSU

Le vice-président du parti bavarois, Horst Seehofer, a lui été désigné au ministère de l'agriculture et de la protection du consommateur. Cette nomination a été au centre d'intenses tractations entre les deux camps conservateurs, la CDU d'Angela Merkel et la CSU de M. Stoiber. La chancelière aurait souhaité éviter l'arrivéeau gouvernement de M. Seehofer, jugé trop à gauche sur le plan social. Il s'était notamment montré très critique vis-à-vis du concept de réforme de santé élaboré en 2004 par la CDU-CSU. Mais M. Stoiber s'est imposé pour qu'il obtienne un portefeuille.

L'intérieur a été attribué à l'ex-président de la CDU, Wolfgang Schäuble. L'ancien bras droit d'Helmut Kohl a déjà tenu ce portefeuille de 1984 à 1989. En octobre 1990, M. Schäuble a été la cible d'un déséquilibré qui lui avait tiré plusieurs balles dans le corps, le laissant paraplégique. Il avait toutefois repris ses fonctions après seulement quatre mois de convalescence. Il est depuis l'un des hommes les plus populaires du pays. Mais, en 2000, le scandale des caisses noires du parti conservateur avait terni son image. Wolfgang Schäuble avait alors dû abandonner ses fonctions à la présidence du parti.

L'avocat Franz Josef Jung est nommé à la tête du ministère de la défense. Le chef du groupe parlementaire CDU de l'Etat régional de Hesse est ainsi récompensé, à 56 ans, pour ses loyaux services. Ancien militaire, M. Jung a enchaîné les postes politiques à responsabilité depuis 1987, date à laquelle il est devenu secrétaire général de la CDU de Hesse.

Deux femmes font partie des ministres désignés par la chancelière. Annette Schavan, célibataire catholique de 50 ans, va devenir ministre de l'éducation. Elle a fait ses preuves pendant dix ans comme ministre de la culture au niveau régional. Le portefeuille de la famille est confié à une mère de sept enfants, Ursula von der Leyen. Enfin, le poste de ministre à la chancellerie – sorte de chef de cabinet du chancelier – est attribué à Thomas de Maizière. Il est le cousin du dernier dirigeant de la RDA, qui avait signé l'acte de réunification en 1990.

LES NÉGOCIATIONS VONT COMMENCER

Le gouvernement Merkel étant au complet, la CDU-CSU et le SPD vont commencer lundi les négociations pour définir la ligne politique de cette nouvelle équipe. A partir de 17 heures, les dirigeants des partis doivent se retrouver pour discuter concrètement des réformes qu'ils entendent mener durant les quatre prochaines années. La chancelière a déjà fixé ses priorités: faire baisser le chômage et assainir les finances publiques. Peer Steinbrück, retenu par le SPD pour être ministre des finances, a déjà prévenu qu'il n'accepterait pas une nouvelle baisse des impôts.

Les deux camps ont prévu de se rencontrer les lundi, vendredi et, si nécessaire, les samedi, pendant quatre semaines. A l'issue des négociations, à la mi-novembre, le gouvernement d'Angela Merkel devrait entrer en fonction, une fois sa confirmation votée par les députés du Bundestag.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 17.10.05 | 17h02


Le Monde / France
ISF: actionnaires salariés et chefs d'entreprise seraient exonérés

 L e ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton a confirmé, dimanche 16 octobre, que le gouvernement accepterait un amendement au projet de loi de finances 2006 prévoyant une exonération partielle d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les actions détenues par les salariés et les dirigeants d'une entreprise. La commission des finances de l'Assemblée nationale devrait l'adopter mardi.

"Aujourd'hui il y a beaucoup de salariés qui investissent dans leur entreprise par le biais de l'actionnariat salarié, et je trouve personnellement que c'est une très bonne chose", a déclaré M. Breton lors de l'émission"Grand rendez-vous" d'Europe 1-TV5. "On est en train de réfléchir, avec les parlementaires, pour voir si (...) tous ceux, que ce soit les salariés ou les dirigeants, qui investissent une partie de leurs avoirs dans les actions de l'entreprise dans laquelle ils travaillent (...) peuvent avoir une exonération de l'ISF", a-t-il déclaré.

75% D'EXONÉRATION

"Par exemple, si vous prenez l'engagement de détenir au moins cinq ans ces actions de l'entreprise dans laquelle vous travaillez ou dans laquelle vous avez travaillé, eh bien dans ce cas-là vous pourriez avoir une exonération de l'ordre de 75% de l'ISF." Cette exonération ne vaudrait que tant que les salariés ou anciens salariés, dirigeants ou anciens dirigeants en question, détiennent ces actions, a-t-il ajouté.

Le ministre de l'économie a estimé qu'une telle mesure permettrait notamment de favoriser la création de "noyaux stables" d'actionnaires au sein des entreprises. "Au moment où, effectivement, on voit des OPA ici ou là, ce n'est pas idiot", a-t-il souligné. Il s'agirait aussi de "corriger" les "effets pervers, négatifs" de l'ISF "sur l'attractivité du territoire".

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 17.10.05 | 09h15


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Défaites syndicales

 S ubrepticement, les cinq centrales syndicales représentatives ont dressé un constat d'échec de leur mobilisation. La journée nationale d'action du 4 octobre s'est située un cran en dessous de la précédente, le 10 mars. Le constat est rude: le mécontentement social est bien réel en France ­ et la victoire du non au référendum européen du 29 mai en a aussi été une traduction ­, mais il ne passe pas par les syndicats.

Depuis deux semaines, le syndicalisme a enregistré une série de défaites. Il y a d'abord eu le calamiteux épisode de la Société nationale Corse-Méditerranée (SNCM) mettant aux prises un Etat mauvais gestionnaire et mauvais actionnaire et un syndicalisme d'un autre âge muré dans ses archaïsmes et son immobilisme. Le Syndicat des travailleurs corses (STC) a affiché sa radicalité et son nationalisme. Le syndicat des marins CGT a joué la carte du jusqu'au-boutisme, ne s'arrêtant qu'au bord du précipice pour éviter le dépôt de bilan.

Si la fermeté de Dominique de Villepin a payé à la SNCM, il aurait tort de se livrer à un exercice de triomphalisme. Etat et syndicats ont déployé un jeu "perdant-perdant". Le gouvernement, après s'être défaussé sur un préfet de région, a multiplié les volte-face et a montré son incapacité à négocier. Il n'a pas su saisir la main tendue par Bernard Thibault, qui ne mettait plus en avant l'exigence d'une SNCM détenue à 51% par l'Etat. Et, à l'arrivée, la CGT, après avoir donné du syndicalisme sa pire image, a été incapable d'empêcher la privatisation de l'entreprise.

Les confédérations s'apprêtent à subir une nouvelle défaite. Le 14 octobre, le commissaire du gouvernement a estimé, devant l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat, que la requête d'annulation des syndicats contre le contrat nouvelles embauches (CNE) n'était pas justifiée. Il y a donc de fortes chances pour que la haute juridiction reconnaisse la validité de ce CNE ­ que M. de Villepin avait lui-même qualifié d'"ovni" ­ alors que les syndicats ont eu recours à la voie juridique pour le faire annuler, à défaut d'avoir obtenu son retrait par leur mobilisation.

Au bout du compte, les syndicats ont fait, le 4 octobre, une redoutable démonstration: ils peuvent mettre, selon leurs chiffres, plus d'un million de personnes dans la rue et n'obtenir aucun résultat. Il n'est donc pas étonnant qu'ils se gardent bien de décréter une nouvelle journée nationale d'action. Il serait suicidaire d'entretenir pareille spirale de l'échec.

Pour autant, il n'est pas sain dans une démocratie, surtout quand elle est, comme en France, si malade, d'avoir un syndicalisme affaibli ou humilié. Quand la colère ne passe plus par le "filtre" syndical, elle peut donner lieu à bien des débordements, voire à des actes de désobéissance civile. Le climat social peut favoriser de tels dérapages. Le premier ministre, qui a promis aux confédérations, dès le 6 octobre, d'ouvrir un dialogue sur plusieurs chantiers, dont l'emploi, serait avisé de ne pas trop attendre et de prendre des initiatives pour revivifier la démocratie sociale.

Article paru dans l'édition du 18.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

louis breg. ♦ 19.10.05 | 12h27 ♦ Combien de "Syndicats ou Coodinations" en France qui représentent environ 5% de vrais Syndiqués à jour de leurs cottisations?... Bien sûr parmi eux il existe de vrais militants dévoués corps et âme mais combien sont-ils?...et la plupart du temps le Medef s’arrange pour les éliminer!...à quand le sabordage des restes des centrales syndicales pour reconstruire UNE ou DEUX Cantrales au maximum.... un voeu pieu sans doute....hélas
alain e. ♦ 18.10.05 | 18h54 ♦ Rien n’avancera tant qu’il ne sera pas mis fin à la scandaleuse présomption légale de représentativité des "grands" syndicats qui, sur le terrain, ne sont que des groupuscules sans réelle base militante. Quant à la CGT, plus spécialement, elle n’a toujours été ( et elle reste) q’une simple courroie de transmission du PC et sa principale "pompe à fric". Le ménage, vite!
jean-louis F. ♦ 18.10.05 | 14h03 ♦ Vous écrivez qu’il n’est pas sain pour une démocratie..........oui mais doit on pour autant discuter avec des syndicats "archaïques " , exclusivement corporatistes et de plus décrédibilisés,(cf) l’affaire des trafics sur les bateaux de la SNCM? Ne peut on chercher --en complément--à aider l’émergence de nouveaux interlocuteurs, même s’ils ne se sont pas distingués pendant la gerre de 1939/45 et pourquoi pas d’ailleurs celle de 1870 faute d’être nés à cette époque?
Denis P. ♦ 18.10.05 | 13h26 ♦ Ce n’est tout de meme pas au gouvernement de refonder le milieu syndical. Cette tendance bien Francaise a tout attendre de l’Etat. Le probleme sans doute, c’est que personne ne veut s’engager, tout le monde veut etre defendu, reconnu comme victime averee ou potentielle. Nos societes sont attentistes. Entre liberalisme debride et corporatisme psycho-rigide, on se tate. La France ne se gouverne plus, elle s’assiste, s’observe et se complait a ruminer ses aigreurs d’une fin qui ne finit pas.
henrikardo ♦ 18.10.05 | 10h52 ♦ En France, en général on ne réagit qu’à la suite de catastrophes et on s’agenouille alors devant un "sauveur". Napoléon à la suite du chaos révolutionnaire et de Gaulle après le désastre de juin 40. Cette fois que va-t-il se passer et qui sera le prochain dieu ? Villepin avec un nouveau "changement dans la continuité" giscardien, miterrandien et chiraquien ou Sarkosy en pétard mouillé. Quant aux autres... ils en sont encore à lire les horaires du train dans lequel ils ne monteront pas.
YANN100 ♦ 18.10.05 | 00h15 ♦ Depuis des décennies la SNCM n’a pas été vraiment dirigée. L’Etat s’est contenté de combler les déficits creusés par les grèves à répétition et par l’entreprise devenue "la chose" des syndicats. On s’est arrêté juste au bord du gouffre. Je souhaite qu’un journaliste courageux, à défaut un jeune chercheur inconscient du risque pris, ose conduire une investigation sur les coûts, pour la France, de la main mise de certains syndicats qui, pour un oui pour un non, paralysent l’économie !!!
orbi ♦ 18.10.05 | 00h14 ♦ S’il faut annoncer les défaites syndicales à venir, on peut sans crainte parler de la défense du service public de l’EDF. Après le scandale de la SNCM, il sera trés difficile aux syndicats de populariser leur message, si on n’a pas apporté un début de solution à la question du scandaleux Comité d’Entreprise EDF. Vraiment un patient travail de reconquête du "service public" au service du public et non des syndicats doit être entrepris.
Michel C. ♦ 17.10.05 | 22h12 ♦ Dure réalité que celle que vous décrivez. On ressent une énorme contradiction, comme si les syndicats, CGT en tête, étaient les derniers restes d’une société où l’on pouvait encore parler de solidarité. Il existe ailleurs des récitations trotskistes(Force Ouvrière) qui font les délices comiques des comités d’entreprises des grands groupes. Enfin on peut chercher une voie d’opposition structurée à une autre récitation tout aussi insensée "le dieu du marché"; je vais présenter une motion au Mans.
Bacalan ♦ 17.10.05 | 21h27 ♦ Très bien de vouloir que les syndicats évoluent. Encore faudrait-il que ceux qui posent de bonnes questions, soient entendus, et qu’ils trouvent des interlocuteurs qui aient envie de négocier. Or, il s’agit de réunions, de petites phrases, mais rarement de négociations. Il y’a beaucoup d’efforts à faire partager mais pas beaucoup à donner en échange !
Roger D. ♦ 17.10.05 | 21h03 ♦ En France les syndicats imprégnés d’une lutte des classes d’un autre âge sont de plus en plus corporatistes, poujadistes, rétrogrades, et en fin de compte peu soucieux de l’intérêt général. Voilà pourquoi ce syndicalisme-là, qui est aux antipodes de celui des pays du nord, fonctionne mal et est peu susceptible d’attirer à lui de nouveaux adhérents. De plus l’autoritarisme régnant dans la société française ne favorise pas le dialogue Les décisions sont prises d’abord, on négocie après
Cyrille Z. ♦ 17.10.05 | 21h02 ♦ Je rebondis sur le mot d’Henrikardo: c’est même bien avant la libération qu’on trouve les germes de nos difficultés d’aujourd’hui. A vouloir faire perdurer un "combat syndical", une "lutte des classes" marxistes dans une société dans laquelle Marx ne se reconnaitrait pas, on favorise les divisions, les fractures, les rivalités, et on perd totalement de vue le bien commun en effet. Azebolu et jacklittl ont raison: nos syndicats DOIVENT se révolutionner, notre démocratie en a besoin.
MICHEL U. ♦ 17.10.05 | 20h35 ♦ La perte d’efficacité des luttes syndicales n’est peut-être qu’un signe supplémentaire de la montée inexorable et dangereuse de l’individualisme.L’adéquation entre un système économique et l’idéologie ambiante marque la fin des revendications collectives, mais la violence croissante inhérente au culte de soi finira par être manifeste. L’affaiblissement organisé des corps intermédiaires favorisera des explosions sociales .Il sera trop tard pour regretter des syndicats puissants.
JEAN PHILIPPE G. ♦ 17.10.05 | 20h27 ♦ Un nouvel éditorial clair, net et sobre. Comment vous encourager autrement? Quand cesserons-nous de poursuivre à vivre en "perdant-perdant". Merci.
Laurent G. ♦ 17.10.05 | 19h37 ♦ Les syndicats semblent il est vrai un peu vieillots, comme englués dans un corporatisme conservateur. Là où ils sont encore assez bien représentés "fonction publique" ils ne servent qu’à défendre certains acquis sans proposer d’idées nouvelles. Les syndicats ont perdu de leur superbe sans doute aussi avec la fin de la culture ouvrière.
clo.clo ♦ 17.10.05 | 19h28 ♦ Enfin, ce que j’écrivais de politiquement incorrecte il n’y a pas longtemps dans ces colonnes, est écris officiellement dans le monde !! Les défaites syndicales ne datent pas d’hier. Il y a longtemps que la société n’est plus en phase avec les drapeaux rouges et les "toujours les mêmes" 500 000 personnes qui défilent de la république à la bastille. La bataille des retraites perdue, les jours de greve non payés ont révélé cette lente agonie commencée dans les années 80 avec la chute du socialisme
Karl G. ♦ 17.10.05 | 19h09 ♦ La pire image du syndicalisme, ce n’est pas la CGT qui se bat jusqu’au bout à la SNCM, mais la division. Si l’action du 4 octobre s’achève en eau de boudin, c’est qu’au fond, l’unité ne s’était pas faite sur les revendications. Une nouvelle journée d’action, au-delà de la question de son utilité, aurait nécessité la précision du contenu revendicatif et de ce fait, comporté le risque de l’éclatement syndical. La spirale des défaites est bien née en mai 2003 avec la défection de la CFDT !
sixcylindres ♦ 17.10.05 | 19h06 ♦ Je suis entièrement d’acord avec azebolu. Les syndicats sont nécessaires, mais ils sont en effet resté en retard par rapport avec l’évolution des problèmes qu’ils devraient traiter. Leur très faible représentativité est cachée derriere leurs droits à l’écoute prioritaire excessifs. Je ne sais pas si le patronat (de toute façon toujours fautif) l’a voulu, mais je comprends que cela l’arrange. Quant aux formes d’innovation syndicale, les syndicats sont capables de s’y opposer
quentin ♦ 17.10.05 | 18h47 ♦ Les syndicats ne fonctionnent plus, merci la politique quasi thatchérienne de monsieur Raffarin. Sur l’exemple allemand, ils ont aussi plus de pouvoir qu’en France du fait de leur unité et de la cogestion. La culture du compromis allemande ne tient pas seulement à des syndicats plus modéré mais aussi à une plus grande puissance syndicale au sein des entreprises en échange d’une "obligation de paix sociale".
popol691 ♦ 17.10.05 | 18h34 ♦ Les syndicats officiels ne servent que les gouvernements et le patronat francais car le taux de syndicalisation des salariés du privé ne les autorise pas à parler au nom de ses derniers. Si les permanents de ces syndicats étaient uniquement par les cotisations des adhérents, les 3/4 seraient virés. On comprend pourquoi ils s’accrochent à ce qu’ils appellent "service public" car pour l’essentiel il mange dans la gamelle public comme les dirigants des partis politiques.Alors:"tous pourris"???oui
monrog ♦ 17.10.05 | 18h08 ♦ Tout cela sent l’automne d’un pays. Le corps social français en son entier est en crise. Maladie de la démocratie et maladie du syndicalisme ne font qu’un; ce sont deux théâtres d’ombre mais le drame est que sont les spectateurs que nous sommes qui tiront si mal les fils. si les hommes politiques sont si mauvais c’est que nous ne voulons pas qu’ils soient meilleurs. Autant pour le syndicalisme: nous lui demandons de maintenir en vie un système en coma dépassé.
cohelet ♦ 17.10.05 | 17h37 ♦ C’est aussi l’échec du dialogue social à la française: agitons beaucoup mais surtout ne changeons rien! Au lieu de proner l’immobilisme et la préservation des acquis de 36 ou 68, il serait urgent de s’attacher à des réformes de fond comme la "sécurité sociale professionnelle" et la "formation et l’activité tout au long de la vie professionnelle". Au fait: la perruque a été un sport syndical et ouvrier depuis longtemps.
Yannick M. ♦ 17.10.05 | 17h36 ♦ La crise du syndicalisme c’est sa représentativité hérité d’après guerre et qui n’est plus en phase avec la réalité. Comment faire croire que la CFTC et la CGC sont représentatifs avec des pouillèmes de pourcentage aux élections alors que l’union syndicale Solidaires vient d’être rejeté au conseil supérieur de la fonction publique par le gouvernement avec presque 9% aux élections. Celà irait mieux si déhà il y avait la reconnaissance du vote des salariés.
henrikardo ♦ 17.10.05 | 17h23 ♦ Rappelons-nous les images des grèves de 95 - qui moi m’avaient choqué !-: des braseros, comme en 1936, sur les bords des quais où stationnaient des TGVs... deux planètes différentes ! Un tel anachronisme est bien à l’image du blocage du pays: des comportements patronaux parfois dignes de Germinal et des dirigeants syndicaux qui viennent à peine d’abandonner la lecture du "Kapital" de Marx.
1941 ♦ 17.10.05 | 17h23 ♦ - la faiblesse numerique du syndicalisme français est une des causes de la surenchère de certains dont on a vu recemment le caractère archaïque l’attitutude gouvernementale - s’aveugler sur les problèmes et negocier le couteau sous la gorge plutôt que discuter préalablement - n’est pas de nature non plus à nourrir un dialogue social qui devrait - democratiquement - etre permanent et non osciller de crises en crises
MICHEL F. ♦ 17.10.05 | 17h07 ♦ Toujours la même hypocrisie. D’abord, la presse s’acharne à abaisser les syndicats et, ensuite, indique que les syndicats sont utiles à la démocratie, en particulier pour prévenir les réactions violentes. Bref, c’est toujours la même vision d’un syndicat accompagnateur des réformes gouvernementales et patronales, synonyme de syndicalisme moderne et responsable, comme la presse nous le répète si souvent.
azebolu ♦ 17.10.05 | 16h37 ♦ Ce qui arrive aux syndicats est normal. Ils en sont restés aux «luttes» nécessaires et justifiées de 1936. Depuis, les choses auraient mieux évoluées si ces messieurs avaient évolué. L’évolution passe peut-être par le système allemand des «compromis». L’évolution passe peut-être par l’instauration de syndicats «corporatifs». L’évolution passe en tout cas par la cessation du fait de couvrir systématiquement les travailleurs «syndiqués» même en cas de faute grave.
jean ♦ 17.10.05 | 16h31 ♦ Pauvre syndicalisme, corrompu au niveau de ses dirigeants, humilié au niveau de ses militants ! A force de servir "d’accompagnement" des décisions patronales, il n’est plus qu’un faire valoir des forces économico-financières qui gouvernent le pays. Avec ce système des organisations syndicales dites "représentatives", toute forme d’innovation syndicale est systématiquement combattue. C’est la sclérose totale du syndicalisme, et c’est le résultat voulu par le patronat. Tout le monde est content !
jacklittle ♦ 17.10.05 | 16h02 ♦ Les syndicats français,la C.G.T. en tout premier lieu,en sont restés aux grandes conquêtes sociales (droit de grève,congés payés,40 heures etc,etc,)leurs actions en ces domaines sont incontestables,quoiqu’en disent certaines personnes,mais il est également indéniable qu’ils n’ont pas su évoluer au fil des transformations profondes du monde économique et social.La meilleure preuve c’est qu’aujourd’hui ils ne sont plus représentatifs des salariés,alors que nous avons besoin de syndicats forts.
henrikardo ♦ 17.10.05 | 15h59 ♦ Mais...est-on encore en démocratie ? dans la Rome antique, c’était le bien commun qui était toujours mis en avant. De nos jours -en gros depuis la Libération- la société a apparemment entériné le fait que les intérets corporatistes puissent primer devant l’intéret général. L’Etat a accepté que ses serviteurs (agents,assimilés,élus,ministres... )se servent souvent avant les autres, passent devant les autres et s’insurgent quand on leur fait remarquer... quelle place alors pour le citoyen isolé ?
Flying-Lolo ♦ 17.10.05 | 15h56 ♦ Les syndicats doivent défendre une vision, mais aussi des principes - quitte à être qualifiés de "passeistes" par des gens qui condondent allégrement et très souvent modernité avec mieux-aller ...- être naturellement en phase avec les salariés, être cohérents dans leur ligne de conduite mais également "lisibles"...Hélas, de tout cela, nous en sommes loin... Ce qui somme toute n’est, en effet, bon pour personne...Il ne reste plus donc qu’à en tirer les conséquences...
prodomo ♦ 17.10.05 | 14h58 ♦ il serait utile se me semble de revoir cet article à l’aulne des révélations du Parisien de cd matin sur les sombres traffics ayant cours à la sncm. quelles responsabilités, quelles conséquences sur la situation actuelle et future de cette entreprise ? comment replacer dans cette perspective le jusqu’auboutisme de ce syndiact d’arrière garde ? que le débat s’ouvre enfin, pleinement et de manière éclairé que nous puissions enfin savoir qui a manipuler qui et pourquoi...
gérard B. ♦ 17.10.05 | 14h06 ♦ 1 million de personnes, c’est 1,5% de la population, 4% des actifs ou encore ... 40% des syndiqués (environ). Le taux de syndicalisation est dramatiquement faible, signe de très mauvaise santé de la démocratie sociale. En ce domaine, une analyse des situations des pays nordiques apporterait certainement d’utiles indications sur les remèdes à trouver et appliquer. Bientôt une enquête du"Monde" à ce sujet?


Le Monde / France
ISF, niches fiscales et fonctionnaires seront au coeur du débat

 L e débat au Parlement sur le projet de loi de finance (PLF) 2006 risque de se focaliser sur quelques sujets.

L'ISF. La grande réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) n'aura pas lieu cette année, au grand dam de certains parlementaires de la majorité. Après de nombreuses tergiversations, l'UMP et le gouvernement sont parvenus à un terrain d'entente.

Ce dernier "réfléchit" à exonérer d'ISF les salariés et les chefs d'entreprise qui détiennent des actions de leur entreprise, a confirmé dimanche le ministre de l'économie, Thierry Breton, lors du "Grand rendez-vous Europe 1-TV5".

"Si jamais vous détenez (...) au moins cinq ans des actions de l'entreprise dans laquelle vous travaillez ou dans laquelle vous avez travaillé, vous pourriez avoir une exonération (...) de l'ordre de 75%", a-t-il assuré.

Il s'agirait d'un amendement au projet de budget 2006, afin de "corriger" les "effets pervers, négatifs" de l'ISF "sur l'attractivité du territoire" français, et de créer des "noyaux stables" dans le capital des entreprises, selon M. Breton.

Le bouclier fiscal. A partir de 2006, nul contribuable ne pourra voir la somme de ses impôts directs (impôt sur le revenu, ISF et taxes locales) dépasser 60% de ses revenus. C'est le fameux "bouclier fiscal" . Si c'est le cas, l'Etat lui reversera le trop- plein perçu. Pour le moment, il est prévu que ce dernier puisse se faire ensuite rembourser une partie des sommes qu'il devra reverser au contribuable par les collectivités locales soit, selon les estimations de Bercy, environ 43 millions d'euros. Mais ce dispositif irrite profondément les élus locaux, dont ceux de l'UMP. A l'issue du débat, l'Etat pourrait faire un geste et décider de prendre à sa charge ces 43 millions d'euros.

Les niches fiscales. Corollaire à la mise en place d'un bouclier fiscal, le plafonnement de certains avantages fiscaux devrait faire l'objet d'un nombre important d'amendements.

Le PLF prévoit que ces "niches fiscales" ne pourront plus permettre de diminuer de plus de 8 000 euros, majorés de 750 euros par enfant à charge et 5 000 euros lorsque le foyer comprend une personne handicapée, le montant de l'impôt sur le revenu chaque année.

Les avantages fiscaux liés à une décision d'investissement ou ayant pour contrepartie une prestation sont concernés. Toutefois, les investissements réalisés dans les DOM-TOM échappent partiellement à la mesure. Certains parlementaires voudraient que d'autres placements, notamment ceux qui favorisent directement ou indirectement les créations d'emplois, comme les fonds communs de placement dans l'innovation, sortent aussi du cadre du plafonnement.

La réforme de l'Etat. Beaucoup de parlementaires de l'UMP s'inquiètent que le budget 2006 ne s'accompagne pas d'une réforme de l'Etat et d'un réel effort pour limiter la dépense publique. Ils regrettent par exemple que le nombre de fonctionnaires ne soit pas réduit de façon plus importante.

Dimanche, M. Breton a indiqué que la suppression de 5 600 postes de fonctionnaires dans le projet de budget 2006 n'était "pas un objectif" mais "le minimum" à atteindre. Il a aussi indiqué qu'allonger le temps de travail des fonctionnaires était "une piste" à considérer.

Joël Morio
Article paru dans l'édition du 18.10.05

En complément, un petit «dossier» concocté par le site Le Monde.fr sur ce sujet passionnant et si primordial pour les Français, l'ISF…


Le Monde / France
Analyse
Diabolique ISF !

 L' impôt sur la fortune (ISF) est une machiavélique bombe à retardement, habilement déposée par la mitterrandie. Exonérant les propriétaires de tableaux de grands maîtres, d'écuries de course, de jets ou de yachts"logés"dans des sociétés commerciales, les biens professionnels, l'ISF épargne les milliardaires pendant qu'il accable les millionnaires: mieux vaut posséder 27% de l'Oréal (15 milliards d'euros) que 2 ou 3 hectares de champs de patates sur l'île de Ré, devenus constructibles par la grâce d'une signature au bas d'un POS.

Mais, dans ISF, il y a"fortune", et dans l'imaginaire des Français, formatés par plus d'un siècle de démagogie, on ne saurait atténuer ou supprimer l'impact d'un impôt ainsi diaboliquement dénommé. Impossible pour la gauche de se renier. Quant à la droite, elle est tétanisée par les prochaines élections.

Si bien qu'aujourd'hui on peut s'attaquer ­ non sans succès ­ au carnage de la route, au cancer ou au sida, mais pas à un impôt qui ­ bientôt, année après année ­ frappera des dizaines de milliers de Français propriétaires de leur logement (s'ils sont parisiens) ou d'une maison de famille en résidence secondaire, par le seul fait de la flambée des prix de l'immobilier, qui ne rapporte absolument rien tant que l'on n'a pas revendu.

Si l'on continue ainsi, on va voir se multiplier les cas où l'addition"Impôt sur le revenu + ISF"excédera... le montant des revenus. En clair, il faudra chaque année vendre une partie de ses biens pour payer l'impôt sur ces biens. La boucle sera bouclée.

Claude Carpentier
Article paru dans l'édition du 24.03.05


Le Monde / Fiscalité
LE MONDE ARGENT
ISF: le caractère normal d'une rémunération précisé

 B eaucoup de chefs d'entreprise sont persuadés de bénéficier de l'exonération de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) sur les titres de leur société qui, pensent-ils, remplissent les conditions requises par la loi pour être qualifiés de "biens professionnels" et donc échapper à l'ISF.

Rappelons que le code général des impôts distingue trois conditions pour se voir gratifier d'une telle qualification: la nature de l'activité; le pourcentage de participation au capital de la société; la fonction et la rémunération du contribuable.

En ce qui concerne l'exercice des fonctions dirigeantes, il doit bien être réalisé et donner lieu à une rémunération normale. La jurisprudence a dû, au fil des ans, préciser la notion de normalité d'une rémunération qui, on s'en doute, revêt un caractère hautement subjectif. En l'état actuel des textes, une rémunération est dite "normale" lorsqu'elle est en rapport avec le travail effectué et qu'elle représente plus de la moitié des revenus professionnels du redevable.

Dans un arrêt du 15 novembre 2001, la cour d'appel de Paris avait suivi l'administration fiscale qui dénonçait le caractère insuffisant de la rémunération versée à un contribuable ayant successivement occupé les fonctions de président du conseil de surveillance puis de président-directeur général d'une société. Après que la cour de cassation a censuré cette décision le 21 janvier 2004, la Cour d'appel de Rouen a rétabli l'exonération contestée par le fisc.

Parmi les allégations contestées de l'administration, la cour d'appel retient que celle-ci a comparé la rémunération annuelle perçue par le contribuable à un montant global de rémunérations internes à l'entreprise, cumulant les salaires versés pour l'exercice de fonctions techniques et ceux rétribuant l'exercice du mandat social. Ainsi, l'administration n'a-t-elle pas tenu compte du fait que le directeur général, au titre de son seul mandat, percevait une rémunération bien inférieure à celle du redevable. Pour la cour d'appel, il convient donc de comparer ce qui est comparable. Et de ne faire porter la comparaison que sur la rémunération perçue en la seule qualité de dirigeant social.

JURISPRUDENCE

Cela étant, cette position, qui peut sembler équitable de prime abord, trouve aussi ses limites. Car il ne suffit pas que la rémunération soit normale. Il faut en outre qu'elle représente plus de la moitié des revenus professionnels du contribuable. Et ses revenus auront pour autre composante la rétribution de fonctions techniques.

L'intérêt que soulève cette jurisprudence est de mettre en exergue la complexité de l'application de la qualification de bien professionnel à des titres sociaux. Des schémas de plus en plus complexes sont mis en effet en place par les dirigeants d'entreprise pour bénéficier de l'exonération au titre des biens professionnels.

Mais l'administration veille et accroît ses contrôles, notamment sur le caractère normal d'une rémunération. Aujourd'hui, la plupart des redressements en matière d'ISF concernent les biens professionnels, le fisc ayant compris que c'était là qu'il pouvait opérer les redressements les plus importants.

Selon un professionnel averti de la place, près d'un dirigeant d'entreprise sur deux, qui se trouve à la tête d'un bien professionnel au sens économique du terme, ne remplit pas, sans le savoir, les conditions nécessaires pour que son entreprise soit un bien professionnel exonéré d'ISF au sens fiscal.

Philippe Bruneau
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / France
La polémique entre M. Sarkozy et M. Barella, de l'USM, prend un tour plus politique

 L e président de l'Union syndicale des magistrats (USM), Dominique Barella, a réitéré, samedi 15 octobre, sur Europe 1 les attaques contre le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, qu'il avait tenues la veille lors du congrès de son organisation (Le Monde du 16 et 17 octobre). Il avait suggéré au ministre de "faire cesser les viols commis par des policiers, les agressions sexuelles de policiers à l'égard de leurs collègues féminins, des claques à des mineurs de huit ans" .

L'inimitié entre M. Sarkozy et M. Barella est ancienne. Le 3 octobre, un rendez-vous en tête-à-tête entre le ministre de l'intérieur et le président de l'USM a été annulé au dernier moment. M. Sarkozy avait demandé à voir l'ensemble du bureau de l'organisation; M. Barella lui avait rétorqué qu'il ne pouvait pas choisir ainsi ses interlocuteurs.

Cette fois, cependant, la querelle prend un tour plus politique. Au ministère de l'intérieur, on souligne le caractère "politicien" de la démarche de Dominique Barella, en affirmant que celui-ci est candidat à la mairie de Saintes (Charente-Maritime), sous l'étiquette du Parti socialiste. Le président de l'USM dément formellement.

"LAMENTABLE"

Les déclarations de M. Barella ont aussi provoqué de nombreuses réactions parmi les syndicats de policiers. "C'est vraiment lamentable, s'emporte Bruno Beschizza, secrétaire général de Synergie-officiers. Il y a un décalage énorme entre ce que dit l'USM et les attentes de nos concitoyens. Barella s'est lancé dans un djihad personnel contre Nicolas Sarkozy et entraîne avec lui son organisation. Moi qui croyais qu'on devait tout faire pour travailler ensemble !"

Le secrétaire général du Syndicat des commissaires et des hauts fonctionnaires de la police nationale (SCHFPN), Jean-Marie Salanova, a également dénoncé les propos de M. Barella, qui se "complaît dans l'excès". "On attend de la justice qu'elle soit sereine, explique-t-il. Les Français veulent que tous les maillons de la chaîne travaillent de concert. Je ne souhaite pas, pour ma part, comptabiliser les manquements personnels des magistrats et des policiers. On aurait des surprises..."

Jean-René Lecerf, secrétaire national de l'UMP à la justice, et Gérard Léonard, secrétaire national à la sécurité, ont fait part dans un communiqué de leur "profonde indignation" suite aux propos "scandaleux" de M. Barella, qu'ils ont qualifiés de "nouveau dérapage" , histoire de transformer le président de l'USM en multirécidiviste.

Sans citer l'USM, le ministre de l'intérieur ne manque pas une occasion, depuis plusieurs mois, de lui envoyer des piques. Le 27 septembre, alors qu'il s'exprimait à Paris devant une assemblée de policiers et gendarmes, le ministre avait évoqué la nécessité d'équiper les voitures des brigades anticriminalité de caméras. "Ça vous protégera des professionnels de la polémique qui n'ont aucune idée du travail d es gendarmes et des policiers" , avait-il lancé. Applaudissements de l'assistance.

Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du 18.10.05


Le Monde / France
Les députés vont débattre d'un budget qu'ils jugent faussé

 L' ensemble des députés en convient: la fonction première du projet de loi de finances (PLF) pour 2006, dont la discussion débute mardi 18 octobre à l'Assemblée nationale, est de préparer... celui de l'année suivante. Reportant à plus tard l'essentiel des décisions majeures et ne rechignant pas aux astuces de présentation, il s'appuie sur des prévisions de croissance du produit intérieur brut (PIB) ­ 2,25% ­ que les mieux disposés qualifient de "volontaristes" . "Je croise les doigts pour que la croissance soit au rendez-vous" , a déclaré le rapporteur général du budget, Gilles Carrez (UMP, Val-de-Marne), dissimulant à grand-peine son scepticisme. "J'y crois" , a jugé nécessaire de préciser le ministre de l'économie, Thierry Breton. En écho, l'ancien ministre du budget, Alain Lambert, conseiller du président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, faisait remarquer qu'"un budget n'est bon que sincère".

Allégements d'impôts en trompe-l'oeil

Avant même que le projet de loi de finances (PLF) ne soit examiné, près de 3,9 milliards d'allégements d'impôts ont été adoptés pour 2006. La loi Sarkozy du 9 août 2004 pour le soutien à la consommation a dégrevé la taxe professionnelle pour les entreprises réalisant des investissements nouveaux entre juin 2004 et décembre 2005 (coût sur 2006: 1,3 milliard d'euros). La loi de finances initiale pour 2005 a aboli, en deux ans, la surtaxe de l'impôt sur les sociétés (550 millions d'euros). La loi Jacob du 2 août en faveur des petites et moyennes entreprises et la loi Breton du 26 juillet pour la modernisation de l'économie contiennent des mesures fiscales pour près de 100 millions d'euros. La loi du 13 août 2004 sur l'assurance-maladie a permis de déduire de la contribution sociale des sociétés les bénéfices imposables à l'IS.

Or les mesures fiscales contenues dans le PLF pour 2006 portent sur "seulement" 800 millions d'euros. "Il apparaît que les grandes données de l'équilibre du budget pour 2006 ont largement préexisté au débat budgétaire réel" , note le rapporteur général du budget à l'Assemblée, Gilles Carrez (UMP, Val-de-Marne).

"C'est le meilleur budget possible" , défend Hervé Mariton (UMP, Drôme), qui sera le porte-parole de son groupe durant la discussion. "Mais , ajoute-t-il, nous aurons besoin de créer d'autant plus d'air pour 2007 que ce sera une année électorale." Aussi la majorité ne cache-t-elle pas son souhait de dégager de nouvelles économies, dans la partie dépenses. "Ce budget, à la différence de celui de l'an dernier, ne maîtrise pas totalement les déficits , estime le président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie (UMP, Ille-et-Vilaine). La question est de savoir comment on peut faire pour être bien à 2,9% du PIB fin 2006 -c'est-à-dire dans les critères européens-, et non à 3,6%."

SÉVÈRES CRITIQUES DE L'UDF

Les critiques les plus sévères proviennent cependant de l'UDF. Son président, François Bayrou, tout en assurant que "toutes les options sont ouvertes" , laisse peu d'incertitude sur son vote défavorable à un budget qu'il juge "loin de la réalité" . Le porte-parole de son groupe sur les questions budgétaires, Charles de Courson, s'est livré en commission des finances à un exercice de dépeçage en règle. Le député de la Marne a jugé que "la limitation à 1,8% de la progression des dépenses de l'Etat n'est qu'une apparence" . Evoquant le transfert à l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) des allégements de cotisations patronales, il juge l'augmentation plus proche des 5%.

"Le recours aux recettes non fiscales , précise-t-il, atteint les sommets de l'artifice." Et M. de Courson de citer le dividende exceptionnel de 950 millions d'euros versé par les sociétés d'autoroutes ­ "qu'on privatise par ailleurs" ­, le prélèvement de 1 400 millions d'euros du fonds de garantie de l'accession sociale à la propriété ou encore la vente pour 350 millions d'euros d'éléments du patrimoine de Réseau ferré de France (RFF) dont le produit n'est pas affecté au service ferroviaire. "En d'autres termes , tranche-t-il, le gouvernement boucle son budget avec des recettes tout à fait exceptionnelles et non reconductibles."

Certaines de ces critiques trouvent un écho jusque dans les rangs de l'UMP. A tel point que la commission des finances a rejeté l'article 48 portant création d'une société de valorisation des biens immobiliers de RFF. "Cet article pose problème , relève Michel Bouvard (UMP, Savoie). La commission des finances n'a pas à être complice de ce montage."

L'ancien rapporteur du budget, Didier Migaud (PS, Isère), parle, lui, de "tricherie organisée" . Pascal Terrasse (PS, Ardèche) ajoute que "ce projet de budget, présenté par ses auteurs comme vertueux, ne mérite guère ce qualificatif" . Il s'étonne des "tuyauteries supplémentaires des plus contestables" introduites par le gouvernement.

Le PLF devrait pourtant, en définitive, subir peu de modifications. L'UMP a fait une croix sur les possibilités de l'amender de manière significative. La deuxième partie du projet de loi de finances sera néanmoins l'occasion d'engager le débat sur certaines des mesures phares que le premier ministre, Dominique de Villepin, a annoncées pour 2007: refonte du barème de l'impôt sur le revenu, qui devrait coûter 3,5 milliards d'euros au budget de l'Etat, réforme de la taxe professionnelle, avec l'instauration d'un plafonnement des cotisations à 3,5% de la valeur ajoutée (1 milliard d'euros), amélioration du régime de la prime pour l'emploi (500 millions). "De ce fait , note M. Carrez, les recettes de l'année 2007 sont déjà préemptées dès aujourd'hui à hauteur de 5 milliards d'euros."

FAIBLES MARGES DE MANŒUVRE

Si chacun s'accorde à reconnaître que les marges de manoeuvre sont réduites, les députés posent cependant le besoin de clarifier le financement des allégements de cotisations sociales patronales, correspondant en 2006 à 18,9 milliards d'euros de charges transférées. "Pure folie" , estime M. de Courson. Pour M. Bouvard, il importe de "mener à bien le nécessaire travail d'évaluation sur l'efficacité des allégements de charges" . Plusieurs députés de l'UMP, emmenés par M. Méhaignerie, entendent déposer un amendement, sans espoir de le voir aboutir, proposant de convertir les 2 milliards supplémentaires d'allégements de cotisations patronales en hausses de salaire. A plus long terme, ils souhaitent engager un débat sur la "barémisation" de ces allégements, s'opposant en cela à l'aile la plus libérale de l'UMP, qui plaide pour la suppression pure et simple des cotisations sociales sur les bas salaires.

De même la mensualisation de la prime pour l'emploi suscite-t-elle de nombreuses réflexions. "Le danger est grand , souligne M. Carrez, de substituer à une nécessaire revalorisation des salaires un complément de rémunération versé par l'Etat."

Patrick Roger
Article paru dans l'édition du 18.10.05


Le Monde / France
Au Parti socialiste, "social-bobocratie" contre "social-chauvinisme"

 T els des généraux préparant la bataille, Laurent Fabius et François Hollande ont passé en revue leurs troupes avant de s'affronter face-à-face, pour la première fois, mardi 18 octobre à la Mutualité, devant les militants parisiens. Chacun, dans un style très différent, a sonné la mobilisation vendredi 14 et samedi 15 octobre, à trois semaines du vote des militants prévu avant le congrès du PS au Mans du 18 au 20 novembre.

François Hollande: "Etre candidat, ça se mérite"

Lors de la réunion de la majorité du PS, samedi 15 octobre, à Paris, un militant s'est ému des "déclarations successives de candidatures" dans son propre camp. "Ça ne se fait pas , a-t-il souligné, ou alors cela veut dire que le parti, c'est uniquement une aventure personnelle." A la sortie, M. Hollande a affirmé que sa majorité allait mettre au point une "procédure" , une "coordination" pour désigner un candidat, et un seul. " Etre candidat, ça se mérite" , a-t-il ajouté.

La multiplication des déclarations, officielles et officieuses ­ Dominique Strauss-Kahn, Jack Lang, Ségolène Royal, François Hollande lui-même ­ est devenu l'un des arguments de campagne de la concurrence. Dans un entretien au Journal du dimanche , Arnaud Montebourg estime que l'horizon du parti "s'assombrit" . "Trois ans après 2002, le PS n'a toujours pas de projet mais huit candidats déclarés" , dénonce le député de Saône-et-Loire. Lundi 17 octobre, sur RTL, M. Hollande a répondu: "Je préfère avoir trop de candidats qui acceptent une procédure qu'un seul qui ne l'accepterait pas."

Laurent Fabius avait choisi, vendredi, la formule d'un meeting classique, gymnase Japy, dans le 11e arrondissement de Paris, qui a réuni quelque 600 supporters. Ambiance surchauffée, scène orange avec le poing et la rose, et un slogan: "rassembler à gauche".

Samedi matin, François Hollande a préféré une salle de spectacle, le Bataclan, pour réunir 300 correspondants régionaux et des responsables nationaux du parti, parmi lesquels Dominique Strauss-Kahn, Jack Lang, et Bertrand Delanoë. Tribune sobre sur fond noir, aucune affiche, échanges avec la salle: le genre réunion de travail a été privilégié. Un document de 30 pages est distribué. Il donne des "argumentaires" et compare les motions soumises au vote des militants.

Laurent Fabius, qui s'est fixé "un objectif tout simple, gagner le congrès" , a laissé à son allié Jean-Luc Mélenchon le soin de porter les coups. Le sénateur de l'Essonne a dénoncé "le style littéraire Constitution européenne" de la motion Hollande et son programme: "Je lis: "la priorité est de porter à 60% le niveau Bac +3", alors que nous ne sommes même pas arrivés à 65% pour le bac tout court. La social-bobocratie devrait penser à tous les enfants du peuple, pas seulement aux siens." M. Fabius, lui, a insisté sur la nécessité d'un congrès "utile: Il n'existera pas d'autre occasion. C'est cette fois-ci ou jamais que les militants diront ce qu'ils pensent des retraites, des loyers, des services publics." "Soyez sereins, tranquilles, convaincants !" , a-t-il lancé à ses partisans.

TOUT SAUF FABIUS

"On peut être sereins" , a estimé comme en écho le lendemain matin, Daniel Vaillant à l'ouverture de la réunion de la majorité. La direction du PS ne doute pas de sa victoire, mais voudrait creuser l'écart. "Nous ne devons pas gagner à 52% mais à 62%" , a prévenu le député européen Robert Navarro, responsable de la fédération de l'Hérault, en exhortant l'assistance à "retrouver de l'enthousiasme sur le terrain".

L'idée de M. Vaillant d'envoyer aux militants un "second texte" , après la motion, "pour donner le sens du congrès" a été retenue. "Nous n'avons pas le droit de rater ce congrès pour la gauche et pour le pays , a approuvé François Hollande, en liant cette étape à celle des élections de 2007. Si nous ratons cette marche, alors le reste de l'escalier sera difficile à gravir."

Dans une ambiance très "Tout sauf Fabius", Dominique Strauss-Kahn s'en est pris à la proposition de l'ancien premier ministre de porter progressivement le Smic à 1 500 euros, "bien modeste et qui sera atteinte presque automatiquement" . Les plaies du référendum sont promptes à se rouvrir. Sans prononcer directement le nom de Laurent Fabius, Jack Lang a vivement dénoncé son "social-chauvinisme", qui constitue, a-t-il affirmé , "un danger mortel". Pour l'ancien ministre, "un responsable socialiste qui tourne le dos à l'internationalisme n'est plus à mes yeux un homme de gauche".

"Je vous demande de ne jamais accepter d'être désignés par la formule vexatoire de socialisme d'accompagnement", a souligné François Rebsamen, secrétaire national chargé des fédérations, qui a insisté, à l'unisson de la salle, sur le "respect" et la "discipline" de parti. "Ils nous ont pourris la vie pendant six mois" , a lâché M. Rebsamen en désignant les partisans du non.

Plusieurs intervenants ont fait part de leur agacement face à la multiplication des candidatures pour la présidentielle de 2007. François Hollande s'est voulu rassurant: "Les conditions de la victoire sont réunies, a-t-il déclaré. Les Français ont envie de changement d'autant plus qu'ils se sont trompés en 2002."

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 18.10.05


Le Monde / Europe
Entretien avec le professeur Didier Houssin, délégué interministériel chargé de la lutte contre cette maladie.
"Une pandémie de grippe aviaire émergera un jour ou l'autre"

L’efficacité du Tamiflu suscite des doutes et pousse certains pays à constituer des stocks d’un autre antiviral, le Relenza.  | REUTERS/ROBERT PRATTA
REUTERS/ROBERT PRATTA
L'efficacité du Tamiflu suscite des doutes et pousse certains pays à constituer des stocks d'un autre antiviral, le Relenza.

 Q ue pensez-vous de l'article paru sur le site de la revue Nature, vendredi 14 octobre, qui indique que le virus H5N1 peut devenir résistant au Tamiflu chez les personnes traitées avec ce médicament antiviral, dont la France a constitué un stock de 17 millions de traitements ?
Cette publication intéressante ne concerne qu'un cas, mais vient confirmer des éléments parus dans The New England Journal of Medicine . Cette observation conforte l'idée selon laquelle la préparation à la lutte contre la pandémie impose de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. C'est pourquoi la France est actuellement en pourparlers avec la multinationale GlaxoSmithKline afin de constituer un stock de Relenza, l'autre antiviral ayant démontré une efficacité contre les virus de la grippe. Nous pourrions ainsi améliorer notre stratégie thérapeutique en cas d'émergence de résistances au Tamiflu.
Nous avons constitué un premier stock important de cet antiviral et nous préparons un deuxième stock sans avoir de véritables certitudes, qu'il s'agisse de l'efficacité de ces médicaments contre un nouveau virus ou de l'importance des phénomènes de résistance à venir.
Nous savons en revanche que si l'on fait aujourd'hui un usage immodéré du Tamiflu, on complique beaucoup les choses. Ce médicament doit être réservé à des malades chez lesquels, pour des raisons médicales, il est important de maîtriser rapidement une infection grippale. Ce serait une erreur majeure que d'user très largement du Tamiflu à titre prophylactique.

Quelle est votre analyse de l'évolution de l'épizootie et, notamment, de la découverte de foyers de H5N1 chez des oiseaux en Turquie et en Roumanie ?
Nous devons impérativement nous intéresser au possible rôle des oiseaux migrateurs dans la propagation de certaines épidémies animales. Ce qui se passe en Turquie et en Roumanie renforce beaucoup l'hypothèse, défendue par l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), mais parfois contestée, du rôle des migrateurs dans la diffusion du H5N1. Cela nous permet aussi d'anticiper sur les événements ultérieurs.

A quoi pensez-vous ?
Ce qui est connu des voies de migration des oiseaux à partir de la Sibérie occidentale ouvre deux possibilités. La première est un accès direct vers l'Europe de l'Ouest. L'on peut s'attendre à des contacts entre oiseaux infectés et oiseaux sains dans les zones humides d'Europe occidentale, mais, au vu du nombre d'oiseaux migrants, ce scénario est toutefois jugé assez peu probable.
La seconde possibilité est en revanche beaucoup plus probable. Elle concerne la voie Méditerranée-mer Noire, qui est plus directement en connexion avec la Sibérie occidentale. Cet axe laisse redouter l'émergence de foyers au Moyen-Orient puis en Afrique. Il s'agit là d'une menace très sérieuse. On peut imaginer l'installation endémique du virus en Afrique, comme c'est le cas dans plusieurs pays d'Asie. Nous serions alors confrontés à de très grandes difficultés de contrôle de l'épizootie, puis, dans quelques mois, à la menace d'une remontée d'oiseaux migrateurs potentiellement infectés de l'Afrique vers l'Europe occidentale.
Cela impose de réfléchir rapidement à la manière dont nous pourrions aider les pays africains concernés à lutter en urgence contre les premiers foyers d'épizootie. Pour les semaines à venir, l'enjeu est clair: il concerne la capacité de la communauté internationale à se mobiliser contre l'épizootie et à répondre à l'appel lancé sur ce thème par la FAO et l'Office international des épizooties.

La situation actuelle impose-t-elle de prendre de nouvelles mesures en France ?
Nous allons devoir renforcer la surveillance des oiseaux migrateurs et de leur environnement proche dans les zones humides. Il faudra de ce fait informer les chasseurs et mobiliser les ornithologues. En cas de découvertes d'oiseaux malades ou morts, l'alerte devra être lancée au plus vite, de manière à faire des analyses biologiques spécialisées. Nous n'envisageons pas de réduire ou de limiter la pratique de la chasse, mais les chasseurs doivent prendre des précautions dans la manipulation d'oiseaux retrouvés morts ou manifestement malades.

Partagez-vous l'opinion de Liam Donaldson, votre homologue britannique, qui, dans un entretien à la BBC, le 16 octobre, a déclaré que l'émergence d'une pandémie grippale était inéluctable ?
Je partage cette analyse. Une telle pandémie émergera un jour où l'autre. Mais faire une telle prévision n'expose pas à un grand risque dès lors que l'on se situe à l'échelle de l'espèce humaine. Il en va différemment si l'on s'intéresse à une échelle de temps plus réduite. Parler pour le siècle à venir est une chose; évoquer l'année prochaine en est une autre. Nous devons malgré tout nous préparer comme si la pandémie était pour demain.
La préparation de la lutte contre la grippe aviaire a longtemps été un exercice théorique. Désormais, c'est une entreprise très concrète, même s'il n'est pas facile d'agiter une menace importante sans générer de l'anxiété.

Propos recueillis par Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 18.10.05


Le Monde / Europe
L'efficacité du Tamiflu, médicament recommandé par l'OMS, n'est pas démontrée

Un expert prépare un désinfectant contre la grippe aviaire dans une rue de Kiziksa, en Turquie.  | REUTERS/FATIH SARIBAS
REUTERS/FATIH SARIBAS
Un expert prépare un désinfectant contre la grippe aviaire dans une rue de Kiziksa, en Turquie.

 C' est la première fois, dans l'histoire de la pharmacologie et de la lutte contre les maladies infectieuses, que des pays constituent des stocks nationaux d'un médicament qui n'a pas véritablement démontré son efficacité contre une maladie virale contagieuse à venir; et une maladie dont on ne connaît pas encore précisément à quel agent pathogène elle pourrait être due.

Ce médicament est le Tamiflu, un antiviral de la multinationale suisse Roche, devenu célèbre, ces dernières semaines, au motif qu'il pourrait constituer une parade médicamenteuse efficace, à titre curatif ou préventif. Cette menace a fait que le Tamiflu, molécule initialement connue des virologues sous le nom d'oseltamivir, est depuis plus d'un an un "blockbuster" (un grand succès commercial) médicamenteux sans précédent.

Peut-on raisonnablement parier sur les vertus du Tamiflu ? Les fabricants de vaccins sont-ils en mesure de répondre au plus vite à la menace de cette catastrophe que constituerait l'émergence d'une nouvelle pandémie grippale ? Parce qu'ils sont désormais placés sous le feu de l'actualité épidémiologique internationale, les laboratoires pharmaceutiques et les producteurs de vaccins sont confrontés à des questions de santé publique d'ampleur planétaire.

Depuis des mois, ces questions à fort pouvoir anxiogène ont mobilisé les responsables sanitaires nationaux et internationaux. Mais elles commencent de plus en plus largement à entrer dans le domaine public. Outre l'intensification de la fabrication industrielle de masques individuels de protection ­ la France disposera bientôt d'un stock de 200 millions de ces masques ­, la lutte contre une prochaine pandémie repose sur deux axes essentiels: les médicaments antiviraux comme le Tamiflu d'abord, les vaccins ensuite.

Comment comprendre ? Pour ce qui concerne le Tamiflu, de nombreuses questions n'ont toujours pas trouvé de véritables réponses. A commencer par celle concernant les raisons qui ont conduit l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à recommander à ses Etats membres la constitution en urgence de stocks nationaux de ce produit. Mais la situation vient de se modifier radicalement avec la publication dans la revue scientifique britannique Nature d'une étude montrant que le virus H5N1, responsable de l'actuelle épizootie, pouvait devenir résistant à cette molécule (Le Monde daté 16-17 octobre).

RÉSISTANCE DU VIRUS

Cette observation faite chez une adolescente vietnamienne ayant été infectée par le virus H5N1 est d'autant plus inquiétante que cette jeune fille semble impliquée dans le premier cas documenté de transmission interhumaine de ce virus. Un scénario qui pourrait préfigurer l'émergence d'une pandémie tant redoutée des autorités sanitaires. Demain, comment lutter contre elle ?

Découvert par la société californienne Gilead Sciences mais produit par la multinationale pharmaceutique suisse Roche, le Tamiflu n'est pas la seule parade médicamenteuse contre les infections grippales. Dans la même famille ­ celle des "inhibiteurs de la neuraminidase" ­ un autre traitement existe, le Relenza ou zanamivir, développé par une société australienne et commercialisé par la multinationale GlaxoSmithKline.

Au vu de ce premier cas de résistance, des experts estiment qu'il conviendrait de compléter les stocks nationaux de Tamiflu avec des stocks équivalents de Relenza. A dire vrai, l'émergence de phénomènes de résistance du virus H5N1 aux médicaments était redoutée des spécialistes. Interrogé sur ce qu'il pensait de la multiplication de stocks nationaux de Tamiflu (Le Monde du 7 septembre), le professeur Alain Goudeau, chef du service de bactériologie-virologie du CHU de Tours, mettait en garde contre l'illusion sécuritaire inhérente à la constitution, très coûteuse, de tels stocks.

Pour leur part, les responsables sanitaires français se sont régulièrement félicités, ces derniers mois, d'avoir constitué un stock approchant les 17 millions de traitements. Aucune précision n'a été donnée quant au coût de cette mesure. Il y a peu, une série d'autres analyses publiées dans la presse scientifique internationale a démontré avec quelle rapidité les virus de la grippe pouvaient trouver les solutions génétiques leur permettant de résister de manière durable et croissante aux rares antiviraux disponibles.

C'est dans ce contexte que Roche doit faire face à une offensive menée par des pays qui souhaitent produire cet antiviral sous une forme générique. Confrontée à une situation de crise hors normes, la multinationale suisse vient de faire un don de 20 000 traitements de Tamiflu à la Turquie pour protéger les ouvriers travaillant dans des élevages de poulets. Deux millions de doses ont également été mises à disposition de l'OMS.

Pour ce qui concerne les vaccins, l'ensemble des multinationales concernées ­ au premier rang desquelles Sanofi-Pasteur MSD, GlaxoSmithKline (GSK) et Chiron ­ ne produisent annuellement pas plus de 400 millions de doses de vaccin conte la grippe "saisonnière". Le groupe Sanofi-Pasteur MSD en produit 160 millions, GSK et Chiron assurant le reste.

Dans l'hypothèse de l'émergence d'une pandémie grippale résultant d'une "humanisation" du virus H5N1, aucun vaccin ne serait disponible à court terme. Pour autant Sanofi-Pasteur MSD a, le 15 septembre, conclu un contrat de cent millions de dollars (83 millions d'euros environ) avec le gouvernement américain pour la production d'un vaccin expérimental contre l'actuelle souche H5N1 qui infecte les volailles. Un vaccin dont rien n'indique qu'il pourrait être d'une quelconque efficacité pour l'espèce humaine. La France a pris une initiative de même nature, à hauteur de deux millions de doses vaccinales, sans jamais fournir les éléments rationnels et financiers d'un tel choix.

Yves Mamou et Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 18.10.05


Le Monde / Europe
L'alerte de deux médecins hospitaliers aux responsables politiques

 C omment parler au mieux et au plus grand nombre de cette nouvelle menace que constitue le risque d'émergence d'une pandémie due à un virus mutant de la grippe ? Deux hospitalo-universitaires parisiens, l'un spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, l'autre de pneumologie et de réanimation, viennent de relever le défi. Ils offrent un ouvrage ambitieux qui ne cache pas avoir été rédigé dans la fièvre de l'urgence et dont la publicité alarmiste n'est nullement en phase avec la volonté affichée des deux auteurs de lancer "un message de confiance et d'espoir".

Rappelant ce que furent les pandémies dans l'histoire de l'humanité, les professeurs François Bricaire et Jean-Philippe Derenne ne craignent pas, au fil des pages, de se transformer en virologues, en ornithologues et même en vétérinaires.

Mais l'essentiel de leur propos n'est pas dans la vulgarisation des données scientifiques nécessaires à la compréhension de la situation créée par l'apparition de la souche virale H5N1. Il réside dans la très vive alerte lancée aux responsables politiques et dans la volonté de voir s'ouvrir, sur le thème de la prévention et de la sécurité, un véritable débat de citoyens.

Mais les responsables gouvernementaux français ont réagi avant même la sortie de l'ouvrage. A la demande de Jacques Chirac, Dominique de Villepin a, en août, mobilisé les ministères et les administrations concernés. La France a augmenté notablement son stock d'un médicament censé être efficace, constitué une réserve de 200 millions de masques individuels et a déjà réservé des millions de doses d'un vaccin qui, dans l'avenir, pourrait protéger contre l'infection.

Tout en se félicitant de ces initiatives, les deux auteurs estiment que la France doit aller bien plus loin dans l'effort et continuer à augmenter ses stocks tout en manifestant ­ quadrature du cercle ­ sa solidarité avec les pays les plus démunis. Ils exposent aussi la nécessité qu'il y a, dès aujourd'hui, à anticiper en examinant collectivement la somme des conséquences d'une pandémie sur d'innombrables aspects de la vie en collectivité. C'est ici qu'ils font oeuvre utile.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 18.10.05


Le Monde / Europe
Les chasseurs sont appelés à la vigilance
BORDEAUX de notre correspondante

 S amedi 15 et dimanche 16 octobre, les chasseurs de gibiers d'eau ­ canards sauvages, sarcelles d'hiver, colverts et autres souchets ­ étaient postés dans leurs tonnes (sortes de huttes), un peu partout en Gironde. Comme tout le monde, ils ont entendu parler de la grippe aviaire. "Au début, on pensait même que c'était un coup des anti-chasse pour nous faire fermer la chasse , lâche Didier Blanchet, un mordu de la chasse à la palombe, au canard, au renard et au lièvre. Avec le recul, on commence à prendre conscience des enjeux, on prend l'affaire au sérieux et on va se mettre d'équerre en informant au maximum les copains."

Dans les campagnes girondines, l'information sur l'impact de cette éventuelle épizootie sur la faune sauvage a du mal à passer. La fédération départementale des chasseurs, la plus importante de France par le nombre d'adhérents (55 000), a bien envoyé une lettre sur le sujet, le 8 septembre, aux présidents de sociétés de chasse et d'associations communales de chasse agréées. "La grippe aviaire semble encore éloignée géographiquement de la France, mais il convient d'être vigilant" , écrivait alors Henri Sabarot, le président de la fédération girondine.

Sa lettre était accompagnée d'un communiqué de la Fédération nationale des chasseurs et d'un courrier du préfet de Gironde, ainsi que d'une note d'informations conjointe des ministères de l'écologie et de l'agriculture. Ce dernier document détaillait les "précautions générales pour éviter les contacts entre animaux" et celles à prendre concernant les "appelants", ces canards sédentarisés servant d'appât aux migrateurs sauvages.

Si un chasseur girondin trouve un animal suspect, malade ou mort, il doit le signaler, voire l'apporter, à la fédération, qui devra transmettre l'information au réseau Sagir. Créé en 1986 par l'Office national de la chasse (ONC), ce réseau constitue le système de surveillance sanitaire de la faune sauvage nationale. Son objectif premier est la mise en évidence des principales causes de mortalité de la faune.

"Nous avons accentué la surveillance des espèces sensibles susceptibles de venir de l'Est , indique Pascal Pouzenc, directeur départemental de l'ONC. Mais nous ne faisons pas encore de contrôles de tonnes, car nous sommes trop occupés par le braconnage, qui se développe en raison de l'arrivée des petits migrateurs."

Désormais, tous les agents de l'Office effectuent prélèvements et baguages d'oiseaux sauvages avec des gants et des masques. "Le risque de contagion de la faune sauvage aux animaux domestiques est minime, mais il existe, assure M. Pouzenc. Aux chasseurs de faire attention et d'appliquer les consignes sans céder à l'affolement. Car ce n'est pas en interdisant la chasse que les risques de contagion vont disparaître."

Claudia Courtois
Article paru dans l'édition du 18.10.05


Le Monde / Entreprises
A Deauville, 400 femmes d'influence se découvrent des points communs
DEAUVILLE (Calvados) de notre envoyé spécial

 "C e fut un grand moment de bonheur." Un homme aurait parlé de "grande réussite" . Aude de Thuin, fondatrice du Women's Forum (Forum des femmes), qui s'est tenu, pour sa première édition, à Deauville, du jeudi 13 au samedi 15 octobre, utilise des mots de femmes. Comme la Sud-Africaine Wendy Luhabe, qui a qualifié d'" intelligence émotionnelle" l'apport des femmes.

"Bonheur" ? En tout cas, les 550 participants (dont 25% d'hommes), venus de 41 pays, étaient très contents. D'abord parce que ce fut l'occasion de mesurer la misogynie de la France économique. Les femmes gagnent 30% de moins que les hommes aux mêmes postes. Les conseils d'administration ne comptent que 6% de femmes en France, contre 8% en Italie, 16% aux Etats-Unis et 34% en Norvège. "Même sur ce chapitre, le modèle français a échoué" , commente Anne Meaux, la patronne de la société de communication Image 7. Et de ne pas lâcher les PDG hommes qui étaient présents avant qu'ils ne prennent "des engagements concrets" , ce qu'ont fait notamment Philippe Wahl (Havas), Denis Olivennes (Fnac) et Didier Quillot (Orange France).

Mais le Forum ne veut pas être une CGT pour cadres supérieurs. Le but est beaucoup plus large. "La moitié des diplômés sont des femmes, c'est devenu un phénomène de société, les entreprises doivent s'y adapter" , soulignait Patricia Barbizet (Artémis).

Et, comme ces femmes "veulent tout" , c'est-à-dire réussir leur vie professionnelle sans louper leur vie privée, elles développent des qualités particulières, absentes chez les hommes et utiles aux entreprises. L'intelligence émotionnelle résume cette faculté de ne rien ignorer de ce qui est nécessaire dans le métier, mais d'avoir les pieds dans la vie réelle, avec un goût assumé du raisonnement intuitif. Mme Barbizet nuance en parlant d'affaire de génération plus que de sexe. Mais l'idée reste bien celle-là: les femmes "s'y prennent différemment" .

Or ce "différent" leur est commun. Peu importe le pays d'origine. Là sont la découverte des participantes et l'origine du "bonheur" éprouvé. Leurs soucis, leurs mots, leur idéalisme sont les mêmes en Chine ou aux Etats-Unis. Il faut s'appuyer dessus pour "faire le lien" avec les femmes du tiers-monde, rêve Mme de Thuin.

Humiliation, esclavage, violences quotidiennes, Taslima Nasreen est venue rappeler, dans un discours poignant, la situation des femmes dans son pays, le Bangladesh. La distance est grande entre les préoccupations des executive women du Nord et la misère des pauvres du Sud. Mais quand les hommes perdent la foi, 400 femmes affirment qu'elles croient encore à l'humanisme.

Elles le diront sans doute à nouveau lors du prochain forum, prévu pour octobre 2006.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 18.10.05

Votre avis
Pour parvenir à l'égalité salariale hommes-femmes, le projet de loi du gouvernement prévoit des négociations dans les entreprises et une taxe en cas de résultats insuffisants. Est-ce... ... un dispositif adapté, qui tient compte des spécificités de chaque secteur et entreprise

... ou pas adapté: il n’est pas assez contraignant pour faire évoluer la situation

Sans opinion




Le Monde / Europe
Grippe aviaire: réunion d'urgence des 25 à Luxembourg

 U ne réunion qui à l'origine devait être largement consacrée aux négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a été transformé en réunion d'urgence, suite à l'annonce d'un cas de grippe aviaire dans une petite exploitation d'une vingtaine de dindes située sur l'îlot d'Inousses, au large de l'le de Chios sur la mer Egée. Il s'agit de la première réunion au niveau politique concernant  la grippe aviaire, depuis l'arrivée en Turquie et en Roumanie du virus H5N1.

"NOUS DEVONS ÊTRE PRÉPARÉS"

L'Europe est prise entre la nécessité d'effectuer des tests pour vérifier la présence de foyers de grippe aviaire et la volonté de rassurer une population de plus en plus inquiète face à un virus qui pourrait muter et finir par se transmettre entre humains et provoquer une pandémie. Javier Solana, haut représentant de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité commune, a estimé qu'il ne voyait aucune raison de "céder à la panique"

Je vais devoir insister sur la nécessité d'une coopération internationale", a déclaré, pout sa part, le commissaire européen à la Santé et à la Protection des concommateurs, Markos Kyprianou."Nous avons déjà pris toutes les mesures nécessaires", a-t'il affirmé à son arrivée à la réunion de Luxembourg. Le commissaire n'a cependant donné aucune information supplémentaire sur la situation en Grèce.

Le ministre des affaires étrangères britannique, Jack Straw, a, de son côté, estimé mardi que l'UE devait assurer " qu'il y a les plans d'urgence les plus adéquats en Europe pour faire face à toute transmission du virus aviaire aux êtres humains" en insistant sur le fait que le principal objectif de la réunion de Luxembourg serait de rassurer l'opinion publique européenne.

Alors que le commissaire européen à la Santé n'a donné aucune information supplémentaire l'Union européenne s'est déjà dit prête lundi à interdire les mouvements de volailles de la région grecque touchée, mais attend ce mardi des résultats d'analyses pour passer à l'acte.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 18.10.05 | 12h40


Le Monde / Europe
Réunion d'urgence des 25 après un cas suspect de grippe aviaire en Grèce

Philippe Douste-Blazy, arrive une réunion extraordinaire des 25 ministres des affaires des étrangères à propos de la grippe aviaire, le 18 octobre. | AFP/GERARD CERLES
AFP/GERARD CERLES
Philippe Douste-Blazy, arrive une réunion extraordinaire des 25 ministres des affaires des étrangères à propos de la grippe aviaire, le 18 octobre.

 L es ministres des affaires étrangères de l'Union européenne doivent se réunir en urgence mardi, tandis que la Grèce poursuivait ses tests sur un dindon touché par la grippe aviaire, pour établir si l'animal était infecté par la forme mortelle H5N1 du virus déjà rencontrée en Turquie et en Roumanie.

Le dindon analysé vient d'une petite exploitation d'une vingtaine de dindes située sur l'îlot d'Inousses, au large de l'île de Chio, a précisé le ministère de l'agriculture grec. Sur neuf échantillons de volailles, un a été testé positif aux anticorps H5 de la grippe aviaire, et de nouveaux tests sont menés pour "vérifier l'exactitude de l'analyse".

La Commission européenne a annoncé qu'elle se préparait à interdire le transfert des volailles vivantes et des produits aviaires hors de la zone de Chio. De son côté, le préfet de l'île, Polidoras Lambrinoudis, a indiqué qu'aucune volaille et aucun œuf n'étaient autorisés à quitter l'île. Si la présence de la souche H5N1 est confirmée, ce serait le premier cas de ce type dans l'Union européenne.

"LE RISQUE POUR LA SANTÉ HUMAINE EST MINIME"

L'Europe est prise entre la nécessité d'effectuer des tests pour vérifier la présence de foyers de grippe aviaire et la volonté de rassurer une population de plus en plus inquiète face à un virus qui pourrait muter et finir par se transmettre entre humains. Les ministres des affaires étrangères de l'UE ont convoqué pour mardi une réunion d'urgence afin de discuter de l'attitude à adopter face à la menace potentielle que représente le virus.

Si l'UE appelle les Etats membres à pratiquer des tests sur les oiseaux morts, le Centre de l'Union européenne pour les maladies transmissibles a tenté de minimiser la menace pour la population."Le risque pour la santé humaine, pour la santé publique, est minime", a estimé Zsuzanna Jakab, directrice de ce centre lors d'une conférence de presse.

De nouveaux cas suspects ont été décelés en Roumanie. Après l'abattage massif de volailles lundi dans la région du delta du Danube, une zone étape pour les oiseaux migrateurs, douze cygnes retrouvés morts la semaine dernière sont en train d'être examinés.

Malgré les propos rassurants des autorités roumaines, la Bulgarie voisine préparait lundi une cellule de crise nationale après avoir renforcé les contrôles aux frontières et la surveillance d'élevages et de marécages près du Danube.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 18.10.05 | 08h39


Le Monde / Europe
Le conservateur Norbert Lammert a été élu président du Bundestag

 L e conservateur Norbert Lammert a été élu président du Bundestag, la chambre allemande des députés, mardi 18 octobre, à Berlin, lors de la première session de la nouvelle assemblée après les élections législatives du 18 septembre. M. Lammert, âgé de 56 ans et député de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) depuis 25 ans, a été élu à une large majorité en obtenant 564 voix sur 607 députés présents alors que 25 ont voté contre et 17 se sont abstenus.

Il a obtenu plus de cent voix par rapport à la majorité que formera la "grande coalition" entre conservateurs et sociaux-démocrates. Dans la nouvelle assemblée, outre ces deux groupes, les libéraux du FDP ont 61 députés, le Parti de gauche 54 et les Verts 51. Le nouveau président a ensuite été félicité chaleureusement par la présidente de la CDU et future chancelière, Angela Merkel, qui l'a embrassé et lui a remis un bouquet de fleurs. Il succède au social-démocrate (SPD) Wolfgang Thierse pour devenir le deuxième homme d'Etat en Allemagne, derrière le président conservateur Horst Köhler.

SOLIDES CONNAISSANCES

Outre ses solide connaissances du fonctionnement du Bundestag, M. Lammert, originaire de Bochum, a occupé plusieurs postes de secrétaire d'Etat entre 1989 et 1998. Ce licencié d'Oxford en sciences politiques et en économie était chargé de la Culture dans l'équipe de campagne d'Angela Merkel. La réunion de la chambre basse du parlement, qui totalise 614 députés, soit 13 de plus que lors de la précédente législature, était présidée par le doyen de l'hémicycle, le ministre de l'Intérieur sortant Otto Schily, 73 ans.

Le Bundestag devrait ensuite élire les six vice-présidents de l'Assemblée, jamais aussi nombreux depuis l'après-guerre.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 18.10.05 | 12h59


Le Monde / Europe
Article interactif
Grippe aviaire : les Vingt-Cinq appellent à une coordination internationale
  1. Un plan d'action européen est en cours de préparation
  2. Un cas suspect détecté en Macédoine, des examens complémentaires en Grèce
  3. En France, Dominique de Villepin va réunir les groupes parlementaires
  4. Un à un, les pays de l'Union se préparent à faire face au virus
1 - Un plan d'action européen est en cours de préparation

 L es ministres des affaires étrangères de l'Union ont appelé mardi 18 octobre à une "réaction internationale coordonnée" pour faire face à la "menace mondiale" que représente la grippe aviaire, à la sortie d'une réunion qui s'est tenue à Luxembourg. La veille, le premier cas suspect de l'Union avait été détecté, en Grèce.

"Nous ne pouvons pas nous protéger seuls, il faut une action internationale", a renchéri le commissaire à la santé européen, Markos Kyprianou. Son idée est notamment d'aider "les organisations internationales" qui mènent le débat sur le sujet. L'Organisation mondiale de la santé (OMS), celle de la santé animale (OIE) et la Banque mondiale sont concernées. Une réunion de l'ONU sur la grippe aviaire doit avoir lieu à Genève du 7 au 9 novembre.

LES PAYS NE SONT "PAS TOUS" PRÉPARÉS

Par ailleurs, le commissaire s'est voulu rassurant. "Je veux souligner que le fait que nous ayons ces apparitions en Europe n'augmente pas la probabilité" d'une pandémie, a insisté Markos Kyprianou, avant d'ajouter: "Mais, au cas où, nous devons nous préparer de façon appropriée". "Nous n'avons pas atteint le niveau de préparation que nous devrions" avoir, a-t-il précisé, en soulignant que les pays de l'UE ne s'étaient "pas tous" mis en conformité avec les recommandations de l'OMS, qui prévoit que 25 % de la population puisse être couverte.

Le Royaume-Uni, qui assure actuellement la présidence tournante de l'UE, "est en train d'élaborer un plan d'action complet qui sera soumis prochainement aux experts", a indiqué Jack Straw, le ministre des affaires étrangères britannique. Le document en préparation portera à la fois "sur les actions européennes pour prévenir et contrôler une propagation de la grippe aviaire" et sur "des mesures pour améliorer la préparation à une pandémie", a-t-il précisé.

Avec AFP, Reuters


2 - Un cas suspect détecté en Macédoine, des examens complémentaires en Grèce
es autorités de Macédoine ont fait état, mardi, d'un décès suspect dans un élevage de volailles, au nord de la frontière avec la Grèce. "Nous avons un échantillon suspect. Cela pourrait être n'importe quel type de grippe, mais pour être sûrs, nous avons décidé d'expédier cet échantillon au Royaume-Uni pour qu'il soit analysé", a déclaré le directeur des services vétérinaires, Sloboden Cokrevski.

Plus de 1 000 volailles mortes ont été découvertes pendant le week-end en Macédoine, dans les villages de Germijan et Mogila, au sud-ouest de Skopje. Un périmètre de sécurité de 3 km a été dressé autour de Mogila, d'où provient l'échantillon suspect.

