L a démocratie, c'est «le gouvernement par le
peuple»; hors le cas d'un pays ou d'une nation occupés, existe-t-il un peuple qui ne se
gouverne lui-même ? Selon moi, non. D'où l'on peut en conclure que là où il y a
peuple, il y a démocratie. En ce sens, tout gouvernement effectif est démocratique dès
lors qu'il est librement accepté par le peuple concerné. La liberté de choix n'est pas
innée, elle se construit par l'éducation de chaque membre de la société et se réalise
par l'information la plus complète de chaque membre éduqué, ou citoyen, sur l'état
actuel de la société. Dans un contexte comme celui de 2005, on peut considérer qu'une
société où la très grande majorité des membres a reçu une éducation qui la met en état de
lire, d'écrire et de compter couramment, et où les moyens d'information, ou médias, ne
subissent pas de censure préalable et sont libres au sens économique — ont la liberté
d'établissement —, permet la liberté de choix. Donc, est une société démocratique. C'est
ainsi: la démocratie n'est pas une forme mais un ensemble de conditions préalables. Il y
a rupture de démocratie quand trop de membres de la société ont une éducation déficiente
ou quand il y a inégalité d'accès à l'information.
Là-dessus, comment se réalise effectivement un régime démocratique ? Par le choix
de tous, donc celui de chacun. Prenez la société française: par les récriminations que
j'en reçois autour de moi, je constate qu'un grand nombre de ses membres considère que
cette société ne les satisfait pas. Que font-ils pour qu'elle les satisfasse mieux ?
Pas grand chose. Pourtant, ils ont un niveau d'éducation moyen suffisant pour savoir
s'informer, et les médias y sont libres, donc ils ont aussi le pouvoir de s'informer. Et
pourtant, ils font souvent leurs choix sans s'informer ni réfléchir sur les conséquences
probables que ces choix auront sur la société, donc sur eux.
Prenez un cas qui est dans mon actualité: le projet de traité constitutionnel qui sera
soumis à référendum le 29 mai 2005. Les médias de masse, dont le rôle est de donner une
vue partielle de l'état de la société à un instant, forment un moyen assez convenable
pour déterminer quelles sont les positions respectives des divers représentants du corps
social dans les grands secteurs (politique, économie, social, idéologie, etc.). Par
contre, ils sont de moins de pertinence pour se faire une idée exacte du contenu du texte
soumis à référendum. Il y a une manière simple de réaliser la chose, se procurer ce texte
et le lire. Il est disponible sous des formes diverses: livres, périodiques, cd-roms, et
sur Internet sous la forme d'un document au format PDF en allant sur le site des diverses
institutions européennes (Parlement, Commission, Conseil, etc.); on le trouve aussi sur
ce site même, sous la
forme d'un document HTML, et aussi de documents Word et RTF, tels que ou au format
ZIP, en vue de l'impression, moins commode avec les fichiers HTML. On y trouvera aussi le
texte initial remis au Conseil des ministres tel que rédigé par les «constituants», et en
addendum le texte du projet de directive sur les services, faussement dénommé
«directive Bolkestein» à deux titres: ce n'est pas une directive, et elle ne doit pas
grand chose au dénommé Bolkestein. La dénomination précise du texte est: Proposition
de directive du parlement Européen et du Conseil relative aux services dans le marché
intérieur (présentée par la Commission), où il apparaît donc que la Commission ne
fait que publier un texte produit par d'autres. Par ceux-là même qui, ces derniers temps,
semblaient découvrir son existence…
Là-dessus, si on préfère une introduction à ce texte, il y a le livre Comprendre la
Constitution européenne, dû à Philippe Moreau Defarges (Editions d'Organisation, 182
pages, prix public: 15€). Selon moi, il vaut mieux se confronter au texte même, ce qui
n'empêche bien sûr d'éclairer sa lecture avec un commentaire de ce genre. Ne l'ayant pas
lu, je ne puis vous certifier sa qualité et sa pertinence, cependant, il m'arrive assez
souvent d'entendre son auteur s'exprimer sur France Culture, et il me semble que c'est
une personne de bon sens et intellectuellement rigoureuse.
Donc, La démocratie, les démocraties. Toute forme de gouvernement peut, dans certains
contextes, être «de caractère démocratique», y compris la dictature. On peut dire que la
prise de pouvoir par de Gaulle en 1958 fut une sorte de dictature: quand il est désigné
par l'Assemblée comme président du Conseil, on lui confie les pleins pouvoirs ainsi que
la charge de rédiger une nouvelle Constitution, ce qui s'apparente beaucoup avec ce qui
se passa après un certain 18 brumaire, an VII, avec un dénommé Bonaparte, y compris le
contexte général (régime en déliquescence, menace des «terroristes» – à l'époque, les
royalistes –, homme providentiel, etc.). La différence est dans les conditions d'accès au
pouvoir de nos deux généraux (Bonaparte fait un coup d'État, de Gaulle est appelé aux
responsabilités dans les règles) et les conséquences (la dictature de Bonaparte débouche
sur une monarchie, celle de de Gaulle sur un rétablissement de la République).
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