En Grèce, où un premier cas du virus H5 a été détecté lundi 17 octobre, d'autres examens sont en cours. Un laboratoire de Salonique, spécialisé dans la grippe aviaire, examinait mardi une dinde morte et neuf nouveaux échantillons de sang, en provenance du même élevage familial que celui de la dinde porteuse du virus H5. Les premiers résultats sont attendus pour mercredi. Mais il faudra attendre lundi ou mardi pour savoir si ces volailles sont atteintes par le sous-type H5N1.

Selon les médias grecs, de nombreux autres éleveurs signalaient mardi des décès suspects. La télévision privée Méga a notamment cité le cas d'un éleveur ayant signalé le décès de 95 poulets, dans le nord du pays. Le ministère de l'agriculture n'a pas confirmé ce cas.

Avec AFP, Reuters


3 - En France, Dominique de Villepin va réunir les groupes parlementaires

 L e premier ministre, Dominique de Villepin, a annoncé mardi qu'il réunirait la semaine prochaine l'ensemble des groupes parlementaires pour faire le point sur la grippe aviaire. L'épizootie, qui "continue de s'étendre" avec de "nouveaux cas signalés" en Europe, est "vraisemblablement véhiculée par des oiseaux migrateurs, la France n'est donc pas à l'abri", a-t-il indiqué lors de la séance des questions d'actualité au gouvernement.

"Tous les Français seront tenus au courant en temps réel de l'évolution de la situation et des différentes mesures prises par le gouvernement. Je réunirai les représentants des groupes parlementaires la semaine prochaine afin de leur présenter les mesures et d'écouter leurs éventuelles propositions", a annoncé M. de Villepin.

"Face à ce risque, le gouvernement a mobilisé tous les moyens nécessaires. Nous avons d'ores et déjà un dispositif qui est opérationnel (...), nous avons défini un plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, qui comporte un volet d'information, un volet de prévention et un volet de protection des Français", a-t-il ajouté.

50 MILLIONS DE MASQUES

"50 millions de masques sont en cours de livraison dans les hôpitaux. Notre stock atteindra les 200 millions au début de l'année prochaine. En ce qui concerne les antiviraux, nous disposerons de la fin de l'année des quantités nécessaires pour traiter 14 millions de personnes", a confirmé le premier ministre.

"Quant aux vaccins, nous avons réservé 40 millions de doses qui seront disponibles dès que le vaccin aura été élaboré", a ajouté M. de Villepin, qui a rappelé que la France, comme le reste de l'UE, avait "interdit toute importation de volailles en provenance des différents pays contaminés". "Nous avons également décidé de renforcer la surveillance des oiseaux migrateurs et des volailles d'élevage", a-t-il dit.

Avec AFP, Reuters


4 - Un à un, les pays de l'Union se préparent à faire face au virus

 E n Espagne, le gouvernement a annoncé mardi la création d'une commission interministérielle permanente "de suivi et d'analyse" du virus. Cette commission, à peine constituée, a décidé de commander entre 6 et 10 millions de doses d'antiviral, pour faire face à une éventuelle épidémie humaine, a-t-on annoncé mardi de source officielle. Le pays avait déjà commandé deux millions de doses de Tamiflu au laboratoire Roche. En comparaison, la France et la Grande-Bretagne ont commandé chacune 15 millions de dose.

En Italie, les autorité de la région du Latium, où se trouve Rome, devaient discuter mardi d'une proposition visant à suspendre la chasse. "Parmi les mesures radicales à prendre contre la grippe aviaire, figure la suspension de la chasse, car il est désormais évident que le virus est transmis par les oiseaux migrateurs", a indiqué Franco Frattini, le commissaire européen en charge de la justice. Lundi 17 octobre, un expert avait estimé que "l'arrivée du virus de la grippe aviaire en Italie pourrait désormais n'être qu'une question de jours". "La Grèce et l'Italie sont sur la même latitude et cela signifie que si les oiseaux migrateurs porteurs du virus ont atteint la Grèce, certains sont déjà arrivés en Italie", avait précisé Ilaria Capua, spécialiste de l'institut de zooprophylaxie de Venise.

En Suède, l'administration nationale des douanes a annoncé mardi le renforcement de ses contrôles dans plusieurs aéroports, auprès des voyageurs en provenance de Turquie et de Roumanie. La mesure a pour but de "prévenir l'introduction dans le pays" de volaille ou de ses dérivés, a expliqué l'administration. Huit aéroports sont concernés.

Avec AFP


LEMONDE.FR | 18.10.05 | 19h00


Le Monde / Europe
De possibles nouveaux cas de grippe aviaire en Roumanie

 U n "possible" nouveau cas de grippe aviaire a été découvert en Roumanie, dans le delta du Danube (Sud-Est), à proximité de la frontière avec l'Ukraine, a déclaré mardi le ministre de l'agriculture, Gheorghe Flutur. "Des anticorps de la grippe aviaire ont été détectés sur un cygne", a-t-il indiqué. Des anticorps similaires ont également été décelés sur des cygnes retrouvés morts à proximité du village de Rosetti (Est) et sur un canard. Pour le ministre roumain, l'important est de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que le virus soit transmis aux volailles de basse-cour.

PLUS DE 1 200 ANALYSES

Selon lui, des tests doivent encore être effectués pour confirmer s'il s'agit bien du H5N1, souche mortelle déjà identifiée samedi à Ceamurlia de Jos par le laboratoire britannique de Weybridge. La Roumanie attend toujours les résultats des tests menés par ce même laboratoire sur des échantillons prélevés à Maliuc, considéré comme un deuxième foyer de grippe aviaire.

Au total plus de 1 200 analyses ont été effectuées ces derniers jours sur des échantillons prélevés dans le delta du Danube, a indiqué M. Flutur. Il se peut que ces tests révèlent la présence du virus de la grippe aviaire sur d'autres volatiles. Le ministre a également souligné que jusqu'ici aucun cas de grippe du poulet n'avait été signalé en dehors du delta, région "à haut risque" abritant l'une des principales réserves ornithologiques d'Europe et lieu privilégié d'hivernage pour des centaines de milliers d'oiseaux migrateurs.

Pour le moment, la Roumanie n'a signalé aucun cas de grippe aviaire chez les êtres humains.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 18.10.05 | 09h54


Le Monde / Europe
Grippe aviaire : la Commission européenne exhorte les Etats membres à se préparer contre une pandémie

 F ace à la menace de l'émergence d'une pandémie grippale issue de l'épizootie due au virus H5N1, la Commission européenne commence à manifester de réels signes d'inquiétude. Rompant avec une politique caractérisée par le refus de toute forme de catastrophisme, elle a, pour la première fois, lundi 17 octobre, exhorté les Etats membres à améliorer leur arsenal préventif en renforçant leurs stocks nationaux de médicaments antiviraux, tout en incitant au développement de prototypes de vaccins.

L'Australie pour une vaccination généralisée

L'Australie envisage de vacciner l'ensemble de sa population, soit une vingtaine de millions d'habitants, contre le virus de la grippe aviaire dès lors que des essais cliniques auront démontré l'efficacité d'un tel vaccin. "La meilleure chose que le gouvernement australien puisse faire est de s'assurer que, si une pandémie survient, nous soyons aussi bien préparés que possible pour y faire face" , a déclaré, le 18 octobre, Tony Abbott, ministre australien de la santé. M. Abbott a précisé qu'il attendait les résultats d'essais menés à partir d'un vaccin développé par la firme australienne CSL. L'Australie a déjà stocké quatre millions de traitements à partir des antiviraux Relenza (médicament développé par la multinationale britannique GlaxoSmithKline) et Tamiflu (Roche). Ces deux médicaments sont considérés comme les plus efficaces pour le traitement de la grippe aviaire chez l'homme. Pour répondre notamment à la demande du gouvernement australien, les responsables de GlaxoSmithKline viennent d'annoncer leur décision de rouvrir une unité de Melbourne afin d'y fabriquer du Relenza à partir de la mi-2006.

Bruxelles recommande ainsi aux Etats membres de se conformer aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui estime que les réserves d'antiviraux disponibles doivent permettre de protéger 25 % de la population de chaque Etat. Si l'on en croit les services de la Commission, cet objectif est bien loin d'être atteint au sein de l'Union où, en moyenne, une personne sur dix pourrait bénéficier d'un traitement médicamenteux en cas de pandémie.

Neuf pays ­ dont les noms ne sont pas précisés ­ n'ont, sur ce thème, fourni aucune donnée à Bruxelles. "Nous ne sommes pas satisfaits de l'état des stocks. Tous les Etats membres ont des efforts à faire dans ce domaine", a déclaré Philip Tod, porte-parole de Markos Kyprianou, commissaire européen à la santé. Plusieurs petits pays européens redoutent aujourd'hui les conséquences de la compétition à laquelle se livrent les principaux pays industriels pour acquérir au plus vite de gros volumes de Tamiflu (ou Oseltamivir). Cet antiviral, pour lequel la multinationale pharmaceutique Roche détient une licence exclusive, est, en pratique, le seul médicament à avoir démontré une relative efficacité contre l'infection humaine par le virus H5N1.

Pour tenter de limiter les effets néfastes de cette compétition, M. Kyprianou vient de demander aux Etats membres de se coordonner pour obtenir une augmentation des capacités de production. Mardi 18 octobre, à Bâle, la direction de Roche a, pour sa part, annoncé être en mesure d'augmenter rapidement son volume de production de Tamiflu grâce au feu vert donné par la Food and Drug Administration américaine pour un nouveau site industriel. Les dirigeants de la multinationale suisse ont, à cette occasion, rappelé leur souhait d'entrer en négociation avec les gouvernements et d'autres fabricants pharmaceutiques afin d'étudier les modalités pratiques d'une intensification de la production mondiale de Tamiflu. Ils ont par ailleurs indiqué avoir été, il y a peu, contactés sur ce sujet par le gouvernement de Taïwan et procéder à l'examen de cette proposition. Selon Roche, il s'agit là de la seule offre de collaboration présentée par un pays reçue à ce jour par la multinationale. Il y a quelques jours, un responsable taïwanais de la santé avait indiqué que son pays avait produit de petites quantités de Tamiflu et qu'il cherchait à obtenir une licence secondaire pour la fabrication de ce médicament.

Le commissaire européen à la santé devait d'autre part faire le point, mardi 18 octobre au Luxembourg, sur les risques d'émergence d'une pandémie grippale lors d'une réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères. "Il n'y a rien de très concret à attendre de cette rencontre ; elle pourrait néanmoins permettre de coordonner les efforts en direction des pays tiers, là où transitent les oiseaux migrateurs qui semblent à l'origine de l'épizootie en Europe" , confie un diplomate. Les ministres européens de la santé devraient, quant à eux, approfondir les discussions lors d'un conseil informel santé, jeudi 20 et vendredi 21 octobre à Londres.

C'est dans ce contexte qu'une série d'informations a priori inquiétantes en provenance du front de l'épizootie ont été rendues publiques. On a ainsi appris, lundi 17 octobre, qu'après ceux de Turquie et de Roumanie, un nouveau foyer épizootique avait été identifié en Grèce. Des examens complémentaires sont en cours pour vérifier si le virus retrouvé chez un dindon élevé dans une petite exploitation située sur l'îlot d'Inousses, au large de l'île de Chios, est bien un sous-type H5N1. Si tel était le cas, il faudrait en conclure que l'épizootie a désormais atteint l'espace de l'Union européenne et que les oiseaux migrateurs doivent bien être considérés comme le vecteur principal de diffusion du virus H5N1.

La Commission européenne a annoncé que, dans l'attente des résultats virologiques, elle se préparait à interdire le transfert des volailles vivantes et des produits aviaires hors de la zone de Chios. Bruxelles exige aussi que la Croatie procède au plus vite à des analyses approfondies pour déterminer la cause du décès d'étourneaux, eux aussi soupçonnés d'être victimes de la grippe aviaire.

On apprenait enfin, dans la matinée du mardi 18 octobre, qu'un nouveau foyer épizootique avait été identifié en Roumanie, dans le delta du Danube où un cygne a été découvert porteur des anticorps dirigés contre un virus de la grippe aviaire.

Jean-Yves Nau et Philippe Ricard (à Bruxelles)
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Europe
Un laboratoire indien annonce la fabrication d'une version générique du Tamiflu
ISLAMABAD de notre correspondante en Asie du Sud

 F ace à la crainte d'une pandémie de grippe aviaire, le laboratoire indien Cipla (acronyme anglais de Laboratoire chimique, industriel et pharmaceutique) a annoncé, samedi 15 octobre, qu'il avait commencé à fabriquer une version générique du Tamiflu, médicament commercialisé par le géant pharmaceutique suisse Roche. "Juste ou non, nous allons fabriquer et commercialiser l'Oseltamivir -nom générique du Tamiflu-", a affirmé au New York Times Yusuf K. Hamied, président de Cipla, sans nier le risque potentiel de problèmes liés à la propriété intellectuelle avec Roche.

Interrogé à Marbella, en Espagne, où il se trouve, M. Hamied a, d'autre part, expliqué à l'Indian Express : "Notre effort vise à sensibiliser la population et le gouvernement. Si la grippe aviaire s'étend, la population doit être préparée. Je ne sais pas quelles mesures de représailles -pourrait prendre Roche-, mais notre démarche est humanitaire." "Nous avons déjà commencé la production de l'Oseltamivir et, maintenant, le processus de commercialisation est en route. Le marché, incluant l'Inde, est ouvert" , a ajouté M. Hamied, en soulignant que son laboratoire pourrait commercialiser de petites quantités d'Oseltamivir dès le début de 2006.

Depuis janvier 2005, les lois indiennes sur les brevets, devenues plus sévères pour répondre aux exigences de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), protègent non seulement ­ comme c'était le cas jusque-là ­ les procédés de fabrication, mais les molécules. Toutes les molécules déclarées après le 1er janvier 1995 bénéficient d'une protection en Inde. Le brevet du Tamiflu a été déposé en Inde le 26 février 1995 : il est donc protégé, mais, en cas d'épidémie, le gouvernement indien pourrait se trouver moins regardant sur les dates.

Pour l'instant, l'Inde n'a pas décelé de cas de virus H5N1, mais Roche a déposé devant le ministère de la santé une demande de permission pour vendre le Tamiflu. Le ministère affirme qu'il va rapidement examiner cette demande pour répondre à une éventuelle menace. A 60 dollars par traitement, le Tamiflu risque toutefois d'être inaccessible à la majorité des Indiens, dont plus de 300 millions vivent avec 1 dollar par jour.

DROIT À LA SANTÉ

Fils du fondateur de Cipla, Yusuf Hamied n'est pas un novice dans la copie de médicaments. Il s'était déjà rendu célèbre, en 2001, en concluant un accord avec l'organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF) pour lui vendre la trithérapie de lutte contre le sida, reprise à partir de produits développés en Europe et aux Etats-Unis, à 350 dollars par patient et par an et à 600 dollars pour les gouvernements, au lieu des 10 000 ou 15 000 dollars pratiqués alors aux Etats-Unis ou en Europe.

Depuis, approuvé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), cette trithérapie est utilisée par 500 000 personnes dans le monde. Le docteur Hamied se défend d'être l'ennemi des multinationales, mais il affirme se battre pour le droit à la santé des pauvres. Basé à Bombay, Cipla est le troisième fabricant de médicaments en Inde. Il manufacture plus de 400 médicaments dans 20 centres ultramodernes et exporte dans 125 pays.

Françoise Chipaux
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Un monde plus sûr

 L e rapport Guerre et paix au XXIe siècle, publié lundi 17 octobre par le Human Security Center, va à l'encontre de beaucoup d'idées reçues, notamment en Europe, sur l'évolution des conflits armés depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Fruit de trois années d'études menées par un ancien directeur de la planification stratégique de l'ONU, Andrew Mack, ce document tente de combler une véritable lacune scientifique et statistique.

Les enseignements sont multiples sur les changements intervenus depuis 1990 et la fin de la guerre froide : réduction de 80 % du nombre de génocides et autres massacres d'ampleur ; réduction de 40 % du nombre de conflits ; réduction phénoménale du nombre de morts par conflit (38 000 en moyenne dans les années 1950 ; 600 aujourd'hui), réduction de 30 % du nombre de réfugiés dans le monde, etc. Reste une indication très négative: alors que des conflits du passé frappaient souvent majoritairement les combattants, les victimes des guerres actuelles sont à 90 % des civils.

Au cours de la période 1945-1990, le monde était donc à feu et à sang. Depuis 1990, il est plus sûr. On s'y fait moins la guerre, on y meurt moins. Ces informations vont à l'encontre des croyances des opinions publiques occidentales, touchées par des conflits très meurtriers (Bosnie, Rwanda, Tchétchénie...).

Elles traduisent pourtant une évolution fondamentale : tandis que la diplomatie de la guerre froide était créatrice de conflits (hormis sur le sol occidental lui-même), la diplomatie, depuis 1990, cherche avec constante à devenir créatrice de paix. On ne compte plus les initiatives dans le domaine de la recherche et du maintien de la paix, de la justice internationale, même si certaines se soldent par des échecs sanglants comme à Sarajevo ou à Kigali.

Le monde est plus sûr parce qu'aucun Etat ne peut aujourd'hui anéantir sa propre population ou envahir son voisin sans que cela pose un problème à la communauté internationale. C'est elle ensuite qui décide d'intervenir (Kosovo, Timor-Oriental...) ou de fermer les yeux (Tchétchénie).

Cette diplomatie post-guerre froide de la recherche de la paix a aussi entraîné un changement d'attitude des armées, notamment occidentales. La préoccupation des militaires n'est plus seulement d'anéantir l'ennemi ; elle est aussi d'assurer la protection et la survie de leurs hommes.

Il est toutefois impossible de prétendre que la sécurité du monde n'est pas en danger. Comme l'explique Gareth Evans, le président de l'International Crisis Group, l'un des meilleurs observatoires des conflits, trois types de menaces guettent le monde : la prolifération des armes de destruction massive, notamment nucléaires , le terrorisme et enfin la remise en cause par la première puissance mondiale, les Etats-Unis d'Amérique, d'un ordre international, et notamment de l'ONU qui, malgré ses échecs, a considérablement aidé le monde, depuis 1990, à éteindre certains de ses feux.

Article paru dans l'édition du 19.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

gerald+n
♦ 19.10.05 | 09h01 ♦ Doit on dire un monde plus sûr ou un monde moins incertain ? ... et une analyse globale a-t-elle valeur ponctuellement ? Autrement dit, pour qui le monde est-il plus sûr ? Qui donc ne se fait plus de guerres comme autrefois et qui s’en fait maintenant , et au profit de qui ? Les innocents victimes d’une guerre, si petite soit-elle, manipulée par des grandes puissances avec un objectif cahché sont-ils en droit de croire que le monde est plus sûr ?!
-amanda-
♦ 19.10.05 | 08h05 ♦ Le monde est plus sûr pour qui, pour les touristes ? C’est choquant dans Le Monde. Cette définition de "guerre" semble exclure tous les conflits armés, indirectement dirigés, non officialisés, non médiatisés (Amérique du sud, Amérique centrale, Afrique) les guerrillas, les famines organisées (spoliations, appauvrissement volontaire des terres) les génocides silencieux. Elle passe sous silence la guerre économique, et son travail des enfants, ses populations entières asservies etc
Emmanuel H.
♦ 19.10.05 | 00h01 ♦ Je n’ai droit qu’à 500 signes pour répondre à cet article qui en compte plus de 3000!! Le XXeme siècle est l’un des plus meurtriers et des plus cruels de l’histoire humaine et sur une plus longue échelle depuis l’avènement de nos prétendus démocratie je n’ose compter. "Depuis 1990, il est plus sûr", des fois je regrette vraiment que Coluche ne soit plus là. Bon je m’en vais dormir sur mes deux oreilles :0)

♦ 18.10.05 | 20h05 ♦ d accord avec azebolu il faudrait nous fournir le mode de calcul quid des conflits en Afrique ? en Colombie ? en Irak ? voir au Mexique ? au Brésil ? en Tchétchénie ? au nord de l’Inde et du Pakistan ? au Népal ? a Haitie ? et j’en oublie...
ALBERT F.
♦ 18.10.05 | 18h50 ♦ Merci à la mondialisation. Le global village, qui permet de tout savoir sur tout n’isole pas seulement les dictateurs. Il sape peu à peu et inexorablement la sacro sainte "raison d’Etat", qui a toujours servi à justifier l’inqualifiable et le crime au plus haut niveau. Merci à la menace réelle que fait peser sur les assassins d’Etat le tribunal pénal international.La guerre devra bien un jour être mise hors la loi et les fauteurs de guerre poursuivis pour crime contre la paix.
Deathwind
♦ 18.10.05 | 18h37 ♦ Un très bon exemple de l’intérêt à prendre du recul et à ne pas réagir aux nouvelles au "jour le jour" des médias. Et ce qui vaut pour les conflits vaut aussi pour l’écologie, l’économie. De manière générale, notre monde va mieux. Bien sur tout n’est pas parfait mais en exagérant les difficultés, on fausse le calcul nécessaire entre les couts et les avantages de tel ou tel choix.
ompin
♦ 18.10.05 | 18h29 ♦ La "troisième" source d’inquiétude, à savoir le non respect par le plus puissant des états (USA) et d’autres (Israel avec le soutien du premier), est la plus dangereuse Comment précher le respect du droit défini et accepté généralement pas la communauté des états alors qu’on s’en exonère?
azebolu
♦ 18.10.05 | 17h23 ♦ 600 morts par conflit aujourd’hui. Je rêve ou quoi. Combien de morts a fait le conflit en Irak ? En moyenne par année me direz-vous, éclairés que vous êtes, idiot que je suis. Alors on met dans la moyenne les morts par conflit décomptés au Luxembourg, à Monaco, à Madère !!! Là bien sûr, la moyenne fait une chute vertigineuse. C’est quoi une moyenne de morts dans une année ? C’est un scandal comme dirait Georges, de la poudre aux yeux, une berceuse pour nous endormir et nous faire croire.........
JPG
♦ 18.10.05 | 17h03 ♦ Un monde plus sûr ? on y meurt moins ? Acceptons-en l’augure. Toutefois, afin d’équilibrer un peu ces "statistiques" bien optimistes, il serait bon de mettre en face les victimes civiles et de faire un bilan global. Le "résultat" pourrait en être bien plus troublant..
jacklittle
♦ 18.10.05 | 16h43 ♦ Un monde plus sûr,on s’y fait moins la guerre,on y meurt moins.Oui,c’est un fait.Mais,décidément le temps présent est plein de paradoxes:le terrorisme tue à l’aveugle partout :crainte.La quasi-planète est menaçée d’une pandémie d’influenza :crainte.L’industrialisation mal maîtrisée cause des pollutions :crainte.La consommation effrénée qui en découle fait peser une menace de pénurie d’énergie :crainte.Globalement la surpopulation mondiale voit poindre à long terme le spectre de la famine:crainte
donostib
♦ 18.10.05 | 16h36 ♦ Un monde plus sûr mais un univers moins certain.Il paraît en effet que rien ne va moins bien qu’avant. La pauvreté a diminué de 8 à 10 points depuis les années 70, les guerres sont plus rares et moins coûteuses en vies, les gens vivent plus vieux et plus longtemps, le nombre des morts baisse sur les routes de manière significative, les maladies cardiaques tuent moins qu’avant, les réfugiés ne se comptent plus par millions... Bref, nous nageons quasiment dans le bonheur sans finalement le savoir.
clo.clo
♦ 18.10.05 | 15h35 ♦ En prenant beaucoup de recul par rapport au moment, en survolant par exemple les 50 dernières années, j’ai toujours pensé que je vis plus cool maintenant qu’il y a 20 ou 30 ans. Je me souviens du temps de la guerre froide, la peur "foide" et omnipresente de la "bombe" sur nous, des tensions et missiles pointés sur l’Europe, des chars sovietiques ( marrant ce mot !! ) à 3 heures de Paris, bref ce n’etait pas drole, et je suis d’accord, je prefere nettement vivre actuellement qu’avant.
Grichka10
♦ 18.10.05 | 15h25 ♦ L’intérêt qui commence à être porté par l’ONU au principe de défense d’une population contre les exactions de ses propres dirigeants est une grande lueur d’espoir pour l’évolution positives des droits de l’homme et la fin des phénomènes génocidaires. L’intervention des USA en irak a certe secoué l’ONU et la Communauté Internationale mais ces deux dernières n’avaient elles pas besoin d’etre un peu bousculée??? Les dictateurs se sentent un peu plus seuls aujourd’hui qu’à la fin du 20ème siècle.


Le Monde / France
Les tensions entre Nicolas Sarkozy et la direction de l'Union syndicale des magistrats s'amplifient

 C es deux-là ne s'aiment pas. Leur dernière rencontre en atteste. L'ambiance était électrique, ce mercredi 6 juillet, dans le bureau du président de l'UMP, à Paris, rue La Boétie. C'est là, et non Place Beauvau, que Nicolas Sarkozy, le ministre de l'intérieur, avait choisi de recevoir, en compagnie de son directeur de cabinet, Claude Guéant, le président de l'Union syndicale des magistrats (USM, modérée). Dominique Barella était venu avec un autre membre du syndicat, Luc Barbier, juge à Paris.

M. Barbier garde de cet entretien un souvenir "apocalyptique". Ce jour-là, M. Sarkozy a dressé lui-même le constat de son inimitié : "Sarkozy n'aime pas Barella. Et Barella n'aime pas Sarkozy", aurait dit, selon les deux magistrats, le ministre de l'intérieur, avant de convenir : "C'est moi qui ai allumé la mèche." Dans l'entourage de M. Sarkozy, on n'a pas la même version : "La rencontre a connu un début crispé, mais s'est bien terminée, affirme Claude Guéant. On s'était promis de travailler sur la responsabilité des magistrats."

Les relations entre M. Sarkozy et M. Barella sont tendues depuis longtemps. Début 2004, après l'émission de France 2 "100 minutes pour convaincre" dont le ministre de l'intérieur était l'invité, le responsable syndical lui avait demandé de lui transmettre son dossier établi par les renseignements généraux (RG). Il l'a finalement obtenu après avoir saisi la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Celui-ci contient de nombreuses informations personnelles, évoquant notamment un procès ­ gagné ­ contre le maire de Saintes (Charente-Maritime) pour radiation abusive des listes électorales.

"VOUS NE ME FAITES PAS PEUR !"

La tension entre les deux hommes est montée d'un cran quand M. Sarkozy, le 22 juin, a appelé à faire "payer pour sa faute" un juge, après un meurtre commis par un homme en liberté conditionnelle. Le ministre avait été rappelé à l'ordre par Dominique de Villepin. La rencontre du 6 juillet est intervenue dans ce contexte.

"J'ai voulu partir, raconte M. Barbier. Je suis sorti de là choqué. Le ton du ministre était celui d'un homme qui ne supporte pas que quelqu'un se dresse sur son chemin." Responsabilité des juges, collaboration police-justice : au-delà des thèmes de travail, la conversation a dérapé. A trois reprises, le ministre de l'intérieur aurait lancé à M. Barella : "Vous ne me faites pas peur !"

Le ton est monté quand l'USM a affirmé que les magistrats allaient créer des "observatoires des erreurs policières" pour répondre aux "observatoires des bavures judiciaires" des syndicats de policiers. "Le directeur de cabinet m'a dit : mais vous aussi, vous avez eu affaire à la justice" , en référence au contenu de son dossier des RG, assure M. Barella. M. Guéant qualifie ce récit de "mensonge" . "Cela devient difficile de discuter avec M. Barella, à partir du moment où on ne peut plus avoir un dialogue sain et fr anc", souligne le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy.

Le 14 octobre, Dominique Barella s'est de nouveau attiré les foudres du ministre pour avoir critiqué la police lors du congrès de l'USM. M. Barella a évoqué des bavures citées dans les rapports publics de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), notamment "les viols commis par les policiers."

Samedi 15, l'UMP a publié un communiqué titré : "Dominique Barella dérape." L'entourage de M. Sarkozy a en outre fait valoir que M. Barella menait un combat politique, soulignant qu'il était adhérent du Parti socialiste depuis l'âge de 19 ans et affirmant qu'il était candidat à la mairie de Saintes, ville où il est installé de longue date.

Le magistrat souligne qu'il n'a jamais fait état de son adhésion au PS et que celle-ci ressort de la sphère privée. S'il estime sa carrière de magistrat "fichue" en raison de son engagement syndical et des inimitiés que celle-ci lui a suscitées, il dément tout projet électoral pour 2008. "Dans un article publié dans Sud-Ouest -le 25 août-, j'ai répondu que ce ne serait pas illogique, que l'idée était intéressante, mais que ce n'était pas à moi d'en décider et que ce n'était pas le moment", explique-t-il. Tout est, en fait, parti d'une information publiée dans le numéro de janvier de L'écho des Arènes , le journal local du député (UMP) Xavier de Roux.

Le 3 octobre, les services de M. Sarkozy ont annulé, au dernier moment, le nouveau rendez-vous pris avec le patron de l'USM.

Nathalie Guibert et Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / France
Dix-huit mois jusqu'à la présidentielle, et déjà quatorze candidats

 L a demande suivra-t-elle l'offre ? A dix-huit mois de la présidentielle de 2007, candidats réels, candidats à la candidature, candidats masqués, candidats de témoignage dépassent la vingtaine. Tous les partis (LCR, LO, PCF, Verts, PS, UDF, UMP, MPF, FN, MNR) envisagent de se présenter sous leurs couleurs, sans compter les petites composantes qui revendiquent, elles aussi, un droit d'expression.

Les ambitions déclarées et les autres

Ceux qui se sont déjà portés candidats : Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret, Nicolas Dupont-Aignan, Nicolas Sarkozy, Jack Lang, Laurent Fabius, Ségolène Royal, Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn, Noël Mamère, Dominique Voynet, Jean Desessard, Yves Cochet, Arlette Laguiller. On peut ajouter les candidatures potentielles de François Hollande, François Bayrou et peut-être Dominique de Villepin, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot et José Bové.

La tendance à la multiplication des candidatures, constatée en 2002, se confirme et s'amplifie, faisant planer sur le scrutin de 2007 le risque d'un nouveau 21 avril. D'autant que, parallèlement, les Français continuent d'afficher leur méfiance pour leurs élus. Sondés par CSA pour Le Parisien du 10 octobre, ils sont 76 % à ne "pas leur faire confiance". Seuls 22 % d'entre eux disent avoir une bonne image des politiques, bien après les infirmières, les enseignants, les juges ou les journalistes...

Pour Dominique Reynié, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, ces deux mouvements sont l'expression d'un même problème : "En accélérant le temps politique, le quinquennat a normalisé la fonction présidentielle et, en lui faisant perdre son caractère exceptionnel, il l'a déclassée. L'accès à la fonction est désormais envisagé par un plus grand nombre de gens."

"Ce phénomène est la traduction d'une recherche confuse de thématiques et de personnalités alternatives par les Français, explique Pascal Perrineau, directeur du Cevipof. Il ne faut pas déplorer l'éclatement de l'offre politique, mais y voir au contraire une manière de sortir de la crise de la représentation." "Encore faudrait-il que les "fournisseurs d'idées" différencient leur production", ironise le chercheur Thierry Pech, animateur du club La République des idées. Le nombre de candidatures paraît inversement proportionnel à la différence réelle de leur contenu politique. La cause de cette inflation est davantage à rechercher dans les stratégies personnelles, notamment au PS."

Car aux divisions traditionnelles de la gauche s'ajoutent à présent les clivages à l'intérieur d'un même parti, notamment au PS. Exacerbés par la question européenne et par la campagne référendaire sur le traité constitutionnel européen, les affrontements internes ont fait naître une nouvelle "revendication de représentation" chez les partisans du non, qui souhaitent faire fructifier leur victoire du 29 mai 2005. Pour Henri Rey, chercheur au Cevipof, "cette diversité devient traditionnelle et atteste la complexification de la gauche". En témoignent, au PS, les candidatures à la candidature de Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry, Jack Lang, Ségolène Royal ou encore celle, attendue, de François Hollande.

Professeur de science politique à Nice et à Paris, Laurent Bouvet souligne un paradoxe : "Le PS a parfaitement intégré les mécanismes de la Ve République à son logiciel , analyse-t-il. Les socialistes ont fini par admettre que tout découle de la présidentielle, comme le prouve l'abondance d'ambitions personnelles, mais ils n'admettent toujours pas que ce scrutin procède de la rencontre d'un homme et d'un peuple. Le candidat doit préexister au projet et non pas l'inverse."

L'UMP, toutefois, n'est pas en reste. L'annonce de candidature, samedi 15 octobre, du député (UMP) de l'Essonne et souverainiste républicain Nicolas Dupont-Aignan pourrait porter à trois le nombre de candidats de l'ex-parti chiraquien. Elle vient en effet enrichir l'offre déjà présentée par le président du parti, Nicolas Sarkozy, et peut-être par Dominique de Villepin.

LES LIMITES DES PRIMAIRES

Dans ces conditions de concurrence extrême, nombreux sont les politologues qui doutent de la capacité des primaires, au PS comme à l'UMP, à "écrémer" les candidats potentiels. Pour M. Reynié, les "procédures de démocratie partitaire" ne garantissent plus l'unicité des candidatures ni la discipline. Selon lui, le référendum interne au PS sur l'Europe, remporté par les partisans du oui, a montré les limites de la discipline militante, puisque les partisans du non n'ont pas abdiqué leurs convictions.

"Le déroulement des élections internes risque cette fois d'échapper à leurs organisateurs, poursuit M. Reynié. En disant "Je suis libre" comme Sarkozy et Fabius, on sacralise à l'extrême la démarche et un projet personnel au détriment de la règle collective. Cela me paraît relever d'une forme de désobéissance civile." "Il y a désormais des candidats qui ont intérêt à court-circuiter l'appareil" , note Thierry Pech.

Est-il alors encore possible de limiter les candidatures, en relevant le nombre des parrainages nécessaires ou en assurant la traçabilité des soutiens à tel ou tel prétendant ?

"Difficile à faire, admettent les chercheurs, surtout dans un contexte où le premier tour peut se jouer à moins de 15 % et où les règles de financement politique limitent le risque. Dans ces conditions, tout le monde peut jouer."

Reste alors l'"autodiscipline" et, peut-être, une juste appréciation du rapport de forces pour décourager les moins téméraires. Mais l'émiettement des candidatures apparaît bel et bien comme une nouvelle donne. En 1965, lors de la première élection présidentielle au suffrage universel, ils étaient 6 candidats en lice, 7 en 1969, 12 en 1974, 10 en 1981, 9 en 1988 et en 1995, 16 en 2002. Record à battre.

Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / France
Lionel Jospin, prétendant virtuel dans un PS qui croule sous les candidatures

 L a place particulière qu'occupe Lionel Jospin dans le paysage socialiste ne le met pas au-dessus de la mêlée. L'ancien premier ministre, qui ne s'était plus exprimé depuis le référendum sur la Constitution européenne, revient avec un livre, Le Monde comme je le vois , à paraître le 27 octobre chez Gallimard, dont le titre tient plus du programme d'un candidat que du témoignage d'un retraité.

Lundi 17 octobre, il y a ajouté un commentaire. Devant les portes de sa section PS, dans le 18e arrondissement de Paris, Lionel Jospin s'est arrêté quelques instants pour assurer que le livre n'a "rien à voir" avec le congrès du parti prévu au Mans du 18 au 20 novembre.

Du PS, toutefois, il en a bien été question, lundi soir, dans le local de la rue de Trétaigne, qui accueillait à huis clos un débat sur les textes soumis au vote des militants pour le congrès. A la veille, du duel très attendu, mardi, entre François Hollande et Laurent Fabius à La Mutualité, il s'est frayé une place : "Je soutiens la motion 1 -de Hollande- parce que je pense qu'elle représente une orientation clairement à gauche, et qui a l'avantage d'être réaliste , a-t-il indiqué. Je la soutiens parce que la majorité qui peut se constituer derrière elle est plus cohérente que la coalition des minorités , si on pense aux positions différentes prises dans le temps par les uns et les autres." Dernier argument, avant de s'engouffrer dans la salle : "Le fait de choisir François Hollande pour premier secrétaire me paraît un bon choix."

A l'intérieur, toutefois, ce "soutien" s'est manifesté de façon nettement plus distante. Selon plusieurs participants, qui avaient pris des notes, l'ancien premier ministre a exprimé des doutes sur les chances de la gauche, dans la configuration actuelle, de l'emporter en 2007. "Nous espérons l'alternance, mais rien n'est moins sûr" , a-t-il expliqué en évoquant un PS "tourné vers lui-même", ce qu'il trouve "bien normal dans la période actuelle". Il a poursuivi en pointant le "risque d'une succession de la droite" , ­ qualifiée au passage de "très mauvaise gestionnaire". "Pour conjurer ce risque" , a-t-il souligné, "il faut un parti en ordre de marche, un projet réaliste et une stratégie de rassemblement de la gauche autour du PS".

Pour Lionel Jospin, les élections régionales et cantonales du printemps 2004, que François Hollande met souvent en avant afin de défendre son bilan, "ont été effacées par le travers du référendum du 29 mai 2005". Il en veut à Attac, et a exhorté les militants PS qui en seraient membres à interpeller les dirigeants de l'organisation altermondialiste. Il en veut à l'extrême gauche ­ "à quelle réforme peut-elle attacher son nom depuis 1936 ?" ­ et conseillé le PS d'en "finir avec le révolutionnarisme".

"FAIRE SON DEVOIR"

Pour autant, l'ex-dirigeant socialiste n'a pas trouvé de "divergences" fondamentales entre les motions, même si "pour certaines, il manque la capacité à transformer le réel". Dans cette section acquise à la majorité du parti, aucun représentant de la motion Fabius n'était présent pour la défendre. Contre le parlementarisme d'Arnaud Montebourg et de son courant Nouveau Parti socialiste (NPS), Lionel Jospin a opposé "le droit des Français à élire le président de la République, même s'ils l'ont escamoté en 2002" . Au PS, a-t-il assuré, "le candidat sera choisi par les militants". Voire . Les prétendants sont désormais si nombreux qu'une simple primaire, comme en 1995, lorsque les adhérents avaient choisi entre Lionel Jospin et Henri Emmanuelli, ne semble plus suffire. Face à Laurent Fabius, les candidats, dans le camp de François Hollande, sont déjà quatre : Dominique Strauss-Kahn, Jack Lang, Martine Aubry, Ségolène Royal ­ auquel s'ajoutera sans doute François Hollande en cas de victoire de sa motion au congrès.

Du coup, la direction étudie le scénario d'une "procédure" spécifique. Selon François Hollande, les cadres de la majorité, et non l'ensemble des militants, pourraient voter pour celui ou celle qui leur paraît le mieux placé... Cette hypothèse éliminerait de la course Lionel Jospin qui ne se confrontera jamais aux autres candidats. Son retour n'est possible que si le parti et François Hollande lui demandent de "faire son devoir", un peu comme Henri Emmanuelli avait tenté d'en persuader Jacques Delors en 1995.

Lundi soir, Lionel Jospin a convié tous les militants parisiens à une séance de dédicaces de son livre, le 5 novembre, à Paris.

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / France
Des cadres du FN redoutent l'entrée en scène de Marine Le Pen

 B ien qu'approuvée à l'unanimité par le bureau politique (BP) du 17 octobre, la nomination de Louis Aliot au poste de secrétaire général du Front national inquiète des cadres du parti.. Ils voient dans la promotion de ce dernier un début de mainmise de Marine Le Pen sur l'appareil.

Proche du président du FN, cet ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen est aussi un maillon essentiel de l'entourage de la vice-présidente du FN. Il était jusqu'à la semaine dernière le secrétaire général de Génération Le Pen, une association qu'elle préside, et surtout son chef de cabinet et conseiller.

Certains membres du bureau politique proches de Bruno Gollnisch, sont, comme Christian Baeckeroot, convaincus qu'en faisant de M. Aliot le numéro 3 du parti, M. Le Pen prépare sa succession en faveur de Marine. Qu'il installe "un dispositif pour que sa fille puisse se porter candidate à l'élection présidentielle si lui-même en est empêché" . "C'est une hypothèse qui se tient, estime Marie-France Stirbois. Regardez ce qui s'est passé en PACA, lors des élections régionales. Jean-Marie Le Pen n'a pas pu être candidat. Pourquoi cela ne se renouvellerait-il pas ?"

"Mais d'où tiennent-ils ce renseignement ? D'une confidence que je leur aurais faite sur l'oreiller ?" , ironise Jean-Marie Le Pen . "Je suis un homme franc, droit du collier. J'ai dit que j'étais candidat. Je ne fais pas de pacte sur une succession future. Cette idée est farfelue, le fruit de supputations de quelques personnes" , déclare-t-il.

"UN SUICIDE"

"Décidément Christian Baeckeroot fait une fixation sur moi, lance Marine Le Pen. Il n'y a aucune raison pour que Jean-Marie Le Pen ne puisse pas se présenter. Il n'est pas dans notre culture de baisser les bras et nous ferons tout pour qu'il obtienne ses signatures. Je ne pense pas que ce sera plus dur qu'en 2002. Je vois en effet difficilement comment on pourrait refuser à quelqu'un qui a été au deuxième tour de l'élection présidentielle de 2002 de se présenter en 2007." "Je n'imagine pas une seconde que Jean- Marie Le Pen puisse donner sa place à sa fille" , répond, catégorique, M. Aliot.

"Le Pen mourra sur scène. Vous l'avez vu à la fête des Bleu-Blanc-Rouge -BBR- ? Il était heureux comme tout de serrer les mains, de lécher les pommes des petites vieilles, et de se faire prendre en photo. Jamais il ne laissera sa place à Marine. En plus ce serait une erreur. Marine doit attendre encore un peu pour s'affirmer dans l'appareil. 2007 c'est trop tôt. Ce serait un suicide", affirme Yann Le Pen, cadette de la famille et organisatrice des BBR.

"Je ne crois pas que Le Pen souhaite passer la main ", reconnaît un membre du bureau exécutif, proche de Bruno Gollnisch. "Mais l'hypothèse d'un passage de témoin entre lui et sa fille n'est pas absurde, surtout dans le contexte actuel" , poursuit-il en faisant référence à l'approbation par le dernier bureau politique de la nomination d'Alain Vizier, le directeur de la communication, un fidèle de M. Le Pen, qui a favorisé la montée médiatique de Marine Le Pen.

De même ce membre du bureau exécutif note-t-il la "mise à l'écart" de Philippe de Beauregard, secrétaire départemental du Var proche de M. Gollnisch, et qui a été remplacé par Jean-Louis Bouguerau. Une décision motivée par "le fai t qu'il -M. Beauregard- est employé de la mairie d'Orange", a expliqué M. Le Pen. L'argument n'a pas convaincu Mme Stirbois. Celle-ci regrette que les votes en bureau politique ne soient pas "à bulletin secret". "M. Le Pen réclame l'anonymat pour les signatures de maires. Il pourrait accepter que les décisions du BP se prennent à bulletin secret, car bon nombre de membres sont des salariés du mouvement", explique-t-elle en soutenant qu'"alors il y aurait eu plus de quatre personnes", comme cela a été le cas, à s'opposer à la révocation de M. de Beauregard. "Jean-Marie Le Pen chasse tous ceux qui ne sont pas d'accord à 100 % avec lui ou avec fifille", déplore Mme Stirbois.

Christiane Chombeau
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / France
Voter Y et ses "primaires civiques" pour clarifier le débat à gauche

 À  la recherche du candidat de gauche idéal. En lançant, le 8 octobre, un processus d'"auditions civiques" des candidats potentiels à la présidentielle, le collectif Voter Y ­ qui réunit des revues (Mouvements ou Vacarme), des militants associatifs ou syndicaux, des journaux engagés comme les Inrockuptibles, des animateurs de réseaux issus du mouvement des chercheurs ou des intermittents ­ veut clarifier le débat à gauche.

Avec ses quelque 15 candidats à la candidature, proclamés ou virtuels, la gauche affiche une division sans pareille. L'objectif de ce réseau informel est de ne plus laisser les partis politiques élaborer leur programme et choisir, seuls, leur candidat. Pour ce faire, Voter Y propose la mise en place d'"un espace collectif d'interpellation publique" qui permette aux citoyens de donner leur avis. "Nous voulons parvenir à montrer qu'il y a appropriation du débat politique par des personnes qui n'ont pas nécessairement l'habitude d'être entendues en les faisant participer à la définition d'un programme", explique Jade Lindgaard, journaliste aux Inrockuptibles.

Ces "primaires civiques" verraient les candidats potentiels interrogés par des "auditeurs", politologues, sociologues ou juristes représentants d'associations, de lieux culturels, de collectifs militants et par un panel de citoyens. Un peu à l'image des débats publics organisés sur les OGM ou le nucléaire. Les séances publiques seraient filmées et retransmises via Internet.

"AUDITIONS"

"Il s'agit de questionner les aspirants à la candidature sur le contenu de leurs propositions et de parvenir à mieux cerner les points de désaccord", explique Gilbert Wassermann, rédacteur en chef de la revue Mouvements. Pour préparer ces jurys, des ateliers de travail ont été réunis sur les enjeux politiques du moment comme la crise du logement, la prévention sanitaire ou l'emploi avec des acteurs des mouvements sociaux ­ Droit au logement (DAL), la Ligue des droits de l'homme, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), l'association de chômeurs AC !, le Syndicat de la magistrature ou la CGT. Un site internet (www.voter-y.org) diffuse les notes de leurs travaux. "Nous voulons discuter des contenus et désembourber le processus à gauche", insiste Jean-Pierre Séréni, co-auteur d'un livre 2007 : Y président (e) ! paru aux éditions Mille et une nuits.

Le collectif lancera ses "auditions" à partir de la mi-décembre. Les premiers auditionnés pourraient être un candidat des Verts comme Yves Cochet, José Bové et "un ou une" socialiste. Après ces bancs d'essai prévus jusqu'en septembre 2006 ­ "avant la désignation des candidats officiels" ­, les initiateurs ne désespèrent pas d'oeuvrer à une candidature commune à gauche du PS.

Sylvia Zappi
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / France
Des dérives constatées mais peu de plaintes déposées
MARSEILLE de notre envoyé spécial

 Q uatre jours après la reprise du travail au sein de la Société nationale Corse-méditerranée (SNCM), les regards se tournent désormais vers les éventuelles dérives qui auraient joué un rôle dans la déconfiture de l'entreprise.

Le secrétaire CGT du comité d'entreprise de la SNCM, Bernard Marty, a dénoncé, lundi 17 octobre, la publication le même jour dans Le Parisien d'articles accusant les marins et les syndicats de se partager une partie de l'argent des ventes à bord des navires de la compagnie maritime.

La direction de la SNCM, qui affiche un chiffre d'affaires annuel de 20 millions d'euros lié à la restauration, a déclaré lundi qu'elle "n'avait pas connaissance d'un tel système de détournement". Le Monde , de son côté, a eu connaissance de plusieurs dérives.

L'affaire du bar du Méditerranée. Quelques jours après une grève en avril 2005, des officiers navigants surprennent un caissier au bar du salon du navire Méditerranée se livrant à des opérations suspectes. Le salarié, délégué CGT du personnel, est également accusé par un passager. La direction ouvre une procédure de licenciement. Mais étant donné notamment le statut protégé du marin, l'inspection du travail réfute ce renvoi. La direction a déposé un recours auprès du ministère des transports pour faire appel de cette décision.

"Selon nos informations, dit-on à la préfecture de région de Marseille, il existe un noyau dur d'une trentaine de personnes, dont une grande partie travaille sur le Méditerranée, qui pose problème à la SNCM." "Nous ne souhaitons pas commenter ces faits", indique pour sa part, la SNCM.

"Lorsque j'étais à la tête de l'entreprise, se remémore un ancien patron de la compagnie, j'avais d'autres priorités que de faire la chasse à ce genre d'expédients mais j'ai tout de même dit aux syndicats que si le bar du salon du Méditerranée n'augmentait pas davantage ses recettes, je le fermais, ce qui a permis d'améliorer un peu les choses."

SARA, la filiale restauration rackettée. Le 26 octobre 1990, un attentat détruit, à Aubagne (Bouches-du-Rhône), la moitié des locaux de la Société aubagnaise de restauration et d'approvisionnement (SARA), filiale de restauration de la SNCM. L'opération est revendiquée par les nationalistes corses qui réclament son transfert sur l'île. L'enquête judiciaire met en évidence des soupçons de racket portant sur des marchandises.

Plusieurs affaires d'attentats commis sur le continent entre 1990 et 2002 ont permis, par ailleurs, de constater que des voitures et des armes appartenant à ces groupes clandestins transitent par les navires de la SNCM avec l'aide de complices travaillant à bord.

Enfin, sous la présidence d'Eric Giuily, entre 1992 et 1995, la direction a engagé une procédure de révocation de salariés de SARA qui étaient soupçonnés d'avoir détourné des stocks de nourriture et d'alcools. "Il ne s'agissait pas de personnels SNCM" , précise Jean-Paul Israël, secrétaire général des marins CGT de Marseille.

"L'ambiance qui règne au sein de la SNCM pèse lourdement sur le fonctionnement de la compagnie, explique M. Giuily. Son sureffectif, le manque de productivité, l'insuffisance de contrôle et ce climat de tension permanente rendent la SNCM ingérable et peuvent donner le sentiment qu'on vit sur la bête."

Trafics de marchandises. Les soupçons d'irrégularités sont régulièrement portés sur les lignes desservant le Maghreb. En 1994, une première affaire a conduit à la révocation d'un salarié du service de transit chargé de contrôler les camions et la facturation liée au poids de leur chargement. L'enquête interne avait démontré l'existence d'une sous-facturation et d'une contrepartie en liquide.

Sous la présidence de Pierre Vieu, entre 2000 et 2004, un salarié de la SNCM a été incarcéré dans le cadre d'une affaire de trafic de voiture entre l'Algérie et la France. Selon le parquet de Marseille, c'est l'un des rares dossiers ayant donné lieu à une procédure judiciaire.

Remèdes et contrôles. Depuis l'installation de caméras de surveillance sur les points de ventes de billets, l'actuelle direction de la SNCM a pu constater l'augmentation des recettes en liquide sans être en mesure d'affirmer qu'il y avait des détournements. Par ailleurs, le président Bruno Vergobbi, nommé en février 2004, a mis en place des contrôles d'huissier sur les ventes réalisées par les "duty free" à bord des navires effectuant les liaisons avec le Maghreb.

Enfin, la préfecture de police de Marseille effectue désormais des opérations Vigiport associant la police judiciaire, les CRS, les affaires maritimes, les douanes et les renseignements généraux. Créées pour lutter contre l'immigration clandestine, "ces opérations permettent aussi de réduire les effets de l'économie souterraine de la SNCM" , dit-on à la préfecture.

Jacques Follorou
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Sciences
L'intensité du laser fera jaillir la matière du vide
h_2_ill_659095_bio-einstein-headshot-64 Albert Einstein (1879-1955), auteur de la théorie de la relativité, Prix Nobel de physique en 1921. | AFP

 L a biographie de l'équation E = mc 2 est loin d'être complète. Laremarquable illustration qu'en donne le documentaire fiction diffusé par Arte le dimanche 16 octobre (Une biographie de l'équation E = mc2, de Gary Johnstone) pourrait connaître bientôt un nouveau chapitre passionnant. Au laboratoire d'optique appliquée (LOA), commun à l'Ecole nationale supérieure de techniques avancées (Ensta), à l'Ecole polytechnique et au CNRS, de Palaiseau (Essonne), Gérard Mourou se rapproche du moment où il pourra faire jaillir de la matière à partir du vide...

"Le vide est mère de toute matière" , lance-t-il avec une certaine jubilation. A l'état parfait, "il contient une quantité gigantesque de particules par cm3... et tout autant d'antiparticules" . D'où une somme nulle qui conduit à cette apparente absence de matière que nous nommons... le vide. De quoi contester la définition du dictionnaire pour lequel, depuis le XIVe siècle, ce dernier est un "espace qui n'est pas occupé par de la matière" . C'était compter sans l'antimatière et sans la célèbre formule E = mc 2, qu'Albert Einstein a déduit de la relativité restreinte il y a cent ans, en 1905.

Pourquoi inverser cette formule en produisant de la matière à partir du vide ? Pour Gérard Mourou, les applications iront de la création d'une nouvelle microélectronique relativiste à l'étude du Big Bang et à la possibilité de simuler des trous noirs. Ce qu'il nomme la "lumière extrême" permet de développer laprotonthérapie, capable d'attaquer des tumeurs sans détériorer les cellules environnantes, une "pharmacologie nucléaire" et la possibilité de contrôler la radioactivité d'un matériau avec un simple bouton. Sans parler de la fabrication d'accélérateurs extrêmement compacts pouvant concurrencer les gigantesques installations du CERN de Genève. La maîtrise de la lumière est donc loin d'avoir atteint ses limites. Le LOA travaille avec le laser, l'un des aboutissements les plus spectaculaires des découvertes qui ont valu à Albert d'Einstein le prix Nobel en 1921.

Gérard Mourou a joué un rôle majeur dans l'augmentation de la puissance de ce rayon de lumière cohérente obtenu pour la première fois en 1960. En 1985, il a mis au point une méthode baptisée chirped pulse amplification (CPA) (Le Monde du 8 juin 1990). "Du jour au lendemain, nous avons fabriqué une source qui tenait sur une table et dont l'intensité égalait celle d'installations de la taille d'un terrain de football" , explique Gérard Mourou.

VAGUE DÉFERLANTE

Les physiciens butaient depuis une vingtaine d'années sur l'apparition de phénomènes non linéaires aux intensités d'environ 1014 W/cm2 (W/cm2) qui dégradaient l'onde et provoquaient la destruction des solides dans lesquels naissaient les lasers. Gérard Mourou utilisait des sources produisant des impulsions très courtes (picoseconde, soit 10 ­ 12 seconde), dont l'une des caractéristiques était de contenir une large gamme de fréquences. "Pour résoudre le problème, avant d'amplifier l'impulsion, nous l'avons étirée en ordonnant les photons" , indique le chercheur qui, pour expliquer la CPA, utilise l'analogie d'un peloton de cyclistes face à un tunnel. Pour éviter un blocage lors d'un passage de front, il faut ralentir certains coureurs avant l'obstacle.

Gérard Mourou procède de même avec les fréquences. Après les avoir séparées, il impose des parcours différents à chaque couleur à l'aide d'un réseau de diffraction. Après l'amplication de chaque fréquence, il "suffit" de réaliser l'opération inverse afin de retrouver une impulsion au profil identique mais beaucoup plus intense. Avec la CPA, l'intensité s'est remise à grimper pour atteindre... 1022 W/cm2 aujourd'hui, 1024 W/cm2 en 2006.

"Jusqu'à une certaine valeur de l'intensité, la composante magnétique de l'onde incidente reste négligeable par rapport à sa composante électrique, explique Gérard Mourou. Mais à partir de 1018 W/cm2, elle exerce une pression sur l'électron." Ce dernier, jusque-là soumis à une simple "houle", se trouve soudain emporté par une vague déferlante qui l'entraîne jusqu'à lui faire atteindre sa propre vitesse, c'est-à-dire celle de la lumière. On entre alors dans l'optique non linéaire relativiste. Les électrons arrachés transforment leurs atomes en ions qui "tentent de retenir les électrons, ce qui crée un champ électrique continu, c'est-à-dire électrostatique, d'une intensité considérable" . On transforme ainsi le champ électrique alternatif de l'onde lumineuse incidente en champ électrique continu.

Ce phénomène "extraordinaire" engendre un champ titanesque de 2 teravolts par mètre (1012 V/m). "Le CERN sur un mètre..." , résume Gérard Mourou. A 1023 W/cm2, le champ électrostatique atteindra 0,6 petavolt par mètre (1015 V/m)...

A titre de comparaison, le Stanford Linear Accelerator Center (SLAC) accélère les particules jusqu'à 50 giga-électronvolts (GeV) sur 3 km. "En théorie, nous pourrons faire de même sur une distance de l'ordre du diamètre d'un cheveu" , assure le chercheur. En son temps, Enrico Fermi (1901-1954) estimait que, pour atteindre le petavolt, l'accélérateur devrait faire le tour de la Terre.

"Les électrons poussés par la lumière finissent par tirer les ions derrière eux", poursuit M. Mourou. Désormais, la barque entraîne son ancre. La lumière initiale a engendré un faisceau d'électrons et d'ions. Le LOA est parvenu à accélérer des électrons jusqu'à des énergies de 150 méga-électronvolts (MeV) sur des distances de quelques dizaines de microns. Il compte d'abord pousser jusqu'au GeV, et "beaucoup plus loin ensuite" .

MINI-BIG BANG

Parallèlement à ce développement qui pourrait, à terme, concurrencer les grands accélérateurs de particules, Gérard Mourou se dit très proche, toujours grâce aux énormes intensités lumineuses obtenues, de "claquer le vide" , c'est-à-dire de faire apparaître "quelque chose" là où il n'y avait rien en apparence. En réalité, il ne s'agit pas d'une opération magique mais, "simplement" , de faire apparaître ce qui était invisible. L'objectif théorique est une intensité de 1030 W/cm2. Pour obtenir cette valeur, les physiciens considèrent le vide comme un diélectrique, c'est-à-dire un isolant. De la même façon qu'une intensité trop forte fait "claquer" un condensateur, il est possible de "claquer le vide" . Mais que se passera-t-il alors ? Quelles particules étranges jailliront-elles du vide ? Là encore, le mystère est éventé. Il s'agira d'un couple électron-positron. Une particule et son antiparticule, qui sont les plus légères et donc celles qui, selon la formule d'Einstein, réclameront le moins d'énergie pour apparaître. Et ce minimum est également parfaitement connu : 1,022 MeV.

Ainsi, tout semble prêt pour que la matière fasse sa première apparition à partir du vide dans un laboratoire. Ce mini-Big Bang pourrait même se produire avant les 1030 W/cm2. M. Mourou pense qu'en faisant appel à des rayons X ou gamma, il serait possible de ramener ce seuil aux alentours de 1023 à 1024 W/cm2. Or c'est justement l'objectif du LOA pour les prochaines années.

Michel Alberganti
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Sciences
Un retour en France après 28 ans passés aux Etats-Unis

 G érard Mourou fait partie de ces chercheurs que le ministère de la recherche a réussi à convaincre de revenir travailler en France. "J'étais très bien dans le Michigan", note, tout de même, le nouveau directeur du laboratoire d'optique appliquée (LOA) installé dans les locaux de l'Ensta, à Palaiseau (Essonne). Toute sa carrière s'était, jusqu'au premier janvier 2005, déroulée dans les universités de Rochester, à partir de 1977, et du Michigan, à partir de 1984. Son retour en France a eu lieu dans le cadre des "chaires d'excellence" créées, en 2004, par le ministre délégué à la recherche de l'époque, François d'Aubert. Huit Français en ont bénéficié, dont Gérard Mourou, qui a obtenu une chaire de niveau 2, la mieux dotée.

Le chercheur a ainsi reçu un financement de 500 000 euros pour ses recherches sur trois ans, hors salaires. "La prise en charge des frais de déménagement n'était pas prévue mais a été finalement effectuée" , note-t-il en remarquant que la gestion de telles modalités ne pose pas de problème aux Etats-Unis. Pourquoi rentrer après si longtemps ? "Avec mon épouse, nous étions partis pour trois ans... Nous nous sentons toujours français, et l'Europe est attirante. Sans parler du challenge que représentent mes nouvelles fonctions" , répond-il. Pour ce qui est de l'épineux problème du salaire, qui crée souvent un obstacle insurmontable au retour en France, Gérard Mourou reconnaît qu'il a dû accepter une baisse de ses revenus.

Aux Etats-Unis, il gagnait 200 000 dollars par an (166 000 euros). Désormais, il doit se contenter de 130 000 euros, soit une baisse, après conversion des monnaies, d'environ 25 %. Preuve que l'attrait d'un retour en terre natale permet d'accepter un sacrifice important. "J'aime beaucoup le LOA , explique le physicien. Même si le travail administratif est plus compliqué en raison des trois tutelles du laboratoire." Mais il apprécie aussi le revers de la médaille. "Aux Etats-Unis, les structures sont plus simples mais plus rigides, et il est difficile de louvoyer..." Il semble donc que, même après un 28 ans d'absence, les vieux réflexes reviennent vite.

Michel Alberganti
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Sciences
Des souris mutantes pour mieux comprendre les maladies
MESTRE (Italie) de notre envoyé spécial

 L es responsables de la recherche scientifique de la Commission européenne ont annoncé, vendredi 14 octobre à Mestre (Italie), le lancement d'un nouveau programme destiné à créer des milliers de souris mutantes pour mieux comprendre la physiopathologie des maladies humaines. La Commission prolonge ainsi l'effort de financement communautaire des recherches sur la génétique de la souris (135 millions d'euros entre 2002 et 2005) et annonce un nouveau soutien, de 13 millions d'euros, qui sera poursuivi lors du 7e programme-cadre actuellement en cours de discussion.

Baptisé European Conditional Mouse Mutagenesis (Eucomm), ce programme se fonde sur le fait que les génomes humain et murin ont des structures identiques à 99 %. Il prend aussi en compte le fait que les entreprises internationales de séquençage des patrimoines génétiques des mammifères, si elles ont bien atteint les objectifs qu'elles s'étaient fixés, n'ont pas vraiment réussi à éclairer les fonctions des structures génétiques ainsi découvertes. Plus de la moitié des 20 000 à 25 000 gènes du génome humain ne sont pas aujourd'hui rattachés à une fonction précise.

Les manipulations du génome de la souris et la création d'animaux de laboratoire mutants pourraient, pensent les biologistes, permettre de progresser dans le décryptage du patrimoine génétique de notre espèce et de saisir ainsi les fondements de la physiologie et de la pathologie humaines. D'autant qu'on dispose aujourd'hui d'outils puissants.

Ainsi, depuis près de vingt ans, on a appris à maîtriser la technique d'inactivation de tel ou tel gène du patrimoine héréditaire de l'espèce murine, espèce plébiscitée par les généticiens alors que leurs confrères physiologistes avaient préalablement choisi le rat.

Cette technique dite du "knock-out", au vu des impasses auxquelles se sont heurtées les entreprises de séquençage, est apparue comme des fils d'Ariane dans ce labyrinthe moderne de la biologie moléculaire.

MUSCLES ET OREILLES

A cette nouvelle perspective se sont ajoutés les progrès réalisés quant à la maîtrise de la culture et de la conservation des lignées de cellules souches embryonnaires de la souris. Ils permettent, en effet, de décupler l'acquisition des connaissances en facilitant la création de souris porteuses de mutations et en multipliant, in vivo et in vitro, les possibilités d'études.

"Nous sommes persuadés, explique Jacques Remacle, responsable scientifique d'Eucomm, que nous pouvons dépasser les obstacles du réductionnisme générés par les premières découvertes des lois de la génétique, puis par les entreprises de décryptage des génomes des organismes vivants."

Concrètement, les recherches menées à partir de ces nouvelles techniques concerneront des maladies relatives aux tissus musculaires (sous la responsabilité de Krzysztof Jagla, unité 384 de l'Inserm), à la fonction rénale (Thomas E. Willnow, Centre Max-Delbrück de médecine moléculaire, Berlin) ou à la fonction auditive (Christine Petit, Inserm, Institut Pasteur de Paris), l'ensemble du dispositif étant coordonné par le docteur Wolfgang Wurst, directeur de l'Institut de développement des génétiques de Munich-Nuremberg.

"Certes, nous ne promettons pas de résultats à court terme, concède Jacques Remacle. Mais nous savons que nous inaugurons une entreprise qui, dans dix, vingt ou trente ans, apportera ses premiers fruits et, avec eux, la démonstration que nous avions, en 2005, raison de continuer à croire dans les vertus de la science biologique au service de la médecine".

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Société
La France, championne d'Europe en prescription de médicaments

 U ne petite irritation de la gorge, une première douleur au genou, et le patient français se retrouve souvent avec une prescription d'antibiotiques ou d'anti-inflammatoires. Et comme il n'a plus d'aspirine dans son armoire à pharmacie, le médecin accepte de rajouter une ligne supplémentaire sur l'ordonnance.

Des habitudes qui creusent les dépenses

Une étude de l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), publiée lundi 17 octobre, montre que ce sont "les comportements de prescription et non le nombre de produits pris en charge qui expliquent les écarts de dépenses entre les pays" . Ainsi, les vasodilatateurs ­ classés à service médical rendu (SMR) insuffisant ­ ont représenté, en 2002, un coût de 3 829 euros pour 1 000 habitants en France, contre 1 440 euros en Allemagne et 181 euros en Angleterre. Parmi les 37 molécules recensées dans cette classe de médicament, 16 sont prises en charge en France, 15 en Allemagne et 9 en Angleterre.

Quant aux benzodiazépines (utilisés pour les troubles du sommeil, l'angoisse et l'épilepsie) ­ dont l'offre est régulée dans tous les pays ­, leur remboursement a représenté, en 2002, plus de 2 600 euros pour 1 000 habitants en France, contre 1 200 euros en Allemagne, où la quasi-totalité de ces médicaments sont soumis au système des "prix de référence".

Avec 30 milliards d'euros de dépenses en 2004, la France demeure le premier pays prescripteur de médicaments en Europe. Pourquoi ? Parce que 90 % des consultations chez un médecin de ville se concluent par la délivrance d'une ordonnance contre 83 % en Espagne, 72 % en Allemagne et 43,2 % aux Pays-Bas. Ces chiffres, issus d'une enquête européenne réalisée par Ipsos-santé à la demande de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et rendue publique mardi 18 octobre, illustrent le fossé qui sépare la France de ses voisins dans la prescription médicamenteuse.

A l'heure où le gouvernement appelle les assurés sociaux et les professionnels de santé à un "changement de comportement" pour tenter de résorber le déficit de la Sécurité sociale, cette étude tombe à point nommé pour mesurer l'exception française en terme de dépenses pharmaceutiques. Une exception qui "n'a pas de fondement sanitaire et représente un enjeu pour la santé publique et pour la pérennité du système de soins", souligne la CNAM.

Réalisée auprès de 4 000 patients et 1 000 médecins dans quatre pays européens, l'enquête montre que les Français ne consultent guère plus que les autres (4,9 consultations en moyenne par an contre 5,2 en Allemagne et 3,2 aux Pays-Bas). En revanche, ils ne repartent quasiment jamais de chez leur médecin sans une liste de produits à acheter. Ainsi, dans les sept derniers jours, les personnes interrogées déclarent avoir pris, en moyenne, 1,6 médicament prescrit contre 1,2 en Allemagne et en Espagne et 0,9 aux Pays-Bas.

Si les médecins français concluent quasi systématiquement leurs consultations par le rituel de l'ordonnance, 46 % d'entre eux estiment qu'ils y sont contraints à cause de la "pression" exercée par les patients. 92 % des médecins ressentent "une attente de prescription" pour les troubles du sommeil, alors qu'ils ne sont que 27 % à estimer que ce problème nécessite forcément un médicament. Ce décalage entre les attentes supposées du patient et l'avis du professionnel se retrouve aussi pour le traitement du mal de dos ou celui des rhumes.

Pourtant, l'ordonnance est loin d'apparaître comme une évidence pour les assurés sociaux. Ainsi, 80 % des Français interrogés considèrent ­ à l'image de leurs voisins européens ­ qu'"une consultation ne doit pas forcément se terminer par la délivrance de médicaments" et ils sont autant à dire leur "confiance envers un praticien qui sait remplacer certains médicaments par des conseils utiles".

Finalement, tout se passe comme si la relation médecin-patient relevait d'un grand malentendu. Si les professionnels de santé parlent de "pression" en faveur de la prescription, les patients eux ne placent pas le médicament en tête de leurs attentes. Quand ils vont chez leur médecin, 78 % souhaitent "qu'il leur explique ce qu'ils ont" , 35 % attendant "des conseils" , 33 % "une écoute" et seulement 25 % "une ordonnance". Les médecins, de leur côté, privilégient le médicament aux conseils parce que 44 % d'entre eux pensent que "le patient ne suivra pas leurs conseils" et 34 % parce que "prescrire paraît le choix le plus prudent".

Ainsi, paradoxalement, dans un pays champion d'Europe de la prescription médicamenteuse, médecins et patients concèdent que celle-ci ne devrait pas être incontournable. Cet écart colossal entre ce qui est dit et ce qui est fait montre, selon les responsables de la CNAM, que "le système français de "l'ordonnance-reine" et de l'attente irrationnelle de médicaments paraît ouvert à des évolutions".

Comme elle l'a fait sur les antibiotiques, l'assurance maladie entend profiter des résultats de cette étude pour mener des campagnes sur le bon usage des médicaments auprès des assurés et des médecins. L'idée serait de "cibler" des spécialités ­ comme les psychotropes ou les statines ­ clairement surconsommées.

"Le moment pour inciter au changement est venu, d'autant plus qu'avec l'instauration du médecin traitant il sera plus facile pour le praticien d'engager un dialogue de fond avec ses patients", considère le professeur Hubert Allemand, médecin-conseil national de la CNAM. L'objectif est aussi de limiter le nombre de lignes sur les ordonnances. "Au-delà de trois médicaments prescrits, on ne sait plus ce que l'on fait, car il y a un risque de complications iatrogéniques -induites par les médicaments eux-mêmes-", souligne M. Allemand.

Les tables rondes organisées en septembre par la CNAM pour recueillir les réactions des médecins généralistes aux résultats de cette enquête montrent que l'organisation même du système de soins français pousse à la prescription. "Je suis formaté pour prescrire ", témoignait ainsi un généraliste lyonnais, qui regrettait que la formation des médecins soit centrée sur le curatif au détriment du préventif et du conseil.

"Nous sommes les distributeurs de l'industrie pharmaceutique" , ajoutait un praticien strasbourgeois, qui pointait la promotion omniprésente des laboratoires. Les médecins relèvent néanmoins que des affaires récentes, comme celle du Vioxx, ont amené les patients à s'interroger sur le rapport bénéfice-risque du médicament.

Des médecins mettent aussi en cause le système de rémunération à l'acte qui ne différencie pas la consultation "courante" pour une rhinopharyngite et celle, plus longue, pour un patient atteint d'une maladie chronique ou un grand dépressif. L'ordonnance est alors souvent un "outil" pour mettre un terme à la consultation. Pour le professeur Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), "il faut revaloriser l'acte médical, car il doit rester un acte intellectuel aidé par la technique et non l'inverse".

Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Société
"Changer le regard et le comportement" vis-à-vis des antibiotiques

 S i le slogan lancé en 2002 par l'assurance-maladie ­ "Les antibiotiques, c'est pas automatique" ­ a marqué les esprits, il n'a pas suffi à faire baisser de manière significative leur consommation. En trois ans, leur prescription en médecine de ville a diminué de 13 %, ce qui a permis d'éviter 11,6 millions de traitements inutiles. "Ces résultats sont encourageants, mais la surconsommation n'est pas enrayée pour autant" , indique les responsables de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM).

Afin d'atteindre une baisse de 25 % d'ici à 2007, "évalué comme un seuil clé pour commencer à agir efficacement sur le développement des résistances bactériennes et classer la France parmi les consommateurs moyens d'Europe", une nouvelle campagne de sensibilisation du grand public sur le bon usage des antibiotiques va être lancée le 22 octobre. Il s'agira cette fois de "combattre les idées reçues" et de donner des "repères" sur le mode d'action de ces médicaments.

Le baromètre annuel chargé de mesurer l'évolution des connaissances des Français sur l'antibiothérapie montre que 41 % des personnes interrogées ignorent toujours la différence entre bactéries et virus. Les spots télévisés rappelleront donc que les antibiotiques n'agissent que sur les infections bactériennes et qu'ils sont inefficaces face aux maladies virales courantes (grippe, rhinopharyngite, bronchite aiguë, etc.). Les spots radio expliqueront que les antibiotiques "ne permettent pas de guérir plus vite", "ne réduisent pas le risque de contagion" et "ne font pas baisser la fièvre".

Malgré une baisse de 14,8 % de la prescription chez les moins de 6 ans, "les enfants restent de gros consommateurs d'antibiotiques", indique le docteur Robert Cohen, pédiatre à l'hôpital intercommunal de Créteil. Si la résistance des pneumocoques à la pénicilline est passée de 50 % en 2001 à 41 % en 2003, "la mobilisation reste de mise au vu des pays du nord de l'Europe, où le pourcentage de résistance est inférieur à 5 %".

TEST DE DIAGNOSTIC

Les "six à huit épisodes infectieux par an chez le jeune enfant sont -souvent- bénins", rappelle le médecin. Pour les rhinopharyngites, les bronchites, les laryngites ou la grippe, "il n'y a pas lieu d'administrer d'antibiotiques". Ni pour la bronchiolite, dont le traitement doit se résumer à "un nettoyage du nez avec du sérum physiologique et à des séances de kinésithérapie respiratoire, si nécessaire, pour aider l'enfant à expectorer".

Seule l'angine, dans environ 20 % des cas, peut nécessiter une antibiothérapie. Pour savoir si elle est d'origine bactérienne, les médecins disposent d'un test de diagnostic rapide (TDR). C'est sans doute son utilisation qui a permis de diminuer de 26,1 % la prescription d'antibiotiques chez les 6-15 ans. "La prévalence de l'angine dans cette tranche d'âge constitue une cause fréquente de consultation", note la CNAM.

Face à ces premiers résultats, l'assurance-maladie estime que la campagne lancée depuis trois ans "démontre qu'il est possible de changer de regard et de comportement vis-à-vis d'un médicament".

Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Société
Trois questions à Sylvie Fainzang

 V ous êtes anthropologue, directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et membre du Centre de recherche médecine, sciences, santé et société (Cermes). Quel regard portez-vous sur l'enquête européenne qui montre une exception française dans la consommation de médicaments ?
Il faut pondérer ce constat. Le premier phénomène est celui de la surprescription ­ c'est-à-dire le comportement des médecins ­ avant l'attitude des patients. Lorsque les médecins parlent de la "pression" des patients, ils oublient celle exercée, en amont, par l'industrie pharmaceutique.
Le décalage entre les attentes des patients et la perception des médecins montre qu'un grand malentendu existe sur le terrain. Du côté des patients, on observe une sous-consommation liée au problème de l'observance : tous les médicaments achetés ne sont pas absorbés. Il existe un phénomène de stockage qui rassure et qui assimile symboliquement l'espace corporel et l'espace domestique. Les médicaments sont souvent placés dans un endroit accessible, les pommades au milieu des produits cosmétiques ou les antibiotiques à boire pour enfants sur le rayon des aliments quotidiens.

Dans votre ouvrage Médicaments et société (éditions PUF), vous faites un lien entre l'origine culturelle religieuse du patient et le rapport qu'il entretient avec son ordonnance...
A partir de plusieurs années d'observations, notamment au domicile des malades, j'ai constaté qu'il y avait ­ au-delà du milieu social ­ des consommations et des pratiques différentes suivant les origines religieuses. Chez les catholiques et chez les musulmans, l'écrit ­ l'ordonnance ­ est sacralisé. On ne cherche pas à revenir sur une prescription qui émane de l'autorité médicale. Les protestants, en revanche, sont plus enclins à l'automédication, dans une volonté plus grande de se prendre en charge. Dans la religion juive, une chose écrite n'empêche pas que l'on puisse l'interroger, bien au contraire.

Comment agir sur la consommation médicamenteuse en France ?
Il faut avant tout développer l'information des patients. La campagne engagée par l'assurance-maladie pour limiter l'utilisation des antibiotiques a eu des effets positifs sur le niveau de consommation. Les patients ont compris le message. Toutefois, ils ont souvent tendance à ne pas respecter la durée du traitement prescrit par leur médecin et à l'interrompre dès qu'ils vont mieux. Pour changer les comportements, il ne faut pas délivrer une information minimale mais former les patients, leur donner un savoir.

Propos recueillis par Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Société
Aux Pays-Bas, un "assistant de triage" précède le médecin
BRUXELLES de notre correspondant

 E n 1998, les Néerlandais ont créé une nouvelle fonction, généralisée en 2001, pour pallier l'une des nombreuses carences de leur système de santé : l'"assistant de triage". Face au manque de médecins généralistes, notamment le soir et les week-ends, les pouvoirs publics ont imaginé d'orienter les appels téléphoniques vers des "postes de médecin de famille", où ils sont interrogés par les assistants.

Ces professionnels de la santé, souvent des infirmiers ou des soignants qui ont suivi une formation complémentaire, évaluent la demande des patients avant de la relayer, ou non, auprès d'un médecin. Le système a apparemment allégé la charge de travail des praticiens. Il aurait aussi contribué à limiter les dépenses de santé et la consommation de médicaments.

Le ministère de la santé a mis au point un guide reprenant les recommandations à formuler dans 57 cas, lesquels représenteraient 80 % des demandes formulées auprès des 100 postes de médecin de famille du royaume. Près de 7 000 médecins y sont affiliés, soit neuf généralistes néerlandais sur dix.

Pour un refroidissement ou un mal de dos, pour un enfant qui a mal au ventre ou aux oreilles, l'assistant conseillera un médicament d'usage courant. Dans 45 % des cas, cette intervention suffira. Sinon, un médecin sera informé, qui fixera un rendez-vous ou se rendra au domicile du malade. Si une personne appelle deux fois le poste, on lui enverra immédiatement un docteur. Dans les deux heures au plus tard, un médecin devra avaliser tous les choix effectués par les assistants.

Chaque poste est doté de "méditaxis", des voitures équipées d'un fax, d'un système de navigation, d'un défibrillateur, d'un masque à oxygène, etc. Un chauffeur capable de prodiguer les premiers soins accompagne le généraliste pour faciliter son travail et l'aider dans les cas les plus lourds.

DÉBUTS DIFFICILES

La mise en place du système n'a pas été simple, les patients ont souvent peiné à joindre les postes et avaient le sentiment d'être traités de manière impersonnelle. Croyant avoir affaire à de simples téléphonistes, certains se montraient très agressifs, invoquant leur liberté d'être soignés comme ils l'entendaient.

Au bout d'un an, des spécialistes du secteur ont plaidé pour une évaluation du système, et la Fédération néerlandaise des patients et des consommateurs a évoqué les nombreuses plaintes qui lui parvenaient, notamment au sujet de l'éloignement entre le domicile des malades et le cabinet du médecin. En deux ans d'expérience, une vingtaine d'erreurs graves de diagnostic avaient, en outre, été recensées.

La situation s'est, selon les pouvoirs publics, fortement améliorée, et le système du "triage" est entré dans les moeurs.

Les spécialistes de la santé plaident, quant à eux, pour qu'un dossier électronique reprenant le passé médical des patients soit accessible aux assistants, ce qui permettrait d'éviter certaines erreurs. Le système a sans doute engendré des bénéfices, mais il coûte aussi de l'argent : en 2003, le ministre de la santé a voulu réduire de 20 millions le budget du "triage", démontrant ainsi qu'il n'était sans doute pas la panacée.

Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Société
Les ufologues ont la nostalgie de l'âge d'or des ovnis
CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE (Marne) de notre envoyé spécial

 S ur les murs des stands, on a affiché des photographies de soucoupes volantes un peu floues, souvent en noir et blanc. Sur les étals, on a disposé des DVD ou des livres censés prouver leur existence. Des posters décrivent les "petits gris" ou les "petits hommes verts", ces extraterrestres débarqués sur Terre et que de rares humains disent avoir rencontrés. Plus loin, des conférenciers racontent cinquante ans de chasse aux objets volants non identifiés (ovnis). Bienvenue dans la nébuleuse des ufologues, ces chasseurs d'UFO (Unidentified Flying Objects ), réunis du 14 au 16 octobre, à Châlons-en-Champagne (Marne) pour leurs premières Rencontres européennes.

Le CNES réactive son service de surveillance

Le Centre national d'études spatiales (CNES) a annoncé, le 28 septembre, qu'il réactivait son service chargé de suivre les "phénomènes aérospatiaux non identifiés". Créé en 1977, le groupe d'études interne au CNES avait été mis en sommeil en 2000, en raison de critiques mettant en cause le sérieux de son travail. Depuis 1951, le CNES a recensé quelque 3 000 "phénomènes aérospatiaux non identifiés" en France, à partir de témoignages enregistrés par la gendarmerie ou la police. Dans 55 % des cas, une explication certaine ou quasi certaine a été trouvée (météorite, satellite, phénomène physique, etc.). Pour 35 %, les données n'étaient pas exploitables. Enfin, pour 10 % de ces événements, aucune explication scientifique n'a pu être apportée. L'activité du CNES dans ce domaine sera désormais encadrée par un comité de pilotage présidé par Yves Sillard, ancien directeur du CNES.

On est venu d'un peu partout en France, et même d'Europe, pour cet événement. Des éditeurs de revues spécialisées, des associations d'"enquêteurs officiels", des animateurs de "repas ufologiques", des témoins du passage d'ovnis, des hommes enlevés par des extraterrestres... Ces quelques centaines d'amateurs, surtout des hommes, souvent à la retraite, représentent le noyau dur de l'ufologie, ce qui reste d'années de déclin, depuis la fin de l'âge d'or des années 1950 à 1980, quand télévisions et radios multipliaient les émissions sur le sujet, avec le journaliste Jean-Claude Bourret comme principal relais d'information.

"L'ufologie n'a jamais été aussi mal", se désole Ludovic Le Bihan, professeur de dessin et surtout "enquêteur" capable de passer des journées à recueillir des témoignages. La revue Lumières dans la nuit , qui fait référence en France depuis 1958, a vu le nombre de ses lecteurs passer de 5 000 abonnés à 850 aujourd'hui. La diffusion des livres a aussi chuté. "A l'époque, on pouvait vendre 10 000 exemplaires pour un bon livre. Maintenant, c'est plutôt 1 000 exemplaires", note Gérard Lebat, animateur des Repas ufologiques de Paris.

Les explications de cette désaffection paraissent nombreuses. Certains y voient la conséquence de films et de séries télévisées comme "X-Files", qui incitent l'opinion à considérer ces événements sous le seul angle de la fiction. D'autres estiment que ce sont les "délires" des ufologues les plus extrêmes, notamment ceux qui affirment avoir été enlevés, qui ont brouillé l'image du mouvement.

L'affaire de la fausse autopsie d'un extraterrestre, diffusée par Jacques Pradel sur TF1 en 1995, reste en travers de la gorge de certains. Gilles Pinon, un contre-amiral à la retraite, reconnaît qu'il s'agissait d'une escroquerie. Mais il y voit, comme beaucoup, la preuve d'une manipulation visant à décrédibiliser... les ufologues. "La conséquence est que les médias ne s'intéressent plus aux ovnis, alors qu'il s'agit d'un sujet grave" , regrette le contre-amiral, ufologue depuis l'âge de 12 ans.

5 NOVEMBRE 1990

De fait, le nombre d'observations a chuté depuis les années 1980. Les ufologues s'accrochent aux derniers épisodes ­ comme ces "300 à 400 ovnis" observés au-dessus de la France, le 5 novembre 1990. Les autorités françaises sont certaines qu'il s'agissait de la rentrée dans l'atmosphère d'un étage d'une fusée soviétique Proton. Pas les ufologues. "C'était une vague d'ovnis, un événement considérable, mais il y a eu un black-out", croit savoir Jacques Garnier, 48 ans, agent à France Télécom, tombé dans l'ufologie il y a trente-trois ans.

La nostalgie n'empêche pas un travail acharné. Les amateurs d'ovnis se sont emparés d'Internet, multipliant les sites. Des "enquêteurs" ­ à Châlons, ils étaient reconnaissables à leur appareil photo ou leur Caméscope ­ collectent toujours des témoignages. Sur place, ils font des relevés et de patientes reconstitutions. "Je pourrais vous parler pendant des heures du 5 novembre 1990 et de tous les témoignages", affirme ainsi Joël Mesnard, le seul ufologue professionnel en France, qui vit de la diffusion de Lumières dans la nuit .

Des ufologues font aussi des veillées nocturnes pour apercevoir des ovnis. Depuis 1994, Pierre Beake, 48 ans, et ses amis retournent de 130 à 140 fois par an au col de Vence, où le journaliste dit avoir aperçu un gigantesque objet volant. "J'en ai revu d'autres en 1996, 1998 et 1999" , affirme-t-il. Depuis, le site du col de Vence est devenu légendaire dans le petit monde de l'ufologie, au point de susciter une concurrence entre plusieurs groupes.

Car, si l'on partage les mêmes loisirs, on se déteste aussi cordialement. Les chapelles sont nombreuses. Quelques-uns, minoritaires, croient aux ovnis mais pas aux extraterrestres ­ on les appelle des "sceptiques" et une partie des scientifiques reconnaît leur sérieux. D'autres privilégient l'existence d'un monde parallèle, avec parfois une vision mystique. Les "lunatiques", de leur côté, sont convaincus d'avoir été enlevés par des extraterrestres. Des sectes ­ comme Raël, absente à Châlons ­ proposent d'autres interprétations.

Dans ce contexte maussade, les ufologues explorent de nouvelles pistes. Il y a les crop circles , ces formes géométriques observées dans des champs de blé qui suscitent la curiosité... bient qu'elles soient parfois l'oeuvre d'agriculteurs facétieux. Il y a aussi les catastrophes. Le 11 septembre 2001 donne lieu à des débats sur les hypothèses "alternatives". Un groupe suggère que le tsunami de décembre 2004 en Asie ne résulterait pas d'un phénomène naturel mais d'un complot mené ­ c'est un peu flou ­ par des extraterrestres et la CIA. Un conférencier surfe, lui, sur la mode du Da Vinci Code : il propose de repérer les "ovnis codés" dans l'oeuvre de Léonard de Vinci.

Luc Bronner
Article paru dans l'édition du 19.10.05

En complément, un article un peu ancien sur la question


Le Monde / Horizons
6/6 Les aventures du faux
Roswell, l'impossible rumeur, par Michel Braudeau

Roswell, l’impossible rumeur | Illustration de Stanislas Bouvier
Roswell, l'impossible rumeur – Illustration de Stanislas Bouvier

 E n toute logique, le bien et le mal sont comme l'avers et le revers d'une même pièce, indissociables. On ne peut penser l'un sans l'autre, et le vrai suppose le faux. Ces catégories philosophiques, rudement ébranlées par Nietzsche, furent de moins en moins étanches avec les apports révolutionnaires de Max Planck et d'Albert Einstein, en 1900 et 1920, dont le bouleversement s'est propagé bien au-delà de la physique. Après eux, la science entre dans l'ère du relatif, n'énonce plus de certitudes éternelles. Elle procède par approximation sans prétendre atteindre à l'ultime Vérité, dont un Einstein laissait le fin mot à Dieu. Jamais autant qu'au XXe siècle la science n'aura été si entreprenante, à la fois ambitieuse et sceptique.

Dans le même temps sont nées des inventions qui, au début, ont entretenu un rapport équivoque avec la vérité. La photo (qui voit le jour en 1826 mais ne s'intègre à la vie quotidienne des familles que plus tard) fut d'abord censée restituer l'image du réel, sans intervention du photographe. L'objectif optique de l'appareil est a priori neutre, mécanique et l'on sait ce que finira par recouvrir ce mot et son dérivé, l'"objectivité" : l'impossible impartialité de l'observateur, ethnologue ou journaliste. Il ne fallut pas longtemps pour s'apercevoir que la photo n'était pas un thermomètre, un instrument d'enregistrement passif, et qu'elle témoignait également des intentions et du désir du photographe. L'état de grâce "objective" fut encore plus bref au cinéma. La projection inaugurale des frères Lumière au Grand Café eut lieu le 28 décembre 1895. Un an après, Georges Méliès réalisait ses premiers films à trucages, dévoilant l'infini des ressources fantasmagoriques du cinéma.

Notre regard sur la réalité a changé, on l'a dit. Sous la pression croissante du nombre des photos dans notre environnement, et parce que nous avons cédé à leur délectable puissance de persuasion. Nous en avons perdu la maîtrise, confondant le visible et le réel, le beau et le vrai, incapables de démêler le vrai du faux. Traquenard subtil : la responsabilité du piège n'est pas du côté de l'outil, mais de l'esprit qui l'a conçu, de l'oeil qui s'en sert et simultanément s'y désoriente. Car ni la photo ni le cinéma ne nous ont d'eux-mêmes abusés ; au contraire, ils n'ont cessé de revendiquer leur pouvoir d'illusion et d'en tirer profit.

Le remodelage des photos et les trucages au cinéma sont apparus très tôt, dès les premiers pas des caméras artisanales, le faux talonnant le vrai, comme toujours ; ils ont ensuite accompagné le prodigieux développement de leur industrie et s'en sont approprié les progrès techniques. Chacun peut transfigurer totalement une photo sur un ordinateur. Au cinéma, les successeurs de Méliès jouissent d'une gamme illimitée de trucages.

Les métamorphoses de Terminator II sont "fausses", mais le spectateur le sait. Avec son billet, il achète un mirage et l'escroquerie serait de ne le faire miroiter qu'à demi. Un faux consenti n'en est plus un. Matrix appartient, comme les Martiens de Welles (l'effet de surprise en moins), au registre honnête du faux ludique.

Il arrive pourtant ­ toute image se doublant d'une déception ­ que notre regard vacille à l'imprévu, que notre jugement trébuche, quand la frontière même du consentement est indéfinie. En 1950, Robert Doisneau, le Prévert de la photographie, saisit un jeune couple en train de s'embrasser dans la rue. L'image est tendre, naturelle, belle comme un baiser volé. Le Baiser de l'Hôtel de Ville fait le tour du monde. Pendant des années, elle passe pour une icône de l'instantané, jusqu'à ce qu'on apprenne que ce baiser, loin d'avoir été pris sur le vif, fut posé par deux acteurs. Pour certains, la "poésie" s'évapore aussitôt du chef-d'oeuvre (pas pour tous, un tirage original s'est vendu 155 000 euros aux enchères en avril 2005). Le négatif n'a pas été retouché, " le baiser était vrai ", a dit l'héroïne jadis embrassée. Peut-être, mais nous avons été dupés ; cet arrangement, sans tomber sous le coup de la loi, constitue une sorte de faux artistique. Un faux sentimental, un malaise.

Bien que prévenus des erreurs que véhiculent les photos, leur séduction est telle qu'une forme fossile de foi primitive subsiste en nous. Nous voudrions encore y croire. Comme des singes cherchant à attraper de la main leur reflet derrière le miroir, nous nous entêtons à penser qu'elles représentent fidèlement le monde réel, alors même qu'elles l'ont tué.

Une photo n'est en soi ni vraie ni fausse. Juste une photo. Avec les faussaires surgit la question de l'authenticité : on ne parle plus de faux bénins, "artistiques", mais de photos savamment truquées et avancées comme authentiques. Leurs conséquences sont évidemment plus lourdes : en politique, ces photos visent tantôt à tromper le camp adverse, tantôt le sien en réécrivant son passé collectif. On ne s'étendra pas sur le cas bien connu des photos officielles soviétiques ou chinoises dont on a effacé les silhouettes de personnalités désormais vouées aux gémonies, Trotski ou Kamenev, au gré des revirements de la ligne du Parti, comme si elles n'avaient jamais vécu.

Les photos truquées les plus nocives et florissantes poussent dans les serres de la propagande qui puise en elles des armes efficaces, et leur meilleure saison est celle de la guerre. Les exemples sont légion et on n'en citera que deux, encore récents : en Roumanie, les corps non inhumés d'un charnier de Timisoara furent filmés comme les cadavres des victimes de la répression, un faux qui contribua à précipiter la liquidation du régime Ceausescu en 1989.

Quand les troupes irakiennes envahirent le Koweït en août 1990, le bruit se répandit que les soldats de Saddam Hussein avaient coupé l'alimentation en oxygène des couveuses dans les maternités. A la télévision, une étudiante koweïtienne, Layra, raconta en larmes la mort par asphyxie de vingt-deux prématurés. Le président George Bush, heureux papa de W, s'indigna du sort affreux des bébés. Le pourcentage des Américains favorables à une intervention au Koweït s'éleva à 90 %. Une enquête prouva plus tard que l'agence de relations publiques Hill Knowlton avait reçu 10 millions de dollars du Koweït pour monter ce reportage et que Layra était la fille de l'ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis.

Est-il si étonnant que d'aucuns doutent encore qu'on ait marché sur la Lune et soutiennent que les photos du 21 juillet 1969 ont été prises en studio par la NASA ? Sur un mur de l'hôtel Holiday Inn de Sarajevo, on a pu lire ces mots : " La vérité est la première victime de la guerre ."

La fameuse énigme de Roswell explosa néanmoins en temps de paix. En 1947, le fermier Brazel vit un gros engin ressemblant à un disque s'écraser dans son champ, près de Roswell (Nouveau-Mexique). Les "ovnis" (objets volants non identifiés) faisaient alors fureur. L'armée prit aussitôt le contrôle des investigations et boucla le sanctuaire. Comme elle mit quinze ans avant de rendre ses conclusions, les plus folles suppositions bouillonnèrent à loisir sous les crânes de tous et la presse fit ses choux gras du silence interminable des inspecteurs. S'agissait-il d'un véritable ovni, d'un missile russe égaré par la vodka ou d'une expérience secrète américaine ratée ?

On publia des photos spectaculaires de l'autopsie d'un "extraterrestre" filiforme. Les tenants rationnels de la bavure dissimulée s'affrontèrent aux sympathisants de l'extraterrestre, et malgré la publication du rapport de l'armée, assez cafouilleux il faut le dire, les uns et les autres continuent aujourd'hui encore de ferrailler autour de cette photographie. Après cinquante-huit ans, la rumeur de Roswell court toujours, sans queue ni tête, ni solution. Le poisson ne sera jamais noyé. Si la créature de Roswell ne fut qu'un trucage, ses auteurs et leurs mobiles demeurent inconnus. Et si ce n'en fut pas un... Ce faux parfait ouvre un abîme en nous.

Pour introduire le faux en Histoire, la photo n'est d'ailleurs pas nécessaire. Le journal télévisé y suffit, la fonction du présentateur, d'après l'historien Marc Ferro, étant "d'informer sans être informé lui-même de l'information ", donc à peu près libre, au nom de l'urgence, de répéter n'importe quoi pourvu qu'on l'ait dit avant lui, et d'attiser les peurs en vogue dans l'opinion. Les "informations" alarmantes sur la présence d'armes de destruction massive en Irak se sont propagées en l'absence de toute photo. Et pour cause. On n'a trouvé que des hangars désertés, des camions vides, jusqu'à ce que la fiction s'écroule, sans nuire aux faussaires ni gêner la réélection d'un Tony Blair (c'est ainsi l'esprit critique des démocraties qui a été massivement détruit). Le canular martien de Welles, lui, n'avait duré qu'une heure.

Il n'y a pas une Histoire ­ ni une Vérité ­, plutôt des histoires, sous-tendues par des idéologies, mais tout en faisant la part de cette relativité, nul ne peut nier que notre perception des événements politiques ait été maintes fois torpillée par des faux, des images trafiquées ou des textes apocryphes. Il ne s'agit pas ici de savoir si un vénérable Evangile conservé dans une bibliothèque dit la vérité sur les actes de Jésus (le contenu), mais si l'objet lui-même (le contenant) est contrefait ou authentique. En 1995, on a contesté la véracité des faits rapportés par Marco Polo dans son Devisement du monde . Marco Polo ne serait pas allé plus loin que Constantinople. Qui sait ? Le Vénitien fut peut-être un faussaire, mais son livre est de lui et n'est pas un faux.

A l'inverse, les Poèmes d'Ossian , découverts en 1760, attribués à un barde gaélique du IIIe siècle, qui firent la fortune de leur auteur, James Macpherson, sont des faux, plus brillants que les messages loufoques de Cléopâtre à César rédigés en vieux français par Vrain-Lucas, mais ressortissant au même tonneau. De tels faux trichent avec l'Histoire de manière non ludique, sans lui faire trop de mal. On ne rit plus, en revanche, lorsqu'un journaliste confectionne de faux "journaux intimes" de Hitler et que l'hebdomadaire Stern en publie les bonnes feuilles. Les patrons de Stern durent démissionner et le faussaire fut condamné à 10 millions de marks d'amende. Hitler n'est pas un sujet de plaisanterie.

Une imposture plus grave fut commise avec les Protocoles des Sages de Sion , un faux réalisé en France à l'initiative de la police secrète tsariste, en 1901, alors que l'antisémitisme était virulent en Russie et la France déchirée par l'affaire Dreyfus. Les Protocoles décryptent en 24 conférences le dispositif confidentiel d'un complot ourdi par les juifs (les Sages de Sion) pour s'emparer du monde. Inspirés d'un pamphlet antisémite français de Maurice Joly paru en 1864, les Protocoles furent dénoncés comme un faux à plusieurs reprises, dès 1921 par le Times de Londres, mais en vain. L'ouvrage, traduit dans des centaines de langues, se vendit par millions.

Bréviaire des nazis, il connut une éclipse après la seconde guerre, et repartit de plus belle ensuite dans la plupart des milieux antisionistes, européens, soviétiques ou arabes. Il alimente maintenant quantité de courants judéophobes, des antisémites de base aux acrobates antijuifs par antiracisme, et prospère auprès des négationnistes. Peu importe à ses lecteurs qu'il soit un faux, dans la mesure où il apporte de l'eau à leur moulin. Son influence s'exercerait, selon certains, jusque chez les moins antisémites, à leur insu. Le succès phénoménal de romans médiocres en serait la preuve, le Da Vinci Code pour n'en prendre qu'un, dont le moteur principal repose sur le fantasme d'une organisation clandestine à l'échelle planétaire, d'une secte instruite de ce qui nous est caché, d'une société secrète nous manipulant, dont ce roman se fait fort de nous dévoiler les agents mystérieux. Ce ne sont pas les juifs des Protocoles , certes, ni des francs-maçons, mais cela y ressemble. La saveur d'une conspiration démasquée est la même.

La grande force des Protocoles est d'affirmer l'existence d'un complot qui expliquerait tout. Dans une époque de simulacres, beaucoup préfèrent la thèse du complot à une réalité dont le sens leur échappe. Le soupçon généralisé engendre la paranoïa. Et c'est en cela que le faux, ludique ou criminel, est finalement immoral. Parce qu'il nous vole l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes et du monde.

Michel Braudeau
Article paru dans l'édition du 17.07.05


Le Monde / Europe
La gauche et les Bavarois guettent le moindre faux pas d'Angela Merkel
BERLIN de nos envoyés spéciaux

 L es trois partis membres de la future "grande coalition" qui doit diriger l'Allemagne, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et son aile bavaroise, l'Union chrétienne-sociale (CSU) à droite, le Parti social-démocrate (SPD) à gauche, ont débuté, lundi 17 octobre à Berlin, le marathon qui doit leur permettre de trouver un accord sur un programme de gouvernement. La date butoir a été fixée au 12 novembre par la présidente de la CDU, Angela Merkel. Elle a été désignée pour devenir chancelière en contrepartie d'un accord qui donne au SPD la moitié des portefeuilles du gouvernement, soit huit au total, dont les trois ministères-clés du travail et des affaires sociales, des finances et des affaires étrangères.

Le prix de la courte victoire d'un point remportée par la CDU/CSU sur le SPD lors des élections législatives du 18 septembre est lourd pour la future chancelière. Celle-ci est très seule pour gérer une coalition où elle compte plus d'ennemis que d'amis. Le moindre faux pas verrait son autorité remise en cause. Il lui faudra l'habileté manoeuvrière qu'on lui reconnaît à Berlin pour s'affirmer à la tête du pays.

Les couleuvres que ses alliés bavarois lui ont fait avaler en disent plus long que les concessions qu'elle a dû faire à la gauche. En fait, Angela Merkel dirige une coalition non pas à deux, gauche-droite, mais à trois. Candidat malheureux à la chancellerie aux élections de 2002, le ministre-président de Bavière et président de la CSU, Edmund Stoiber, a démontré, depuis le scrutin de septembre, qu'il entendait préserver sa propre marge de manoeuvre au sein du gouvernement. Résultat : l'annonce, lundi, des noms des ministres qui occuperaient les portefeuilles réservés à la droite a fait l'objet jusqu'au dernier moment d'une épreuve de force entre ses deux dirigeants.

M. Stoiber a imposé finalement à la tête du ministère de l'agriculture une personnalité bavaroise, Horst Seehofer, qui s'était vivement opposé, avant les élections, aux projets de réforme de la santé élaborés par la CDU. Mme Merkel avait pourtant tout fait pour éviter de l'avoir dans son équipe. La Frankfurter Allgemeine Zeitung , proche de la droite, a ironisé en parlant des deux Bavarois comme des "neuvième et dixième sociaux-démocrates dans le cabinet" . M. Stoiber, qui a refusé les finances, s'est réservé un portefeuille sur mesure, celui de l'économie, élargi aux technologies et comprenant des compétences européennes, notamment en matière industrielle.

Outre la chancelière, la CDU disposera de cinq ministères. Mme Merkel a fait venir auprès d'elle, comme chef de la chancellerie, chargé de la coordination du gouvernement, le ministre de l'intérieur de Saxe, Thomas de Maizière, un bon gestionnaire qu'elle connaît de longue date. Elle a également appelé, à un poste qu'il a déjà occupé, celui de l'intérieur, Wolfgang Schäuble, ex-dauphin de Helmut Kohl, dont la chute lui avait permis d'accéder à la présidence de la CDU en 2000.

Pour compléter son équipe, Mme Merkel a nommé deux femmes, Annette Schavan, ministre du Land de Bade-Wurtemberg, à l'enseignement et la formation, et Ursula von der Leyen, ministre de Basse-Saxe, à la famille. Franz Josef Jung, nommé à la défense, est le bras droit du ministre-président de Hesse, Roland Koch. Les patrons CDU des Länder, eux, sont restés en réserve.

Ainsi flanquée, la future chancelière, qui s'est vu reprocher d'avoir effrayé les électeurs avec des idées trop libérales, devra mettre beaucoup d'eau dans son vin au cours des négociations programmatiques. Les deux camps ont amorcé les discussions, lundi soir, au siège du SPD, en abordant d'emblée les mesures à prendre pour résorber le déficit budgétaire. Le Bundestag siégeait pour la première fois de la législature, mardi, et devait élire son président, sans doute Norbert Lammert (CDU).

Henri de Bresson et Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Europe
Europe : Mme Merkel devra composer avec l'ex-bras droit de M. Schröder devenu ministre des affaires étrangères
BERLIN de notre envoyé spécial

 L a politique européenne de l'Allemagne avait été largement reprise en main par le chancelier Gerhard Schröder dès l'issue de son premier mandat, marquée par la volonté de surmonter les tensions apparues dans les relations franco-allemandes et le lancement de la Convention chargée d'élaborer le projet de Constitution européenne.

Dès la réélection de la coalition SPD-Verts, en octobre 2002, la décision est prise de constituer à la chancellerie une direction chargée des affaires européennes. Celle-ci n'enlève pas au ministère des affaires étrangères son rôle de coordination ministérielle et de négociateur, mais elle fixe dorénavant, avec le chancelier, les grandes lignes et donne les impulsions. Le Vert Joschka Fischer, vice-chancelier et chef de la diplomatie, qui s'était fait remarquer en mai 2000 en lançant, dans un discours à Berlin, l'idée d'une Constitution européenne, joue désormais un rôle moins important. La crise irakienne, qui voit Jacques Chirac et Gerhard Schröder s'opposer à Tony Blair et José Maria Aznar, début 2003, accentue le phénomène.

Angela Merkel, lorsqu'elle sera à la chancellerie, devrait elle aussi revendiquer un rôle moteur dans les affaires européennes. Elle s'inscrit dans la tradition de l'Union chrétienne-démocrate, qui a longtemps porté le flambeau européen en Allemagne, et que le dernier chancelier CDU Helmut Kohl, son mentor en politique, a fortement incarnée, garantissant que l'unification allemande de 1990 s'inscrive dans le cadre de l'unification européenne.

Mme Merkel devra manoeuvrer serré dans les négociations de la coalition pour conserver cette maîtrise. Si la chancelière ne peut se voir contester son rôle de représenter l'Allemagne dans les conseils européens, le nouveau ministre des affaires étrangères, le social-démocrate Frank-Walter Steinmeier, tentera de garder son mot à dire au nom de l'héritage de Gerhard Schröder, aux côtés duquel il a été associé pendant sept ans, comme chef de la chancellerie, à toutes les grandes décisions.

Le principal dossier sur lequel se sont affrontés dernièrement la CDU et le SPD, l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, est moins d'actualité, la décision d'ouvrir les négociations ayant été prise début octobre. Mais il reste des questions délicates, comme l'équilibre des relations entre les Etats-Unis et l'Europe, l'adaptation de l'Union à la mondialisation (processus de Lisbonne, directive services), le respect des règles d'équilibre budgétaire de la zone euro.

Avec M. Steinmeier, mais aussi avec le futur ministre des finances, Peer Steinbrück, le SPD aura deux voix de poids au chapitre. Mais la chancelière devra aussi compter, dans son propre camp, avec l'influence de son ministre de l'intérieur, Wolfgang Schäuble, qui a été ces dernières années la voix de la CDU en Europe, et les ambitions de l'actuel ministre-président de Bavière, Edmund Stoiber. Chargé du portefeuille de l'économie et des technologies, M. Stoiber entend garder la maîtrise des dossiers concernant les politiques industrielles et de recherche européennes.

Henri de Bresson
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Europe
Le SPD se met en première ligne en choisissant les ministères chargés de réformer l'Etat-providence
BERLIN de notre correspondant

 I ls sont assis de part et d'autre d'une table en bois clair longue de 18 mètres. D'un côté, les négociateurs de la droite, de l'autre ceux du Parti social-démocrate (SPD). Ils sont 18 de chaque côté, en comptant Angela Merkel, la future chancelière, et Gerhard Schröder, qui s'apprête à lui céder son siège à la tête du pays. C'est dans une salle située au 5e étage du quartier général du SPD à Berlin que la première séance des négociations destinées à former une "grande coalition" s'est ouverte, lundi 17 octobre. Du côté des sociaux-démocrates siègent les futurs ministres des finances, du travail et des affaires sociales, et de la santé : ce trio sera en grande partie responsable des dossiers sur lesquels sera jugée la capacité du futur gouvernement à réformer le pays. En obtenant ces portefeuilles auprès de ses nouveaux partenaires démocrates-chrétiens, le parti au pouvoir depuis 1998 a démontré qu'il ne voulait pas abandonner ce qu'il avait entrepris sous Gerhard Schröder. Il a aussi placé la barre très haut, puisqu'un échec du cabinet Merkel sur ces dossiers prépondérants risquerait de lui être grandement imputé. Certains, au sein du SPD, s'en inquiètent.

Les finances, dont s'occupera Peer Steinbrück, se sont trouvées d'emblée au coeur des négociations. Le temps presse. Pour la quatrième année consécutive, le déficit budgétaire allemand va excéder, en 2005, ce qui est toléré par Bruxelles. Même si la Commission européenne semble disposée à attendre jusqu'en 2006 avant de sanctionner Berlin, le pays ne coupera pas à un vaste plan d'économies. M. Steinbrück voudrait que le déficit soit ramené à 3 % du produit intérieur brut (PIB) dès 2007. Pour y parvenir, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) de Mme Merkel s'est dit prête à réduire les dépenses de l'Etat de 25 milliards d'euros par an, et le SPD, pour commencer, de 14,5 milliards en 2006.

Les deux camps sont convenus, lundi, d'une première mesure : la suppression d'une subvention fiscale sur les maisons individuelles. Ils divergent encore sur le calendrier et la façon d'utiliser les 8 milliards d'euros ainsi dégagés. M. Steinbrück pourrait, par la suite, devoir se résoudre à orchestrer une mesure pourtant férocement critiquée par son parti durant la campagne électorale : une hausse de la TVA, proposée par la droite pour financer la baisse du coût de la main-d'oeuvre. Le président du SPD, Franz Müntefering, avait prévenu qu'il aborderait ces négociations "sans tabou" .

DOSSIER EXPLOSIF

Ce dernier a pris un risque en acceptant, outre le poste de vice-chancelier, le portefeuille du travail et des affaires sociales, qui englobera le dossier explosif des retraites. Il sait que son parti a perdu les élections législatives du 18 septembre en raison de son incapacité à faire reculer le chômage (11,2 % de la population active en septembre). Continuer à gérer ces dossiers devrait permettre au SPD de freiner ce qu'il reste des ardeurs libérales de la future chancelière, refroidie par sa déconvenue électorale.

Il se veut le garant de la justice sociale sur le marché du travail et des réformes de l'Etat-providence ("Agenda 2010") engagées par le gouvernement Schröder. Le SPD n'a toutefois pas exclu un assouplissement prudent des mesures de protection contre les licenciements, réclamé par la droite.

La santé, dossier sensible dans un pays vieillissant, restera aux mains d'Ulla Schmidt, déjà en charge du poste dans le précédent cabinet. C'est l'un des domaines où les deux camps paraissent les plus éloignés. Entre l'introduction d'une cotisation d'assurance-maladie forfaitaire identique pour tous les assurés sociaux, prônée par la droite, et l'"assurance citoyenne" au mode de fonctionnement solidaire avancée par le SPD, le fossé est grand. Mais de part et d'autre, on semble prêt à trouver un consensus.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Europe
Croissance : des signaux positifs, mais pas de franche reprise
FRANCFORT de notre correspondant

 Q uelques signes favorables sont apparus au troisième trimestre pour la croissance allemande, dont le chiffre sera connu à la mi-novembre. L'institut DIW de Berlin parie sur une hausse de 0,5 %, après la pause enregistrée au second trimestre. "Tout parle en faveur d'un regain de dynamisme de l'économie au troisième trimestre et d'une poursuite pour le reste de l'année" , dit aussi la note de conjoncture du ministère de l'économie pour octobre, qui note le dynamisme des exportations tout en déplorant que la consommation des ménages continue à faire du "surplace" .

"Malgré le fardeau des prix élevés du pétrole, l'économie allemande évolue mieux que prévu" , constatent également les analystes de la Dresdner Bank. "La conjoncture en Allemagne va gagner l'année prochaine à nouveau en dynamique", indiquent-ils dans leurs nouvelles prévisions annuelles publiées ce mois-ci. Ils tablent sur une croissance de 1,7 % en 2006 après 1 % en 2005. Habituée au dernier rang, l'Allemagne se satisfait de peu. Selon la Dresdner Bank, cette croissance correspondrait à une "légère amélioration sur le marché du travail" en 2006, le nombre d'emplois soumis à cotisations sociales ­ ce qui exclut les petits boulots et les travaux d'intérêt général ­ augmentant à nouveau, avec 310 000 postes de travail supplémentaires. L'économie allemande a cessé, depuis le mois d'avril, de détruire des emplois, se stabilisant autour de 26,2 millions de postes de travail, contre 28 millions à l'été 2002.

Cette fragile amélioration pourrait déboucher sur une reprise plus franche en 2007, estime Sylvain Broyer, spécialiste de l'Allemagne chez Ixis CIB. Le déclic de la confiance reste cependant à déclencher : "Quelque 70 milliards d'euros de liquidités ont été thésaurisées dans les caisses des 23 premières entreprises non financières cotées à la Bourse de Francfort. Il suffirait qu'elles en investissent seulement la moitié en Allemagne ­ ou qu'elles distribuent cette somme en salaires ­ pour générer 2 points de croissance supplémentaires" , a calculé M. Broyer. De nombreux économistes craignent cependant une hausse de TVA qui pourrait ruiner ces espoirs.

Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Europe
Les ministres CDU
Les ministres CDU du gouvernement allemand ont été nommés


WOLFGANG SCHÄUBLE

 À  63 ans, l'ex-dauphin du chancelier Kohl, auquel il a brièvement succédé à la tête de la CDU après la défaite de la droite aux élections de 1998, redevient ministre de l'intérieur, un poste qu'il a occupé d'avril 1989 à novembre 1991, menant à ce titre les négociations sur la réunification allemande du 3 octobre 1990. Victime quelques semaines plus tard d'un attentat qui l'a laissé paralysé, il est nommé, fin 1991, président du groupe parlementaire de l'Union chrétienne-démocrate au Bundestag, poste qu'il occupe jusqu'en 2000. Il démissionne alors de toutes ses fonctions à la tête du parti, payant pour le scandale des "caisses noires" qui propulse Angela Merkel à la présidence de la CDU. Son expérience devrait être l'un des principaux atouts de la future chancelière, même si celle-ci s'est souvent défiée de lui. Ces dernières années, il était la principale voix de la CDU en matière européenne, notamment à Paris. En 1994, il avait proposé, avec Karl Lamers, de créer un "noyau dur" de cinq pays pour accélérer l'intégration européenne.


63 ans,

ministre de l'intérieur (CDU)


Le Monde / Europe
Les ministres CDU

 S i le mauvais résultat de la droite aux élections législatives du 18 septembre a profité à l'un de ses membres, c'est bien à lui. Alors qu'il n'était plus en odeur de sainteté pour avoir critiqué les projets d'Angela Merkel en matière de santé, voilà que Horst Seehofer est redevenu fréquentable. Son profil progressiste, qu'il cultive de longue date au sein de l'Union chrétienne-sociale (CSU), a soudain séduit le président de cette formation bavaroise, Edmund Stoiber, qui ne le portait pourtant pas dans son estime. Celui-ci avait besoin d'une caution sociale pour se retrouver en prise avec des électeurs effrayés par le virage libéral promis par Mme Merkel. Il n'a donc pas hésité à imposer son nouveau poulain à la tête du ministère de l'agriculture et de la défense des consommateurs. Catholique âgé de 56 ans, M. Seehofer avait démissionné en 2004 de son poste de vice-président du groupe parlementaire CDU/CSU parce qu'il désapprouvait l'orientation de ces partis en matière de santé, dossier dont il avait eu la charge entre 1992 et 1998, sous Helmut Kohl.


Le Monde / Europe
Les ministres CDU

 L a future ministre de la famille, la chrétienne-démocrate Ursula von der Leyen, 47 ans, est une tard-venue à la politique, dans laquelle elle a pourtant baigné enfant. Fille de l'ex-ministre-président (CDU) de Basse-Saxe Hans Albrecht, elle grandit à Bruxelles, où son père mène alors une carrière européenne. Christian Wulf, actuel chef du gouvernement de Basse-Saxe et figure montante de la CDU, l'intègre à son équipe en 2003, comme ministre des affaires sociales. Médecin, mère de sept enfants, Mme von der Leyen est un cas en Allemagne, où la chute de la natalité pose un grave problème, et dans la CDU, longtemps très conservatrice sur le rôle de la femme. Elle s'est engagée pour une politique permettant de mieux concilier maternité et vie professionnelle, luttant contre l'idée de "mère-corbeau" , qui veut qu'une mère qui travaille ne peut pas bien s'occuper de ses enfants. Elle ne devrait pas avoir trop de mal à s'entendre avec le SPD, qui reproche à la CDU de privilégier les aides au foyer plutôt que de développer les possibilités d'accueil scolaire.


47 ans,

ministre de la famille (CDU)


Le Monde / Europe
Les ministres CDU

 D errière ce visage rond se cache l'une des principales figures de la relève social-démocrate allemande. Agé de 46 ans, Sigmar Gabriel, futur ministre de l'environnement, a mené une carrière fulgurante jusqu'à il y a deux ans. Entré au Parti social-démocrate à 18 ans, cet enseignant est admis dans ses instances dirigeantes en 1999, après quinze années de bons et loyaux services au Parlement de Basse-Saxe. Il a tout juste 40 ans lorsqu'il devient ministre-président de ce Land, poste qu'avait occupé en son temps Gerhard Schröder avant de devenir chancelier. En 2003, toutefois, M. Gabriel perd les élections régionales, payant le prix de l'impopularité des réformes entreprises au niveau fédéral. Il se joint alors à ceux qui, au sein du SPD, critiquent les choix du chancelier. Cet habitué des talk-shows, réputé impatient et colérique, a toutefois oublié ses rancoeurs après les élections du 18 septembre, en réclamant le maintien de M. Schröder à la chancellerie. Membre du syndicat IG Metall, il appartient à l'aile moderniste du SPD.

Articles parus dans l'édition du 19.10.05


Le Monde / Europe
Article interactif
La grippe aviaire progresse vers la partie européenne de la Russie
  1. La grippe aviaire progresse vers la partie européenne de la Russie
  2. La Chine de nouveau touchée
  3. L'Afrique et le Moyen-Orient menacés
  4. Deux Etats régionaux allemands annoncent des mesures d'isolement des volailles
  5. Le gouvernement grec estime qu'il n'y a "pas de raison de s'inquiéter"
  6. En France, le ministre de l'agriculture veut rassurer les consommateurs
  7. Un exercice de simulation de la crise aviaire prévu dans le Finistère
  8. En Roumanie, panique et manque à gagner sur les rives du Danube

1 - La grippe aviaire progresse vers la partie européenne de la Russie

 L a grippe aviaire a gagné la région de Toula, située à environ 300 km au sud de Moscou, confirmant la progression du virus vers la partie européenne de la Russie, a indiqué le ministère de l'agriculture russe. "Environ 3 000 volailles ont été abattues dans le village d'Iandovka dans la région d'Efremovski, près de Toula, après la découverte du virus de la grippe aviaire dans sept fermes privées", a indiqué le chef-adjoint du département du contrôle vétérinaire du ministère, Nikolaï Vlassov. L'infection est "visiblement due au passage de canards sauvages qui se sont récemment posés sur un lac du village concerné". "Ce cas ne présente plus de danger", avec l'abattage des volailles de l'élevage, mais l'approche du virus de Moscou est inquiétante, la région de la capitale russe étant dotée de nombreux établissements avicoles, a-t-il expliqué.

"La progression du virus confirme notre pronostic d'une prochaine globalisation de l'épizootie", a ajouté le responsable. "Nous sommes pratiquement sûrs qu'il s'agit de la même forme que celle diagnostiquée en Sibérie", la forme H5N1 transmissible à l'homme, a relevé M. Vlassov, ajoutant que des tests complémentaires étaient en cours.

Le ministre de l'agriculture russe, Alexeï Gordeev, a pour sa part estimé que "dramatiser la situation n'avait pas de sens".

La semaine dernière, les services vétérinaires russes avaient annoncé l'abattage de 460 000 volailles dans un élevage de la région de Kourgan, en Sibérie, où le virus a officiellement infecté au total six régions.

L'épizootie a également été découverte dans la partie occidentale de la Russie chez des canards sauvages en Kalmoukie, au bord de la mer Caspienne, mais "le diagnostic reste encore à confirmer", selon M. Vlassov. Ce cas, annoncé à la mi-août, était la première propagation du virus à la partie européenne de la Russie, séparée de la Sibérie par la chaîne de l'Oural.

L'épizootie n'a jusque là touché l'homme qu'à la marge : au moins 117 cas d'infections humaines ont été recensés, dont 60 mortels, depuis fin 2003.


2 - La Chine de nouveau touchée

 D e nouveaux cas de grippe aviaire – les premiers en Chine depuis plus de deux mois – ont été enregistrés en Mongolie-Intérieure (Nord-Ouest), où 2 600 oiseaux sont déjà morts du virus H5N1, a rapporté l'agence officielle Chine Nouvelle. Le laboratoire national de la grippe aviaire a confirmé la présence du virus H5N1 transmissible à l'homme dans une ferme proche de la capitale de Mongolie-Intérieure, Huhehot.

"La plupart des volailles mortes sont des poulets", a déclaré un fonctionnaire du district de Saihan, où s'est produite l'infection. Selon lui, il s'agit d'une petite ferme avec moins de 10 000 volatiles, principalement des poulets, des oies et des paons.

Selon Chine Nouvelle, le ministère de l'agriculture a envoyé des équipes pour mettre en place des mesures de quarantaine autour de la ferme touchée et procéder à des mesures de désinfection. "Actuellement, l'infection a été contrôlée de manière efficace", a indiqué l'agence, soulignant qu'aucun autre cas n'avait été découvert.

La précédente infection connue remontait à août, lorsque 133 oiseaux avaient trouvé la mort et 2 475 avaient été sacrifiés près de la capitale du Tibet, Lhassa.

La Chine est particulièrement touchée par le virus, mais aucun cas humain n'a officiellement été détecté. Lundi, des experts britanniques ont estimé qu'il y avait "un véritable risque que les autorités chinoises ne connaissent pas l'ampleur du problème".


3 - L'Afrique et le Moyen-Orient menacés

 L' Afrique et le Moyen-Orient sont également menacés par la propagation du virus de la grippe aviaire, a averti  l'organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). "Après l'apparition de la grippe aviaire en Roumanie et en Turquie, le risque de contamination s'accroît au Moyen-Orient et en Afrique", indique le communiqué de la FAO.

"La présence de la grippe aviaire en Roumanie et en Turquie, à la suite des foyers apparus en Russie, au Kazakhstan et en Mongolie, confirme les récents avertissements de la FAO relatifs à une progression du virus le long des routes empruntées par les oiseaux migrateurs à partir de l'Asie du Sud-Est", indique le chef des services vétérinaires de la FAO, Joseph Domenech.

Si la FAO ne s'inquiète pas outre mesure des capacités de réaction des "pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord", elle se dit "davantage préoccupée par la situation en Afrique orientale où les services vétérinaires (...) devraient rencontrer plus de difficultés pour mener à bien des campagnes d'abattage et de vaccination".

"Les pays concernés et la communauté internationale devraient déployer tous leurs efforts afin que la grippe aviaire ne devienne pas endémique en Afrique", ce qui "augmenterait"  le risque que le virus mute "pour se transmettre à l'homme ou entre humains", ajoute la FAO.

Ce virus a causé la mort d'une soixantaine de personnes en Asie du Sud-Est depuis 2003, et des millions de volailles ont été abattues.


4 - Deux Etats régionaux allemands annoncent des mesures d'isolement des volailles

 D eux Etats régionaux de l'ouest de l'Allemagne, le Bade-Wurtemberg et la Hesse, ont annoncé des mesures d'isolement des volailles en raison des craintes d'une propagation de la grippe aviaire, au lendemain d'une mesure du même ordre décrétée par la Bavière.

Le ministère de l'agriculture du Bade-Wurtemberg a indiqué qu'il comptait ordonner l'enfermement des volailles dans tout l'Etat régional, estimant "inapplicable" un isolement limité aux élevages situés dans les zones de risques. La région située sur une route migratoire importante, et qui compte 16 700 élevages avicoles, a de nombreuses zones marécageuses où les oiseaux migrateurs font étape.

En Hesse, la mesure d'isolement des volailles s'applique avec effet immédiat, mais seulement dans les zones à risques, a indiqué le ministre régional de l'environnement, Wilhelm Dietzel.


5 - Le gouvernement grec estime qu'il n'y a "pas de raison de s'inquiéter"

 L e porte-parole du gouvernement grec, Théodore Roussopoulos, a estimé mercredi 19 octobre qu'il n'y avait "pour le moment pas de raison de s'inquiéter" quant au développement du virus de la grippe aviaire dans le pays. "Tous les examens supplémentaires menés dans le pays sont négatifs", a-t-il déclaré au cours de son point presse quotidien. "Nous attendons préventivement des résultats de Londres" concernant le premier cas de grippe aviaire de sous-type H5, découvert lundi sur un îlot de l'est du pays, a-t-il poursuivi.


6 - En France, le ministre de l'agriculture veut rassurer les consommateurs

 L e ministre de l'agriculture, Dominique Bussereau, a appelé les consommateurs, inquiets de l'arrivée de la grippe aviaire en Europe, à "continuer à manger normalement de la volaille élevée en France", affirmant qu'il n'y a "aucune crainte à avoir". "On est au maximum des précautions vétérinaires en France", a-t-il assuré à la sortie du Conseil des ministres.

Soulignant que les pouvoirs publics étaient "en état de vigilance extrême" face à la grippe aviaire, il a indiqué qu'il allait recevoir à nouveau cette semaine toutes les organisations professionnelles ainsi que les chasseurs. Il faut "dire aux consommateurs la nécessité de continuer à manger normalement de la volaille élevée en France", "dans les meilleures conditions de sécurité", a affirmé M. Bussereau.

Interrogé sur la baisse de la consommation – d'environ 20 % en une semaine sur le marché de Rungis –, il a déclaré que si celle-ci se confirmait, le gouvernement aiderait par des mesures de communication la profession à donner les bonnes informations que demandent les consommateurs.


7 - Un exercice de simulation de la crise aviaire prévu dans le Finistère

 U n exercice de simulation de crise sera mené les 3 et 4 novembre dans une exploitation du Finistère, au milieu d'une zone dense d'élevage avicole, a indiqué la préfecture de Bretagne. Prévu depuis plusieurs mois et annoncé le 14 octobre par le ministre de la santé, Xavier Bertrand, cet exercice grandeur nature se déroulera dans une exploitation d'environ 60 000 poulets de chair à Kergloff, près de Carhaix. Il concernera, outre le Finistère, les départements voisins des Côtes-d'Armor, du Morbihan et de l'Ille-et-Vilaine.

"Le scénario prévu s'organise autour d'un foyer primaire de grippe aviaire hautement pathogène avec forte mortalité dans une zone dense d'élevage avicole", a indiqué François Lucas, préfet délégué pour la sécurité. Alertées par l'éleveur, les autorités isoleront l'exploitation avec la mise en place d'un périmètre "de protection", dans un rayon de 3 km, et un autre, dit de "surveillance", de 10 km. Cet exercice, qui mobilisera plusieurs dizaines de personnes, sera "à portée strictement animale" et "aucun cas de contamination à l'homme ne sera simulé", a précise M. Lucas.

Ses objectifs sont de tester "certains points techniques des plans d'urgence", comme les techniques de prélèvements, "la coordination de l'ensemble des services publics" ainsi que "la protection des personnes intervenant", selon le préfet délégué.


8 - En Roumanie, panique et manque à gagner sur les rives du Danube

 A pprécié jadis des touristes étrangers, le luxueux hôtel flottant Snagov – célèbre pour avoir accueilli plusieurs fois dans les années 1980 l'ancien dictateur roumain Nicolae Ceausescu – , reste amarré depuis une dizaine de jours aux quais du port de Tulcea. "Nous avons une trentaine d'employés qui pourraient être mis au chômage en raison des pertes provoquées par la grippe aviaire, estimées jusqu'ici à près de 40 000 euros", affirme le capitaine de cet hôtel, Dumitru Onciu.

A Tulcea, la grande ville située aux abords du delta du Danube, les hôtels sont quasi vides, alors que plusieurs restaurants situés sur les falaises du Danube ont été fermés, faute de clients. Selon un représentant des hôteliers du delta du Danube, Daniel Damian, les pertes du tourisme roumain provoquées par la grippe aviaire pourraient se chiffrer à plus de 10 millions d'euros d'ici la fin de l'année. "Chaque jour, on enregistre des milliers de désistements, surtout de la part des touristes étrangers", précise-t-il.

En ce beau jour d'automne, aucun coup de feu ne vient troubler le silence de cette réserve classée au patrimoine de l'Unesco, et les pêcheurs n'ont plus le droit de jeter leurs filets, après l'interdiction de la chasse et de la pêche dans la région.

"Je ne comprends pas quel est le rapport entre la grippe aviaire et les poissons", ironise le patron d'une agence de tourisme, Virgil Munteanu. La directrice de l'agence Euro Delta Travel, Alina Boceoaga, fustige pour sa part "l'attitude alarmiste des autorités" après la découverte de deux foyers de grippe aviaire, à Ceamurlia de Jos et Maliuc. "Les autorités auraient pu expliquer d'une manière plus claire que la grippe aviaire ne se transmet pas facilement à l'homme. Ainsi, elles auraient pu éviter ce coup dur porté aux voyagistes", s'insurge-t-elle. Les représentants de la filière touristique réunis mardi à Tulcea ont demandé dans une lettre ouverte au premier ministre Calin Tariceanu des subventions destinées à relancer le tourisme, ainsi qu'une exemption d'impôts pour les trois derniers mois de cette année.

LEMONDE.FR | 19.10.05 | 13h55


Le Monde / Europe
Article interactif
Grippe aviaire : la Hongrie annonce avoir développé un vaccin efficace sur l'homme
  1. Grippe aviaire : nouveau décès humain en Thaïlande
  2. En Hongrie, un prototype de vaccin donnerait des résultats positifs pour l'homme
  3. En Roumanie, le virus H5N1 est confirmé dans un deuxième foyer
  4. La grippe aviaire progresse vers la partie européenne de la Russie
  5. La Chine de nouveau touchée par le H5N1
  6. L'Afrique et le Proche-Orient menacés
  7. Les autorités françaises se veulent rassurantes
  8. Les pays de l'Union se mobilisent

1 - Grippe aviaire : nouveau décès humain en Thaïlande

 L e premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra a annoncé, jeudi 20 octobre, le décès d'un fermier des suites de la grippe aviaire, portant à 13 le nombre de morts dans ce pays depuis 2003.

"Un homme est décédé la nuit dernière et les analyses ont confirmé qu'il était mort des suites de la grippe aviaire", a déclaré le premier ministre au cours d'un point de presse hebdomadaire. "La victime a contracté le virus après avoir été en contact avec des poulets malades", a-t-il ajouté. Le fermier, Bang-on Benpad, avait abattu et mangé des volailles infectées, a précisé le chef du gouvernement. Le fils de la victime est actuellement hospitalisé dans un hôpital de la capitale, a-t-il ajouté. Des tests sont en cours pour déterminer s'il a contracté le virus mortel H5N1 qui a fait une soixantaine de morts depuis son apparition en Asie du Sud-Est en 2003.

Un nouveau foyer de grippe aviaire a été mis au jour lundi parmi des moineaux sauvages dans la province de Ratchaburi (Ouest). Quelque 300 prélèvements effectués sur des oiseaux se sont avérés positifs au virus de la grippe aviaire H5N1, le responsable local des élevages.

La Thaïlande a déjà rassemblé environ 725 000 doses de Tamiflu, un médicament antiviral considéré comme efficace contre la grippe aviaire et développé par la firme suisse Roche.

Avec AFP


2 - En Hongrie, un prototype de vaccin donnerait des résultats positifs pour l'homme

 U n prototype de vaccin contre la grippe aviaire développé depuis la fin septembre à Budapest a donné des résultats positifs pour l'homme, a annoncé mercredi 19 octobre le ministre de la santé hongrois, Jenij Racz. "Nous n'en sommes qu'aux résultats préliminaires mais je peux dire avec 99,9 % de certitude que le vaccin marche", a-t-il déclaré.

"Les essais cliniques (sur quelque 150 volontaires) se sont avérés positifs, le sang des cobayes ayant produit des anticorps", a ajouté M. Racz lors d'une conférence de presse.

La mise au point d'un prototype de vaccin constitue une étape indispensable pour la mise en place rapide d'un véritable vaccin contre le virus mortel H5N1, dans le cas où celui-ci muterait pour se transmettre de personne à personne, entraînant le risque d'une pandémie.

"PRODUIRE RAPIDEMENT, EN GRANDE QUANTITÉ ET DE MANIÈRE EFFICACE"

"La Hongrie possède désormais une technologie grâce à laquelle elle pourra produire rapidement, en grande quantité et de manière efficace, un vaccin contre une version mutée du virus", a pour sa part déclaré Laszlo Bujdoso, le directeur des services vétérinaires hongrois (ANTSZ) qui ont développé le prototype de vaccin.

Ce prototype a été développé depuis la fin septembre par le Centre national d'épidémiologie à partir d'une souche du virus aviaire H5N1 apparu à Hong Kong en 1997 et isolée début 2005 sur une personne en Asie du Sud-est par l'Organisation mondiale de la santé.

"Les coûts de l'élaboration du vaccin (estimé à plus de 4 millions d'euros) seront couverts en partie par la réserve générale du budget national, par le budget du ministère de la santé et par les recettes revenues provenant de l'exportation du vaccin", a précisé M. Racz.

Avec AFP, AP


3 - En Roumanie, le virus H5N1 est confirmé dans un deuxième foyer

 L a présence du virus H5N1 a été confirmée mercredi dans un deuxième foyer en Roumanie, à Maliuc (sud-est). "Malheureusement, les tests menés en Grande-Bretagne ont confirmé nos craintes : les deux échantillons prélevés sur un cygne et une poule de Maliuc ont attesté la présence du virus H5N1 hautement pathogène", a déclaré le ministre de l'agriculture Gheorghe Flutur.

Il a toutefois précisé que les autorités s'attendaient à ce résultat. Un premier foyer du H5N1 avait été détecté samedi, à Ceamurlia de Jos. Sans attendre les résultats détaillés des analyses britanniques, les autorités roumaines avaient commencé aussitôt après la découverte, samedi, d'oiseaux suspects, à abattre les volailles de Maliuc, avant de désinfecter le village situé à une soixantaine de km au nord du premier foyer.

"PAS D'INQUIÉTUDES" TANT QUE LA GRIPPE EST CONFINÉE DANS LE DELTA DU DANUBE

Les autorités ont assuré qu'il ne fallait "pas s'inquiéter" tant qu'aucun cas de grippe aviaire n'était découvert en dehors du delta du Danube. Par contre, a souligné le ministre, une éventuelle présence du virus dans la zone-tampon mise en place dans un rayon de 10 km autour des deux foyers serait "préoccupante". Mais pour l'instant, les 700 tests menés sur des oiseaux provenant de deux départements limitrophes du delta du Danube, Braila et Calarasi, ont tous été négatifs.

"Cela indique que les foyers de grippe aviaire n'ont pas dépassé les confins du delta", région à haut risque car située sur l'un des principaux corridors de migration des oiseaux sauvages en provenance notamment d'Asie centrale, a souligné Gheorghe Flutur. Bucarest attend néanmoins avec intérêt les résultats des analyses effectuées sur des cygnes retrouvés morts à proximité de la frontière avec l'Ukraine, pays qui partage avec la Roumanie le delta du Danube.

Avec AFP


4 - La grippe aviaire progresse vers la partie européenne de la Russie

 L a grippe aviaire a gagné la région de Toula, située à environ 300 km au sud de Moscou, confirmant la progression du virus vers la partie européenne de la Russie, a indiqué le ministère de l'agriculture russe. "Environ 3 000 volailles ont été abattues dans le village d'Iandovka dans la région d'Efremovski, près de Toula, après la découverte du virus de la grippe aviaire dans sept fermes privées", a indiqué le chef-adjoint du département du contrôle vétérinaire du ministère, Nikolaï Vlassov.

L'infection est "visiblement due au passage de canards sauvages qui se sont récemment posés sur un lac du village concerné". "Ce cas ne présente plus de danger", avec l'abattage des volailles de l'élevage, mais l'approche du virus de Moscou est inquiétante, la région de la capitale russe étant dotée de nombreux établissements avicoles, a-t-il expliqué.

"La progression du virus confirme notre pronostic d'une prochaine globalisation de l'épizootie", a ajouté le responsable. "Nous sommes pratiquement sûrs qu'il s'agit de la même forme que celle diagnostiquée en Sibérie", la forme H5N1 transmissible à l'homme, a relevé M. Vlassov, ajoutant que des tests complémentaires étaient en cours. La semaine dernière, les services vétérinaires russes avaient annoncé l'abattage de 460 000 volailles dans un élevage de la région de Kourgan, en Sibérie, où le virus a officiellement infecté au total six régions.

L'épizootie a également été découverte dans la partie occidentale de la Russie chez des canards sauvages en Kalmoukie, au bord de la mer Caspienne, mais "le diagnostic reste encore à confirmer", selon M. Vlassov. Ce cas, annoncé à la mi-août, était la première propagation du virus à la partie européenne de la Russie, séparée de la Sibérie par la chaîne de l'Oural.

Avec AFP


5 - La Chine de nouveau touchée par le H5N1

 D e nouveaux cas de grippe aviaire, les premiers en Chine depuis plus de deux mois, ont été enregistrés en Mongolie intérieure (nord-ouest), où 2 600 oiseaux sont morts du virus H5N1, a rapporté mercredi 19 octobre l'agence officielle Chine Nouvelle.

Le laboratoire national de la grippe aviaire a confirmé la présence du virus transmissible à l'homme dans une ferme proche de la capitale de Mongolie intérieure, Huhehot."La plupart des volailles mortes sont des poulets", a déclaré un fonctionnaire du district de Saihan, où s'est produit l'infection.

Selon Chine Nouvelle, le ministère de l'agriculture a envoyé des équipes pour mettre en place des mesures de quarantaine autour de la ferme touchée et procéder à des mesures de désinfection."Actuellement, l'infection a été contrôlée de manière efficace", a indiqué l'agence, soulignant qu'aucun autre cas n'avait été découvert.

La précédente infection connue remontait à août, lorsque 133 oiseaux avaient trouvé la mort et 2 475 avaient été sacrifiés près de la capitale du Tibet, Lhassa. La Chine est particulièrement touchée par le virus mais aucun cas humain n'a officiellement été détecté.

Avec AFP


6 - L'Afrique et le Proche-Orient menacés

 L' Afrique et le Proche-Orient sont également menacés par la propagation du virus de la grippe aviaire, a averti l'organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). "Après l'apparition de la grippe aviaire en Roumanie et en Turquie, le risque de contamination s'accroît au Proche-Orient et en Afrique", indique le communiqué de la FAO.

"La présence de la grippe aviaire en Roumanie et en Turquie, à la suite des foyers apparus en Russie, au Kazakhstan et en Mongolie, confirme les récents avertissements de la FAO relatifs à une progression du virus le long des routes empruntées par les oiseaux migrateurs à partir de l'Asie du Sud-Est", indique le chef des services vétérinaires de la FAO, Joseph Domenech.

Si la FAO ne s'inquiète pas outre mesure des capacités de réaction des "pays du Proche-Orient et d'Afrique du Nord", elle se dit "davantage préoccupée par la situation en Afrique orientale où les services vétérinaires (...) devraient rencontrer plus de difficultés pour mener à bien des campagnes d'abattage et de vaccination".

"Les pays concernés et la communauté internationale devraient déployer tous leurs efforts afin que la grippe aviaire ne devienne pas endémique en Afrique", ce qui "augmenterait"  le risque que le virus mute "pour se transmettre à l'homme ou entre humains", ajoute la FAO.

Avec AFP


7 - Les autorités françaises se veulent rassurantes

 L' Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) "ne recommande, dans l'immédiat, ni la claustration des volailles plein air, ni l'interdiction de la chasse", dans un avis relatif à la grippe aviaire publié mercredi sur son site Internet. Les ministère de la santé et de l'agriculture lui avaient demandé le 8 octobre un nouvel avis suite aux cas survenus en Turquie et en Roumanie

L'Afssa effectue cette recommandation "compte tenu de l'état actuel de la situation en France, et bien que ces mesures demeurent envisageables et puissent éventuellement devenir d'actualité selon l'évolution de la situation". Concernant l'ensemble des activités au contact physique des oiseaux sauvages, l'Afssa recommande que les règles habituelles d'hygiène soient scrupuleusement respectées: lavage des mains après manipulation de cadavres, port de gants afin d'éviter le contact direct avec les fientes et les cadavres.

"ON EST AU MAXIMUM DES PRÉCAUTIONS"

De son côté, le ministre de l'agriculture, Dominique Bussereau, a appelé les consommateurs, inquiets de l'arrivée de la grippe aviaire en Europe, à "continuer à manger normalement de la volaille élevée en France", affirmant qu'il n'y a "aucune crainte à avoir". "On est au maximum des précautions vétérinaires en France", a-t-il assuré à la sortie du Conseil des ministres.

Interrogé sur la baisse de la consommation – d'environ 20 % en une semaine sur le marché de Rungis –, il a déclaré que si celle-ci se confirmait, le gouvernement aiderait la profession à mieux communiquer auprès des consommateurs.

EXERCICE DE SIMULATION DANS LE FINISTÈRE

Par ailleurs, un exercice de simulation de crise sera mené les 3 et 4 novembre dans une exploitation du Finistère, au milieu d'une zone dense d'élevage avicole, a indiqué la préfecture de Bretagne. Prévu depuis plusieurs mois et annoncé le 14 octobre par le ministre de la santé, Xavier Bertrand, cet exercice grandeur nature se déroulera dans une exploitation d'environ 60 000 poulets de chair à Kergloff, près de Carhaix.

"Le scénario prévu s'organise autour d'un foyer primaire de grippe aviaire hautement pathogène avec forte mortalité dans une zone dense d'élevage avicole", a indiqué François Lucas, préfet délégué pour la sécurité. Alertées par l'éleveur, les autorités isoleront l'exploitation avec la mise en place d'un périmètre "de protection", dans un rayon de 3 km, et un autre, dit de "surveillance", de 10 km. Cet exercice sera "à portée strictement animale" et "aucun cas de contamination à l'homme ne sera simulé", a précise M. Lucas.

Avec AFP


8 - Les pays de l'Union se mobilisent

 L a Grande-Bretagne a annoncé mercredi vouloir acheter 120 millions de doses de vaccins contre la grippe aviaire, pour couvrir sa population estimée à 60 millions d'habitants. "Nous nous servirons de ces vaccins pour immuniser la population du Royaume-Uni et réduire l'impact d'une pandémie sur la société", a déclaré le directeur général de la santé, Liam Donaldson. Le virus de la grippe aviaire, en mutant, risque d'entraîner la mort d'au moins 50 000 personnes dans le pays, avait-il averti dimanche.

En Allemagne, deux Etats régionaux de l'ouest, le Bade-Wurtemberg et la Hesse, ont annoncé des mesures d'isolement des volailles en raison des craintes d'une propagation de la grippe aviaire, au lendemain d'une mesure du même ordre décrétée par la Bavière. Le ministère de l'agriculture du Bade-Wurtemberg a indiqué qu'il comptait ordonner l'enfermement des volailles dans tout l'Etat régional, estimant "inapplicable" un isolement limité aux élevages situés dans les zones de risques. La région, qui compte 16 700 élevages avicoles, a de nombreuses zones marécageuses où les oiseaux migrateurs font étape. En Hesse, la mesure d'isolement des volailles s'applique seulement dans les zones à risques.

En Grèce, seul pays de l'Union où le virus H5 a été détecté, le gouvernement a tenté de calmer les esprits. Le porte-parole du gouvernement, Théodore Roussopoulos, a estimé mercredi qu'il n'y avait "pour le moment pas de raison de s'inquiéter" quant au développement du virus de la grippe aviaire dans le pays."Tous les examens supplémentaires menés dans le pays sont négatifs", a-t-il déclaré, précisant que des tests étaient encore en cours pour savoir si le virus détecté est ou non du sous-type H5N1, transmissible à l'homme. Par ailleurs, le ministre de la santé, Nikitas Kaklamanis, s'est rendu sur l'île d'Inoussa, où a été signalé le cas du virus. Le ministre a déjeûné sur l'île, avec au menu un poulet local.

Avec AFP, Reuters
LEMONDE.FR | 19.10.05 | 13h55


Le Monde / Chats
Grippe aviaire : quels risques pour l'homme ?
L'intégralité du débat avec Jean-Yves Nau, journaliste au "Monde", mercredi 19 octobre 2005

Mistral : Quelles garanties avons-nous pour dire que la situation n'est pas alarmante concernant la grippe aviaire ?
Jean-Yves Nau :
Je pense qu'on peut dire, précisément, que la situation est alarmante. Pour autant, il n'est pas nécessaire de sombrer dans le catastrophisme. Pour résumer la situation, tous les indicateurs sont aujourd'hui au rouge et nous laissent penser qu'il existe un risque non négligeable de passage à l'espèce humaine d'un virus mutant issu de celui de la grippe aviaire.

Murisandeme : Quels sont les facteurs ou le processus pouvant influer sur la mutation du virus de la grippe aviaire en virus transmissible d'homme à homme ?
Jean-Yves Nau :
Depuis une cinquantaine d'années, la virologie a appris à découvrir le génie infectieux des virus responsables de la grippe, dans l'espèce humaine ainsi que dans de nombreuses espèces animales. On sait tout, aujourd'hui, des capacités de mutation de ce virus.
Si l'on voulait prendre une métaphore, on pourrait prendre celle de la roulette ou des jeux de hasard : il y a toujours un moment où le 9, le rouge ou le noir, sort. Toujours. Et c'est à ce moment-là que le virus qui infecte aujourd'hui les oiseaux pourrait trouver les moyens de franchir la barrière d'espèce pour passer à l'homme. Plus le virus aviaire augmente sa zone de diffusion géographique, plus le risque de sortie du "mauvais numéro" augmente.

Jeanlouis : Quelle est la meilleure estimation de la virulence du virus ? Mortalité, durée, vitesse de propagation ?
Jean-Yves Nau :
Les instruments dont on dispose sont assez indirects. On sait que le virus est hautement pathogène pour diverses espèces d'oiseaux domestiques ou sauvages. En clair, il tue une proportion très importante des élevages où il a pu s'introduire. Pour autant, il ne tue pas la totalité des oiseaux.
La seule manière que l'on a d'en apprécier le degré de virulence réside dans l'identification des foyers épizootiques, puis dans l'analyse virologique permettant de conclure s'il s'agit bien du virus H5N1.
Pour ce qui est de l'espèce humaine, nous serons également dans le même type d'observation indirecte, c'est-à-dire comme dans le cas des trois pandémies du XXe siècle, à savoir : l'observation de l'émergence de cas de grippes hautement pathogènes et mortels dans une proportion élevée de cas.

"DES PROJECTIONS LOIN D'ÊTRE RASSURANTES"

Jeanlouis : Quels sont les conseils pratiques pour minimiser les risques quotidiens pour une famille avec des enfants (vaccin, stock Tamiflu, relenza, masque, antiseptique...) ?
Farisol : Avec toutes ces infos alarmantes, quelle est la bonne attitude à adopter au niveau individuel ?
Guillaume : Les stocks de médicaments antiviraux sont vraisemblablement insuffisants... Quelle protection peut-on prendre individuellement ?
Jean-Yves Nau :
Comment se protéger au mieux ? Il n 'existe pas aujourd'hui de vaccin humain efficace contre l'infection par le virus aviaire. A fortiori, il n'existe pas de vaccin contre le virus mutant qui pourrait être à l'origine de la prochaine pandémie. Mais il existe des arguments plaidant en faveur de la vaccination "saisonnière" contre la grippe telle qu'elle est proposée chaque année par la Sécurité sociale. Même si le vaccin saisonnier ne protège pas contre un nouveau virus grippal, une vaccination étendue de la population permettrait de réduire le risque d'une mise en contact entre les virus "classiques" et le virus aviaire, un contact qui pourrait faciliter la mutation de ce dernier.
Les médicaments : nous sommes aujourd'hui dans une situation hautement paradoxale, puisque l'OMS et la Commission européenne incitent tous les Etats et tous les gouvernements à constituer des stocks massifs d'un médicament antiviral, le Tamiflu. Or, on ne dispose d'aucune véritable preuve scientifique que ce médicament est efficace contre l'infection humaine par le virus H5N1. A fortiori, comme dans le cas du vaccin, on ne dispose d'aucune preuve de son éventuelle efficacité contre un virus dont la structure est encore inconnue.
On dépense des sommes considérables actuellement pour tenter d'atteindre les objectifs de l'OMS, qui voudrait que chaque pays au monde dispose de stocks de Tamiflu susceptibles de protéger, le moment venu, 25 % de la population de chacun des pays. Les capacités actuelles de production de cette molécule par la multinationale pharmaceutique Roche, qui en possède le brevet, sont loin de répondre à la demande.
Pour certains responsables sanitaires internationaux – les vétérinaires de la FAO ou ceux de l'Office international des épizooties –, il serait beaucoup plus judicieux et rationnel de consacrer un faible pourcentage de ces sommes dans le développement d'une vaccination systématique des volailles d'élevage dans les pays où sévit actuellement l'épizootie.

Ok : Cela peut-il changer le cours des choses ?
Jean-Yves Nau :
L'émergence d'une pandémie grippale est sans aucun doute inéluctable. Mais cette perspective ne peut pas être datée. Cette pandémie surviendra dans dix, cinquante ou cent ans. En revanche, il est parfaitement établi qu'avec la vaccination systématique des volailles dans les pays où sévit l'épizootie, on pourrait éradiquer le virus H5N1.

Murisandeme : Comment ce pourcentage de 25 % a-t-il été décidé ? Qu'appelle-t-on population à risques, notamment en Europe ?
Jean-Yves Nau :
Le pourcentage de 25 % a été établi sur la base de modèles statistiques issus de ce qui s'est passé durant les dernières pandémies de grippe de la deuxième partie du XXe siècle. Pour le dire simplement, un certain seuil de vaccination de la population permet de réduire efficacement la diffusion du virus dans l'espèce humaine.
Les populations à risques, ce sont pour l'essentiel les personnes âgées souffrant de différentes pathologies, ainsi que tous ceux qui sont concernés par des affections dites "de longue durée" et chez lesquels la vaccination est aujourd'hui gratuite en France. Mais on parle aussi de populations qui devraient être prioritairement protégées en cas de pandémie, c'est-à-dire l'ensemble des personnes exerçant des professions essentielles au maintien de la vie en collectivité. Il s'agit par exemple de toutes les personnes travaillant dans les transports, dans le monde de la santé, chez les forces de l'ordre et les forces armées. La liste est longue et n'est pas véritablement établie par les responsables sanitaires et politiques.

Guillaume : Pour les adultes "normaux", il y a peu de risque alors ?
Jean-Yves Nau :
Pour les adultes "normaux", a priori, avec les virus grippaux tels que nous les connaissons, il y a peu de risques. Mais dès lors que nous avons affaire à un virus de la grippe mutant et hautement pathogène, la situation est tout autre. La grippe espagnole de 1918 a ainsi montré que les adultes jeunes, "normaux", étaient particulièrement exposés au risque d'infection mortelle.
Il n'en reste pas moins qu'il faut bien définir un plan de prévention tenant compte du fait que l'on ne pourra jamais, en situation de pandémie, protéger en temps et en heure l'ensemble de la population. En toutes hypothèses, cette pandémie provoquerait une catastrophe sanitaire. Les projections faites sur ce point par l'Institut national de veille sanitaire (et disponibles sur le site de cette agence) sont loin d'être rassurantes.

Sauron : Est-ce que vous pensez que le vaccin sera efficace lorsque le virus sera transmissible à l'homme (car selon l'OMS, ce n'est qu'une question de temps avant que le virus mute) ?
Jean-Yves Nau :
Oui, il est clair que le virus de la grippe mutera un jour et qu'il sera responsable d'une pandémie. Il est tout aussi certain que l'on saura fabriquer un vaccin efficace et sans danger qui permettra de rompre la chaîne de transmission du virus et de contamination entre humains. Et il est tout aussi évident qu'entre le moment où le virus mutant aura émergé et le moment où l'industrie pharmaceutique sera susceptible de commercialiser un tel vaccin, il existe une période incompressible que les experts situent au minimum à six mois. C'est la raison qui conduit les autorités sanitaires à recommander le stockage de médicaments antiviraux qui pourraient être utilisés en première ligne durant cette période.

Gérard : Que pensez-vous de l'article du New England Journal of Medecine datant déjà de plusieurs mois évoquant la transmission du virus d'homme à homme et la mort de deux personnes au Vietnam ? (cf : http://content.nejm.org/cgi/content/short/352/4/333)
Jean-Yves Nau :
Jusqu'à présent, toutes les observations qui ont été faites dans les pays les plus exposés – là où sévit l'épizootie, soit une douzaine de pays asiatiques –, n'ont jamais véritablement permis de démontrer de manière scientifique qu'il y avait une possibilité de passage d'homme à homme du virus H5N1. Il faut aussi ajouter que dans ces pays, des dizaines voire des centaines de millions de personnes ont été, un jour ou l'autre, en contact plus ou moins proche avec des volailles infectées. Or, on ne recense à ce jour qu'environ 120 cas d'infection humaine, qui ont malheureusement provoqué une soixantaine de morts. Si le virus H5N1 était transmissible d'homme à homme, la situation épidémiologique serait beaucoup plus dramatique.

JFR: Les oiseaux migrateurs sont responsables de la propagation du virus de la grippe aviaire. Mais en principe, à cette période de l'année, les espèces concernées se déplacent vers le Sud. Cela ne fait-il pas, dès lors, diminuer le risque pour l'Europe ?
Jean-Yves Nau :
C'est une très mauvaise analyse. Il faut savoir que l'hypothèse selon laquelle des oiseaux migrateurs sont responsables de la diffusion géographique du virus aujourd'hui présent en Asie a été longtemps contestée, notamment par les ornithologues et par la Commission européenne. Cette hypothèse a pour l'essentiel été défendue par la FAO et par l'Office international des épizooties. Mais les dernières informations provenant de Sibérie puis, plus récemment encore, de Turquie et de Roumanie, ne laissent plus guère de doute quant au rôle joué par les oiseaux migrateurs.
Imaginer que, parce qu'ils volent vers le Sud, les oiseaux pourraient ne pas infecter les volailles des élevages européens ne tient pas compte du fait que ces oiseaux qui partent vers l'Afrique (où ils rencontreront d'autres oiseaux venus d'autres régions) remonteront au printemps vers le Nord, via l'Europe. C'est dire l'importance qu'il faut accorder à la surveillance de ces oiseaux et à la protection des élevages et ce, dans l'ensemble des continents africain, européen et asiatique.

LA CONSOMMATION DE VIANDE DE VOLAILLE CUITE SANS DANGER

Guillaume: Y a-t-il des risque avec les animaux morts ? (Je travaille régulièrement dans un centre de vente de volailles.)
Jean-Yves Nau :
Des oiseaux retrouvés morts sans cause apparente, dans des circonstances a priori anormales, doivent être tenus pour suspects. Pour autant, tout laisse penser que ce n'est pas un simple contact cutané avec ces oiseaux qui peut être susceptible d'une contamination. Les enseignements de la situation asiatique montrent que la quasi-totalité des 120 personnes infectées par le virus H5N1 étaient des personnes qui avaient acheté des oiseaux vivants avant de les tuer, de les plumer et de les vider pour les consommer. Les experts estiment que c'est à cette occasion qu'ils ont été en contact avec de très grosses concentrations virales, contact qui a été à l'origine de l'infection.
Pour ce qui est du risque lié à la consommation d'une viande provenant d'une volaille infectée par le H5N1, la virologie a parfaitement démontré, et depuis très longtemps, que le virus grippal ne pouvait résister à des températures de l'ordre de 60 ou 70°. La consommation de viande de volaille cuite est donc a priori sans aucun danger. Il faut quand même savoir raison garder. Nous ne sommes absolument pas ici dans une histoire similaire à celle, récente, de la vache folle,
où la consommation de viande bovine ou d'abats bovins provenant d'animaux contaminés par une forme anormale de prion pouvait être responsable d'une maladie neurodégénérative.

Pleiades : Et en l'état actuel des moyens médicaux, peut-on imaginer que la pandémie puisse provoquer autant de morts que la grippe espagnole (40 millions) ?
Jean-Yves Nau :
Le jour où une pandémie surviendra dans l'espèce humaine, il est clair qu'elle sera responsable d'un grand nombre de morts. Pour ce qui est de la grippe espagnole, on estime qu'elle a été à l'origine de 30 à 50 millions de décès. Et la population mondiale était notablement inférieure à celle d'aujourd'hui. D'autre part, les grandes concentrations humaines des mégapoles d'aujourd'hui constitueraient un facteur nettement aggravant de contagion. De même que la multiplication des transports aériens ou terrestres. A l'inverse, on peut penser que la mortalité de la grippe espagnole a également été liée aux complications infectieuses de l'infection virale. Or, on sait aujourd'hui traiter par des médicaments antibiotiques la plupart de ces complications infectieuses d'origine bactérienne. Dans ce contexte, personne n'est capable de prédire ce que serait la mortalité d'une pandémie due à un nouveau virus grippal mutant.

Agnès : Pour en revenir à la protection... les mesures de sécurité les plus "applicables", lorsque le virus aura muté, ne seront-elles pas de rester chez soi ?
MARC: Donc les transports en commun, c'est un grand facteur de risque ?
Jean-Yves Nau :
Si l'on cherche à bâtir les scénarios possibles en cas de pandémie, on aboutit très vite, effectivement, à la démonstration qu'aucune vie collective n'est plus possible. Imaginez un seul instant ce que pourraient être les conséquences d'une grève des transports en commun totale et étendue à l'ensemble du continent, une grève qui durerait plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Ce scénario est incompatible avec la vie en collectivité. Sans parler d'une grève qui s'étendrait à l'ensemble de la production d'énergie, à l'ensemble des activités industrielles, à l'ensemble des services sanitaires. C'est pourquoi les responsables politiques ont d'ores et déjà défini les secteurs d'activité qui devraient être prioritairement maintenus. La menace d'une pandémie grippale est de ce point de vue assez similaire à la menace terroriste ou à tout ce qui a trait à la défense nationale et à la sécurité civile.

Guillaume : Quels sont ces secteurs ?
Jean-Yves Nau :
Ce sont des questions très difficiles qui imposent effectivement aux responsables gouvernementaux de faire des choix politiques d'une très grande importance. De fait, des "sacrifices" devront être faits, l'essentiel étant de maintenir un minimum de vie collective et de sécurité civile. On peut imaginer, par exemple, que la protection disponible "bénéficie" en priorité aux médecins et aux infirmières, puisque c'est eux qui devront prendre en charge d'emblée les personnes infectées, et donc contagieuses. La même question se pose pour les membres des forces militaires, des forces de l'ordre et tous ceux, d'une manière générale, qui assurent les fonctions essentielles de la vie en collectivité.

Agnès : Le port du masque sera-t-il une bonne mesure de protection ? Comment seront-ils distribués ? Par qui ? Et à quel moment ?
MARC : Le masque est-il efficace ?
Jean-Yves Nau :
Lorsqu'on parle ici de masque, on parle de masque en textile, placé sur le visage et accroché par des élastiques aux deux oreilles. Ces masques sont hautement protecteurs à la fois contre la diffusion du virus par une personne qui serait infectée ou contre le risque de contamination par celui qui le porte. La France a décidé de se doter d'un stock national de ce type de masque à hauteur de 200 millions d'unités d'ici au début de 2006. Actuellement, 50 millions de ces masques sont distribués dans les établissements hospitaliers. Ils sont destinés au personnel médical et au personnel soignant. Ils sont efficaces pendant une période limitée à quatre heures. Le gouvernement français a d'autre part affirmé qu'il prenait toutes les mesures pour que la France puisse disposer d'une capacité nationale de production en continu de ce type de protection. Les masques seront distribués par les responsables hospitaliers au personnel dès lors qu'il aura été établi que la pandémie a commencé à sévir sur le territoire et que des malades commenceront à être hospitalisés. Là encore, il ne s'agit pas d'un privilège réservé aux médecins ou aux infirmières, mais bien de permettre à ces derniers de continuer à avoir une activité professionnelle tout en ne devenant pas à leur tour des vecteurs de contamination des personnes qui les entourent.

Angele : En tant que médecin, je connais deux amis confrères qui ont déjà commencé à stocker ces masques. N'est-ce pas céder à un début de panique ?
Jean-Yves Nau :
On ne peut pas faire l'économie d'un début de panique dans différents domaines. Deux exemples : il existe actuellement des masques chirurgicaux parfaitement efficaces qui sont commercialisés et qui existent dans différents établissements hospitaliers, publics ou privés. Rien n'interdit d'en acquérir des stocks plus ou moins importants dans l'optique de la prochaine pandémie.
Pour ce qui est du Tamiflu, le médicament antiviral supposé être efficace et dont la France a d'ores et déjà constitué 17 millions de traitements, il faut savoir que cette molécule est aujourd'hui commercialisée dans les pharmacies et qu'elle peut être obtenue sur prescription médicale et qu'elle est remboursée par la Sécurité sociale. Certains médecins ont donc jugé qu'ils pouvaient prescrire ce médicament à des fins préventives à ceux de leurs patients qui en exprimeraient la demande. Or, l'indication officielle d'autorisation de mise sur le marché prévoit que le Tamiflu ne peut être prescrit pour lutter contre la grippe saisonnière que lors des périodes d'épidémie, ce qui n'est pas le cas actuellement. Les responsables sanitaires français sont pleinement au courant de cette liberté prise avec le cadre officiel de prescription. On n'imagine pourtant que très difficilement qu'ils puissent prendre des sanctions vis-à-vis de ces médecins prescripteurs. On ne dispose pas de chiffres précis quant au nombre de ces prescriptions "hors normes", mais il est d'ores et déjà quasi impossible de trouver du Tamiflu dans les pharmacies d'officines françaises. La multinationale pharmaceutique Roche, qui fabrique ce médicament, explique cette situation en faisant valoir que nous ne sommes pas actuellement en période d'épidémie. Elle précise toutefois que dès que l'épidémie sera là, le Tamiflu sera à nouveau disponible.
Le travail journalistique sur un sujet comme celui-là est aussi passionnant que difficile, puisque les journalistes sont à la fois contraints de relater l'ensemble des événements nationaux et internationaux relatifs à l'évolution de la situation épidémiologique, et que de ce fait, ils prêtent le flanc à toutes les critiques, à commencer par celle de participer à une nouvelle forme d'hystérie collective.

Chat modéré par Constance Baudry et Alexandre Piquard
LEMONDE.FR | 19.10.05 | 16h39


Le Monde / Europe
Roche va abandonner l'exclusivité de la production de son antiviral Tamiflu

 L a multinationale pharmaceutique Roche doit faire face à la multiplication des demandes de production de versions génériques de son antiviral Tamiflu (ou oseltamivir), dont il est le fabricant exclusif. Ce médicament antiviral est tenu pour être efficace contre un mutant du H5N1, responsable de la grippe aviaire.

Mercredi 19 octobre, Roche a annoncé un chiffre d'affaires de 25,4 milliards de francs suisses (16,36 milliards d'euros), en hausse de 16 % sur les neuf premiers mois de 2005. Les ventes de sa division pharmacie progressent de 20 %, soit une augmentation trois fois plus rapide que la moyenne du marché.

Les ventes de Tamiflu ont fait un bon de 263 % depuis janvier et se sont élevées à 859 millions de francs suisses (553 millions d'euros). Cette situation est d'autant plus surprenante que Roche avait du mal, depuis quelques années, à commercialiser ce médicament pour le traitement de la grippe saisonnière en période d'épidémie, ce qui était pourtant sa première indication.

Les ventes de Tamiflu devraient, dans les prochains mois, continuer à s'envoler. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande en effet la constitution de stocks assurant la couverture thérapeutique de 25 % de la population. La Commission européenne exhorte d'ailleurs ses Etats membres à suivre cette recommandation.

Après un feu vert donné par la Food and Drug Administration, l'autorité sanitaire américaine, pour la création d'un nouveau site industriel aux Etats-Unis, Roche a annoncé mardi qu'il allait augmenter au plus vite la production de cet antiviral.

Le laboratoire a aussi indiqué le même jour, pour la première fois, être prêt à accepter d'associer d'autres firmes pharmaceutiques à la production, alors qu'il expliquait ces derniers temps que la complexité des dix phases de fabrication l'interdisait. "Nous sommes préparés à discuter de toutes les options valables, y compris l'octroi de licences secondaires" , a déclaré William Burns, chef de la division pharmaceutique. Roche, enfin, s'est aussi dit ouvert à des pourparlers avec des fabricants de génériques.

La multinationale suisse estime aujourd'hui ne plus pouvoir continuer à bénéficier de sa situation de monopole. Elle a jugé qu'elle n'était plus capable de résister aux pressions croissantes visant à mutualiser à l'échelon planétaire la production de cet antiviral.

FABRIQUER DES GÉNÉRIQUES

Roche sait qu'il doit tenir compte des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui prévoient d'autoriser, dans certaines conditions, les Etats à faire produire des copies génériques de médicaments protégés par des brevets dès lors qu'ils sont confrontés à des crises sanitaires.

Or plusieurs pays ont exprimé ces derniers jours leur volonté de produire des génériques du Tamiflu. La société indienne Cipla a déjà programmé cette production et Taïwan se montre intéressé. Aux Etats-Unis le sénateur démocrate Charles Schumer a évoqué, mardi, la possibilité d'une initiative législative si le laboratoire suisse n'octroyait pas, dans les trente jours, des licences de fabrication de Tamiflu à cinq sociétés américaines.

Roche sait qu'il pourrait difficilement s'opposer de manière durable à de telles initiatives et conserver à la fois son monopole et la protection assurée par ses brevets, comme l'a montré l'histoire récente des médicaments antirétroviraux utilisés contre le sida ou celle, en 2001, du Cipro, un médicament contre l'anthrax produit par la multinationale allemande Bayer.

Pour l'heure, face à la tornade dans laquelle Roche est entré, le britannique GlaxoSmithKline ­ - producteur du Relenza (ou zanamivir), autre médicament potentiellement efficace contre le virus H5N1 ­ - n'a pas fait publiquement savoir quelle politique de développement il entendait mener.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 20.10.05


Le Monde / International
La peine de mort reste la norme dans les pays arabes et en Iran

 C' est en août 2004 que le gouvernement irakien de l'ancien premier ministre Iyad Allaoui a rétabli la peine de mort. Elle s'applique à une série de crimes allant du meurtre aux "atteintes à la sécurité nationale", en passant par le trafic de stupéfiants et les enlèvements. En réponse à des contestations au sein même du pouvoir, le gouvernement Allaoui avait justifié cette mesure, qui était en vigueur sous le régime déchu et qui avait été abolie après sa chute, par la dégradation continue de la situation sur le terrain. Sitôt dit sitôt fait, puisque, en novembre 2004, c'est-à-dire quatre mois après l'entrée en vigueur de la loi, Amnesty International notait que dix personnes s'étaient vu infliger cette sanction.

Le rétablissement de la peine de mort a remis l'Irak au diapason de la législation en vigueur dans l'ensemble des pays arabes et aussi de l'Iran. Au cours de la seule année 2004, au moins 159 personnes dont un mineur ont, en effet, été exécutés en République islamique. Ce qui, toujours selon Amnesty, plaçait ce pays parmi les quatre Etats qui, à eux seuls, cumulaient 97 % des exécutions recensées ­ en l'absence d'informations exhaustives ­ dans le monde. Les trois autres pays sont la Chine, le Vietnam et... les Etats-Unis.

L'Irak fait donc à nouveau partie des 75 pays qui, en 2005, n'ont pas aboli la peine de mort en droit pas plus qu'en pratique. Les pays arabes voisins ou plus lointains ainsi que l'Iran ne font guère exception. Seize au total avec l'Arabie saoudite, l'Autorité palestinienne, Bahreïn, les Emirats arabes unis, Koweït, le sultanat d'Oman, le Qatar, l'Egypte, la Jordanie, le Liban, la Syrie, mais aussi la Libye, l'Algérie, le Soudan et le Yémen.

Plus grave, parmi les huit pays régionaux qui, depuis 1990, ont exécuté des condamnés à mort pour des crimes commis alors qu'ils n'avaient pas dix-huit ans, figurent aussi bien l'Iran que l'Arabie saoudite et le Yémen. Pour l'année 2005, Amnesty a déjà recensé en Iran l'exécution de six mineurs délinquants.

Si en Arabie saoudite, il est rarissime qu'une condamnation à mort ne soit pas traduite dans les faits, c'est aussi le cas en Egypte, en Syrie et au Liban ­ où un moratoire de cinq ans avait pourtant était observé. Dans d'autres pays en revanche, le passage à l'acte est différé, sans que l'on sache trop s'il s'agit d'un sursis, ou d'une abolition de la peine capitale de facto , à défaut d'être de jure . Ainsi, aucune exécution n'a eu lieu dans les territoires palestiniens en 2004, bien que huit personnes aient été condamnées à mort. Bahreïn a commué en peine de réclusion à perpétuité la condamnation à mort d'une jeune employée reconnue coupable d'avoir battu à mort sa patronne.

Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 20.10.05


Le Monde / Une
Le Ventre de Une
L'armée de l'air finlandaise tient à sa croix gammée

 S' agissant des motifs qui ornent le fond bleu du drapeau, Liisa Kontiainen, héraldiste, explique que la couronne d'ailes blanches représente la connaissance, alors que la torche avec quatre éclairs symbolise la guerre électronique. L'artiste n'a pas précisé ce qu'évoque la croix gammée noire située au centre du drapeau de l'Ecole de guerre aérienne de Finlande, parce qu'il va de soi, pour tous les Finlandais, que "ce symbole antique avait été adopté par l'armée de l'air finlandaise dès les débuts de son histoire et ne pouvait donc en aucun cas être interprété comme ayant un lien quelconque avec la croix gammée nazie".

Donc, lorsque Ruotuväki, le bulletin d'information des forces armées finlandaises, a rapporté, dans son numéro du 4 octobre, qu'une cérémonie officielle se tenait ce jour-là à la présidence de la République, à Helsinki, pour la remise solennelle du nouveau drapeau à l'Ecole de guerre par la présidente finlandaise, Tarja Halonen, la nouvelle n'a ému personne. Hannu Niskanen, évêque-aumônier, a simplement béni la bannière de ce qu'il a appelé les "forces armées célestes", et l'affaire fut réglée. Ce n'est que plus tard qu'une certaine effervescence s'est développée, sur Internet. En Finlande, rien. Comme l'a précisé, mardi 18 octobre, Juha Virtanen, chargé d'affaires de l'ambassade de Finlande à Paris, "cette question n'a pas été évoquée au niveau officiel". Le diplomate a fait parvenir au Monde une explication de l'origine finlandaise de la svastika, d'où il ressort que celle-ci est "utilisée depuis la nuit des temps comme motif de décoration ou comme signature". "Souvent considérée comme un signe de bon augure, la croix gammée a encore jusqu'à très récemment été utilisée dans les travaux de couture des peuples finno-ougriens", ajoute-t-il.

Historiquement, la croix gammée bleue sur fond blanc était l'emblème de chance du comte suédois Eric von Rosen, qui avait fait apposer cette marque sur les ailes de son avion pendant la "guerre de libération de 1918". Il avait ensuite donné son appareil aux forces aériennes finlandaises, qui ont fait leur ce "motif de décoration" jusqu'en 1945. Après la guerre, la "Commission de surveillance" a ordonné le remplacement de la svastika par une simple cocarde, sans pour autant ordonner le retrait de bannières à croix gammées.

Les diplomates finlandais prennent soin de rappeler que la croix gammée des nazis "pointait toujours vers la droite, alors qu'en Finlande on l'inscrivait toujours tout droit", et ils soulignent que "cet emblème historique" est "chargé d'une forte valeur sentimentale".

Faute d'émouvoir la Finlande, la croix gammée de l'Ecole de guerre a donné lieu à de nombreux messages attristés et courroucés d'internautes. De nombreux bloggeurs ont évoqué cette affaire, mais c'est le propos de "Christine" qui retient le plus l'attention. Elle trouve "infamant" de "justifier l'inacceptable", et, s'adressant aux autorités finlandaise, elle écrit : "Parce que votre pays appartient à notre Europe à tous, parce que vous allez contre un travail de mémoire qui est long, douloureux et difficile pour tous nos pays. Parce que vous faites comme si toutes celles et tous ceux qui sont morts par millions au pied de cette croix qui claquait sur les drapeaux du IIIe Reich étaient comme la conséquence d'une erreur regrettable en matière d'interprétation des symboles."

Laurent Zecchini
Article paru dans l'édition du 20.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Un général suspendu

 L e désaveu d'un général doit-il rejaillir sur l'armée française ? En suspendant le général Henri Poncet, 56 ans, ancien patron de l'opération "Licorne" en Côte d'Ivoire, et en faisant planer sur lui le soupçon qu'il a sciemment couvert le meurtre d'un Ivoirien, fût-il un assassin et un violeur, le ministère de la défense a pris une mesure sans précédent depuis la mise en cause des généraux d'Alger. La sévérité du geste est à ce point exceptionnelle que l'on est enclin à se demander s'il ne s'agit pas de stopper net une mise en cause beaucoup plus large des 4 000 soldats français stationnés en Côte d'ivoire.

Le danger serait de pratiquer l'amalgame et de jeter l'opprobre sur une armée qui depuis trois ans a fait preuve de sang-froid, notamment lors des événements de novembre 2004, lorsque l'aviation du président Laurent Gbagbo a bombardé un détachement français à Bouaké, tuant neuf soldats.

Que les militaires français aient eu, sous le commandement du général Poncet et en réaction à cet épisode dramatique, la main lourde pour mater l'éruption de violence qui menaçait alors Abidjan, c'est possible. Mais la tuerie délibérée de Bouaké ne saurait justifier l'éventuelle exécution d'un prisonnier. En l'état, rien n'a encore filtré des faits précis reprochés au général. Les propos de Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sonnent comme un acte d'accusation : "Il est de mon devoir de prendre des mesures lorsqu'il y a des manquements. Il en va de l'image de nos armées." Par définition, le nord de la "ligne de confiance", qui sépare la Côte d'Ivoire en deux, est une zone de non-droit.

Plus exactement, le droit y est incarné par l'armée française. C'est une lourde responsabilité qui requiert des soldats, dans un climat de guerre civile, d'évoluer en tentant d'imposer, sinon la paix, du moins une trêve. Voilà qui implique un refus sans concession des bavures et une parfaite communication avec la hiérarchie. Or le ministère n'aurait pas toujours été informé en temps et en heure.

Si le général Poncet a failli à sa tâche, il doit être sanctionné. Mais à ce stade, cette affaire sert surtout de révélateur à la position inconfortable d'une armée désormais de plus en plus impliquée dans des situations de maintien de l'ordre et non plus de guerre classique. Terrain mouvant, parfois politique. D'autres généraux ont été mis en cause dans le passé, comme le général Bernard Janvier, à propos du massacre de Srebrenica, en 1995.

A l'époque, l'intéressé avait été mis en cause pour ne pas avoir protégé les musulmans bosniaques pourtant "réfugiés" dans une zone de sécurité de l'ONU. Il s'agissait de non-assistance à personnes en danger. Au Rwanda, ce sont les ambiguïtés de la France et de son armée lors du génocide des Tutsis qui avaient été relevées et condamnées.

La présence française sur tant de théâtres d'opérations extérieurs demande, à l'évidence, une clarté dans la définition des missions qui n'est pas toujours au rendez-vous.

Article paru dans l'édition du 20.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Jean-Patrick ♦ 20.10.05 | 14h08 ♦ Une fois de plus les commentaires partent dans tous les sens. Attendons de connaître les résultats de l’enquête en cours avant de spéculer sur tel ou tel responsabilité ! Je trouve lamentable les commentaires du style "Une seule solution : faire revenir l’armée française de tous les théâtres d’opérations où elle va au risque de sa peau (pas grave, elle est payée pour ça),". Allez dire cela aux ressortissants français de Côte d’Ivoire ou d’autres pays Africains !
Jean-Matthieu G. ♦ 20.10.05 | 12h48 ♦ Effectivement, les faits ne sont nul part relatés et chacun se pique de commenter ou de jeter l’oprobre à cette entité vague qu’on appelle "Armée Française". Les faits ? Un criminel était poursuivi. Interpellé, il a tenté de fuir. Le sergent commandant la section a tiré... dans les jambes (hé ouais). Le suspect s’est enfui, blessé. On le retrouvera mort 2 jours plus tard dans une rue d’Abidjan, des "suites de son arrestation", en vérité des suites de sa blessure à la jambe
Késako ♦ 20.10.05 | 11h38 ♦ Bien que mon opinion soit loin d’être politiquement correcte, je dirai simplement que si ces soldats français avaient été chez eux dans cette métropole qui assure (grassement) leurs salaires, rien de cela ne serait arrivé … Si leurs chefs (dont la "sémillante" ministresse en tenue de bal) tenaient à tout prix à leur faire assurer "des missions de sécurité", alors pourquoi pas dans le métro de Lyon ou dans les gares de banlieue de Paris, à 11 h du soir ! Mais le prestige de la France !
Paul C. ♦ 20.10.05 | 08h38 ♦ Comment peut on dans de telles circonstances se livrer à des suppositions,des soupçons et des interprétations? je n’ai trouvé dans les différents articles aucun témoignage de journaliste ou de personnes commentant les faits présents sur le terrain au moment de l’accrchage. Il est facile de jeter l’opprobre sur des cadres de l’Armée française et de disserter sur le comportement de nos soldats tout en restant sous la couette. Attendons le résultat de l’enquête avant de salir des familles.
marie-suzanne ♦ 19.10.05 | 23h07 ♦ Une seule solution : faire revenir l’armée française de tous les théâtres d’opérations où elle va au risque de sa peau (pas grave, elle est payée pour ça), au risque de son honneur (traîné dans la boue depuis des décennies par des lâches et des intellocrates)… Peut-être une 2e : supprimer toute armée française, je ne vois pas pourquoi elle continue à tenter de défendre autant de c... !
Flying+Frog ♦ 19.10.05 | 20h25 ♦ Il vaut mieux etre suspendu que pendu. Ceci dit il fut un temps ou des militaires ayant fait bien pire que ce dont il est soupconné n’étaient pas inquiétés. Les temps changent ou alors ce genéral est une victime expiatoire dans le cadre d’une tractation politique?
kiribati ♦ 19.10.05 | 18h44 ♦ La rigidité et le goût du secret (et en conséquence le mépris du droit) sont des caractéristiques connues du général Ponset. Ce sont les caractéristiques d’un chef militaire. Mais la situation de l’opération "Licorne" est vraiment difficile, presque insupportable (par moments). Deux soldats y sonts morts en 2003 dans des circonstances douteuses. Il y a eu, peu après, une opération de "représailles", au mépris des règles de droit — où des Ivoiriens sont restés au sol. Qui en parle ?
ioulie ♦ 19.10.05 | 17h58 ♦ Le général Poncet s’était mis à dos non seulement le régime Gbagbo,ce qui est compréhensible,mais également sa propre hiérarchie,qui souhaitait à l’époque "en finir", en laissant un subordonné avertir ses camarades de promotion côté ivoirien de ne riposter en aucun cas aux actions militaires françaises sous peine d’anéantissement et de champ laissé alors libre aux rebelles du nord. A l’heure du réchauffement, chacun peut retrouver la face à peu de frais, et le général méditer sur ses devoirs...
Georges P. ♦ 19.10.05 | 17h50 ♦ A quand une enquête du Monde sur les raisons de la nette détérioration des liens de la "Franceafrique" ? Une bonne étude sur le rôle joué par les Etats-Unis dans la décolonisation de l’Afrique francophone est parue cette année (l’Harmattan), un travail grand public d’histoire "immédiate" - de journalisme en somme - devient utile.
micheline t. ♦ 19.10.05 | 17h13 ♦ était-il necessaire de donner en pature un général à la presse j’ai mal à la France .merci mam avec vos etats de services c’est normal .
PASCAL W. ♦ 19.10.05 | 16h55 ♦ Le texte de l’éditorial est ambigu et mal construit. Certes, on aimerait en savoir plus sur cette affaire, on en parlerait alors plus clairement. Mais pourquoi la mise en cause d’un officier supérieur doit-elle encore, en 2005, être immédiatement appréciée en terme d’"honneur de l’armée" ? L’éditorialiste semble hésiter entre l’appel à la transparence naturel au Monde et un conservatisme apeuré à l’idée de mécontenter l’uniforme...
monrog ♦ 19.10.05 | 16h25 ♦ Je note simplement, en marge de cette affaire, qu’au nom d’un soi-disant domaine réservé, la question de l’engagement de nos troupes à l’étranger appartiennent au seul Prince. Autre question : pourquoi tant d’engagements à l’extérieur ? Au nom de quels principes ? A quels prix ?
HENR4 ♦ 19.10.05 | 16h01 ♦ Attendons la suite . Pour le moment les journalistes parlent sans rien savoir. Nous demandont de savoir,car ce général "de haute valeur" (Mme la Ministre) mérite que tout le monde sache de quoi il s’agit (avant tout bavardages....)


Le Monde / Société
Un maire jugé pour avoir empêché la vente d'une maison à un couple d'origine étrangère
VIENNE (Isère) de notre envoyée spéciale

 C ravate rose, mocassins et chaussettes blanches, Gérard Dezempte, 54 ans, maire UMP de Charvieu-Chavagneux, a pris place sur le banc des prévenus, flanqué de son premier adjoint chargé de l'urbanisme, Georges Boyer, un ancien sapeur-pompier de 69 ans. L'élu de cette petite commune du nord de l'Isère comparaissait, mardi 18 octobre, devant le tribunal correctionnel de Vienne (Isère) pour "discrimination raciale par personne dépositaire de l'autorité publique".

Les faits remontent à l'année 2000. L'élu et son adjoint sont accusés d'avoir exercé le droit de préemption de la mairie sur la vente d'une maison d'un particulier pour éviter qu'elle ne soit vendue à un couple de Français d'origines algérienne et marocaine, Moussa Ghezzal et Aïcha Inegmirs, parfaitement inséré professionnellement et socialement.

Ces derniers avaient eu, ont-ils expliqué au tribunal, un "coup de foudre" pour la maison des Marin, mise en vente au prix de 648 000 francs. Mais lors de la signature du compromis de vente, le 29 janvier 2000, le notaire des vendeurs les avait brusquement mis en garde contre les difficultés susceptibles de se poser en raison de leur origine.

"FACIÈS PAS TROP TOLÉRÉ"

"Il nous a dit : "Je ne vous cache pas que votre faciès est pas trop toléré dans le coin"", a raconté M. Ghezzal à la barre. Puis l'officier ministériel leur a conseillé de se présenter à la mairie. Sous le choc des propos, le couple a rendu alors visite à Georges Boyer. Cinq jours plus tard, les Ghezzal ont reçu un courrier de la mairie leur indiquant que la municipalité exerçait son droit de préemption pour convertir la maison en local social.

Aux propriétaires, la mairie a proposé un prix ridiculement bas, en deçà de l'estimation des domaines. "Là, on s'est dit que le notaire avait raison, a commenté à la barre M. Ghezzal. Les Marin nous ont raconté que Georges Boyer leur avait indiqué que s'ils vendaient à une personne d'origine étrangère, la vente ne se ferait pas. La seule solution pour eux était de trouver un acheteur avec un nom à consonance européenne." "Dégoûtés", les Ghezzal ont préféré renoncer et acheter un terrain à L'Isle-d'Abeau, une commune voisine. Finalement, la mairie n'a jamais préempté et ne s'est pas opposée à la vente lorsque les Marin ont trouvé un acquéreur portant un nom français.

Pour sa défense, Gérard Dezempte assure qu'il n'a pas voulu "gêner"  le couple des vendeurs en proie à des difficultés de santé et d'argent. Il affirme que la mairie n'avait pas voulu investir au moment où une usine fermait ses portes sur la commune.

Les explications n'ont pas convaincu le ministère public et encore moins les parties civiles, SOS-Racisme et le MRAP, qui ont rappelé que le maire de Charvieu-Chavagneux, ancien "milloniste", déjà condamné pour "incitation à la haine raciale", avait fait de la baisse de la population étrangère sur sa commune un véritable programme.

Dans un réquisitoire d'une grande sévérité, le procureur a estimé que les deux élus avaient abusé et détourné leur droit de préemption dans le seul but de faire échec à la vente. Il a conclu à leur culpabilité. Malgré cela, Franck Rastoul, souhaitant "une peine judiciaire et non politique", n'a requis qu'une sanction à portée symbolique ­ 1 500 euros ­ d'amende. Le procureur avait pourtant rappelé que la loi prévoit des peines aggravées pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour les élus ayant commis des délits de discrimination.

Jugement le 29 novembre.

Sophie Landrin
Article paru dans l'édition du 20.10.05


Le Monde / France
La droite croit dur comme fer au retour de Lionel Jospin pour 2007

 À  venir, un livre, une émission de télévision, une grande interview : il n'en fallait pas tant à la droite pour croire au retour de Lionel Jospin. Depuis plus d'un an et demi, les élus de la majorité prédisent que l'ancien premier ministre sera candidat en 2007. Il y a là une part de tactique, et une vraie conviction. A commencer par celle de son rival de 2002, Jacques Chirac, réélu contre Jean-Marie Le Pen.

Précisément pour cette raison, le président pense que celui qui partagea avec lui cinq ans de cohabitation, reviendra. "Je le connais, il voudra sa revanche", avait confié M. Chirac à Jean-Pierre Raffarin. Quand M. Jospin avait annoncé, le 21 avril, "j'abandonne la vie politique", le chef de l'Etat n'en avait pas cru un mot.

"Il est trop teigneux, trop bagarreur pour ne pas vouloir rejouer le match", juge un proche de M. Chirac. Un autre demande, gourmand : "Et vous, vous y croyez au retour de Jospin ?" Avant d'ajouter, faussement navré que, dans ce cas, "ce sera dur pour les jeunes" ­ comprendre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy. De vieux routiers comme Charles Pasqua et Philippe Séguin partagent, en privé, la même analyse. Même la jeune députée (UMP) des Yvelines, Valérie Pécresse, est persuadée du retour de "l'austère qui se marre", comme Jospin s'était qualifié lui-même.

Josselin de Rohan, président du groupe (UMP) du Sénat et condisciple de Lionel Jospin en hypokhâgne à Janson-de-Sailly, est peut-être celui qui le connaît le mieux, à droite : "Si le non l'emporte, prévoyait-il avant le référendum du 29 mai, les partisans du oui en voudront à mort à Fabius." Qui pourra alors le mieux fédérer le PS ? "Jospin, disait-il, car il a prouvé qu'il était un authentique homme de gauche, contrairement à Fabius." Le sénateur aligne ses arguments : Jospin est plus jeune que Chirac, il a déjà fait deux campagnes présidentielles, il a une stature internationale, des qualités de gouvernant. Il peut être un recours, vu "l'état dans lequel les socialistes vont sortir de la bagarre".

Lionel Jospin est, aux yeux de cet ami, "ce genre d'homme qui ne renonce à la politique que dans le cercueil". M. de Rohan balaie d'un geste le passé trotskiste du socialiste : "C'est oublié." Le seul obstacle à sa candidature ? "Après le premier tour, il est parti en laissant tout le monde dans la mouscaille. Est-ce que les socialistes passent l'éponge là- dessus ou pas ?", s'interroge-t-il.

Béatrice Guerry
Article paru dans l'édition du 20.10.05


Le Monde / France
Lionel Jospin revient sur la scène politique

 L ionel Jospin revient sur la scène politique et livre dans un ouvrage intitulé Le Monde comme je le vois ses pistes de réflexion sur l'Europe, l'économie ou encore l'avenir du Parti socialiste. Les bonnes feuilles de son livre, qui sort le 27 octobre en librairie, sont publiées jeudi 20 octobre dans Le Nouvel Observateur.

A un mois du congrès du PS au Mans, l'ancien premier ministre règle quelques comptes, avec l'extrême gauche et Laurent Fabius notamment. Cinq mois après le référendum sur la Constitution européenne, Lionel Jospin estime que le "traité constitutionnel est mort"  et la "voie institutionnelle pour un temps bouchée".

Il fustige – en filigrane – la position adoptée par Laurent Fabius, son ancien ministre de l'économie, militant du non, qui avait promis un "plan B" en cas de rejet du texte lors du référendum du 29 mai.

"Je ne vois se dessiner aucun plan institutionnel de substitution susceptible de satisfaire les Français et d'obtenir l'accord de nos partenaires", écrit Lionel Jospin, "choqué" par certains arguments des partisans du non, sur l'avortement ou la laïcité.

"Il est plus inacceptable encore de susciter la peur de l'étranger en dénonçant les travailleurs de l'Europe centrale ou en manipulant politiquement les délocalisations dont on n'entend plus guère parler depuis le 29 mai", poursuit-il, visant à nouveau Laurent Fabius pour qui l'Europe élargie fait planer un risque de décrochage économique de l'Union européenne.

"Nous ne réussirons pas l'élargissement en nous montrant frileux politiquement, malthusiens économiquement et chiches budgétairement", prévient Lionel Jospin.

LA DROITE "À CÔTÉ DE LA PLAQUE"

A ses yeux, les "éléments" d'un "bon compromis" de sortie de crise européenne existent, entre autres, une augmentation du budget communautaire, la réduction du coût de la politique agricole commune, une meilleure harmonisation fiscale et la reconnaissance des services publics.

"Mais cela supposerait que les autorités françaises soient capables de bouger", ironise l'ancien premier ministre avant d'attaquer les politiques néolibérales de la droite qui "tapent à côté de la plaque".

"Elles ne se sont pas révélées efficaces" et "risquent de se payer plus tard au prix fort" estime-t-il, rappelant qu'entre 1997 et 2002, quand il était à Matignon, "la confiance et la croissance économique ont été rétablies parce qu'aucune catégorie n'a été oubliée".

Les extraits choisis par Le Nouvel Observateur n'abordent la situation au Parti socialiste que de façon indirecte, sans un mot sur le congrès du Mans. En revanche, en vue des prochaines échéances électorales, l'ancien chef de la gauche plurielle exclut tout rapprochement avec l'extrême gauche.

"Le jeu démocratique loyal veut qu'on aille se battre sur tout le terrain non qu'on reste assis dans les tribunes pour siffler les joueurs", dit-il.

L'ancien premier secrétaire du PS critique cependant le choix des dirigeants actuels d'organiser un référendum interne sur la Constitution européenne "dont ils savaient qu'il les diviserait". Il se prononce pour un régime présidentiel alors que d'autres au PS militent pour l'instauration d'un régime parlementaire.

Lors d'une réunion de sa section PS dans le 18e arrondissement de Paris lundi, il a apporté son soutien à François Hollande en vue du congrès. Une position qu'il pourra défendre le 5 novembre, quatre jours avant le vote des militants du PS lors d'une séance de dédicaces dans une librairie parisienne.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 20.10.05 | 08h21


Le Monde / Société
Les dérives d'un couple, du surendettement à l'infanticide
BEAUVAIS de notre envoyée spéciale

 D eux paires d'yeux bleus sous des cheveux blonds. Ceux de Mathilde, 9 ans, ronds, vifs, rieurs, rivés à ses doudous de peluche. Ceux de Médéric, 16 ans, si durs, lorsqu'ils se posent sur le couple assis à la place des accusés : Emmanuel et Patricia Cartier, leurs parents. Ils sont jugés depuis lundi 17 octobre par la cour d'assises de l'Oise, pour avoir tenté, le dimanche 18 août 2002, de tuer leurs cinq enfants, en leur faisant des piqûres d'insuline. Les deux plus petits, Marine et Thomas, aujourd'hui âgés de 6 et 3 ans, sont restés à l'école. Alicia, 11 ans, est morte. Leurs parents encourent la réclusion criminelle à perpétuité.

"Ce dimanche soir, il faisait très orageux" , se souvient Mme Cartier. Elle avait rempli des sacs de vêtements pour la Croix-Rouge, rassemblé quelques bijoux et des photos avec un mot pour une de ses soeurs.

Son mari, de son côté, avait rédigé une longue et tendre lettre à sa mère. Il lui confiait Princesse, la chienne, Minouche, la chatte, et regrettait de ne pas avoir pu la serrer dans ses bras une dernière fois. Dans un carton, il avait aussi rangé les consoles de jeux vidéo et des CD pour son frère, brûlé des papiers et sorti les poubelles.

Puis Patricia Cartier était allée chercher dans le réfrigérateur les trois flacons d'insuline dérobés dans la maison de convalescence où elle travaillait comme aide-soignante et en avait rempli des seringues. Aux enfants, elle a dit que c'était un vaccin, pour l'école, et qu'elle n'avait plus assez de sous pour aller chez le médecin. Elle a commencé par le bébé de 11 mois, Thomas, puis par Mathilde et Marine, qui ont protesté parce qu'elles étaient en train de regarder une cassette. Elle a continué avec Médéric et Alicia.

Il restait encore deux seringues, mais plus assez de produit. Patricia Cartier s'est piquée dans le ventre, à deux reprises. Avant d'aller se coucher, dans le lit voisin de celui des deux petites, elle a pris Thomas dans ses bras. Pour son mari, elle avait laissé le scalpel et une bouteille de whisky sur la table du salon. Il a bu, vomi, essayé le scalpel "avec le côté non tranchant" , bu encore et s'est endormi. C'est Thomas qui a réveillé sa mère, quelques heures plus tard. Quand elle s'est levée pour lui faire un biberon, elle a entendu des râles dans la chambre d'Alicia. "Je la tapotais, elle ne répondait pas."

Lorsque les pompiers, alertés par un coup de téléphone paniqué des parents, sont arrivés au petit matin, Alicia était dans un coma profond. Aux gendarmes, les époux ont avoué tout de suite avoir voulu en finir pour fuir leur surendettement et partir avec leurs enfants "vers un monde meilleur" .

"L'idée vient de moi. Ça a commencé à me travailler vers le mois de mai" , raconte M. Cartier. Un distributeur automatique venait d'avaler une de ses cartes de crédit. Sur son portable, il avait reçu quelques appels pressants d'organismes de prêt. "Il m'a dit qu'on était foutus" , confirme son épouse. Le crédit, ils avaient toujours vécu avec. Pour Emmanuel Cartier, cela avait commencé à 19 ans. Il avait envie d'une chaîne stéréo et sa mère lui avait dit : "Prends ma carte Aurore et va chez Conforama." Avec sa femme, leur premier achat à crédit a été pour la voiture. Puis il y a eu le lave-linge, le réfrigérateur, la télé, l'ordinateur, la literie pour les premiers enfants. "Médéric et Mathilde faisaient des crises d'asthme. J'avais poussé mon mari à acheter un appareil à vapeur pour le ménage. C'était une bêtise, il coûtait très cher, 10 000 francs à l'époque", poursuit Mme Cartier.

Petit à petit, les cartes de crédit s'empilent dans les portefeuilles : la Cora, la Kangourou, la Codefi, la Cofidis, la Sofinco, la Cetelem... "Ça faisait de toutes petites sommes à rembourser, ça ne se voyait pas. Je ne faisais plus mes comptes avec mes revenus. Le crédit, c'était devenu naturel" , raconte M. Cartier. Quand ils contractent un nouveau prêt à la consommation, les époux prennent soin d'indiquer "0" dans la case "autres crédits" sur le formulaire. "Sinon, ça ne serait pas passé" , admet-il. Une première fois, il s'inquiète et conclut avec sa banque un rachat de toutes ses dettes, évaluées à 135 000 francs. "Mais comment en étiez-vous arrivés là ?" , lui demande la présidente, Cécile Simon. "C'était pour les enfants. Je voulais toujours qu'ils aient le mieux. Si j'achetais pour l'un, j'achetais pour l'autre. Cela me semblait normal !"

En novembre 2000, Emmanuel et Patricia Cartier s'arrêtent devant une annonce des maisons Phénix. Quitter leur HLM pour un pavillon, ils en rêvent. Les voilà endettés de 680 000 francs supplémentaires. "Un endettement massif !" , s'étonne la présidente. "Non, c'était sur vingt ans" , répond M. Cartier. Ils s'équipent d'une cheminée avec insert, à 48 000 francs, acquièrent un abri de jardin, de l'outillage, installent une clôture.

Autour d'eux, une famille s'inquiète. Les soeurs de Patricia Cartier surtout. Elles défilent les unes après les autres à la barre, ces aînées aussi solides que leur soeur semble vulnérable. Maryse, l'ex-secrétaire de mairie, qui les avait mis en garde contre les frais pour la maison ; Brigitte, "directrice générale" , qui leur avait fait envoyer un dossier de surendettement ­ "Je ne l'ai pas rempli" , dit Emmanuel Cartier; Franciane, agent administratif, qui, à 53 ans, élève aujourd'hui les quatre enfants de sa soeur et qui s'agaçait de voir qu'"ils avaient encore acheté une game cube. Ils voulaient tout, tout de suite. La maison, c'était un peu comme leur sixième enfant" .

Les soeurs font quelques chèques, remplissent le frigo, apportent du bois, donnent des meubles de cuisine. "On voulait éviter de les froisser dans leur impossibilité à demander quelque chose" , dit Maryse. Plus elles parlent, plus Patricia Cartier s'effondre. Médéric, qui la regarde, a un rire terrible de douleur. Blottie dans les bras de sa tante, Mathilde serre ses doudous contre elle, lutte encore un peu et pleure.

Pascale Robert-Diard
Article paru dans l'édition du 20.10.05


Le Monde / Société
Les créanciers accordent parfois des prêts de manière hasardeuse

 L es établissements de crédit distribuent-ils des prêts à l'aveuglette ? La question apparaît en filigrane dans le procès des époux Cartier, qui comparaissent devant la cour d'assises de l'Oise pour avoir tenté d'empoisonner leurs enfants, provoquant la mort de l'un d'eux. Durant des années, les deux accusés ont accumulé les ardoises sans que leurs créanciers ne s'en émeuvent. Une telle infortune sort de l'ordinaire, mais d'autres cas, à peine moins graves, existent. Le président de SOS-surendettement, Gérard Renassia, vient, par exemple, d'être alerté sur la situation d'un couple qui traîne 22 crédits à la consommation, des dettes fiscales, le remboursement d'un prêt immobilier, etc.

Lorsqu'ils avancent de l'argent à un particulier, les établissements de crédit à la consommation réclament des justificatifs variant selon plusieurs paramètres, explique Jean-Claude Nasse, délégué général de l'Association française des sociétés financières (ASF) : montant de l'emprunt, mode de commercialisation, lieu de distribution... S'il s'agit d'un crédit octroyé dans un "lieu de vente" , le débiteur doit souvent présenter un bulletin de salaire, un justificatif de domicile et préciser s'il a contracté d'autres emprunts. Toutefois, le contrôle peut s'avérer beaucoup plus lâche, notamment pour les "prêts à distance" (accordés via Internet, par exemple).

FICHIER DES INCIDENTS

"Il n'y a pas de réglementation sur les pièces à fournir" , indique le délégué général de l'ASF. Mais les établissements de crédit veillent, en général, à ce que l'emprunteur puisse tenir ses engagements, ne serait-ce que parce que c'est dans leur intérêt, insiste-t-il. Ils apprécient la solvabilité du ménage (à l'aide du credit scoring ) et consultent le Fichier national des incidents de remboursements des crédits de particuliers (FICP). Aujourd'hui, selon M. Nasse, les établissements de crédit rejettent un plus grand nombre de dossiers qu'auparavant : "Le taux de refus est, en moyenne, de 60 % pour le crédit renouvelable." Au final, les créances non recouvrées représentent moins de 2 % de l'encours.

Mais il arrive que des emprunteurs "mentent par omission" et camouflent leur niveau d'endettement aux sociétés financières, note Reine-Claude Mader, secrétaire générale de l'association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV). Dans ces cas-là, elles "n'ont aucun moyen de vérification" . Sauf si le débiteur trébuche et que l'incident de paiement est inscrit au FICP. Mais l'alerte est parfois tardive, comme dans le cas des époux Cartier.

En outre, certains établissements bancaires ou organismes de crédit octroient des prêts dans des conditions parfois hasardeuses. La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts mettant en cause la responsabilité du prêteur et pointant des "manquements" aux devoirs de "mettre en garde" , de "conseiller" ou d'"éclairer" le débiteur. Ainsi, dans une décision du 8 juin 1994, la haute juridiction a estimé que la créance d'une société financière pouvait être réduite car cette dernière "avait agi avec une légèreté blâmable" en consentant un prêt à un agriculteur dont la "situation financière très précaire" était connue.

Enfin, certaines associations de consommateurs regrettent que le crédit renouvelable soit souvent présenté "comme une source de pouvoir d'achat" , selon la formule d'Isabelle Faujour, directrice juridique adjointe au sein de l'UFC-Que Choisir. "Il est dangereux de faire croire que c'est un substitut de revenu." Christian Huard, président de ConsoFrance, s'indigne, lui, de la prolifération des cartes distribuées dans les grands magasins, qui, sous couvert d'offrir divers services, recèlent du crédit. "Les gens les prennent sans savoir qu'elles sont adossées à des réserves d'argent renouvelables. La confusion des genres est totale."

Pour aider les organismes prêteurs à évaluer la solvabilité de leurs clients, des parlementaires de la majorité ont récemment proposé d'instaurer un "répertoire" qui recenserait les encours de crédit des ménages (Le Monde du 28 avril). Il "permettrait d'éviter que la situation de certains surendettés ne s'aggrave", estime Philippe Florès, président du tribunal d'instance de Saintes (Charente-Maritime). Mais l'initiative est critiquée par la plupart des établissements de crédit et des associations de consommateurs.

Bertrand Bissuel
Article paru dans l'édition du 20.10.05


Le Monde / Chats
L'hôpital a-t-il toujours les moyens de nous soigner ?
L'intégralité du débat avec Véronique Vasseur, auteure de "L'Hôpital en danger" (Flammarion, 2005)., vendredi 21 octobre 2005

Véronique Vasseur, auteure de
AFP
Véronique Vasseur, auteure de "L'Hôpital en danger" (Flammarion, 2005).

Stephff : Pourquoi cette question se pose-t-elle aujourd'hui ?
Véronique Vasseur :
L'hôpital a bien sûr les moyens de soigner, et il le fait très bien. Le problème, c'est qu'on lui demande aussi d'être le recours à tous les dysfonctionnements de la société et à toute la misère sociale. Ce n'est pas à la Sécurité sociale de prendre en charge "l'hôtellerie assistée", il faut trouver des structures très légères, et peut-être un financement qui ne dépende pas de la Sécurité sociale. C'est de l'argent inutilement dépensé. La Sécurité sociale rembourse les opérations, les médicaments, elle n'a pas à prendre en charge l'hébergement sans soins. Ce ne sont pas forcément les patients qui doivent payer, car il y a des gens totalement démunis, et de plus en plus, des personnes très âgées ou SDF. Ce peut être le conseil général, par exemple.

"MANQUE DE RÉFLEXION ÉTHIQUE"

Mistertap : N'aurait-il pas plutôt fallu défendre le statut de l'hôpital en tant que bien public et ne pas laisser des gestionnaires prendre les rênes et considérer l'hôpital comme une entreprise ? A mon avis, le scandale est là.
Véronique Vasseur :
L'hôpital n'est pas une entreprise comme les autres, puisqu'il accueille des hommes, des femmes, des enfants. Le problème, c'est que cela devient de plus en plus administratif, les réformes sont toujours des réformes de gestion, et on ne se propose jamais de recentrer le malade au sein de ce dispositif, de mettre de l'humanisme au centre de l'hôpital. Il y a un manque de réflexion éthique des administratifs, évidemment, mais aussi des médecins. Un médecin, ce n'est pas un gestionnaire.

Iris : Où en est le plan Hôpital 2007 qu'avait lancé Jean-François Mattéi, alors ministre de la santé ?
Véronique Vasseur :
Je n'en sais rien. Je sais qu'il y a un nouveau plan de Xavier Bertrand, la fameuse "tarification à l'acte", c'est-à-dire que l'on va donner de l'argent aux services qui rapportent. Cela va pénaliser les services de médecine qui ne font pas beaucoup d'actes valorisants. Ce qui compte, dans la tarification, c'est tout ce qui est invasif : une sonde, une biopsie, un tubage, etc. Ne sont pas cotés : aider à manger des personnes âgées, les nettoyer, leur faire la toilette, leur parler... Tout ça ne compte pas.

Silvinet : Qu'en est-il des services de long séjour ? Vont-ils être supprimés ?
Véronique Vasseur :
On a supprimé environ 100 000 lits pour une raison que j'ignore, puisqu'il y a justement énormément de placements pour des personnes qui ne peuvent plus vivre seules et qui n'ont pas les moyens de vivre chez elles seules. Ils ferment les longs séjours, les lits de psychiatrie, alors qu'il y a de plus en plus de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, car la population vieillit.

Alainb : Ne pensez-vous pas que la fermeture d'hôpitaux qui ne pratiquent que peu d'actes soit une bonne façon de faire des économies, et donc de fournir une meilleure qualité de soins ailleurs ?
Véronique Vasseur :
Je pense que vous parlez des cliniques où l'on fait peu d'actes de chirurgie en province et que l'on ferme car l'activité est insuffisante. Je pense que c'est une bonne chose, car un chirurgien qui fait peu d'actes peut perdre la main et cela peut être dangereux. On peut peut-être transformer ces établissements en moyen-long séjour. Il faut trouver du personnel pour travailler à l'intérieur, ce qui n'est pas toujours évident.

Iris : Les services d'urgence demeurent-ils les "parents pauvres" de l'hôpital public ?
Alainb : Le problème des urgences est-il le reflet de tout un dysfonctionnement du système de santé en France?
Véronique Vasseur :
Non, le gros problème des urgences, c'est que le nombre de patients qui s'y rendent va croissant, et tout le monde y va pour n'importe quoi car c'est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et tous les jours de l'année. Les gens y vont même pour des choses non urgentes – une angine, de la fièvre –, c'est une mauvaise habitude. C'est difficile de trouver un médecin à partir de 19 heures et pendant les week-ends... Et beaucoup de gens en situation de précarité préfèrent aller à l'hôpital parce qu'ils ne paient pas.

"LASSITUDE DU PERSONNEL"

Cyrano2005 : Dans plusieurs hôpitaux publics, des rapports de médecins du travail ou de psychologues, au sujet de la dégradation des conditions de travail des soignants et des risques d'épuisement professionnel de ceux-ci, sont systématiquement censurés au sein des instances. Avez-vous eu connaissance de telles pratiques ?
Véronique Vasseur :
Je n'ai pas connaissance de telles pratiques. Par contre, il y a une lassitude du personnel, notamment des infirmières, qui, comme elles sont de moins en moins nombreuses, doivent virevolter d'une salle à l'autre. Et bientôt, avec le regroupement des services en pôles d'activité, cela va s'aggraver. Elles se plaignent de n'avoir de temps que pour faire de la technique et de ne pas pouvoir s'occuper correctement des gens. J'ajouterai que pour les fins de vie, les soins palliatifs, extrêmement pénibles, il n'y a aucune aide psychologique apportée au personnel soignant. Il y a très peu de psychologues à l'hôpital.

VINCENT : Etes-vous favorable à une régulation de l'accès aux services d'urgence ?
Véronique Vasseur :
Oui, complètement. A Saint-Antoine ou dans d'autres hôpitaux, il y a un gros dispensaire où l'on accueille les gens sans rendez-vous, qui peut tout à fait prendre en charge ce qui ne relève pas de l'urgence.

Docteur-love : Vous dites qu'il est difficile d'avoir un médecin après 19 heures. Et SOS-Médecins, ça existe même la nuit, non ?
Véronique Vasseur :
Oui, c'est vrai, mais il faut avoir les moyens de le payer. Les gens ne se rendent pas bien compte qu'il y a une précarité absolument affolante.

Tito : De quel type de prise en charge peuvent bénéficier des personnes en situation irrégulière ?
Véronique Vasseur :
Si elles sont en France depuis plus de trois mois et peuvent justifier d'un domicile, c'est l'aide médicale d'Etat, et dans certains hôpitaux, il y a un dispositif spécial permettant de prendre en charge les personnes qui ne sont pas touristes, mais qui ont l'intention de rester et qui ont une pathologie urgente ou grave. Cela gratuitement, bien sûr. Mais c'est un système qui est assez peu répandu. Cela concerne environ quinze hôpitaux, et fonctionne plus ou moins bien selon les hôpitaux.

Silvinet : J'étais secrétaire médicale dans les services, il me semble que malheureusement rien n'a changé : course aux publications, querelles d'école, psychologie vis-à-vis des malades souvent insuffisante, rôle primordial des infirmières peu reconnu et sous-payé, personnel débordé par des malades qui bénéficieraient d'autres structures que celles de l'hôpital. Qu'en pensez-vous ?
Véronique Vasseur :
Je pense comme vous. Je ne sais pas quand vous avez arrêté. C'est bien souvent l'intérêt du médecin qui passe devant celui du malade. Et il est vrai qu'il y a un manque de réflexion éthique. Il y a des rivalités comme dans toutes les entreprises, je pense.
La formation des étudiants en médecine, ce sont des notions scientifiques, de la technique médicale. On ne leur apprend pas la psychologie, comment annoncer un diagnostic, comment ne pas s'acharner de façon déraisonnable sur des gens en fin de vie, quand on passe du curatif au palliatif... Donc la formation médicale est à revoir à ce niveau-là, c'est évident.
Après, au niveau de l'hôpital, quand vous êtes praticien hospitalier, que vous faites carrière à l'hôpital, on vous demande de publier, d'enseigner, en fait de vous distinguer des autres, et cela se fait au détriment du patient en tant que personne. C'est plus le cas médical qui intéresse que la personne. Tout cela fait que l'hôpital se déshumanise.

Karim : Le système hyper-hiérarchisé ne pèse-t-il pas aussi sur l'hôpital ?
Véronique Vasseur :
Il y a trente-cinq ans, l'ordre était le même : le patron, ses assistants, avec des grades différents, les internes, les externes. Cette hiérarchie ne favorise sans doute pas l'initiative.

Cyrano2005 : La crise que traverse aujourd'hui l'hôpital atteint de plein fouet les services de psychiatrie, où le temps passé, le relationnel, font partie du soin. Moins d'effectifs, c'est moins de sorties, moins d'ateliers thérapeutiques, et... plus de chimique. N'est-ce pas le retour de l'asile 2007 ?
Véronique Vasseur :
Que ce soit les services de psychiatrie ou les services de médecine, c'est un peu la même chose : l'humain passe après. On est toujours dans la technique médicale. Cela revient au même, c'est la même question quelle que soit la spécialité.

Mistertap : Ne pensez-vous pas qu'il faudrait que l'hôpital s'ouvre vers d'autres médecines qui sont plus au service des patients et non pas au service de l'aura des professeurs ?
Véronique Vasseur :
Peut-être plus valoriser la médecine générale, qui est quand même le canard boiteux de l'hôpital. Parce que ce n'est pas une spécialité. C'en est une, mais elle n'est pas reconnue comme telle.

Eric : L'hôpital n'exploite-t-il pas les médecins dès leur plus jeune âge : externes puis internes sous-payés travaillant soixante-dix heures par semaine. Cela ne contribue-t-il pas à leur démotivation pour le secteur hospitalier, outre les conditions salariales qui sont meilleures dans le privé ?
Véronique Vasseur :
C'est faux. Il n'y a pas beaucoup d'études où l'on est payé. Un interne est payé environ 1 500 euros par mois, plus les gardes. Ce n'est pas mal pour un étudiant. Le vrai sujet, c'est que, actuellement, les étudiants en médecine sont en grande majorité des femmes, et elles choisissent des spécialités comme radiologie, dermato, ophtalmo, qui leur permettent d'avoir une vie de famille. Et certains secteurs sont totalement délaissés, comme la médecine générale ou la chirurgie. La chirurgie est trop dure, et le risque de procès est réel. C'est très fatigant. Pareil pour la réanimation, il n'y a plus beaucoup de candidats. Et là, même s'il y en a, ils vont aller dans le privé car c'est mieux payé.

VINCENT : A force de dire que l'hôpital public est malade, est-ce que nous ne faisons pas le lit de la privatisation du système de santé ?
Véronique Vasseur :
Je ne crois pas. Il faut quand même appeler un chat un chat. Et je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Je peux vous assurer que les personnels en ont assez, et on ne peut pas continuer comme ça. Il faudrait embaucher des infirmières, donner aux médecins étrangers le même statut que les médecins français. A qualifications égales, si vous êtes étranger, vous êtes sous-payé. Il faut aussi créer des structures d'aval pour les patients qui restent de trois mois à deux ans aux frais de la Sécurité sociale pour de l'hôtellerie assistée. Il faut obliger les étudiants en médecine et les médecins à suivre des cours de psychologie et d'éthique médicale, comme on les oblige à suivre des cours d'hygiène pour lutter contre les maladies nosocomiales.

Elo : Quelles sont les relations entre hôpital public et hôpital privé ? Quel est le plus performant, selon vous ?
Véronique Vasseur :
Si toutes les mesures que j'ai mentionnées sont prises, ce serait déjà très bien. L'hôpital est très bien, mais il est asphyxié car il est victime de son succès. On lui demande d'être très performant, d'être un recours social à toute la misère du monde, et en plus de réduire ses coûts. C'est un grand écart très douloureux. Il ne peut pas tout faire.

Alainb : Votre ouvrage s'intitule L'Hôpital en danger. Quels dangers courons-nous donc ?
Véronique Vasseur :
On court le danger que des services ferment faute de combattants, qu'il n'y ait plus de médecins pour faire des échos Doppler, ce qui est déjà le cas. Faute d'infirmières et de médecins, il y a un moment où l'on ne pourra plus assurer. Pour l'instant, l'hôpital est en crise, pas encore en danger. Mais à force, ça ne s'arrange pas.

Chat modéré par Constance Baudry et Karim El Hadj
LEMONDE.FR | 21.10.05 | 17h15


Le Monde / International
Une audition de Condoleezza Rice témoigne des tâtonnements américains en Irak

 P lus de deux ans et demi après le début de la guerre en Irak, la diplomatie américaine est toujours embarrassée pour expliquer l'origine et l'évolution de ce conflit qui devient de plus en plus impopulaire aux Etats-Unis. Une intervention longue et souvent tendue de la secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, mercredi 19 octobre, devant une commission du Congrès illustre les difficultés de la diplomatie américaine en Irak et alimente le scepticisme aussi bien des républicains que des démocrates.

Alors que la guerre en Irak pour laquelle près de 2 000 soldats ont déjà péri est de plus en plus contestée, Mme Rice a tenté de redonner confiance aux élus. Elle leur a assuré que l'Amérique était engagée dans une "victoire décisive" sur l'insurrection irakienne. Elle a souligné que le retrait des troupes américaines serait conditionné à la défaite de l'insurrection et à la capacité du gouvernement irakien à gérer lui-même son pays sans les Américains.

L'INSURRECTION POURRAIT CONTINUER LONGTEMPS

"En terme de résultats, nous savons exactement à quoi nous voulons arriver", a affirmé la chef de la diplomatie à la commission des affaires étrangères du Sénat où elle était convoquée pour s'exprimer sur l'Irak pour la première fois depuis son arrivée à son poste en janvier. Parlant de "casser les reins" à l'insurrection, elle a réaffirmé sa volonté "que les forces de sécurité irakiennes puissent tenir leur territoire, que les insurgés ne puissent pas quitter une ville puis y revenir terroriser la population". Lors de son audition, elle a reconnu, tout comme l'avait déjà fait le président américain, que l'insurrection pouvait "continuer encore sur une longue période".

Mme Rice a souligné que l'armée américaine faisait des progrès dans l'entraînement des forces de sécurité locales. Si 91 bataillons de l'armée irakienne sont actuellement en ordre de marche, Mme Rice a toutefois omis d'ajouter qu'un seul d'entre eux était opérationnel.

LES AMÉRICAINS "VEULENT LA VÉRITÉ"

Le flou des propos de Condoleezza Rice a irrité les sénateurs des deux côtés de l'échiquier politique. Même ceux traditionnellement favorables au maintien des troupes en Irak ont montré des signes d'impatience."Nous devons reconnaître que les Américains sont avant tout focalisés sur la stratégie de sortie d'Irak", a souligné le président républicain de la commission, Richard Lugar. Cependant, malgré ses explications sur la stratégie suivie, Mme Rice a admis que le projet de remodeler l'Irak,  divisé par des tensions communautaires, "pourrait ne pas fonctionner".

En expliquant que l'origine de la guerre était d'éradiquer l'influence néfaste de l'islam extrémiste au Proche-Orient, laissant ainsi entendre que l'invasion n'avait pas été seulement dictée par les supposées armes de destruction massive, Mme Rice a déclenché l'ire des sénateurs. D'autant qu'elle est considérée comme l'un des principaux architectes du déclenchement de la guerre. La sénatrice démocrate Barbara Boxer a estimé que la chef de la diplomatie avait aidé à tromper le peuple américain : "Madame la secrétaire, notre pays est malade au plus profond de son âme des faux espoirs." Les Américains "veulent la vérité et ils la méritent", lui a lancé Mme Boxer.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 21.10.05 | 12h34


Le Monde / Société
Devant les assises de l'Oise, la terrible normalité des parents infanticides
BEAUVAIS de notre envoyée spéciale

 C hez les Cartier, il y avait cinq enfants et deux salaires d'ouvrier et d'employée. Des fins de mois difficiles et des crédits faciles. Des courses folles entre l'école, la nourrice, le boulot et la maison. Des piles de linge à laver, des dîners à préparer, des fatigues qui usent, des mots qui claquent et parfois des baffes qui volent. Il y avait aussi des dimanches belle-mère-barbecue, des jeux vidéo, du Coca dans le frigo... C'était banal, chez les Cartier. Et puis un jour, un drame extraordinaire a brisé le quotidien de ces gens ordinaires.

Au troisième jour du procès d'Emmanuel et Patricia Cartier, cette terrible normalité a envahi la cour d'assises de l'Oise. Pour chercher à comprendre pourquoi, le dimanche 18 août 2002, ce père et cette mère ont tenté de tuer leurs cinq enfants et de se donner la mort, il a fallu aller au-delà du trop rassurant "procès du surendettement". Et, pour ce faire, écouter Roland Coutanceau et Jean-Luc Viaux, les psychiatres qui ont examiné la personnalité des deux accusés.

Ils ont décrit Patricia, "une femme d'intérieur, qui aime les romans d'amour et le point de croix" , émotive, anxieuse, travailleuse, intégrée ; Emmanuel, solitaire, fier, logique. Entre eux deux, il y a eu ce "coup de foudre" , puis ces années de couple fusionnel, scandées par les naissances des enfants et ce repli à la fois contraint et choisi sur la cellule familiale. "Ils ont des fragilités, comme tout le monde, mais ces fragilités vont se compléter, se rencontrer" , explique le docteur Viaux. Lorsque commencent à s'amonceler les difficultés financières, Emmanuel est le premier à se lézarder. "Avec les dettes, son image de papa pélican qui peut tout offrir va s'effriter, et il ne peut pas le supporter. Il n'y a pas chez lui l'idée qu'on pourrait peut-être vivre un peu moins bien sans que les enfants en souffrent" , poursuit l'expert. De cet échec, va naître en premier, chez Emmanuel, l'idée du suicide.

Face à lui, il y a Patricia, qui, après la naissance de son cinquième enfant, avait pris un congé parental. Mais, au printemps 2002, la situation financière du couple la contraint à reprendre plus tôt son travail d'aide-soignante dans une maison de convalescence et à multiplie les heures supplémentaires. Elle ne s'en sort pas, dort mal, s'inquiète, s'épuise.

"BULLE DE DÉSESPOIR"

Du suicide, Emmanuel et Patricia vont commencer à parler ensemble. "Tous deux vivent dans une sorte d'autisme social, indique le docteur Viaux. Ils se sentent menacés à l'idée que l'on puisse s'apercevoir qu'ils ne peuvent plus paraître ce que les autres croient qu'ils sont."

A la présidente de la cour d'assises, Cécile Simon, qui s'étonne que ni l'un ni l'autre n'aient envisagé de "chercher des solutions" , le docteur Coutanceau offre une réponse toute simple : "On ne se rend pas compte à quel point il faut être structuré pour faire face à des situations difficiles. Face aux dettes, beaucoup de gens ont un passage dépressif. Pour faire des démarches, il faut déjà dépasser la honte d'être surendetté." L'idée de "partir à deux" envahit leurs insomnies. "Au début, je ne disais rien, après j'étais d'accord , raconte Patricia. On se disait que, ensemble, ce serait plus simple." D'accord pour faire des enfants, d'accord pour vivre à crédit, Patricia et Emmanuel, repliés dans la "bulle de désespoir" du pavillon familial, tombent finalement d'accord pour le suicide.

Mais il y a les enfants. "On ne voulait pas leur laisser les dettes" , avait dit Emmanuel. "On ne pouvait pas partir sans eux" , avait renchéri Patricia. Du suicide à deux, le couple glisse alors au projet de la mort tous ensemble. Le reste est connu : le vol d'insuline à la maison de convalescence, les injections à ces cinq enfants, et la mort de l'un d'entre eux, Alicia, 11 ans.

Lorsque, dans la nuit, Patricia découvre l'état de sa fille, la "bulle" se déchire et les parents, paniqués, alertent les pompiers. "Une fois qu'ils ont réalisé, ils ont agi comme des gens normaux , observe le docteur Viaux. Et c'est aujourd'hui, en tant que gens normaux, qu'ils ont peur du regard de leurs enfants."

Devant les aînés, âgés de 17 ans et 9 ans, qui font face à leurs parents dans la salle d'audience, la présidente interroge les deux psychiatres. "Comment peuvent-ils vivre avec l'idée que leurs parents ont tenté de leur donner la mort ?" "On ne souffre pas d'un événement, explique le docteur Coutanceau. On souffre de l'idée qu'on s'en fait, de ce que l'on ne comprend pas (...). Quand on se dit : "Je ne comprends pas comment on peut faire cela, mais je ne suis pas l'autre", cela s'appelle l'humanisation."

Le verdict devait être rendu jeudi 20 octobre.

Pascale Robert-Diard
Article paru dans l'édition du 21.10.05


Le Monde / Société
Les époux Cartier sont condamnés à 15 ans et 10 ans de réclusion

Emmanuel et Patricia Cartier, devant la cour d’assises de l’Oise. | AFP/ALAIN JULIEN
AFP/ALAIN JULIEN
Emmanuel et Patricia Cartier, devant la cour d’assises de l’Oise.

 L es époux Cartier, jugés pour avoir empoisonné en 2002 leurs cinq enfants, dont l'un est décédé, ont été condamnés, jeudi 20 octobre, à la réclusion criminelle par la cour d'assises de l'Oise. Le père a écopé d'une peine de quinze ans de réclusion et la mère de dix ans. Ils risquaient la prison à perpétuité.

Emmanuel Cartier, 37 ans, conducteur d'engins, et Patricia, 44 ans, garde-malade, avaient décidé de tuer leurs deux garçons et trois filles, âgés de 11 mois à 13 ans, dans la nuit du 18 au 19 août 2002. Pour justifier leur geste, les deux époux ont expliqué qu'ils croulaient sous les dettes, ayant accumulé plus d'une vingtaine de crédits à la consommation pour un montant total de 229 000 euros.

"On était foutus !", a lancé Patricia Cartier devant la cour, en expliquant s'être procuré de l'insuline sur ses lieux de travail. Elle dit l'avoir injectée aux enfants ainsi qu'à elle-même. Les deux parents, incapables de rembourser leurs dettes, ont assuré qu'ils avaient l'intention de mettre ensuite fin à leurs jours pour "partir vers un monde meilleur". Mais le scénario a échoué, les doses étant trop faibles. Seule Alicia, 11 ans, est décédée près de trois semaines plus tard à l'hôpital.

FACE-À-FACE TENDU AU PROCÈS

Le procès a été marqué par un face-à-face très tendu mercredi entre le couple et son fils aîné, aujourd'hui âgé de 16 ans. "Pourquoi ils ont fait ça ? Qu'on dise que c'est à cause du surendettement, je n'y crois pas !", s'est-il exclamé. Calme, posé, l'adolescent a affirmé : "Ce ne sont plus des parents, ce sont des meurtriers."

"A l'origine, c'est mon mari qui a eu l'idée de nous supprimer", a expliqué la mère, en larmes. Son mari aurait d'abord envisagé que seul le couple se suicide. Mais elle aurait refusé : "Qui va s'occuper des enfants? Je voulais partir avec eux, comme si on s'endormait ensemble", a-t-elle dit.

Pour les avocats du couple, il s'agissait d'un "drame du surendettement" et de "l'immaturité". "Ils s'inscrivent dans la logique infernale des dettes", a plaidé Me Hubert Delarue, avocat d'Emmanuel Cartier. "Il y a des responsabilités, mais qu'eux seuls les portent serait profondément injuste", a-t-il estimé, en mettant en cause "une société de consommation où beaucoup de choses sont sacralisées".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 21.10.05 | 08h20


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
La France isolée

 L a controverse entre la France et la Commission européenne sur la conduite des négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est devenue extrêmement vive depuis que Paris a exprimé publiquement sa méfiance à l'égard du négociateur européen, le Britannique Peter Mandelson. Selon un communiqué officiel au langage délibérément sévère, la France "ne peut accepter" que le commissaire européen, qui mène les pourparlers au nom des Vingt-Cinq, "évoque de quelque manière que ce soit le dossier agricole" au cours des prochaines sessions. Mardi à Luxembourg, le ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, avait déjà accusé M. Mandelson d'avoir outrepassé son mandat.

Ce n'est pas la première fois que la France polémique avec la Commission européenne sur la conduite des négociations commerciales. Les prédécesseurs de l'actuel commissaire au commerce extérieur ont subi, à plusieurs reprises, les foudres de Paris pour la façon dont ils ont, dans le passé, accompli leur mission en prenant des initiatives jugées intempestives par le gouvernement français.

Mais l'affrontement entre Jacques Chirac et l'exécutif européen prend une dimension particulière au moment où l'Europe est en panne, paralysée par l'échec du projet de Constitution européenne et par le blocage des négociations budgétaires, au moment aussi où les tensions entre Paris et Londres sont à leur paroxysme, notamment sur la question de la politique agricole commune. Le fait que M. Mandelson soit un proche de Tony Blair ne peut qu'accroître la mauvaise humeur du président français.

M. Chirac redoute que les concessions de la Commission dans les négociations sur la libéralisation des échanges mondiaux ne conduisent à remettre en question une politique agricole (PAC) dont la réforme a fait l'objet d'un accord en 2003. Il a d'autant plus de raisons de s'inquiéter que, au dernier Conseil européen, il s'est heurté au premier ministre britannique sur le financement futur de la PAC et que ce conflit a été déterminant dans l'échec de la discussion budgétaire. Mais au-delà de cette question particulière, la façon dont M. Chirac s'oppose à une libéralisation généralisée est aussi une réponse aux électeurs français qui ont dit non au traité constitutionnel au nom de la défense d'un certain protectionnisme.

La France ne manque pas d'arguments pour défendre le dossier agricole dans le vaste marchandage qui se poursuit sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce. Mais on doit constater, une fois de plus, qu'elle se retrouve isolée, ou presque, dans son combat. En dépit de ses cris de victoire, le gouvernement français n'a pas obtenu la mise sous tutelle de M. Mandelson. Les attaques continuelles de Paris contre la Commission européenne ont diminué sa force de persuasion. Ce n'est pas en s'obstinant dans une tactique défensive, largement inspirée par des considérations de politique intérieure post-référendum, que la France retrouvera son rôle moteur en Europe.

Article paru dans l'édition du 21.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

vk_saintFelix ♦ 22.10.05 | 15h05 ♦ Les subventions agricoles, en dehors de certaines à l'exportation restent nécessaires à l'agriculture européenne. En effet sans subvention il faut soit que l'agriculture s'adapte par une plus grande rationalisation..> on arrive au modèle américain, soit à une paupérisation des agriculteurs pour être concurrentiel sur le prix de la main d'oeuvre, soit abandonner l'agriculture mais est-ce acceptable de vivre en dépendance alimentaire dans un pays de friches?
bigoudis ♦ 22.10.05 | 12h25 ♦ J'appuierai polo+di+marco. Quand on fait partie d'une équipe, il ne faut pas s'en exclure et ensuite se plaindre qu'elle continue de jouer sans nous... J'ai fait ça jusqu'à l'âge de 12 ans, après j'ai compris qu'il fallait aussi participer à l'action collective et non se croire toujours au dessus des autres et casser le jeu.
Quentin H. ♦ 22.10.05 | 11h37 ♦ Consternation devant la réaction précédente: comment prétendre que le non au TCE nous exclut des négociations à l'OMC, seul groupe bâtisseur de progrès ? Le dossier agricole est celui qui souffre de la plus grande méconnaissance et de la plus grande erreur: comment traiter au même titre que la prod industrielle le secteur déterminant la souveraineté alimentaire, la qualité de notre alimentation, de nos paysages et de notre environnement et le plus étroitement lié aux potentialités du territoire?
polo+di+marco ♦ 21.10.05 | 21h58 ♦ Quand on dit NON NON et NON. IL faut avoir compris les consequences. Les OUI,OUI,OUI travaillent ensemble et nous laisserons au bord du chemin. Nous regarderons passer les trains. Nous ne pourrons plus, peu à peu certes,tenir notre place.Le declin economique va s'accentuer.Et ensuite suivront d'autres declins. IL va falloir reagir fort.
pkcharrier ♦ 21.10.05 | 20h25 ♦ En réponse à mes détracteurs : j’ignorais que les riches n’achetaient aucun produit agricole aux nations pauvres. Cacao, café, thé, riz, bananes, vanille, épices, coton… Tous ces produits pousseraient donc chez nous. Par ailleurs, c’est l’abus de l’aide alimentaire qui déséquilibre les marchés du tiers monde. L’Europe a mis fin à ces pratiques. Les Etats Unis continuent de déverser leurs excédents en Afrique. Enfin, constater la médiocrité des marchés britanniques n’est pas signe d’anglophobie.
Stéphane B. ♦ 21.10.05 | 15h30 ♦ Ceux qui pensent que l’ouverture illimitée et incontôlée des marchés mondiaux sera la source d’un progrès inépuisable se trompent lourdement. Au contraire cette politique mène directement à le mono-agriculture et à la mono-industrie selon le principe des avantages comparatifs, chaque pays se spécialisant dans ce qu’il sait faire de mieux, au détriment de la qualité et le la diversité. En revanche rien ne justifie que l’UE maintienne ses subventions à l’exportation.
YAM ♦ 21.10.05 | 15h28 ♦ Ce n’est pas un anglais qui négocie à l’OMC, c’est un comissaire européen. Il faudrait rappeler aux Français, qui bien souvent l’ignorent, qu’un comissaire ne représente pas son pays. Il est complètement indépendant et n’agit surtout pas au nom du gvt de son pays at pas dans l’intérêt particulier de son pays. C’est même souvent le contraire car les comissaires ont en général peur d’être accusés de favoriser le pays dont ils sont issus.
OLIVIER G. ♦ 21.10.05 | 13h48 ♦ Nos agriculteurs ont beaucoup évolués pour se mettre en accord avec les différentes PAC mais la question est quelle agriculture voulons nous et pouvons nous nous payer. Le manque de moyens nous obligera à passer sous les fourches caudines de l’OMC, que cela soit avec la meilleure préparation possible. Il faut s’adapter au monde actuel non se réfugier dans un passé mythifié.
Marc W. ♦ 21.10.05 | 12h42 ♦ Née dans l’Europe des 6, la politique agricole a survécu dans l’Europe des 15, mais est en plein naufrage dans l’Europe des 25 : en effet, l’Europe des 25 est sans budget en raison de la PAC ! L’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie parachève l’absurdité : les gouvernants français ont été incapables de choisir entre une Europe structurée ou sa dilution en zone de libre échange. La France est non seulement isolée, mais incohérente. Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
LibertéEquitéSolidarité ♦ 21.10.05 | 12h29 ♦ Peter Mandelson n’est pas anti-européen, tout le contraire ! Ne nous acharnons pas sur nos agriculteurs, ils ont magnifiquement sauvegardé notre patrimoine naturel. Grâce à eux les étrangers -en particulier les brits -, plutôt éduqués viennent vivre dans notre pays en restaurant les vieilles batisses et en faisant revivre des villages. Il faut donc rémunérer nos "paysans" en tant que jardiniers du territoire pour sauvegarder ce patrinoine. Mais il faut aussi les convaincre. C’est pas gagné !
Philippe C. ♦ 21.10.05 | 11h28 ♦ Pourquoi avons-nous si souvent besoin d’un cocon protecteur quand les autres s’adaptent à la situation ? Sans doute parce qu’il est plus facile de geindre et grogner que de se remettre en question et élaborer une solution...
Stéphane D. ♦ 21.10.05 | 11h05 ♦ La France donne à l’agriculture une place prépondérante, pour des raisons stratégiques, culturelles et économiques. C’est un choix, sans doute conforme aux souhaits de la majorité: Nos normes sanitaires et la qualité de notre alimentation participent de notre mode de vie. En revanche, notre insistance à vouloir financer cette agriculture par nos partenaires, ce qui fait de la PAC le premier poste de l’Union, n’est pas tenable. Les fonds Européens sont plus utiles ailleurs.
France’s dull to chauvinistic morons like pkcharrier ♦ 21.10.05 | 11h04 ♦ L’ouest dépense des fortunes en subventions agricoles qui déséquilibrent la concurrence. Les subventions agri. des pays de l’OCDE sont plus elevées que le PIB de l’Afrique entiere. En plus, en vendant ses excédents agricoles au Tiers-Monde et en empechant en meme temps au fermiers du Tiers Monde d’exporter leur production agricole vers l’Ouest, la CAP accentue la pauvreté du Tiers Monde car elle met les fermiers du T.M out of business. +que Pkcharrier & Stef gardent leurs comments anglophobes.
(In)Felix Méline ♦ 21.10.05 | 10h35 ♦ Si l’on m’avait écouté il y a un siècle nous n’en serions pas là. Dressons des barrières douanières ( et si cela ne suffit pas des murs et des barbelés) pour protéger nos paysans de l’intolérable aggression des affamés du Sud qui ont l’outrecuidance de vouloir nous vendre leurs produits. Achètent-ils les nôtres? Si l’Europe refuse d’être solidaire et de payer trop cher son alimentation pour soutenir nos paysans quittons-là et retournons à la terre. Vive la France qui n’a besoin de personne!
Xavier R. ♦ 21.10.05 | 10h20 ♦ La PAC avait plusieurs buts. Ils ont tous été atteints et ont débouché sur une coûteuse surproduction. Les Européens payent trop cher leurs produits agricoles. Un des buts était de garantir l’indépendance alimentaire de l’Europe pour des raisons de sécurité. Dans un monde devenu totalement interdépendant c’est désormais illusoire. Blair a raison, l’avenir de l’Europe est dans la recherche, l’université. C’est là qu’il faut investir et non dans une agriculture dispendieuse.
Fefoley ♦ 21.10.05 | 10h13 ♦ La PAC a été un merveilleux outil qui a largement atteint ses objectifs productivistes et même au-delà, et nécessite aujourd’hui une réforme en profondeur pour des raisons écologistes (productivisme=pollution), économiques (productivisme=baisse des prix) et tiers-mondistes (exportation des suppléments+subvention=ruine des agricultures du tiers-monde). C’est le moment de prendre les devants sur cette réforme et obtenir des concessions de ses partenaires plutôt qu’attendre la fin du système...
Oriflam ♦ 21.10.05 | 10h07 ♦ Bien sûr qu’il faut arrêter cette ineptie de politique agricole et laisser une chance aux pays en voie de développement d’exporter leurs produits en Europe. C’est l’évidence. Ne serait-ce que pour augmenter les budgets de la Recherche dont dépendent notre compétitivité internationale et notre statut de pays développé!
I. ♦ 21.10.05 | 09h18 ♦ Esperons donc la fin de la PAC et des milliers d’agriculteurs qui passent leur temps à frauder, (épandages illégaux, pollution à outrance, porcheries non déclarées,...), entretenir un système mafieux tellement puissant que ses membres peuvent détruire des biens publics sans être inquiétés (coucou la FNSEA) et, au final, drainer vers eux de l’argent qui serait bien plus utile ailleurs au XXIe siècle dans un pays dit moderne.
Stef ♦ 21.10.05 | 08h59 ♦ Je comprends qu’on soit contre la PAC mais tout de même, envoyer un anglais négocier à l’OMC avec les USA ... :) Triste Europe présidée par des anti-européens !
THIERRY M. ♦ 21.10.05 | 08h23 ♦ Pas d’opinion particulière, juste une simple remarque : l’agriculture reste un enjeu stratégique majeur pour un pays, au-delà des voix qu’elle peut apporter à tel ou tel. Une agriculture peut se détruire facilement (cf. Grande-Bretagne), en revanche, elle est très difficile à (re-)construire. Veut-on conserver un minimum d’indépendance alimentaire, avec les normes sanitaires auxquelles nous sommes habitués ? Coment concilier cela avec le développement des pays pauvres ?
Hong Xiuquan ♦ 21.10.05 | 05h39 ♦ En quoi les subventions accordées aux agriculteurs français ne pénalisent-elles pas le tiers-monde ? Peut-on ne pas prendre en compte le problème de la répartition équitable des financements européens ? Enfin, est-il bien nécessaire (et pertinent...) d’y aller de son chauvinisme agricole pour justifier les fonds captés par la PAC en France ?
citoyenX ♦ 21.10.05 | 04h33 ♦ On voit dans cette affaire une nouvelle manifestation de l’immobilisme et de l’impéritie de la politique française, confisquée par le clan Chirac depuis 10 ans : manque de courage, absence de vision, arrogance, négation de l’intérêt général, etc. Un désastre national qui nous coûtera cher, surtout à nos enfants.
Emmanuel ♦ 21.10.05 | 01h11 ♦ Bravo Jean C. Résumé plus pertinent de la situation française de ce début de siècle n’aurait pu être mieux formulé qu’entre ces quelques lignes.
pkcharrier ♦ 20.10.05 | 22h11 ♦ La France défend une agriculture qui fait sa réputation gourmande, induit de nombreux emplois dans l’agro-alimentaire et ne menace aucun pays pauvre, contrairement à l’argument ressassé à Londres et Washington. Les aides européennes liées au respect de l’environnement ne gênent pas les producteurs de coton africains. On ne peut pas en dire autant des subventions au coton américain. Quant à la Grande-Bretagne, elle n’a plus d’agriculture depuis longtemps et se nourrit de l’immangeable.
christophe c. ♦ 20.10.05 | 22h09 ♦ Ce qui est sur, c’est que nous devons réformer notre agriculture : les petites parcelles disparaissent, au profit des grosses exploitations, qui elles, touchent les subventions. Résultat : nos campagnes sont saccagées, les sols s’épuisent et les nappes phréatiques trinquent tandis que la culture intensive privilégie les souches à fort rendement au détriment de la qualité (blé).Quant au protectionnisme, ce n’est qu’un bastion et il tombera un jour...
Giuseppe ♦ 20.10.05 | 22h08 ♦ La diplomatie française avait promis de faire des efforts pour soutenir le cycle de Doah. Le sommet de l’OMC, imminent, devait être la réalisation de cette promesse... Mais entre temps, le 29 mai est arrivé, les beaux discours relatifs à la pauvreté sont oubliés et les promesses faites par Chirac lors de la visite de Lula se sont évaporées... Quelle hypocrisie et quel gâchis... Résultat: objectifs du millénaire inatteignables et projet européen en panne...
Michel B. ♦ 20.10.05 | 21h19 ♦ On devrait encore ajouter que cette ruineuse politique agricole ne concerne qu’à peu près 20 % des agriculteurs (dixit La Confédération Paysanne), c’est à dire la très chiraquienne FNSEA et qu’en plus elle nous empoisonne TOUS ! Alors vive MANDELSON !
Jean C. ♦ 20.10.05 | 21h16 ♦ Rôle moteur de la France en Europe....cela demande une vue objective de la situation, un peu de courage, un peu d’honnêté,l’acception d’être un peu impopulaire pour avancer des réformes et combattre les corporatismes qui démolissent notre pays pour tenter de garder des privilièges d’un autre âge alors que la très grosse majorité accepte des sacrifices et se bat pour tenir, et un peu de loyauté vis à vis de nos partenaires...notre gouvernement n’a pas une infime partie de ces qualités nécessaires
bernard M. ♦ 20.10.05 | 20h36 ♦ Article fort pertinent, surtout lu depuis l’outremer. La diplomatie, c’est obtenir ce que l’on veut (ou un compromis) sans affrontement direct.
ALBERT F. ♦ 20.10.05 | 20h08 ♦ Claude M a raison.Dans la bonne tradition gaulliste, la France "éternelle" est volontiers donneuse de leçons au monde. Mais elle n’a plus les moyens d’imposer ses propres vues, à contre courant de la majorité dominante. Loin de prendre acte pour l’avenir de cette faiblesse inquiétante, oomme le coq, dressée fièrement sur les ergots de ses traditions, elle clame l’arrivée du jour alors qu’il est déjà levé. Et les Français, poètes, d’applaudir à la grandeur du spectacle... Destin tragique?
LibertéEquitéSolidarité ♦ 20.10.05 | 19h43 ♦ Après avoir été sabordée par le NON du 29 mai, l’Europe va être coulée par Chirac. Les anglais jubilent, elle va devenir une structure inter-étatique dans une zone de libre-échange où tous les coups seront permis pour attirer les jobs, les chercheurs et les capitaux. On en aura ainsi fini avec les politiques communes gérées par les technocrates qui nous ont fait tant de mal ! Tout cela est pitoyable et indigne d’un pays qui a toujours prétendu constituer un exemple pour le reste du monde !
cabouin ♦ 20.10.05 | 19h41 ♦ La position constante de notre président sur la PAC est la parfaite illustration de cette "France Moisie" chère à Philippe Solers. C’est désolant, affligeant et consternant d’imbécilité.
MAX ♦ 20.10.05 | 18h21 ♦ L’Europe ne compte plus 15 mais 27 pays! La France qualifiée de dernier pays communiste d’Europe par le 1er Ministre Tchèque doit admettre que son influence en Europe en a pris un sérieux coup dans l’aile et pas seulement depuis le 29 Mai. La France (Gauche et Droite incluse) doit se réformer et rajeunir sa classe politique pour enfin entrer dans le 21e Siècle et cesser d’être arrogante et d’accuser les autres d’être responsables de ses propres travers et échecs.
Guilhem S. ♦ 20.10.05 | 17h56 ♦ Avec tout le mal que je pense de Chirac, je trouve qu’il est quand même trop façile de tout lui mettre sur le dos. Quant au biens pensant qui trouvent qu’il est ridicule de s’accrocher aux privilèges de la PAC, qu’ils commencent par faire un bon examen de conscience sur notre quasi -faillite, qui pour moi est collective, et qu’ils acceptent de remettre en cause leurs propres privilèges. Bien sur c’est toujours plus facile avec l’argent des autres..(je n’ai aucun interêt ds l’Agricult)
Maurice Maginot ♦ 20.10.05 | 17h50 ♦ Il est quand même fascinant de voir à quel point tout est prétexte à une haine de soi dans ce journal! La France isolée? Est-il si sûr que tous les membres de l’OMC, y compris du Sud, veuillent facilter l’accès au marché? Que les pays ACP soient enthousiastes à la libéralisation du marché agricole? Qui, en Europe, soutient clairement M. Mandelson à part le R.U, les Pays-Bas et les pays scandinaves? Un exposé clair des problèmes m’intéresserait bien plus que des polémiques et des jugements moraux
monrog ♦ 20.10.05 | 17h43 ♦ Je réponds à Jacqueline B sur un point : le non Français a à coup sûr considérablement diminué le poids de la France. Cela dit, ce phénomène n’a rien à voir avec les positions de Chirac qui eussent été, de toute manière, aussi peu progressistes. A propos de la PAC, sachons que si elle disparaissait de la scène européenne elle serait de nouveau "nationalisée", c’est-à-dire que nous paierions pour notre agriculture.
henrikardo ♦ 20.10.05 | 17h11 ♦ Chirac se et nous ridiculise souvent, c’est vrai ! mais pas tellement plus que De Gaulle avec son " Vive le Québec ... " ou Mitterrand avec ses compromissions permanentes. On dirait que c’est le destin des chefs politiques français d’être en contradiction permanente avec eux-mêmes, avec le reste du monde... Allez savoir s’il n’y a pas là des restes de complexes de supériorité remontant à Vercingetorix et Robespierre... la France, lumière du monde, flamme de la résistance...
jacklittle ♦ 20.10.05 | 17h10 ♦ Dès qu’on évoque le dossier agricole sans la caution plus ou moins officelle de la France,le coq gaulois sort ses ergots,le coq-tout le monde l’a compris-étant Notre Président Mr Jacques CHIRAC.Est-ce que cela sert toujours les intérêts de notre pays,cela reste à démontrer?Bien que le négociateur européen,le Britannique Mr Mandelson n’est pas un modèle d’impartialité et de rigueur. Perfide Albion!!!!!!!
hopeandglory ♦ 20.10.05 | 17h09 ♦ Oui r i d i c u l e la politique de la PAC est intenable il faut une vraie "révolution" de la mentalité franchouillarde attachée à ses priilèges...
Deathwind ♦ 20.10.05 | 16h26 ♦ Comme d’habitude depuis plusieurs années maintenant, la position de Chirac est ridicule. Au nom de la défense d’un lobby agricole qui est son dernier refuge en politique intérieure, il néglige les intérêts des Francais ainsi que ceux des pays en voie de développement qui ont tous intérêt à la baisse des subventions et droits de douanes.
Jacqueline b. ♦ 20.10.05 | 15h29 ♦ le vote non du 29 Mai n’a rien à voir avec l’attitude actuelle du gouvernement français et de Chirac. Le Président de la République a toujours été le premier lobbyiste de la Fnsea .La majorité des gens de gauche -et ces derniers sont majoritaires dans le vote non- n’ont jamais défendu les privilèges des Européens par rapport aux pays du sud pour rejeter un traité ,qui n’avait de Constitution que le nom. Votre editorial prouve encore votre incapacité d’analyser les causes du rejet du 29
claude m. ♦ 20.10.05 | 15h24 ♦ Plutot que la France isolee, c’est la France affaiblie qui se revele aux termes de l’echec du president lors du referendum, et d’un bilan negatif sur trop de plans depuis l’echec de Juppe, l’echec de Raffarin, l’absence d’autorite au sein meme de son gouvernement, les incartades de Sarkosy venant ridiculiser l’executif francais... Et la division de la gauche ajoute au risque de non respect d ela france par ses partenaires! En effet quel risque pour les autres pays ? aucun. La PAC paiera...
Grichka10 ♦ 20.10.05 | 15h08 ♦ Arretez moi si je me trompe mais ce que défend la france c’est du protectionnisme agricole européen qui fonctionne au grand détriment des pays pauvres du Sud. Non? Et la "Mondialisation" ca prone au contraire, l’ouverture plus grande des marchés, chose qui profiterait aux pays pauvres du Sud. Non? C’est quoi l’idée, construire un nouveau mur de Berlin qui protège la France contre les échanges commerciaux avec le Sud? Tout en voulant stopper l’immigration veant de ces pays? Quelle incohérence.
zatoichi ♦ 20.10.05 | 15h08 ♦ Je vis depuis 5 ans loin de la France, et je ne peux qu’observer a travers tous les gestes de ce President et de son guvernement la consolidation, pierre par pierre, de tous les cliches sur l’arrogance butee et cocardiere des Francais. J’en suis profondement afflige. Que reprocher a cette Europe que notre propre gouvernement s’emploie a demolir, decredibiliser, pietiner ...?
monrog ♦ 20.10.05 | 14h13 ♦ Si l’on peut reprocher à Mitterrand d’avoir trop cédé, en son temps, aux Anglais, le grief est encore plus grand à l’endroit de Chirac dont on voit mal quel est le projet européen, qui paraît se résumer à un attachement aux droits acquis des Français, en matière agricole comme en d’autres domaine. Subsidiairement, les Français vont commencer à comprendre le prix de leur "non" au référendum.
nisard ♦ 20.10.05 | 14h11 ♦ Il faut arriver à comprendre qu’une politique cohérente de la part de la France en matière de développement (but affiché du cycle de Doha, de l’UE et d’Etats comme la France) passe nécessairement par une ouverture de nos marchés aux produits issus de l’agriculture du Sud. Préserver les intérêts de nos agriculteurs est fondamental mais n’oublions pas les enjeux mondiaux que cachent ces subventions.
fjhleger ♦ 20.10.05 | 14h02 ♦ Il serait temps que les politiciens arrêtent de faire de la gestion et commencent a refaire de la politique (aussi bien au niveau français qu’europeen).
il aura tout détruit .... ♦ 20.10.05 | 13h57 ♦ rendons hommage à notre glorieux président, qui aura, en si peu de temps, détruit : * son propore camp * l’OTAN & l’ONU * l’Europe n’ayant plus rien à détruire, un 3ème mandat ne s’impose pas. :)


Le Monde / Sciences
L'Amazone en dramatique manque d'eau

 D epuis le début du mois d'octobre, l'Amazone, le fleuve au plus fort débit de la planète, a atteint son niveau le plus bas depuis trente-cinq ans à la station d'Iquitos (Pérou). En septembre, les forêts bolivienne et péruvienne ont été le théâtre d'incendies gigantesques, qui ont ravagé plusieurs dizaines de milliers d'hectares. Au Pérou comme au Brésil, des populations entières sont coupées du reste du monde parce que les bateaux, qui sont le seul moyen de transport dans la forêt tropicale, ne peuvent plus remonter les cours d'eau.

Le bassin amazonien en chiffres

Longueur. Avec ses 7 025 km, de sa source au glacier de Huacra, au Pérou, à son embouchure au Brésil, l'Amazone est le plus grand fleuve du monde, devant le Nil (5 584 km).

Surface. La superficie drainée est de 6 millions de km², onze fois la France, répartie sur six Etats.

Débit. 190 000 m3/s à l'embouchure. En 2003, 1,1 milliard de tonnes de limon ont été charriées jusqu'à l'Atlantique, contre 750 millions de tonnes les années précédentes.

Biodiversité. La forêt amazonienne représente le tiers des forêts tropicales et renfermerait 30 % de la diversité animale et végétale de la planète.

Déforestation. Elle est causée par l'exploitation du bois (à 90% illégale) et la transformation en terres agricoles. Une récente politique de sauvegarde semble porter ses fruits : ces douze derniers mois, 9 100 km2 de jungle auraient été défrichés, contre 25 000 km² en moyenne les années précédentes. mais ces évaluations restent controversées.

A tous ces faits, une seule cause : la sécheresse. Une sécheresse qui frappe d'autant plus les esprits que, dans l'imaginaire collectif, l'Amazonie est synonyme de pluies diluviennes immuables. Or c'est loin d'être le cas. Les climatologues ont ainsi découvert que la forêt amazonienne avait connu, depuis la dernière déglaciation, d'importantes perturbations climatiques dues à de très fortes anomalies du régime des pluies.

Aussi la baisse du débit de l'Amazone n'étonne-t-elle pas les spécialistes. Certes, la sécheresse constatée aujourd'hui "est importante, mais elle n'est pas aussi élevée que celle de 1998, due au phénomène El Niño 1997-1998 et qui a provoqué de grands incendies dans la forêt amazonienne" , explique Laurence Maurice-Bourgoin, hydrogéochimiste de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), à Toulouse (laboratoire des mécanismes et transferts en géologie). "En 1963, une sécheresse très forte liée à El Niño s'est également produite" , rappelle-t-elle.

Le débit des eaux du fleuve Amazone est corrélé à une pluviométrie très influencée par les variations des températures de surface de l'océan Pacifique tropical et de l'océan Atlantique tropical.

Le nord-est du bassin amazonien réagit fortement au Pacifique tropical et aux phénomènes El Niño et la Niña, tandis que le sud-ouest de la région est sous l'influence de l'Atlantique tropical nord. Or on constate actuellement que la température de surface de ces eaux océaniques dépasse la normale de 0,5 ºC à 1 0C. "Il s'agit d'une anomalie positive significative" , explique Josiane Ronchail, géographe et maître de conférences à l'université Paris-VII.

Cette valeur élevée de la température de surface de l'océan "correspond à des pressions plus basses, ce qui affaiblit les alizés et diminue le flux de la mousson en direction de l'Amazonie" , précise la géographe. Au nord, les eaux chaudes ont alimenté en énergie une série d'ouragans comme Katrina et Rita, qui feront date dans l'histoire de la météorologie américaine ; au sud, ces mêmes eaux anormalement chaudes ont empêché la mousson d'arroser le bassin amazonien...

Les variations de la température de surface de l'Atlantique nord sont reliées à une variabilité naturelle de l'océan, à la fois décennale et pluridécennale. "Le problème actuel est peut-être dû à une mise en phase de ces différents phénomènes", avance Josiane Ronchail.

En tout cas, les climatologues ne sont pas encore capables de déterminer s'il existe un lien entre les variations de la température de surface de l'océan Atlantique tropical nord et le réchauffement climatique, même s'ils disent travailler sur le sujet.

La baisse du débit actuel de l'Amazone correspond à une tendance lourde constatée depuis 1999. Les mesures réalisées à la station brésilienne d'Obidos ­ située sur les bords de l'Amazone à 800 km de l'Atlantique ­ en collaboration avec des chercheurs français, dont Jean-Loup Guyot (IRD), montrent "une diminution importante du débit liquide et de la hauteur d'eau du fleuve depuis cette date". Le volume maximal des eaux roulées par le fleuve, alimenté par le rio Solimoes (qui prend sa source au Pérou), par le rio Madeira (Bolivie) et par le rio Negro, est ainsi passé de 267 000 mètres cubes par seconde en 1999 à 226 000 mètres cubes par seconde en 2003.

Alors que la profondeur d'eau maximale de l'Amazone est de 70 mètres en période de crue à la station d'Obidos, les chercheurs ont constaté qu'elle avait baissé de 1,10 m entre 1999 et 2004. Pendant la saison "sèche", où il pleut moins, le niveau du fleuve baisse encore de 6 à 7 mètres.

Alors même que le débit de l'Amazone diminue, la quantité des sédiments transportés s'est accrue paradoxalement entre 2000 et 2003, passant de 896 millions de tonnes/an en 2001 à 1,1 milliard de tonnes/an en 2003. Cette augmentation serait due à une érosion plus importante des affluents andins du rio Solimoes, provoquée en partie par une déforestation massive au Pérou et en Bolivie.

L'assèchement actuel des cours d'eau pourrait aussi avoir des répercussions notables sur certaines populations animales déjà menacées. Le ministère de l'environnement brésilien s'inquiète déjà du sort de deux espèces protégées : le "boto", petit dauphin d'eau douce, et le lamantin, ce paisible mammifère marin que les autochtones ont surnommé le "poisson-boeuf".

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 21.10.05


Le Monde / Sciences
Etat de calamité publique au Brésil
SAO PAULO (Brésil) correspondance

 L es cours d'eau dans le nord-ouest du Brésil ont atteint un niveau dangereusement bas pour les habitants de la région. Au point que, vendredi 14 octobre, le gouverneur Eduardo Braga (Parti du mouvement démocratique brésilien, centre droit) a déclaré la situation de calamité publique dans l'Etat d'Amazonas. "J'ai 45 ans et je n'avais jamais imaginé assister à une telle sécheresse", a-t-il avoué. Le Rio Negro et le Solimoes, qui se rejoignent pour former l'Amazone en aval de Manaus, n'ont plus que 7 mètres de profondeur au lieu de 16 pour le premier, et 60 centimètres au lieu des 12 mètres habituels en cette saison pour le second.

La boue des lits des cours d'eau devenus trop vastes se craquelle sous la chaleur. Il ne reste parfois qu'un ruisselet d'eau au centre, où des riverains tentent encore d'avancer en barque. Pour les milliers de familles isolées sur des berges asséchées, l'armée brésilienne assure désormais par la voie des airs l'approvisionnement en nourriture, médicaments, eau potable et combustible, car le trafic fluvial, vital pour la région, est ralenti.

Les ensablements ont progressé de 25 % et, sur certains axes comme le Madeira, la navigation est interdite la nuit. Les échanges commerciaux traversant le bassin amazonien sont perturbés, tant pour les produits industriels de la zone franche de Manaus, revendus dans les Etats du Sud-Ouest brésilien, que pour la production agricole du centre-ouest du Brésil, qui remonte l'Amazone jusqu'à Belem. Dans l'Etat d'Amazonas, la situation est aussi délicate que dans l'Acre, qui, faute d'humidité, a fait face à trois fois plus d'incendies cette année.

FORTE POLLUTION

D'ordinaire, les mois de septembre et d'octobre sont des périodes de basses eaux en Amazonie, les pluies n'arrivant que début novembre. Mais, cette année, la sécheresse a débuté en août et elle est beaucoup plus grave que celle, historique, de 1963.

La situation actuelle entraîne une forte pollution des eaux, où flottent des milliers de poissons morts par manque d'oxygène et de nourriture.

Les autorités se demandent d'ailleurs ce qu'il va advenir de la faune aquatique et s'interrogent sur la capacité des espèces à se renouveler ensuite, car les lacs où elles prospèrent d'ordinaire sont asséchés. Les autorités sanitaires se mobilisent, inquiètes de voir apparaître des maladies comme le choléra.

Annie Gasnier
Article paru dans l'édition du 21.10.05


Le Monde / France
Henri Emmanuelli demande à Lionel Jospin d'avancer "à visage decouvert"

 H enri Emmanuelli, un des dirigeants du Nouveau Parti socialiste (NPS), s'est déclaré pour "la politique à visage découvert et à la loyale", en ironisant vendredi sur l'éventuel retour de Lionel Jospin.

Interrogé sur le livre que vient de publier Lionel Jospin et son éventuel retour sur la scène politique, le député des Landes a déclaré: "Cela fait à peu près deux ans, régulièrement tous les quinze jours, qu'on nous annonce le retour. Et j'ai pas l'impression que ce soit le sujet numéro un des Françaises et Français", a-t-il ajouté sans jamais prononcer le nom de l'ancien premier ministre socialiste.

"LA DIRECTION DU PS MANQUE DE DYNAMISME"

Alors que le PS éprouve des difficulté à trouver son unité, le député des Landes enfonce le clou. "Puisque que le microcosme a décidé que c'était l'événement de la rentrée, je vais vous répondre : je suis pour pratiquer la politique à visage découvert et à la loyale", a indiqué M. Emmanuelli, espérant que "si certains veulent faire de la politique, ils le feront ouvertement".

Le 12 octobre, M. Emmanuelli avait accusé la direction de son parti de manquer de dynamisme dans la perspective de la présidentielle de 2007. "Elle ressemble plus à un attelage défensif qu'à une coalition dynamique", déclarait le député des Landes dans un entretien à Libération. "Quand on a six candidats dans ses rangs, et peut-être un septième qui l'est sans le dire, ça pose problème."

"Si les socialistes ne se mettent pas en harmonie avec les aspirations du peuple de gauche, ils se condamnent à péricliter", prévient-il. "Le rôle de la gauche n'est pas d'expliquer aux gens qu'elle ne peut rien changer."

Avec AFP
LEMONDE.FR | 21.10.05 | 10h35


Le Monde / Europe
Grippe aviaire : les Vingt-Cinq ont décidé d'organiser des stocks d'antiviraux

 L es Etats de l'Union européenne ont établi un plan d'action en cas de pandémie de grippe aviaire visant à organiser des stocks "stratégiques" d'antiviraux et son approvisionnement dans toute l'Europe, a annoncé, jeudi, le commissaire à la santé européen, Markos Kyprianou, à l'issue d'une rencontre informelle en Grande-Bretagne avec les ministres de la santé de l'UE.

La mort de 150 volailles en Russie ne serait pas liée à la grippe aviaire

D'après les premiers examens effectués sur 150 volailles retrouvées mortes dans un village de la région de Rostov, dans le sud de la Russie, leur mort ne serait pas liée au virus de la grippe aviaire, ont indiqué les autorités. Les canards et les oies suspectés d'être contaminés par le virus H5N1 auraient été victimes de la pasteurellose. Cette maladie liée aux mauvaises conditions d'hygiène entraîne des infections de l'appareil respiratoire. Malgré ces déclarations, des tests sanguins sont toujours en cours. (AP)

"Nous devons constituer des stocks afin de pouvoir intervenir dans des pays qui n'ont pas de stocks suffisants et intervenir à l'extérieur des frontières de l'UE", a précisé M. Bertrand, le ministre de la santé français. M. Kyprianou a pour sa part souligné que le niveau de préparation était variable selon les Etats membres. Les ministres ont reconnu qu'il fallait améliorer la coordination de leurs efforts pour se préparer à une éventuelle pandémie.

"UNE SEULE LOGIQUE : LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION"

Les ministres se sont surtout efforcés de rassurer, rappelant que la grippe aviaire était une maladie qui concernait les animaux et non pas les humains. "Nous devons nous préparer pour une pandémie, mais ce n'est pas ce à quoi nous faisons face maintenant", a déclaré Patricia Hewitt, la ministre de la santé britannique. Margaret Chan, vice-directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a fait un exposé sur la situation actuelle. Elle a insisté sur la faiblesse du risque de pandémie en Europe. "Nous sommes dans une seule et même logique, celle du principe de précaution", a confirmé le ministre français lors d'un point presse séparé.

Parmi les mesures à l'étude, la France envisage de mettre en place des contrôles aux aéroports en cas de pandémie, et des "caméras thermiques" aux aéroports pour détecter les personnes malades. La ministre britannique a souhaité de son côté un "effort international" pour accroître la capacité de production d'antiviraux, de vaccins, et renforcer la recherche dans ce domaine.

Mercredi, le Royaume-Uni avait annoncé son intention d'acquérir des quantités suffisantes de vaccins pour protéger la totalité de sa population. Mais un vaccin ne peut être produit tant que la souche pandémique n'est pas identifiée, ce qui pourrait prendre des mois. Alors que la souche hautement pathogène du virus, le H5N1, a fait jeudi sa 67e victime en Thaïlande, M. Kyprianou et Mme Hewitt ont insisté sur l'importance de bien faire la distinction entre grippe aviaire, grippe saisonnière et une pandémie.

Les ministres doivent poursuivre leurs entretiens vendredi sur le thème de la mobilité des patients dans l'UE et des principes des systèmes de santé.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 21.10.05 | 08h49


Le Monde / Europe
Article interactif
Grippe aviaire: le monde entier redoute une pandémie
  1. Les Vingt-Cinq ont décidé de constituer des stocks d'antiviraux
  2. Des mesures de prévention à travers le monde
  3. Les ministres européens tentent de rassurer la population
  4. La mort de 150 volailles en Russie ne serait pas liée à la grippe aviaire
Les Vingt-Cinq ont décidé de constituer des stocks d'antiviraux

 L es Etats de l'Union européenne ont établi un plan d'action en cas de pandémie de grippe aviaire visant à constituer des stocks "stratégiques" d'antiviraux et à organiser leur approvisionnement dans toute l'Europe, a annoncé, jeudi, le commissaire à la santé européen, Markos Kyprianou, à l'issue d'une rencontre informelle en Grande-Bretagne avec les ministres de la santé de l'UE.

"Nous devons constituer des stocks afin de pouvoir intervenir dans des pays qui n'ont pas de stocks suffisants et intervenir à l'extérieur des frontières de l'UE", a précisé M. Bertrand, le ministre de la santé français. M. Kyprianou a pour sa part souligné que le niveau de préparation était variable selon les Etats membres. Les ministres ont reconnu qu'il fallait améliorer la coordination de leurs efforts pour se préparer à une éventuelle pandémie.

Avec AFP et Reuters

Des mesures de prévention à travers le monde

 L a grippe aviaire ne concerne pas seulement l'Europe. L'ensemble de la communauté internationale se mobilise pour éviter la pandémie si redoutée.

Aux Etats-Unis, le Sénat a enjoint aux autorités de l'aviation de se préparer à des situations "où un passager aurait les symptômes de la grippe aviaire", en prévoyant la mise en place de mesures concrètes dans les aéroports. Ces procédures seraient en vigueur dans les aéroports américains reliés à des pays ayant eu des cas de grippe aviaire, ou desservis par des compagnies assurant des vols avec ces pays. L'Australie a annoncé vendredi un embargo sur les oiseaux en provenance du Canada après que des anticorps de la grippe aviaire ont été détectés sur trois pigeons certifiés sains. Le ministre de l'agriculture s'est dit "très perturbé" par la "défaillance" dans les protocoles sanitaires du Canada.

Le Mexique va, de son côté, destiner 600 millions de pesos (46 millions d'euros) à l'achat de vaccins contre la grippe aviaire, dans le cadre d'un plan national qui inclut la production au Mexique de médicaments, a annoncé jeudi le ministre de la santé mexicain, Julio Frenk.  Les personnes atteintes de la grippe aviaire au Vietnam seront soignées gratuitement, a indiqué vendredi un responsable sanitaire alors que le pays se prépare pour une éventuelle pandémie. "Nous fournirons un traitement gratuit, y compris du Tamiflu", a assuré un responsable médical au ministère de la santé. Le pays dispose actuellement de quelque 600 000 doses de Tamiflu et prévoit d'en acquérir 400 000 supplémentaires. Enfin, la Russie a décidé d'interdire les importations de volaille en provenance de Turquie pour éviter que ne se propage le virus de la grippe aviaire.

Avec Reuters et AFP

Les ministres européens tentent de rassurer la population

 L es ministres de la santé européens se sont efforcés de rassurer la population, à la sortie de leur réunion, rappelant que la grippe aviaire était une maladie qui concernait les animaux et non pas les humains. "Nous devons nous préparer pour une pandémie, mais ce n'est pas ce à quoi nous faisons face maintenant", a déclaré Patricia Hewitt, la ministre de la santé britannique. Margaret Chan, vice-directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a fait un exposé sur la situation actuelle. Elle a insisté sur la faiblesse du risque de pandémie en Europe. "Nous sommes dans une seule et même logique, celle du principe de précaution", a confirmé le ministre français lors d'un point presse séparé.

Parmi les mesures à l'étude, la France envisage de mettre en place des contrôles aux aéroports en cas de pandémie, et des "caméras thermiques" aux aéroports pour détecter les personnes malades. La ministre britannique a souhaité de son côté un "effort international" pour accroître la capacité de production d'antiviraux, de vaccins, et renforcer la recherche dans ce domaine. Les ministres doivent poursuivre leurs entretiens vendredi sur le thème de la mobilité des patients dans l'UE et des principes des systèmes de santé.

Avec AFP et Reuters

La mort de 150 volailles en Russie ne serait pas liée à la grippe aviaire

 D' après les premiers examens effectués sur 150 volailles retrouvées mortes dans un village de la région de Rostov, dans le sud de la Russie, leur mort ne serait pas liée au virus de la grippe aviaire, ont indiqué les autorités. Les canards et les oies suspectés d'être contaminés par le virus H5N1 auraient été victimes de la pasteurellose. Cette maladie liée aux mauvaises conditions d'hygiène entraîne des infections de l'appareil respiratoire. Malgré ces déclarations, des tests sanguins sont toujours en cours.

Avec AP
LEMONDE.FR | 21.10.05 | 14h31


Le Monde / Europe
La grippe aviaire fait chuter de 20 % les ventes de volailles en grandes surfaces

 L a propagation du virus de la grippe aviaire sur le plan international commence à avoir un impact sensible sur la consommation de volaille en France. Le secteur de la grande distribution fait état d'une accélération de la baisse des ventes, qui cette semaine atteint en moyenne 20 %. "Il y a un net à-coup dans les magasins depuis le week-end dernier, qui est corrélé à la médiatisation de l'alerte lancée en Roumanie" , confie au Monde Jérôme Bédier, président de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), qui regroupe des groupes comme Carrefour, Auchan ou Casino.

Dans un avis rendu public, mercredi 19 octobre, les experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) qualifient aujourd'hui de "négligeable" le risque d'introduction directe en France, via les oiseaux migrateurs, du virus responsable de l'épizootie de grippe aviaire. En conséquence l'Afssa recommande au gouvernement de ne pas mettre en oeuvre, dans l'immédiat, les mesures de claustration des volailles élevées en plein air. De même elle estime que rien, en l'état actuel des données, ne justifierait l'interdiction de la pratique de la chasse.

La situation varie selon les enseignes, les formats de magasin et les produits concernés. Pour certains groupes la baisse dépasse les 25 %. Par ailleurs, les hypermarchés semblent plus touchés que les magasins de proximité. "Leur clientèle est plus familiale, les parents ont tendance à être beaucoup plus vigilants sur ce qu'ils donnent à manger à leurs enfants" , note un distributeur. La défiance dépend aussi du type de produits commercialisés. La baisse sur les poulets entiers ou à la découpe atteint plus de 30 % dans certains magasins.

En revanche, les produits élaborés (cordons bleus, les croquettes ou les plats cuisinés) semblent plus épargnés. "Nous essayons d'adapter le plus rapidement possible l'offre à la demande en mettant en avant plus de produits élaborés ou d'autres produits de boucherie", explique le porte-parole d'une enseigne. La baisse de chiffre d'affaires sur la volaille pourrait donc être compensée par un report d'achat sur d'autres produits.

NUMÉRO VERT

A Rungis, le plus important marché de gros d'Europe, avec 82 000 tonnes de volailles par an, la tendance est à une baisse de 20 %, soit deux fois plus que sur la première quinzaine d'octobre.

La crise intervient dans un contexte de consommation alimentaire déjà morose. Avant la crise, la demande sur les volailles stagnait. Néanmoins il s'agit de la viande la plus consommée par les Français. "On aura beaucoup de mal à raisonner les consommateurs , estime un distributeur. Une fois qu'on a dit que la sécurité alimentaire n'a jamais été aussi forte, on ne peut pas grand-chose pour éviter la psychose."

Pour tenter d'inverser la tendance, le gouvernement a chargé mercredi le Centre d'information des viandes (CIV) d'informer les consommateurs afin que ces derniers évitent la confusion entre le risque de pandémie pour les animaux et le risque alimentaire, inexistant, pour les humains. Un numéro vert et un site Internet seront disponibles le 24 octobre.

Pour mieux mesurer la consommation, le ministère de l'agriculture et la profession avicole ont décidé, le 19 octobre, la mise sur pied d'un observatoire des prix et de la consommation des volailles, chargé de faire un point hebdomadaire.

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 21.10.05


Le Monde / Opinions
Chronique
L'Europe au centre du débat français, par Patrick Jarreau

 L e rejet du traité constitutionnel européen, le 29 mai, a une conséquence paradoxale, au moins en apparence : l'Europe a pris une importance sans précédent dans le débat politique.

La victoire du non a porté un coup fatal au projet de Constitution et privé d'une partie de sa substance la position française sur l'Europe. Si les Français eux-mêmes n'ont pas foi dans la construction d'une Europe politique, qu'est-ce que leurs dirigeants peuvent avoir à défendre dans le débat communautaire ? Il ne reste que les avantages acquis, autrement dit la politique agricole commune. Or, sur ce sujet-là, le débat provoqué, cette semaine, par les négociations commerciales internationales a montré, au-delà de son enjeu immédiat, à quel point Paris a perdu de sa capacité à rallier ses principaux partenaires européens à la défense de ses intérêts.

Le vote du 29 mai a traduit une hostilité majoritaire aux institutions communautaires, au rituel européen et à ses règles, bref à Bruxelles. En bonne démocratie, on n'imagine pas Jacques Chirac, Dominique de Villepin, le gouvernement, ni les responsables politiques en général, expliquer aux Français qu'ils ont eu tort et que José Manuel Durao Barroso a raison. Les uns et les autres se font donc les interprètes, convaincus ou résignés, du mécontentement exprimé par les électeurs et disent tout le mal qu'ils pensent des "eurocrates".

Jacques Chirac a pris pour cible le président de la Commission, rendu responsable du manque de ressources de l'Union européenne face aux délocalisations ou aux suppressions d'emplois à motivation boursière, comme celles de Hewlett Packard. Puis est venu le tour du commissaire au commerce, Peter Mandelson, proche de Tony Blair et suspect, aux yeux du gouvernement français, de remettre en question subrepticement, à la faveur des négociations avec les Etats-Unis et le reste du monde, le compromis élaboré en 2003 sur les aides aux agriculteurs. Le premier épisode relevait d'une sorte de gesticulation ou de mise en scène, qui n'a pas convaincu grand monde. Le second est plus sérieux, car la France court réellement le risque d'une défaite sur un sujet essentiel pour elle. Ce n'est évidemment pas un hasard si, en juin, avant même de prendre la présidence de l'Union, Tony Blair a porté sa première attaque sur la politique agricole commune. Le chef du gouvernement britannique y trouve un excellent prétexte pour dénoncer l'archaïsme de l'Europe telle qu'elle est et l'égoïsme de la position française.

La pression libérale en Europe, à laquelle le non du 29 mai entendait s'opposer, continue à nourrir la discussion en France. Jamais auparavant la question européenne n'avait pris tant de place dans le débat politique en dehors d'échéances spécifiques. L'Europe a mobilisé l'attention lors du référendum de 1992 sur le traité de Maastricht et, à un degré bien moindre, lors des élections au Parlement européen. Elle s'est toujours effacée, ensuite, au profit de questions franco-françaises, qui ont dominé les campagnes législatives ou présidentielles. La dimension européenne des choix proposés aux électeurs n'a pas été totalement occultée en 1995 et en 1997, mais elle a été présentée ou, en tout cas, perçue comme secondaire. Aujourd'hui, la crise européenne résultant du référendum français devient le sujet central. Les partis et les candidats aux plus hautes fonctions ne peuvent échapper à une clarification de leurs options européennes. L'ouverture des négociations sur l'adhésion de la Turquie à l'UE en a donné un exemple. le Front national et le Mouvement pour la France ont accusé Jacques Chirac de ne pas respecter la volonté des Français, dont le vote sur la Constitution aurait signifié aussi, selon eux, le refus de ce nouvel élargissement. L'UDF a exprimé son opposition à l'ouverture de ces négociations. Chapitré par le président de la République, Nicolas Sarkozy a mis une sourdine à son propre rejet de la Turquie, mais parce qu'il a jugé que celui-ci était connu de tous et n'avait pas besoin d'être rappelé. La gauche, embarrassée, n'a pas voulu s'exposer à des accusations de xénophobie antimusulmane, mais les socialistes ne cachent pas leurs réserves.

Indépendamment du problème turc, la politique européenne nourrit le débat à un mois du congrès du PS. Laurent Fabius, qui a fortement contribué à la victoire du non le 29 mai, se présente comme le défenseur du choix majoritaire des Français face à l'actuelle direction du PS et à François Hollande, dont il laisse entendre qu'ilspourraient accepter une réouverture du processus constitutionnel. Dans son livre, Le monde tel que je le vois, pas encore dans les librairies, mais déjà abondamment commenté, Lionel Jospin revient sur le référendum et livre son analyse de l'Europe, en estimant que "la voie institutionnelle est pour un temps bouchée" et que l'Union ne pourra être désembourbée que par un compromis entre les gouvernements. Dans la majorité, Edouard Balladur, Nicolas Sarkozy, Philippe Douste-Blazy tentent de ressusciter l'idée d'un "noyau dur" ou d'une "avant-garde" d'Etats disposés à avancer dans l'union, avec ou sans Constitution.

Jusqu'à maintenant, la construction européenne donnait l'impression d'avancer ­ ou de ne pas avancer ­ toute seule, sans que les gouvernés s'en mêlent. Aujourd'hui, la plupart des questions qui intéressent les Français sont suspendues à celle de l'avenir de l'Europe.

Patrick Jarreau
Article paru dans l'édition du 22.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

ALBERT F. ♦ 22.10.05 | 13h34 ♦ Les réactions sont intéressantes.La bataille perdue du 29 mai n’est pas la fin de la guerre.les perpectives européennes existent encore. Ceux qui rejettent l’Europe n’ont gagné qu’en apparence, car ils n’ont pas de projet de rechange en dehors du retour impuissant au nationalisme des patries.Un puissant, méthodique et général effort d’enseignement, dans toute l’Europe et dès l’école (cf 3°République en France), de l’Europe et de l’esperanto serait peut-être une solution à ce gachis?
bigoudis ♦ 22.10.05 | 12h16 ♦ Comment peut-on être de gauche, démocrate et européen (c’est à dire conscient qu’il faut faire de compromis avec d’autres qui ne pensent pas exactement comme nous (et encore qui est nous ?)) et avoir voté non à la constitution ? Bravo aux extremistes de tous bords qui ont renforcé les élements du système qu’ils dénoncaient précisément.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 22.10.05 | 09h19 ♦ Les conséquences du Non du 29 mai ne sont donc pas toutes totalement négatives. PJ nous dit que la pression libérale nourrit encore les discussions ; ce qui ne l’empêche pas de s’exercer de plus en plus fortement y compris au PS où l’idée de marché gagne du terrain. Paradoxalement, le NON a amélioré notre connaissances des véritables enjeux européens et met en évidence le caractère hétéroclite de la coalition anti-libérale. Je commence à ne plus regretter d’avoir perdu le 29 mai. Merci Mélenchon
Senyek ♦ 22.10.05 | 07h32 ♦ On aurait pu avoir des institutions européennes menant une politique avec des équations mathématiques, les peuples d’Europe approuverait sa politique à partir du moment où l’emploi ne serait pas une denrée rare ! Le problème central de l’Europe actuelle, comme celle d’une politique nationale, est l’emploi et la possibilité de vivre normalement, or ni le politique, ni l’Europe n’apportent des solutions concrètes. Malgré le 29 mai, il n’y a que des critiques, aucun projet d’avenir.
gérard B. ♦ 21.10.05 | 22h24 ♦ Eh bien, oui, j’ai compris que j’étais minoritaire le 29/5. Maintenant, que les nonistes m’expliquent de quelle façon on peut considérer que les arguments du FN et d’Attac (point de vue de Nikonoff dans le Monde dans le courant de mai) ne sont pas nationalistes avant tout. Que les zélateurs du ouiàleuropemaispascellelà nous fournissent l’ombre de l’ébauche d’un plan B, quand bien même il serait inacceptable par les 24 autres pays de l’UE (les pas-français, si si ça existe) : j’attends !
Mosart ♦ 21.10.05 | 19h57 ♦ Le Projet de Constitution délimitait clairement les domaines relevant soit de l’Europe soit des pays eux-même; il donnait aussi plus de pouvoir aux parlementaires, représentants directs de la population: .. ce n’est pas exactement cela une machine de guerre des libéraux . De plus, allez dire aux néo-libéraux anglo-saxons que vous voulez inclure le terme ’’ Economie sociale de marché’’ et le droit de grève dans leur constitution, vous verrez leur réaction ...
monrog ♦ 21.10.05 | 18h04 ♦ Les Français vont vivre deux drames : primo, l’Europe, mal ficelée comme elle est, existe, même avec ses règles de l’unanimité des décisions ; secundo : ls France n’en est plus ou presque. Il n’empêche que 70 % du droit français continuera de venir d’un Bruxelles qui pourra vivre sans la France. Alors, sortir de l’Europe ? Chiche ! Et bientôt l’Albanie et Cuba.
Alcys ♦ 21.10.05 | 17h13 ♦ Les ouiouistes du Monde n’ont toujours pas compris les raisons de leur défaite.Ou du moins ils se défendent d’ analyser sérieusement la victoire du NON. Pourtant en passant, la vérité sort de l’ombre comme par inadvertance : ""La pression libérale en Europe, à laquelle le non du 29 mai entendait s’opposer, continue à nourrir la discussion en France" Eh bien oui le traité était une machine de guerre des libéraux. Eh bien oui,l’anarque a été démasquée.Et les zélites du Monde n’y ont été pour rien
gérard B. ♦ 21.10.05 | 13h58 ♦ Je ne partage pas ce point de vue : l’"Europe" est plus que jamais un machin que l’on évoque que pour incarner les méchants étrangers (anglais-ultralibéraux-surtout) qui font rien que nous embêter. On ne pose pas la question : qu’est-ce qui est bon pur l’UE?, on se demande si telle action ou tel projet point de l’UE "sera bon pour la France" . Le non du 29 mai est d’abord une victoire pour les nationalismes, que cela ait été voulu ou non, et l’Europe n’a plus aucune importance.


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Justice internationale

 C' C'est une oeuvre de longue haleine, lente, tortueuse, imparfaite. Mais c'est une évolution semble-t-il irréversible. Une justice internationale est en train de prendre corps petit à petit, qui n'est plus seulement la justice des vainqueurs. Ce reproche pouvait être adressé au tribunal de Nuremberg, qui, à partir de novembre 1945, a jugé les principaux dignitaires nazis encore en vie. On peut en dire autant du tribunal spécial irakien qui a commencé, le 19 octobre, à entendre Saddam Hussein. On peut regretter à cette occasion que les Américains aient repoussé l'idée de créer une instance internationale spéciale destinée à connaître des crimes de l'ancien dictateur irakien, alors qu'un de ses compères, Slobodan Milosevic, est lui jugé à La Haye par le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie, créé par l'ONU. Pour citer le juriste Antoine Garapon, le TPIY a provoqué "une dynamique positive" qui a conduit à la consécration, en 1998, de la Cour pénale internationale.

La marque des Nations unies n'est pas, à elle seule, une garantie d'impartialité totale, mais elle est au moins un signe d'indépendance par rapport aux arrière-pensées politiques des puissances dominantes. L'enquête menée par le juge allemand Detlev Mehlis à la demande du secrétaire général de l'ONU sur le meurtre de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri est une véritable démonstration des possibilités d'une justice internationale. Avec une rapidité remarquable, M. Mehlis, qui a remis son rapport au Conseil de sécurité, jeudi 20 octobre, a remonté la filière des responsables de l'assassinat et de ses commanditaires. Après avoir entendu des centaines de témoins et fait placer en garde à vue des personnalités haut placées de l'administration libanaise, il n'hésite pas à mettre en cause "les plus hauts responsables des services de sécurité syriens" qui remontent jusqu'à l'entourage du président syrien Bechar Al-Assad, et leur collusion avec leurs collègues libanais. Il fait même état des soupçons pesant sur le président libanais Lahoud.

Ayant salué la célérité et le sérieux de cette commission, on est amené à se demander ce qu'il adviendra de ses travaux. La politique risque de reprendre le pas sur le droit. Les membres du Conseil de sécurité qui avaient été les plus allants pour exiger le départ des troupes syriennes du pays du Cèdre et demander une enquête sur la mort de son ancien premier ministre, la France et les Etats-Unis au premier rang, ne pourront s'empêcher de prendre en compte les menaces que ferait peser sur la stabilité du Liban une inculpation de certains dirigeants politiques par une juridiction internationale. Ils peuvent d'autant plus être tentés par la Realpolitik que leur attachement à l'internationalisation de la justice est à géométrie variable. S'ils venaient à renoncer, ils accréditeraient l'idée du deux poids-deux mesures qui mine la confiance des plus faibles dans les organisations internationales. Ils freineraient les progrès d'une justice qui dépasse les souverainetés nationales, mais ils ne pourraient pas les arrêter.

Article paru dans l'édition du 22.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

MAXIM ♦ 21.10.05 | 18h38 ♦ Si Saddam Hussein a été arrêté et peut être jugé ce n’est pas grâce à l’O.N.U. qui dans sa grande majorité n’est pas composé de Démocraties. Les bonnes intentions sont une chose la réalité en est une autre. Sur ce point encore la France qui a de bonnes relations avec des dictateurs ou autocrates de tout poil(se rappeler l’attitude de Mr Chirac après l’assinat de "son ami le grand démocrate" Eyadema)est mal placée pour servir de caution morale.

LOUISE L. LAMBRICHS ♦ 21.10.05 | 17h38 ♦ Si la justice internationale n’est plus la justice des vainqueurs, c’est aujourd’hui la justice des puissants. Concernant la Yougoslavie, l’Angleterre et la France ont pesé pour faire prononcer, en 1991, un embargo sur les armes qui ôtait à la Croatie et à la Bosnie tous les moyens de se défendre face à l’agression grand-serbe. Qui jugera cette décision criminelle, prise par le Conseil de Sécurité, et qui a permis l’occupation de la Croatie puis déterminé toute la suite de cette guerre ?

Grichka10 ♦ 21.10.05 | 16h54 ♦ Hum, quel bonheur, si cette évolution vers une vrai justice internationale est réelle, c’est la meilleure nouvelle du 21ème siècle. C’est peut etre à lier avec le sommet de l’ONU à New York en Septembre. La déclaration de Koffi Annan faisait poindre une notion indispensable à une vrai justice internationale, le devoir d’ingérence quand une population est menacée (même si c’est par son propre dirigeant). L’ONU a l’air de se réveiller, c’est une bonne chose.

jacklittle ♦ 21.10.05 | 16h41 ♦ Nous sommes à des années lumière d’un justice non pas parfaite,mais pour le moins équitable sur tous les continents de notre planète envers les centaines de responsables étatiques,personnels,de crimes,de massacres ,hélas quelque fois de génocides,mais c’est une oeuvre de longue haleine,lente,tortueuse,imparfaite-comme le souligne parfaitement votre édito.Mais les premiers pas ont été,sont accomplis c’est primordial,mais mortels que nous sommes,nous ne verrons pas la fin de cette oeuvre salutaire

OIF2005 ♦ 21.10.05 | 15h23 ♦ Restons serieux. Si dans l absolue l on peut se rejouir de voir prendre corps une ebauche de justice internationale comme dans le cas evoque de Milosevic, il en va bien autrement pour ce qui est de Saddam Hussein. Il est trop facile a present d invoquer la soit disante legitimite internationale et independante du PTIY onusien. Doit on rappeller ici que l ONU a tout fait pour empecher que le sanglant dictateur ait a reconnaitre ses crimes ? Les Etats-Unis ,et personne d autre, ont permis cela.

P. G. ♦ 21.10.05 | 14h56 ♦ Pour ceux qui sont intéressés par toutes les procédures Saddam, Milosevic, Pinochet et tant d’autres, il y a un excellent site sur la justice internationale. Plus de 240 affaires y sont présentées, en trois langues. A voir absolument: www.trial-ch.org/trialwatch


Le Monde / Régions
Des communes d'Isère sont mécontentes de devoir refaire leur réseau d'eau pour STMicroelectronics
GRENOBLE de notre correspondante

 D epuis le 3 octobre, et jusqu'au 4 novembre, le Syndicat intercommunal des eaux de la région grenobloise (Sierg) soumet à nouveau à l'enquête publique son projet de doublement de l'alimentation en eau potable du Grésivaudan. Un premier avis défavorable avait été rendu pour défaut d'étude d'impact.

C'est dans cette zone qu'est implanté le fabricant de semi-conducteurs STMicroelectronics, qui a annoncé, le 28 septembre, sa décision de supprimer 321 emplois en France, dont 85 à Crolles (Le Monde du 30 septembre),

Estimé à 25 millions d'euros, le projet est destiné, en effet, à répondre aux besoins des industries de la micro-électronique, très consommatrices en eau qu'elles utilisent pour le nettoyage des plaques de silicium. "Les débits de pointe ont doublé en cinq ans ", relève le rapport qui sert de fondement à l'enquête publique. La consommation d'eau quotidienne est évaluée en 2004 des deux communes de Crolles et de Bernin à 13 950 m3 en moyenne (16 620 m3 en périodes de pointe), soit 10 % à 15 % (jusqu'à 20 % en période de pointe) de la consommation totale du Sierg qui regroupe 36 communes représentant 236 000 habitants. A l'horizon 2020, ces besoins sont évalués à 25 500 m3 d'eau en moyenne par jour (29 325 m3 en période de pointe).

La capacité de la canalisation existante ne permettant pas de répondre à l'augmentation de la demande, le Sierg a décidé de construire une seconde canalisation sur 18 km. "La présence d'une ressource en eau abondante et naturellement pure, a participé à la décision de STMicroelectronics de s'implanter à Crolles" , justifie le président (PC) du Sierg, Claude Bertrand, vice-président du conseil général de l'Isère.

Le projet suscite pourtant l'inquiétude de plusieurs associations, dont l'UFC-Que choisir , regroupées depuis cet été au sein du Collectif eau de la région grenobloise (Coerg). Celui-ci s'interroge sur les conséquences du projet sur la facture d'eau des usagers.

"Le financement des investissements sera assuré par la consommation supplémentaire", assure Claude Bertrand. Pour parer "à toute baisse brutale, voire à une suppression pure et simple de la demande par abandon du site par STMicroelectronics, ou par changement radical dans le processus de fabrication" , M. Bertrand a sollicité le conseil général de l'Isère pour garantir les emprunts engagés par le Sierg pour financer les travaux.

"POIDS DE LA DETTE"

"Il ne serait pas envisageable pour les communes adhérentes au Sierg d'avoir à faire supporter le poids de la dette résiduelle sur leur population à travers une augmentation du prix de l'eau qui pourrait être alors de 40 %" , reconnaissait l'élu dans un courrier adressé au président (PS) du conseil général, André Vallini, daté du 5 août 2003.

"Au prétexte qu'une entreprise peut potentiellement délocaliser un jour ou être en difficulté, il ne faudrait plus rien faire pour accompagner le développement économique" , s'agace François Brottes, député et maire (PS) de Crolles qui craint que "les entreprises n'accélèrent leur délocalisation".

Quelques jours après l'annonce des 1 240 emplois supprimés par Hewlett-Packard, la demande est néanmoins devenue embarrassante pour le conseil général qui n'a d'ailleurs toujours pas délibéré.

Le Sierg se dit prêt à retirer le projet s'il n'obtient pas les garanties. Le collectif d'association réclame "un débat public sur l'utilisation de la ressource en eau de la région grenobloise la plus conforme à l'intérêt général" . S'appuyant sur les conclusions du premier commissaire enquêteur, il dénonce l'absence de présentation au dossier d'enquête d'une solution alternative moins onéreuse, qui a fait l'objet d'une estimation de la Régie des eaux de Grenoble, l'autre producteur public d'eau potable de la région grenobloise (175 000 abonnés).

Cette solution, environ "25 % moins chère" , confirme son président (Vert) Vincent Fristot, consisterait à raccorder la conduite supplémentaire du Sierg à son réseau, en capacité de supporter des débits trois fois supérieurs à ceux qu'il véhicule aujourd'hui.

Le Sierg, au contraire, sera obligé à terme de renforcer ses capacités de transit dans sa partie amont, voire d'aller chercher de l'eau dans le massif de l'Oisans et de l'acheminer, notamment par un tunnel de 7 km creusé sous le massif de Belledonne, ce qui représenterait un investissement supplémentaire de plus de 100 millions d'euros.

Le porte-parole du Coerg, Didier Medori, regrette que "les collectivités s'engagent dans des équipements surdimensionnés alors que les industriels ne garantissent pas l'évolution de leur consommation" . La direction de STMicroelectronics a confirmé que "dans le cadre de [sa] visibilité actuelle, des prévisions pour 2020 seraient sans fondement".

Nicole Cabret
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / France
Les députés offrent au lobby viticole le droit de contrôler les campagnes contre l'alcoolisme

 I l y a la même quantité d'alcool dans un demi de bière, une coupe de champagne, un ballon de vin, un verre de pastis... pour rester en bonne santé, diminuez votre consommation d'alcool." Cette campagne de prévention, actuellement publiée dans différents journaux, à l'initiative du ministère de la santé, de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (Inpes), de l'assurance-maladie et de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), sera peut-être la dernière du genre.

Les défenseurs du monde viticole ont obtenu d'avoir désormais un droit de regard systématique sur les projets de publicité contre l'alcoolisme préparés par les pouvoirs publics.

Sans crier gare, dans une belle unanimité politique, et avec le soutien du gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté, lundi 17 octobre, en première lecture du projet de loi d'orientation agricole, un amendement créant un "Conseil de modération et de prévention".

Composé des professionnels des filières concernées "et notamment des filières viti-vinicoles" , de représentants d'association de santé et de la sécurité routière, de parlementaires et de représentants des ministères et des organismes publics, ce conseil "est consulté sur les projets de campagne de communication publique relative à la consommation des boissons alcoolisées et sur les projets de textes législatifs et réglementaires intervenant dans son domaine de compétence". Cette nouvelle instance ­ réclamée par les députés auteurs du Livre blanc sur la viticulture ­ venait pourtant d'être créée par un décret gouvernemental publié au Journal officiel du 5 octobre.

Ce décret prévoyait que le Conseil "pouvait être consulté" . "Nous avons été très déçus de ces conditions de saisine" , a expliqué Alain Suguenot, député UMP (Côte-d'Or) et maire de Beaune, en présentant son amendement. Alors la possibilité de consultation a été remplacée... par une obligation. De comité consultatif, le nouveau Conseil s'est transformé en organe de contrôle.

"Cela permettra de modérer les campagnes de prévention parfois discriminatoires envers les producteurs de vins et de champagne" , s'est félicité le député UMP (Marne) et viticulteur, Philippe-Armand Martin, l'un des auteurs du Livre blanc. "La dernière campagne des pouvoirs publics, qui caricature le vin, met nos campagnes en émoi, notamment dans les zones viticoles", a fait valoir Thierry Mariani (UMP, Vaucluse).

Le docteur Alain Rigaud, président de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), ne cache pas ses craintes. "Cet amendement est le signe d'un changement inquiétant car il met sous tutelle la santé publique" , dénonce-t-il.

Au mois de janvier, le lobby viticole avait perdu la bataille visant à assouplir la loi Evin en matière de publicité. "Il est absolument nécessaire de ne pas modifier l'esprit de la loi Evin dans un pays qui compte 45 000 décès annuels dus à l'alcool et 5 millions de personnes exposées à des difficultés médicales, psychologiques et médico-sociales du fait de leur consommation d'alcool", avait alors rappelé, devant les parlementaires, Philippe Douste-Blazy, l'ancien ministre de la santé.

Cette fois, le lobby viticole, relayé par des députés de tous bords, vient d'obtenir qu'il n'y ait plus de campagne de prévention qui "diabolise le vin" , selon les termes du ministre de l'agriculture, Dominique Bussereau. Le docteur Rigaud se dit "troublé" par l'unanimité politique obtenue sur cet amendement.

Les députés socialistes Claude Evin et Jean-Marie Le Guen, plus habitués à suivre les débats relatifs à la santé qu'à l'agriculture, reconnaissent qu'ils n'ont pas vu le loup. "C'est un coup tordu, une méthode de piratage parlementaire et un abandon des prérogatives de santé publique", déplore M. Le Guen.

D'autres redoutent que cet amendement fasse "jurisprudence" et qu'il puisse être décliné sur d'autres enjeux de santé publique. Pourquoi pas, par exemple, un conseil de "modération et de prévention" avec l'industrie agroalimentaire qui contrôlerait les campagnes de lutte contre l'obésité ?

Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / Sciences
Un centre de clonage humain thérapeutique s'ouvre en Corée du Sud

 C inq mois après avoir franchi une étape majeure dans la maîtrise du clonage dans l'espèce humaine, le professeur Wook Suk-hwang (université de Séoul) a, mercredi 19 octobre, annoncé la création du premier centre de recherche entièrement dévolu au développement de cette technique, ainsi que le lancement d'une fondation mondiale sur les cellules souches. Saluée par le président sud-coréen, Roh Moo-hyun, et financée par des fonds publics, cette initiative témoigne de la volonté de la Corée du Sud d'occuper au plus vite une position dominante dans ce domaine scientifique. Selon Gerald Schatten (université de Pittsburgh), biologiste proche de Wook Suk-hwang, ce centre produira, chaque année, une centaine de lignées de cellules souches embryonnaires correspondant chacune à une maladie humaine.

Les Français exclus de cette initiative

La création d'une fondation mondiale consacrée aux cellules souches embryonnaires, dont le siège est situé à l'université de Séoul, ne devrait pas concerner les équipes de biologistes français. L'un des décrets d'application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 ­ toujours en examen devant le Conseil d'Etat ­ traite des conditions d'importation et d'exportation de tissus ou cellules embryonnaires à des fins de recherche. Le texte prévoit notamment "l'interdiction de l'importation de cellules embryonnaires prélevées sur un embryon humain in vitro créé ou constitué par clonage à des fins scientifiques ou thérapeutiques" (Le Monde du 1er juin).

Vétérinaire de formation, le professeur Wook Suk-hwang a acquis une réputation internationale, au début de 2004. Il avait alors annoncé, en coopération avec un spécialiste américain, avoir créé des embryons humains par clonage. Il avait ensuite obtenu, à partir d'un embryon, des lignées de cellules souches capables de se différencier.

FAIBLE RENDEMENT

Ces travaux faisaient suite à ceux menés sept ans plus tôt avec le clonage de la brebis Dolly. Entre-temps, une équipe américaine d'Advanced Cell Technology a, en novembre 2001, prétendu avoir créé, grâce à cette technique, trois embryons humains. Mais cette nouvelle n'a jamais été confirmée, laissant au professeur Wook Suk-hwang et à son équipe la primeur de telles recherches.

Reste que cette première sud-coréenne a fait preuve d'un très faible rendement de production. En effet, travaillant à partir de 242 ovocytes prélevés chez 16 femmes volontaires, ces biologistes ont pu créer par clonage 30 embryons. Ceux-ci ont alors été cultivés jusqu'au stade blastocyte. Mais 20 d'entre eux seulement ont produit des cellules souches et un seul a permis d'isoler et de cultiver des lignées de ces cellules.

"Optimisée, cette technique (...) pourra être utilisée partout, pour tout ce que l'on désire en faire, commentait alors le professeur Axel Kahn, directeur de l'Institut Cochin de Paris (Le Monde du 13 février 2004). Ces résultats confirment les analyses sur les difficultés à fonder une médecine régénératrice à partir de cette méthode, compte tenu notamment du nombre très élevé des ovocytes nécessaires pour disposer des cellules souches nécessaires. Pour l'heure, ce gigantesque déploiement de moyens, de temps et d'argent rend improbable que cette technique constitue jamais une procédure médicale révolutionnaire accessible à un grand nombre de malades."

Une série de progrès dans les opérations de manipulation des ovocytes, de leur énucléation et de transfert des noyaux provenant des cellules somatiques, ainsi que des améliorations des conditions de culture, ont permis à l'équipe sud-coréenne d'améliorer considérablement le taux de rendement de ses expérimentations. C'est ainsi que, quinze mois plus tard, la donne a radicalement changé, l'équipe annonçant être parvenue à une maîtrise quasi parfaite de cette technique.

Les chercheurs expliquaient alors, sur le site de la revue Science , avoir obtenu et cultivé onze lignées de cellules souches immunologiquement compatibles avec les personnes chez lesquelles les cellules somatiques avaient été prélevées. S'inscrivant délibérément dans une approche thérapeutique, ces cellules avaient été prélevées chez des personnes souffrant de maladies dégénératives ou de lésions traumatiques de la moelle épinière. Sur ces onze lignées cellulaires, six avaient été obtenues à partir des ovocytes d'une seule donneuse. Et seuls deux échecs avaient été recensés.

Aux yeux des spécialistes, cette publication fut une étape scientifique majeure immédiatement reproductible et exploitable en laboratoire. Du moins dans les laboratoires des pays qui autorisent la création par clonage d'embryons humains à des fins de recherche fondamentale ou d'application thérapeutique. C'est notamment le cas de la Corée du Sud, de la Grande-Bretagne, de la Belgique et de la Suède, qui encadrent la pratique du clonage à visée thérapeutique et prohibent le clonage reproductif.

En collaboration étroite avec des scientifiques britanniques et américains, Séoul souhaite aujourd'hui fédérer les recherches menées dans ce domaine en établissant un réseau international de collaboration avec les meilleurs spécialistes. Le développement de cette initiative va rapidement soulever d'épineuses questions dans les pays qui, comme la France, ont interdit par voie législative toute recherche menée à partir du clonage à visée thérapeutique.

Dans le dernier numéro du New England Journal of Medicine (daté du 20 octobre), le docteur Susan Okie, éditorialiste du prestigieux hebdomadaire, souligne le très vif intérêt que de nombreux biologistes américains ­ qui ne peuvent bénéficier sur ce thème d'un financement fédéral de leurs travaux ­ portent à l'initiative sud-coréenne. Une initiative a priori promise à un grand avenir.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / Société
Le Comité d'éthique prône un usage médical respectueux des foetus morts

 I ntitulé "A propos de la conservation des corps des foetus et enfants mort-nés" et daté du 22 septembre, l'avis numéro 89 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) fera date. Ce document aurait dû être rendu public lors d'une conférence de presse fixée au mardi 11 octobre, conférence qui fut annulée la veille sans qu'aucune explication ne soit donnée. Plusieurs membres du CCNE ont appris, jeudi 20 octobre, que le cabinet de Dominique de Villepin avait expressément demandé le report de cette publication, sans fournir d'explications précises.

"Depuis sa création en 1983, jamais une telle pression n'avait été formulée par le gouvernement , confie un membre du CCNE. Organisme certes consultatif, notre comité est totalement libre quant à la publication des avis qu'il est amené à formuler." A l'Hôtel Matignon, on minimise le problème et l'on se borne à évoquer un simple "problème d'agenda". La situation est d'autant plus curieuse qu'a priori rien, dans l'avis numéro 89, ne semble justifier que l'on ait pu chercher à en retarder la publication.

Le CCNE avait été saisi le 2 août par Dominique de Villepin, le jour même où le gouvernement rendait public la découverte, dans la chambre mortuaire de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, de 351 foetus et corps d'enfants nés sans vie ou morts peu après la naissance. Dominique de Villepin avait personnellement diligenté, le même jour, une enquête administrative, confiée à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), pour faire "toute la lumière sur cette affaire et déterminer les responsabilités" , et pour déterminer "les causes de tels dysfonctionnements" .

Le premier ministre demandait au CCNE de "porter une appréciation sur les règles qui enserrent les modalités de prise en charge des corps des foetus et des enfants décédés dans la période périnatale, à la lumière des principes éthiques et des éléments d'ordre juridique et scientifique à prendre en considération" . Un groupe composé de douze membres du CCNE avait été constitué. Au terme de plusieurs semaines de travail, il a rédigé un avis très documenté et riche d'enseignements.

"SENTIMENT D'INHUMANITÉ"

Ce document, dont La Croix du jeudi 20 octobre a publié des extraits, n'aborde pas la question de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Il réalise un historique de la manière dont la mort foetale a été perçue au fil du temps. Il analyse aussi les évolutions majeures du regard porté sur le foetus. "Ce regard a considérablement changé depuis les années 1970 , peut-on y lire. Cette mutation est due pour une part au progrès des techniques d'assistance médicale à la procréation mais aussi et surtout aux progrès des images foetales obtenues grâce à l'échographie et à l'IRM, aux progrès des diagno stics de mala dies génétiques, chromosomiques ou infectieuses et aux progrès de la réanimation des prématurés."

Après un exposé de l'évolution des dispositions législatives et réglementaires qui ont accompagné la modification de ce regard, le CCNE rappelle que la loi de bioéthique du 6 août 2004, dans son article 27, traite du devenir des tissus embryonnaires ou foetaux après une interruption de grossesse. Aux termes de la loi, ces tissus ne peuvent être prélevés, conservés et utilisés qu'après un consentement écrit de la femme, qui doit avoir été informée des finalités du prélèvement. Ce consentement doit être postérieur à la décision d'interruption de grossesse .

"Malgré les précautions prises, les réglementations et les pratiques peuvent donner le sentiment d'inhumanité lorsqu'elles sont appliquées dans une situation souvent douloureuse, souligne le CCNE. Il convient donc de veiller à ce que le regard forcément analytique porté par la médecine et la loi sur les caractéristiques objectives du foetus ou du nouveau-né mort (âge chronologique, poids, viabilité, pathologie...) ne heurte pas de front les représentations affectives que se faisaient les parents de leur enfant en devenir."

Le CCNE fournit sur ce thème une série de recommandations pratiques rappelant que, même s'il est considéré d'un point de vue juridique comme une res nullius , le foetus mort doit faire l'objet du respect que l'on doit à son origine humaine et qu'il ne peut en aucune façon être considéré comme un "déchet hospitalier". Il reste à comprendre les raisons qui ont pu pousser Matignon à retarder la publication de cet avis. Une nouvelle conférence de presse est annoncée pour le lundi 24 octobre.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / Société
Une fondation mystico-religieuse inquiète les services de renseignement

 L a direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et la direction de la surveillance du territoire (DST) s'intéressent à ce qu'ils appellent "l'organisation Elâhi" . En réalité, un agglomérat d'associations et de sociétés civiles immobilières sises à Asnières (Hauts-de-Seine), mais aussi une fondation reconnue d'utilité publique, Ostad Elâhi, ou encore un mausolée édifié à Baillou (Loir- et-Cher), à la gloire de "sainte Janie", fille du " Maître Ostad Elâhi" . D'origine iranienne, la famille Elâhi, installée pour une part en France, jouit d'une large aura religieuse et mystique.

Dans une note datée du 7 septembre, la DCRG stigmatise ainsi "l'organisation Ostad Elâhi -qui- a su séduire pour obtenir, au bout decinq années, la reconnaissance d'utilité publique" . Les enquêteurs font également part de leur "inquiétude croissante" . Ils mettent en relief "la soumission absolue des disciples à un maître se considérant comme une sorte de messie et à son oeuvre, La Voie de la perfection , ayant pour les dévots valeur de "commandement", notamment dans le cadre de la prise en charge de l'éducation des enfants" . Ils dénoncent enfin "les tentatives d'infiltration des instances municipales de Baillou et d'Asnières, s'accompagnant de pressions et d'intimidations sur les élus" .

Il est vrai que la bataille fait rage depuis longtemps à Asnières, dont le député et maire UMP Manuel Aeschlimann n'a de cesse de dénoncer, sur fond de bisbilles locales, les agissements des membres de "l'organisation Elâhi". Bahrâm Elâhi, 74 ans, professeur en chirurgie infantile, naturalisé français en 1994, est arrivé à Asnières en 1992. Progressivement, ses proches ont commencé à acheter des pavillons dans le même secteur. "L'installation de tous ces gens à Asnières a suscité mon interrogation, explique M. Aeschlimann. Tout l'entourage de Bahrâm Elâhi a acheté des pavillons dans le même quartier. Ce regroupement m'a interpellé, encore plus après avoir lu son livre, La Voie de la perfection." Publié par les éditions Albin Michel, l'ouvrage est censé délivrer l'enseignement de son père, Ostad Elâhi, un magistrat "philosophe et musicien" , issu d'une famille de notables kurdes iraniens réputée pour son mysticisme soufiste.

On y découvre, dans sa première version, des préceptes étonnants. Tout d'abord, "Maître Elâhi appartient à un ordre très particulier, celui des "fervents de Dieu"" . On y apprend ainsi que "la Terre n'est pas seulement peuplée d'hommes, mais également de créatures invisibles à nos yeux, qu'on appelle génies (...) . Ils peuvent déplacer très rapidement des objets très lourds, ou encore nous paralyser."

On peut également y lire, entre autres digressions ésotériques, que "tout homme parvenu à la perfection peut parler avec les animaux et même communiquer avec les plantes et les objets".

Autant d'extraits du livre qui ont interpellé les enquêteurs des RG. Et pourtant, l'auteur de ces "pensées" bénéficie, en France, d'une fondation reconnue d'utilité publique le 27 janvier 2000. La fondation Ostad Elâhi, présidée par son fils Bahrâm Elâhi, compte parmi les membres de son conseil d'administration un conseiller d'Etat, Jean-Michel Belorgey, ou encore une réalisatrice de télévision, Marion Sarraut.

Elle s'enorgueillit d'avoir organisé plusieurs colloques, sur le thème de "l'éthique" ou de "la solidarité humaine" . Le 10 septembre, une "journée de la société humaine" était organisée par la fondation, à l'Unesco, sous le patronage du ministère de la culture et du ministère de la cohésion sociale. "Le sujet semblait sérieux et le logo de l'Unesco figurait sur la carte que nous avons reçue , indique-t-on au ministère de la culture. La présentation du colloque était biaisée, il n'était pas fait état de la fondation Elâhi. A l'avenir, nous effectuerons toutes les vérifications nécessaires."

M. Aeschlimann, usant de son entregent ­ il est le conseiller pour l'opinion publique de Nicolas Sarkozy ­, a mis en garde ses collègues. Il a ainsi écrit à la présidente du Haut Comité à l'intégration, Blandine Kriegel, qui, lorsqu'elle était chargée de mission à l'Elysée, avait participé à deux colloques organisés par la fondation à la Sorbonne. "Le texte d'Ostad Elâhi que vous avez eu la précaution de m'adresser est au-delà de ce que permet le mysticisme" , lui a répondu, le 10 décembre 2003, Mme Kriegel, en affirmant qu'elle déclinerait désormais les invitations de la fondation Elâhi.

L'organisation compte également un mausolée, construit en Loir-et-Cher, à Baillou, commune dont la châtelaine n'est autre que la princesse italienne Maria Camilla Pallavicini, vice-présidente de la fondation Elâhi. Cet édifice "religieux", que certains à Baillou comparent à un Mandarom miniature, célèbre la mémoire de "sainte Janie", la soeur de Bahrâm Elâhi.

Une association gère le site, dont le vice-président se nomme Bruno de Beauregard. Domicilié lui aussi à Asnières, M. de Beauregard, qui n'a pas souhaité répondre au Monde , est le fondateur de la société Mayetic, une entreprise de services informatiques, leader sur son marché. L'avocat de cette société est François Ameli, également conseiller de la famille Elâhi.

Dans un rapport récent, la DST, au titre de ses activités de contre-espionnage, s'est émue de la situation. "Une certaine vigilance est maintenue concernant notamment la présence de certains adeptes au sein de structures sensibles, relate la DST. Au regard de l'approche philosophico-religieuse de M. de Beauregard, on peut s'interroger sur l'opportunité pour des organisations gouvernementales de faire appel à la société Mayetic pour ses solutions informatiques." La direction générale des impôts, la gendarmerie nationale et même l'OTAN figurent parmi les clients de Mayetic.

Gérard Davet
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / Société
"Bahrâm Elâhi n'a rien d'un gourou", selon son avocat

 A u siège de la fondation Ostad Elâhi, à Paris, on se défend de toute entreprise sectaire. "On n'a absolument rien à cacher , se défend Stéphane Chenderoff, porte-parole de la fondation. Il n'est pas question que l'on se laisse amalgamer. Il n'y a aucune "organisation Elâhi". Il existe uniquement une fondation qui s'inscrit dans une approche laïque. Que l'on soit traité de secte est insupportable." M. Chenderoff rappelle que la fondation, pour être reconnue d'utilité publique, a bataillé pendant sept ans : "La famille Elâhi a déboursé 750 000 euros pour qu'elle voie le jour. Nous nous inscrivons dans l'esprit de la pensée d'Ostad Elâhi. Il n'y a aucun phénomène de réseau."

Le livre La Voie de la perfection n'est pas, selon le porte-parole, un ouvrage de référence. "Ce n'est pas une Bible ni le livre fondateur de la fondation, a ffirme- t-il. Ce qui nous intéresse, c'est la réflexion d'Ostad Elâhi, en tant que magistrat iranien. L'idée, ce n'est pas de conquérir l'âme du monde. On ne fait aucun prosélytisme, on veut simplement promouvoir l'éthique." La fondation publie régulièrement des livres, aux éditions L'Harmattan, en écho aux colloques qu'elle organise. "Nous menons une vraie réflexion, poursuit M. Chenderoff, il n'y a ni rite ni culte. Il n'existe pas de discours que l'on puisse imposer aux gens."

La fondation dément aussi avoir un lien avec l'Association du mausolée de sainte Janie, édifié pour célébrer la mémoire de la soeur de Bahrâm Elâhi, ou avec d'autres sociétés implantées aux Etats-Unis. "On sait que le mausolée existe, mais nous n'avons aucun lien avec ce lieu, prétend le porte-parole. De même, nous n'avons pas d'opinion sur Manuel Aeschlimann, on ne souhaite pas, simplement, qu'il fasse partie de notre environnement." La DCRG, pourtant, dans sa note du 7 septembre, affirme que la fondation "constitue la branche française d'une organisation internationale, d'origine iranienne, présente, dans une douzaine de pays, dont les Etats-Unis (Nour Foundation) et la Grande-Bretagne (Unicity Foundation)". Les policiers indiquent que "ses effectifs en France demeurent inconnus".

"Bahrâm Elâhi n'a rien d'un gourou, estime François Ameli, son avocat, dont la photo figure sur le site Internet de la Nour Foundation. I l s'agit simplement d'une tradition séculaire, on vient le voir comme on visite le dalaï-lama. Il y a des gens qui le vénèrent, comme ils vénéraient sa soeur. En profite-t-il ? Non. Est-ce qu'il le suscite ? Non. Il n'y a jamais eu de plaintes contre lui."

Pour Gilles Bottine, secrétaire général de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), "cette structure ne paraît pas pouvoir être classée au rang des mouvements sectaires dangereux". "Nous n'avons pas eu connaissance , poursuit M. Bottine, d'arguments induits par la doctrine du mouvement, ou son mode de fonctionnement, considérés comme attentatoires à la liberté."

Gérard Davet
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / Europe
En cas de pandémie, de 30 % à 60 % des Européens pourraient être vaccinés

 L es autorités de santé, tant nationales qu'européennes, disposeront-elles des vaccins appropriés pour protéger la population en cas de pandémie grippale ? La question se pose d'abord en termes de délais : quel sera le temps nécessaire à l'élaboration d'un vaccin qui soit efficace et qui réponde aux normes de sécurité ?

Ce n'est qu'ensuite que les problèmes de quantité surgissent : les usines capables d'en produire pourront-elles soutenir le rythme ? La spécificité du mode de fabrication des vaccins est telle qu'il n'est pas possible d'utiliser n'importe quelle structure produisant du médicament. Le vaccin contre une éventuelle grippe aviaire transmissible à l'homme ne pourra être produit que dans les usines fabriquant le vaccin actuel contre la grippe.

Sauf création, les capacités de production utilisables en cas de pandémie seront donc les mêmes qu'aujourd'hui. En d'autres termes, industriels et autorités de santé ne peuvent promettre de couvrir que 30 % à 60 % de la population européenne. Cette imprécision découle de plusieurs inconnues : quelle sera la structure du virus et combien de doses faudra-t-il injecter ?

Dans une hypothèse réaliste, un virus à souche multiple obligera à injecter deux doses du vaccin. Un tiers des 450 millions d'Européens seront alors couverts. Mais si le scénario est favorable ­ un virus à souche unique et une dose de vaccin ­, il sera possible de couvrir 60 % de la population européenne.

En France, 10 millions de doses sont distribuées chaque année : les personnes âgées (65 ans et plus) en consomment 67 %. Les affections de longue durée (dont le nombre recoupe en grande partie la population âgée), les professions de santé, les affections chroniques consomment le reste. Mais en cas de pandémie, 45 millions de doses seront nécessaires pour protéger 75 % de la population.

ACCROÎTRE LA COUVERTURE

Les capacités de production utilisables sont pour la plupart situées en Europe. La production mondiale de vaccins est aujourd'hui de 280 millions de doses. Les laboratoires pharmaceutiques de l'Union européenne produisent 190 millions de doses chaque année, soit 70 % de la production mondiale. Sur ces 190 millions, 100 millions de doses sont exportées.

Pour aboutir à une solution satisfaisante au plan international, il est nécessaire dès aujourd'hui d'augmenter la production pour produire suffisamment de vaccins pandémiques dans les délais.

Les producteurs (GlaxoSmithKline, Sanofi Pasteur...) qui avaient attiré l'attention des autorités de santé nationales et européennes sur ce point ont proposé d'augmenter les taux de couverture vaccinale des groupes à risque définis dans les programmes nationaux. Ainsi, en France, une loi de santé publique votée en août 2004 fixe comme objectif de couvrir au moins 75 % de la population dans tous les groupes à risque (personnes âgées de plus de 65 ans, affection de longue durée, etc.).

Dans un deuxième temps, selon les données épidémiologiques et économiques propres à chaque pays, de nouvelles recommandations pourraient êtres progressivement envisagées.

Les laboratoires pharmaceutiques situés en France, travaillant avec un groupe d'experts, dont le professeur François Bricaire (chef de service des maladies infectieuses à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, à Paris), le docteur Jean-Marie Cohen (président fondateur des Groupes régionaux d'observation de la grippe) et le professeur Claude Le Pen (université Paris-Dauphine) ont soumis aux autorités de santé françaises des propositions susceptibles d'accroître la couverture vaccinale.

Ils proposent d'abord la gratuité du vaccin et de son administration, l'assurance-maladie prenant en charge l'intégralité des coûts. Ils souhaitent ensuite simplifier l'accès au vaccin : non seulement le médecin a le droit d'en stocker comme au Royaume-Uni et en Allemagne, mais des centres de vaccination sont aussi mis en place comme en Espagne et en Italie. Ils estiment aussi qu'il faut mener une campagne de responsabilisation du médecin. Enfin, ils encouragent le lancement d'une action de sensibilisation des populations à risque pour les pousser à se faire vacciner.

Le LEEM (Les entreprises du médicament) et son groupe d'experts proposent ainsi d'inclure la vaccination dans le contenu de la consultation de prévention envisagée dans la loi de santé publique, mais aussi de définir des objectifs quantitatifs de couverture vaccinale et de passer des contrats de santé publique avec les médecins...

Les autorités de santé n'ont pas encore fait savoir le sort qu'elles réservaient à ces propositions.

Yves Mamou
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / Europe
Le laboratoire Roche n'exclut plus de sous-traiter en partie la production de Tamiflu

 L e groupe pharmaceutique Roche qui a le monopole de la production et de la commercialisation du Tamiflu ­ le seul antiviral capable de ralentir une éventuelle pandémie grippale ­ n'affirme plus qu'il est en mesure de répondre seul à tous les besoins mondiaux.

Le laboratoire suisse a fait savoir, jeudi 20 octobre, qu'il acceptait d'accorder des licences secondaires de production et de commercialisation à des tiers. "Nous sommes nous-mêmes licenciés de Gilead, le découvreur de la molécule, pour tout ce qui est développement clinique, production et commercialisation ", déclare Olivier Hurstel, responsable de la communication de Roche France. Rien ne nous empêche de sous traiter la production de tout ou partie du Tamiflu ."

En d'autres termes, un fabricant de médicaments génériques indien comme Cipla, qui a manifesté son intérêt pour le produit, peut passer un contrat commercial avec Roche pour produire et commercialiser du Tamiflu sur une certaine zone géographique. " Il nous versera en échange des royalties, car nous sommes dans le cadre du droit commercial", ajoute M. Hurstel. En revanche, si Cipla entreprenait de produire un médicament protégé par des brevets comme s'il s'agissait d'un générique, alors il pourrait être condamné pour contrefaçon.

Cette position nouvelle du groupe Roche a été confirmée, jeudi, par le sénateur démocrate américain Charles Schumer qui a tenu une conférence de presse à l'issue d'un entretien qu'il venait d'avoir avec le PDG de Roche pour l'Amérique du Nord, George Abercrombie. Les accords qui seront passés entre Roche et d'autres industriels doivent permettre de "produire dans des quantités suffisamment importantes pour répondre aux besoins", a indiqué M. Schumer. Ce que confirme M. Hurstel : " Un éventuel contractant devra avoir une forte capacité de production ."

Cette envergure industrielle est rendue nécessaire par la complexité des phases par lesquelles passe la production de Tamiflu. L'une des phases comporte ainsi un risque grave d'explosion. " Nous la sous-traitons nous-mêmes à un spécialiste de la production d'explosifs", dit M. Hurstel.

Des négociations devraient être ouvertes avec quatre sociétés américaines qui estiment être en mesure de produire rapidement l'antiviral. Le sénateur américain a ajouté qu'un accord précis sur des licences secondaires interviendrait en concertation avec le ministère de la santé américain, " qui pourrait penser à d'autres sociétés encore ".

Compte tenu de la sensibilité des gouvernements sur le sujet, le groupe pharmaceutique avait indiqué, dès mardi, qu'il étudiait un assouplissement de son monopole sur le Tamiflu. " Nous sommes préparés à discuter de toutes les options valables, y compris l'octroi de licences secondaires " avait alors déclaré William Burns, chef de la division pharmaceutique de Roche.

Cet assouplissement de la position de Roche s'explique aussi par le fait que les autorités sanitaires de tous les pays du monde peuvent, en cas d'urgence, suspendre la protection conférée par les brevets. La procédure dite de "licence d'office" a été instituée dans le but de permettre à tout gouvernement d'autoriser un fournisseur qualifié à produire un médicament dont les brevets et licences sont détenus par un autre. Ce cas de figure suppose que le détenteur des droits soit dans l'incapacité de répondre à la demande.

Cette suspension des brevets ne peut être prise que pour un pays donné et non à l'échelon international. Il n'est pas exclu que l'accroissement des risques sanitaires à l'échelon mondial n'entraîne à l'avenir une restriction plus forte des règles de la propriété intellectuelle.

Yves Mamou
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / Médias
"Libération" tente la révolution Internet sans jeter le papier au panier

 O n connaissait "multimédia", voici "bimédia". Libération a lancé ce nouveau concept de presse, mardi 18 octobre, sous la plume de son PDG, Serge July. En présentant la nouvelle mouture de son site internet ­ la quatrième depuis son lancement en 1995 ­, le journal annonçait sa volonté de devenir "le premier quotidien français véritablement bimédia" .

"C'est un paradoxe : l'audience de Libération se développe, mais les recettes de l'entreprise diminuent, du fait de la crise publicitaire qui frappe le journal papier" , constate M. July. La solution : "Jeter les fondements d'un quotidien bimédia, à la fois papier et "on line", différents et complémentaires, cohérents et aussi indispensables l'un que l'autre."

Même s'il se revendique comme "le second site d'informations généralistes de la presse française -le premier étant celui du Monde -, avec plus de 6 millions de visites en septembre, et 27 millions de pages vues", liberation.fr ne représente actuellement que quelques pour cents du chiffre d'affaires du journal. Il a donc été décidé d'introduire sur le site une zone payante pour les abonnés, à partir du premier trimestre 2006, et de jouer davantage sur les synergies de la "marque" Libération.

Reste à savoir ce qu'implique de bouleversements la mise en oeuvre de ce journal bimédia, dans un contexte de crise au sein du quotidien, où les salariés redoutent les mesures d'"optimisation de la rédaction" annoncées fin septembre par M. July (Le Monde du 3 octobre). Le nouvel actionnaire, Edouard de Rothschild, demande un plan de relance, qui pourrait se traduire par 40 à 80 suppressions d'emplois, et dont le développement d'Internet est l'un des piliers.

Le sujet du quotidien bimédia a été longuement évoqué, jeudi 20 octobre, au cours d'un comité d'entreprise, où la direction a également annoncé la création d'un supplément du week-end, en 2006.

"Ces annonces sont s urtout politique s, elles ne visent qu'à mobiliser l'équipe sur un projet" , estime un membre de la rédaction. Le journal a déjà fait le choix, il y a un an, de la rédaction unique. L'équipe de liberation.fr, qui compte une dizaine de personnes, a été intégrée à la rédaction du journal papier. Mais, au sein de celle-ci, "une partie se refuse à travailler pour le site, une autre partie y est favorable, tandis que le reste n'a pas vraiment d'avis" , résume un journaliste.

"Si nous devons faire de l'info en continu, on joue les apprentis sorciers, ce n'est pas notre métier, nous sommes issus de la culture du récit, du reportage, plus que du fait brut", explique un reporter. La création d'une zone payante sur le site Internet suscite des interrogations. "Cela va nécessiter des investissements bien plus importants que les 350 000 euros annoncés pour le projet Internet", estime un salarié.

"MAGAZINE QUOTIDIEN"

Plusieurs craignent de voir le site rénové et le supplément du week-end cannibaliser le quotidien. Antoine de Gaudemar, directeur de la rédaction, a répondu jeudi 20 octobre aux élus du CE : "on ne baisse pas la garde sur le quotidien, Libération est considéré comme un quotidien magazine, nous allons en faire un magazine quotidien".

Libération n'est pas le seul journal à s'interroger sur la montée en puissance d'Internet face à la presse traditionnelle, et sur la meilleure manière de transformer la menace en opportunité. Internet est en effet devenu le média affichant la plus forte croissance de recettes publicitaires.

Le New York Times a annoncé l'intégration des 80 journalistes du site NYTimes.com à sa rédaction, mais le projet ne sera effectif qu'à la fin de 2007. Et les deux équipes conserveront chacune un rédacteur en chef. Le Wall Street Journal, en changeant de format, a annoncé son souhait de travailler en synergie avec le site wsj.com (Le Monde du 18 octobre). En revanche, le Chicago Tribune, qui avait intégré la rédaction Web, a fait marche arrière.

Au Monde , l'approche est différente de celle de Libération . "Les rédactions d'un quotidien et d'un site web ont des savoir-faire différents", explique Bruno Patino, président de la société Le Monde Interactif. "L'imprimé, le numérique sont deux médias complémentaires. L'écrit se fonde sur la hiérarchie de l'information et la mise en perspective, Internet est fondé sur la réactivité et l'illustration. Une rédaction web est dans le factuel, la réactivité, l'illustratif, tandis qu'une rédaction papier est structurée sur les horaires du bouclage."

Le Monde s'adresse ainsi à "trois populations également réparties : un tiers lit et achète le quotidien papier sans jamais aller sur le site, un tiers consomme les deux médias, et un tiers ne va que sur le site. S'agissant de la population qui utilise les deux médias, on ne s'adresse à elle pas au même moment et elle n'a pas les mêmes besoins".

Lemonde.fr a une rédaction d'une vingtaine de personnes. La zone payante, qui existe depuis 2002, compte 67 000 abonnés, dont la moitié l'est aussi au journal papier. Le site a permis de recruter 7 500 abonnés pour le quotidien.

Pascale Santi
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / Médias
"L'Agefi" opte pour la dématérialisation

 D epuis le 29 août, L'Agefi , journal financier fondé en 1911, n'est plus disponible qu'en version électronique, sous la forme d'un fichier au format PDF, qui reproduit sur écran la maquette d'un "vrai" journal, d'une vingtaine de pages. "Cela n'a rien à voir avec un site Internet. Nous faisons un vrai quotidien, qui est envoyé aux abonnés, à 7 heures, tous les matins" , souligne Bernard Mazurier, éditeur de L'Agefi .

Quelque 3 500 abonnés et autant de prospects reçoivent chaque jour le journal par Internet, réalisé par neuf journalistes. Treize autres travaillent à la rédaction d'un magazine sur papier, qui complète l'offre en fin de semaine.

"Nous n'avons eu aucun désabonnement, assure M. Mazurier. Avec la version papier, nous avions 3 200 abonnés, mais nous en perdions tous les ans et ils nous coûtaient beaucoup plus cher." La dématérialisation du journal a entraîné la suppression de cinq postes à la rédaction, mais elle a surtout permis de réduire à zéro les coûts de papier, de fabrication et d'expédition du quotidien.

L'Agefi estime être ainsi en mesure d'économiser "de 1,5 à 2 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires annuel de 8,5 millions d'euros" , dit son éditeur, qui table sur une situation financière "à l'équilibre fin 2006 et rentable en 2007" . Pour le lecteur, le gain est aussi appréciable : au lieu de payer 1 300 euros l'abonnement annuel, il ne paie plus que 499 euros pour le quotidien électroni-que et l'hebdomadaire papier. "Nous avons pu faire cette révolution car le milieu financier est équipé de longue date en informatique et rompu à l'utilisation de l'information sur écran" , reconnaît M. Mazurier.

Le plus délicat, finalement, fut de convertir les journalistes à l'idée qu'ils n'allaient plus écrire sur du papier. "Mais ils se sont vite habitués, car ils travaillent l'information comme avant" , souligne M. Mazurier. Restent "deux ou trois vieux abonnés, bien connus, qui nous ont écrit pour nous dire que le papier leur manquait" . Pour ces réfractaires, le journal imprime lui-même la version PDF et l'envoie par courrier...

Pascal Galinier
Article paru dans l'édition du 22.10.05


Le Monde / Europe
Article interactif
Grippe aviaire : derniers faits marquants et données de base
  1. Propagation de l'épizootie
  2. Réaction des gouvernements et mesures de prévention
  3. Définitions et résumé des connaissances
  4. Repères chronologiques
1 - Propagation de l'épizootie

 -  Russie : La grippe aviaire a gagné la région de Toula, à 300 km au sud de Moscou, confirmant la propagation de la forme H5N1 du virus à la partie européenne de la Russie. Un responsable russe du contrôle vétérinaire a affirmé vendredi que le risque que la grippe aviaire puisse apparaître à Moscou et dans ses environs était "minime". La Commission européenne a décidé formellement jeudi soir d'interdire les importations d'oiseaux de compagnie et de plumes provenant de la plupart des régions russes. "Les seuls endroits où l'embargo ne s'appliquera pas sont Kaliningrad (région russe enclavée dans l'UE) et des régions en bordure de la Finlande.

- Roumanie : Des analyses effectuées par des experts britanniques ont confirmé l'existence en Roumanie d'un deuxième foyer du virus H5N1 de la grippe aviaire, à Maliuc (dans le delta du Danube, sud-est du pays). Maliuc est situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Ceamurlia de Jos, premier foyer détecté. Le ministre de l'agriculture Gheorghe Flutur a indiqué vendredi que les foyers de grippe aviaire avaient été circonscrits en Roumanie, où aucun nouveau cas n'a été détecté ces derniers jours. Les résultats des analyses effectuées sur quelque 200 échantillons prélevés dans une dizaine de départements ainsi qu'à Bucarest ont tous été négatifs.

- Macédoine : L'abattage de milliers de volailles a débuté mercredi dans une région du Nord de la Macédoine, où un virus de la grippe aviaire a été détecté, selon les autorités sanitaires.

- Grèce : Le ministère de l'agriculture grec a confirmé jeudi l'information de Bruxelles selon laquelle les tests préliminaires pratiqués par le laboratoire de référence de l'UE sur un échantillon suspect étaient "négatifs". Un cas suspect de grippe aviaire avait été découvert lundi sur l'îlot d'Oinousses, dans l'est de la mer Egée.

- Thaïlande : Le fils du fermier thaïlandais décédé jeudi des suites de la grippe aviaire a également contracté la maladie. Ronnarit Benpad, 7 ans, a été hospitalisé jeudi à Bangkok après le décès de son père la veille. L'enfant avait participé à l'abattage de volailles infectées dans la ferme paternelle située dans la province de Kanchanaburi (ouest), selon les autorités thaïlandaises.

- Croatie : Vendredi, le virus s'est encore rapproché du coeur de l'Europe : la présence d'un "sous-type H5" a été confirmée en Croatie sur des échantillons prélevés sur douze cygnes retrouvés morts sur un lac, à Zdenci (est), a annoncé le ministère de l'Agriculture.

- Grande-Bretagne : Vendredi également, le ministère de l'agriculture britannique a révélé qu'un perroquet mort en quarantaine avait été diagnostiqué porteur de la grippe aviaire. "Ce cas confirmé de grippe aviaire ne remet pas en question le statut du Royaume-Uni de pays non touché par la grippe aviaire car la maladie a été identifiée sur un animal importé en quarantaine", a cependant précisé Debbie Reynolds, vétérinaire conseiller auprès du ministère.

Le perroquet en question avait été importé du Surinam. Il avait été immédiatement placé en quarantaine, dans le cadre de la procédure normale en Grande-Bretagne.

2 - Réaction des gouvernements et mesures de prévention

 -  Australie : Le gouvernement envisage de maintenir en quarantaine pendant six jours dans ses aéroports des passagers susceptibles d'être porteurs de la grippe aviaire, indique samedi le quotidien Sydney Morning Herald.

- Manille : La Banque asiatique de développement (ADB) doit verser 58 millions de dollars dans deux projets portant sur la lutte contre la grippe aviaire en Asie et dans le Pacifique, a déclaré la banque dans un communiqué publié à son siège de Manille.

- Union européenne : La Commission européenne a annoncé vendredi soir qu'elle se préparait à interdire les importations de volailles vivantes et de produits de la volaille de Croatie à la suite de la découverte du virus de la grippe aviaire sur des échantillons prélevés sur six cygnes retrouvés morts près d'un lac à Zdenci (est). Cette décision sera adoptée lundi par procédure d'urgence.

Lors de contacts vendredi soir avec la Commission, les autorités croates ont "donné des assurances qu'aucune volaille vivante et qu'aucun produit issus des volailles ne seraient exportés de Croatie vers l'Union européenne", ajoute la Commission, selon qui Zagreb a également déjà informé les autorités vétérinaires des pays voisins.

Les ministres de la santé de l'UE ont discuté lors d'une réunion jeudi en Grande-Bretagne de la possibilité de constituer des stocks "stratégiques" d'antiviraux pour faire face à une éventuelle pandémie de grippe aviaire si le virus mutait pour se transmettre entre humains. Une décision pourrait être soumise à l'approbation du conseil des ministres européens de la Santé les 8 et 9 décembre.

- Russie : Un vaccin contre la grippe aviaire élaboré par des chercheurs russes est "prêt" à être testé sur des volontaires, a affirmé vendredi une responsable du centre de recherches sur la grippe de Saint-Pétersbourg (nord-ouest), Elena Dorochenko. "Le vaccin est prêt, mais il doit encore être testé sur des volontaires, y compris des employés de notre centre", a-t-elle assuré.

- Espagne : Les Espagnols, victimes de la psychose de la grippe aviaire, se ruent dans les pharmacies pour acheter le vaccin contre la grippe classique, pourtant inopérant contre une éventuelle pandémie de grippe aviaire. Les stocks de vaccins "sont en train de s'épuiser" dans les pharmacies, a indiqué la Direction générale de la santé publique espagnole.

- Chine : Le coordinateur des Nations unies pour la grippe aviaire, David Nabarro, a rencontré vendredi à Pékin le ministre de la santé chinois, qui a promis transparence et coopération pour lutter contre l'épidémie. Les autorités chinoises avaient qualifié jeudi de "grave" la situation dans le pays en raison de la résurgence de la grippe aviaire.

- Grande-Bretagne : La Grande-Bretagne connait actuellement un manque chronique de vaccins contre la grippe en raison d'une très forte demande de personnes, qui, par peur de la grippe aviaire, veulent se faire vacciner, et croient se prémunir ainsi contre celle-ci, rapporte samedi le quotidien britannique le Times.

- Vietnam : Les personnes atteintes de la grippe aviaire au Vietnam seront soignées gratuitement, selon les autorités sanitaires. Le pays dispose actuellement de quelque 600 000 doses de l'antiviral Tamiflu et prévoit d'en acquérir 400 000 supplémentaires.

- Etats-Unis : Le Sénat américain a enjoint aux autorités de l'aviation de se préparer à des situations "où un passager aurait les symptômes de la grippe aviaire", en prévoyant la mise en place de mesures concrètes dans les aéroports. Ces procédures, qui font l'objet d'un amendement au budget des transports adopté mercredi, seraient en vigueur dans les aéroports américains reliés à des pays ayant eu des cas de grippe aviaire, ou desservis par des compagnies assurant des vols avec ces pays.

- France : L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a recommandé le renforcement des dispositifs de surveillance de la faune sauvage, mais n'a évoqué aucune mesure de confinement des volailles et aucune recommandation supplémentaire de protection des élevages, dans un communiqué publié dans la nuit de vendredi à samedi.

3 - Définitions et résumé des connaissances

 -  Le virus : La grippe aviaire est provoquée par des virus grippaux A (H5, H7, H9). Le virus de l'épizootie actuelle, H5N1, est un sous-type viral. La grippe aviaire, encore appelée grippe du poulet, peste des oiseaux ou influenza aviaire, identifiée pour la première fois en 1878, peut prendre chez les oiseaux des formes bénignes ou hautement pathogènes.

Identifié sous une forme hautement pathogène en 1959, en Ecosse, le virus H5N1 s'est avéré mortel pour l'Homme pour la première fois en mai 1997 à Hong Kong, entraînant le décès d'un garçonnet élevé dans un centre avicole.Réapparu en 2003 en Asie, il n'a jusqu'alors contaminé qu'exceptionnellement l'Homme.

Si, au fil de mutations génétiques successives ou d'un échange de gènes avec un banal virus de la grippe, il devenait facilement transmissible d'homme à homme, tout en restant très virulent, le virus H5N1 ainsi "humanisé" pourrait être à l'origine d'une pandémie.

Une pandémie du type de celles survenues en 1918-19 (espagnole - 20 à 40 millions de morts), 1957 (asiatique - 4 millions) ou 1968 (Hong Kong - 2 millions), serait alors à redouter.

- La contamination : Le risque n'a jusqu'à présent été prouvé que lors de contacts fréquents avec les oiseaux infectés. La transmission se fait par voie respiratoire (inhalation de poussières de fientes ou de secrétions respiratoires), par les yeux (contact des poussières).La consommation de viande de volaille cuite est en revanche sans risques : le virus meurt à 70 degrés centigrade.

- La protection et l'immunisation : Des vaccins adaptés sont à l'étude dans plusieurs laboratoires. Mais il faudra plusieurs mois pour les produire une fois identifiée l'éventuelle souche pandémique du virus.

Parmi les antiviraux (médicaments palliatifs), le Tamiflu (laboratoire Roche, molécule active : oseltamivir) est jugé susceptible de réduire la gravité des symptômes, la durée de la maladie et la mortalité s'il est administré dans les 48 heures après l'apparition des premiers symptômes. Mais son efficacité n'est pas prouvée sur un virus pandémique (suffisamment humanisé pour entraîner une pandémie) puisque celui-ci n'existe pas encore. Le Relenza de GlaxoSmithKline serait aussi efficace, mais son administration sous forme de spray s'avère plus difficile que celle du Tamiflu.

Les gouvernements européens, encouragés par la Commission européenne et l'Organisation mondiale de la Santé, ont stocké ou se préparent à stocker de grandes quantités de ces médicaments.

4 - Repères chronologiques

 -  mai 1997 : un garçonnet de trois ans habitant dans un centre avicole de Hong-Kong meurt d'une mystérieuse grippe, bientôt suivi par cinq autres personnes. C'est la première fois que le virus H5N1 tue des hommes.

- 2004-2005 : plusieurs pays asiatiques sont touchés par le virus qui, sur ce continent, provoque une soixantaine de décès chez l'homme.

- fin juillet - début août 2005 : découverte de foyers de grippe aviaire en Sibérie, au Kazakhstan et en Mongolie. Fin août, les autorités russes annoncent que le virus a franchi l'Oural et touché la république de Kalmoukie (sud, au bord de la mer Caspienne).

- 7 octobre 2005 : découverte de cas de grippe aviaire parmi des canards dans le delta du Danube en Roumanie. Confirmation le 15 que le virus est bien le H5N1.

- 8 octobre : la Turquie annonce sa contamination après la mort de milliers de dindes dans le nord-ouest du pays. Les tests confirment le 13 la présence du H5N1. Depuis cette date, le virus se propage au sein de la communauté des oiseaux un peu partout en Europe.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 22.10.05 | 09h19


Le Monde / Europe
Grippe aviaire : des cas suspects découverts en Grande-Bretagne et en Croatie

 L a Grande-Bretagne attendait samedi 22 octobre le résultat de tests sur un perroquet importé d'Amérique du Sud, atteint de la grippe aviaire et mort en quarantaine.

"Il s'agit du virus H5, mais nous ne pouvons pas dire s'il s'agit du H5N1 ou d'une autre souche", a déclaré une porte-parole du ministère de l'environnement, de l'alimentation et des affaires rurales (Defra). Les tests sont effectués sur le perroquet lui-même et sur les autres oiseaux gardés en quarantaine avec lui. Le résultat des tests pourrait être connu samedi soir ou dimanche. Tous les animaux gardés en quarantaine avec ce perroquet malade ont été abattus et les lieux ont été désinfectés.

Le perroquet était arrivé à la mi-septembre du Surinam (Amérique du Sud) et avait été immédiatement placé en quarantaine, dans le cadre de la procédure normale visant les animaux importés au Royaume-Uni de pays hors Union européenne.

Aucun foyer de grippe aviaire du type H5N1 n'a été détecté jusqu'à ce jour dans le sous-continent américain, seul un cas peu virulent ayant été repéré et annoncé le 10 octobre en Colombie.

"Nous sommes en contact avec les autorités du Surinam pour les informer de ce cas et nous nous sommes en train d'enquêter pour savoir comment l'oiseau a pu attraper la maladie", a expliqué la porte-parole du ministère.

L'une des hypothèses est que le perroquet ait contracté la grippe aviaire pendant son séjour en quarantaine, sur le sol britannique. L'oiseau faisait en effet partie d'un groupe de perroquets et autres oiseaux arrivés le 16 septembre et placés à proximité d'autres oiseaux en provenance de Taïwan.

"Nous ne voulons pas faire de spéculation à ce stade. Des oiseaux de Taïwan étaient gardés dans les mêmes lieux en quarantaine. Mais à ce stade nous ne pouvons dire de façon sûre d'où la maladie vient", a ajouté la porte-parole du ministère.

En 1994, les autorités de Taïwan avaient dû abattre 467 000 oiseaux, surtout des poulets, victimes du virus H5N2 de la grippe aviaire, un virus moins virulent que le H5N1.

Jusqu'à vendredi soir, le seul pays européen officiellement touché par le virus H5N1 dans sa version asiatique restait la Roumanie. Ce virus a également été identifié en Turquie, mais dans la partie asiatique du pays.

De même le virus H5N1 a gagné la partie européenne de la Russie, dans la région de Toula, à 300 km au sud de Moscou. Des cas suspects ont également été repérés en Grèce, mais les tests n'ont pas encore permis de confirmer s'il s'agit bien ou non du H5N1.

MESURES RADICALES EN CROATIE

Le virus H5 de la grippe aviaire a également été identifié vendredi en Croatie, sur des cygnes. "A partir d'échantillons d'organes de six cygnes (sur douze retrouvés morts) qui ont été envoyés le 19 octobre à Zagreb, on a isolé le virus, un sous-type H5", a déclaré le ministre croate de l'Agriculture, Neven Ljubicic, au cours d'une conférence de presse.

"Toutes les volailles sur un rayon de trois kilomètres autour du lac où les cygnes porteurs du virus ont été trouvés vont être euthanasiées", a déclaré à la télévision nationale le porte-parole du ministère de l'agriculture croate, Mladen Pavic. "Cette région a été isolée", a-t-il ajouté. M. Pavic s'exprimait depuis la ville de Orahovica (est) proche de Zdenci, où un "comité gouvernemental de crise" s'était réuni pour évaluer la situation avec les autorités locales.

"La source d'infection a été placée sous contrôle (...) et les gens ne sont absolument en danger", a affirmé M. Pavic. Il a précisé que, d'une manière générale, les volailles étaient élevées dans le pays sous un sévère contrôle vétérinaire.

Le ministère de l'agriculture a également ordonné l'interdiction de la chasse aux oiseaux sauvages et demandé à la population de maintenir les volailles enfermées. Aussi, les services vétérinaires ont reçu l'ordre de décompter et enregistrer toutes les volailles sur un rayon de 20 kilomètres autour de la région où les cygnes morts ont été identifiés. Une vérification minutieuse et la désinfection de véhicules transportant notamment des animaux vivants, ont également été ordonnées.

Le ministre a affirmé qu'il ne pouvait pas confirmer si le virus était bien le dangereux H5N1 qui a tué plus de soixante personnes en Asie et qui a également été récemment dépisté en Roumanie et en Turquie. Il a ajouté que les échantillons allaient également être envoyés pour contre-expertise à un laboratoire de l'Union européenne, à Weybridge, en Grande-Bretagne.

Il revient à ce laboratoire de préciser la nature du virus, a-t-il poursuivi. Un médecin croate, Vladimir Savic, a estimé que les résultats des tests réalisés à Weybridge pourraient être connus lundi.

Un expert croate des oiseaux migrateurs, Dragan Radovic, a estimé que les cygnes retrouvés morts en Croatie n'étaient pas venus de Roumanie, ni de Turquie, mais qu'ils pourraient venir "de n'importe quel endroit d'Europe, de la Grande-Bretagne en passant par l'Ukraine et jusqu'à la Russie occidentale".

L'agence nationale Hina avait annoncé en début de soirée la découverte de douze cygnes morts sur un vivier de poissons à Zdenci.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 22.10.05 | 19h13


Le Monde / France
Au nom de l'emploi, le gouvernement allège l'impôt sur la fortune

 L' Assemblée nationale a voté, vendredi 21 octobre, lors de l'examen du projet de loi de finances un amendement présenté par le groupe UMP et soutenu par le gouvernement qui allège l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les dirigeants et les salariés d'entreprise.

Cette disposition exonère de 75 % d'ISF la valeur des actions nominatives détenues par les salariés ou dirigeants d'une entreprise qui possèdent leurs actions pendant six ans ainsi que les actionnaires engagés dans un pacte de conservation de leurs titres pendant six ans. Gilles Carrez et Pierre Méhaignerie, respectivement rapporteur général et président de la commission nationale de l'Assemblée nationale, ont tour à tour justifié cette mesure qui va permettre de développer "un actionnariat stable et durable" .

Une TVA réduite sur les bonbons de chocolat

Après plusieurs heures de bataille sur l'impôt de solidarité sur la fortune, l'atmosphère s'est détendue, dans la nuit de vendredi à samedi, lors du vote à l'unanimité d'un amendement, déposé par Louis Giscard d'Estaing (UMP, Puy-de-Dôme), proposant une réduction de la TVA sur les bonbons de chocolat de 19,6 % à 5,5 %. Jean-François Copé, ministre délégué au budget, a indiqué que cette mesure coûterait 50 millions d'euros. L'Assemblée a également voté un amendement au budget 2006, présenté par le gouvernement, qui étend le bénéfice du prêt à taux zéro aux foyers bénéficiant au maximum de 62 500 euros de revenu annuel au lieu de 38 690 euros. Par ailleurs, les députés ont adopté un amendement qui revient sur l'accélération de la hausse de la contribution au développement de l'apprentissage. Le projet de loi de finances voulait accélérer cette hausse initialement étalée sur trois ans (2005, 2006, 2007) en cumulant 2006 et 2007. Le dispositif antérieur, soit une contribution de 0,12 % en 2006 et 0,18 % en 2007, sera finalement appliqué.

Bien que le gouvernement ait indiqué à maintes reprises que la réforme de l'ISF n'était "pas sa priorité" , c'est la deuxième mesure annoncée en quelques semaines qui vise à diminuer cet impôt.

Déjà la mise en place du fameux "bouclier fiscal", annoncé par le premier ministre, Dominique de Villepin, lors de sa conférence de presse de rentrée bénéficiait indirectement à certains assujettis à l'ISF. Le gouvernement a, en effet, annoncé lors de la présentation de la loi de finances qu'à partir de 2006 la somme des impôts directs (impôt sur le revenu et ISF) et des taxes locales ne pourrait pas être supérieure à 60 % des revenus d'un contribuable. Le dispositif, qui devrait être voté lors de l'examen de la deuxième partie de la loi de finances, prévoit que si ce niveau était franchi, le contribuable bénéficierait du trop-plein perçu.

L'exonération partielle de l'ISF, votée vendredi soir, devrait coûter au budget de l'Etat, selon les estimations de Bercy, environ 68 millions d'euros et concerner 12 000 personnes. La mise en place du bouclier fiscal devrait quant à elle entraîner un remboursement d'impôt à 14 000 foyers assujettis à l'ISF pour un montant de 250 millions d'euros.

Ce n'est pas la première fois que la majorité allège cet impôt. Les parlementaires ont déjà, par le passé, allégé ou exonéré d'ISF les détenteurs d'actions qui s'engagent, notamment, dans des pactes d'actionnaires pour une durée de six ans.

"NE PAS ÊTRE COMPRIS"

Pourtant, les parlementaires de la majorité sont loin d'être satisfaits du nouvel aménagement de l'ISF qui, selon Claude Goasguen (UMP, Paris), "risque de ne pas être compris par nos électeurs" . Avec Pierre Lellouche (UMP Paris), Jacques Masdeu-Arus (UMP, Yvelines) ou encore le député des Hauts-de-Seine (UDF) Pierre-Christophe Baguet ont souhaité une exonération totale ou partielle de l'habitation principale. Certains députés de droite, comme Jacques Myard, ont même demandé la suppression de cet impôt.

L'ISF devrait rapporter 3,1 milliards d'euros en 2005, soit une hausse de plus de 10 % en un an et, selon les estimations de Bercy, son produit devrait être de 3,3 milliards d'euros en 2006.

Depuis le début de la décennie, le produit de l'ISF ne cesse d'augmenter tout comme le nombre d'assujettis. "A l'évidence il s'accroît à cause de la hausse de l'immobilier" , a estimé Gilles Carrez, (UMP, Val-de-Marne), rapporteur général de la commission des finances. "C'est un impôt qui a tous les vices" , a-t-il lancé et de souligner qu'il ne tenait pas compte suffisamment du nombre de membres de la famille dans les foyers qui le payent. "Il faut le réformer de fond en comble" , a-t-il ajouté tout en ajoutant que la priorité immédiate du budget était de favoriser l'emploi et non de réformer l'ISF. "Un choix courageux qu'il faudra expliquer" , a jugé M. Carrez, soulignant l'hostilité croissante de certains contribuables face à cet impôt, comme en témoignent les "nombreux courriers agressifs" qu'il reçoit sur le sujet.

Rejetant les amendements proposés par les députés de la majorité sur un allégement de l'ISF payé au titre de la résidence principale, Jean François Copé, ministre délégué au budget, a indiqué que le gouvernement aurait une "réflexion globale sur l'ISF, mais la priorité aujourd'hui était de tout faire pour conserver nos emplois et renforcer l'attractivité de notre territoire" .

Il y a fort à parier que la majorité reviendra rapidement à la charge pour alléger cet impôt. Hervé Mariton (UMP, Drôme) a, vendredi, souhaité que l'ISF "devienne un impôt comme les autres" . Derrière ces mots se cache la volonté de la majorité de ramener à 3 ans au lieu de 10 ans la possibilité pour l'administration fiscale de remonter dans le temps et de redresser, le cas échéant, un contribuable qui aurait omis de déclarer son ISF.

Cette mesure pourrait être votée lors de la première lecture du projet de loi de finances au Sénat. Et la Haute Assemblée, très active sur le sujet de l'ISF depuis plusieurs années, pourrait être tentée de revenir à la charge sur l'exonération de la résidence principale.

Joël Morio
Article paru dans l'édition du 23.10.05


Le Monde / France
La bataille entre M. Breton et M. Montebourg (PS) n'a pas eu lieu

 L es amateurs de joutes verbales en auront été pour leur frais. Le débat entre le ministre de l'économie, Thierry Breton, et le médiatique député socialiste de Saône-et-Loire, Arnaud de Montebourg, n'a pas eu lieu.

Vendredi 21 octobre, lors de la reprise de la discussion budgétaire, le député socialiste prenait la parole pour s'"interroger sur les conditions très particulières de l'exercice par M. Breton de ses fonctions ministérielles" et de reprocher que l'amendement déposé par la majorité pour alléger l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) d'actionnaires dirigeants ou salariés, actuels ou anciens, d'une entreprise puisse profiter au ministre de l'économie, ancien patron de France Télécom et de plusieurs sociétés.

M. Montebourg exigeait alors des détails sur la composition du patrimoine du ministre. Cette demande fut réitérée au cours du débat avant que Jean-François Copé, ministre délégué au budget, finisse par annoncer la venue de M. Breton. Prévue pour la soirée, l'intervention du ministre de l'économie dans le débat budgétaire a eu finalement lieu en fin d'après midi. Mais elle s'est limitée à une explication sur le régime fiscal des stock-options au regard de l'ISF. Entretemps, M. Montebourg avait disparu des bancs de l'Assemblée nationale.

Un peu plus tôt, l'entourage de Bercy avait pris le soin de diffuser, dans les couloirs du Palais-Bourbon, la composition du patrimoine du ministre. Dès son arrivée en fonction, M. Breton aurait vendu les actions qu'il détenait, assure-t-on. Son patrimoine se composerait d'un appartement dans le 14e arrondissement de Paris, de liquidités gérées par un gestionnaire indépendant qui a le mandat de ne pas acheter d'actions, et de bons de souscription d'actions qui viendront à échéance en 2006.

Les proches du ministre n'ont pas poussé le détail jusqu'à communiquer le montant du patrimoine du ministre mais ils ont indiqué qu'il payait bien l'ISF.

J. Mo.
Article paru dans l'édition du 23.10.05


Le Monde / France
A Colombes, Nicolas Sarkozy revient sur ses propos sur le "nettoyage au karcher"

 N icolas Sarkozy a adressé un message sous forme d'erratum à la communauté française musulmane. Vendredi 21 octobre, au soir, à l'occasion de la fête marquant la fin du jeûne du ramadan, le ministre de l'intérieur et président de l'UMP a tenu à clarifier sa pensée sur l'islam devant des militants du parti majoritaire issus de l'immigration, à la patinoire municipale de Colombes (Hauts-de-Seine).

Devant une assemblée de quelque 250 invités, parmi lesquels le maire (UMP) de Colombes, Nicole Gouetta, son collègue d'Asnières-sur-Seine, Manuel Aeschliman, député (UMP) des Hauts-de-Seine, des imams, des recteurs, et même la star du patin à glace Philippe Candeloro, Nicolas Sarkozy a voulu s'expliquer sur son expression "nettoyage" , après la mort violente d'un enfant à la cité des 4 000 à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), le 20 juin. Le président de l'UMP fait mine de ne plus très bien se souvenir de ses récentes déclarations : "Je crois même avoir prononcé au karcher", lâche-t-il, après une courte hésitation. L'assemblée répond aussitôt : "oui".

Ces propos ont "pu être mal compris. Je répondais alors aux habitants qui veulent être débarrassés de la drogue, des trafics. Mais nos compatriotes n'ont pas à souffrir des amalgames", a poursuivi le ministre de l'intérieur à l'adresse de son "ami" Aberrhamane Dahmane, président du Mouvement des démocrates musulmans et organisateur de la fête de Colombes. "L'Islam n'est pas synonyme de terrorisme. S'il y a problème, ce n'est pas dans les mosquées officielles qu'on le trouve mais dans les caves, les garages", a ajouté M. Sarkozy.

Plusieurs militants du parti majoritaire interrogés, vendredi, semblaient avoir compris la nuance. Karim D., adhérent de 28 ans, informaticien, affirme ne pas avoir été "choqué" un instant : "Ces attaques, dit-il, visent les minorités qui salissent l'image de la communauté... C'est tout." Rabbah M., adhérent de 27 ans et chauffeur de poids lourds, souligne, lui, que M. Sarkozy est "le seul à parler de la situation des musulmans sans tabou" . En quinze minutes de présence, le ministre de l'intérieur n'aura pas eu le temps de faire le tour de la question devant l'assistance. Mais il a rappelé son engagement envers les musulmans de France sur fond d'un nouveau slogan : "Si je veux être ferme, je dois être juste."

Comme le remarque Slimane Benaïssa, homme de théâtre algérien et "libre penseur", "la sécurité devient un thème porteur pour les musulmans avec l'apparition d'une petite bourgeoisie en leur sein". Othmani Khalid, conseiller municipal à Colombes, confesse : "Nicolas Sarkozy a peut-être surfé sur cette vague là. Mais c'est le seul à parler des minorités qui bossent." Abel Rachid Zouani, journaliste d'origine algérienne de 50 ans, non affilié à l'UMP, pense que Nicolas Sarkozy "veut ratisser large". L'animateur radio doute de la sincérité de son discours : "Il s'excuse devant nous mais adapte son discours selon les interlocuteurs."

Avant de quitter la patinoire de Colombes, le président de l'UMP se laissera aller à un jeu de mots entre la fin du jeûne et son engagement de présidentiable : "Le mot rupture, j'y crois", a déclaré M. Sarkozy qui ne rate pas une occasion de faire entendre sa différence avec le chef du gouvernement, Dominique de Villepin, sur ce terrain.

Véronique Le Guen
Article paru dans l'édition du 23.10.05


Le Monde / Société
La revue "Nature" met au jour les conflits d'intérêts des experts médicaux chargés de recommandations

 U ne partie des experts médicaux qui rédigent les règles de bonne prescription des médicaments ont des liens financiers avec l'industrie pharmaceutique. C'est la conclusion d'une enquête menée par la revue scientifique britannique Nature publiée dans son édition du 20 octobre.

Sur un total de 685 auteurs, impliqués dans plus de 200 textes de recommandations, 35 % de ceux ayant effectué une déclaration avouent un conflit d'intérêts, quelle qu'en soit la forme, entre leur tâche d'expert et le fait d'avoir reçu une rémunération par un laboratoire concerné par le sujet abordé.

La place croissante réservée à la médecine fondée sur les preuves ("Evidence-based medicine" ) a conduit les institutions médicales et sociétés savantes à formuler de plus en plus de recommandations sur les bonnes pratiques de prise en charge des maladies. Ces règles sont rédigées sur la base d'essais cliniques et précisent les classes thérapeutiques ou les médicaments les plus indiqués dans ces pathologies.

Nature a examiné 215 textes, émanant du monde entier, recensés en 2004 dans la base de données américaine sur les recommandations pour la pratique clinique. Sur ce total, seulement 90 documents détaillaient individuellement les éventuels conflits d'intérêts. Parmi les 90 documents, 31 mentionnaient l'absence de tout lien financier déclaré.

Ce dernier peut prendre des formes diverses, sachant qu'un même expert peut être lié de plusieurs manières à un ou des laboratoires. Sur les 90 documents fournissant une information sur d'éventuels conflits d'intérêts, Nature a relevé 45 cas (50 %) où au moins l'un des auteurs occupait un poste de consultant auprès d'un laboratoire concerné. Une proportion identique pour les cas d'auteurs ayant perçu d'une firme pharmaceutique un financement pour une activité de recherche. Dans 39 cas (43 %), l'un des experts avait été rémunéré comme orateur et dans 10 cas (11 %), l'un au moins des médecins détenait des actions en Bourse d'une firme.

COLLUSION

Deux tiers (445) des 685 auteurs ne déclaraient aucun conflit d'intérêts. A l'inverse, 143 experts (soit 21 % du total) indiquaient avoir un rôle de consultant, 153 (22 %) mentionnaient une allocation de recherche, 103 (15 %) précisaient intervenir comme orateurs lors de manifestations organisées par un laboratoire et 16 (2,3 %) confessaient posséder des actions d'un laboratoire concerné.

Finalement, plus d'un tiers des experts déclaraient au moins un lien avec un laboratoire pharmaceutique. Un taux qui relativise l'argument selon lequel un seul auteur ne pourrait suffire à dévoyer l'évaluation réalisée collectivement par un groupe d'experts. D'autant que les déclarations de conflits d'intérêts sont faites sur une base volontaire, ce qui laisse la place à des omissions.

L'organisation non gouvernementale américaine Center for Science in the Public Interest a enquêté sur les recommandations concernant l'hypertension artérielle émises aux Etats-Unis en 2004. Un seul auteur signalait un conflit d'intérêts, mais l'ONG a découvert que quatre autres auteurs avaient perçu des financements de la part de laboratoires commercialisant des antihypertenseurs.

Nature a découvert un exemple éclairant de collusion à propos de recommandations sur le traitement de l'anémie chez les personnes infectées par le virus du sida. Le groupe d'experts avait été constitué par un chercheur réputé dans le domaine du sida, le docteur Paul Volberding, qui est aussi vice-président du département de médecine de l'université de Californie à San Francisco. Le laboratoire Ortho Biotech, une firme pharmaceutique du New Jersey, était à l'initiative de ce groupe. Il en a financé les réunions et a rémunéré ses six membres, y compris le docteur Volberding. Publiées en 2004 dans une revue spécialisée sur les maladies infectieuses, les recommandations faisaient la part belle à un médicament commercialisé par le laboratoire Ortho Biotech.

Comme le rapporte Nature , les organismes émettant des recommandations se défendent en expliquant que l'existence d'un lien avec l'industrie ne signifie pas que l'avis de l'expert soit biaisé. Mais la revue rappelle la critique selon laquelle "l'influence exercée par l'argent de l'industrie est inconsciente, mais puissante".

Elle se félicite qu'en Grande-Bretagne, même s'il emploie des experts dont certains ont des conflits d'intérêts, le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE, "Institut national de la santé et de l'excellence clinique") soit financièrement indépendant de l'industrie pharmaceutique. Ce n'est pas le cas en France de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), dont la majorité du budget vient des redevances versées par les laboratoires pour études de dossiers.

Paul Benkimoun
Article paru dans l'édition du 23.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Incohérence

 L e gouvernement gouverne-t-il pour la France ou pour contrer Nicolas Sarkozy ? Nicolas Sarkozy agit-il pour le bien du pays ou pour combattre ceux qui contrecarrent sa future candidature à l'élection présidentielle ? Les trois principaux responsables de la République, le président, le premier ministre et le ministre d'Etat, donnent quotidiennement un spectacle qui ne fait pas honneur à leurs titres et qui n'est pas à la hauteur des lourds problèmes de la France et des Français.

Le dernier exemple de cette triste comédie du pouvoir concerne un sujet que tout le monde sait grave : la place de la religion dans la société et le rôle de l'Etat. Jeudi 20 octobre, M. Sarkozy, ministre de l'intérieur et des cultes, annonce qu'il créée "une commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics". Il répond en cela à une demande de la Fédération protestante de France qui réclame un toilettage de la loi de 1905. Les protestants se heurtent à des maires qui interdisent la création de nouveaux lieux de culte sous prétexte de laïcité.

M. Sarkozy n'ignore pas que Dominique de Villepin est l'invité, le lendemain, de cette Fédération centenaire. Le premier ministre lit un discours de Jacques Chirac qui indique que la loi de 1905 ne saurait être remise en question et M. de Villepin ajoute que le texte permet en l'état de répondre aux difficultés des protestants. Bref, M. Sarkozy a nommé une commission pour rien.

Turquie, religion, réforme fiscale, commerce extérieur, responsabilité des magistrats, écologie... la liste des sujets de divergence est longue.

La querelle a ses méthodes : d'un côté, M. Sarkozy préempte des décisions que vont annoncer le président ou le premier ministre. De l'autre, M. Chirac demande à M. de Villepin de "prendre des initiatives" sur les sujets qui relèvent de l'autorité du ministre de l'intérieur comme l'immigration ou la sécurité intérieure.

La conséquence est souvent le ridicule. Le 14-Juillet, M. Sarkozy organise sa propre fête à deux pas de celle de l'Elysée. Il omet de se rendre en Espagne avec le premier ministre. Il s'exempte d'un conseil des ministres pour cause de migraine. Il s'assied au deuxième rang à l'Assemblée nationale. Ces gestes alimentent la chronique médiatique.

Mais la querelle a un fond : sauf sur l'agriculture et la critique de la Commission européenne où la rivalité provoque une surenchère dans l'archaïsme, le président de l'UMP assure vouloir une "rupture" sur tous les sujets par rapport à la politique conduite "depuis des années", c'est-à-dire par M. Chirac. "Il ne sert à rien de continuer comme nous le faisons", a dit M. Sarkozy à propos de l'écologie ­ mais le jugement vaut pour l'ensemble.

Le ministre de l'intérieur condamne le gouvernement dont il est le numéro deux. Il dit ne pas vouloir démissionner. Spectateurs de cette incohérence, les Français sont condamnés, eux, à compter les mois qui les séparent de l'élection présidentielle.

Article paru dans l'édition du 23.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

gerald+n ♦ 24.10.05 | 10h09 ♦ L’incohérence est décidément de tous les côtés ! A gauche, cela ne vaut pas mieux même si on voit progressivement se profiler le candidat Jospin dont, semble-t-il, une majorité de gens ne veulent pas ?! Un orchestre dissonant et qui rythmiquement ne tiens pas la route ne peut être en tout état de cause qu’une curiosité sonore, même pas musicale ! certains chefs savent d’un geste faire sonner l’orchestre comme il se doit. Actuellement, on cherche l’un de ceux là !
Yannick ♦ 24.10.05 | 09h46 ♦ Même si la lutte pour le pouvoir est aujourd’hui singulière par ses acteurs, elle n’en demeure pas moins classique dans la vie politique. La mise en scène actuelle ne dupe pas, seule l’instrumentalisation des médias atteignant un certain paroxysme. Car c’est bien la méthode Sarkozy qui interroge. Rompre, c’est bien, voilà la marque de courage d’un moderne. Mais à quel prix ? La transgression du consensus des partis modérés s’interdisant le populisme mérité, avant tout, d’être stigmatisée.
Serge B. ♦ 24.10.05 | 08h45 ♦ Il est lamentable que Sarkozy existe… politiquement. Que fait cet homme dans un gouvernment qu’il ne cesse de critiquer alors qu’il fait partie de la majorité depuis 30 ans ? Il est tout aussi lamentable qu’il soit président d’un parti de gouvernement quand on observe son comportement d’agité qui ne laisse rien présager de bon s’il devait par malheur occuper la fonction présidentielle. Sarkozy ne s’occupe ni de la France ni des Français dont il n’a cure mais de sa (toute) petite personne.
YANN100 ♦ 24.10.05 | 00h33 ♦ Il n’y pas grand chose de nouveau sous le cieel de France en ce moment. N’est ce pa M.CHIRAC qui a démissionné de son poste de premier ministre parce qu’il ne pouvait pas remplir sa mission ?! Attendons nous à ce qu’au moment stratégique choisi, M.SARKOZY en fasse de même, étant par trop malmené, avec trop d’interventions de M. DE VILPAIN dans des domaines qui hier étaient de la compétence du Ministre de l’intérieur ! Quel jeu bas et même stupide, où la France est bien oubliée !!
Jean L. ♦ 23.10.05 | 21h53 ♦ Et vous les journalistes ? Ca vous amuse un max de créer et d’entretenir en permanence ce soi-disant "combat" ? Les français ont vraiment d’autre soucis et rechechent vraiment d’autres nouvelles et d’autres études. Quel médiocrité...
henrikardo ♦ 23.10.05 | 15h06 ♦ Bayrou, ce n’est pas qu’il ne soit pas assez " glamour ", mais plutôt un peu trop " Papa-scout ". Pas le Père, un peu fouettard, comme De Gaulle, mais plutôt papa gifleur, comme avec le petit banlieusard qui lui faisait les poches pendant une visite. Qu’il ait de la profondeur parait assez évident - surtout comparé aux autres - mais pour ce qui est de la vivacité et de la " malice " indispensables à la fonction... il fait un peu troisième république, trouvez pas ? et question égo transpirant...
sunseeker ♦ 23.10.05 | 15h03 ♦ Bayrou sincère?...comme ministre de l’Education il a participé à la baisse du niveau en allégeant les programmes...je suis de la dernière génération à avoir passé le BAC C, 52% des coefficients étaient littéraires...aujourd’hui le BAC S n’est plus aussi complet...c’est un scientifique qui dénonce cette baisse de niveau littéraire faite par Bayrou un agrégé de lettres!... Bayrou a cogéré l’Education avec les syndicats, alors vraiment son discours de rupture d’aujourd’hui aura du mal à s’imposer
XF ♦ 23.10.05 | 14h50 ♦ Chirac n’est pas un candidat d’idées : pour se faire élire, sa méthode est d’émerger comme le moins faible de la droite; et il ne gagne que si la gauche est divisée. Beau rassembleur. Une fois encore, il peut espérer gagner. Il commet cependant une lourde erreur : ses propres électeurs, dont j’ai été, séduit puis résigné, sont maintenant usés. Comme lui. Qu’il ait la lucidité de savoir gérer sa sortie. Ce n’est pas bien parti.
monrog ♦ 23.10.05 | 14h08 ♦ Tous les éditoriaux du Monde ne se valent pas. Je le dis tout clair : celui-ci est impeccable ! Il résume ce que bon nombre de Français perçoivent. Cette division est lamentable. Elle est humiliante pour la fonction présidentielle. Elle n’est pas brillante non plus pour le ministre qui fait mine d’être dehors mais qui reste dedans, pour en tirer quelques avantages électoraux. Pauvre système français !
hopeandglory ♦ 23.10.05 | 13h49 ♦ Cela ne vous rappelle-t-il pas l’attitute - détestable, mais qui a fait ses preuves - de M. Chirac de la fin des années 1970 : il lui fallait tout: 1er ministre (démission pour contrer Giscard), président de l’UDF et le comble Maire de Paris tout cela a très bien fonctionné au SEUL avantage de l’intéressé champion de la communication, de la poignée de main et de l’embrassade!(et qui disait publiquement Seul sincère à droite : BAYROU : mais il n’est pas assez "glamour" pour les électeurs, hélas
Paul.dt ♦ 23.10.05 | 12h01 ♦ Les protagonistes de ce manège liront sans doute cet article ... et peut-être les commentaires?? Sauront-ils en tirer un enseignement?
sunseeker ♦ 23.10.05 | 11h17 ♦ atterrant comme ces esprits bien pensants qui critiquent Sarkozy sur son physique ou bien d’autres aspects seraient les premiers à crier au scandale si un immigré était ainsi traité...la France n’a pas besoin d’un soi-disant homme d’Etat à la Mitterrand ou Chirac/Villepin...il vaut mieux un dirigeant qui soit réformateur fût-il plein de défauts... pour certains c’est la forme qui prime...comme sur l’intervention en Irak... or la grande politique se fait sur le fond...à chacun ses valeurs!...
DANITON ♦ 23.10.05 | 10h59 ♦ Que c’est loin 2007 ....mais peut-on vraiment penser que les prochaines élections vont débloquer l’absurde situation dans laquelle notre pays s’enfonce ? Plus aucun role en Europe, aucune influence dans le reste du monde, et tout ça pour quelques ambitions personnelles. Si un "poujadiste" émerge, il est sûr de ramasser le gros lot !!!!
FRANCOISE F. ♦ 23.10.05 | 08h43 ♦ D’accord avec HenriKardo pour dire que nous avons la "démocratie" que nous méritons. N. Sarkozy ne fera pas entendre sa "voix" tant qu’il critiquera le gouvernement de l’intérieur. Sa démission le rendrait plus crédible : ce qu’il dit est loin d’être insensé. A gauche, Il y a aussi une opposition interne représentée par M. Fabius : fera-t-il entendre sa "voix" ? le 29 mai semble laisser penser que oui. Pourtant son NON au référendum l’a, à mon sens, décrédibilisé pour représenter le PS en 2007.
MICHEL U. ♦ 23.10.05 | 08h33 ♦ Les toubles oppositionnels et de provocation dont la présence chez les enfants indiquent leur incapacité à intégrer la loi, semblent envahir notre débat politique et devenir une méthode de gouvernement.Le débat d’idées et l’intérêt du pays ne sont plus que des moyens de s’opposer,tant que l’adversaire est solide.Lorsqu’il faiblit ou est remplacé, la tyrannie est proche.
leongreco ♦ 23.10.05 | 07h25 ♦ j’ai voté Bayrou à la dernière présidentielle, je revoterai pour lui, son heure est arrivée. Chirac est en train de "Poutiniser" De Villepin afin d’éliminer Sarkozy, les gauches sont suicidaires et avec Fabius il y a de quoi se faire du "mauvais sang"!! Je souhaite que la rupture du PS se réalise enfin. Pendant ce temps la,les chinois rigolent et l’Europe est un mauvais rêve.
Bomsteie ♦ 22.10.05 | 22h06 ♦ Que Nicolas Sarkozy défende ses conceptions de ministre est bien naturel, et les divergences de vues font partie de la vie. Si le premier ministre estime que cette richesse va jusqu’à l’incohérence, qu’il ait le courage de lui demander de partir. Au demeurant, les opinions de Nicolas Sarkozy sur la religion étaient bien connues de Villepin quand il l’a nommé à l’Intérieur : quelle comédie que de prétendre les découvrir aujourd’hui.
Le_Trouadec ♦ 22.10.05 | 21h49 ♦ A droite, un triangle maudit, un président qui manipule un premier ministre surtout là pour s’en prendre à un ministre de l’intérieur qu’on a réintégré dans un gouvernement qu’on l’a forcé à quitter lors de sa prise de pouvoir à l’UMP. A gauche, un bataillon de candidats qui sont d’accord sur un point et un seul : éliminer les autres. Des ambitions personnelles qui sont plus importantes, et de loin, que les idées et le programme. Tout cela est d’une absolue nullité...
janvion ♦ 22.10.05 | 20h45 ♦ Le temps n’est-il pas venu de constater que Sarkozy ne possède pas les compétences pour exercer la magistrature suprême. Mise à part sa faculté évidente de démagogue, forte utile pour gouverner, il ne possède ni la stature, ni la sagesse indispensable, ni les idées qu’ils dit garder sous le coude pour plus tard. Il est lui aussi d’une autre époque et ce n’est certainement pas d’homme politique comme lui dont la France a besoin. Soyons sérieux.
henrikardo ♦ 22.10.05 | 18h56 ♦ Pour les Grecs anciens, la magistrature unique et absolue pouvait donner le meilleur - le monarque éclairé - ou le pire des systèmes - le tyran -. C’est la raison pour laquelle ils avaient inventé la démocratie qui comme le disait Churchill " est le pire des systèmes sauf tous les autres ".Mais nous allons peut-être devoir reconnaitre, après avoir cru inventer la modernité politique avec la Révolution, que nous ne sommes pas majeurs et que nous avons les gouvernements que nous méritons.
Sue ♦ 22.10.05 | 18h11 ♦ Ne serait -ce pas la chronique médiatique qui alimente les gestes? Enlevez les projecteurs, il ne reste rien si ce n’est un homme pourvu de talonnettes et à qui la politique de la France donne la migraine.Attention à l’hypertension artérielle ! Signé- Une relique
Fouad.H ♦ 22.10.05 | 17h33 ♦ Qui sera Président est une question qui se pose.Du moins: pour ceux qu’en 2002,le tapage pour le bourrage à 82% pour Chichi avaient scandalisé.Et ils avaient déjà averti (notamment les rédacteurs du Monde -trés prochirac à l’époque) qu’un boulevard était ouvert pour "notre petit Nicolas"; le 16,18% de Jospin étant là...pour preuve!Mais la droite ne laissera pas passer "l’agité","le fils d’immigré"-et après, viendront d’autres sobriquets!Dans cette bataille, peu de Français s’y retrouvent!Et zut!
azebolu ♦ 22.10.05 | 16h58 ♦ Le dernier exemple de cette triste comédie est le problème des Protestants qui ne peuvent plus créer de lieus de culte car les quotas sont réservés aux mosquées !!! Voilà où nous en sommes !!! C’est la dernière des religions chrétiennes qui veut encore faire face à la déchristianisation de l’occident, la religion catholique étant réduite à l’état de sainte relique rétrograde. Et on nous envoie ça comme s’il s’agissait d’un conflit Sarko-Villepino-Chiriakeste. Pauvre France !!!
LibertéEquitéSolidarité ♦ 22.10.05 | 15h02 ♦ Etant donné l’état de division profonde de la gauche après le référendum du 29 mai, ils peuvent se permettre n’importe quoi. Privés de toute opposition, ils n’ont pas besoin de serrer les rangs et laissent éclater leurs ambitions personnelles en sacrifiant celles du pays. La constitution actuelle n’assure plus la perennité de notre vie démocratique.
JEAN CHRISTOPHE C. ♦ 22.10.05 | 14h44 ♦ Participer a un gouvernement que l’on critique sans arret, se presenter comme l’adversaire politique de son Premier Ministre et presider un Parti politique dont le groupe parlemntaire soutien le gouvernement et vote ses projets de loi, cela ne serait pas de l’incoherence par hasard???
ALBERT F. ♦ 22.10.05 | 14h41 ♦ L’incohérence n’est pas accidentelle: elle est le résultat très logique d’institutions devenues obsolètes et inefficaces, et notamment de l’absurde primat de la fonction présidentielle, qui devenue phare, polarise les regards de la classe politique, cristallise les ambitions personnelles. Il ne s’agit plus de diriger un pays mais plus prosaîquement d’en devenir le ROI.Il y aurait 20 candidats monarques à présent. Et certains benets parlent toujours de République? Quant à la démocratie...
clo.clo ♦ 22.10.05 | 14h20 ♦ Le sujet étant tellement .. peu interessant, que je me demande si ce n’est tout simplement pas le Monde qui monte en épingle un sujet sur lequel tout le monde s’en fout !! Le figaro n’en parle pas, Liberation non plus, bref il peut y avoir des divergences la dessus, ce n’est pas tres important, et cela n’est pas une preuve de conflit !! De la à fair un édito la dessus, que je n’ai même pas lu vu le sujet, et d’en faire la une internet,il faut croire que de faire monter la mayonnaise est urgent !
YAPAL ♦ 22.10.05 | 13h50 ♦ La France dans son histoire récente n’a jamais été à une incohérence près : déclaration de guerre à la Prusse en 1870 parce que Bismarck avait été "mal élevé", déclaration de guerre à l’Allemagne après avoir laissé Hitler assurer tranquillement son pouvoir pendant 6 ans, décolonisation par lambeaux avec formules creuses jusqu’à l’arrivée de de Gaulle. Toutes incohérences aux conséquences tragiques . Cela pourrait aussi le devenir pour la loi de 1905 . Respect des religions oui, subventions non.
sunseeker ♦ 22.10.05 | 13h29 ♦ quel ridicule: Sarkozy explique l’impérieuse nécessité d’une rupture avec la politique radical-socialiste chiraquienne en matière de réforme de l’Etat jacobin providence mais fait partie d’un gouvernement "Titanic" mystificateur qui joue sa musique spécieuse des 2.25% de croissance pour le budget 2006 alors que l’iceberg de la cessation de paiement approche...avec en vue des réformes très dures loin de la démagogie crypto-guévariste des chiraquiens... Sarkozy coulera t-il avec le navire?
jacklittle ♦ 22.10.05 | 12h41 ♦ Précision le Ministre qui ne le respecte pas,en l’occurrence Mr Nicolas SARKOZY,doît démissionner ou être démissionné.
jacklittle ♦ 22.10.05 | 12h39 ♦ Incohérence,OUI.Mais qui est responsable de cette incohérence,triste spectacle qui est sous les yeux de tous les Français,mais hélas aussi de nos partenaires européens,ainsi que nos Alliés et,notamment les USA.Qui est responsable,bien évidemment Mr CHIRAC,que je sâche sous la Vème République c’est lui qui nomme le 1er Ministre qui à son tour forme son gouvernement.Dans la pratique il y a un pacte d’unité et de réserve de la part de chaque Ministre,s’il n’est pas recpecté il doit être démissionné


Le Monde / Opinions
Chronique
Le modèle français est facteur d'anxiété sociale, comme l'américain, par Eric Le Boucher

 I l faut bien convenir, avant que les dirigeants européens ne se réunissent à Hampton Court, jeudi 27 octobre, pour discourir de l'Europe sociale à l'initiative de Tony Blair, qu'il n'y a pas de modèle idéal. Face aux chocs de la mondialisation, bien peu de pays développés sont parvenus à remodeler leur système de protection sociale en mariant de façon complètement convaincante économie et social, compétitivité et solidarité.

Si la croissance est impressionnante et solide aux Etats-Unis, cette réussite ne parvient pas à empêcher le développement d'une "anxiété sociale" . Elle provient de ce que le système, comme le résume le professeur Michel Aglietta, "transfère toute l'insécurité à ceux qui sont les moins capables de l'assumer" , les moins qualifiés, ceux du bas de l'échelle.

CLASSE MOYENNE

Ces dernières semaines ont vu un nouveau pan de l'ancienne protection sociale américaine s'écrouler. General Motors, qui souffre d'importantes pertes financières et d'un recul de ses parts de marché depuis vingt ans, a annoncé un plan d'économies qui va changer la donne sociale de l'entreprise. Primo, le géant va réduire de 1 milliard de dollars ses versements pour l'assurance-maladie de ses 106 000 salariés et de son million de retraités. Secundo, la faillite de Delphi, qui fabriquait ses composants, va l'obliger à reprendre à son compte le paiement des retraites complémentaires de cette ancienne filiale. GM n'en aura pas les moyens, sauf à limiter aussi le paiement des retraites complémentaires de ses salariés.

La crise de GM annonce la fin du régime social de la grosse entreprise qui paie bien et offre des garanties. Ford suivra sûrement dans cette voie où les groupes automobiles ont été précédés par les compagnies aériennes, le pétrole, la sidérurgie ou la chimie.

Le bon ouvrier de ces secteurs traditionnels, figure centrale de la fameuse classe moyenne américaine, se retrouve privé de couverture sociale. Il va lui falloir cotiser directement à ses frais pour une assurance-santé. Les plus faibles et les plus imprudents vont rejoindre les 45 millions d'Américains qui n'ont plus aucune assurance sociale.

Pour les retraites, il existe un minimum, versé par un organisme fédéral. Mais celui-ci, financé par les cotisations des entreprises, est lui-même en très grave déficit. Le système social américain est donc beaucoup moins "sustainable" (durable) que la croissance.

ENVIRONNEMENT INSTABLE

L'Europe n'a pas de quoi faire la fière. Elle protège certes globalement beaucoup mieux ses ressortissants, mais cela se fait, dans la majorité des pays membres, aux dépens de la croissance et de l'emploi. André Sapir, de l'institut de recherche bruxellois Bruegel, vient de publier une étude qui distingue en fait quatre modèles européens, dont seuls deux sont "efficaces" : le modèle anglo-saxon (syndicats faibles, éventail large des salaires, protection sociale limitée au minimum) et le modèle nordique (haut niveau des dépenses sociales, syndicats forts, resserrement des salaires, liberté de licenciement mais forte indemnisation des chômeurs). Un seul des deux, le nordique, est à la fois efficace et équitable.

Les deux autres modèles sont inefficaces. L'un est équitable, le modèle continental (fortes dépenses sociales, licenciements très encadrés et indemnités de chômage généreuses ; cette catégorie comprend la France et l'Allemagne), l'autre, le modèle méditerranéen, est inefficace et inéquitable (fortes dépenses, licenciements limités mais indemnités faibles).

A vouloir conserver des systèmes sociaux qui ont été bâtis dans les années 1950 pour un environnement économique stable (la grande entreprise de type GM), les pays inefficaces se privent de la flexibilité indispensable dans un environnement devenu mouvant avec la mondialisation.

Sapir donne un chiffre impressionnant : 45 % de nos importations industrielles viennent des pays à bas salaires contre seulement 8 % en 1970. "Et ce n'est que le début", ajoute l'auteur.

La création du marché unique et celle de l'euro se voulaient des réponses à la mondialisation, mais elles n'ont pas suffi à "générer un plus grand dynamisme". Parce que les efforts se sont ralentis (pas de marché unique de la finance ni des services), parce que le budget européen est trop faible et reste alloué "aux reliques" comme l'agriculture. Mais aussi parce que leur inflexibilité sociale a fait que les pays continentaux et méditerranéens ont subi les inconvénients de la mondialisation sans en percevoir les avantages.

CONSERVATISME

André Sapir va plus loin en annonçant que ces pays bloqués faute d'ajustement social et monétaire (l'euro interdit les dévaluations) vont essayer de retrouver un avantage comparatif en se lançant dans un dumping fiscal. L'Autriche l'a fait, l'Allemagne y songe. Ces Etats y perdront en recette, la spirale est meurtrière. Le conservatisme social national devient facteur du délitement social européen, la gauche française devrait y réfléchir.

Les leçons que tire André Sapir sont celles-ci :

1) L'équité a un prix. Pas de solidarité sans transferts sociaux. Tony Blair l'a du reste compris. Depuis 1997, la pauvreté a décru d'un quart outre-Manche pour revenir à un niveau comparable à celui de l'Europe continentale. Les inégalités y restent en revanche plus fortes.

2) L'efficacité ne dépend pas du niveau des taxations donc du volume de l'argent versé. Elle vient de la qualité des politiques concrètes.

3) Les systèmes inefficaces ne peuvent pas perdurer (ils ne sont pas non plus " sustainables" ).

Les pays ont le choix entre les deux modèles efficaces dont aucun ne signifie "la fin du social" comme les démagogues politiques le disent. C'est l'inverse qui est vrai : l'immobilisme ne permettra pas de défendre les avantages acquis et il finira par mettre en péril le marché unique et l'euro.

Faute de dynamisme dans les pays continentaux ou méditerranéens, ce sont des couches toujours plus larges de la classe moyenne qui tomberont sous la pression croissante de la mondialisation. France et Etats-Unis, deux modèles différents mais créateurs de la même anxiété sociale.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 23.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

polo+di+marco ♦ 22.10.05 | 22h42 ♦ Bien sur,anxieté sociale et meme plus. Car perte de confiance entre<<Etat- patron>>ou <<Patron-privé>>et les salariés. En plus,quand un <<Accord>>a été trouvé entre representants dupatron et des salariés;si bien des salariés le trouvent stupide,on voit bien qu’il est entériné.Avec L’aval souvent du ministère concerné. Tout ceci accentue la perte de confiance,engendre plus d’anxiété...et bien plus. Reforme à construire.
Sue ♦ 22.10.05 | 19h59 ♦ Enfin un article clair sur le sujet qui montre les alternatives possibles.Néanmoins il y a sans doute des effets de seuil: un système peut fonctionner dans un petit pays mais il peut engendrer des effets pervers dans un pays plus peuplé.Rappelons à Angel M. que la sécurité sociale bismarkienne existe toujours en France- en Alsace et en Moselle en tant que caisse complémentaire et locale.La comparaison est donc d’autant plus aisée que deux systèmes fonctionnent en même temps.
♦ 22.10.05 | 19h52 ♦ Dans les calculs : ne pas négliger non plus la manne noire du pétrole de la Mer du Nord ... mais la France a des idées, on s’en souviendra.
paletuviers ♦ 22.10.05 | 19h21 ♦ On peut se demander logiquement si la France est capable de changer d’orientation dans ses choix économico-sociaux.
AGNES L. ♦ 22.10.05 | 17h51 ♦ "Sustainable veut dire "durable" ",comme c’est gentil de nous parler en Anglais dans la-langue-des-experts . Merci aussi de parler d’ajustement social,sachant que la variable d’ajustement economique est souvent le licencié "imprudent".(..pertes&...profits) Quant à l’Europe Sociale,merci de m’en apprendre le délitement comme l’existence.Mais c’est vrai c’est plus la faute-au-manque-de-flé-xi-bilité qu’au dérisoire budget communautairedontvousavezcependantparléquandmêmec’estplusserieux .
Stephane - San Francisco ♦ 22.10.05 | 17h07 ♦ Cela fait 20 ans que je vois la France evolueer vu de l’Amerique et je ne l’ai jamais vu se rapprocher du model americain en matiere sociale. Elle s’en est completement separee: 6 semaines de vacances, 35 heures, RMI, primes a l’emploi, credits d’impots, CDI/CDD, aides a tout va... Citez moi ce qui fait de la France un pays liberal. La France est un des pays develope les moins liberaux (et les plus communiste "volontaire") du Monde. Les problems Francais ne viennent pas de son Liberalisme.
Stephane - San Francisco ♦ 22.10.05 | 17h00 ♦ L’analyze d’ELB sur les US est tres incomplete. Il parle de GM et Delphi. Ces boites on des regimes de retraite dites "Defined Benefits", popularises apres WWII. Ces regimes sont equivalent au regime Francais a l’echelle d’une entreprise. Ils ont les meme problemes. Si la boite va mal, les benefices s’en vont. Depuis plus de 30 ans, la plupart des americains souscrivent a des regimes de "defined contributions" ou l’employee controle son capital retraite. Ces regimes marchent toujours tres bien.
Stephane - San Francisco ♦ 22.10.05 | 16h54 ♦ L’anxiete societe sociale francaise qui est en permanence exprimee a travers les greves, les medias et autres n’existe absolument pas aux Etas Unis - meme dans les regions industrielles les plus touchees ou les plus pauvre. Cela ne vaut pas dire qu’il n’y a pas de conflits. Cela veut simplement dire que l’Americain ne compte pas sur le gouvernment pour le tirer de situation difficile. Il a tendance a vouloir se tirer d’affaire lui meme.
AM ♦ 22.10.05 | 15h45 ♦ Ne pas perdre de vue le fait qu’il n’y a (presque ) plus de modèle français, son identité propre s’étant perdue vers le début des années 80. Depuis, il se transforme à marche forcée vers le modèle américain, "tout libéral" avec pour dogme : "pour aider les pauvres, favorisons les riches...
Angel M. ♦ 22.10.05 | 15h43 ♦ La Séc. Social a été crée en Allemagne par Bismarck au 19e S., et les pays scandinaves, et dans beaucoup de cas aussi des autres pays comme l’Allemagne ou la Grande Bretagne ont toujours eu plusieurs décennies d’avance dans le development du «welfare state». Pour quoi parlent les Françaises de ‘modèle social Français’? Qu’est ce qu’il y a de ’Français‘ dans ce modèle? Saphir nous propose une bonne classification: modèles américain, anglo-saxon, nordique, continental et méditerranéen.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 22.10.05 | 15h33 ♦ Le modèle français est facteur d’anxiété sociale, comme l’américain : et sans en avoir aucun des avantages dans le domaine de la création de richesses et de la recherche !
LibertéEquitéSolidarité ♦ 22.10.05 | 15h30 ♦ Qui peut encore prétendre qu’ELB est un ultra-libéral après avoir lu ce texte documenté et convaincant. Le débat est lancé ; on va devoir répondre avec des arguments et non des incantations, des slogans et des anathèmes. Que ceux qui pense qu’un autre modèle est possible le décrivent comme l’a fait Sapir avec les 4 modèles existants. Le 29 mai stimule les imaginations et semble avoir élevé le niveau de conscience sociale et de culture économique. On continue à bien poser les vraies questions !
gérard B. ♦ 22.10.05 | 15h16 ♦ L’article souligne qu’en effet il faut s’inspirer des "modèles nordiques". D’abord parce que ces modèles sont proches de nous sur le plan culturel, ensuite parce qu’ils sont plus efficaces que le nôtre. Evidemment de nombreux comptempteurs du modèle libéral ne mettent en avant que le modèle US, comme repoussoir, pour valider le modèle (l’anti-modèle plutôt) français. Il est vrai qu’accepter que nous ne sommes pas la lumière du monde est difficile...
sunseeker ♦ 22.10.05 | 13h42 ♦ il faut passer du quantitatif au qualitatif: stopper l’explosion démographique du Tiers Monde pour la stabilité migratoire et environnementale, passer d’une société de consommation compulsive -consommer même racine que consumer!- à une logique qualitative, à faire aussi dans l’Education contre la logique des moyens, bref changer de modèle de société...avec des structures permettant la responsabilité individuelle effective contre un Etat jacobin providence déresponsabilisant...


Le Monde / Opinions
Chronique
Tout absorber

 D es taux d'intérêt à long terme en légère hausse, une faillite évitée (celle de General Motors), un nouveau scandale (celui de Refco) : le marché primaire obligataire absorbe tout, les bonnes comme les mauvaises nouvelles.

Point positif, General Motors a réussi, lundi 17 octobre, à négocier avec le syndicat de l'automobile américain une réduction drastique de ses coûts sociaux, ce qui lui évite d'avoir à se placer sous la loi américaine sur les faillites (chapitre 11). Cet accord ne permet pas au constructeur automobile de retrouver toute sa splendeur, mais GMAC, sa filiale en charge de l'activité de crédit, pourrait voir la majorité de son capital vendu et bénéficier ainsi de conditions de financement plus séduisantes.

Actuellement, les obligations de General Motors sont placées dans la catégorie "pourrie" (junk bonds) . Le soulagement prévalait donc lundi, l'émetteur important que représente GMAC pourrait même revenir sur le marché.

L'enthousiasme ­ modéré ­ suscité par cette nouvelle n'a pas tardé à être refroidi. Dès le lendemain, le marché a dû supporter les conséquences de la mise en faillite de Refco, le principal courtier américain des marchés à terme. Non qu'il soit un émetteur important ­ au contraire, Refco ne dispose que d'une ligne obligataire émise en dollars américains il y a quatorze mois ­ mais quelques banques sont touchées par cette affaire, au premier rang desquelles Bawag.

Pour tenter d'éviter le scandale, la banque autrichienne avait accordé un crédit de 425 millions d'euros à Refco et à Philipp Bennett, son président limogé le 10 octobre après la découverte de dissimulations comptables. Le marché du crédit n'a pas enregistré de dérive, sauf sur les obligations Bawag.

Les investisseurs sont restés sereins. L'établissement a précisé que ce crédit était adossé à des actifs recouvrables, et les agences de notation ont confirmé jeudi la notation au meilleur niveau des obligations foncières émises par la banque autrichienne, étayant la qualité de leur montage.

Si les obligations non sécurisées de Bawag ont plus souffert dans un premier temps, elles se sont ensuite retrouvées à des cours plus classiques.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que les emprunteurs ne se soient pas rués sur le marché obligataire. D'autant que leurs besoins restent limités. Selon des chiffres circulant chez les banquiers, les émissions réalisées par des entreprises non financières d'ici à la fin de l'année représenteraient de 4 milliards à 5 milliards d'euros tous marchés confondus.

Le sprint de fin d'année a déjà commencé sur le marché de l'euro. Si les émetteurs n'ont globalement guère de besoins, il est à craindre que les émissions dites de "league table", qui permettent aux banques de grappiller une place ou deux dans les classements de fin d'année sans être de grande qualité, ne sauraient tarder à apparaître.

Isabelle Ehrhart
Article paru dans l'édition du 23.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

LibertéEquitéSolidarité ♦ 22.10.05 | 23h23 ♦ Si c'est un article sur la plasticité et la capacité d'absorption d'un des marchés financiers - le marché primaire obligataire US -, il fallait le dire plus nettement. L'aspect technique n'a échappé à personne et cache sans doute l'essentiel. La crise de 1929 aurait démarré en Autriche avec les conséquences que l'on connaît. Cette fois le système serait équipé pour "tout absorber" y compris le vol du papillon de la théorie des catastrophes. La technicité de l'article occulte l'essentiel !


Le Monde / Société
Le père des trois enfants retrouvés morts a été écroué à Marseille pour assassinats

Un scooter passe, le 22 octobre 2005 dans le 8e arrondissement de Marseille, devant l’immeuble où habitait un couple dont les trois enfants ont été retrouvés morts. | AFP/ANNE-CHRISTINE POUJOULAT
AFP/ANNE-CHRISTINE POUJOULAT
Un scooter passe, le 22 octobre 2005 dans le 8e arrondissement de Marseille, devant l'immeuble où habitait un couple dont les trois enfants ont été retrouvés morts.

 J ean-Paul Steijns a passé sa première nuit en prison après avoir été mis en examen pour assassinats par empoisonnement et homicide volontaire. Son épouse (26 ans) et mère des trois enfants retrouvés morts a été mise en examen pour "recel de cadavres" et laissée en liberté sous contrôle judiciaire. Le père aurait voulu tuer sa famille avant de se suicider en raison des difficultés matérielles du foyer.

Ce dernier a initialement fait aux enquêteurs des déclarations "ubuesques, décalées et sans grande cohérence", a expliqué le procureur de la République, Jacques Beaume, lors d'un point de presse samedi. Puis, il a fini par reconnaître avoir administré une "mixture médicamenteuse" aux deux enfants issus d'une précédente relation de son épouse, une fillette de huit ans et un garçon de sept ans.

Concernant le bébé nouveau-né, dont il est le père, "l'état de décomposition avancée du cadavre" ne permet pas de connaître les causes précises de la mort, selon le procureur. Les chefs d'empoisonnement avec préméditation concernent les deux aînés tandis que celui d'homicide volontaire concerne le bébé, a-t-on précisé de source judiciaire.

L'homme né en Seine-Saint-Denis et son épouse née à Aubagne (Bouches-du-Rhône) avaient été interpellés et placés en garde à vue jeudi à la suite de la découverte sur la terrasse de leur appartement marseillais du corps de leur dernier enfant, un nouveau-né dont "ni la date exacte de la naissance ni celle du décès n'ont pu être déterminées avec précision". "Rien ne permet de dire si l'enfant est mort-né ou s'il était viable", a dit M. Beaume.

CORPS DÉCOUVERTS DANS UNE VOITURE

Le corps du bébé a été découvert par la police, venue procéder à l'expulsion du couple après plusieurs loyers impayés. Le couple avait quitté l'appartement deux semaines plus tôt pour se réfugier dans un hôtel de Salon-de-Provence.

Vendredi, sur les indications du père, les corps des deux autres enfants ont été trouvés dans une voiture à l'intérieur d'un garage à Marseille. Selon le médecin légiste, "le décès remonte à plusieurs semaines", a précisé le magistrat. Si l'autopsie a confirmé qu'"il n'y a pas de traces de coups de couteau ou de coups de feu, le médecin légiste ne peut pas dire avec certitude de quoi les deux enfants sont morts, compte tenu de l'état de décomposition avancée du corps", a ajouté le procureur.

"Nous sommes donc suspendus aux analyses toxicologiques en cours dont les résultats seront connus dans deux à trois semaines", a-t-il ajouté. Les enquêteurs n'ont pas encore établi le rôle exact joué dans ce dossier par la mère, à qui son mari aurait pu aussi administrer des potions médicamenteuses, et qui est apparue "sans émotion", "comme prostrée". "La clandestinité de la mort des trois enfants et le fait qu'elle n'ait informé personne ne sont pas suffisants pour que nous requiérions contre elle du chef d'homicide volontaire ou d'empoisonnement", a cependant souligné le procureur.

La famille qui vivait dans un immeuble d'un quartier tranquille du centre-ville, "ne relevait pas du quart-monde. L'homme était plutôt un escroc dépassé, empruntant de l'argent à des amis ou à la famille". Son épouse, se décrivant comme "soumise", croyait que son mari était "chef d'entreprise". "C'est un dossier qui reste très partiellement une énigme", a conclu le procureur.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 23.10.05 | 09h01

POUR INFORMATION. Les deux textes qui suivent sont deux versions de «la même» page – la même au sens que les deux ont figuré sur le site sous le même nom. En lisant l'accroche annonçant la première version (quelque chose comme «Crash d'un avion nigérian: au moins la moitié des passagers aurait survécu») je se suis dit, elle va disparaître assez vite pour laisser la place à une version plus réaliste. Ce qui arriva.


Le Monde / International
Crash d'un avion nigérian avec 114 personnes à bord

 I nespéré, plus de la moitié des 116 passagers du vol Lagos-Abuja écrasé samedi peu après son décollage auraient survécu à la catastrophe. C'est ce qu'a annoncéle porte-parole du gouvernement de l'Etat d'Oyo, où les débris de l'avion ont été retrouvés. "Les services d'urgence dans l'Etat ont été mobilisés", a ajouté la même source. Selon a porte-parole de l'organisation régionale, Adrienne Diop, des responsables de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest (CEDEAO) se trouvaient à bord de l'avion mais elle ne précise pas s'il font partie des rescapés.

SANS NOUVELLE DEPUIS SAMEDI SOIR

L'appareil, un Boeing 737 de la compagnie privée Bellview Airlines assurant la liaison de Lagos, la capitale économique du pays, à Abuja, sa capitale administrative, avait décollé à 22 h 50 (heure française) samedi et on était sans nouvelle depuis.

Selon les autorités aéroportuaires, l'avion avait disparu des radars au dessus de l'Atlantique peu après avoir décollé et avoir effectué une courbe au sud de la ville portuaire de Lagos pour prendre la direction du nord au dessus des terres. Dans un premier temps, les responsables ont suggéré que l'appareil avait pu s'abîmer en mer.

Des hélicoptères ont été envoyés à la recherche de l'avion et des passagers dans les zones maritimes puis vers la terre ferme. Un officiel de l'administration maritime nigériane Tidjani Bako a indiqué à l'AFP que les recherches se concentraient dimanche dans un secteur entre les villes d'Ibadan et d'Ilorin, à 100 km au nord-est de Lagos. "Je ne pense pas que quiconque ait pu survivre si l'avion s'est écrasé sur la terre ferme", a-t-il souligné.

BELLVIEW UNE COMPAGNIE PROFESSIONNELLE

Des diplomates ont indiqué avoir été mis au courant de la disparition de l'avion mais étaient incapables de dire si des étrangers se trouvaient à bord. Le Nigéria a été le théâtre de nombreuses catastrophes aériennes, dont une en mai 2002 qui avait vu un avion de ligne s'écraser sur l'aéroport de Kano (nord) faisant 149 morts, dont les 115 personnes se trouvant à bord.

Le 6 juillet 2005, un Airbus A330 de la compagnie Air France s'était trouvé au moment de son atterrissage à Port-Harcourt (sud) au-dessus d'un troupeau de vaches sur la piste et avait heurté l'un des ruminants. Bellview Airlines est une compagnie aérienne privée assurant des vols à l'intérieur du Nigeria et en Afrique de l'Ouest. De nombreux hommes d'affaires internationaux et des diplomates empruntent la ligne entre Lagos et Abuja.

Plusieurs compagnies privées aériennes du Nigeria sont considérées comme peu sûres par les voyageurs étrangers. Bellview Airlines avait cependant la réputation d'être dirigée professionnellement et d'offrir des conditions de sécurité satisfaisantes.

Avec AFP, Reuters
LEMONDE.FR | 23.10.05 | 09h35
Mis à jour le 23.10.05 | 13h06


Le Monde / International
Aucun survivant dans le crash d'un Boeing 737 au Nigeria

 L es 111 passagers et six membres d'équipage du vol 210 de la compagnie nigériane Bellview Airlines ont tous péri samedi soir dans l'accident du Boeing 737 qui s'est écrasé près de Lagos peu après son décollage, a indiqué dimanche un porte-parole de l'Agence fédérale nigériane pour la gestion des urgence (NEMA).

"Nous nous sommes rendus sur les lieux de la catastrophe. C'est un terrible accident", a déclaré à l'AFP le secrétaire général de la Croix Rouge du Nigeria, Abiodun Orebiyi. "L'avion est en miettes. Il y a des morceaux de corps partout. Il est très difficile d'identifier les morts. C'est terrible, très tragique", a-t-il ajouté. Selon lui "des maisons ont été soufflées par l'explosion causée par la chute de l'appareil" et des habitants ont été très légèrement blessés.

Selon le porte-parole de la NEMA, Ibrahim Farinloye, l'impact au sol a dû être à grande vitesse car l'épave de l'avion "était complètement enterrée".

ANNONCES CONTRADICTOIRES

Une certaine confusion a entouré toute la journée de dimanche le lieu et le bilan de l'accident du Boeing 737 qui avait décollé de Lagos samedi soir pour Abuja, la capitale.

Des sources officielles avaient d'abord situé l'épave de l'avion à 400 km au nord de Lagos, mais M. Orebiyi a finalement indiqué que le Boeing 737 s'était écrasé près de la ville d'Otta, juste au nord de Lagos.

Le vol 210 de la Bell view Airlines avait décollé samedi à 19 h 50 heure locales(20 h 50 à Paris) de Lagos, capitale économique du pays, pour Abuja, la capitale administrative avec 117 personnes à bord dont six membres d'équipage. Quelques minutes plus tard, il avait disparu des écrans radar. "Nous avons perdu contact trois minutes après le décollage", a précisé dimanche un responsable de Bellview à l'aéroport de Lagos. Les raisons de la chute de l'appareil sont encore inconnues.

Selon les autorités aéroportuaires, l'avion a disparu des radars au dessus de l'Atlantique peu après avoir décollé et effectué un virage au sud du port de Lagos pour prendre la direction du nord au dessus des terres. La porte-parole de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), Adrienne Diop, a de son côté indiqué que des responsables de l'organisation régionale se trouvaient à bord : "Nous sommes en train de prévenir les familles.", a-t-elle déclaré.

Des premières informations avaient fait croire que l'appareil avait pu s'abîmer en mer et du coup les autorités avaient envoyé des hélicoptères au dessus de l'océan pour entamer des recherches.Ce n'est que de longues heures plus tard que l'appareil a été localisé sur la terre ferme.Dans un communiqué le président nigérian Olusegun Obasanjo a indiqué avoir appris la nouvelle de la catastrophe avec "une immense tristesse".

Bellview Airlines est une compagnie aérienne privée assurant des vols à l'intérieur du Nigeria et en Afrique de l'Ouest. De nombreux hommes d'affaires internationaux et des diplomates empruntent régulièrement la ligne entre Lagos et Abuja. Plusieurs compagnies privées aériennes du Nigeria sont considérées comme peu sûres par les voyageurs étrangers. Bellview Airlines est en revanche considérée comme offrant des conditions de sécurité satisfaisantes.

Le Nigeria a été le théâtre de nombreuses catastrophes aériennes, dont une en mai 2002 qui avait vu un avion de ligne s'écraser sur l'aéroport de Kano faisant 149 morts, dont les 115 personnes se trouvant à bord.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 23.10.05 | 09h35
Mis à jour le 23.10.05 | 19h13

POUR INFORMATION. Ci-après, encore un doublet «je me précipite sur l'info puis je me rétracte». On prête à je ne sais plus quel grand directeur de journal, peut-être Pierre Lazareff (on ne prête quaux riches…) un aphorisme de ce genre: «une fausse nouvelle ça fait deux informations: l'article initial puis le démenti».


Le Monde / Europe
Un cas de grippe aviaire a été enregistré en Suède

 D es tests effectués en Suède sur un canard mort à Eskilstuna (ouest de Stockholm) ont révélé qu'il était porteur du virus de la grippe aviaire, mais il est trop tôt pour indiquer s'il s'agit de l'agent hautement pathogène H5N1, a indiqué samedi soir l'Institut vétérinaire national (SVA). "Nous savons qu'il s'agit de la grippe. Nous devons maintenant continuer et vérifier s'il s'agit du type H5", a indiqué à l'AFP Berndt Klingeborn, responsable de la virologie à l'institut.

LA RÉPONSE DIMANCHE APRÈS-MIDI

L'examen de quatre des sept canards trouvés morts vendredi à Eskilstuna a été confié à l'institut, et les tests ont révélé que l'un d'entre eux portait le virus de la grippe, a expliqué M. Klingeborn, qui n'a pas souhaité indiquer ce qu'il est advenu des trois autres bêtes.

Il sera possible de déterminer s'il s'agit d'un virus de type H5 dimanche après-midi. "Nous saurons alors s'il s'agit d'un virus agressif tel celui révélé en Asie et en Turquie", a-t-il précisé. Selon M. Klingeborn, qui est également professeur associé à l'Institut vétérinaire national, il ne s'agit pour l'instant pas d'une découverte inhabituelle, étant donné qu'"environ 25 %" des canards testés en Suède ont la grippe.

"Ceci est habituel. Environ un oiseau sur quatre de ce type porte le virus de la grippe", a-t-il poursuivi. "Il y en a moins qui ont le H5. Il y a eu des cas auparavant de type atténué du H5", qui diffère de sa forme asiatique hautement pathogène, a précisé M. Klingeborn.

Si les examens révèlent dimanche que le canard mort porte un virus de type H5, des analyses supplémentaires seront faites, "pour déterminer s'il s'agit du (virus) H5N1. Cela prend environ 10 jours", avait précisé M. Klingeborn à l'agence de presse suédoise TT samedi soir.

PAS DE CHANGEMENT DANS LA POLITIQUE DE PRÉVENTION

La Direction suédoise de l'agriculture a pour sa part estimé que les premiers résultats des analyses révélés samedi n'impliquent pas une modification des recommandations de sécurité dans le cadre de la prévention de la contamination d'oiseaux en Suède.

"Il ne s'agit que d'une réponse partielle", a estimé samedi soir Robert ter Horst, en charge de l'unité de lutte contre les maladie contagieuses à la Direction nationale agricole, cité par TT. "Cela n'est pas quelque chose qui nous pousse à croire qu'il faut changer nos recommandations", a-t-il affirmé.

A l'heure actuelle, la Direction nationale agricole n'a pas imposé aux propriétaires de volailles de les enfermer, comme l'ont par exemple fait les autorités voisines de la Norgège. L'institution a recommandé vendredi aux propriétaires de volailles dans les régions suédoises de Gijtaland (sud) et de Svealand (Stockholm et environs) de réduire les risques de contacts de leurs bêtes avec des oiseaux sauvages et de les rentrer si cela est possible.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 23.10.05 | 07h33


Le Monde / Europe
Le virus de la grippe détecté en Suède n'est pas de type H5N1

 D es examens ont révélé que le virus détecté chez un canard mort en Suède n'est pas hautement pathogène et n'est donc pas le H5N1, qui fait craindre au monde une épidémie de grippe aviaire, a indiqué, dimanche 23 octobre, l'agence de presse suédoise TT citant la Direction nationale agricole.

"Le canard mort à Eskilstuna (ouest de Stockholm) (...) était porteur d'un variant atténué du virus, ont révélé les résultats des analyses de l'Institut vétérinaire national", écrit l'agence. "Cela implique que le virus agressif de la grippe aviaire qui se trouve en Asie et en Russie et qui a atteint la Roumanie et la Turquie n'était pas présent dans ce canard", poursuit l'agence de presse.

Des premiers tests sur ce canard mort à Eskilstuna (ouest de Stockholm) affirmaient qu'il était porteur du virus de la grippe aviaire,sans pouvoir certifier qu'il s'agissait du H5N1. L'examen de quatre des sept canards trouvés morts vendredi à Eskilstuna a été confié à l'institut vétérinaire national (SVA) , et les tests ont révélé que l'un d'entre eux portait le virus de la grippe, a expliqué M. Klingeborn, de l'institut, qui n'a pas souhaité indiquer ce qu'il est advenu des trois autres bêtes.

PAS DE CHANGEMENT DE LA POLITIQUE DE PRÉVENTION

Selon lui, il ne s'agit pour l'instant pas d'une découverte inhabituelle, étant donné qu'"environ 25 %" des canards testés en Suède ont la grippe. "Ceci est habituel. Environ un oiseau sur quatre de ce type porte le virus de la grippe", a-t-il poursuivi. "Il y en a moins qui ont le H5. Il y a eu des cas auparavant de type atténué du H5", qui diffère de sa forme asiatique hautement pathogène, a précisé M. Klingeborn.

La Direction suédoise de l'agriculture avait estimé, dimanche matin, que les premiers résultats des analyses révélés n'impliquaient pas de modifications des recommandations de sécurité dans le cadre de la prévention de la contamination d'oiseaux en Suède.

A l'heure actuelle, la Direction nationale agricole n'a pas imposé aux propriétaires de volailles de les enfermer, comme l'ont par exemple fait les autorités voisines de la Norvège.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 23.10.05 | 07h33
Mis à jour le 23.10.05 | 15h38


Le Monde / Europe
Des associations demandent que le Tamiflu devienne un générique

 A près les antirétroviraux le Tamiflu ? L'association Act Up de lutte contre le sida et le Act Up et le Réseau pour l'accès médicaments essentiels du Burkina Faso ont, vendredi 21 octobre, exhorté la multinationale pharmaceutique Roche à autoriser la production en générique de Tamiflu afin notamment d'aider à la constitution de stocks de cet antiviral dans les pays africains. Cette initiative fait suite à la décision des responsables de Roche d'accorder des licenses secondaires pour le développement de la production mondiale de ce médicament antiviral, tenu pour être efficace contre le virus grippal qui pourrait être à l'origine d'une pandémie.

"Pour les pays africains, qui n'ont pas pu faire de stocks de Tamiflu, qui voient déjà les oiseaux migrateurs arriver des régions contaminées et qui connaissent les plus hautes prévalences à VIH, il n'y a plus le temps de discuter : Roche doit immédiatement autoriser et faciliter le lance ment sans conditions d'une pro duction générique du Tamiflu" , font valoir les deux associations.

Ces dernières observent que les personnes infectées par le virus du du sida sont particulièrement exposée au risque mortel de contracter une infection par un virus de la grippe hautement pathogène. "En France, l'Etat recommande un accès prioritaire au Tamiflu pour les malades du sida, mais que va t-il arriver aux millions de malades qui vivent en Afrique ?" interrogent ces deux associations.

LICENCES SECONDAIRES

Elles réclament de ce fait que Roche " abandonne immédiatement tous ses droits exclusifs sur le Tamiflu dans les pays en développement" et "donne aux fabricants de génériques accès à tous ses secrets de fabrication et d'assurance de qualité concernant le Tamiflu."

Auprès de la multinationale on indiquait, vendredi, être favorable à la production de Tamiflu sous licences secondaires mais nullement à la production de Tamiflu générique.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 23.10.05


Le Monde / Europe
L'épizootie de grippe aviaire continue sa progression dans l'est du continent européen

Le prix des plumes de coq s'envolent avec la grippe aviaire asiatique. Photo prise le 19 octobre 2005 à Seclin d'un coq de race Legorn dans une basse-cour. | AFP/PHILIPPE HUGUEN
AFP/PHILIPPE HUGUEN
Le prix des plumes de coq s'envolent avec la grippe aviaire asiatique. Photo prise le 19 octobre 2005 à Seclin d'un coq de race Legorn dans une basse-cour.

 D ans la nuit du 21 au 22 octobre, les responsables de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afass) ont recommandé aux pouvoirs publics un renforcement des dispositifs de surveillance de la faune sauvage. Cette mesure a été prise au vu des derniers éléments épidémiologiques témoignant de la progression continue de l'épizootie de grippe aviaire sur le continent européen. Maintenant les conclusions de sa dernière analyse, l'Afssa ne recommande toutefois aucune mesure de confinement des volailles du type de celles qui viennent d'être prises en Autriche et en Allemagne.

Dans la matinée du 22 octobre, les autorités sanitaires russes ont annoncé la découverte d'un nouveau foyer épizootique en Oural, dans la région de Tcheliabinsk. Une trentaine d'oiseaux ont été retrouvés morts dans le village de Sunali et le diagnostic de grippe aviaire aurait déjà pu être porté pour six d'entre eux. La veille, les responsables des services vétérinaires russes avaient fait savoir qu'ils redoutaient l'extension géographique de l'épizootie de grippe aviaire dans les régions de Novossibirsk et de Kourgan, en Sibérie, ainsi que dans la région de Stavropol.

Depuis l'émergence de la maladie animale en juillet, sept régions de Russie ont été touchées et l'épizootie a pu être jugulée dans quatre d'entre elles (Altaï, Tcheliabinsk, Omsk et Tioumen) grâce à des mesures draconiennes d'abattage et de mise en quarantaine recommandées par l'Office international des épizooties et de la FAO. Nikolaï Vlassov, chef adjoint du département du contrôle vétérinaire du ministère russe de l'agriculture, a, vendredi 21 octobre, qualifié de "minime" le risque que la grippe aviaire puisse apparaître dans Moscou et ses environs.

La Commission européenne a pour sa part décidé d'interdire toutes les importations d'oiseaux de compagnie et de plumes en provenance de Russie, cette mesure ne concernant toutefois pas Kaliningrad et les régions russes situées en bordure de la Finlande. Une mesure d'embargo similaire sera prise, d'autre part, par Bruxelles vis-à-vis de la Croatie après la découverte du virus de la grippe aviaire sur six cygnes retrouvés morts près d'un lac dans l'est du pays.

En Roumanie les résultats des analyses effectuées par les experts britanniques du laboratoire de Weybridge ont confirmé l'existence d'un deuxième foyer épizootique dû au virus H5N1 d'origine asiatique. Ce foyer est situé à Maliuc, dans le delta du Danube, à une soixantaine de kilomètres au nord de Ceamurlia de Jos, où un premier foyer avait été identifié le 12 octobre. Les autorités sanitaires roumaines ont affirmé, vendredi 21 octobre, que la situation était désormais sous contrôle.

Le même jour, les autorités britanniques ont révélé qu'un perroquet mort importé du Suriname était porteur du virus de la grippe aviaire. "Ce cas confirmé de grippe aviaire ne remet pas en question le statut du Royaume-Uni de pays non touché par la grippe aviaire, car la maladie a été identifiée sur un animal importé et placé en quarantaine", a aussitôt précisé le ministère britannique de l'agriculture.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 23.10.05


Le Monde / Europe
Le virus découvert en Grande-Bretagne sur un perroquet est bien le H5N1

 L e virus de la grippe aviaire découvert sur un perroquet mort importé d'Amérique du Sud en Grande-Bretagne est bien le H5N1, a annoncé dimanche soir le Département pour l'environnement, l'alimentation et les affaires rurales (DEFRA).

"Nous avons établi que la souche du virus est le H5N1", a déclaré Debby Reynolds, la responsable du département vétérinaire. La souche la plus proche du virus découvert sur le perroquet "est une souche indentifiée sur des canards en Chine cette année", précise le Defra dans un communiqué.

"Il n'est pas très similaire aux souches découvertes en Roumanie et en Turquie", ajoute-t-il, en précisant que "ce n'est pas une souche que le (laboratoire) a rencontrée auparavant".

Les tests ont été effectués par le laboratoire vétérinaire central britannique de Weybridge, (Surrey, sud-ouest). C'est ce laboratoire qui a découvert la trace du virus H5N1 de la grippe aviaire dans des échantillons provenant de Turquie et de Roumanie. Il est l'un des centres de référence mondiaux pour les maladies animales.

Le perroquet en question avait été importé d'Amérique du Sud et était arrivé sur le sol britannique à la mi-septembre. Il avait été immédiatement placé en quarantaine, dans le cadre de la procédure normale visant les animaux importés en Grande-Bretagne.

Le virus de la grippe aviaire qui a frappé l'Asie, provoquant la mort de plus de soixante personnes, était une forme du virus H5N1.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 23.10.05 | 20h49


Le Monde / International
Les Nations unies s'apprêtent à hausser le ton face à la Syrie

 L e Conseil de sécurité de l'ONU, qui doit discuter mardi des suites à donner au rapport, accablant pour la Syrie, du procureur Mehlis sur l'assassinat de Rafic Hariri, devrait au minimum exiger la pleine coopération de Damas à la suite de l'enquête. Néanmoins, il ne devrait pas être question de sanctions, au moins dans un premier temps, selon les déclarations faites, lundi 24 octobre, par plusieurs diplomates siégeant au Conseil.

Les Pays-Bas prêts à accueillir un procès international

A l'issue d'un entretien avec la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice, le ministre néerlandais des affaires étrangères, Bernard Bot, a affirmé que son pays serait prêt à organiser un procès international. "Nous avons évoqué la Syrie parce que nous pensons qu'après toutes les révélations au sujet de l'implication de hauts responsables dans le meurtre de Hariri, il faut faire quelque chose".  Les Pays-Bas abritant le Tribunal international de La Haye, "s'il y a une extradition, bien sûr, nous serons obligés" de faciliter un procès, a précisé le ministre. "Nous partageons le sentiment des Etats-Unis que les coupables doivent être traduits en justice", a-t-il conclu, mais "nous ne pouvons travailler que si les suspects sont extradés". (AFP)

Lundi matin, aucun projet de résolution n'était encore rédigé et les pays membres du Conseil en étaient encore au stade des consultations entre eux et avec leurs capitales, ont indiqué les diplomates. Les Etats-Unis ont exprimé en termes très clairs l'intention d'accentuer la pression sur Damas pour qu'il coopère à l'enquête. "Nous allons certainement insister sur une totale coopération de la part de la Syrie. L'heure est venue des vraies confessions pour le gouvernement syrien. Plus d'obstruction, plus de demi-mesures, nous voulons une coopération substantielle et nous la voulons immédiatement" , a averti John Bolton, ambassadeur américain à l'ONU. Il a estimé qu'il existait "un haut degré d'unité d'objectifs" au sein du Conseil pour exiger cela du gouvernement syrien.

A la question de savoir si la France et les Etats-Unis étaient prêts à déposer un projet de résolution dès cette semaine, M. Bolton a répondu : "Nous aimerions agir aussi vite que possible", tout en soulignant la nécessité de mener des consultations avec tous les Etats membres.

RÉUNION MINISTÉRIELLE LUNDI PROCHAIN ?

Le porte-parole du département d'Etat américain, Sean McCormack, a souhaité que le Conseil de sécurité tienne, lundi 31 octobre, une réunion ministérielle. D'ici là, "les ministres auront eu l'opportunité" de discuter entre eux des suites à donner au rapport de Detlev Mehlis.

Le mandat de la commission internationale d'enquête, présidée par le magistrat allemand Detlev Mehlis, a été prolongé jusqu'au 15 décembre, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, ayant donné son feu vert dans une lettre accompagnant le rapport. La résolution 1595, qui créait cette commission pour une période de trois mois renouvelable une fois, avait prévu cette prolongation automatique, sous réserve de l'aval de M. Annan.

"Nous voulons la vérité" sur l'assassinat de Rafic Hariri, a déclaré pour sa part l'ambassadeur de France, Jean-Marc de La Sablière, ajoutant que le Conseil allait devoir "mettre tout son poids" pour l'obtenir. Il a indiqué que les consultations portaient sur "une réponse efficace" du Conseil à la situation créée par le rapport Mehlis.

Interrogé pour savoir s'il prévoyait une première résolution qui irait au-delà de l'exigence d'une pleine coopération et menacerait Damas de sanctions, M. de La Sablière a simplement répondu : "Non, ce qui est important est d'avoir une réponse efficace et nous y travaillons".

MANIFESTATIONS EN SYRIE

Plusieurs dizaines de milliers de Syriens scandant des slogans hostiles aux Etats-Unis ont manifesté lundi à Damas et Alep pour dénoncer les conclusions du rapport de l'ONU. Les manifestants, descendus dans la rue à l'initiative du gouvernement, brandissaient des drapeaux syriens et des portraits du président Assad. Ils accusaient d'exercer des pressions sur les enquêteurs afin de punir la Syrie pour son attitude à l'égard d'Israël et son opposition à la guerre en Irak. "Nous n'avons pas peur de l'Amérique, à bas l'Amérique", ont scandé de jeunes manifestants.

D'autres brandissaient des banderoles portant l'inscription : "La Syrie n'est pas un nouvel Irak" et "La Syrie ne s'agenouillera pas face à l'Amérique".

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 24.10.05 | 20h14


Le Monde / International
Rapport Mehlis : Paris n'évoque pas de sanctions contre la Syrie

 A lors que le conseil de sécurité devrait se réunir lundi 31 octobre pour étudier la réaction de l'ONU au rapport Mehlis, les autorités françaises souhaitent l'adoption d'une résolution aux Nations unies pour exiger de la Syrie qu'elle coopère à l'enquête internationale sur l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri. Le ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a toutefois estimé, lundi 24 octobre, qu'il était prématuré d'évoquer la question d'éventuelles sanctions contre les autorités de Damas, avant la fin de l'enquête indépendante du juge allemand Detlev Mehlis, prolongée jusqu'au 15 décembre.

John Bolton veut des "vraies confessions" de la Syrie

Après la publication du rapport de la commission Mehlis sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, l'heure des "vraies confessions" est venue pour la Syrie, a déclaré, lundi, l'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU, John Bolton. "Nous allons certainement insister sur une totale coopération de la part de la Syrie. (...) Plus d'obstruction, plus de demi-mesures, nous voulons une coopération substantielle et nous la voulons immédiatement", a-t-il dit à la presse. M. Bolton faisait référence à une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, prévue mardi 25 octobre, lors de laquelle le dossier libano-syrien doit être examiné.

"Ne donnons pas l'impression d'une quelconque arrière-pensée politique (...). Dans un premier temps, la justice, toute la justice, rien que la justice", a-t-il dit lors de sa conférence de presse mensuelle. "Il faut donner au juge Mehlis tous les moyens pour faire avancer le plus efficacement possible ses investigations [et] exiger des autorités syriennes qu'elles apportent toute leur coopération à cette enquête", a souligné Philippe Douste-Blazy. Autour "de ces deux lignes directrices", Paris souhaite "aboutir rapidement à un accord sur un texte de résolution dont nous espérons qu'il pourra être adopté à l'unanimité" par le Conseil de sécurité de l'ONU. Celui-ci doit examiner les conclusions de l'enquête Mehlis, mardi 25 octobre.

"PAS DE DIFFICULTÉ" SUR LA QUESTION SYRIENNE

"Nous souhaitons que la Syrie coopère. Si elle ne le fait pas il faudra en tirer les conséquences [qui seront] à la hauteur des résultats de la commission Melhis", a prévenu le ministre des affaires étrangères. "Si vous restez sur le droit, l'unanimité de la communauté internationale sera là, y compris certains pays arabes", a-t-il assuré, précisant que Paris n'avait "pas de difficulté" sur la question syrienne avec les Etats-Unis, qui, comme la Grande-Bretagne, exigent une action contre Damas.

Le rapport d'enquête de l'ONU, rédigé sous la direction du magistrat allemand Detlev Mehlis, a conclu que la décision de tuer Rafic Hariri "n'aurait pu être prise sans l'approbation de responsables de haut rang des services de sécurité syriens", en collusion avec leurs homologues libanais. En réaction à cette conclusion, des milliers de Syriens scandant des slogans hostiles aux Etats-Unis se sont rassemblés, lundi, à Damas pour protester contre la mise en cause du régime de Bachar Al-Assad dans l'assassinat de Rafic Hariri.

"EXCUSEZ-MOI M. MEHLIS"

Les manifestants accusent les Etats-Unis d'exercer des pressions sur les enquêteurs de l'ONU afin de punir la Syrie pour son attitude à l'égard d'Israël et son opposition à la guerre en Irak."Nous n'avons pas peur de l'Amérique, à bas l'Amérique", ont scandé des jeunes Syriens. D'autres ont brandi des banderoles portant l'inscription : "La Syrie n'est pas un nouvel Irak". "Excusez-moi M. Mehlis, le rapport ne m'a pas convaincu et il sert uniquement les intérêts sionistes et américains", était-il écrit sur une autre banderole.

D'après des témoins, plusieurs milliers de ces manifestants ont été poussés dans la rue par les autorités, notamment des jeunes et des fonctionnaires, tandis que les établissements scolaires ont autorisé leurs élèves à participer à la manifestation.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 24.10.05 | 17h11


Le Monde / Aujourd'hui
Les glaces du Groenland et de l'Antarctique fondent-elles ou s'accumulent-elles ?

 S i les glaces du Groenland venaient à fondre, le niveau des mers s'élèverait de 7 mètres. Si l'on y ajoutait la calotte antarctique, il monterait de 70 mètres. Une telle masse ne se liquéfierait pas en moins d'un millénaire, prédisent les modèles. Pour le Groenland, ils estiment aussi que ce phénomène pourrait commencer à se produire avant la fin du siècle, si le climat sur ce continent blanc se réchauffe de seulement 3 degrés.

Pourtant, comme souvent en climatologie, les choses ne sont pas si simples, ainsi que le rappellent deux études parues dans la revue Science du 21 octobre. Dans l'une, Richard Alley (Pennsylvania State University) et trois autres climatologues dressent un bilan des recherches conduites ces dernières années sur l'évolution des glaces polaires, tant au Groenland qu'en Antarctique, et son impact sur le niveau des mers. Ils concluent que tant les mesures directes que les modèles manquent de précision "et ne sont pas capables d'évaluer si les changements en cours représentent des perturbations mineures en voie de stabilisation, ou un changement majeur qui pourrait affecter notablement le niveau des océans".

Cette conclusion prudente tient au fait que le réchauffement de l'atmosphère favorisé par l'accumulation de gaz à effet de serre a des effets divers selon les zones considérées : fonte des glaces d'un côté, mais augmentation des précipitations neigeuses de l'autre, par exemple. C'est le cas au Groenland, comme le montre le deuxième article de Science, signé par Ola Johannessen de l'université de Bergen (Norvège) et des collègues norvégien, américain et russe.

Les chercheurs ont analysé les mesures altimétriques effectuées par les satellites ERS-1 et ERS-2 entre 1992 et 2003 sur l'inlandsis groenlandais. "Une élévation de 6,4 centimètres par an a été constatée dans les vastes zones intérieures situées au-dessus de 1 500 mètres d'altitude", écrivent-ils. Sous cette limite, la glace perdait 2 cm d'épaisseur par an en moyenne. Le bilan de ces phénomènes antagonistes reste cependant positif, l'épaisseur moyenne ayant crû de 60 centimètres en onze ans.

CONFUSION

Cette évolution est corrélée, pour les périodes hivernales, avec l'oscillation nord-atlantique (NAO), un phénomène qui désigne les variations de pression sur l'Atlantique nord entre l'anticyclone des Açores et la dépression d'Islande. Les vents d'ouest qui atteignent la France dépendent de cette différence de pression. Lorsque l'indice NAO est positif, ils sont forts et apportent de l'humidité sur l'Europe. C'est l'inverse quand l'indice est négatif, l'Europe étant soumise à l'influence froide de l'anticyclone de Sibérie, tandis que l'humidité a alors tendance à se transformer en neige en altitude.

"Cependant, la NAO n'explique que les trois quarts des changements d'élévation de la glace , reconnaissent Ola Johannessen et ses collègues. On ne peut que spéculer sur les autres facteurs." L'équipe indique en outre que l'altimétrie par satellite ne rend pas bien compte de l'évolution des franges du Groenland et notamment des exutoires des glaciers. "L'ablation" de ces zones pourrait dépasser l'élévation constatée à l'intérieur.

Cette nouvelle étude "n'apporte que peu de chose au débat, sinon de la confusion" , juge Eric Rignot du Jet Propulsion Laboratory à Pasadena (Californie). Ses dernières observations de terrain montrent au contraire que la perte de masse glaciaire au Groenland est 50 % plus élevée que ce qu'indiquent les études publiées jusqu'alors. "Les glaciers accélèrent , insiste-t-il, et la plus grande partie de l'érosion se passe dans une région de 20 à 30 km le long des côtes glacières, où l'altimétrie radar ne marche pas."

Eric Rignot n'est pas plus tendre pour l'autre article de Science, notamment concernant l'Antarctique, "traité comme un gros glaçon qui fond un peu et reçoit beaucoup de neige". Les auteurs n'insistent, selon lui, pas assez sur l'accélération des glaciers, qui ne sont plus "tenus en laisse" par des bouchons de glace de mer, disloqués par un océan circumpolaire plus chaud. "Je regarde les glaciers du Groenland et d'Antarctique depuis quinze ans, les changements sont profonds au Groenland, importants en Antarctique ouest, note le chercheur. Les enfouir sous le couvert de l'inconnu des changements à long terme n'est pas une démarche scientifique, mais une opinion visant sans doute à rassurer."

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 23.10.05


Le Monde / Europe
Article interactif
Grippe aviaire : mobilisation internationale à Ottawa, Bruxelles proposera un embargo temporaire sur les oiseaux sauvages
  1. Bruxelles va proposer un embargo temporaire sur les oiseaux sauvages
  2. Nouveaux cas en Russie occidentale
  3. Conférence internationale sur la lutte contre la pandémie

1 - Bruxelles va proposer un embargo temporaire sur les oiseaux sauvages

 L a Commission européenne va proposer d'instaurer un "embargo temporaire" sur les importations, dans l'UE, des oiseaux sauvages vivants en provenance du reste du monde, a annoncé, lundi 24 octobre à Luxembourg, le commissaire européen à la santé, Markos Kyprianou.

Bruxelles va suggérer, mardi, aux experts vétérinaires des vingt-cinq Etats membres de l'UE "une interdiction générale, pas seulement pour un pays spécifique, des importations d'oiseaux sauvages qui ont été capturés", a annoncé le commissaire lors d'une conférence de presse.

Le Royaume-Uni avait demandé un tel embargo à la suite de la découverte en Grande-Bretagne d'un perroquet en quarantaine atteint du virus de la grippe aviaire. L'interdiction que la Commission proposera, mardi, touche les oiseaux sauvages importés à des fins commerciales, donc pour être vendus, pas les oiseaux que les particuliers rapporteraient individuellement, a précisé son porte-parole, Philip Tod.

Pour ces oiseaux "domestiques" rapportés par des particuliers, la Commission proposera cependant des "contrôles" renforcés, a annoncé M. Kyprianou.

Avec AFP


2 - Nouveaux cas en Russie occidentale

 U n nouveau foyer de grippe aviaire a été détecté, lundi 24 octobre, dans la partie européenne de la Russie, et les autorités croates ont annoncé qu'elles abattraient davantage de volailles après avoir retrouvé deux cygnes qui pourraient avoir péri de la même maladie.

Au total, douze poules sont mortes de la grippe aviaire dans une datcha privée de Tambov, à 400 km au sud-est de Moscou. Les autorités ont tué une cinquantaine de volailles dans cette zone, qui a été placée en quarantaine, ont annoncé des responsables locaux de la santé.

Depuis son apparition en 2003 en Corée du Sud, le virus H5N1 a tué une soixantaine de personnes dans quatre pays d'Asie du Sud-Est. Les experts du secteur de la santé craignent qu'il n'évolue en un virus capable de se transmettre entre les humains, ce qui pourrait entraîner une épidémie très meurtrière.

Avec Reuters


3 - Conférence internationale sur la lutte contre la pandémie

 D es ministres de la santé et experts d'une trentaine de pays se sont réunis à Ottawa, lundi 24 octobre, pour étudier les moyens de faire face à une pandémie de grippe, qui pourrait être provoquée par la progression actuelle du virus de la grippe aviaire. "La question fondamentale est qu'aucun pays ne peut traiter ce problème tout seul. Le monde doit s'unir. C'est le but de cette réunion", a déclaré le premier ministre canadien, Paul Martin, lors d'une conférence de presse, lundi matin.

Les dirigeants de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de la FAO (organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture) participent aussi à cette conférence, qui a commencé en fin d'après-midi lundi et se tient à huis clos. Dans une tribune publiée dans le Ottawa Citizen, le directeur général de la FAO, Jacques Diouf, a estimé que la progression vers l'ouest du virus de la grippe aviaire était un "problème international qui requiert une réponse mondiale".

Il a lancé un appel de fonds pour tenter de maîtriser l'épizootie à sa source, demandant 175 millions de dollars pour un programme de surveillance et de vaccination de la volaille dans les pays, où la grippe aviaire est endémique.

La conférence d'Ottawa se tient alors que le virus de la grippe aviaire H5N1 a été découvert sur un perroquet importé d'Amérique du Sud, qui avait été mis en quarantaine en Grande-Bretagne. Cette découverte a suscité des appels à l'interdiction de l'importation d'oiseaux vivants dans l'Union européenne. La présence d'un autre virus de la maladie a d'autre part été confirmée en Croatie.

COORDINATION AVEC LES PAYS DU SUD

Ces développements devraient être évoqués par les ministres et experts réunis à Ottawa. Les autorités canadiennes ont toutefois souligné que la rencontre ne porterait pas seulement sur la grippe aviaire mais aussi sur une possible pandémie de grippe humaine, dont les experts craignent qu'elle ne tue des millions de personnes dans le monde entier.

La conférence vise à "stimuler la collaboration et la coordination à l'échelle mondiale en prévision d'une pandémie de grippe", ont indiqué les organisateurs. Ministres et experts doivent notamment débattre des moyens d'améliorer la détection et la réponse à une pandémie de grippe ainsi que de la mise au point de vaccins et d'antiviraux, et de l'accès des populations à ceux-ci. "L'une des principales questions à laquelle la conférence d'Ottawa est confrontée est de savoir comment les pays sous-développés ou en développement vont pouvoir faire face à une pandémie si elle commence chez eux", a déclaré sur la chaîne CTV, Neil Rau, un spécialiste des maladies infectieuses.

Dans cette perspective, le Canada a annoncé son intention de soutenir une proposition du ministre mexicain de la santé suggérant que les pays riches partagent leurs vaccins – lorsqu'ils seront mis au point – avec les pays pauvres en cas de pandémie.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 24.10.05 | 18h52


Le Monde / Europe
David Nabarro, coordinateur des agences des Nations unies concernées par l'épizootie
Grippe aviaire : "L'urgence sanitaire mondiale est de juguler la maladie chez les animaux"

 F ace à la progression de l'épizootie de grippe aviaire, des experts font valoir que les pays industrialisés ont tort de se limiter au stockage de médicaments antiviraux et de ne pas accentuer la lutte contre la maladie animale. Quel rôle jouent les agences de l'ONU ?
On pourrait, de façon schématique, dire que la FAO -Organisation pour l'alimentation et l'agriculture- ne songe qu'à la santé vétérinaire et à la lutte contre le virus H5N1 là où cet agent hautement pathogène sévit sur un mode endémique. Et l'on pourrait penser que l'OMS -Organisation mondiale de la santé- ne fait, ici, qu'inciter les gouvernements au stockage de médicaments antiviraux et au développement de vaccins.
En pratique, il en va autrement. Je rentre du Vietnam et de Chine, et j'ai constaté qu'il n'y a, sur le terrain, aucune opposition. Les actions de médecine vétérinaire et de médecine humaine doivent être menées de front. Il faut à la fois combattre la grippe aviaire et se protéger contre le risque de pandémie de grippe humaine puisque l'on sait que cette dernière surviendra, même si l'on ne sait pas quand et où.

Dispose-t-on, à l'échelon international, des ressources nécessaires pour mener la lutte sur les deux fronts ?
Il est essentiel de dire que nous n'avons pas, aujourd'hui, assez de fonds et d'aide pour lutter contre l'épizootie. C'est d'autant plus inquiétant que cette épizootie continue à sévir en Asie, progresse en Europe et pourrait atteindre l'Afrique. Or, plus l'épizootie progresse, plus la réplication du virus H5N1 s'intensifie et le risque d'émergence d'un virus grippal mutant et d'une pandémie s'élève. L'urgence sanitaire mondiale est de juguler la maladie chez les animaux, de développer notre action sur le front vétérinaire pour protéger l'espèce humaine.

Faut-il soutenir l'action de la FAO ?
Les gouvernements et les responsables politiques sont généralement beaucoup plus sensibles aux risques sanitaires concernant l'espèce humaine qu'à la santé des animaux. Mais les experts et les techniciens sont au-dessus des questions politiques, et ils doivent faire comprendre aux responsables que la lutte contre l'épizootie doit être une priorité absolue. La FAO avait, dans un premier temps, évalué les sommes nécessaires à 100 millions de dollars. Je pense aujourd'hui qu'il vaut mieux tabler sur 180 millions de dollars. Or cette agence n'a, pour l'heure, réuni qu'une trentaine de millions de dollars. L'urgence sanitaire mondiale est de trouver, dans les quatre semaines, 150 millions de dollars pour juguler la maladie chez les oiseaux.

Si cette somme est réunie, peut-on envisager l'éradication du virus H5N1 ?
En vérité, il sera désormais très difficile d'obtenir l'éradication planétaire de la grippe aviaire parce que ce virus a atteint les oiseaux sauvages. Il peut désormais emprunter les grandes voies de migration nord-sud des oiseaux.

A-t-on la preuve que les oiseaux migrateurs jouent un rôle dans la dissémination du virus ?
Il est difficile de faire la preuve scientifique permettant d'affirmer que les récents foyers épizootiques en Chine, en Mongolie, en Sibérie, en Turquie et en Roumanie sont dus aux oiseaux migrateurs. Il y a cependant un consensus qui s'établit sur ce thème parmi les experts. On peut réduire le risque en luttant de manière systématique contre chaque foyer épizootique, par abattage et mise en quarantaine et en protégeant les volailles domestiques par vaccination. Nous pouvons contrôler la situation mais sans doute plus envisager l'éradication.

Voulez-vous dire que nous allons devoir apprendre à vivre avec cela ?
Oui. Pour l'heure c'est le constat que nous nous devons de faire, sans céder au défaitisme. L'urgence est d'intensifier la lutte en obtenant que les pays industriels fournissent le financement et que les pays pauvres donnent une priorité politique à cette lutte contre la maladie animale. Il faut vaincre, et ce n'est pas simple, les réflexes nationalistes : fermer les frontières ne sert à rien.
On commence à percevoir les signes d'un esprit de coopération aux Etats-Unis, dans l'Union européenne et en Chine. Il faut aussi une coopération, à l'échelon national, entre les agences chargées de la santé humaine et de la santé vétérinaire. Cela commence à être le cas dans les pays concernés comme le Vietnam, la Thaïlande ou la Chine. Il faut enfin un financement équitable entre le Nord et le Sud. Sans ces trois conditions, il sera impossible de lutter.

Propos recueillis par Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 25.10.05


Le Monde / Europe
Londres demande un embargo européen sur les oiseaux sauvages de compagnie

 L e Royaume-Uni, qui assume jusque fin décembre la présidence tournante de l'Union européenne a appelé, samedi 22 octobre, ses vingt-quatre partenaires à décréter un embargo sur les oiseaux sauvages de compagnie en provenance du reste du monde. Selon les responsables britanniques du Département pour l'environnement, l'alimentation et les affaires rurales, la Commission européenne serait dores et déjà favorable à une telle mesure, qui pourrait être prise dès le mardi 25 octobre. Les importations de volailles, considérées comme des oiseaux domestiques, resteraient autorisées.

Cette initiative fait suite à la découverte en Grande-Bretagne d'un cas de grippe aviaire due à un virus initialement identifié comme étant de sous-type H5 chez un perroquet en quarantaine en provenance du Suriname et retrouvé mort il y a quelques jours. Des analyses virologiques approfondies ont permis, dimanche, d'affirmer qu'il s'agissait bien d'un virus H5N1. Selon les responsables vétérinaires britanniques, ce perroquet pourrait avoir été contaminé pendant son séjour en quarantaine, obligatoire à l'arrivée sur le sol européen et d'une durée trente jours.

Cet oiseau faisait partie d'un groupe de 148 volatiles arrivés en Grande-Bretagne le 16 septembre et placés, au nord-est de Londres, à proximité d'oiseaux en provenance de Taïwan. A ce jour, aucun foyer épizootique de grippe aviaire du type H5N1 n'a été détecté en Amérique du Sud. Après celui récent de deux aigles importés en Belgique et retrouvés porteurs du virus H5N1 le cas du perroquet du Suriname arrivé au Royaume-Uni témoigne de l'importance à accorder aux contrôles sanitaires des oiseaux sauvages importés. La Commission européenne estimait, jusqu'à présent, qu'imposer une interdiction généralisée des importations d'oiseaux de compagnie serait contre-productif, dans la mesure où cela pourrait favoriser "l'apparition d'un marché noir échappant à tout contrôle sanitaire" . Mais l'épisode du perroquet a conduit la Société royale britannique pour la prévention contre la cruauté sur les animaux et la Société royale pour la protection des oiseaux à demander conjointement un embargo européen.

MISSION EN ASIE

Des experts britanniques du Medical Research Council vont, de leur côté, partir, lundi 24 octobre, pour une mission de dix jours qui les conduira en Chine, au Vietnam et à Hongkong. Ils ont pour objectif d'examiner de quelle manière sont organisées la surveillance et la lutte contre l'épizootie dans ces trois pays. Ils étudieront d'autre part comment la coopération internationale pourrait être améliorée.

Sur le front de plus en plus mouvant de l'épizootie, un nouveau foyer de H5N1 a été détecté, le 23 octobre, dans la partie européenne de la Russie à environ 400 km au sud-est de Moscou. Et le même jour, l'Iran annonçait que 5 000 oiseaux migrateurs avaient été retrouvés morts ces dernières semaines dans le nord-ouest du pays, sans que la cause de leur mort ait encore pu être élucidée.

Article paru dans l'édition du 25.10.05


Le Monde / Europe
Le Bavarois Edmund Stoiber complique la tâche de son "alliée" Angela Merkel
BERLIN de notre correspondant

 E dmund Stoiber est gourmand. S'il a accepté de délaisser sa Bavière natale pour "monter" à Berlin siéger dans le futur gouvernement allemand, ce n'est pas pour diriger un simple ministère. Le président de l'Union chrétienne-sociale (CSU) a d'autres ambitions. Il réclame des compétences élargies, quitte à empiéter sur les domaines de futurs collègues. Son attitude, qui ne surprend plus grand monde en Allemagne, n'en irrite pas moins les intéressés, ainsi que son alliée Angela Merkel. Désignée pour devenir la prochaine chancelière, cette dernière a déjà suffisamment de problèmes à régler, entre les revendications du Parti social-démocrate (SPD) au sein de la coalition gouvernementale en cours de formation, et les décisions à prendre rapidement pour donner un nouvel élan au pays.

Les finances au centre des négociations

La première séance de négociations officielles en vue de former une coalition gouvernementale a eu lieu, le 17 octobre, au siège du Parti social-démocrate (SPD), à Berlin. La séance suivante devait avoir lieu lundi 24 octobre, à la Maison Konrad-Adenauer, le quartier général de l'Union chrétienne-démocrate (CDU). A partir de 17 heures, les seize membres désignés de la future "grande coalition" devaient aborder des dossiers concrets sur lesquels ont planché leurs experts. La question du déficit des finances publiques est au centre des débats. Les deux camps sont d'accord sur la nécessité de faire des économies considérables. Le chiffre de 30 milliards d'euros par an est avancé. L'objectif est d'éviter des sanctions européennes pour dépassement du déficit autorisé. Si les deux bords sont favorables à l'idée d'un "pacte financier" mobilisant Etat fédéral et régions, ils doivent encore s'entendre sur les moyens à employer pour couper dans les dépenses. ­ (Corresp.)

Lors des législatives de 2002, M. Stoiber avait échoué de justesse dans sa conquête du pouvoir face au chancelier sortant, Gerhard Schröder. Le Bavarois n'a eu ensuite guère d'autre choix que de se ranger derrière Mme Merkel, son ancienne rivale à droite, tout en continuant, de temps à autre, à faire preuve d'une certaine condescendance à son égard. Depuis le scrutin du 18 septembre, il jubile intérieurement : les Unions CDU-CSU ont réalisé un résultat plus faible avec leur tête de liste féminine que lorsqu'il portait haut leurs couleurs (35,2 % contre 38,5 %).

AU DIAPASON DU SPD

Après avoir hésité à rester dans l'Etat de Bavière, qu'il dirige depuis douze ans, ce sexagénaire aux cheveux blancs a décidé de lier son sort à celui du futur gouvernement, en en devenant membre. Mais à ses conditions. Jugeant le portefeuille des finances trop risqué en cette période d'abstinence budgétaire, il a revendiqué et obtenu un grand ministère de l'économie et des technologies. Contrairement à ce qui se faisait dans le cabinet sortant, ce poste sera délesté des questions sensibles du travail et des affaires sociales. En revanche, M. Stoiber tente d'y adjoindre des prérogatives qui, auparavant, revenaient au ministère de l'éducation, et en particulier tout ce qui a trait à la recherche.

Annette Schavan (CDU, Union chrétienne-démocrate), à qui doit revenir ce ministère, ne l'entend pas de cette oreille. Elle l'a fait savoir publiquement ces derniers jours, sans doute avec l'aval de Mme Merkel, dont elle est une fidèle. Une réunion à trois devait avoir lieu lundi ou mardi pour mieux départager les compétences de l'un et de l'autre.

M. Stoiber a également mécontenté le futur ministre des finances, Peer Steinbrück (SPD), en revendiquant certaines de ses attributions en matière de politique européenne. Nul doute que les deux hommes auront d'autres thèmes de friction à l'avenir. Le premier, partisan d'un certain interventionnisme industriel, se voit en train de dépenser à tour de bras pour faire du pays ce que la Bavière est devenue dans le domaine des hautes technologies. Le second aura pour mission de remettre le déficit du budget dans les limites autorisées par Bruxelles.

Le Bavarois n'en est pas à sa première incartade. Au diapason du SPD, il a déjà tenté de remettre en cause l'autorité de Mme Merkel à la tête de la "grande coalition" , en estimant que, dans ce contexte particulier, ce ne serait pas toujours à elle de "montrer la direction" à suivre. Il a ensuite réussi à imposer, au second poste de ministre réservé à la CSU, un homme dont la dirigeante ne voulait pas : Horst Seehofer, représentant de l'aile sociale du parti, qui avait critiqué les projets de Mme Merkel en matière de santé.

Si M. Stoiber a décidé d'emmener M. Seehofer avec lui à Berlin, c'est également pour tenter de mieux le contrôler, de peur qu'il ne sape son autorité en Bavière. La position du chef régional est fragilisée depuis le scrutin du 18 septembre. La guerre de succession est déjà ouverte pour le remplacer.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 25.10.05


Le Monde / Technologies
Microsoft se convertit au logiciel libre pour s'associer à l'Inria

 L e fondateur et président de Microsoft, Bill Gates, devait venir, lundi 24 octobre à Paris, signer l'accord-cadre conclu entre son groupe et l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Connu depuis le 26 avril, ce texte prévoit que des équipes communes travailleront à Orsay (Essonne), en banlieue parisienne.

L'accord stipule que les avancées scientifiques issues de ce partenariat seront publiées ­ comme il est de coutume dans la communauté scientifique ­, mais, surtout, que les logiciels conçus par ces équipes franco-américaines seront diffusés sous licence open source, c'est-à-dire libres de droit.

Cette décision marque un revirement majeur dans la politique de propriété industrielle de Microsoft. Jusqu'à présent, le premier éditeur mondial de logiciels était opposé au logiciel libre. Il brevetait tout au contraire quasi systématiquement ses logiciels aux Etats-Unis, pour barrer la route à ses concurrents.

M. Gates n'avait pas hésité à qualifier les adeptes du logiciel libre de "communistes des temps modernes" . Microsoft détient actuellement 6 000 brevets et compte 10 000 demandes en attente... aux Etats-Unis. Car, en Europe, les logiciels ne sont pas brevetables ; ils relèvent du droit d'auteur et sont protégés comme tels.

L'accord entre Microsoft et l'Inria prévoit néanmoins que, si les travaux des équipes communes donnent lieu à des "inventions" non logicielles et ne relevant pas d'une publication scientifique ­ comme des algorithmes ­, celles-ci seront brevetées auprès de l'Office européen des brevets (OEB). Les travaux issus de cet accord-cadre seront en copropriété : 50 % à l'Inria et 50 % à Microsoft.

Deux grandes catégories de thèmes de recherche ont été définies. Il s'agit, d'une part, de l'utilisation des ordinateurs afin de prouver des théorèmes de mathématiques modernes trop complexes pour être démontrés par un être humain ; d'autre part, du développement d'outils informatiques permettant aux autres sciences (physique, chimie, biologie, etc.) de gérer de gigantesques bases de données.

Plusieurs raisons peuvent expliquer le revirement de Microsoft en matière de propriété intellectuelle. Il peut vouloir ainsi mieux se défendre face aux attaques pour abus de position dominante. Ce revirement était aussi le seul moyen de travailler avec les scientifiques de l'Inria, un centre de recherche qui compte nombre de partisans du logiciel libre.

Enfin, on peut aussi se demander si Microsoft ne commence pas à réaliser, comme IBM avant lui, qu'à trop vouloir utiliser les brevets il risque de bloquer le marché du logiciel, en empêchant des firmes petites, mais très innovantes, de mettre leurs produits sur le marché. Au détriment, aussi, des grands du secteur.

Annie Kahn
Article paru dans l'édition du 25.10.05


Le Monde / Technologies
La bibliothèque numérique de Google dénoncée par cinq grands éditeurs américains

 D ix mois après l'annonce de son projet de grande bibliothèque numérique, la société Google est poursuivie en justice par l'Association of American Publishers, au nom de cinq grands groupes d'édition : McGraw-Hill, Pearson Education, Penguin Group USA, Simon and Schuster et John Wiley and Sons. Cette plainte s'ajoute à celle, intervenue en septembre, de la Guilde des auteurs (Authors Guild), au nom de huit mille écrivains américains publiés, pour "violation massive du copyright".

La propriété intellectuelle est au coeur d'un conflit qui embarrasse le moteur de recherche le plus populaire de l'Internet. Google, installé à Mountain View (Californie), vient d'annoncer un bénéfice net trimestriel multiplié par sept ­ - 382 millions de dollars entre juillet et septembre pour un chiffre d'affaires quasi multiplié par deux, à 1,58 milliard de dollars.

Google Print souhaite numériser autant de titres que possible, sauf quand les ayants droit s'y opposent, par simple notification écrite. Les éditeurs estiment que c'est à Google d'obtenir l'autorisation préalable. "Les auteurs et les éditeurs comprennent le rôle du moteur de recherche et pensent que les bibliothèques constituent une excellente ressource, a déclaré Patricia Schroeder, la présidente de l'AAP, mais le résultat est que Google cherche à gagner des millions de dollars en parasitant le talent et la propriété des auteurs et des éditeurs."

En août, face aux critiques des bibliothèques et des maisons d'édition, Google a interrompu sa numérisation des livres sous copyright jusqu'au 1er novembre, mais entend reprendre à cette date la copie des oeuvres protégées. "Nous croyons en Google Print, plaide David Drummond, vice-président du développement, l'histoire de la technologie est pleine d'avancées qui ont d'abord rencontré une forte opposition avant d'être largement acceptées."

Ce conflit avec des auteurs et des éditeurs n'affecte pas la seconde branche du projet Google Print : la numérisation de livres appartenant à des bibliothèques et qui sont tombés dans le domaine public (plus de cent mille titres déjà numérisés). Pourtant, Sidney Verba, directeur de la bibliothèque de l'niversité Harvard, s'attend à un ralentissement de la numérisation prévue de quarante mille livres. "Je n'avais pas anticipé pareille confusion", dit-il.

TOUS LES MOTS D'UN AUTEUR

En dépit de cette controverse, un bon nombre d'éditeurs américains, dont Springer, Warner Books, Harper Collins, Barrons, Cambridge University Press, ont fourni leurs textes à Google, estimant que l'indexation de tous les mots d'un auteur ­ - une première dans l'édition ­ - favorise l'accès des livres au public, puis les ventes de livres.

Des maisons d'édition européennes ont signé avec Google : Grupo Planeta et Grupo Anaya (Espagne), Springer Science & Business Media (Pays-Bas), Giunti Editore (Italie). Sur le nouveau site français http://print.google.fr/, où la fonction "recherche avancée" permet une recherche par éditeurs, les premières maisons d'édition de langue française à indexer leurs livres sont les Presses de l'université De Boeck et les éditions de l'Eclat.

Claudine Mulard
Article paru dans l'édition du 25.10.05


Le Monde / Opinions
Analyse
Le PS entre compromis et guerre de tranchées, par Michel Noblecourt

 L e Parti socialiste va-t-il sortir de sa double crise d'identité et de leadership lors de son prochain congrès du Mans, du 18 au 20 novembre ?

Il est en quête d'un antidote pour venir à bout du poison de la division née du projet de Constitution européenne que 59 % de ses militants avaient approuvé avant que, le 29 mai, une majorité de ses électeurs votent non.

Les images du "match" de la Mutualité, le 18 octobre, où les socialistes ont joué "cris et déchirements", avec des relents de congrès de Rennes (mars 1990), laissent mal augurer d'un compromis, c'est-à-dire d'une synthèse entre majoritaires et minoritaires, ou même d'une clarification idéologique, comme à Metz en 1979.

Les socialistes sont embarqués dans une guerre de tranchées. Trois des cinq motions, soumises le 9 novembre au vote des militants, sont fondées sur des alliances des contraires. Il s'agit d'associer des idées, des stratégies ou des calculs opposés. Bref, dans la boîte à outils de la rhétorique classique, on appelle cela un oxymore.

La motion de François Hollande et de sa majorité, Pour réussir à gauche, est bâtie sur un socle commun, celui d'un socialisme de réformes qui se donne "les moyens de réformer réellement et durablement, au-delà même d'une législature". Elle affiche un langage de "vérité" sur les contraintes et les marges de manœuvre pour éviter, une fois au pouvoir, le piège de la "pause ou du renoncement".

Mais au sein de cette motion qui rassemble le centre droit (Dominique Strauss-Kahn) et le centre gauche (Martine Aubry) du PS, les petits ruisseaux ne convergent pas toujours dans le sens du courant. Soucieux de roder ses thèmes de candidat à l'Elysée, du "développement solidaire" au "nouveau compromis social", M. Strauss-Kahn a joué cavalier seul au point de devoir rectifier le tir en jurant de son "homogénéité" avec M. Hollande.

Décidée à ferrailler contre le libéralisme, Mme Aubry souhaite ouvertement le retour de Lionel Jospin.

L'ancien premier ministre, dont le livre Le monde comme je le vois (Gallimard) relance les spéculations sur la durée de sa retraite politique, n'a pas signé la motion de M. Hollande et lui apporte un soutien minimal.

Avec l'inflation de candidatures déclarées ­ de DSK à Jack Lang, subliminales ­ de Bernard Kouchner à Bertrand Delanoë (qui s'en défend) ­, éventuelles ­ de Mme Aubry à M. Jospin si... on l'appelle, voire de substitution ­ comme Ségolène Royal, candidate suppléante si M. Hollande est empêché ­, la compétition domine et sème la confusion. On comprend que M. Hollande essaie de calmer le jeu en envisageant une "primaire" au sein de sa propre motion.

DEUX DÉSACCORDS

La motion du Nouveau Parti socialiste (NPS), Pour une alternative socialiste , ressemble plus encore à un oxymore. Par une étrange ironie de l'histoire, Vincent Peillon, seul à porter la contestation des rénovateurs au congrès de Liévin, en novembre 1994, avec sa motion Agir en socialistes, se retrouve allié avec celui qui incarnait, il y aura onze ans jour pour jour au Mans, une ligne "à gauche toute", Henri Emmanuelli.

Les rénovateurs de NPS, qui veulent "transformer les fondamentaux" du PS, s'associent aux gardiens du temple socialiste, rebaptisés "authentiques". M. Emmanuelli n'avait pourtant pas fait siens des combats chers à NPS, comme la VIe République, la parité ou le mariage homosexuel.

Quand NPS se présentait en champion de l'éthique politique et, bien que partisan du non à la Constitution européenne, défendait le respect du vote des militants du PS, M. Emmanuelli créait des collectifs socialistes du non. Le courant affiche désormais sa volonté de s'allier avec Laurent Fabius au terme d'un été qui a mis à rude épreuve ses fragiles équilibres internes. Arnaud Montebourg roulait déjà pour M. Fabius quand M. Peillon regardait du côté de DSK et que les jeunes troupes de Nouvelle gauche, animées par Benoît Hamon, avaient grandi dans le sillage de Mme Aubry et contre les fabiusiens... 

Avec sa motion, Rassembler à gauche (le même intitulé que la motion de "synthèse" de l'après-congrès de Rennes), M. Fabius s'est allié à Jean-Luc Mélenchon. Là aussi, c'est l'alliance des contraires. Quand M. Mélenchon fondait, en septembre 2002, avec M. Emmanuelli, son courant Nouveau monde, il prenait pour cible principale le "social libéral" Fabius, soupçonné de blairisme. Le 29 mai a changé la donne. Mais quand M. Fabius se tient à distance de l'extrême gauche, M. Mélenchon bat les estrades avec Olivier Besancenot et même, dans le conflit de la SNCM, avec Arlette Laguiller.

En définitive, seules les petites motions affichent une vraie cohérence : celle de Franck Pupunat (Utopia), altermondialiste en rupture avec "l'aliénation à la valeur travail" ; celle de Jean-Marie Bockel pour "un socialisme libéral".

Pour autant, le débat du Mans ne sera pas entre réforme et révolution. Ce sera un combat entre réformistes ayant des visions divergentes du "socialisme du possible". M. Hollande est fondé à dire : "Il n'y a rien d'irréductible entre nous." Comme le premier secrétaire, M. Fabius et M. Peillon veulent "dépasser le clivage" entre le oui et le non au sein du PS, mais ils sont flanqués d'alliés qui, tel M. Mélenchon, rêvaient d'une motion commune "sans exclusive autour des partisans du non".

Entre la majorité actuelle et ses opposants, il y a deux désaccords radicaux, l'un de fond, l'autre de méthode. M. Fabius veut incarner un socialisme de "transformation" en rupture avec "un socialisme d'accompagnement, voire parfois de résignation, face au libéralisme et à ses dégâts". Un "réformisme", attribué aux amis de M. Hollande ­ même s'il y a apporté sa pierre, entre 2000 et 2002, quand il était ministre avec M. Mélenchon ­, qui a privilégié l'adaptation à l'économie de marché sur "l'exigence d'un progrès partagé".

Ce clivage entre "accompagnateurs" et "transformateurs" se retrouve sur la méthode. Allant plus loin que sa motion, qui envisageait à l'origine l'abrogation des lois Fillon (sur les retraites) et Perben, M. Fabius a pris, le 18 octobre, l'engagement d'"abroger" les "principales lois de la droite" depuis 2002. "On ne doit pas simplement abroger ou revenir à 2002, a répliqué M. Hollande. On doit faire des progrès par rapport à 2002, par rapport à ce que l'on nous demande au-delà de 2007." Logique de "réparateurs", qui négocie des changements des lois incriminées, contre logique d'"abrogateurs", qui affiche d'abord des ruptures.

MISSION IMPOSSIBLE

La recherche d'une synthèse, qui n'est intervenue que cinq fois depuis le congrès d'Epinay (1971), relève presque d'une mission impossible. Pendant son septennat à la tête du PS, M. Jospin a joué la synthèse ou la motion unanime. M. Hollande n'a recouru qu'à la "synthèse fonctionnelle", à Grenoble en 2000, en plaçant des minoritaires dans sa direction.

Le 18 octobre, M. Peillon, qui pourrait être candidat au poste de premier secrétaire, a prévenu qu'il n'accepterait pas de synthèse sans M. Fabius. Et il a introduit un soupçon sur la légitimité d'une majorité "hollandaise" : "Certains pensent qu'ils auront gagné avec 54 %, c'est vrai arithmétiquement, mais tous les socialistes, la gauche, auront perdu politiquement." Où sera le seuil d'une victoire politique ? En 1979, à Metz, François Mitterrand, allié à la fédération des Bouches-du-Rhône, n'obtient que 47 % des voix. Plus tard, l'appoint du Ceres le dote d'une majorité de 58 %. Arithmétique ou politique ?

Des motions "oxymores", des attelages improbables, des calculs inédits, Le Mans ne réunit pas à priori les ingrédients d'une sortie de crise. Sauf si M. Hollande réussit à se rapprocher le plus possible du score du oui au référendum interne (59 %) et à y puiser une légitime orientation de tendance sur le projet que le PS aura à bâtir.

Michel Noblecourt
Article paru dans l'édition du 25.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

leongreco ♦ 24.10.05 | 22h29 ♦ je souhaite la rupture du PS et la création d’un mouvement social-libéral réformiste avec l’UDF de Bayrou. Si jamais la ligne heteroclite de Fabius and cie l’emporte et que Fabius soit désigné comme candidat PS,je souhaite qu’un candidat de la motion Hollande se présente à la presidentielle; sinon en tant que militant au PS je ferai campagne publiquement pour Bayrou et je ne serai pas le seul à rendre ainsi la monaie de sa pièce à Fabius. L’echec de cette gauche ringarde en 2007 est programmé !
Roger D. ♦ 24.10.05 | 22h01 ♦ Pourquoi faudrait-il que le PS soit éternel ? Un scénario possible: le PS se scinde et son aile socio-démocrato-lango-jospino- strausso-kahnienne sauce hollandaise fait un mariage de raison avec l’UDF de Bayrou sauce piquante, la principale difficulté étant alors pour cette nouvelle smala, non de gouverner ensemble, mais de trouver un bon chef de famille. Quant à l’aile fabio-emmanuello- ménencharde, elle n’aura plus qu’à accommoder ses restes sur le buffet avec la sauce besencenaise.
animal politique ♦ 24.10.05 | 20h02 ♦ Elles sont dures les réactions et peuvent se comprendre ! Pourtant, le débat au PS est riche et certaines propositions sont loin d’être creuses. Et puis, ne vendons pas la peau de l’ours : Fabius et NPS ne sont pas encore associés même si le rapprochement avec Emmanuelli n’était pas vraiment à mon goût. Démago NPS ? Responsable aussi. Par ex., le mot "évaluation" ne lui fait pas peur et est dans le texte (évaluation des services publics) car il ne faut pas jeter l’argent par les fenêtres.
clo.clo ♦ 24.10.05 | 19h16 ♦ Tout a été dit dans le monde du 22/10 dans l’article "L’ambition et le remords.Les socialistes français et le pouvoir", article qui montre la schizophrénie du PS français. Libéral social ou néo gauchiste. Cette dualité depuis 20 ans il la traine.Jamais eu le courage d’éclater et de lever l’ambiguité, quitte à se scinder.Le mot socialisme est aussi très ringard et sent aussi trop l’histoire noire.J’ai du mal à expliquer que dans le mot URSS, il y a le mot "socialiste".L’avenir n’est pas avec lui.
paprap ♦ 24.10.05 | 19h14 ♦ Etat et partis en ruine cherchent dirigeants de valeur. Sont exclus responsables et élus de tous partis depuis 1974. Le candidat devra comprendre le monde actuel, pouvoir s’entendre avec voisins européens, susciter la confiance, être pédagogue, courageux, savoir compter, et être intègre. La jeunesse et la connaissance d’au moins 2 langues étrangères sont des atouts. Nombreuses places disponibles.
gérard B. ♦ 24.10.05 | 18h44 ♦ Dur de rester sympathisant du PS actuellement en tout cas, sauf à se boucher les oreilles, les yeux, le nez, ... Ah si M.Hollande avait eu le bon goût de tenir son parti pendant la campagne contre le TCE, à défaut, de démissioner (note aux hommes politiques français : cela signifie quitter volontairement les fonctions lorsqu’on fait la preuve qu’on est incapable de les assumer, ou même (rève suédois) s’il y a un doute à ce sujet le 30/5; à défaut ..., à défaut ..., (sauvé par le gong des 500).
ganek ♦ 24.10.05 | 18h43 ♦ Aucune des 5 motions présentées hormis celle du courant libéral n’accrochent à la réalitée francaise et internationale . Les enjeux comptemporains sont escamotés vers une Europe informe.Ce n’est qu’une idéologie éreintés et dépassés.Tout comme en Allemagne, G B et ailleurs la social démocratie est morte, elle n’a comme alternative que la fusion avec l’idéologie libérale.Le plus grave en France c’est sa juxtaposition avec le chiraquisme genre comice agricole et radicalisme bourgeois de papa.
Jean-R.R. ♦ 24.10.05 | 17h32 ♦ MN souligne l’attelage improbable entre Emmanuellistes et NPS, qui, ouvertement avec Fabius aujourd’hui, tentent d’imposer, contre "l’appareil" décrié de la direction actuelle du PS par Hollande,... finalement eux-mêmes une stratégie fondée sur une alliance d’appareil ! Sur le fond, les partisans du PS auront bien du mal à ce décider. La différence se fera sur le choix de la méthode et les moyens employés plus que sur le fond qui est le même ou presque.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 24.10.05 | 17h10 ♦ Pendant que ça discutaille et que ça se chamaille, la droite, profitant de l’échec du mouvement social et de la faible combativité des syndicats alignent les décisions de privatisations, de réformes de l’ISF, la santé, CNE, etc sans aucune opposition exceptée celle de Bayrou. On en arrive à se demander si la gauche ne se dit pas en son for intérieur : si on arrive au pouvoir ce sera toujours cela de fait. Et la droite profite du calme pour aligner les décisions qui fâchent ! Bien joué.
JB Du Canada... ♦ 24.10.05 | 17h09 ♦ L’écriture est belle, mais elle ne peut masquer la confusion totale qui règne au PS. Les subdivisions sont telles qu’on ne voit pas qui parle de l’Avenir de la France, avec un grand "A" et un grand "F". Spectacle pathétique du PS qui a un horizon limité à la ligne bleue des Vosges quand c’est du monde, du changement qu’il faudrait parler. Cela fait "peur" quant à l’offre faite aux électeurs en 2007. Parler de la France et de ce qu’elle peut faire. Trop dur pour les hierarques du PS! Dommage...


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Tentations de retour

 I l y a dix ans, Alain Juppé était premier ministre de Jacques Chirac. "Droit dans ses bottes", il bravait l'impopularité de l'opinion publique et s'apprêtait à affronter une tempête sociale. Il y a huit ans, Lionel Jospin, déjà revenu à la tête du Parti socialiste, réussissait, après la défaite cinglante de 1993, à le ramener au pouvoir, en 1997. L'un et l'autre ont connu le succès puis l'échec en politique. L'un et l'autre, dans des circonstances et des formes différentes, se sont mis en retrait de la politique. L'un et l'autre amorcent aujourd'hui un retour.

M. Juppé a été condamné en appel, le 1er décembre 2004, à un an d'inéligibilité pour "prise illégale d'intérêt" dans l'affaire des emplois fictifs du RPR. Abandonnant ses mandats, l'ancien premier ministre s'est retiré au Québec, où il enseigne à l'Ecole nationale d'administration publique. Le 22 octobre, une députée UMP de Gironde a annoncé que M. Juppé serait candidat aux élections législatives de 2007. L'intéressé a mollement démenti : "J'annoncerai moi-même mes intentions le moment venu. Et dans mon esprit ce moment n'est pas venu." On ne se refait pas.

Au soir de son élimination au premier tour de l'élection présidentielle, le 21 avril 2002, M. Jospin avait aussitôt proclamé qu'il tirait la conclusion de cet échec en se "retirant de la vie politique". L'ancien premier ministre, qui avait déjà fait une fausse sortie après sa défaite aux législatives de 1993, s'est progressivement réinscrit dans le débat public. La crise du PS, en quête de leadership, favorise ce retour. Avec son livre Le monde comme je le vois, M. Jospin s'invite dans la préparation du prochain congrès du PS au Mans, du 18 au 20 novembre, et relance inévitablement les spéculations sur sa candidature en 2007.

Ces come-back éventuels de M. Juppé et de M. Jospin nourrissent déjà stratégies et tactiques de leurs amis ou adversaires. A l'UMP, Nicolas Sarkozy retrouve des vertus à son ancien rival : d'abord celle de pouvoir l'aider à barrer la route de l'Elysée à son ancien directeur de cabinet, Dominique de Villepin. Au PS, François Hollande, s'il est empêché d'y aller lui-même, peut trouver avantage à faire appel à son ancien mentor pour contrer la candidature de Laurent Fabius, voire celle de Dominique Strauss-Kahn.

Cette perspective ne suscite pas ­ et c'est un euphémisme ­ l'enthousiasme de l'opinion. Selon un sondage IFOP-Journal du dimanche, réalisé les 20 et 21 octobre auprès de 1 006 personnes, seulement 32 % des Français sont favorables à une candidature de M. Jospin en 2007, 66 % s'y déclarant hostiles. Le signal est parfaitement clair.

Il serait temps que les politiques comprennent que les Français n'attendent pas d'eux qu'ils remettent dans la course des anciens, quelles que soient leurs qualités. Ils leur demandent, au contraire, de favoriser un profond renouvellement et de faire émerger une nouvelle génération d'hommes et de femmes politiques. Comme c'est la règle dans les autres grandes démocraties.

Article paru dans l'édition du 25.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

DOMINIQUE M. ♦ 25.10.05 | 18h41 ♦ Spéculations sur des "éventualités", quel intérêt ? Si les deux J reviennent, ils ne feront malheureusement que confirmer un mal bien français : politique toute la vie, jusqu’à la sénilité, et même au delà parfois. C’est là qu’est le problème. Nos hommes (et femmes) politiques demandent aux chômeurs de se reconvertir, d’être mobiles, etc, mais il ne leur viendrait pas à l’idée de faire de même. Il faut croire que les places sont bonnes !
sunseeker ♦ 25.10.05 | 14h07 ♦ Jospin a un prédecesseur dans son côté autiste et vaniteux... c’est celui d’un ex-président disant "au revoir" et se retirant blessé par les français... VGE certainement a regretté de ne s’être point maîtrisé...qui sait peut être aurait-il pu redevenir Président s’il n’était pas parti... jamais Jospin ne se remet en cause pas plus que VGE... le "peuple" est irrité par ce type d’attitude... jamais la campagne des "diamants" n’aurait réussi si VGE était redescendu de son nuage...
Maurice Maginot ♦ 25.10.05 | 12h43 ♦ Merveille que la méditation sur le retour de ces deux éléphants antédiluviens, désavoués de façon honteuse par le SU, soit, dans le zoom sur le blog de Jupé, l’occasion de citer les beaux vers de Lucrèce... et en latin! Du temps où Jospin était ministre de l’EN, la consigne était d’éradiquer l’enseignement du grec et du latin jugés inutile et élitiste. Allègre avec un souffle de mammouth a tonitrué ce programme. Casser les clés de la langue pour manipuler les peuples est un crime impardonnable.
Goldmind ♦ 25.10.05 | 11h00 ♦ Et si Lionel Jospin représentait l’espérance des 32 % de Français que votre éditorial méprise ... Et si ce chiffre de 32 % n’avait pas le sens " parfaitement clair " que vous lui prêtez ... Qu’aurait donné, que donnerait un tel sondage, pour bien d’autres hommes politiques, à 18 mois de présidentielles ?
Gerard ♦ 25.10.05 | 08h19 ♦ Comme toujours Lionel Jospin est la bête noire du Journal le Monde. Durant les 5 aannées ou il était au pouvoir vous avez oublié de le soutenir, et maintenant avant même qu’il ne revienne (si cela pouvait peut-etre arriver ...) vous commencez vos attaques. La gauche est comme toujours, réellemennt bien aidee par les média !
Gerard C. ♦ 25.10.05 | 08h13 ♦ Vous dites : "Il serait temps que les politiques comprennent que les Français n’attendent pas d’eux qu’ils remettent dans la course des anciens..." J’imagine que pour vous un ancien, c’est un plus vieux que ... vous ? A moins qu’un ancien ce soit quelqu’un qui a de l’expérience ? L’expérience, les Français comme vous dites, aiment les gens d’expérience, ce n’est pas par hasard que Chirac ou Mitterrand n’ont été élu qu’a leur troisième tentative.
Princesse ♦ 25.10.05 | 00h45 ♦ "M. Jospin avait aussitôt proclamé qu’il tirait la conclusion de cet échec en se "retirant de la vie politique". Décidément, le ridicule ne tue plus.
DAMIEN D. ♦ 24.10.05 | 23h36 ♦ La vie politique française se caractérise par la longue carrière des hommes politiques. On peut le déplorer. Et on connait aussi les instruments nécessaires pour y mettre un terme. Cependant, il est illusoire de croire que c’est du seul renouvellement de la classe politique que viendra le "salut". C’est avant tout sur le projet politique que portera tel ou tel homme politique qu’il faut s’interroger. Si M. Juppé peut contribuer à ce débat, sa longévité politique est secondaire.
Philippe B. ♦ 24.10.05 | 23h29 ♦ Ne serait-il pas le moment pour qu’un candidat à la présidentielle de 2007 s’engage à lancer un référendum pour introduire une limitation aux nombres de mandats successifs identiques détenus par une personne, que ces mandats concernent le législatif - député ou sénateur -, l’executif : président de la République, président de collectivités locale : région, département, maire et membres d’assemblées locales. Quel ouf !!
xuha%EFle ♦ 24.10.05 | 22h33 ♦ Accord total !
ALBERT F. ♦ 24.10.05 | 21h49 ♦ D’accord avec Gerard B et Deathwind. Toujours les mêmes têtes ça fatigue à la longue. La démocratie est victime du syndrome professionnel en politique: se faire réélire et durer, devient la seule fin. La classe politique se mue en une caste, coupée du reste de la société avec ses codes et sa langue "de bois". Ne qualifie-t-on pas, dans ce milieu fermé, le monde démocratique de "société civile". Le citoyen ne se sent plus représenté par des élites qui confisquent l’idéal démocratique. Il déserte.
Serge B. ♦ 24.10.05 | 21h44 ♦ Merci pour la clarté de votre position. Électeur de gauche, le retour de Juppé m’indiffère. Mais comme j’ai toujours détesté sa suffisance, je voudrais pouvoir continuer sans le revoir en tete d’affiche. Jospin nous a conduits à la défaite, faute d’une bonne stratégie et sans doute aussi par sa suffisance. Tiens, y aurait-il un parallèlisme gauche/droite ? Que ces retraités restent à leur place. La France à continué à vivre sans eux. Mal sans doute. Mais qu’auraient-ils fait de mieux ?
azebolu ♦ 24.10.05 | 20h53 ♦ Quelle tristesse de voir des gens considérer la politique comme une profession et non comme un devoir sacré. Quelle tristesse de voir des gens se présenter devant le suffrage des électeurs sur leur seul nom et non sur un programme rénovateur. Quelle tristesse de voir toujours les mêmes momies et non de voir ces mêmes momies former l’élite du futur. Beurk!! Vais-je aller voter ??
JB du Canada ♦ 24.10.05 | 20h43 ♦ Comment s’étonner d’un telle incapacité des élites à se renouveler quand le premier d’entre elles (le Pdt de la République) est entré en religion il y a maintenant 40 ans! Le renouvellement suppose le non-cumul des mandats, la limitation des mandats à 2, et ... le renvoi pur et simple des perdants par leur partis, comme c’est le cas outre-Manche et dans d’autres démocraties.
FDMLDP ♦ 24.10.05 | 19h46 ♦ Comment douter, après lecture de cet excellent article, que Le Pen fasse de nouveau un excellent score. Rien n’excuse de voter FN, mais tant d’affligeante médiocrité peut largement expliquer et laisser prévoir une nouvelle réaction de dépit.
Repman ♦ 24.10.05 | 19h46 ♦ « Il serait temps que les politiques comprennent que les Français n’attendent pas d’eux qu’ils remettent dans la course des anciens [...]. Ils leur demandent, au contraire, de favoriser un profond renouvellement et de faire émerger une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques.» Pas d’accord. Comme disait l’autre "le temps ne fait rien à l’affaire". Ce que veulent les Français ce sont des h/f politiques compétents, honnêtes et courageux. C’est pas compliqué, et pourtant..
Fouad.H ♦ 24.10.05 | 19h45 ♦ Je sais que je suis ringard : je préfère le vieux au neuf...surtout s’il nous vient du cinéma ou du showbiz!Du neuf pour du neuf, non!les Français ne sont pas preneurs!Il y a un proverbe maghrébin qui dit (à propos de la vie):"lem’walfa khir min thalfa","la connue est mieux que l’égarée",en somme l’éloge de la routine!N’est-ce pas ce qu’il faut en période de débousselement,de perte de ...repères,de confiance en soi et d’identité(avec l’américanisation de l’Occident)? C’est mieux que Sarkollande!
cohelet ♦ 24.10.05 | 18h52 ♦ ça fait trop Retour de la politique des papys. Aucun des 2 n’a de proposition à la hauteur des enjeux actuels. A moins qu’ils testent à travers les médias leur chance de retour?
Etienne.Q ♦ 24.10.05 | 18h52 ♦ Encore un faux procès fait à Jospin. Cela commence à suffire ! Se retirer de la politique, est-ce synonime de renoncer à son droit à l’expression ? Qui peut se permettre de remettre en cause sa capacité à analyser la situation de la France, lui qui l’a dirigée ? Qui peut lui reprocher de donner son avis ? Aux dernières nouvelles, et contrairement à Juppé, il n’a aucunement l’intention de se reprendre des responsabilités en politique. Il a sorti un livre, et alors ? Il n’a pas le droit ? Navrant
Yannick M. ♦ 24.10.05 | 18h49 ♦ Ces tergiversations sont à l’image de la vie politique française qui se satisfait de messages courts - tant pis si les idées sont courtes. L’accroche devient le corps du discours, il faut paraître, quitte à disparaître, pour mieux réapparaitre. Quelle citoyenneté prépare-t-on pour demain ? Une démocratie sauce Star Ac’ (Appuyez sur la touche 1...) ouverte aux discours populistes ?
monrog ♦ 24.10.05 | 18h48 ♦ Vous avez raison : ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont échoué, devraient rester dans l’ombre mais sait-on vraiment ce que veulent les Français? Ou plutôt, ils sentent bien que ce qu’ils voudraient n’est pas réalisable, ce qui fait que le seul leader que l’époque moderne puisse accepter est celui qui épouse le libéralisme mais les Français n’en veulent pas. Il faut donc que le leader raisonnable soit un séducteur,homme entre 2 eaux, accepté par le marché et le minimum d’opinion.
gérard B. ♦ 24.10.05 | 18h21 ♦ Hypothèse farfelue : les gens (vous, moi, ...) se lassent de voter toujours pour les mêmes personnes, d’où un absentéïsme croissant, que les hommes politiques déplorent de façon très émouvante d’ailleurs.Il doit être dur de n’avoir jamais voté Chirac si on a moins de 50 ans... Accessoirement, pourquoi revoter pour quelqu’un si l’on a guère été satisfait de son action? Idée bête : enfin une interdiction totale du cumul des mandats doublée d’un délai de carence : jamais deux mandats consécutifs ?
DANITON ♦ 24.10.05 | 18h11 ♦ Jospin et Juppé ont un point commun : ce sont des battus. S’ils avaient un peu de dignité ils n’envisageraient même pas de postuler de nouveau.Prenons exemple sue les Etats-Unis : a-t-on déjà vu un battu se représenté une nouvelle fois à l’élection présidentielle......
MAXIM ♦ 24.10.05 | 18h02 ♦ je suis d’accord avec votre conclusion. Mais pourquoi relayer l’intervention d’une députée sans faire votre métier et vérifier l’information auprès de Mr Juppé? Pourquoi remettez-vous sans cesse en selle Mr Jospin qui "s’est retiré" de la vie politique? Je croyais naïvement qe Mr Jospin faisait toujours ce qu’il disait!!!! les politiques mais les journalistes aussi doivent se poser des questions et se renouveller.
Deathwind ♦ 24.10.05 | 17h39 ♦ La classe politique francaise sent le moisi depuis trop longtemps. Alors que la France a besoin de changer, comment pourrait-elle le faire lorsque ses hommes politiques ne changent pas ? Lorsqu’ils sont battus, ils réintegrent la fonction publique dont ils sont majoritairement issus ce qui leur permet d’avoir la sécurité de l’emploi et de perdurer sans trop de problème. Il faut interdire la mise en disponibilité et forcer les fonctionnaires à démissionner réellement en cas d’élection.
MICHEL F. ♦ 24.10.05 | 16h27 ♦ Bien d’accord avec votre point de vue, la démocratie c’est aussi le renouvellement des personnes. Dans les cas de JOSPIN et de JUPPE, le 1er doit s’en tenir à ce qu’il a lui-même dit au soir du 22 avril, à savoir qu’il se retirait de la vie politique, quant au 2nd, après la condamnation qu’il a subie, si lui reste de la morale et de la dignité, il devrait aussi prendre définitivement sa retraite politique.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 24.10.05 | 14h45 ♦ Après la lecture des articles revigorants et stimulants de Eric Le Boucher, Eloi Laurent, Bruno Latour et Patrick Jarreau, on se revautre dans l’ornière de la politique à la petite semaine. Que Jospin et Juppé nous parlent de leurs analyses et de leurs projets plutôt que de leur plan communication ! On recommençait à croire à la politique et au débat d’idées. Ne lisez pas, c’est déprimant.
CLAUDE C. ♦ 24.10.05 | 14h42 ♦ Il faudrait se féliciter des progrès de la prise de conscience des graves problèmes écologiques parmi nos grands hommes de gauche. Pour éviter le gaspillage et promouvoir l’écologie humaine, ils souhaitent recycler des produits de campagne (électorale) et des discours usés jusqu’à la corde, n’hésitant pas pour cela à payer de leur personne. Jospin a changé, il a voulu oublié le "usé, fatigué, vieilli" de 2002. Aujourd’hui, le "défraîchi" devient tendance (mais pas chez les électeurs, hélas ...)


Le Monde / France
Alain Juppé estime prématurée l'annonce de son retour en politique

 "O n aurait annoncé que je serai candidat aux élections législatives de 2007, à Bordeaux naturellement.

Combien de milliers de kilomètres faudra-t-il donc que je mette entre le microcosme politique français et moi pour qu'il me laisse en paix? Faut-il préciser que je n'ai – ni à Paris ni à Bordeaux – aucun porte-parole dont les déclarations pourraient m'engager? J'annoncerai moi-même mes intentions le moment venu. Et, dans mon esprit, ce moment n'est pas venu."

Telle est la réponse cinglante qu'a adressé sur son blog, samedi 22 octobre, Alain Juppé à la la présidente de l'UMP pour la Gironde qui avait annoncé un peu plus tôt que l'ex-premier ministre avait fait acte de candidature à l'investiture pour les élections législativesde 2007 à Bordeaux.

"J'ai parlé à Alain Juppé (...) et j'ai enregistré sa candidature pour les législatives dans la deuxième circonscription de la Gironde", avait indiqué Marie-Hélène Des Esgaulx, député UMP de la 8e circonscription de Gironde et secrétaire nationale du parti, sur France 3 Aquitaine. Elle avait précisé que l'investiture d'Alain Juppé semblait très fortement probable, compte tenu de son passé à Bordeaux où il a été maire de 1995 à 2004.

Alain Juppé, 60 ans, a abandonné ses mandats de député et maire de Bordeaux ainsi que la présidence de l'UMP après sa condamnation en décembre 2004 à 14 mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité pour "prise illégale d'intérêts" dans le dossier des emplois fictifs du RPR.

Celui qui avait été l'homme de confiance de Jacques Chirac durant vingt ans a été reconnu coupable d'avoir fait rémunérer six cadres du RPR par la Ville de Paris entre 1990 et 1995, alors qu'il était secrétaire général du parti gaulliste et adjoint aux finances de Jacques Chirac à la mairie. Le 22 septembre, la Cour de cassation a définitivement refermé le dossier en rejetant le pourvoi de l'ex-intendante du RPR Louise-Yvonne Casetta, également condamnée.

La période d'inéligibilité d'Alain Juppé se termine fin décembre. L'ancien premier ministre (1995-1997) vit actuellement au Canada où il donne un cours sur la mondialisation à l'université du Québec.

On ne peut prédire de la date de son retour en politique : "Je ne ressens aucune impatience. Seulement un grand besoin de calme après la tempête qui, au fond de mon cœur, n'est pas encore tout à fait apaisée, écrit-il sur son blog. Ce qui, bien sûr, ne m'empêche pas et ne m'empêchera pas de continuer à m'intéresser à la France, à ses problèmes et à son avenir. On ne se refait pas..."

Lemonde.fr avec Reuters
LEMONDE.FR | 22.10.05 | 14h59


Le Monde / France
Les interrogations se multiplient sur un éventuel retour de Lionel Jospin

 A vec la parution prochaine de son livre de réflexions politiques Le monde comme je le vois, les rumeurs s'intensifient sur un retour possible de Lionel Jospin pour la présidentielle de 2007. Le premier secrétaire du Parti socialiste , François Hollande, a déclaré, dimanche 23 octobre, qu'il n'excluait pas de faire appel à l'ancien premier ministre socialiste pour l'échéance de 2007. Interrogé sur Radio J sur les circonstances qui pourraient l'amener à solliciter une telle candidature, M. Hollande a répondu : "Je vous le dirai en novembre 2006" (date à laquelle les socialistes devraient se prononcer par vote sur leur candidat à la présidentielle).

"Je n'exclus rien, parce que je ne me pose pas la question aujourd'hui", a-t-il ajouté. "La seule (question) qui vaille à mes yeux, c'est de savoir si les socialistes, et je le veux, se rassemblent dans leur congrès (à la mi-novembre), mobilisent les Français autour de positions fortes et ensuite sont capables de fournir l'alternative. On verra avec qui, le moment venu", a-t-il dit lors de l'émission "Forum Radio J".

"Je souhaite qu'il vende beaucoup de livres et plus il y aura de livres lus, mieux ce sera pour le Parti socialiste", a encore déclaré M. Hollande.

48 % DES SYMPATHISANTS SOCIALISTES CONTRE LE RETOUR DE M. JOSPIN

Selon un sondage Ifop pour Le Journal du Dimanche (JDD), 66 % des Français ne souhaitent pas que l'ancien premier ministre soit candidat en 2007. A l'inverse,32 % de Français aimeraient que Lionel Jospin soit présent à l'élection présidentielle.

La proportion monte à 51% chez les seuls sympathisants socialistes, selon ce sondage rendu public samedi, qui a posé la question : "au fond de vous-même, souhaitez-vous que Lionel Jospin soit le candidat du Parti socialiste à la prochaine élection présidentielle?".

Chez les sympathisants socialistes, 48% ont répondu par la négative.

Ce sondage a été réalisé par téléphone les 20 et 21 octobre auprès d'un échantillon de 1 006 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus et constitué selon la méthode des quotas.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 23.10.05 | 15h33


Le Monde / France
Le "microcosme français" perturbe la stratégie d'Alain Juppé

 L e temps d'une mise au point, il a retrouvé le ton pète-sec qui a fait sa réputation. Samedi 22 octobre, à son domicile canadien, Alain Juppé s'est distrait quelques minutes de la préparation de son cours à l'Ecole nationale d'administration publique du Québec pour une cinglante mise au point sur son blog : "Combien de milliers de kilomètres faudra-t-il que je mette entre le microcosme français et moi pour qu'il me laisse en paix ? Faut-il préciser que je n'ai pas besoin de porte-parole ni à Paris ni à Bordeaux dont les déclarations pourraient m'engager ? J'annoncerai moi-même mes intentions le moment venu. Et dans mon esprit ce moment n'est pas venu. Je ne ressens aucune impatience. Seulement un grand moment de calme après la tempête qui au fond de mon coeur n'est pas tout à fait apaisée."

Quelques instants plus tôt, en France, Marie-Hélène Des Esgaulx, députée (UMP) de Gironde, secrétaire nationale aux élections de l'UMP et proche de M. Juppé, avait annoncé, sur France 3-Aquitaine, que l'ancien premier ministre serait "candidat dans la deuxième circonscription de Gironde" aux législatives de 2007.

Ses propos ont illico relancé les supputations sur le "retour de Juppé". Diffusés à l'instant où le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, tenait une réunion publique à Bordeaux, ils l'ont obligé à se fendre d'un couplet laudatif sur son ancien rival : "S'il décidait de revenir, c'est à lui de l'annoncer, a-t-il déclaré. Incontestablement nous avons besoin de lui et il nous manque." Interrogé par Le Monde, le ministre de l'intérieur se fait plus dithyrambique encore : "On ne se passe pas d'un tel talent."

Dimanche sur Europe 1, l'ancien premier ministre Edouard Balladur a estimé à son tour qu'il était "normal et légitime" que M. Juppé reprenne sa place, ajoutant au passage qu'"il a été sanctionné pour des erreurs dont il n'était peut-être pas entièrement responsable" . "Cela aura un impact certain , a commenté le député (UMP) de l'Oise, Eric Woerth, un proche de l'ancien président de l'UMP. Mais tout dépendra de l'état de la météo politique du moment." Autre juppéiste, l'ancien ministre de la coopération, Xavier Darcos, a demandé qu'"on fiche la paix -à Alain Juppé- pendant un an".

Condamné le 1er décembre 2004 par la cour d'appel de Versailles à un an d'inéligibilité et quatorze mois d'emprisonnement avec sursis pour "prise illégale d'intérêts" dans le dossier des emplois fictifs du RPR, l'ancien président du parti chiraquien veut se donner le temps de se construire une nouvelle image. Son blog, dans lequel il alterne les notations sur l'été indien et des propos plus sérieux sur l'économie ou la politique étrangère, contribue à cette stratégie. L'annonce de son retour prématuré vient démentir ses efforts pour paraître détaché des ambitions franco-françaises.

Certes, M. Juppé n'a jamais abandonné l'idée de refaire de la politique, mais il souhaite maîtriser le calendrier de son retour. Pour lui, retrouver l'onction du suffrage universel sonnerait comme l'annulation d'un jugement et d'une peine qui lui avaient parus infamants. A l'UMP, même si le cas de la Gironde n'a pas encore été abordé lors des réunions d'investiture, un responsable estime que l'ancien président du parti "a toujours eu la priorité pour choisir sa circonscription" .

ENTRETIEN AVEC M. SARKOZY

M. Juppé s'est ouvert de ses projets auprès de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, avec qui il s'est entretenu, mercredi 19 octobre. Le chef de l'Etat est favorable à ce retour, tout comme le président de l'UMP. Pour le président de la République, M. Juppé peut être une alternative à Dominique de Villepin dans le cas où le premier ministre échouerait à se construire une carrure de présidentiable.

Pour le numéro deux du gouvernement, M. Juppé pourrait devenir, le moment venu, un soutien. "Juppé n'est pas dans la peau d'un "anti-Sarko" , explique un ancien collaborateur de l'UMP. C'est un pragmatique qui veut la victoire de son camp. Si Sarkozy est celui qui peut faire gagner la droite, il le soutiendra sans état d'âme." "Et puis , ajoute-t-il, il n'est plus aux ordres de Chirac. Il a vécu son procès comme un chemin de croix, il en reste des traces."

De son côté, Mme Des Esgaulx a confirmé qu'elle n'était pas "mandatée" par M. Juppé pour s'exprimer en son nom. "J'ai parlé à mon petit niveau, a-t-elle expliqué. A Bordeaux, tout ceci est un secret de polichinelle." Lorsqu'elle a joint M. Juppé au téléphone pour l'avertir de l'effet de ses déclarations, l'ancien premier ministre n'a, selon elle, rien montré de sa désapprobation : "Il m'a seulement dit que là-bas, il faisait beau."

Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 25.10.05


Le Monde / France
"Qu'il est doux, sans péril, d'observer du rivage"

 L e blog d'Alain Juppé (al1jup.com) a soudain été pris d'assaut, samedi 22 octobre. Citation de Lucrèce à l'appui, un internaute invite l'ancien premier ministre à se tenir à l'écart de l'agitation : "Suave, mari magno, turbantibus aequora ventis, e terra magnum alterius spectare laborem..." "Quand l'océan s'irrite, agité par l'orage, qu'il est doux, sans péril, d'observer du rivage...", notait le poète, exhortant le lecteur à "jouir en secret des malheurs qu'on évite".

Un autre, dans un genre nettement moins littéraire, suggère à M. Juppé de rester "dix ans au Canada pour éviter de perdre les élections en 2007".

La plupart des réactions oscillent entre rire et agacement : "Il vous faut être là même quand vous ne l'êtes pas", s'irrite un des intervenants. Certains imaginent que la "méthode" ­ "afficher des appels de Français désespérés de vous avoir vu partir, afin d'accepter humblement de leur rendre service en revenant dans l'arène politique nationale" ­ pourrait faire profit à un certain Lionel Jospin. "J'admire votre flegme", écrit un autre : "Profitez de la journée de samedi car les températures descendent lundi..."

Il y a aussi des encouragements : "Bravo. Acceptez donc que certains en France ne vous oublient pas et continuent de croire en vous." De quoi, éventuellement, daigner quitter le rivage, le moment venu.

Patrick Roger
Article paru dans l'édition du 25.10.05


Le Monde / Société
Le ministre français Azouz Begag a fait l'objet d'un contrôle "poussé" à l'aéroport d'Atlanta

 E n langage diplomatique, cela s'appelle un "incident regrettable" ; pour l'intéressé, ministre de la République, c'est un "contrôle au faciès" . Azouz Begag, en possession d'un passeport portant un visa "A1" (réservé aux diplomates et aux ministres), a été retenu pendant un quart d'heure et interrogé par un agent des douanes, le 13 octobre, dans l'aéroport d'Atlanta (Etats-unis) où il se trouvait en transit alors qu'il se rendait à l'université de l'Etat de Floride pour y donner une conférence sur les nouvelles politiques françaises de lutte contre le racisme.

Sur le moment, le ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances n'a pas donné d'écho à cet incident diplomatique qui a été révélé, vendredi 21 octobre, par le porte-parole du ministre français des affaires étrangères.

Evoquant "un contrôle un peu trop poussé", ce dernier a affirmé que le Quai d'Orsay avait "protesté auprès des autorités américaines" et "obtenu des éclaircissements" via le département d'Etat, qui a reconnu qu'une "faute professionnelle" avait été commise par un agent des douanes. L'ambassadeur des Etats-unis en France a d'ailleurs "exprimé son regret". Pour M. Begag, dont la lutte contre les discriminations et la promotion des "minorités visibles" est précisément la fonction dans le gouvernement Villepin, l'expérience n'est pas nouvelle, mais particulièrement symbolique.

Accueilli par une escorte policière à sa sortie de l'avion à Atlanta, le ministre a été, d'après son récit, conduit vers un agent des douanes qui, après lui avoir posé de nombreuses questions, lui a expliqué que son visa diplomatique ne lui permettait pas de donner une conférence dans une université. Dirigé vers une "chambre verte" pour une vérification approfondie, M. Begag, a alors été questionné sur les précédents visas qu'il avait obtenus pour les Etats-Unis.

"La situation était tendue, étrange , rapporte le ministre de l'égalité des chances : le premier fonctionnaire n'a pas vu que j'étais ministre. J'imagine que, dans son esprit, s'est produit un télescopage entre mon passeport et mon visage. A ses yeux, je n'avais pas la tête d'un ministre français normal." Le second contrôle finit par s'avérer négatif : "Ils m'ont rendu mon passeport et souhaité "bienvenue aux Etats-Unis"".

Ce n'est que trois quarts d'heure plus tard, en attendant son vol pour Tallahassee (Floride) que M. Begag est abordé par des officiels américains accompagnés du consul de France à Atlanta, qui le cherchaient dans l'aéroport depuis une heure. "Tout le monde avait été prévenu, mais une mauvaise communication entre services les avait empêchés de me repérer", commente le ministre.

SITUATION NOUVELLE

Fils d'immigrés algériens, élevé dans un bidonville de Villeurbanne (Rhône), sociologue et romancier à succès avant d'intégrer le gouvernement, Azouz Begag n'en est pas à sa première mésaventure de ce genre. Voici quelques années, coiffé d'un bonnet de laine par un jour d'hiver, il avait été bloqué dans le sas d'une agence bancaire pendant que le directeur appelait la police. En 1995, à Lyon, il avait été remarqué par Jacques Chirac en lui racontant sans détour comment des jeunes se font refouler des boîtes de nuit à cause de leur "gueule d'Arabe" .

"Depuis le 11 septembre 2001, j'ai systématiquement des ennuis aux Etats-Unis, dit-il aujourd'hui : nous ne sommes plus traités comme les autres, uniquement à cause du faciès." En 2003, alors simple écrivain et porteur d'un passeport ordinaire revêtu de multiples visas dont ceux de pays arabes où il s'était rendu à l'invitation de centres culturels français, M. Begag avait déjà été retenu et pressé de questions.

A l'aéroport d'Atlanta, cette fois, le ministre de la République a expérimenté une situation nouvelle où "c'est un autre Azouz qui franchit la frontière, et qui ne peut pas accepter les choses comme avant" . Sur les murs de l'aérogare géorgienne, des portraits de Martin Luther King et des héros de la lutte contre la discrimination des Noirs lui ont procuré une "pincée d'émotion" , lui rappelant que le pasteur noir avait été la référence, en France, de la Marche des Beurs de 1983. A Paris, reconnaît M. Begag, "ce genre de télescopage est assez fréquent". A plusieurs reprises, des interlocuteurs l'ont pris pour... le garde du corps du ministre.

Philippe Bernard
Article paru dans l'édition du 25.10.05


Le Monde / Société
Le Parti socialiste s'engage avec prudence en faveur de l'homoparentalité

 S ur la couverture, un simple dessin d'enfant intitulé "ma famille". Une petite fille à couettes ("moi", précise la légende) y côtoie un homme ("papa") et deux femmes unies par un gros coeur rouge ("Isa" et "maman"). Fonder une famille homoparentale , de Martine Gross et Mathieu Peyceré, est un guide éthique, juridique, psychologique et pratique destiné aux homosexuels qui souhaitent avoir des enfants. Comment adopter ? Quel nom donner à l'enfant ? Comment réagir aux agressions et aux moqueries ? Les six chapitres abordent pas à pas les mille et une questions qui jalonnent le parcours des homoparents.

Rencontres internationales à Paris

La 3e Conférence internationale sur l'homoparentalité se tient à Paris, mardi 25 et mercredi 26 octobre. Organisée par l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens de Paris (APGL), cette rencontre, qui réunit chercheurs français et étrangers en sciences sociales, travailleurs sociaux, fonctionnaires et magistrats, va aborder trois principaux thèmes : "Les figures de l'homoparentalité" ; "Vers un droit de l'homoparentalité" ; "Grandir dans une famille homoparentale". La conférence est ouverte au public.

Selon les derniers chiffres, la France compte environ 100 000 familles homoparentales et 200 000 parents homosexuels. 11 % des lesbiennes et 7 % des gays ont des enfants, 45 % et 36 % désirent en avoir.

La préface est signée par un "présidentiable" de 2007, Dominique Strauss-Kahn. "L'immense mérite du débat sur l'homoparentalité est d'amener toute une société à renouveler le questionnement sur ce qu'est une famille, sur les droits de l'enfant, sur des liens sociaux nouveaux, écrit l'ancien ministre de Lionel Jospin. Fonder une famille, transmettre une histoire, des valeurs : ce projet de vie doit pouvoir être accessible sans discrimination. Les enfants ne doivent pas être privés de la possibilité d'avoir deux parents responsables au motif qu'ils sont de même sexe."

M. Strauss-Kahn avait déjà exprimé ses convictions, en 2004, dans Libération et dans l'émission "France Europe Express", sur France 3. "Nous ne le connaissions pas personnellement, mais au printemps, nous lui avons proposé la préface pour qu'il puisse exprimer à nouveau ses choix, raconte Martine Gross. Il a tout de suite accepté. Depuis, nous nous sommes rencontrés, en juin, à la Marche des fiertés homosexuelles, à Paris. Cela nous a permis de faire connaissance !" LE MARIAGE NE VA PAS DE SOI

En mai 2004, au nom de "l'égalité des droits pour tous" , le Parti socialiste avait accepté du bout des lèvres ­ sous la pression du mariage gay célébré à Bègles (Gironde) par Noël Mamère et des prises de position de plusieurs leaders, dont DSK ­ le principe des unions homosexuelles, mais il était resté prudent sur la question de l'homoparentalité. "Un large débat doit s'organiser sur un sujet qui appelle la prise en compte de tous les points de vue afin d'apporter des réponses à des situations difficiles vécues par un certain nombre de nos concitoyens", avait alors affirmé le bureau national.

Au lendemain de ce communiqué, Lionel Jospin était sorti de la réserve qu'il s'imposait depuis sa défaite de 2002 pour dire son hostilité au mariage gay et à l'homoparentalité. L'enfant, écrivait-il alors dans le Journal du dimanche , "n'est pas un bien que peut se procurer un couple hétérosexuel ou homosexuel, il est une personne née de l'union ­ quelle qu'en soit la modalité ­ d'un homme et d'une femme" . "Je vois s'esquisser une nouvelle tentation bien-pensante, voire une crainte de l'imputation homophobe, qui pourraient empêcher de mener honnêtement la discussion" , concluait-il.

Depuis cette mise en garde, le débat s'est poursuivi au sein du PS. Et chacun a pris position dans les motions qui seront débattues au congrès du Mans, en novembre. François Hollande a franchi le pas dans son chapitre consacré au "contrat citoyen" : le mariage, promet-il, sera ouvert aux couples de même sexe et le droit à l'adoption devra "s'adapter aux réalités nouvelles et notamment tenir compte de l'homoparentalité" .

Au terme de longues discussions, le Nouveau Parti socialiste s'est finalement engagé, à travers une motion signée par Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et Henri Emmanuelli : l'ouverture du mariage aux couples de même sexe "s'impose aujourd'hui comme une réforme que le Parti socialiste devra porter s'il revient au pouvoir ". "L'adoption doit être ouverte à tous les couples, qu'ils soient mariés, en concubinage ou pacsés", souligne-t-elle.

Enfin, bien que Laurent Fabius se soit, au moment du mariage de Bègles, déclaré partisan des unions homosexuelles, sa motion est infiniment prudente. "Le couple et la parentalité homosexuels sont des réalités déjà reconnues par la loi dans nombre de pays européens, souligne son texte. Dans notre parti comme dans la société, nous savons bien que les réponses à apporter ne vont pas de soi, mais une chose est certaine : après avoir créé le pacs, nous, socialistes, devrons porter de nouvelles évolutions allant dans le sens de l'égalité des droits."

Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 25.10.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Manifestation du néantitisme

 E ric TroncY, dans un point de vue intitulé "Manifeste du réalitisme" (Le Monde du 13 octobre 2005), défend la télé-réalité au nom de l'art contemporain. Elle irriguerait l'imaginaire des "artistes d'aujourd'hui" ­ entendons les avant-gardes autoproclamées qui, depuis L'Urinoir de Duchamp, ont siphonné de l'intérieur la beauté pour en exhiber le cadavre.

Un nouvel espace serait apparu, pompeusement baptisé par Eric Troncy la "RéalitY", un intermédiaire entre réalité et fiction. La télé-réalité nous fait passer, dit-il, dans une autre dimension de la réalité ­ comme l'art abstrait le fit pour la peinture. S'agit-il d'une évolution ? Non. Rien de moins qu'une "révolution stylistique" . Et bien entendu, comme toujours quand on a le pouvoir (celui des musées, des commandes publiques et des subsides), Eric Troncy réfute par avance toute critique.

Ceux qui feraient oeuvre de "dénégation de légitimité" exerceraient sur la télé-réalité une "violence". Il importe donc de se taire sous peine d'être rejeté dans l'enfer des ronchons passéistes et autres rétrogrades arriérés. S'il faut, pour ne pas être traité de "réactionnaire", regarder, comme nous y invite Eric Troncy, un atelier d'artiste filmé pendant toute une nuit par une caméra de surveillance et considérer que nous sommes en présence d'une œuvre d'art, superbement intitulée Mapping the Studio , alors j'accepte par avance d'être voué aux gémonies de tous les défenseurs de la RéalitY – ­ dont Eric TroncY.

Comment ne pas être frappé par cette alliance, d'apparence contre-nature, entre l'art contemporain et la télé-réalité ? Eric Troncy la démontre. Alliance entre les marchands de flux télévisuels et les défenseurs des boîtes de "merda d'artista" de Piero Manzoni. Ainsi Endemol serait, sans le savoir, une société d'artistes ! Christophe Dechavanne n'osait en rêver. Eric Troncy l'a fait. Que dire de la Biquette de la "Ferme Célébrités" ? Elle est un happening très "tendance". Ne faudrait-il pas faire entrer au Centre Beaubourg les ronflements de soldat Castaldi de "La 1re compagnie", sans oublier le trop fameux "Cekikapété" d'un candidat du "Loft" ?

Plus sérieusement, trois points de convergence existent entre la télé-réalité et l'art contemporain.

Tout d'abord, une même démarche : celle du ready-made. Le geste inaugural de Duchamp opère une immense réduction des prétentions artistiques. Par le seul décret d'un artiste, un urinoir devient une oeuvre d'art. Grâce au point de vue adopté, la banalité n'est plus banale. Ce qui est vrai d'une certaine manière l'est devenu de toutes les manières possibles. La représentation a disparu au profit de l'expression. Le ready-made (le déjà-présent , déjà-fini , déjà-là ) s'est étendu à bien d'autres domaines – ­ et maintenant à la télé-réalité. Une certaine "ready-madisation" (selon l'expression de Jean Baudrillard) de tout semble avoir rejoint un vaste "procès de désublimation". Tous les sujets sont mis sur le même plan. Les distinctions s'évanouissent. L'épaisseur est aplatie au profit d'un horizon sans levure. Yves Michaud y voit le "triomphe de l'esthétique" : "Si les ready-made sont partout, il suffit de les trouver ou de les voir partout où ils sont." Sous la réalité, des ready-mades. Et maintenant nous découvrons : sous les pavés cathodiques, la plage de la RéalitY. Elle est là, dans les cours de ferme (célébrités), sur le sable des îles (de la Tentation) et autres planches de l'Académy (des stars). Pourquoi ? Une évidence s'impose, depuis que le gag dadaïste de Duchamp est devenu un dogme moderne : tout est illusion, donc tout est matière esthétique. Qu'importent les mises en forme pourvu qu'un objet, un quidam, une quelconque bride de réalité puissent être regardés par tous comme dignes d'intérêt. La banalité s'arrête là où commence l'attention du nombre.

Seconde convergence : être soi-même jusqu'aux conflits avec les autres. Tous les "artistes" de la télé-réalité ou de la RéalitY ont la folle prétention d'être eux-mêmes, considérant que nous sommes tous des Mozart en puissance. Eric Troncy cite Joseph Beuys comme un annonciateur de la télé-réalité pour s'être enfermé, en 1974, pendant trois jours avec un coyote dans une galerie. Intéressant ! N'est-ce pas lui qui avait placé, sur la façade du Centre Pompidou, cette assertion péremptoire : "Chaque homme est un artiste. C'est même là ma contribution majeure à l'art" ? Bien que ridicule, l'ambition est belle. Mais tous ces "artistes" finissent par nous imposer leur "moi" : un moi impérialiste, d'une arrogance belliqueuse.

La recherche d'une différence n'est plus déférente, elle est devenue indifférence aux autres. De plus, ce culte de l'authenticité sauvageonne est un mauvais service rendu aux adolescents d'aujourd'hui. Ils sont en plein travail de construction d'eux-mêmes par la domestication de leurs pulsions. La télévision détricote cet apprentissage de la pudeur. Elle indique que pour avoir son "quart d'heure de célébrité" il faut s'exhiber et faire étalage de ses tripes. Alain Finkielkraut s'en prend à ce "spontanéisme". A la télévision, dit-il, "tout le monde est spontané et tout le monde dit la même chose" car, précise-t-il, "la spontanéité a partie liée avec la banalité. Aujourd'hui on a décidé de donner la parole avant de donner la langue". Les lofteurs, lofteuses, colocataires de toutes sortes, "tentatrices" aux avantages rebondis, célibataires et habitants des "îles de Tentation" ont la parole. Ils l'ont. La gardent. En abusent.

La télé-réalité la leur a donnée. Mais il leur manque la "langue", la grammaire humaine, la syntaxe des sentiments, le dictionnaire des émotions subtiles. Que disent-ils ? La même chose. Toujours la même chose. Ils affirment leur même banalité d'analphabètes, leur même mesquinerie de coquelets et de poules de basse-cour, leurs mêmes envies, pulsions, calculs de courte vue avec, comme leitmotiv, l'assurance d'une affirmation aussi simple qu'identitaire : "Je suis qui je suis, tel que je suis et m'exprime avec authenticité." Cette "vérité" est incontestable. Car les identités sont par principe plus indiscutables que les opinions.

Troisième convergence : la fin du récit au profit d'un présent infini jusqu'à l'ennui. Que nous disent à la fois "l'artiste" qui filme son atelier de nuit et tous les lofteurs de la télé-réalitY ? Il ne se passe rien dans l'instant, même si nous n'avons que lui comme planche de salut. Le passé est passéiste, le futur écrit dans les astres, il ne nous reste qu'à regarder, par des caméras de surveillance, le sablier s'écouler, les ateliers vides, des stars sur le retour se crêper le chignon dans des cours de ferme et des bachelors se pavaner au milieu d'un troupeau de donzelles.

De tous temps, les récits, les histoires, les contes de fées ont permis aux individus de se construire, d'élaborer des sentiments. Un homme en société est toujours un composé de réalité et de fiction. Mais, contrairement à la RéalitY, moderne et donc momentanée, ce composé s'inscrit dans une durée partagée. Les récits organisent les sensations, leur donnent corps. Dans la RéalitY le récit disparaît au profit du flux. Nous sommes, maintenant, traversés de flux qui ne se tissent plus en récits. Le tricotage artistique a disparu au profit de la simple pelote de laine. Personne ne peut raconter une émission de télé-réalité ou l' "oeuvre" intitulée Mapping the Studio . Ces flux ne disent rien. Il n'y a rien à en dire.

Désormais, nous dit-on, tout se joue ici et maintenant, dans un présent qui bégaie. Le disque de la réalité est rayé. Nous avons quitté, pense Peter Sloterdijk, un "nihilisme joyeux et cinétique" (celui du progrès et de la danse de Zarathoustra) pour un "nihilisme métaphysique". La levure métaphysique qui donne du volume, de la consistance et du style à la réalité, l'histoire ou la vie a été bannie. La RéalitY est l'expression de ce nihilisme-là.

Que l'art contemporain souhaite se greffer sur la télé-réalité (ou l'inverse) importe peu ! Si Eric Troncy veut encore un peu plus humilier l'art, c'est son problème. Mais surtout, en voulant anoblir la télé-réalité, l'art devient complice du processus imaginaire de marchandisation promu par cette même télé-réalité. "Chaque homme est un artiste" , affirme encore l'art ; tout individu est un consommateur qui s'ignore, entonnent les marchands. Toute banalité est belle, dit Eric Troncy ; tout cerveau est disponible à la publicité, répond Patrick Le Lay.

Il est urgent d'en revenir à un art du sens contre la valorisation de la banalité, pour immuniser les enfants contre tous ces virus marchands qui pullulent. Consommer pour oublier les engagements non tenus de la RéalitY : est-ce notre présent et notre avenir ? Je le crains.


Damien le Guay est philosophe et critique littéraire.

... par Damien Le Guay
Article paru dans l'édition du 25.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

Awerle ♦ 24.10.05 | 18h31 ♦ Le personnage central de « Leonce et Lena » tenait ces propos désabusés,en substance: « …les hommes,... ne sont rien d’autre que des oisifs raffinés (raffinierte Müßiggänger)». Près de deux siècles +tard,le spectacle de la modernité conduirait Büchner à moduler ce propos.Un préfixe négatif suffirait peut-être à marquer le chemin parcourul: « unraffinierte Müßiggänger».Mais ne soyons pas injustes vis-à-vis de programmes réllement formateurs...diffusés souvent à des heures tardives
gwillard ♦ 24.10.05 | 17h58 ♦ Proust ne se sentait pleinement humain, comme Zarathoustra dans sa montagne, que seul: dans cette solitude, il pouvait ressentir, penser et par la atteindre des profondeurs insondables par...la TV-realite qui, en favorisant la "spontaneite" et donc le banal, appartient a un autre univers, commercial, narcissiste, nihiliste au sens le plus pejoratif du terme. Non, tout le monde n’est pas, ne peut pas etre, artiste, sans fournir l’effort necessaire comme Proust l’a fait.
arnaud m. ♦ 24.10.05 | 17h33 ♦ On ne peut que partager la sensation de nausée éprouvée par D.Le guay devant la TV"réalité". Mais est-il pour autant légitime de faire de E.Troncy le porte-parole d’un art contemporain réduit arbitrairement à la transiguration du banal et à la célébration de l’insignifiant? Dans son Journal Gombrowicz avait déjà montré par quel subterfuge rhétorique on peut rendre "intéressantes" 3 allumettes disposées au hasard. La question est de savoir si c’est là l’alpha et l’oméga de l’art contemporain.
PIERRE L. ♦ 24.10.05 | 16h52 ♦ Votre seizième arrondissement est pesant. Pour vous, si le monde se résume à la sphère d’influence d’une diplomatie us en pleine déroute, la vision des choses dont vous faite part est d’autant plus absurde qu’elle n’exprime qu’une pauvreté de point de vue, sinon un déni pur et simple, suffisant et autocentré. L’expression artistique n’est que le reflet de la vitalité. Rien d’autre. Avec les outrances de la pertinence de la cruauté mais aussi l’éclat du beau.
alain sager (nogent sur oise) ♦ 24.10.05 | 16h39 ♦ Il fut un temps où un certain Nietzsche parlait de "nihilisme". Le nihilisme, c’est l’époque du "dernier homme". Un homme stérile, revenu des valeurs anciennes, mais incapable d’en créer de nouvelles. Alors, satisfait ou désespéré (c’est selon), il tourne autour de son propre vide. Je sais combien peut être suspect le "surhomme" appelé de ses voeux par Nietzsche pour dépasser cette triste situation. Mais enfin, on pourrait peut-être quand même faire un effort...
Edouard ♦ 24.10.05 | 14h42 ♦ Aux US, la reality-tv est partout. Ceux que ca amusent regardent. Les autres ne regardent pas, ils lisent des livres, sortent avec des amis, au theatre, au cinema, a l’opera.... Point final. En France, on a aussi la telepoubelle mais, pendant que le Darfour se fait violer, pendant que les US combattent les islamofascistes en Irak et ailleurs, pendant que notre economie coule, nous, on ecrit des articles enormes sur le cote artistique, ou pas, de la tv-realite.... Je reve... Decadence?????

Et bien sûr, pour mémoire…


Le Monde / Opinions
Point de vue
Manifeste du réalitisme, par Eric Troncy

 Z inédine Zidane filmé par 17 caméras, en temps réel, le temps d'un match du Real (justement) de Madrid : c'est l'oeuvre en cours de réalisation des artistes anglais et français Douglas Gordon et Philippe Parreno. Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Marianne Faithfull réunies à Cinecitta pour une fausse émission de télé-réalité inspirée du "Bachelor", où une quinzaine de jeunes gens tentent de les séduire : c'est l'oeuvre de l'artiste italien Francesco Vezzoli (Comizi di non amore, 2004), présentée à la Fondation Prada de Milan (Italie), puis à la dernière Biennale de Venise.

Des geôliers et des prisonniers (volontaires) filmés plusieurs jours durant par des caméras de surveillance dans une prison reconstituée, pour un remake de la célèbre expérience conduite par Philip Zimbardo en 1971, dans la prison de Stanford (Etats-Unis) : c'est Repetition (2005), l'oeuvre de l'artiste polonais Artur Zmijewski (présentée dans le pavillon polonais de la Biennale 2005 de Venise et à la Kunsthalle de Bâle).

Son atelier filmé en continu, la nuit, par des caméras de surveillance : c'est Mapping the Studio (2003), de l'artiste américain Bruce Nauman (présentée au Dia Centre pour les arts de New York, puis à la Tate Modern de Londres).

C'est peu dire que les dispositifs de la télé-réalité irriguent aujourd'hui l'imaginaire des artistes, après s'en être longtemps nourris. Car, au fond, bien des choses dans l'art du siècle dernier conduisent naturellement à la télé-réalité : les pavillons de l'artiste Dan Graham et leurs miroirs sans tain, le TV Buddha de Nam June Paik contemplant sa propre image retransmise en temps réel dans un petit téléviseur (1974)...

... les artistes anglais Gilbert & Georges se déclarant "sculptures vivantes" (1967), l'oeuvre entière de Nan Goldin en forme de journal intime entrepris en 1981, Joseph Beuys enfermé trois jours durant avec un coyote dans la galerie Renée Block (1974) et, partant, des pans entiers de l'histoire de la performance... autant d'entreprises formelles dont la télé-réalité semble aujourd'hui n'être qu'une heureuse conséquence ­ - en retour, elle subit les mêmes assauts que ceux réservés jadis à l'art d'avant-garde.

De même qu'au tournant du XXe siècle l'art abstrait fut qualifié de n'importe quoi et d'intellectualisme, la télé-réalité dut, à l'approche du XXIe siècle, endosser les reproches simultanés de convoquer des dispositifs outrancièrement simplistes (induisant les soupçons, d'ailleurs infondés, d'offrir les avantages d'une production à moindre frais) et d'être en vérité scénarisés (d'où le refus du statut juridique de "documentaire" appliqué à "Popstar"). Mêmes arguments, même violence, pour une dénégation de légitimité qui indique, au passage, une même ampleur dans la révolution stylistique : la télé-réalité sera à l'histoire de la télévision ce que fut l'abstraction à l'histoire de l'art, et, en ce sens, les réticences à son endroit du "service public" rappellent curieusement celles avec lesquelles le "public" accueillit l'art abstrait.

Pourtant, plus que ce jeu d'échanges et de similitudes, l'art et la télé-réalité (la télé-réalité essentielle, celle du programme "Big Brother" inventé par John de Mol en 1997-1999, et qui conjugue enfermement consenti, dispositif de surveillance et retransmission télévisée en temps réel) partagent une chose fondamentale, un espace en vérité, qui n'est ni celui de la réalité ni celui de la fiction, mais un espace intermédiaire : celui de la RealitY.

Comme l'eXistenZ de David Cronenberg (1999) se situait dans les marges technologiquement composées de l'existence, la RealitY se situe dans les marges médiatiquement assistées de la réalité. Nourri de toutes les stratégies de communication (qui reconfigurent la réalité au profit de son expression médiatique ­ - simplification, photogénie, mise en scène...) ­-, ce qui se joue dans l'espace de la RealitY n'est ni vrai ni faux, mais simplement "réalitiste". Et ce "réalitisme" se construit dans un rapport à la réalité qui s'appuie précisément sur des expériences menées dans le champ de l'art.

Le réalisme de Gustave Courbet (1855), c'était opposer à l'idéalisme académique la réalité crue des gens du village, occupés à des tâches ordinaires, en utilisant les stratégies (les formats) de la peinture d'histoire (Un enterrement à Ornans, 1849-1850, conservé au Musée d'Orsay). Le surréalisme, c'était embarquer la réalité dans l'espace onirique ouvert par la psychanalyse, en lui adjoignant les stratégies de la littérature. L'hyperréalisme, c'était entraîner la réalité dans l'illusion de sa reproduction, en utilisant les stratégies de la photographie. Et pareillement, le "réalitisme", c'est adjoindre à la réalité son double reformulé par les stratégies de la télévision, lui autorisant la satiété du spectacle.

Dans la conception intellectuelle et physique de cet espace (la RealitY n'est pas un espace strictement virtuel comme ceux de l'Internet ou des marchés financiers, il est physiquement réel et culturellement assimilé, comme une sorte de polder), l'invention de la photographie aura tenu lieu d'acte de naissance. Dès lors qu'il a été possible de produire un cadrage de la réalité traversé de contingences esthétiques, dont la révélation reposait sur un dispositif mécanique et qui, finalement, s'y ajoutait sans garantie de vérité, l'espace de la RealitY pouvait entreprendre son expansion.

Plus tard, les véritables chaussons de danse et la robe de tulle enfilés sur la Petite danseuse en bronze de Degas amorceraient la lente migration de l'oeuvre d'art dans la RealitY, là où des traces patentes de la réalité sont reconfigurées dans une mise en scène qui l'en éloignent.

Ce qui qualifie les ready-made de Marcel Duchamp, c'est bien ­ - outre sa signature ­ - le déplacement d'un objet depuis le lieu de sa réalité (le BHV pour le sèche-bouteilles) vers l'espace de la RealitY, celui du musée ou de la galerie, celui que l'artiste américain Robert Smithson (1938-1973), en opposition au "site" ("des limites ouvertes, une certitude indéterminée, des informations dispersées...") appellera "non-site" ("des limites fermées, une incertitude déterminée, des informations rassemblées...") et dont, aujourd'hui, le "Loft" ou le château de la Star Academy sont les transcriptions les plus précises.

L'art de notre époque n'a jamais su trouver, dans les rarissimes (parce que inévitablement vouées à l'échec ?) émissions télévisées qui lui sont consacrées, une forme qui rende compte de la diversité, de la spécificité, de l'incongruité aussi, qui font la singularité de son langage et la richesse de ses modalités d'expression. Aucun format, surtout, à même d'embrasser son réalitisme sans le replier tristement sur une réalité ­ - informative, documentaire ou pédagogique.

Or, sans, naturellement, prétendre au statut d'oeuvre d'art, la télé-réalité exprime, enfin, à la télévision, et sans la travestir dans sa forme, une somme conséquente des expériences de l'art d'avant-garde ­ - celui qui, "réalitiste", a fait de la création et de l'exploration de cet espace annexe à la réalité la RealitY, à la fois son principal projet et son meilleur instrument.


Éric Troncy est critique d'art, directeur de la revue d'art contemporain FROG.

par Eric Troncy
Article paru dans l'édition du 13.10.05

Découvrez les réactions des abonnés du Monde.fr à la lecture de cet article.

mt ♦ 12.10.05 | 15h15 ♦ Ce n'est que du théâtre, rien de plus que du théâtre... aucune révolution dans tout celà. Comme Duchamp, grand humoriste, que malheureusement on a pris au sérieux et qu'on cite à tour de bras, alibi de la non-pensée. Observer le réel demande des stratégies, des dispositifs et des techniques qui faussent les résultats (on sait que la caméra est là et que c'est un jeu). On appelle ça la fiction, et ce n'est pas bien nouveau.


Le Monde / Opinions
Chronique
Peurs et espoirs de la civilisation numérique, par Eric Le Boucher

 L' homme peut-il orienter la science et la technologie ou avancent-elles de façon autonome, à leur manière, un peu comme la vie, autant par hasard que par nécessité ? Vieux débat. A défaut de le trancher, il est au moins possible de réfléchir aux conséquences des prodigieux changements que nous traversons avec l'accélération de l'électronique, d'Internet, des biotechnologies et des techniques en général.

Cette civilisation numérique dans laquelle nous entrons, est-ce encore une civilisation ? A-t-elle couleur humaine ? Les Entretiens des civilisations numériques, qui ont eu lieu à Margaux (Gironde) les 6 et 7 octobre, avaient l'ambition d'apporter des réponses. Une gageure, on l'imagine. Faire venir philosophes, professeurs, artistes et experts de différents pays pour discourir de l'impact des sciences modernes sur les savoirs, les valeurs, les identités, et même sur l'espace et les corps, et pour s'interroger sur les menaces que la technologie peut faire peser sur l'humanisme, était prendre des risques. Mais les participants ont mieux pu cerner le paysage.

Les inquiétudes légitimes d'abord. Les possibles dérives sécuritaires de la société informatisée sont connues. Il est possible de tout écouter, tout enregistrer, tout infiltrer. On assiste, depuis le 11-Septembre, en particulier aux Etats-Unis, à une volonté de généralisation des surveillances. "Big Brother" ne cesse de perfectionner ses armes. L'implantation possible de capteurs dans les corps à des fins de prévention sanitaire pourrait déboucher sur un système social hyper contrôlé à l'échelle mondiale dont on craint d'imaginer la puissance.

Il y a plus noir encore, si l'on peut dire : le "meta-risque", la convergence de tous les risques. L'électronique court toujours vers le plus minuscule. Les matériaux connaissent une révolution avec les nanotechnologies, qui permettent de descendre presque au niveau des corps élémentaires. La manipulation du génome humain décodé ouvre des perspectives gigantesques. La médecine avance à toute vitesse dans la connaissance du cerveau et de l'intelligence. Or ces technologies ­ – électro, nano, bio, neuro, cogno ­ – convergent. Dès lors, la société entre dans un univers vraiment nouveau où tout est rénové, pas seulement les façons de faire, mais les façons de percevoir et de penser.

Le côté obscur de cette planète n'échappe à personne. "Qui a déjà pleuré en lisant Internet ?" , s'interroge Daniel Erasmus, professeur à l'Ecole de management de Rotterdam, déplorant la pauvreté (qu'il imagine provisoire) de ce média. "En Asie, les jeunes adoptent un nouveau style de vie, sans capacité de le remettre en question" , ajoute Foong Wai Fong, économiste, directrice de MegaTrends Asia, qui note que "le choc émotionnel" remplace "l'esprit critique" . Le professeur Nigel Thrift, de l'université d'Oxford, poursuit en expliquant que "le monde marchand s'approprie les passions" , les industriels les manipulant. Internet ne réunit-il pas sur des sites spécialisés les passionnés de telle ou telle micro-activité, de tel poisson rouge ou de tel bizarre hobby ? Point n'est besoin d'y voir une manipulation d'ailleurs, la logique industrielle suffit.

"FOISONNEMENT D'INITIATIVES"

Conséquence ultime : la démocratie est estompée. "Les bénéfices risquent d'être de moins en moins répartis" , relève l'ancien ministre socialiste Dominique Strauss-Kahn. "Le débat politique pourrait être monopolisé par les experts ou les juristes" , craint l'essayiste Joël de Rosnay.

Mais à côté de ces inquiétudes, ou plutôt derrière, la civilisation numérique fait renaître des espoirs. Les identités anciennes se perdent, mais il en émerge des nouvelles "aux carrefours" , note Nigel Thrift, plus nomades, plus hybrides, riches de potentialités. "La technologie permet de trouver facilement les gens qui vous ressemblent. L'amitié va devenir la valeur d'avenir grâce aux réseaux ; elle est portable et cosmopolite" , prédit-il. Michel Carpentier, ancien directeur général des technologies de l'information à la Commission européenne, se réjouit "du foisonnement des initiatives locales permises par Internet" . L'isolement des individus que certains redoutaient trouve une solution, du moins partielle.

Il en est de même d'une autre critique entendue : l'homogénéisation. Le numérique universel nivellerait les différences et les cultures. Faux, selon Joël de Rosnay : "La numérisation se déploie, mais les cultures résistent" , justement parce qu'elles peuvent s'exprimer sur le Réseau et s'y enrichir. Cette capacité constitue, pour aller plus loin, la réponse au méta-risque de dominance généralisée des individus par le système. Apparaît une "intelligence collective" , selon Anthony Townsend, de l'Institute for the Future de Palo Alto, au travers des blogs et des forums. L'exemple phare est l'encyclopédie Wikipedia, qui n'est pas écrite par des experts, mais qui se fait au fur et à mesure, tout le monde lui apportant ses connaissances. "Nous entrons dans l'ère de la science ouverte" , dit Townsend, le contraire du monde fermé par les industriels et les experts.

En résumé, la civilisation numérique donne trois pistes de liberté. La première est, tout simplement, le droit de se déconnecter, auquel il faut veiller. La deuxième naît de la participation libre aux débats grâce au Net, bâtissant une démocratie rénovée, permanente et active. La troisième viendra de l'évolution de la politique traditionnelle.

Face aux interrogations, face aux peurs, les hommes politiques devront imposer une transparence aux discours des savants et des experts, mais aussi faire que les explications soient audibles. Il faut établir la vérité dans toute la mesure du possible et la dire au niveau adéquat. Pour Françoise Roure, du conseil général des technologies de l'information (CGTI) du ministère français de l'économie, il faut "élaborer une confiance informée" , faute de quoi se catalyseront toutes les angoisses devant l'envahissement du numérique.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 26.10.05

PAUL S.
25.10.05 | 18h43
A alain Sager : La technique n'est pas neutre puisqu'elle nous offre de nouvelles possibilités. Qui résiste à la contraception, par exemple ? Combien préfèrent la marche à l'usage de véhicules modernes pour faire plus que quelques kilomètres, en ville, tout du moins ? C'est une illusion de croire que l'on est libre vis à vis de la technique.
alain sager (nogent sur oise)
25.10.05 | 16h52
Connaître le cerveau est une chose ; savoir ce qu'est l'intelligence en est une autre : le risque existe en effet de les confondre. Pour le reste, on pourrait rappeler Lichtenberg : "si un singe se mire dans une glace, ce n'est pas l'image d'un homme intelligent qui s'y reflète". Je ne sais si Internet nous façonne. Son usage est plutôt à l'image de notre vie : pauvre si elle est pauvre, riche dans le cas contraire. La technique est neutre : c'est l'homme qui lui affecte sa valeur.
Dioni D.
25.10.05 | 15h52
http://www.institutmontaigne.org/site/page.php?page_id=115 À quoi tient cette curieuse impression que, malgré leurs naïvetés et leurs coupables erreurs d’analyse, les alter-mondialistes n’ont pas complètement tort ? Ils posent, en réalité, une question clé : dans le monde en mouvement perpétuel où nous vivons, avons-nous encore prise sur notre destinée collective ? Héritier des Lumières, l’idéal républicain nous faisait une promesse inouïe : les citoyens allaient enfin pouvoir « faire leur histoire ». C’est cette promesse qui vacille aujourd’hui. Les sociétés contemporaines s’organisent autour d’une passion commune, la peur. Derrière celles des OGM, du réchauffement climatique, des dangers de la vitesse ou encore du clonage se cache une peur qui les englobe toutes : celle de l’impuissance publique, de la dépossession démocratique. Revisitant Descartes, Heidegger et Ulrich Beck, Luc Ferry montre comment mondialisation et médiatisation privent peu à peu les élus du peuple de la maîtrise de l’action publique - comment la victoire même du libéralisme, philosophie de la liberté, fait paradoxalement de nous des êtres démunis de toute prise réelle sur le cours d’un monde qui tourne comme tourne un gyroscope.
leongreco
25.10.05 | 15h41
une civilisation fluide , ouverte , créative ou les valeurs des cultures se rencontrent et aboutiront en plus de se respecter d'en inventer de nouvelles communes .Big brother est un phantasme archaique car les anticorps des cybernautes se mettent et se mettront en place . Internet introduit enfin l'ethique de l'altérité , et du débat comme valeur avec une puissance inégalée .. Le cyber monde est produit par des hommes ,et comme tel il est inachevé ,il permettra d'aller vers plus d'intelligence
sunseeker
25.10.05 | 14h18
si télévision, jeux vidéos, internet...prennent une telle place c'est parce que la vie de certains leur apparaît comme vide...or la nature a horreur du vide!...les media quels qu'ils soient compensent ce vide comme la consommation compulsive...ou tout autre addiction... on ne prend plus un repas on se jette sur quelque chose à grignoter, on n'aime plus mais on consomme de la pornographie... le règne de l'immédiateté est la conséquence d'un modèle de société qu'il faut changer...


Le Monde / Opinions
Chronique
Irak : la sécurité ou la démocratie, par Daniel Vernet

 L es Irakiens ont voté pour la deuxième fois en un an. Après les élections du 30 janvier destinées à élire une Assemblée constituante, ils ont été appelés à se prononcer par référendum sur le projet de Constitution. Les résultats définitifs se font attendre, mais l'essentiel est que la consultation ait eu lieu et que la participation ait été assez élevée ­ plus de 60 % ­, malgré l'insécurité ambiante. Il n'est pas besoin d'avoir été un admirateur forcené de la guerre américano-britannique contre Saddam Hussein pour reconnaître qu'il s'agit d'un événement positif. Si le texte constitutionnel est adopté, les Irakiens pourront désigner un Parlement et commencer à mettre en place des institutions qui ne feront sans doute pas de leur pays un modèle de démocratie mais qui trancheront agréablement sur la situation de la plupart des Etats alentour.

Après les élections parlementaires qui ont eu lieu quelques jours avant en Afghanistan, c'est plutôt une bonne nouvelle. Elle ne suffit pas à justifier les interventions contre les Etats défaillants ou "voyous" des puissances ni même des organisations internationales. Elle n'en montre pas moins la volonté de ces dernières de mettre à profit la disparition de régimes autocratiques ou belliqueux pour (re) construire des Etats sur de nouveaux principes. Est-ce un gage de réussite à long terme ? Comme l'a écrit récemment le politologue américain Francis Fukuyama, il ne suffit pas d'être un "benevolent hegemon" (une puissance bienveillante), encore faut-il être un "competent hegemon" (une puissance compétente).

Le moins qu'on puisse dire est que ça n'a pas été le cas des Etats-Unis en Irak, qui ont commis dès la fin de la campagne militaire proprement dite des erreurs irrattrapables. Ils ont contrevenu à une règle essentielle que les familiers du state building (reconstruction de l'Etat) ont tirée de leur expérience, notamment dans les Balkans : le premier devoir du ou des pouvoirs interventionnistes est d'assurer la sécurité des populations, de ne pas laisser s'installer un vide immédiatement rempli par les délinquants de tous ordres, qu'il s'agisse de bandes armées animées de buts plus ou moins politiques ou de criminels ordinaires.

L'insécurité mine la confiance dans les nouvelles autorités, étrangères ou autochtones, et met en danger l'ensemble du processus de reconstruction. Garantir la sécurité impose parfois de travailler avec des gens peu recommandables, souvent compromis avec l'ancien régime, mais capables au moins de maintenir l'ordre. Il est clair que les Américains, en laissant les soldats et les policiers de Saddam Hussein partir dans la nature avec leurs armes, ont à la fois démantelé les forces de l'ordre et alimenté les rangs de l'opposition armée.

Les experts se disputent sur le point de savoir si la sécurité doit être assurée avant toute mise en oeuvre d'un processus de démocratisation ou si ce processus est lui-même une condition de la stabilisation. Sans doute n'y a-t-il pas de réponse tranchée à cette question. En Irak, les Etats-Unis ont hésité entre l'ordre et la démocratie, la coercition et la négociation, l'occupation et la dévolution des pouvoirs. La création d'institutions représentatives, fussent-elles embryonnaires, est essentielle pour donner aux populations concernées le sentiment de participer à leurs propres affaires. Des élections présidentielles ou parlementaires, des référendums, sont des procédures imparfaites et incertaines, surtout dans des pays qui n'ont jamais connu aucune activité politique libre.

Elles ne créent pas du jour au lendemain des démocraties répondant aux critères idéaux de leurs concepteurs. Elles peuvent même provoquer des frustrations, y compris chez les puissances tutélaires. Les experts constatent des décalages entre les attentes et la réalité. Le hiatus est d'autant plus dangereux que l'ingénierie sociopolitique du state building est fondée sur des concepts généraux et des principes universels qui ne sont pas toujours adaptés aux situations concrètes de pays sous-développés ou à peine débarrassés de régimes autoritaires. Le sociologue germano-britannique Ralf Dahrendorf a coutume de dire qu'il faut six mois pour organiser des élections, dix ans pour installer une économie de marché, mais une génération pour créer une société civile. Or, sans société civile, il n'y a pas de démocratie.

La tentation des artisans du state building est d'imposer des formes artificielles qui ne correspondent ni aux traditions ni à l'état des sociétés. Sans tomber dans le relativisme culturel, force est de constater que la tentative de créer arbitrairement des comportements sociaux calqués sur les habitudes occidentales profite aux représentants des structures traditionnelles, ethniques ou confessionnelles, et aux notables locaux habiles à détourner à leur profit les mécanismes de la démocratie.

Autrement dit, l'implantation de la démocratie dans des contrées qui la découvrent aujourd'hui est une oeuvre de longue haleine. Son rythme ne coïncide pas avec nos calendriers électoraux. "Notre route commence à Bagdad", écrivaient en 2003 Bill Kristol et Lawrence Kaplan, deux néoconservateurs américains, en pensant au Grand Moyen-Orient. Si elle ne s'arrête pas là, elle doit au moins y marquer une longue pause.

Daniel Vernet
Article paru dans l'édition du 26.10.05


[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…